Le lait et les risques de cancer et de sa progression
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Le lait et les risques de cancer et de sa progression
Le lait et les risques de cancer et de sa progression Cheryl L. Rock Le cancer est l’une des principales causes de mortalité dans le monde. Les résultats d’études observationnelles suggèrent qu’environ 30–40% des cas de cancer sont potentiellement évitables par des choix alimentaires différents et la modification de facteurs nutritionnels. Le lait contient de nombreuses substances bioactives qui pourraient influer sur le risque de cancer et de sa progression (tab. 1). Du point de vue logistique, il est difficile de démontrer un effet moléculaire spécifique de nutriments ou d’autres composants alimentaires bioactifs sur le cancer humain, qui a connu de nombreuses modifications génétiques et épigénétiques pendant des années ou des décennies. De plus, il est également très difficile de faire la part de la contribution de divers aliments ou constituants alimentaires spécifiques et celle de caractéristiques et de facteurs liés au style de vie. L’interprétation des résultats d’essais randomisés sur la prévention du cancer n’est pas simple, elle non plus, car ces études portaient sur une période relativement courte. Selon les données disponibles et les résultats récents, la consommation de lait, ou de certains constituants bioactifs du lait (comme le calcium ou la vitamine D) pourrait intervenir dans l’étiologie du cancer [1]. Il ne semble pas possible ou nécessaire de séparer les effets de l’ingestion de lait en soi et des composants bioactifs pour établir des recommandations de santé publique. Dans les pays où le lait et d’autres produits laitiers sont consommés, ces aliments représentent la principale source de calcium, de sorte que la démonstration d’un lien entre l’ingestion de calcium et le cancer est très pertinente pour l’élaboration de recommandations alimentaires concernant la consommation de lait. Par ailleurs, le lait est une source importante de vitamine D dans les pays où il est enrichi en ce micronutriment. De nombreuses études épidémiologiques observationnelles ont examiné la relation entre la consommation de lait et de risque du cancer colorectal, et la plupart d’entre elles ont conclu à un effet protecteur du 46 Tableau 1. Substances bioactives contenues dans le lait Classe Composant bioactif Vitamines Vitamine D dans les produits enrichis Vitamine A (rétinol, esters de rétinol) Calcium Magnésium Lipides alimentaires Acide linoléique conjugué Galactose (issu du lactose) Hormones de la reproduction Facteur de croissance-1 analogue à l’insuline Acide butyrique syntétisé à partir d’acide lactique par la flore intestinale Bifidobactéries dans les produits fermentés Caroténoïdes (-carotène ) Pesticides Minéraux Macronutriments Facteurs hormonaux Probiotiques et facteurs associés Autres constituants lait. Par exemple, Cho et al. [2] ont analysé les données de dix cohortes (n = 534 536) de cinq pays; chez 4992 personnes un cancer colorectal a été diagnostiqué pendant le suivi. Chez les personnes ayant consommé plus d’un verre de lait (≥ 250 g) par jour, le risque de développer un cancer colorectal était minoré de 15% (risque relatif: 0,85; IC à 95%: 0,78–0,94) par rapport à ceux qui ont consommé moins de 70 g/jour. De même, la majorité des études d’observation rapportent une association inverse entre l’apport en calcium et le risque de cancer colorectal. L’apport calcique par l’alimentation et l’apport en calcium total (y compris par des compléments) semblent exercer un effet protecteur dose dépendant, jusqu’à un seuil d’environ 1 200–1400 mg/jour. Dans deux essais cliniques, des compléments de calcium (1200 et 2000 mg/jour pendant 3–4 ans) ont permis de réduire le risque de récidive de polypes adénomateux (odds ratio: 0,74, IC 95%: 0.58–0.95) [3]. En revanche, une complémentation calcique n’a pas permis de réduire le risque de cancer du côlon. Les mécanismes d’action proposés pour expliquer l’effet protecteur de la consommation de lait sur le cancer colorectal impliquent le calcium, la vitamine D, le magnésium, l’acide butyrique produit par la microflore, et l’acide linoléique conjugué; tous ces composés ont inhibé la prolifération cellulaire et la croissance des cellules tumorales dans des études expérimentales réalisées en laboratoire. 47 De nombreuses études épidémiologiques d’observation ont également examiné si le lait, les produits laitiers et/ou le calcium étaient associés à un risque de cancer de la prostate. Les résultats montrent un effet nocif plutôt que protecteur de la consommation de lait et/ ou de produits laitiers. Par exemple, une récente méta-analyse de 11 études de cohorte a rapporté un risque relatif résumé de 1,11 (IC 95%: 1,03–1,19), par portion, de tous les produits laitiers, de 1,06 (IC 95%: 0,91–1,23) pour le lait, et de 1,11 (CI 95%: 0,99–1,25) pour le fromage [4]. Un apport en calcium (alimentaire ou en compléments) élevé (>1000 mg/jour) est également associé à un risque accru de cancer de la prostate avancé ou fatal. Les mécanismes proposés pour expliquer ces résultats sont demeurent obscurs. Les résultats des études épidémiologiques évaluant la relation entre la consommation de produits laitiers et le risque de cancer du sein ou de l’ovaire sont contradictoires. Trois essais cliniques randomisés ont examiné si un changement de la composition du régime alimentaire pouvait avoir un impact sur le risque de cancer primaire du sein ou sa récidive et/ou sur la survie des femmes chez qui un cancer du sein a été diagnostiqué à un stade précoce. Dans ces essais, qui s’intéressaient au type de lait et de produits laitiers consommés, la consommation totale de ces aliments n’a pratiquement pas changé et n’était pas liée au risque de cancer. Selon certaines études chez l’animal, le galactose pourrait être toxique pour les cellules ovariennes, mais les résultats d’études épidémiologiques ayant examiné la relation entre le risque de cancer de l’ovaire et la consommation de lait et/ou de lactose sont mitigés. Le rapport du Fonds mondial de la Recherche sur le Cancer (World Cancer Research Fund) conclut à une probable association négative entre la consommation de lait et le risque du cancer colorectal et à une probable association positive entre des régimes alimentaires riches en calcium et le risque du cancer de la prostate [1]. Les recommandations alimentaires actuelles pour la prévention du cancer préconisent de respecter les apports recommandés en calcium en consommant des produits laitiers à faible teneur en lipides ou même sans lipides plutôt que des compléments calciques [1, 5]. Bibliographie 1 2 48 World Cancer Research Fund: Food, Nutrition, Physical Activity, and the Prevention of Cancer: A Global Perspective. London, World Cancer Research Fund, 2007. Cho E, Smith-Warner SA, Spiegelman D, et al: Dairy foods, calcium, and colorectal cancer: a pooled analysis of 10 cohort studies. J Natl Cancer Inst 2004;96:1015–1022. 3 4 5 Weingarten MA, Zalmanovici A, Yaphe J: Dietary calcium supplementation for preventing colorectal cancer and adenomatous polyps. Cochrane Database Syst Rev 2008:CD003548. Huncharek M, Muscat J, Kupelnick B: Dairy products, dietary calcium and vitamin D intake as risk factors for prostate cancer: a meta-analysis of 26,769 cases from 45 observational studies. Nutr Cancer 2008;60:421–441. Kushi LH, Byers T, Doyle C, et al: American Cancer Society Guidelines on Nutrition and Physical Activity for cancer prevention: reducing the risk of cancer with healthy food choices and physical activity. CA Cancer J Clin 2006;56:254–281. 49