PSUAD-Cours Apocalypse
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PSUAD-Cours Apocalypse
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ABU DHABI LITTÉRATURE COMPARÉE / COURS DE TRADUCTION LITTÉRAIRE LICENCE 3 APOCALYPSES CORPUS DE TEXTES ARABES 2009-2010 أﺷﺮاط اﻟﺴﺎﻋﺔ ﻓﻲ اﻟﻘﺮآن اﻟﻜﺮﻳﻢ/١۱ ،(١۱٩۹٦٧۷) ﻣـﺎﺳـﻮن،(١۱٩۹٥٠۰) ﺑـﻼ ـﺷﻴـﺮ،(١۱٨۸٤٠۰) ﻛـﺎز ـﻳﻤـﺮ ـﺳﻜـﻲ،(١۱٦٤٧۷) دو رﻳـﺎر: ﻧﺴﻴـﺔ ﺳـﻮرة ا ـ ـﻟﺘﻜـﻮﻳـﺮ و ـﺧﻤـﺲ ﺗـﺮ ـﺟﻤـﺎت إﻟـﻰ ا ـ ـﻟﻠﻐـﺔ ا ـﻟﻔـﺮ ـ ـ .(١۱٩۹٩۹٥) ﺣﻤﺰة أﺑﻮﺑﻜﺮ أﺷﺮاط اﻟﺴﺎﻋﺔ ﻓﻲ اﻟﻤﺼﺎدر اﻟﺘﺮاﺛﻴﺔ: ﻧﻘﺎط اﻟﺘﻘﺎء ﺑﻴﻦ اﻟﻤﺴﻴﺤﻴﺔ واﻹﺳﻼم/٢۲ واﻟﺪﺟﺎل، واﻟﺪاﺑﺔ،ذﻛﺮ ﻧﺰول اﻟﻤﺴﻴﺢ . ﻣﻘﺘﻄﻔﺎت ﻣﻦ ﺗﻔﺴﻴﺮ آﻳﺔ اﻟﺪاﺑﺔ، ﺟﺎﻣﻊ اﻟﺒﻴﺎن،(٩۹٢۲٣۳ اﻟﻄﺒﺮي )م . ﻧﺰول ﻋﻴﺴﻰ )ص( ﻟﻠﻤﺮة اﻟﺜﺎﻧﻴﺔ ﻓﻲ آﺧﺮ اﻟﺰﻣﻦ، ﻋﺮاﺋﺲ اﻟﻤﺠﺎﻟﺲ ﻓﻲ ﻗﺼﺺ اﻷﻧﺒﻴﺎء،(١۱٠۰٣۳٥ اﻟﺜﻌﻠﺒﻲ اﻟﻨﻴﺴﺎﺑﻮري )م أﺻﺪاء اﻟﺮواﻳﺎت اﻟﺘﺮاﺛﻴﺔ ﻓﻲ اﻷدب اﻟﻘﺼﺼﻲ اﻟﺤﺪﻳﺚ/٣۳ . ﺷﺎﺋﻌﺔ اﻟﻘﻴﺎﻣﺔ، اﻷﻳﺎم،(١۱٩۹٧۷٣۳-١۱٨۸٨۸٩۹ ﻃﻪ ﺣﺴﻴﻦ )ﻣﺼﺮ أﺻﺪاء رؤﻳﺎ ﻳﻮﺣﻨﺎ اﻟﻼﻫﻮﺗﻲ ﻓﻲ اﻟﺸﻌﺮ اﻟﻌﺮﺑﻲ اﻟﻤﻌﺎﺻﺮ/٤ .١۱٩۹٥٦ رؤﻳﺎ ﻓﻲ ﻋﺎم،(١۱٩۹٦٤-١۱٩۹٢۲٦ ﺑﺪر ﺷﺎﻛﺮ اﻟﺴﻴﺎب )اﻟﻌﺮاق . رؤﻳﺎ ﻳﻮﺣﻨﺎ اﻟﺪﻣﺸﻘﻲ،(-١۱٩۹٢۲٨۸ ﺷﻮﻗﻲ ﺑﻐﺪادي )ﺳﻮرﻳﺎ 1/ L’Apocalypse coranique La sourate al-Takwīr (81) et cinq de ses traductions en français : Du Ryer (1647) Kazimirski (1840), Blachère (1950), Masson (1967), Boubakeur (1995). 2/ Points de rencontre entre visions chrétienne et musulmane : les signes du Jugement Dernier (La parousie du Christ, l’Antéchrist, et la Bête) dans la tradition musulmane Al-Ṭabarī (m. 923), Exégèse du Coran, extraits du commentaire du verset (27,82) mentionnant la Bête. Al-Ṯa‘labī al-Nīsābūrī (m. 1035), Récits des Prophètes, « De la seconde descente de Jésus à la fin des temps ». 3/ Echos des récits médiévaux sur l’Heure dans le roman arabe moderne Ṭaha Ḥusayn (Egypte, 1889-1973), Al-Ayyām, « Rumeurs d’apocalypse ». 4/ Echos de l’Apocalypse de Jean en poésie arabe moderne Badr Šākir al-Sayyāb (Irak, 1926-1964), Vision de 1956. Šawqī Baġdādī (Syrie, 1928-), Apocalypse de Jean le Damascène. Introduction Ce cours de traduction littéraire se situe dans le cadre général du cours de littérature comparée L3 consacré aux apocalypses romantiques. Son but est double : vous enseigner des principes de traduction arabe > français en vous entraînant sur des textes ; vous faire réfléchir de façon plus générale à l’acte de traduction, à partir d’un corpus de textes de diverses époques et de genres littéraires différents, portant sur un thème universel (l’apocalypse), commun à de nombreuses cultures, sous des formes variables. En dépit de son universalité, la notion d’apocalypse est nécessairement modelée par la culture à laquelle elle est liée ; les textes sur lesquels vous travaillez dans le cours magistral ou en cours de traduction anglaise sont issus de cultures chrétiennes, et le dernier livre du Nouveau Testament est la référence explicite ou implicite de ces productions textuelles, de prose ou de poésie. Logiquement, dans une culture arabe majoritairement musulmane, ce texte du Nouveau Testament est certes connu, mais il ne constitue pas une référence aussi féconde qu’en milieu chrétien. La « version musulmane » de l’apocalypse, observable d’abord dans le texte coranique, puis dans la littérature religieuse dite des ašrāṭ al-sā‘a (signes précurseurs de l’Heure) n’a pas, non plus, été une source majeure