«La Tchétchénie et l`Europe»

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«La Tchétchénie et l`Europe»
«La Tchétchénie et l’Europe»
Julie Le Mazier et Florent de Bodman
04 mai 2005
Table des matières
1 Causes de la guerre en Tchétchénie
1.1 Un passé de violence et de domination des Tchétchènes par les Russes
1.2 L’indépendance de la Tchétchénie et la première guerre (1991-1999) .
1.3 Le déclenchement et l’instrumentalisation de la seconde guerre . . . .
1.4 Les facteurs qui expliquent la poursuite des violences . . . . . . . . . .
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2 Que reproche-t-on à la guerre russo-tchétchène ?
2.1 Les méfaits de la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2 Terreur, crime contre l’humanité, génocide ? Quel est le type de violence exercé contre les Tchétchènes ?
2.3 Les justifications de la guerre sont-elles valables ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4
4
7
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3 Quelles sont les actions possibles ?
3.1 Quelles sont les améliorations possibles ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2 Questions sur la politique étrangère de la France et de l’Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3 Possibilités d’action pour les sociétés civiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
12
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13
14
4 Annexe
15
5 Bibliographie
16
1
Depuis 1999, la situation dans la république russe de Tchétchénie est une des plus graves au monde : les combats
menés par l’armée russe y ont fait des dizaines voire des centaines de milliers de morts, les enlèvements arbitraires,
les pires tortures et les viols sont récurrents, l’impunité est quasi totale, et c’est tout un peuple qui est profondément
dominé et humilié, voire menacé dans son existence. La première justification de ce dossier est donc de rappeler ces
faits, qui constituent un véritable scandale pour le monde et pour l’Europe, et dont cependant le traitement médiatique
est relativement faible. Si l’indignation est nécessairement la première réaction en face des souffrances des populations
civiles, l’objet principal de ce dossier est toutefois d’aller au-delà et de présenter une réflexion politique d’ensemble sur
la situation de la Tchétchénie aujourd’hui. Compte tenu de la complexité de la situation en Tchétchénie, et du manque
d’information dont nous disposons actuellement, ce dossier n’a pas la prétention d’offrir une compréhension exhaustive
des enjeux du conflit et de ses possibilités de résolution ; il vise seulement à ouvrir des pistes de réflexion, afin de tenter
du moins de sortir de la contemplation passive et épouvantée du cycle de la violence. Il tente notamment de rattacher
la question tchétchène à plusieurs des grandes questions actuelles de la politique internationale : la question du droit
d’ingérence face aux massacres et aux violations des droits de l’homme, la politique extérieure de l’Union européenne,
l’évolution de la Fédération de Russie.
La première partie décrit les causes des violences que connaı̂t la Tchétchénie : elle montre comment les deux guerres
de Tchétchénie se sont déclenchées, et pourquoi la seconde se poursuit aujourd’hui. La seconde partie adopte un point
de vue normatif, et examine les différentes raisons pour lesquelles la situation est condamnable et dangereuse. La
troisième partie enfin passe en revue les actions et solutions possibles en Tchétchénie, en insistant sur la politique de
la France et de l’Europe sur cette question, afin de se placer du point de vue du citoyen français.
1
Causes de la guerre en Tchétchénie
La Tchétchénie est un territoire de 13 000 km2, situé au nord-est du Caucase. Ses quelques centaines de milliers
d’habitants parlent aujourd’hui le tchétchène et le russe. Le Nord du territoire, au relief peu accidenté, s’oppose au
Sud plus montagneux.
1.1
Un passé de violence et de domination des Tchétchènes par les Russes
La présence russe dans le Caucase du Nord remonte au XVIème siècle, et se développe progressivement jusqu’au XIXe
siècle. A partir de 1785, la Tchétchénie est le cadre de plusieurs guerres de résistance contre la colonisation russe,
dont les opérations sont souvent très violentes. C’est à cette époque que s’implante en Tchétchénie l’islam, apporté
par les confréries soufies ; islam et résistance anti-coloniale sont donc liés. Cet islam soufie (c’est-à-dire essentiellement
mystique) devient un des fondements de l’identité nationale tchétchène moderne. Les armées russes sortent victorieuses
des combats, et la Tchétchénie est intégrée à la Russie impériale en 1859. Mais le territoire n’est pas pacifié, et des
troubles éclatent régulièrement jusqu’à la révolution, puis pendant la période soviétique.
En 1944, les Tchétchènes font partie des peuples déportés par Staline en Asie centrale. La déportation fait plus
de 100 000 morts et s’accompagne d’un repeuplement du territoire (débaptisé). La réhabilitation et le retour des
Tchétchènes dans le Caucase interviennent en 1957. Cet épisode déterminant, dont la mémoire reste très forte, nourrit
toujours la crainte d’une disparition du peuple tchétchène et entretient l’esprit de résistance comme moyen de la survie
collective. La période soviétique a aussi été marquée par une politique de russification (répression de l’usage de la
langue tchétchène) et de discrimination des Tchétchènes au sein de l’URSS.
Ce passé de lutte contre la domination russe est aujourd’hui un élément important de l’identité nationale tchétchène :
beaucoup de Tchétchènes considèrent aujourd’hui la guerre contre l’armée russe en Tchétchénie comme le prolongement d’une résistance séculaire contrer l’envahisseur. La transmission dans la mémoire collective de grands épisodes
traumatisants apparaı̂t comme une des explications principales de l’ampleur de la résistance tchétchène actuelle ; certaines caractéristiques des sociétés caucasiennes traditionnelles (code de l’honneur, loi du sang, culte de l’héroı̈sme
et de la victoire) sont également importantes, mais ne permettent pas de rendre compte de la spécificité tchétchène
autant que ce rapport très particulier au passé.
1.2
L’indépendance de la Tchétchénie et la première guerre (1991-1999)
La crise et la dissolution de l’URSS sont le point de départ des deux guerres de Tchétchénie. En 1990-1991, les
velléités séparatistes sont nombreuses au sein de l’URSS. La république de Tchétchéno-Ingouchie fait partie de celles
qui restent au sein de la Fédération de Russie, mais la Tchétchénie (séparée de l’Ingouchie en 1991) se distingue assez
2
vite : le nouveau président élu, D. Doudaev, déclare l’indépendance tchétchène en novembre 1991, et cette revendication
non reconnue par la Russie persiste ensuite. Ce désir d’indépendance plus fort que chez les autres peuples du Caucase
du Nord s’explique sans doute par l’homogénéité et l’importance relative de la population tchétchène (qui compte alors
un million de personnes environ), ainsi que par le poids du passé. La revendication d’indépendance est cependant assez
particulière : il n’y a pas de tradition étatique en Tchétchénie, et la langue et la culture tchétchènes semblent des enjeux
plus importants que le statut politique ; les élites tchétchènes sont bien conscientes de la dépendance économique du
territoire envers la Russie. Jusqu’en 1994, la Tchétchénie connaı̂t une indépendance de fait tolérée par la Russie, mais
sans régularisation juridique ni reconnaissance internationale : la Tchétchénie reste intégrée à l’espace économique
russe (le blocus officiel est contourné), tout en échappant à l’emprise politique et juridique du pouvoir central.
En décembre 1994, l’armée russe pénètre en Tchétchénie, et conquiert rapidement Grozny. Mais la résistance armée
persiste, et les rebelles parviennent à reprendre Grozny en août 1996. La Russie se voit alors contrainte de signer un
accord de paix (accords de Khassaviourt), confirmé en 1997. Les 20 mois de guerre, très violents, font sans doute entre
50 000 et 100 000 morts. C’est à l’occasion de cette première guerre que le wahhabisme se développe en Tchétchénie,
par le biais de groupes armés financés par l’étranger.
La fin de cette première guerre débouche sur une période très instable. La Tchétchénie jouit d’une indépendance
reconnue par la Russie, mais pas par la communauté internationale. Aslan Maskhadov est élu président de la République
avec une large majorité en janvier 1997, lors d’élections surveillées par l’OSCE. Modéré, il tente de concilier les diverses
forces de la résistance tchétchène, en intégrant notamment les wahhabites aux structures étatiques. Mais cette stratégie
ne peut empêcher des tensions et des affrontements entre tenants d’un État laı̈c et islamistes radicaux. Les désordres
croissent dans la république.
1.3
Le déclenchement et l’instrumentalisation de la seconde guerre
En septembre 1999, l’armée russe bombarde la Tchétchénie ; elle y pénètre le 1er octobre. La deuxième guerre de
Tchétchénie a eu un très grand rôle dans la construction du pouvoir de Vladimir Poutine. La guerre s’est déclenché
au moment de la passation de pouvoir de Boris Eltsine : Vladimir Poutine est nommé premier ministre à l’été 1999 ;
Boris Eltsine démissionne le 31 décembre 1999, et Vladimir Poutine est élu président en mars 2000. La guerre a eu un
rôle décisif dans la construction de son image et de sa popularité. Les enjeux de politique intérieure russe ont donc été
décisifs dans le déclenchement de la guerre, et on peut se demander jusqu’où l’instrumentalisation de la guerre a été
poussée Dans le cas des deux événements majeurs qui ont servi de prétexte à l’intervention des troupes russes (en août
1999, raid au Daghestan d’un groupe armé tchétchène mené par Bassaev et Khattab ; en septembre 1999, plusieurs
explosions dans des immeubles, attribuées sans preuve aux Tchétchènes), il est probable que le FSB ait eu un rôle.
Il est clair que la guerre a eu un rôle important dans la consolidation nationale et la prise en main du pays par
Poutine. Grande importance du nationalisme russe, développé par la guerre (de même que la xénophobie, le racisme
et l’antisémitisme).
