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Le sinistre projet nazi de l’euthanasie des personnes handicapées mentales
"Les Instituts spécialisés accueillant des malades mentaux furent ouverts au public non pour
faire constater la possibilité d’y soigner les malades et de les réinsérer, mais pour faire
comprendre la nécessité de les détruire. Comment ne pas s’étonner que de nos jours un
débat aussi grave pour aborder la souffrance et la mort dans notre société fasse l’objet d’un
tel harcèlement médiatique !"
Par : Pierre Bétrémieux, Docteur en philosophie, EA 1610, membre du conseil de vigilance
de la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés | Publié le : 21 Mai 2008
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Fin 2007, s’est tenue à Venise une exposition intitulée « Progetto eutanasia : exterminate i
disabili » (« Un projet d’euthanasie : éliminez les handicapés ! ») à l’initiative de l’association
pour les études historiques de l’holocauste.
Les personnes en situation de handicap, marqueront toujours une sensibilité plus aiguë aux
questions de différence, de discrimination, de mise à l’écart, posées dans la société. Dans
cette perspective, la problématique de l’euthanasie fondée sur des théories eugénistes
dévoyées, résume à elle seule la question de la sélection (et l’élimination ultérieure) des
personnes s’effectuant sur la base de l’utilité de la personne [1], et de son droit à vivre.
Avec ce parcours historique de l’exposition « Progetto eutanasia : exterminate i disabili » nous
nous remémorons ces paroles de Santayana : « ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont
condamnés à le répéter – à leur insu ».
Pendant la première moitié du XXe siècle aura dominé un eugénisme d’État qui correspond
aux doctrines issues du darwinisme social : l’eugénisme positif qui prétend « améliorer la race
» d’une part, et d’autre part l’eugénisme négatif visant à lutter contre la dégénérescence
induite par la disparition de la sélection naturelle dans la société (en particulier dans les
classes défavorisées dont les membres déficients échappent à cette sélection naturelle grâce
à l’altruisme, garant de la survie de l’espèce ! [2]. En arguant des premiers résultats de la
génétique, les biologistes et généticiens de l’époque, sans base scientifique sérieuse
néanmoins, apporteront leur caution et soutiendront la création d’associations eugénistes qui
susciteront les législations et les programmes politiques correspondant.
C’est aux États-Unis (Indiana, 1907) que sera promulguée la première loi eugéniste réduisant
la liberté de procréation des inaptes et régulant l’immigration de certaines races (ex : « la
stérilisation des criminels confirmés, des idiots et des imbéciles »).
La République de Weimar, confrontée à la crise économique, soumise à la pression de
courants conservateurs qui considéraient que la prise en charge des malades mentaux dans
des Instituts spécialisés devenait insupportable, mit en projet des lois eugénistes. En
s’inspirant de l’expérience américaine le gouvernement allemand dès 1927 projettera une loi
eugéniste, qui fut votée comme loi eugéniste « nazie » le 14 juillet 1933 :
« Toute personne atteinte d’une maladie héréditaire, peut être stérilisée au moyen d’une
opération chirurgicale si, d’après les expériences de la science médicale il y a lieu de croire
avec une grande probabilité que les descendants de cette personne seront frappés de maux
héréditaires graves, mentaux ou corporels. [3] »
Cette loi sera complétée par une autre loi d’interdictions de mariage (octobre 1935) de même
nature eugéniste. Avec le nazisme ces programmes eugénistes se transforment donc en
cauchemar. C’est dans les textes de Hitler lui-même que va s’exprimer de façon la plus
sinistre pour la suite cette rhétorique scientiste et biologisante qui a cautionné les
programmes eugénistes du XXe siècle. Ainsi dans Mein Kampf, chapitre 11, « Peuple et race »
: « toutes les grandes civilisations de l’antiquité ont décliné parce que la race originaire qui les
avait créées est morte du fait de la contamination de son sang […] La conservation de la race
est soumise à la loi de fer de la nécessité et du droit à la suprématie des meilleurs et des plus
forts. Celui qui veut vivre doit donc lutter et celui qui ne prend pas part au combat dans ce
monde de luttes éternelles ne mérite pas la vie »[4].