de l’imaginaire littéraire arabe moderne. On peut distinguer plusieurs couches sémantiques dans le terme français apocalypse : (1) un sens étymologique, celui de « révélation, dévoilement » ; (2) un sens directement lié à la vision de Jean, qui évoque les événements précédant la fin des temps et l’avénement du royaume céleste, dont la venue de l’Antéchrist, de la Bête, et la Parousie (seconde et dernier royaume du christ) ; (3) un terme générique, désignant la fin du monde de façon générale, dans un contexte religieux ou non : on pourra parler d’ « apocalypse coranique » pour désigner les sourates ou les versets du livre sacré des musulmans décrivant les événements de la fin du monde ; la presse parle d’ « apocalypse nucléaire » pour évoquer le danger que ferait courir à l’humanité une guerre où serait utilisée à grand échelle l’arme atomique. L’adjectif « apocalyptique », en français, est susceptible de référer précisément à l’Apocalypse de Jean (ou à d’autres apocalypses de la tradition judéo-chrétienne, voire judéo-christiano-islamique, canoniques ou apocryphes), mais son emploi le plus courant en fait un synonyme hyperbolique de « catastrophique », ou « désastreux ». Il vous apparaît dès lors immédiatement, avant même que nous théorisions, qu’il n’existe aucun substantif arabe permettant de subsumer toutes ces acceptions : le sens étymologique peut être rendu par kašf, iǧlā’, le sens chrétien par ru’yā, waḥy, et le sens courant par une périphrase signifiant « fin du monde » : 'āḫir al-‘ālam, nihāyat al-‘ālam. On voit là la nécessité pour vous de vous méfier du dictionnaire et de ne pas lui accorder une confiance immodérée en tant qu’instrument de compréhension et outil de traduction: le Manhal, le plus usité des dictionnaires scolaires français-arabe, donne à l’article “apocalypse” : ﻧﻬﺎﻳﺔ اﻟﻌﺎﻟﻢ، ﺳﻔﺮ اﻟﺮؤﻳﺎ،[رؤﻳﺎ ]اﻟﻘﺪﻳﺲ ﻳﻮﺣﻨﺎ donc littéralement : Vision [de Saint Jean], Livre de l’Apocalypse, fin du monde. Il donne à l’article “apocalyptique” : (رؤﻳﻮي )ﻣﺘﻌﻠﻖ ﺑﺮؤﻳﺎ اﻟﻘﺪﻳﺲ ﻳﻮﺣﻨﺎ اﻟﺘﻲ ﺗﺘﻤﻴﺰ ﺑﻮﺻﻒ ﻣﺬﻫﻞ ﻟﻨﻬﺎﻳﺔ اﻟﻌﺎﻟﻢ vision apocalyptique (رؤﻳﺔ ﻗﻴﺎﻣﻴﺔ )ﻣﺘﻌﻠﻘﺔ ﺑﻨﻬﺎﻳﺔ اﻟﻌﺎﻟﻢ وﺣﺪوث اﻟﻘﻴﺎﻣﺔ style apocalyptique ﺻﻴﺎﻏﺔ ﻣﻌﻘﺪة وﻣﺮﻣﻮزة donc littéralement : ru’yawī (lié à la vision de Saint Jean qui se caractérise par une description frappante de la fin du monde) vision apocalyptique : ru’yā qiyāmiyya (liée à la fin du monde et à la résurrection) style apocalyptique : tour complexe et symbolique. Ce dictionnaire demeure dans l’acception religieuse chrétienne du terme, et ne saurait vraiment vous aider à traduire « apocalyptique » ni dans le syntagme (1) « les sourates apocalyptiques du Coran », ni dans un emploi plus courant comme (2) « une vision apocalyptique de la crise financière » : il propose des néologismes, là où nous avons en français un adjectif installé dans la langue et d’emploi courant. La référence religieuse que constituent les récits sacrés de la fin du monde alimente, en contexte musulman, des expressions courantes pour lesquelles on pourrait, inversement, songer au terme « apocalypse » afin de les traduire. Ainsi, qāmat al-qiyāma (litt. la résurrection a commencé) peut dans certains contextes, aussi bien religieux que profanes, être traduit par « et ce fut l’apocalypse ». La notion de sā‘a (litt. l’Heure) est, elle aussi, souvent employée dans le sens de « fin du monde ». Nous étant mis d’accord sur l’impossibilité d’user d’un terme unique pour rendre « apocalypse » dans la traduction français > arabe, et inversement de la possibilité d’utiliser contextuellement ce terme dans la traduction arabe > français, pour rendre par exemple « résurrection », événement lié à l’apocalypse mais qui ne se confond pas avec elle (elle en est un élément), il nous reste à examiner de plus près, dans ce cours d’introduction, les usages arabes dans concernant le textesource de l’imaginaire occidental concerné par cette thématique : l’apocalypse de Jean. 1/ Apocalypse en grec, français, arabe : les significations et les résonances d’un mot dans les langues Le terme français apocalypse est une transcription du grec (Ἀποκάλυψις, apokalupsis), qui est lui-même une traduction de l’hébreu nigla, signifiant : mise à nu, dévoilement, révélation, etc. et dans lequel, en tant qu’arabophones, vous pouvez reconnaître la racine sémitique j/l/y (le /n/ du terme hébreu est un morphème, et a la même valeur de « morphème-écho », signifiant le réfléchi, qu’en arabe) ; nigla est donc étymologiquement à rapprocher du verbe arabe inǧalā : devenir clair, être découvert, être dévoilé, à rapprocher encore du coranique taǧallā (hébreu hitgalleh, araméen itgalli). Etonnamment, pourtant, cette racine n’est usitée dans aucune traduction, comme vous le verrez. L’apocalypse est ainsi le retrait du voile qui cache et dissimule des événements, aussi bien passés que futur. Dans le cadre judéo-chrétien, l’apocalypse est un genre littéraire, dévoilant la nature des événements accompagnant la fin des temps, représenté dans l’Ancien testament ( )اﻟـ ـﻌـ ـﻬـ ـﺪ اﻟـ ـﻘـ ـﺪﻳـ ـﻢpar le Livre de Daniel, dont les chapitres 7 (rédigé originellement en araméen) et 8-12 (rédigés en hébreu et amplifiant le contenu originel de 7) présentent des visions ( )رؤىsur la fin des temps et dans le nouveau testament ( )اﻟ ـ ـﻌ ـ ـﻬ ـ ـﺪ اﻟ ـ ـﺠ ـ ـﺪﻳ ـ ـﺪpar la vision de Jean. Votre cours de littérature comparée entrera dans le détail de cette vision. La raison de la désignation du dernier livre de la vulgate du nouveau testament par ce terme d’apocalypse est que le premier verset de ce livre commence précisément, dans son original grec, par le terme Ἀποκάλυψις. Son titre grec est Ἀποκάλυψις ιωαννοῦ (révélation de Jean), tandis que son premier verset parle lui de « révélation de Jésus ». Comparez : 1/ texte original en grec Ἀποκάλυψις Ἰησοῦ Χριστοῦ, ἣν ἔδωκεν αὐτῷ ὁ θεός, δεῖξαι τοῖς δούλοις αὐτοῦ ἃ δεῖ γενέσθαι ἐν τάχει, καὶ ἐσήμανεν ἀποστείλας διὰ τοῦ ἀγγέλου αὐτοῦ τῷ δούλῳ αὐτοῦ Ἰωάννῃ, Apokalupsis Iêsou Khristou, hên edôken autô ho theos, deixai tois doulois autou ha dei genesthai ev takhei, kai esêmanen aposteilas dia tou aggelou autou tô doulô autou Iôannê, 2/ traductions françaises Traduction Louis Segond (1880) Révélation de Jésus Christ, que Dieu lui a donnée pour montrer à ses serviteurs les choses qui doivent arriver bientôt, et qu'il a fait connaître, par l'envoi de son ange, à son serviteur Jean, Traduction oeucuménique (1975-1976) Révélation de Jésus Christ : Dieu la lui donna pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt. Il la fit connaître en envoyant son ange à Jean son serviteur, Le premier verset constitue ainsi une glose de ce que désigne le terme « apocalypse » dans son acception religieuse, au-delà de son sens grec commun de « dévoilement » : une vision, concernant des événements imminents, qui est offerte par Dieu, et transmise pas un messager surnaturel. A ce titre, vous voyez qu’une très grande partie de la prédication muhammadienne est littéralement « apocalyptique » : elle se désigne comme un rappel, souligne l’imminence de la fin du monde, et elle est transmise par Dieu à un prophète par l’intermédiaire d’un ange (Jibrīl/Gabriel). L’usage des communautés arabophones chrétiennes n’est cependant pas de désigner le dernier livre du Nouveau testament par une translittération ou par une traduction du terme grec, mais de le nommer « vision de Jean le théologien » (ru’yā Yuḥannā al-lāhūtī, par distinction avec Jean le Baptiste, en arabe chrétien [Mār] Yuḥannā al-Ma‘madān, qui baptise Jésus dans le Jourdain, le même que la tradition musulmane désigne elle sous le nom de Yaḥyā b. Zakariyyā, prophète de l’islam mentionné à cinq reprises dans le texte coranique). La comparaison de quatre traductions arabes du premier verset de l’Apocalypse permettra de saisir toute la difficulté de rendre en arabe le terme apocalypse, dans ses différentes dénotation et connotations. Les communautés arabophones chrétiennes ont connu diverses traduction du livre sacré, partielles, connues des musulmans depuis l’époque médiévale, mais la langue liturgique ayant longtemps été le syriaque (Proche-Orient) et le copte (Egypte), il n’existe pas de traduction complète et reconnue de l’ancien et du nouveau testament en arabe avant la traduction catholique de 1671, parue à Rome, dirigée par l’Archevèque de Damas. Les traductions les plus courantes actuellement dans le monde arabe sont : 1/ La Traduction Van Dyck (Syrian Mission / American Bible Society, 1860) Commission de traduction dirigée à Beyrouth par l’Américain Cornelius Van Allan Van Dyck (1819-1895), incluant de grand savants comme les Maronites Nāṣīf al-Yāziǧī (1800-1871) et Buṭrus al-Bustānī (1819-1883). C’est la traduction standard des églises protestante dans le monde arabe, et en Egypte c’est celle encore utilisée par l’église copte. Elle compte de nombreux termes rares, obsolètes, archaïques et précieux (ainsi iṣḥāḥ désignant un livre de la Bible). Sa stylistique est particulièrement différente de la stylistique coranique, lui donnant un parfum d’étrangeté au lecteur arabophone musulman. ، وَﺑَﻴَّﻨَﻪُ ﻣُﺮْﺳِﻼً ﺑِﻴَﺪِ ﻣَﻼَﻛِﻪِ ﻟِﻌَﺒْﺪِهِ ﻳُﻮﺣَﻨَّﺎ،ٍ ﻟِﻴُﺮِيَ ﻋَﺒِﻴﺪَهُ ﻣَﺎ ﻻَ ﺑُﺪَّ أَنْ ﻳَﻜُﻮنَ ﻋَﻦْ ﻗَﺮِﻳﺐ،ُ اﻟَّﺬِي أَﻋْﻄَﺎهُ إِﻳَّﺎهُ اﻟﻠﻪ،ِإِﻋْﻼَنُ ﻳَﺴُﻮعَ اﻟْﻤَﺴِﻴﺢ 2/ La Traduction Jésuite (1880), rééditée en 1986 et 1988 par Dār al-Mašriq (Beyrouth) Conçue en réaction à la traduction Van Dick, destinée à devenir la traduction arabe catholique de référence (donc pour l’église maronite au Liban), elle est menée une quinzaine d’année plus tard par un comité de traduction également installé à Beyrouth, qui achève la traduction du Nouveau Testament en 1878. Ibrāhīm al-Yāziǧī (1847-1906), le fils de Nāṣīf