La guerre a permis de construire une double figure de l’ennemi : le Caucasien (ennemi intérieur) et le terroriste
international (ennemi extérieur).
1.4
Les facteurs qui expliquent la poursuite des violences
Faible probabilité d’un règlement militaire
L’écrasante supériorité militaire des Russes et leur contrôle de la quasi-totalité du territoire tchétchène ne leur assure
pas la victoire. Les actions militaires des rebelles se poursuivent. Ainsi, la guerre est d’un point de vue militaire un
échec pour les forces russes : nombreuses pertes et incapacité à vaincre définitivement l’adversaire (malgré les moyens
extrêmement violents employés). Inversement, les combattants tchétchènes ne semblent pas capables de reconquérir
une supériorité militaire comme en 1996.
Donc il est incontestable qu’il faut une solution politique.
Les obstacles sur la voie d’un règlement diplomatique
3
Faiblesse du camp de la paix en Russie. Actuellement, le pouvoir russe est radicalement éloigné de la perspective de
négociations. Des négociations avec le gouvernement indépendantiste tchétchène seraient vues comme une défaite et
une trahison politique en Russie ; c’est particulièrement vrai pour les milieux militaires, chez qui le souvenir de la paix
de 1996 est toujours vécu comme une humiliation. La population est lasse de la guerre (qui a fait plusieurs milliers de
morts parmi les soldats russes), mais ne manifeste pas d’opposition ouverte à la politique du pouvoir en Tchétchénie.
La mise en scène de la guerre dans les médias (dont la grande majorité sont contrôlés par le pouvoir) joue un grand
rôle dans l’état de l’opinion. Les organisations appelant à des négociations (Le comité des mères de soldats russes,
l’association de défense des droits de l’homme Mémorial) sont rares et peu puissantes.
Problèmes du côté tchétchène, surtout après l’élimination de Maskhadov (en mars 2005).
Les intérêts locaux et économiques en jeu
Si la guerre se poursuit, c’est aussi parce que les forces russes présentes sur place en tirent de nombreux profits
économiques. Les principales activités rémunératrices, qui impliquent aussi des Tchétchènes (pro-russes ou non) sont
les suivantes :
– contrôle de la production locale de pétrole ;
– détournement d’une part importante des sommes allouées à la reconstruction de la Tchétchénie (où la corruption
est énorme) ;
– pillages lors des rafles faites par les soldats russes ; c’est une activité très importante, qui est sans doute parfois la
principale motivation de ces opérations ; elles montrent bien que les violences envers les civils se doublent d’une
véritable exploitation économique ;
– profits lié à l’enlèvement des civils : les personnes enlevées sont revendues contre des rançons ; les cadavres font
aussi l’objet d’une revente ; ces pratiques sont extrêmement fréquentes, et se répètent avec une grande régularité.
Il peut y avoir également des intérêts à la poursuite de la guerre parmi certains groupes de la population tchétchène :
les groupes criminels déjà actifs durant l’entre-deux-guerres, et les groupes d’islamistes radicaux dont le but est
d’instaurer un Etat islamique.
2
Que reproche-t-on à la guerre russo-tchétchène ?
Il ne s’agit pas ici de déplorer les violences inhérentes à toute guerre, mais de voir en quoi cette guerre est particulièrement scandaleuse, pour des raisons non seulement morales mais aussi politiques et juridiques.
2.1
Les méfaits de la guerre
Les atteintes aux droits humains
(Deux récits en annexe complètent ce tableau.)
Le rapport d’Amnesty International Fédération de Russie (République tchétchène). Quelle « normalisation » et
pour qui ? tente de dresser un bilan de la situation en 2004. Amnesty y reconnaı̂t que les formes de la guerre se sont
quelque peu transformées : ainsi, les bombardements aériens se sont espacés, les opérations militaires sont plus ciblées ;
néanmoins, l’organisation déplore encore de très graves atteintes aux droits humains :
– les groupes d’opposition armée tchétchènes sont soupçonnés d’avoir commis des attentats qui ont frappé des
civils ;
– de nombreuses atteintes aux droits humains sont perpétrées par les forces de sécurité russes et tchétchènes
prorusses : exécutions extrajudiciaires, « disparitions » (souvent après des rafles), cas de tortures (souvent dans
des centres de détention secrets, appelés « camps de filtration »), notamment de viol, mauvais traitements ;
– le rapport note qu’une part croissante des exactions est attribuée aux kadyrovtsy, membres d’un groupe armé
obéissant à Ramzan Kadyrov, fils du défunt président Akhmad Kadyrov : c’est ce qu’on appelle la « tchétchénisation » du conflit ;
– ces atteintes aux droits humains touchent désormais massivement les femmes, depuis la prise d’otages qui a eu
lieu en octobre 2002 dans un théâtre de Moscou, dont certains auteurs étaient des femmes ;
– des représailles (menaces, harcèlement, voire meurtre du demandeur ou de ses proches parents) sont exercées
contre les personnes qui portent plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme ;
4
– les atteintes aux droits humains perpétrées par des forces des sécurité russes et tchétchènes affectent désormais
l’Ingouchie voisine, qui était considérée comme un havre de paix pour les réfugiés tchétchènes ;
– ces atteintes aux droits humains sont commises en toute impunité : leurs auteurs sont rarement identifiés et
encore plus rarement traduits en justice ; quand ils le sont, les chefs d’accusation retenus et les peines prononcées
sont sans commune mesure avec la gravité des actes reprochés.
Selon le rapport d’Amnesty, « Ces violations et ces exactions (...) constituent bien souvent des crimes de guerre » ;
elles constituent en tout cas des manquements graves aux obligations contractées par la Fédération de Russie au titre
du droit international relatif aux droits humains et au droit international humanitaire (cf. note [1]) : obligations de
garantir la vie, la dignité, la sécurité, de respecter le droit fondamental de tout individu de ne pas être soumis à la
torture et aux mauvais traitements.
En bref, la Tchétchénie est aujourd’hui le théâtre d’une terrible insécurité, d’une absence de tout droit et de tout
justice, et l’arbitraire y règne, puisque ces exactions sont souvent commises sans fondement : tout Tchétchène y est
exposé. C’est le problème le plus urgent à résoudre, par le rétablissement du respect des droits fondamentaux. La vie
quotidienne est ponctuée par les zatchitski : ces opérations de « nettoyage » comme les autorités russes les appellent
(cf. note [2]), véritables rafles, sont effectuées le plus souvent la nuit, par des hommes masqués et circulant dans des
véhicules militaires sans plaque d’immatriculation. Ceux-ci procèdent à des arrestations : les détenus disparaissent
alors, ou sont revendus à leur famille, vivants ou morts.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a d’ailleurs condamné la Russie le 24 février 2005 à la suite
de six requêtes déposées par des Tchétchènes. Elle a notamment conclu que les autorités avaient failli à l’obligation
de protéger le droit à la vie des requérants et de leurs proches lors de la planification et de l’exécution des opérations
militaires : dans plusieurs cas en effet il s’agissait de bombardements massifs sur des civils, que la Cour a jugé légitimes,
étant donné le conflit, mais disproportionnés.
Ces exactions semblent d’autant plus scandaleuses que la Russie ne cesse d’insister sur l’importance que revêt
désormais à ses yeux le respect des droits humains, valeur majoritairement admise dans le monde et en premier lieu en
Europe ; c’est même cette politique qui est à l’origine de son adhésion au Conseil de l’Europe, qui l’oblige à respecter
la Convention européenne des droits de l’homme et permet qu’elle soit aujourd’hui condamnée par la CEDH.
Les Tchétchènes privés de leurs droits politiques
Moscou a toujours refusé de négocier avec les représentants légitimes du peuple Tchétchène : le président Aslan
Maskhadov, dont l’élection en 1997 avait été contrôlée par l’OSCE, ainsi que son gouvernement, et le Parlement
tchétchène, élu la même année. Maskhadov jouissait pourtant d’une assez grande popularité auprès des Tchétchènes,
et était l’un des leaders les plus modérés : il avait ainsi toujours condamné le terrorisme. Bien plus, les autorités russes
ont cherché à ruiner leur légitimité en organisant en octobre 2003 des simulacres d’élections qui ont mené Akhmad
Kadyrov, inféodé à Moscou depuis 2000, à la présidence. L’administration Kadyrov s’est ensuite lancée dans une
politique de marginalisation de Maskhadov, en tentant d’obtenir la reddition des ministres et chefs historiques de
Maskhadov pour les intégrer au gouvernement tchétchène prorusse ; ceux qui se sont soumis, suite à des pressions et
des exactions exercées sur des proches, ont dû développer un discours de repentir. Cette politique n’a pas affaibli la
résistance, en raison de l’absence de légitimité de telles méthodes, et Kadyrov a été tué lors d’un attentat en mai 2004.
L’élection présidentielle d’août 2004 s’est effectuée sur le modèle de la première : c’est Alou Alkhanov qui a été choisi,
après l’exclusion de la campagne de son seul rival potentiel. À travers une telle politique, qui a culminé avec l’assassinat
de Maskhadov, les autorités russes posent qu’elles n’accepteront de négocier qu’avec les Tchétchènes qu’elles auront
choisis et qui leur seront favorables, et qu’elles refusent tout dialogue avec les indépendantistes. Pourtant, comme le
soulignent les auteures de Tchétchénie : une affaire intérieure ? Russes et Tchétchènes dans l’étau de la guerre : « Du
choix d’hommes liges comme Kadyrov ou Alkhanov à la fragilisation de [la] rhétorique de normalisation, les problèmes
non résolus témoignent de l’impossibilité de parvenir à une solution durable sans prendre réellement en compte la
partie indépendantiste. »
La Constitution tchétchène de 2003, quant à elle, prive les Tchétchènes de certaines marges d’autonomie politique
garanties par la législation fédérale : ainsi, le président tchétchène peut être démis à tout moment par le président
russe. Le pouvoir tchétchène est donc complètement soumis à Moscou.
