28ème dimanche du temps ordinaire – installation du P. Julien Dupont
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28ème dimanche du temps ordinaire – installation du P. Julien Dupont
1 9 octobre 2016 – 28ème Dimanche ordinaire Installation du Père Julien Dupont L’Evangile aime bien les gens qui sortent du lot, ainsi des Samaritains. Il est alors facile d’imaginer les réactions des autres, des gens normaux… Sans m’arrêter sur l’actualité du début de semaine, il semble bien que le pape aime adopter les pratiques de Jésus, lui aussi a le don d’irriter par ses paroles et par ses gestes. Chacun a son génie propre, celui du pape François est de l’inattendu et parfois même de la provocation. Surtout, mais son élection même le manifeste, il met à mal les Européens, et même les Français que nous sommes : il confirme que désormais le centre du monde s’est déplacé vers le grand est et vers le sud… et là je ne parle pas de nos nouvelles régions administratives mais de l’ExtrêmeOrient, de l’Amérique latine et de l’Afrique ; oui, le vieux monde a bel et bien pris fin. Je viens de parler du génie du pape François, le jour et les circonstances voudraient que je parle du génie propre au Père Julien Dupont… je vais plutôt m’en garder et m’arrêter aux textes bibliques de ce dimanche ! De même qu’avec la mise en avant du Samaritain, le deuxième livre des Nombres, avec la guérison de Naaman et l’Evangile de saint Luc insistent sur deux attitudes essentielles à toute existence humaine, et chrétienne bien entendu : l’action de grâce et la mémoire. Je m’arrête d’abord à la mémoire : la Bible appelle en effet à entretenir notre mémoire. 2 Vous savez que le peuple juif peut être caractérisé de cette manière : il est le peuple de la mémoire : mémoire du choix et de l’appel de Dieu, prière à Dieu pour que lui aussi conserve la mémoire, n’oublie pas sa promesse et y reste fidèle, nombre de psaumes expriment cette prière. Dans l’Evangile, le Samaritain n’a pas perdu la mémoire, il sait ce que Jésus a fait pour lui ; il semble que les neuf autres lépreux sont bien vite passés à autre chose. On dit que notre époque est sans mémoire. L’enseignement de l’histoire n’est plus ce qu’il était, les enfants et les jeunes ont perdu les repères chronologiques. Surtout, nous vivrions dans l’immédiat, dans l’instantané. C’est sans doute vrai. Dans les médias un événement chasse l’autre, les faits sont rarement mis en perspective, on ne sait plus s’inscrire sur le long terme. Hélas, la vie politique semble n’avoir pour horizon que la durée de cinq années. Pourtant, est-ce si vrai ? Toutes les mémoires ne sont pas effacées, des choses demeurent. Pensez à l’électronique : on parle de mémoire vive, de mémoire cachée, de mémoire tampon… Et certains aimeraient que des choses aient été effacées : tel propos, telle photo laissés sur Facebook et qui marqueront la vie et le CV de telle personne. Au plan plus personnel, la Bible ce dimanche appelle à conserver de la mémoire, au sujet de sa propre vie, au sujet de la vie des autres. Naaman et le lépreux samaritain n’ont pas oublié ce qui avait été fait pour eux. 3 Mais vous percevez tout de suite qu’il y a mémoire et mémoire : il y a une mémoire qui fait vivre, qui encourage, et une mémoire qui détruit, une mémoire qui entretient l’amertume. Ce dont il faut se garder c’est de la mémoire qui ressasse les épreuves subies, surtout celles que les autres ont pu nous infliger. N’oublions pas cependant le mal que nous avons fait, cela nous rappelle ce dont nous sommes capables, cela nous permet d’éviter de nous mettre, de nous remettre en danger. Mais gardons surtout mémoire que le mal a été combattu, que le pardon a été donné, célébré, vécu. Mais, de grâce, essayons de détruire quelque disque dur qui nourrit l’amertume, la peine, le manque de confiance dans les autres. Oui, le mal a été là, il le sera encore… et puis après ! Ce qui importe, saint Paul l’écrit aujourd’hui à son disciple Timothée, c’est de conserver la mémoire de que l’amour du Seigneur a fait pour lui : « Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts, le descendant de David ». Voici cette douce mémoire qui s’en rapporte à l’amour et à la fidélité de Dieu, une mémoire qui établit dans l’action de grâce. Sans doute avons-nous besoin de quelques moyens pour nous aider à ne pas perdre cette mémoire ; selon nos pratiques ce sera un nœud à son mouchoir ou bien une petite alerte sonore sur son smartphone… 4 Il y a tellement de tintements qui nous disent à tout bout de champ que nous avons reçu un nouveau mail ou tel message, ou encore une « alerte urgente » par un site d’information en continu auquel