al-Yāziǧī qui avait participé à la commission Van Dick, en est le membre le plus célèbre. وﺣﻲُ ﻳﺴﻮع اﻟﻤﺴﻴﺢ اﻟﺬي أﺗﺎه اﻟﻠّﻪُ إﻳّﺎه ﻟﻴﻜﺸﻒ ﻟﻌﺒﺎده ﻣﺎ ﺳﻴﻜﻮن ﻋﻦ ﻗﺮﻳﺐ ﻓﺄرﺳﻞ وﺑّﻴّﻨﻪ ﻋﻠﻰ ﻳﺪ ﻣﻼﻛﻪ ﻟﻌﺒﺪه ﻳﻮﺣﻨﺎ 3/ La traduction Book of Life / International Bible society (1988) Cette traduction est effectuée à partir du texte anglais, ultérieurement confronté aux originaux hébreu et grec : ٍﻟﻤﺴﻴـﺢ ـ ـﻟﻌﺒـﺪه ﻳـﻮ ـﺣﻨـّﺎ ﻋـﻦ ﻃـﺮﻳـﻖ ﻣـﻼك ﻋﻠﻨﻬـﺎ ا ـ ـ ـ وأ ـ ـ ـ. ﻟﻌﺒﻴـﺪه ﻋـﻦ أﻣـﻮر ﻻ ﺑـﺪ أن ﺗَـﺤـﺪث ﻋـﻦ ﻗـﺮﻳـﺐ ﻟﻴﻜﺸـﻒ ـ ـ ـ ـ ـ ـ،ﻟﻤﺴﻴـﺢ ﻫـﺬه رؤﻳـﺎ أ ـﻋﻄـﺎﻫـﺎ ا ـﻟﻠـﻪ ـ ـﻟﻴﺴـﻮع ا ـ ـ ـ ،أرﺳﻠﻪ ﻟﺬﻟﻚ 4/ La traduction oeucuménique ( )اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﻤﺸﺘﺮﻛﺔ/ Bible Society (1992) Conçue comme une équivalence dynamique1 (et non équivalence formelle du texte sacré), elle a été faite par une équipe d’universitaires et d’hommes d’église de diverses obédiences. ﻟﻴﺨﺒـﺮ ﺑـﻪ ﻓـﺄرﺳـﻞ ﻣـﻼﻛـﻪ ـ ـ ـ،ﻟﻴﻜﺸـﻒ ـ ـﻟﻌﺒـﺎده ﻣـﺎ ﻻ ﺑـﺪّ ﻣـﻦ ﺣـﺪوﺛـﻪ ﻋـﺎﺟـﻼ ﻟﻤﺴﻴـﺢ ـ ـﺑﻬﺒـﺔ ﻣـﻦ ا ـﻟﻠـﻪ ـ ـ ـ ﻋﻠﻨـﻪ ـﻳﺴـﻮع ا ـ ـ ـ ﻫـﺬا ﻣـﺎ أ ـ ـ ،ﻋﺒﺪه ﻳﻮﺣﻨﺎ Comparaison des 4 traductions : - Traduction de apokalupsis : remarquons tout d’abord que le terme couramment utilisé pour désigner le livre (ru’yā = vision) n’est pas le terme usité pour traduire le grec apokalupsis, sinon dans la traduction Book of Life 1988. Le terme rendant « apocalypse » est i‘lān (= annonce) chez VD, éloignée du texte original ; waḥy (= révélation) chez J, terme qui dans son acception musulmane désigne le mode de communication non-verbale entre Dieu et ses créatures, et enfin ru’yā (vision) chez BL, un terme que l’on retrouve dans 7 occurrences coraniques dans l’acception de vision ou rêve prophétique demandant interprétation (ainsi le rêve de Joseph est-il désigné par le terme ru’yā). - Equivalence dynamique vs. Equivalence formelle La dernière traduction considérée apparaît effectivement comme une équivalence dynamique : les trois précédentes rendent le substantif grec apokalupsis par un substantif (maṣdar) arabe, alors qu’on observe dans BS une transposition, c’est-à-dire ici une recatégorisation grammaticale : le substantif est remplacé par un pronom relatif (mā) + verbe accompli ('a‘lana) + morphème suffixe objet (hu) = ce qu’a annoncé. On note aussi que dans le texte grec, le premier verset constitue une phrase nominale, sans relation prédicative (isnād) entre un thème (musnad ilayh) et un prédicat (musnad). La traduction en français Louis Segond (1880) est une équivalence formelle. La traduction œucuménique en français verse plutôt dans le camp des équivalences dynamiques, puisque la proposition relative du texte grec n’est pas reprise (ἣν, hen, est un pronom relatif féminin objet) mais recatégorisée en proposition indépendante reliée à la phrase nominale initiale par un signe de ponctuation, évidemment inexistant dans le texte initial. Deux traductions arabes récentes, BL et BS, établissent quant à elle une relation prédicative entre un thème (le démonstratif ceci, hāḏā) et un prédicat. Ces détails peuvent au premier abord vous sembler insignifiant. Les cours de traduction littéraire que vous avez déjà eu ou allez avoir vous ont probablement entraînés à considérer qu’il faut traduire du sens et non des mots ; que le génie