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Du côté des représentants comme du côté des institutions, les droits politiques des Tchétchènes sont donc bafoués ;
privés de tout mode d’action politique pour faire valoir leurs revendications, les Tchétchènes sont renvoyés à leur statut
de victime, avec pour seule alternative : rester une victime ou être un combattant.
La déstructuration économique et sociale
On connaı̂t mal la société tchétchène : la domination soviétique, puis l’insécurité, n’ont pas permis la réalisation
d’études approfondies. Le bilan humain de la guerre est également difficile, voire impossible à évaluer, en raison de
l’opacité du conflit. Certaines ONG, conscientes de minimiser les chiffres, estiment à 25 000 le nombre de morts
entre 1999 et 2003, alors que les sources tchétchènes donnent 100 000 morts. Cependant, on conçoit aisément que
dix années d’une guerre terrible ont provoqué d’intenses bouleversements démographiques, économiques et sociaux.
Les installations industrielles ont été détruites, les champs minés, les logements, écoles et hôpitaux, bombardés ; la
destruction de l’économie favorise le développement d’une économie parallèle, voire criminelle (prises d’otages par
exemple). La santé des Tchétchènes s’est massivement dégradée : les enfants qui n’ont connu que la guerre souffrent de
graves troubles du comportement et de retards de croissance ; les conditions sanitaires ne permettent plus de soigner
certaines maladies ; on ne compte plus les blessés et les amputés ; la faim, le froid, les mois passés dans les caves
affaiblissent considérablement la population. La natalité tchétchène est toujours restée importante, stimulée par la
crainte de la disparition du peuple, mais : « Selon les médecins de la maternité centrale de Grozny, seul un enfant sur
huit, mis au monde en Tchétchénie, naı̂t en bonne santé, à terme et sans carence ni malformation. » (Tchétchénie. Dix
clés pour comprendre) (cf. note [3]). D’un point de vue social, la guerre s’est accompagnée d’une émigration des cadres
et d’une baisse du niveau général d’éducation avec la destruction des structures d’enseignement et le morcellement
de la scolarité, phénomènes qui hypothèquent l’avenir de la société. Les jeunes générations, dans l’absence totale de
perspective d’avenir, sont en crise. En bref, pendant que les assassinats continuent, les survivants meurent à petit feu,
et c’est une société tout entière qui est paralysée et privée d’avenir : « Ces deux guerres ont fait de la population
tchétchène une population en danger. » (Ibid.).
La société répond à ces épreuves de façon ambivalente ; celles-ci renforcent par certains aspects les structures de
cohésion, par exemple les clans, mais augmentent aussi les sources de dissensions déjà présentes dans l’entre-deuxguerres, par exemple entre les anciens et les jeunes qui estiment que les fondements traditionnels de la société tchétchène
n’ont pas fait leurs preuves face à l’agression, ou entre les éléments de retour à la tradition et les éléments de modernité,
tels que le rôle croissant des femmes dans l’espace public : jusqu’à une date récente, elles étaient moins exposées
que les hommes, et assuraient donc les tâches économiques, la circulation des marchandises et des informations, les
manifestations de protestation, etc. Notons que la montée des tensions internes s’aggrave avec la « tchétchénisation »
du conflit.
La stratégie du secret et de l’oubli
La guerre de Tchétchénie se déroule à huis clos, avec un accès très limité des journalistes au territoire. Cette situation
est un effet de l’insécurité : dès l’entre-deux-guerres, les journalistes ont été les victimes de l’industrie du kidnapping.
Elle est surtout l’effet du secret organisé par les autorités russes. Ce secret s’obtient d’abord par la censure et le contrôle
des media russes. Plus généralement, il est assuré par l’absence d’accès libre pour les journalistes au territoire de la
Tchétchénie : les journalistes peuvent se rendre en Tchétchénie, mais uniquement dans le cadre de voyages de presse
encadrés par les services de communication russes. La méthode forte est employée contre ceux qui tenteraient de se
soustraire à ces contrôles : ainsi Anna Politkovskaı̈a et Andreı̈ Babitski ont été victimes d’arrestations, de menaces de
mort. Ce secret est accepté et entretenu par les media occidentaux, qui n’évoquent quasiment jamais la Tchétchénie,
dans un silence dont on s’explique mal les raisons : les alliés européens de Poutine exercent-ils une pression sur
eux ? ou la Tchétchénie est-elle considérée comme un sujet moins « porteur » que d’autres ? Un tel secret favorise le
développement de la rumeur, de la désinformation, et facilite le travail de propagande : les combattants tchétchènes
sont devenus des « bandits », des « mafieux » et des « barbares », et sont identifiés aux islamistes terroristes ; quant à la
situation en Tchétchénie, on prétend qu’elle est « en voie de normalisation ». L’action des ONG, russes ou étrangères,
est également entravée. Les personnels humanitaires sont accusés d’espionnage, de collaboration avec les combattants ;
leurs activités sont soumises à d’innombrables procédures de contrôle ; ils sont également victimes de l’insécurité. Dès
lors, depuis 2000, il n’y a pratiquement plus de présence étrangère en Tchétchénie.
Le sens d’une telle politique dépasse le simple enjeu de la bataille de l’information qui sévit dans toute guerre. Il
s’agit d’organiser la rupture de la Tchétchénie avec le reste du monde, voire son oubli. Terrorisés par les représailles
qui frappent ceux qui parlent, les Tchétchènes sont condamnés à se taire et à participer malgré eux au silence, et ont
6
le sentiment d’avoir été abandonnés, oubliés de tous. De cet oubli participent le déni de justice, la cruauté des forces
armées qui rendent les cadavres méconnaissables, ou encore des lois telles que la loi antiterroriste de 2002 qui stipule
que les terroristes seront enterrés dans un lieu secret, dans des tombes sans inscription, et qui permet aujourd’hui aux
autorités russes de ne pas rendre le corps d’Aslan Maskhadov à ses proches (cf. note [4]).
2.2
Terreur, crime contre l’humanité, génocide ? Quel est le type de violence exercé
contre les Tchétchènes ?
Il est difficile de définir le type de violence à l’ ?uvre en Tchétchénie, dans la mesure où le fait même de ne pas les
définir fait partie intégrante de la stratégie du silence imposée par les autorités russes, et du refus de prendre parti
de la communauté internationale. Les auteures de l’ouvrage Tchétchénie : une affaire intérieure ? affirment ainsi : «
la violence des crimes commis contre la population civile est telle qu’une qualification en termes de génocide pourrait
être envisagée » et s’interrogent : « Le fait que la question du génocide, une notion si délicate à manier, ne soit pas
posée publiquement n’est-il pas en quelque sorte un moyen pour les Etats de ne pas assumer les obligations qui en
découlent ? » En raison de l’absence de visibilité du conflit tchétchène sur la scène médiatique, la plupart des discours
théoriques sur les formes plus ou moins contestables que peut prendre la lutte contre le terrorisme dans le monde,
ou sur les notions de génocide et de crime contre l’humanité, traite rarement du cas tchétchène (l’ouvrage d’Antoine
Garapon, Des Crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner. Pour une justice internationale, sur lequel nous nous
appuierons principalement, ne le mentionne pas). Nous ne prétendons bien évidemment pas être à même d’établir
fermement l’existence d’un crime contre l’humanité ou d’un génocide en Tchétchénie ; nous voudrions simplement
poser la question et proposer, comme éléments de réponses, quelques hypothèses. Ce qui est certain, c’est que la guerre
de Tchétchénie s’inscrit dans l’évolution contemporaine de la guerre, qui touche de plus en plus majoritairement les
civils et s’assortit de plus en plus souvent de composantes de guerre civile.
Crime contre l’humanité ?
Le crime contre l’humanité se distingue du crime de guerre, qui est une violation du droit international humanitaire,
qu’elle soit exercée contre des combattants ou des civils. En revanche, « les combattants ne peuvent être victimes de
crimes contre l’humanité mais seulement de crimes de guerre » (Garapon). Le discours russe consiste précisément à
définir tous les Tchétchènes comme des combattants, ou du moins des combattants potentiels, dans le cadre d’une
guérilla qui ne connaı̂t pas les distinctions entre militaires et civils. Mais ce discours est en réalité intenable : l’idée
d’une guerre laquelle une population entière constituerait une gigantesque armée est absurde ; pourtant, tous les civils,
femmes, enfants et vieillards compris, sont des victimes potentielles des exactions. Mais dire que les victimes des
exactions ne sont pas toutes des combattants, ce n’est pas dire qu’elles sont toutes des victimes de crimes contre
l’humanité, puisqu’un type de crime de guerre consiste précisément à étendre les violences aux civils : c’est seulement
montrer qu’il est dans ce cas pertinent de poser aussi la question du crime contre l’humanité.
Qu’est-ce qu’un crime contre l’humanité ? Antoine Garapon rappelle : « La jurisprudence du TPIY déclare que
le crime contre l’humanité est constitué lorsqu’ ?il ressort de l’effet conjugué des discours ou projets préparant ou
justifiant ces actes, de la massivité de leurs effets destructeurs ainsi que de leur nature spécifique, visant à miner ce
qui est considéré comme les fondements du groupe’. » La massivité des effets destructeurs pouvant difficilement faire
l’objet de contestations, la question qui se pose est donc celle de savoir si les exactions graves commises contre les
civils tchétchènes ont pour finalité l’anéantissement du groupe.