L’aboutissement de ce fanatisme de l’hygiène raciale fut le décret autorisant l’extermination
des malades mentaux en octobre 1939, connue sous le nom d’opération T4[5]. Des centres
de gazage d’élimination des malades mentaux furent mis en place, mais finirent par fermer
suite à la protestation publique de l’Évêque de Munster et sa plainte pour meurtre en 1941.
Cette capacité d’indignation des Églises (hélas sélective) fit reculer les nazis, mais ce
programme T4 préfigurait la « solution finale » !
À commencer par la surdétermination du terme d’euthanasie lui-même (l’euphémisation de «
la mort miséricordieuse » - ou «gnadentot » accordée aux malades mentaux) toute la
compétence propagandiste de l’État nazi fut déployée pour promouvoir le bien-fondé de
l’euthanasie. À cet égard deux panneaux de cette exposition retiennent particulièrement
l’attention : l’un qui titre : «Éduquer le peuple à l’euthanasie » et un autre : «La force du cinéma
: propagande et euthanasie. » Les Instituts spécialisés accueillant des malades mentaux
furent ouverts au public non pour faire constater la possibilité d’y soigner les malades et de
les réinsérer, mais pour faire comprendre la nécessité de les détruire[6].
Comment ne pas s’étonner que de nos jours un débat aussi grave pour aborder la souffrance
et la mort dans notre société fasse l’objet d’un tel harcèlement médiatique !
Rétrospectivement subsisteront toujours ces questions angoissantes : à partir de quel seuil,
de quel critère, juge-t-on qu’une vie mérite d’être vécue ? Où place-t-on le « curseur » ? Quelle
est la frontière ?
Pour un être fragile, qui a survécu aux souffrances d’une maladie invalidante, la position d’un
seuil, définie par un contexte politique, économique ou social très mouvant, lui aurait-elle
permis de mériter de vivre cette vie, certes diminuée, mais où il finit par s’épanouir dans le
cadre de normes que l’on lui aura aidé à se déterminer ?
Il nous faut peut-être conseiller aux tenants de certaines positions dogmatiques sur d’aussi
graves sujets de méditer sereinement l’affirmation de Albert Camus, au début de son essai
Le mythe de Sisyphe[7] : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le
suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la
question fondamentale de la philosophie. » Et même si « l’immense détresse est trop lourde à
porter »[8], peut-on imaginer qu’autrui (un proche, une communauté, la société, le
législateur…) puisse répondre, à la place de l’être humain, si « la vie vaut ou ne vaut pas la
peine d’être vécue », question fondamentale de la philosophie ?
Reste angoissante la question de la défense (et la prise en charge) des personnes
vulnérables et dépendantes aux prises avec une logique d’élimination et de mise à l’écart,
émanant du corps social, quelque soit la forme qui en est prise. Privées d’autonomie et de
discernement qui sera à même de réaliser un choix respectueux de la personne humaine,
dans le cadre « d’un consentement libre et éclairé » ?
Références
[1] Elie Wiesel (1958), La nuit, Paris, Les Editions de minuit, p. 118.
[2] Pichot André (2000), La société pure de Darwin à Hitler, Paris, Flammarion, rééd. Coll.
Champs Flammarion, 2001, p. 101.
[3] Maladies héréditaires au sens de cette loi : 1/ débilité mentale congénitale 2/
schizophrénie 3/ folie circulaire (ou maniaque dépressive) 4/ épilepsie héréditaire 5/ dans de
Saint-Guy héréditaire (chorée de Huntington) 6/ cécité héréditaire 7/ surdité héréditaire 8/
malformations corporelles graves et héréditaires ; peut aussi être stérilisée toute personne
sujette à des crises graves d’alcoolisme.
[4] RICCIARDI VON PLATEN, L’extermination des malades mentaux dans l’Allemagne nazie,
Paris, Érès, 2001, p. 41.
[5]Le centre administratif était situé à Berlin au 4 Tiergartenstrasse.
[6] « Gli Istituti dovevano essere aperti al pubblico non per far constatare la possibilità di curare
e reinserire i malati ma per far capire la necessitàdi distruggerli ».
[7] A. Camus (1942), Le Mythe de Sisyphe, in ESSAIS, Paris, Gallimard, Coll. Pléïade
Œuvres Complètes (1962), p. 197 sq.
[8] Ibid.
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