de la langue cible doit être pris en considération, et que des adaptations et modulations doivent être opérées en ce sens, afin que le récepteur ait l’impression, idéalement, que le texte a été directement rédigé dans la langue cible. C’est clairement une politique de traduction « cibliste » que vous devrez suivre dans la traduction 1. = équivalence fonctionnelle, il s’agit de convoyer l’idée exprimée dans le texte-source, au dépens de la littéralité, en s’éloignant de la structure grammaticale de la phrase originelle. Voir Oustinoff, p. 52. d’un texte de presse. Une position plus moyenne sera observée dans le cadre du texte littéraire, où la parole individuelle de l’écrivain doit être prise en compte, et donc la particularité de sa stylistique respectée dans la mesure du tolérable. Mais dans le cas d’un texte sacré, la situation est différente : dans quelque culture que ce soit, ce texte est soit considéré par les croyants comme « parole de Dieu » (c’est le cas du Coran dans la tradition musulmane), soit parole inspirée par Dieu. Le verbe divin peut-il être ainsi reformulé ? Cette hésitation méthodologique est aussi une hésitation théologique ; nous aurons à nous souvenir de ceci quand nous comparerons diverses traduction d’une sourate apocalyptique du Coran : la traduction est-elle destinée aux croyant ou est-elle effectuée en dehors d’une problématique de foi ? Est-elle destinée à devenir texte de référence de la liturgie ou pas ? Cela détermine grandement les politiques de traduction. - le lexique : outre les différentes traductions de apokalupsis, VD et DL rendent le tois doulois hautou (les esclaves de lui > ses serviteurs) du texte grec par ‘abīduhu, qui sonnera étrange aux oreilles des arabophones baignés de culture musulmane même s’ils sont de confession chrétienne, et qui entendront littéralement « esclaves », comme dans le texte grec, alors que le pluriel de ‘abd dans le sens de « croyant, serviteur » est traditionnellement ‘ibād, préféré par les deux autres traductions. - collocations et tours : les deux premières propositions de la traduction VD comportent deux étrangetés : 'a‘ṭā i‘lān (donner une annonce) n’est pas une collocation usuelle en arabe et sonne mal (rakīk) ; le sujet du verbe donner est rejeté après le second pronom affixe accusatif introduit par iyyā, au lieu de suivre directement le verbe. La dernière proposition, dans le texte imprimé, semble grammaticalement incorrecte (bayyanahu mursilan bi-yad malākihi li-‘abdihi), peut-être faute de vocalisation du texte pour mursalan ?. Ce cours de traduction se basera sur un corpus divisé en quatre parties : - un exemple d’apocalypse coranique, La sourate al-Takwīr (81) et cinq de ses traductions en français : Du Ryer (1647), Kazimirski (1840), Blachère (1950), Masson (1967), Boubakeur (1995), en nous aidant d’une exégèse médiévale de référence pour comprendre le texte et les choix du traducteur, celle de Ṭabarī (839-923). Le traduction la plus ancienne se situe dans une perspective polémique : elle vise à prouver que l’islam est une hérésie du christianisme, et que son prophète est un hérésiarque. Le traducteur a manifestement connaissance des exégèses, comme nous le montrerons ; ses « fautes de