La rhétorique russe au début de la seconde guerre accrédite cette thèse : « Les expressions ?solution définitive’ du
problème tchétchène et ?extermination des terroristes’ sont à l’ordre du jour. » (Tchétchénie. Dix clés pour comprendre)
Le processus est le suivant : le groupe visé est le groupe des Tchétchènes terroristes ; néanmoins, dans les faits c’est
le groupe entier des Tchétchènes, ou du moins une majorité de Tchétchènes, qui est touché par les violences, tantôt
parce que tous les Tchétchènes sont assimilés à des terroristes (cf note [5]), réels ou potentiels, tantôt en raison d’une
disproportion entre les moyens et les fins de la lutte contre le terrorisme. Dès lors deux interprétations sont possibles.
La première consiste à dire que la disproportion des moyens et des fins de la lutte contre le terrorisme montre bien
que celui-ci n’est qu’un prétexte, et que le véritable groupe visé est celui qui dans les faits est victime : le groupe des
Tchétchènes dans son entier, dans le cadre d’une entreprise génocidaire. La seconde consiste à penser que les autorités
russes en sont véritablement venues à penser que tous les Tchétchènes sont des terroristes et qu’il faut éliminer tous
les terroristes, c’est-à-dire tous les Tchétchènes : dans ce cas aussi il y a crime contre l’humanité, d’une part parce que
cette assimilation de tout un peuple au terrorisme est tellement excessive, voire absurde, qu’elle ne peut résulter que
d’une logique irrationnelle, dictée par la haine ou la peur, d’autre part parce que dans les faits elle revient à viser le
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groupe tchétchène dans son entier. C’est donc la disproportion entre les moyens et la fin de la lutte contre le terrorisme
et la résistance, l’extension des moyens de la lutte contre le terrorisme à tous les Tchétchènes, en bref, l’ampleur des
exactions commises, qui accrédite l’hypothèse d’un crime contre l’humanité. C’est en tout cas le raisonnement que
fait l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch quand elle dénonce, dans un rapport sur la
Tchétchénie publié le 21 mars 2005 : « des disparitions devenues si fréquentes et systématiques qu’elles constituent un
crime contre l’humanité ». Ce qui rend les choses moins claires que dans d’autres cas où des crimes contre l’humanité ont
été reconnus, c’est que les autorités russes en visant les Tchétchènes disent viser des terroristes, non des Tchétchènes :
le caractère intentionnel de l’anéantissement de ceux-ci n’apparaı̂t donc pas clairement dans les discours. Mais ce qu’il
faut comprendre, c’est que viser des terroristes et viser des Tchétchènes revient au même pour les Russes ; surtout,
quand bien même les autorités russes diraient ne vouloir éliminer que les terroristes, et non tous les Tchétchènes, il
y aurait bien, tout de même, crime contre l’humanité : car le fait que les terroristes commettent eux-mêmes le pire
n’autorise pas à les exterminer en tant que groupe, il autorise seulement à les arrêter et à les juger.
Or, le crime contre l’humanité est ce qui par excellence prive celui qui en est victime de sa qualité d’acteur pour le
renvoyer à sa seule qualité de victime. Le crime de guerre, tout en étant un crime, se situe dans le cadre de la guerre,
donc d’une action réciproque des combattants ; mais le crime contre l’humanité « naı̂t précisément de la rencontre
d’une action et d’une inaction, d’une agression totale et d’une passivité absolue (...). Le crime contre l’humanité nous
introduit dans a catégorie de la victimité absolue (...). Ce qui caractérise la victime, c’est l’involontaire, l’impossibilité
d’exercer une quelconque maı̂trise sur son sort, l’incapacité d’agir, y compris de fuir ou de se rendre, deux issues
possibles au combat. Il n’y a aucun refuge sur terre pour elle, plus aucun recours. Les victimes désignées vivent dans
l’attente d’une mort atroce à tout moment et dans tout lieu : de jour comme de nuit, chez soi comme dans la rue.
Le domicile familial, le lieu le plus intime, est choisi pour commettre les enlèvements suivis de disparition de façon à
rendre le monde définitivement indifférencié et hostile. Est victime celui à qui n’est donné d’autre choix que de se laisser
emmener vers l’abattoir » (Garapon). Le crime contre l’humanité non seulement vise à anéantir physiquement mais
encore parvient à anéantir psychologiquement et symboliquement, en exacerbant une relation de complète domination.
La soumission qui est recherché à travers la guerre est mise en ?uvre par des moyens si extrêmes qu’elle conduit à une
déshumanisation.
Génocide ?
Le génocide est un type de crime contre l’humanité. La brochure « Génocide en Tchétchénie. Quelle solution politique
au conflit russo-tchétchène ? », éditée en 2004 par le groupe Verts/Alliance Libre Européenne du Parlement Européen,
en rappelle la définition et la confronte à la situation tchétchène : « L’article II de la convention de 1948 sur le génocide
définit ce terme avec précision. Pour qu’il y ait génocide, il faut qu’il y ait distinction nationale ou religieuse entre
les bourreaux et les victimes. Il faut qu’il y ait aussi volonté d’extermination systématique des femmes, des enfants
et des vieillards. Toutes les conditions ne sont donc pas réunies en ce sens pour parler de génocide en Tchétchénie.
Il n’en demeure pas moins qu’avec un cinquième ou un quart de la population assassinée depuis 1994, compte tenu
d’une politique persistante de répression systématique, c’est le peuple tchétchène entier qui est menacé à terme de
disparition. » Des femmes, des enfants et des vieillards sont victimes d’assassinats arbitraires, mais ceux-ci ne sont
pas systématiques : la désorganisation des troupes russes, l’absence de coordination et la multiplicité des acteurs en
présence (forces armées russes et tchétchènes, milices, kadyrovtsy...) font douter de l’existence d’un projet global et
coordonné d’élimination systématique des Tchétchènes, même s’il n’est pas exclu que certains souhaitent que le chaos
mène à terme à la disparition de ce peuple, par des voies non systématiques. Notons qu’en revanche la déportation de
1944 a été qualifiée par le Parlement Européen de génocide, en février 2004.
Terreur
Ce qui est certain, c’est que les forces armées russes et tchétchènes prorusses font régner un climat de terreur dans
la population tchétchène, dans le cadre d’une stratégie d’intimidation des terroristes, de la résistance, mais aussi de la
population tchétchène tout entière. La terreur est réelle dès lors que des civils peuvent être victimes de manière tout
à fait arbitraire, de sorte que chacun est conduit à craindre sans cesse pour sa sécurité et sa vie, et pour celle de ses
proches. En ce sens, la terreur est le point commun entre le crime contre l’humanité et le terrorisme. Or la terreur,
comme le crime contre l’humanité, a pour effet d’anéantir l’action : les civils, terrorisés, ne peuvent rien entreprendre
ni projeter.
8
2.3
Les justifications de la guerre sont-elles valables ?
L’examen de la nature des violences exercées contre la population civile tchétchène convainc d’emblée qu’aucune
justification ne pourrait les rendre légitimes : les justifications que donnent les autorités russes des violences sont
invalidées par la radicalité des moyens utilisés. Néanmoins, on ne peut comprendre le conflit sans examiner aussi
ces justifications, ne serait-ce que pour se demander si elles seraient légitimes si elles s’accompagnaient de mesures
non criminelles. Les justifications apportées par les Russes mettent en cause la revendication d’indépendance des
Tchétchènes et, surtout, le terrorisme.
L’intégrité de la Fédération de Russie : que veulent les combattants tchétchènes ?
Pour les autorités russes, les combattants tchétchènes sont indépendantistes et menacent par conséquent l’intégrité,
le territoire, l’identité de la Russie. Se pose dès lors la question de savoir quelles sont la force et la pertinence de la
volonté d’indépendance des Tchétchènes.
Les revendications d’indépendance se font jour au moment de l’implosion du bloc soviétique, alors que la Russie
est perçue comme une puissance coloniale qui pille les ressources tchétchènes et ne s’est jamais imposée que par la
force, pendant la période tsariste comme pendant la période soviétique, durant laquelle les Tchétchènes subissaient une
discrimination plus dure que les nationaux des autres républiques. L’indépendance a clairement pour fondement le rejet
de la Russie, ainsi que des structures sociales et culturelles propres aux Tchétchènes qui avaient résisté à la soviétisation
et à la modernisation de la société tchétchène : parmi elles, les confréries soufies et le système extrêmement complexe
des clans (les teı̈p). Demeure ainsi une ambiguı̈té entre le recours à la tradition et au religieux et l’instauration d’un Etat
moderne et national, ambiguı̈té qui peut être source de divisions intratchétchènes. Or la Fédération de Russie, si elle
permet l’indépendance des républiques qui composaient avec elle l’URSS, ne souhaite pas en revanche l’indépendance
des républiques qui se trouvent à l’intérieur de ses propres frontières, comme c’est le cas de la Tchétchénie : ainsi
se déclenche la première guerre. L’entre-deux-guerres est marqué par un chaos croissant, qui persuade les Russes
que les Tchétchènes sont incapables de gérer leur indépendance, d’autant plus que la dépendance économique de la
Tchétchénie vis-à-vis de la Russie est manifeste et fait douter de la possibilité d’une indépendance complète. Les
divisions intratchétchènes, qui se manifestent à cette période et persistent aujourd’hui accréditent également la thèse
d’une indépendance impossible.