nous sommes abonnés. Quel que soit le moyen, ayons l’humilité de reconnaître que la mémoire doit s’entretenir ; à quoi servent les cloches sinon à rappeler l’amour de Dieu, en sonnant les heures ou bien l’angélus trois fois par jour, ou encore à nous associer aux joies et aux peines de nos frères lorsqu’elles sonnent pour les sacrements et les obsèques. La mémoire heureuse, la mémoire des bienfaits de Dieu s’accompagne de la mémoire des bienfaits de nos frères et sœurs. Bien de nos relations seraient plus heureuses si nous commencions systématiquement nos journées par dire merci, par rendre grâce. Saint Paul y appelle aussi : la plupart de ses lettres commencent par une action de grâce. Prenez par exemple le début de cette deuxième lettre à Timothée dont on vient d’entendre un extrait : « A Timothée, mon enfant bien-aimé. À toi, la grâce, la miséricorde et la paix de la part de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur. Je suis plein de gratitude envers Dieu, à qui je rends un culte avec une conscience pure, à la suite de mes ancêtres, je lui rends grâce en me souvenant continuellement de toi dans mes prières, nuit et jour » 2 Tm 1, 2-3. La prière nous invite aussi à cela, à placer l’action de grâce comme premier mot de nos vies. 5 Le matin la prière commence par l’office de Laudes, autrement dit par la louange ; et la journée se termine par le Magnificat : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles ». Bien entendu il faut donner du contenu à ces merveilles. Croyez-vous qu’elles manquassent ? Mais, si nos vies sont si pauvres, nos relations si douloureuses, c’est bien parce que nous savons si peu nous émerveiller, et non par manque de merveilles. En 2002, fut publié en France la traduction du livre du théologien américain James F. Keenan : « Les vertus, un art de vivre » (L’Atelier). Je vous lis quelques lignes : « La gratitude devrait exister chez nous, mais nous laissons souvent le mal-être prendre le dessus et s’exprimer à l’excès. […] Pour éprouver de la gratitude, il faut faire travailler sa mémoire… Les souvenirs chargés de gratitude nourrissent l’âme joyeuse et élèvent le cœur. La vertu de gratitude alimente et stimule le progrès de l’homme. […] Le secret pour acquérir la gratitude, c’est le contentement… La gratitude peut monter au cœur sec de la personne malheureuse, si elle arrête pendant un instant de se sentir accablée et considère son sort non pas avec le désir de ce qui lui manque, mais avec un sentiment de paisible satisfaction devant la réalité » p. 168-169. Mais, reconnaissons-le, le contentement ne nous est pas naturel, la plainte prend souvent le dessus. 6 Croyez-vous que les choses fussent plus faciles pour l’apôtre Paul ? S’il commence ses lettres par l’action de grâce c’est bien une manière de ne pas laisser le pessimisme prendre le dessus chez lui. Oui, être chrétien, vivre les vertus chrétiennes n’est pas une chose naturelle ; c’est un combat souvent permanent, tel est l’appel à la sainteté. Ce qui est naturel c’est plutôt la fausse religion, l’esprit magique, autrement dit le fait de penser que satisfaire à des rites, quels qu’ils soient, nous mettraient en règle avec Dieu. C’est ce que vivent neuf des dix lépreux. En ce dimanche qui voit un nouveau départ pour tous, et plus particulièrement pour les prêtres et les membres des Equipes locales d’animation, je fais mienne les paroles de saint Paul que je mentionnais tout à l’heure. Je vous invite à les partager, aujourd’hui bien entendu, mais aussi chaque jour. Ne laissons pas la tristesse ou le regard de méfiance occuper le terrain de gratitude. Alors, oui, avec l’apôtre Paul, je suis plein de gratitude envers Dieu, je lui rends grâce en me souvenant continuellement de toi dans mes prières, nuit et jour. Je suis plein de gratitude pour le Père Julien Dupont qui accepte ce nouvel appel, cette nouvelle charge, alors qu’il portait bien des projets à la paroisse de la Trinité, projets qu’il ne pourra pas poursuivre. Je suis plein de gratitude pour les autres prêtres et le diacre qui partagent sa mission. 7 Je suis plein de gratitude pour vous les membres de l’Equipe pastorale et des Equipes locales d’animation. Je suis plein de gratitude pour vous tous, paroissiens de Saint Jacques, en particulier pour vous qui avez porté la vie de vos communautés depuis la fin du mois de juin. Je suis plein de gratitude pour le Père Charles Fazilleau, pour son énergie apostolique ; je le confie au Seigneur afin qu’il l’éclaire sur son chemin aujourd’hui. Mes amis, ayons de la mémoire, cultivons notre mémoire ; nourrissons-là aussi des belles choses qui parsèment chacune de nos journées.