traduction », dès lors, en sont-elles vraiment, ou sont-elle destinées à « gauchir » le texte pour en faire apparaître le caractère blasphématoire ? Kazimirski, et plus encore Blachère, se placent quant à eux dans la mouvance de l’orientalisme, laissant voir une interrogation philologique permanente. Un appareil critique accompagne la traduction, signale les lectures de l’exégèse orthodoxe mais n’hésite pas à s’en éloigner. Masson, dont la traduction reçoit l’imprimatur des autorités sunnites du Liban, et Boubakeur, ancien député, professeur des universités, recteur de la Mosquée de Paris se situent quant à eux dans le cadre de la foi : il s’agit de traductions destinées à la fois au public humaniste et aux fidèles musulmans francophones. La première est bilingue, la seconde accompagnée d’une glose scientifique demeurant dans le cadre sunnite. Le paratexte de toutes ces éditions demandera un examen soigneux : la mention d’un « auteur » du Coran par Du Ryer, les notes critiques et leur placement, les collections dans le cadre desquelles ces traductions sont publiées, les titres des traducteurs, le titre même (essai d’interprétation, traduction, etc.) sont des éléments hautement signifiants, orientant la réception. - les points de rencontre entre visions chrétienne et musulmane : les signes du Jugement Dernier (La parousie du Christ, l’Antéchrist, et la Bête) dans la tradition musulmane Al-Ṯa‘labī al-Nīsābūrī (m. 1035), Récits des Prophètes, « De la seconde descente de Jésus à la fin des temps », que nous traduirons (partiellement ou intégralement) ensemble. Le second document, Al-Ṭabarī (m. 923), Exégèse du Coran, extraits du commentaire du verset (27,82) mentionnant la Bête, sera à travailler personnellement de votre part. - les échos des récits médiévaux sur l’Heure dans le roman arabe moderne Nous nous baserons pour cela sur un extrait de Ṭaha Ḥusayn (Egypte, 1889-1973), Al-Ayyām, « Rumeurs d’apocalypse », et ce sera le premier des textes que nous étudierons, puisqu’il nous permettra de passer en revue divers principes de la traduction littéraire, particulièrement les différences entre le système verbal du français et celui de l’arabe, et les adaptations nécessaires en traduction. Le choix d’une traduction plutôt « sourcière » ou « cibliste » est fonction de type de discours (narratif, descriptif, explicatif, argumentatif, dialogue), du genre auquel appartient le texte (littéraire [romanesque, poétique], journalistique, etc.) Dans le cadre même du texte littéraire romanesque, l’importance de la référence au temps et au lieu, aux éléments du réel détermine aussi les choix de traduction : le romancier vise-t-il un universel humain, dépouillé de références culturelles, ou ancre-t-il son écrit dans un décor ? Quel est le degré d’originalité que recherche son écriture ? Tout ces éléments sont à prendre en compte, en considérant que la traductions est toujours un moyen-terme. - les échos de l’Apocalypse de Jean en poésie arabe moderne nous examinerons un passage d’une oeuvre du célèbre poète Badr Šākir al-Sayyāb (Irak, 1926-1964), Vision de 1956. Le second document, Šawqī Baġdādī (Syrie, 1928-), Apocalypse de Jean le Damascène, sera à travailler personnellement de votre part.