Quels sont néanmoins le sens et la force de l’identité historique et culturelle tchétchène ? Elle est fondée sur deux
valeurs : la résistance à la Russie et la liberté (marcho), entendue comme liberté du peuple tchétchène par rapport
à la Russie. Cette identité s’est donc surtout construite dans l’affrontement avec la Russie : la difficulté de la colonisation est à l’origine de la représentation russe du peuple tchétchène comme un peuple guerrier et insoumis, et
les Tchétchènes se sont réappropriés cette représentation en en faisant une composante fondamentale de leur culture.
De là vient l’exaltation de la résistance : « Les ?quatre cents ans de résistance’à l’Empire sont régulièrement mis en
avant par de nombreux Tchétchènes qui voient aujourd’hui dans l’affrontement avec la Russie une destinée, un trait
quasi ontologique et structurant de leur identité collective. » (Tchétchénie. Dix clés pour comprendre). Le fait que la
volonté d’indépendance soit un élément essentiel de l’identité tchétchène tendrait à montrer que cette indépendance
est inéluctable. De fait, chaque affaiblissement de la Russie a été l’occasion de troubles. En même temps, cet élément
de l’identité tchétchène semble rendre le problème insoluble : s’il laisse penser que la soumission de la Tchétchénie à
la Russie est inenvisageable, il compromet également l’espoir d’une paix durable, puisqu’on peut penser que la Russie
demeurerait l’ennemi potentiel et ferment d’unité pour la nation tchétchène.
L’idée d’une nécessaire résistance, et la vision corrélative de l’histoire comme une lutte perpétuelle, est renforcée
par la mémoire de la déportation de 1944, peut-être aussi fondamentale que la mémoire de la résistance à la Russie
dans l’identité tchétchène : sous le prétexte fallacieux de collaboration massive avec les nazis (cf. note [6]), la totalité
de la population tchétchène à même de voyager (les autres étant assassinés sur place) fut transportée dans des wagons
à bestiaux jusqu’en Asie centrale, le territoire fut redistribué aux républiques voisines, on abandonna les termes de «
Tchétchénie » et de « Tchétchènes », ainsi que tous les toponymes tchétchènes, les lieux saints et les cimetières furent
détruits. Dès lors, se répand le sentiment que les Russes cherchent périodiquement à exterminer le peuple tchétchène,
la guerre actuelle étant la manifestation de ce dessein : si l’existence d’un génocide actuellement mis en ?uvre en
Tchétchénie est un problème, en revanche le rôle joué par la représentation du génocide est tout à fait certain. Notons
que ce sentiment, bien loin de donner lieu à la lamentation, s’intègre dans la glorification de la résistance : il implique la
nécessité de survivre, non de s’apitoyer. Sur le mémorial de la déportation de Grozny il est écrit : « Nous ne pleurerons
pas / Nous ne plierons pas / Nous n’oublierons pas. » On voit donc l’ambivalence de cette culture de la résistance : elle
9
est à la fois une culture de l’affrontement, qui menace les espoirs de paix, et culture du recommencement de l’action,
porteuse de renouveau pour l’avenir, comme réponse aux souffrances passées.
Reste qu’au cours de la seconde guerre, l’accent s’est quelque peu déplacé de l’action et de l’héroı̈sme aux souffrances
partagées des victimes : le discours sur la lutte commune rencontre moins d’écho auprès d’une population laminée par
la guerre, et alors que les héros de la première guerre ou bien se sont discrédités auprès de la majorité des Tchétchènes,
comme c’est le cas pour Chamil Bassaev, accusé d’être responsable de la reprise du conflit, ou bien ont souffert dans
leur image des dissensions internes inévitables dans une guerre si longue (il a ainsi pu être reproché à Maskhadov
d’avoir été trop faible avec les islamistes).
Ce qui est certain, c’est que plus le conflit et les atrocités se prolongent, moins il est concevable que la Tchétchènes
puissent vivrent en paix avec les Russes au sein de la Fédération de Russie. La première guerre, déjà, a radicalisé
les points de vue : les Tchétchènes argumentent fréquemment en expliquant qu’ils considèrent l’indépendance non
comme préférable mais comme nécessaire pour échapper aux violences russes. L’indépendance sous garanties nationales
apparaı̂t aux Tchétchènes comme la seule chance de survie de leur peuple. Les Russes ont donc raison de croire que les
Tchétchènes veulent l’indépendance ; néanmoins, devant une revendication si forte et sans doute fondée, ils semblent
faire une erreur politique en n’y répondant que par la force au nom de l’intégrité territoriale, d’autant plus que cette
dernière notion a d’autant moins de sens qu’elle se défend au prix de l’intégrité des personnes habitant ce territoire.
La lutte contre le terrorisme : la Tchétchénie est-elle un front de la guerre contre le terrorisme
international ?
Pour les autorités russes, il n’y a pas de guerre en Tchétchénie, mais simplement une « opération antiterroriste ».
Cette affirmation est en elle-même contradictoire. Tantôt elle sert à minimiser la guerre : on ne lutte en Tchétchénie que
contre une poignée de terroristes en passe d’être neutralisés, et non contre des résistants soutenus par la population ;
tantôt elle justifie le conflit en grossissant ses enjeux : la Tchétchénie est un front de la guerre contre le terrorisme
international. Dans les deux cas, l’argument de la lutte contre le terrorisme évite les enjeux historiques, politiques,
territoriaux, du conflit particulier qui existe entre la Tchétchénie et la Russie. Reste qu’il y a des terroristes islamistes
en Tchétchénie, et on peut se poser à ce sujet trois questions : quelle est la place du fondamentalisme islamiste dans
la société tchétchène ? Quels sont les liens entre le conflit tchétchène et le terrorisme international ? Enfin, les moyens
utilisés par les Russes pour combattre le terrorisme sont-ils adéquats ?
Les auteures de l’ouvrage Tchétchénie : une affaire intérieure ? posent ainsi le problème du rôle du religieux
dans le conflit : « Le discours officiel russe assimile pour sa part Tchétchènes et terroristes islamistes : pour lui,
ce genre de phénomènes est dans la droite ligne de la montée du wahhabisme qu’il dénonce. Des Tchétchènes et
des acteurs extérieurs soulignent au contraire le caractère marginal du fondamentalisme islamique dans un pays de
tradition essentiellement soufie. Les interprétations oscillent donc entre la surdétermination du facteur religieux et sa
quasi-dénégation, témoignant d’une difficulté, pour les étrangers mais aussi pour les Tchétchènes, à appréhender la
place occupée par l’islam dans la Tchétchénie d’aujourd’hui. »
L’islam soufi, relativement modéré, constitue bien un fondement de l’identité tchétchène, comme ciment de la
société dans la résistance, et critère qui distingue fortement les Tchétchènes des Russes. Á ce titre, il est valorisé
par les indépendantistes. Mais au moment de l’indépendance, l’islam soufi est en crise, suite à la sécularisation de la
société qui s’est opérée pendant la période soviétique : ainsi la confrérie tend à perdre sa force de structuration sociale.
Se caractérisant en outre par une relative faiblesse théorique, il n’est donc pas à même de satisfaire la demande de
religieux qui naı̂t dans beaucoup de régions d’URSS après l’effondrement du régime soviétique. S’opère alors un double
mouvement en direction d’un islam plus radical : une revendication de certains nationaliste tchétchènes en faveur d’un
Etat chariatique, et l’influence d’un islam radical venu des contacts renouvelés avec les pays musulmans. Mais jusqu’à
la première guerre, ce mouvement est très minoritaire, les éléments non religieux de l’identité tchétchène se révélant
plus rassembleurs.
Après la première guerre, les islamistes comptent tirer un profit politique du rôle qu’ils y ont joué, notamment
grâce aux fonds reçus de l’étranger. La période de l’entre-deux-guerres est souvent décrite comme le moment d’une
lutte entre les « sécularistes », menés par Maskhadov, et les islamistes, menés par Chamil Bassaev, d’une part, et
entre le soufisme et le wahhabisme, ce dernier terme ne désignant pas nécessairement dans le contexte tchétchène les
partisans du wahhabisme historique, mais en général les partisans d’un islam radical, qui défie notamment l’autorité
des soufis ; dans ce cadre, il y aurait une alliance entre les sécularistes et l’islam soufi pour combattre l’islamisme. En
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1999, pour limiter les tensions croissantes, Maskhadov a concédé aux islamistes l’instauration de la charia : concession
plutôt symbolique, puisque l’exercice de la justice n’en a pas été profondément transformé, et puisque Maskhadov
passe pour avoir accepté ce tournant la mort dans l’âme, tout en restant un pur laı̈c. Reste que les frontières ne sont
pas si étanches entre ces différents mouvements, surtout depuis le début de la deuxième guerre : les nécessités de
la lutte, la plus grande puissance financière des islamistes, quand Maskhadov est dépourvu de tout allié extérieur,
font que les structures militaires et politiques tchétchènes et islamistes peuvent coopérer, voire se mêler, à des degrés
divers, d’autant plus que la mouvance islamiste est elle-même une nébuleuse atomisée et parfois divisée. De même, les
islamistes, tels Bassaev, s’accommodent souvent d’une synthèse entre soufisme et wahhabisme.
Une même ambivalence peut se lire dans la population tchétchène : dans un premier temps, après la première
guerre, elle s’est montrée de plus en plus hostile aux islamistes, qui s’en prennent à la tradition soufie fondamentale
dans l’identité tchétchène, incarnent l’intrusion de l’étranger, menacent l’organisation sociale en offrant à certaines
fractions de la jeunesse une structure de contestation des anciens, et sont même soupçonnés (parfois avec raison)
d’être associés à des groupes criminels, voire soutenus secrètement par Moscou à qui ils fournissent un prétexte pour
la guerre. Mais dans les circonstances de la guerre, on a pu assister à une réislamisation de la société, qui certes n’est
pas univoque : elle prend la forme d’un déchirement, entre l’accusation d’islamisme par les occidentaux, la crainte de
perdre l’identité religieuse soufie, et des alliés moyen-orientaux potentiels qui reprochent aux Tchétchènes d’être de
mauvais musulmans. Les Tchétchènes sont aussi sensibles au fait que les islamistes combattent les Russes, et même que
ce sont eux qui font peur aux Russes. Par conséquent, l’islamisme tend à être intégré à l’identité tchétchène, jouant
un rôle de ferment dans la résistance comparable au rôle joué par le soufisme. : « En ce sens, le discours national
s’alimente aujourd’hui de la rhétorique du djihad international. » (Tchétchénie : une affaire intérieure ? ). Il faut noter
néanmoins que les autres composantes de l’identité tchétchène subsistent, que cette intégration de l’islamisme est un
produit de la guerre, et que l’accepter n’est pas nécessairement accepter ses composantes terroristes.
Ceci nous amène à la seconde question : quels sont les liens entre le conflit tchétchène et le terrorisme
international ? L’idée russe que la Tchétchénie serait l’un des théâtres de l’affrontement entre l’islam et le monde
occidental a été reprise par les Etats-Unis, l’Europe et le monde musulman depuis le 11 septembre 2001. Comme
le notent les auteures de Tchétchénie : une affaire intérieure ? : « Aujourd’hui, la rhétorique de l’islam mondialisé
permet aux Tchétchènes, y compris aux laı̈cs modérés, abandonnés du monde entier, d’attirer l’attention sur eux et
d’espérer restaurer une visibilité défaillante. » Avec un certain opportunisme et en l’absence de soutien américain et
européen, les leaders tchétchènes, y compris Maskhadov, ont parfois tenté d’utiliser les symboles religieux et les appels
au djihad afin de se rapprocher du monde musulman, au moment même où les attentats suicides changent la nature
des opérations militaires. Pourtant, les auteures de Tchétchénie : une affaire intérieure ? se refusent à accepter la
thèse de « l’islamisation du conflit » : « Une telle lecture créerait l’illusion que des problèmes identiques seraient en
jeu dans différents pays musulmans, voire qu’il y aurait des modes de combat spécifiquement islamiques, et mènerait à
des interprétations culturalistes du conflit, au détriment de l’histoire nationale et des spécificités sociales et politiques
locales. Il s’agit là de réponses aisées, quoique fallacieuses, à la complexité grandissante du conflit, dans un contexte rétif
à toute rationalisation. Si une certaine contagion est à l’ ?uvre et prend racine dans des pays musulmans, elle ne peut
ontologiquement s’expliquer par la religion, mais par les effets de regard, de distorsion et d’écho qui caractérisent la
scène internationale, notamment en raison du rôle nouveau de certains media arabes. Si la Tchétchénie est intégrée dans
le discours djihadiste, si l’islam est mobilisé dans les enjeux tchétchènes (...), cela ne signifie pas que les Tchétchènes
se voient comme un front d’une guerre mondiale de l’islam contre l’Occident. » Ainsi, plusieurs éléments s’opposent à
la thèse russe.
– La résistance tchétchène demeure liée à des objectifs tchétchènes, et n’adopte pas ceux d’une quelconque Internationale islamiste : la motivation fondamentale de la lutte tchétchène reste la crainte d’une extermination, en
raison de l’appartenance ethnique et non de l’appartenance religieuse. De même, il est probable que signes faits
par Maskhadov en direction de l’islamisme ont davantage pour sens la réaffirmation de l’unité de la résistance
que la volonté de s’intégrer dans une lutte mondiale. Les actes terroristes eux-mêmes, même s’ils mettent en
scène des symboles religieux, sont liés à des revendications proprement tchétchènes : à Beslan, les terroristes
demandaient le retrait des troupes russes de Tchétchénie et la fin de la guerre ; les cibles des terroristes se situent
toujours en Russie : le terrorisme tchétchène n’est pas dirigé contre les symboles de l’occident partout dans le
monde.
– Les Tchétchènes ne fournissent pas de recrues au terrorisme international : aucun tchétchène n’a été arrêté en
Afghanistan, aucun n’a été détenu à Guantanamo ; les « filières tchétchènes » dont il est parfois fait mention
dans la presse sont « un réseau d’islamistes d’origine arabe passés par l’Afghanistan, et dont certains membres
rêveraient en effet d’atteindre la Tchétchénie » (Tchétchénie : une affaire intérieure ?) ; de telles confusions sont
l’effet des distorsions induites par la propagande russe, mais aussi islamiste ; de même, des camps d’entraı̂nement
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ont bien existé entre 1996 et 1999, mais il est difficile de penser qu’ils existent encore aujourd’hui, alors que
l’armée russe dit contrôler l’ensemble du territoire.
– Inversement, les combattants islamistes étrangers sont présents aux côtés de la résistance tchétchènes, mais sont
beaucoup moins nombreux que ne le prétendent les Russes ; la preuve en est qu’il n’y a eu à ce jour qu’un seul
« martyr » étranger tué en Tchétchénie.
– L’utilisation de méthodes terroristes reste le fait d’une minorité parmi les Tchétchènes : les leaders modérés
continuent de dénoncer tous les actes terroristes, et en général, ceux-ci ne suscitent que compassion et inquiétude
chez la majorité des Tchétchènes.
Il semble donc que les actes terroristes soient moins l’effet d’une adhésion des Tchétchènes à un islam radical et
international qu’un changement dans la lutte corrélatif au sentiment d’absence de toute perspective individuelle ou
collective. Certes il existe des groupes islamistes et terroristes dont la vocation est indépendante de la guerre, mais le
développement du terrorisme, et notamment des attentats suicides, est surtout l’effet du désespoir causé par l’horreur
du conflit ainsi que sa longueur, alors qu’aucune solution ne semble se profiler. Ce désespoir anéantit la croyance en
l’action inhérente à la culture tchétchène. Le passage d’une unité fondée sur la résistance à une unité fondée sur les
souffrances partagées a pour corrélat un changement de discours : le combat en vue de la victoire cède la place au
sacrifice, le héros cède la place au martyr. Celui qui a été réduit au statut de simple victime a été privé de sa faculté
d’agir : le seul mode d’action qui lui reste est l’expression de son traumatisme par la vengeance, par une violence en
retour, aussi radicale que celle qu’il a subie. De même, le terrorisme, par la publicité spectaculaire qui le caractérise,
est comme une réponse au silence qui entoure la guerre ; de fait, les media ne parlent de la Tchétchénie que lorsqu’un
acte terroriste spectaculaire se produit. Le terrorisme est donc bien un produit de la guerre telle qu’elle est conduite,
et plus la guerre se prolonge plus le terrorisme et l’islamisme se renforcent : ceci révèle cruellement l’inadéquation
des méthodes mises en place par les Russes, qui alimentent ce qu’elles cherchent à « éradiquer ».
Le scandale de la guerre de Tchétchénie tient à de multiples aspects du conflit, mais ceux-ci trouvent leur dénominateur commun dans le fait qu’à une logique de l’action, même violente ou guerrière, s’est vue substituée une logique
de la paralysie de l’action, une logique de victimes et de bourreaux à la violence sans limites. Or une telle substitution
réduit considérablement les chances de sortie du conflit : car si l’action violente ou guerrière peut s’orienter vers l’action
politique et la conciliation, en revanche la victime qui n’est plus qu’une victime ne peut répondre que par la vengeance,
à laquelle répondra une autre vengeance, et ainsi à l’infini. La guerre devient un problème insoluble quand elle est
fondée non sur des politiques et des objectifs stratégiques de part et d’autre, mais sur des motivations irrationnelles et
des désirs de vengeance. À un mal jugé impardonnable, le terrorisme, on répond par une vengeance infinie, qui a son
tour suscite le désir de vengeance par une violence aveugle. Les traumatismes ne cessent de se répondre ; à la terreur
répond le terrorisme. La communauté internationale peut-elle continuer à tolérer un tel engrenage anti-politique, qui
se retrouve dans d’autres conflits ? La Tchétchénie semble en effet un exemple paroxystique des formes que prend la
guerre contemporaine : massacres en masse de civils, traumatismes, vengeances ; la communauté internationale face
à ces nouvelles formes semble préférer la passivité, puis la culpabilité et la repentance tardives : est-ce cela que nous
voulons aussi dans le cas de la Tchétchénie ? N’est-il pas possible de retrouver la voie de l’action, de lutter contre cette
violence par l’action politique, diplomatique, associative ?
3
Quelles sont les actions possibles ?
3.1
Quelles sont les améliorations possibles ?
Du point de vue de la possibilité de leur réalisation, on peut distinguer deux grands scénarios :
1. Des négociations de paix s’ouvrent entre le pouvoir russe et les rebelles tchétchènes. Dans l’état actuel de la
situation, étant donnée la position intransigeante du pouvoir russe et la faible contestation de la guerre dans
la société russe, le désengagement des puissances occidentales, et le grave affaiblissement des interlocuteurs
tchétchènes modérés consécutif à la mort de Maskhadov, cette éventualité est peu probable. Toutefois, il y a des
initiatives de paix (dont celle, récente, du Comité des mères des soldats russes), et des interlocuteurs tchétchènes
prêts à négocier et relativement représentatifs (le gouvernement indépendantiste poursuit ses activités sous la
direction du successeur de Maskhadov, Abdoul-Khalim Saı̈doullaı̈ev, un religieux relativement modéré).
2. Seule des négociations et un plan de paix pourraient amener une amélioration durable et profonde en Tchétchénie.
Cependant, étant donné la gravité de la situation actuelle, un grand nombre d’améliorations partielles sont
possibles en l’absence de négociations :
– rétablissement de la justice : les améliorations peuvent venir de l’action des organisations des droits de l’homme
en Russie. Elles peuvent aussi venir de l’extérieur. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (qui
12
dépend du Conseil de l’Europe, et surveille l’application de la Convention européenne des droits de l’homme
dans les Etats l’ayant signée) a rendu un arrêt important en février 2005 : elle a condamné la Russie dans six
affaires concernant des victimes des violences de l’armée russe en 1999-2000. Tant que la Russie reste membre
du Conseil de l’Europe, elle risque de se voir de nouveau condamnée pour violation des droits de l’homme et
déni de justice par la CEDH.
– améliorations dans la circulation : le nombre de checks-points tenus par les militaires dans les villes et les
campagnes tchétchènes semble avoir diminué depuis quelques mois. C’est une amélioration non négligeable,
tant les trajets sont dangereux.
– améliorations en termes de droits politiques : des élections parlementaires sont prévues dans les mois prochains
en Tchétchénie. Même si les dernières élections ont été des simulacres, il n’est pas impossible que de nouvelles
élections aient un caractère plus démocratique et aient des effets bénéfiques.
– améliorations économiques : reconstruction matérielle, augmentation de l’activité économique et des revenus.
Il semble que sur ce plan, une légère amélioration soit notable depuis quelques mois.
3.2
Questions sur la politique étrangère de la France et de l’Europe
La position actuelle de la France sur la question tchétchène consiste à la traiter comme secondaire. La France
de Jacques Chirac répète régulièrement son souhait d’une solution politique en Tchétchénie, mais avant tout son
attachement au respect de la souveraineté russe ; elle formule peu ou pas de critiques envers la politique russe en
Tchétchénie. Cette politique n’a pas conduit à une modification de la politique de la Russie en Tchétchénie, et n’a pas
permis d’améliorations de la situation.
On peut donc se poser plusieurs questions à propos de ce que pourrait être une autre politique étrangère française
et européenne.
Quelles sont les modalités possibles d’une pression sur la Russie ? Est-ce que cela pourrait être :
– des déclarations de condamnation ?
– des menaces de sanctions ? Par exemple fin 1999, au moment le plus spectaculairement violent de l’avancée de
l’armée russe, le Conseil européen réuni à Helsinki les 10 et 11 décembre a menacé la Russie de la suspension de
certains financements (menace non mise à exécution).
– des sanctions économiques ?
– des sanctions diplomatiques ? Par exemple, la Russie a été exclu en 2000 de l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe, avec menace d’exclusion du Conseil de l’Europe.
Pour chacune de ces sanctions, quelle serait leur influence sur la politique russe ? A quoi le pouvoir russe tient-il
suffisamment dans la politique internationale pour y sacrifier une part de sa politique en Tchétchénie ? Est-ce par
exemple sa réputation internationale, le fait d’être en bons termes avec les puissances occidentales ? Est-ce qu’au
contraire de telles sanctions pourraient vraiment être contre-productives ?
Est-ce que la taille et la puissance de la Russie rendent strictement inenvisageable de telles pressions ? Est-ce qu’elle
les rendrait inefficaces ?
Parmi les différentes améliorations souhaitables dans la situation actuelle de la Tchétchénie, on peut examiner quelles
sont celles auxquelles la diplomatie française peut le mieux contribuer :
– l’ouverture de négociation et la mise en ?uvre d’un plan de paix ? Quelles sont les chances que les Russes acceptent
une ingérence dans la question tchétchène ? Que devrait-il se passer pour que le pouvoir russe l’accepte ? Quelle
perception de cela la population en aurait-elle ? L’argument selon lequel il faut éviter d’humilier la population
russe est-il déterminant ?
– le respect des droits de l’homme (sous la forme du respect de la Convention européenne des droits de l’homme,
notamment), un véritable fonctionnement de la justice ?
– un accès véritablement libre des journalistes étrangers au territoire tchétchène ?
– le respect des droits politiques, des élections véritablement démocratiques ?
– l’amélioration de la situation économique ?
La question de l’influence réelle des sanctions est importante, parce qu’une telle influence est niée par les tenants de
la politique actuelle. Ils affirment que la poursuite du dialogue sous sa forme actuelle a une plus grande efficacité sur la
politique russe en Tchétchénie. Une telle attitude diplomatique peut-elle elle-même être efficace ? Comment peut-elle
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concrètement modifier la politique russe (étant donné qu’il n’est que très rarement question de la question tchétchène
dans les discussions officielles avec Moscou) ? Est-ce que la proximité très grande entre le pouvoir français et le pouvoir
russe à l’heure actuelle donne plus d’influence à la diplomatie française sur la question tchétchène, par comparaison
avec une situation de tension entre les deux pays ?
Est-ce qu’on peut tirer les leçons de la tentative faite au début de la deuxième guerre de Tchétchénie ? Est-ce qu’on
peut en conclure que des pressions sont de toute façon inefficaces ?
Est-ce qu’il est pertinent de mettre en balance la question tchétchène avec d’autres sujets de politique internationale,
pour justifier la politique étrangère actuelle de la France face à la Russie ? L’argument est important : cette politique
serait le moyen de se faire un allié de la Russie sur d’autres sujets très importants : par exemple la crise irakienne, ou
les projets nucléaires de l’Iran. Examiner cet argumentaire : est-ce que vraiment l’attitude actuelle est indispensable
pour obtenir un tel soutien de la Russie ? Est-ce que ce soutien serait retiré si la France devenait plus critique à l’égard
de la Tchétchénie ? Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose de l’ordre de la transaction ?
Quels sont les différents types d’arguments qui justifieraient que la France adopte une attitude plus active face à la
situation en Tchétchénie, alors même que c’est un problème intérieur à la Russie :
– d’une part, le fait qu’on se trouve face à des massacres qu’un pouvoir d’Etat perpètre face à une minorité,
face à un grave danger pour un peuple tout entier, et aussi face à des violations des droits de l’homme parmi
les plus graves possibles (pratique massive de la torture). C’est un argument moral, mais aussi juridique : la
Russie a signé dans les années 1990 la Convention européenne des droits de l’homme. Ce qui est en cause ici,
c’est la cohérence de la politique étrangère française, qui place très souvent le respect des droits de l’homme au
rang de ses priorités. De même, les génocides passés sont abondamment commémorés alors que des actes d’une
gravité comparables sont commis en Tchétchénie sans réaction. Il y a là une contradiction, voire une hypocrisie
insoutenable.
– d’autre part, le fait que la politique du pouvoir russe pour prévenir et empêcher le terrorisme est manifestement
inefficace et même contre-productive. C’est ici un argument qui n’a rien de moral, et qui est strictement pragmatique. On peut considérer en effet que nous sommes intéressés à ce que la menace terroriste soit réellement
prévenue et combattue, non favorisée.
– dans le même genre, les graves risques de déstabilisation du Caucase du Nord actuellement, dus largement à la
politique actuelle de la Russie. C’est peut-être l’argument le plus incontestable par qui que ce soit : les violences
et les maux que connaı̂t la Tchétchénie semblent s’étendre aux autres territoires russes du Caucase du Nord
depuis quelques mois ou quelques années, avec des risques de crise politique, de diffusion de l’islam radical ou de
guerre interethnique. Or la diplomatie française et européenne ne peut pas rester indifférente à une déstabilisation
généralisée du Caucase du Nord.
3.3
Possibilités d’action pour les sociétés civiles
On peut distinguer en gros deux types d’action possible :
1. La pression sur les gouvernements français et européens pour réclamer une prise en compte de la question tchétchène dans les rapports avec la Russie. Plusieurs organisations travaillent à cela : des organisations spécialisées, au
premier rang desquelles les différents Comités Tchétchénie [http://www.comite-tchetchenie.org], et des organisations généralistes de défense des droits de l’homme (Amnesty International [http://www.amnesty.asso.fr],
la FIDH [http://www.fidh.org]). Cette action passe par l’organisation de manifestations, l’envoi de lettres aux
dirigeants (mode d’action d’Amnesty International), ou la signature de pétitions.
2. Des actions concrètes pour aider la population tchétchène. Plusieurs ONG sont présentes en Ingouchie pour aider
les réfugiés tchétchènes, notamment Médecins du Monde [http://www.medecinsdumonde.org] et Médecins sans
frontières [http://www.paris.msf.org]. Plusieurs associations s’emploient à tisser des liens avec la Tchétchénie,
que ce soit :
– en apportant une aide matérielle à la population civile en Tchétchénie (Convoi syndical pour la Tchétchénie
[http://www.cst.ras.eu.org]),
– en aidant les réfugiés tchétchènes en France (Comités Tchétchénie),
– en permettant à des étudiants tchétchènes de poursuivre leurs études en France (Etudes sans frontières
[http://www.etudessansfrontieres.org])
– en contribuant à la survie de la culture tchétchène, véritablement menacée de disparition par la guerre (Marcho
Doryla [http://www.marcho.net]).
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4
Annexe
Les deux récits suivants sont extraits du rapport d’Amnesty International : Fédération de Russie (République tchétchène). Quelle « normalisation » et pour qui ?
La « disparition » d’Ali Khadaı̈ev
Selon des informations recueillies par Amnesty International, le 19 avril 2002, vers trois heures du matin, environ
25 homme masqués et en uniforme se seraient présentés au domicile de la famille Khadaı̈ev, à Ourous-Martan. Ils ont
expliqué qu’ils devaient vérifier les papiers d’identité d’Ali Saı̈ndinovitch Khadaı̈ev, connu sous le nom de Timour, et
ont emmené ce dernier avec eux. L’un des hommes masqués, qui parlait tchétchène, aurait dit à la mère d’Ali Khadaı̈ev,
Satsita, que son fils allait être conduit chez le commandant du district et qu’elle devait venir avec 2500 dollars US si
elle voulait qu’il soit libéré. Il a fallu près de onze jours à la famille pour rassembler la somme demandée auprès de
voisins et de proches.
Le 1er mai 2002, Ali Khadaı̈ev a été libéré, après paiement de la somme exigée. Selon sa mère, on ne lui avait rien
donné à manger et presque rien à boire tout au long de sa détention. Il lui a dit qu’il avait été passé à tabac à plusieurs
reprises. Il a dû être hospitalisé pendant vingt jours, pour des problèmes, notamment rénaux, apparemment causés
par les conditions dans lesquelles s’était déroulée sa détention.
En novembre 2002, quelqu’un est venu voir Ali Khadaı̈ev et sa mère, de la part du commandement du district, et
leur a demandé de signer une déclaration aux termes de laquelle ils affirmaient n’avoir aucun grief à formuler contre
ledit commandement. Par crainte de représailles, ils ont l’un comme l’autre signé le document qui leur était présenté.
Le 4 janvier 2003, à trois heures du matin, plusieurs véhicules blindés de transport de troupes se sont arrêtés à environ
500 mètres de la maison des Khadaı̈ev. Un groupe d’hommes masqués et en treillis est venu chercher Ali Khadaı̈ev.
Satsita Khadaı̈eva a indiqué à Amnesty International que, à son avis, ces hommes connaissaient parfaitement l’identité
de son fils. Ils ont cependant expliqué qu’ils avaient de nouveau besoin de vérifier ses papiers et l’ont remmené au
commandement du district.
Pensant que les ravisseurs de son fils allaient de nouveau lui demander de l’argent, Satsita Khadaı̈eva a attendu le
22 janvier 2003 pour aller signaler la « disparition » de son fils au parquet d’Ourous-Martan. Elle a ensuite contacté
plusieurs organisations locales de défense des droits humains. En compagnie d’une cinquantaine d’autres mères de la
région d’Ourous-Martan, elle s’est rendue auprès des services administratifs locaux et de la République, dans l’espoir
d’obtenir des informations sur le sort des fils « disparus ». En mars 2004, alors que plus d’un an s’était écoulé, elle a
confié à Amnesty International qu’elle n’avait toujours aucune nouvelle de son fils.
Le cas d’Akhmed Guissaı̈ev
Akhmed Guissaı̈ev a confié à Amnesty International et au Centre russe « Mémorial » de défense des droits humains
le témoignage suivant. Arrêté le 23 octobre 2003, il a été emmené au centre ORB-2 (cf. note [7]). Bien qu’il ait eu
les yeux bandés à l’aide d’une chemise, il a pu se rendre compte qu’on l’avait conduit dans une petite pièce, située
au troisième étage d’un immeuble. Il serait resté dans cette pièce environ trois jours. La fenêtre était masquée par du
papier et il ne pouvait donc pas voir ce qui se passait dehors. Laissé seul, il a réussi à se débarrasser de la chemise qui
lui bandait les yeux. Il a remarqué sur les murs de la pièce des taches, qui, selon lui, étaient des taches de sang. Akhmed
Guissaı̈ev a confié au Centre russe « Mémorial » avoir été interrogé sur ses sympathies présumées pour les combattants
tchétchènes et sur les raisons qui l’avaient poussé à travailler pour la police sous le régime de l’ex-président tchétchène
Aslan Maskhadov. Il affirme avoir été frappé à coups de pieds, de matraque et de poing pendant son interrogatoire.
Ses tortionnaires l’auraient également brûlé avec des cigarettes et lui auraient envoyé des décharges électriques dans
la main et le pied droits.
Avant de quitter la pièce, ces derniers l’auraient attaché à la tuyauterie. Toujours selon le témoignage qu’il a donné
au Centre « Mémorial », cinq ou six hommes seraient arrivés un peu plus tard, lui auraient bandé les yeux avec un sac
en plastique et lui auraient mis du ruban adhésif sur la bouche. Il aurait été placé au milieu de la pièce et les hommes
l’auraient alors roué de coup, en l’injuriant. L’un d’entre eux se serait mis debout sur son dos, tandis que les autres
lui attachaient un câble aux pieds, en le reliant aux menottes qu’il portait aux poignets. Ses tortionnaires lui auraient
dit d’avouer qu’il faisait partie d’un groupe de combattants tchétchènes, s’il voulait avoir une chance de sortir vivant
de la pièce. Il aurait été transféré au bout d’environ trois jours dans un autre centre de détention (il s’agirait, selon
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lui, du quartier général des forces fédérales russes de Khankala). Là, il aurait été placé dans un sous-sol et aurait de
nouveau été passé à tabac et torturé à l’électricité. Il aurait également été privé de nourriture et de sommeil, aurait été
injurié et aurait été contraint de boire de l’alcool, ce qui est contraire aux préceptes de l’islam. La pièce dans laquelle
il aurait été détenu à Khankala était humide et infestée de rats. Là aussi, il aurait remarqué sur les murs des traces
qu’il pensait être des traces de sang. Après avoir passé onze jours dans ce sous-sol, il aurait été transféré dans une
autre cellule, où on lui aurait enfin donné à manger et à boire. Akhmed Guissaı̈ev a finalement été libéré après que sa
famille eut payé une rançon. Il explique que son état de santé s’est gravement détérioré pendant les vingt jours qu’il
a passés en détention au centre ORB-2 et à Khankala. Après sa libération, il a mis plusieurs jours avant de pouvoir
marcher sans assistance. Il souffrait apparemment de violents maux de tête, d’insomnie et de douleurs dans la poitrine.
5
Bibliographie
Amnesty International, Fédération de Russie (République tchétchène). Quelle « normalisation » et pour qui ?, Éditions Francophones d’Amnesty International, Paris, 2004 (Index AI : EUR 46/027/2004).
Antoine Garapon, Des Crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner. Pour une justice internationale, Paris, Éditions
Odile Jacob, 2002.
Anne Le Huérou, Aude Merlin, Amandine Regamey, Silvia Serrano, Tchétchénie : une affaire intérieure ? Russes et
Tchétchènes dans l’étau de la guerre, Paris, Éditions Autrement, 2005.
Comité Tchétchénie, Tchétchénie. Dix clés pour comprendre, Paris, La Découverte, 2005 (rééd.).
16
NOTES
1. Le droit international humanitaire, droit de la guerre et des conflits armés, est un ensemble de règles visant,
pour des raisons humanitaires, à limiter les effets des conflits armés. Il protège en particulier les civils et limite
le choix des moyens et méthodes de guerre. Il est réglé notamment par les différentes Conventions de Genève
depuis le XIXe siècle et leurs Protocoles additionnels. Selon ce droit, notamment :
– les parties au conflit doivent faire la distinction entre la population civile et les combattants, de façon à
épargner la population et les biens civils ;
– les personnes mises hors de combat et celles qui ne participent pas directement aux hostilités ont droit au
respect de leur vie et de leur intégrité physique et morale ; elles doivent être protégées et traitées avec humanité ;
– les combattants capturés et les civils qui se trouvent sous l’autorité de la partie adverse ont droit au respect
de leur vie, de leur dignité, de leurs droits personnels et de leurs convictions ; ils ont le droit d’échanger des
nouvelles avec leurs familles ;
– toute personne bénéficie des garanties judiciaires fondamentales ; nul ne peut être torturé physiquement ou
moralement, ne peut subir de peines corporelles ou des traitements cruels ou dégradants ;
– il est interdit d’utiliser des armes ou des méthodes de guerre de nature à causer des pertes inutiles et des
souffrances excessives.
Le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme sont complémentaires : les
deux aspirent à protéger les personnes, mais le droit humanitaire s’applique dans les situations de conflit armé
tandis que les droits de l’homme protègent les personnes en temps de paix comme en temps de guerre. Le site du
Comité international de la Croix-rouge donne des explications très claires sur le droit international humanitaire
à l’adresse : http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/html/ihl.
2. Inutile de souligner la rhétorique de la purification dont relève une telle expression, comme d’autres du même
type.
3. Sur la coexistence paradoxale de la vitalité et la fécondité de la population tchétchène et de l’omniprésence
de la maladie et de la mort, et sur cette forme étrange de résistance par la natalité, voir le film documentaire
remarquable de Manon Loizeau « La maternité à Grozny ».
4. Bien entendu, de telles pratiques ne sont pas seulement destinées à imposer l’oubli : elles causent la désolation
des proches qui ne peuvent pleurer leurs morts, et visent à bafouer la tradition musulmane qui oblige les croyants
à enterrer leurs proches.
5. Il y a en fait une alternance contradictoire entre un discours et des pratiques qui tendent à assimiler tous
les Tchétchènes à des terroristes, et des stratégies rhétoriques de distinction des « mauvais » Tchétchènes,
islamistes, terroristes, bandits, et des « bons », victimes des premiers, et qui n’aspirent qu’à vivre en paix dans
leur République, cette distinction s’inscrivant dans la perspective de la réintégration de la Tchétchénie dans la
Fédération de Russie.
6. Cette accusation ne se fonde que sur quelques cas isolés.
7. Ce centre est l’un des centres de détention secrets dans lesquels sont pratiquées les tortures ; il serait situé à
Grozny même.
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