Les perturbations endocriniennes après chirurgie de l`obésité
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Les perturbations endocriniennes après chirurgie de l`obésité
Congrès de l’Association Française de Chirurgie Paris du 30 septembre au 2 octobre 2009 Séance de Formation Chirurgicale Continue FCC 8 ____________________________________ Les perturbations endocriniennes après chirurgie de l’obésité Organisateur : L. Brunaud (Nancy) Président : B. Carnaille (Lille), J. Moueil (Nice) Modérateurs : D. Nocca (Montpellier), L. Brunaud (Nancy), F. Pattou (Lille) Les modifications hormonales après chirurgie de l’obésité: Résultats expérimentaux et revue de la littérature. JC Lifante (Lyon) Le gastric bypass et la diversion bilio pancréatique de Scopinaro sont les interventions bariatriques les plus efficaces en cas d’obésité morbide du fait de l’association d’une composante restrictive et d’une composante mal absorptive. Depuis peu, l’hypothèse d’une efficacité de ces interventions sur le diabète de type 2 indépendamment de la perte de poids a fait explorer plusieurs pistes physiologiques mettant en évidence des modifications hormonales. Certaines hormones digestives paraissent avoir un rôle prépondérant dans l’amélioration précoce du diabète de type 2 après gastric bypass et diversion bilio pancréatique. Le mécanisme le plus étudié est celui des modifications de l’axe entéro insulinique. L’axe entéro insulinique a pour médiateur des hormones sécrétées par l’intestin: les gluco incrétines (GIP et GLP 1) qui ont une action au niveau des cellules β des ilots de langherans pancréatiques. Mais les études expérimentales et cliniques sont contradictoires du fait de méthodologies et modèles utilisés différents. D’autres modifications hormonales ont été explorées pour tenter d’élucider le mécanisme de l’amélioration précoce du diabète de type 2 après gastric bypass et intervention de Scopinaro. L’axe adipo insulinique fait intervenir les adipocytokines (Leptine, Adiponectine, Resistine) qui ont une action importante dans l’insulino résistance. Leur rôle sur l’amélioration du diabète de type 2 après chirurgie bariatrique parait dépendant de la perte de poids. 2 Tout comme les effet bénéfiques , les effets secondaires du gastric bypass ont permis de mettre en évidence des modifications hormonales. Ainsi, la résorption osseuse accrue après de tels interventions a révélé des modifications de la sécrétions de parathormone (PTH) chez ces patients. 3 Hypoglycémie et court circuit gastrique, mythe ou réalité ? Pr D Quillot, Pr O Ziegler CHU NANCY Introduction : la perte de poids après CCG, des effets combinés A l’évidence, différents mécanismes permettent d’expliquer la perte de poids après court circuit gastrique. Cette intervention combine plusieurs effets : - un effet restrictif : cet effet est modéré lorsque l’anastomose gastro-jéjunale est large, plus important mais souvent transitoire quand l’anastomose est étroite. - La malabsorption : elle est faible, touchant une partie des lipides. - La non-tolérance ou le dégout pour les produits sucrés, souvent déclencheurs de dumping syndrome, lui-même responsable d’une aversion pour les aliments qui ont déclenchés le malaise. Ce mécanisme semble important, notamment dans le maintien de la perte de poids. En effet certaines études montrent que les patients qui tolèrent le sucre et qui en mangent (les « sweet eaters ») sont à plus haut risque de reprendre du poids à distance de la chirurgie. - L’effet « satiétogène » du CCG : les patients nous disent : « avant je ne pensais qu’à manger, maintenant j’oublie de manger ». La sensation de faim est fortement atténuée après CCG. Cet effet commence à être expliqué. Le fait de court-circuiter l’intestin grêle proximal augmente la sécrétion d’hormones et de protéines satiétogènes. Cet effet est essentiellement expliqué par l’accélération du transit. Ces hormones sont principalement le GLP1 ou entéroglucagon et le Peptide YY. L’apoAIV, apoprotéine sécrétée lors de la synthèse des chylomicrons, a une action satiétogène et est également sécrétée en excès. - L’effet incrétine : la potentialisation de la sécrétion d’insuline. Parmi ces hormones, le GLP1 joue le rôle d’incrétine : il potentialise la sécrétion d’insuline en présence de glucose. Cet effet incrétine permet d’expliquer l’efficacité du CCG dans le traitement du diabète de type 2. Hypoglycémie réactionnelle après CCG - Mécanismes et fréquence De nombreuses publications rapportent des cas d’hypoglycémies symptomatiques après CCG. Ces hypoglycémies surviennent généralement plusieurs mois après 4 l’intervention, éliminant l’hypothèse d’une tumeur sécrétant de l’insuline (insulinome) préexistant à la chirurgie. Certaines hypoglycémies répondent aux mesures diététiques, aux traitements médicaux (somatostatine, diazoxide…), alors que d’autres non, imposant le recours à un traitement chirurgical (pancréatectomie caudale). Une pancréatectomie partielle a ainsi pu permettre de faire disparaitre des hypoglycémies après localisation de l’insulino-sécrétion dans différents territoires artérielles par stimulation par le calcium (1). Certaines études relatent dans ce cas la présence d’hypertrophie des ilots de Langherans ou une nésidioblastose Hypothèses physiopathologiques L’hypoglycémie réactionnelle est une entité mal définie, établies à partir de cas de patients présentant des symptômes d’hypoglycémie à distance des repas (2). Le diagnostic repose sur l’HGPO et est expliquée par une sécrétion inappropriée d’insuline. Cette sécrétion d’insuline se fait en réponse à un pic glycémique, anomalie fonctionnelle non liée à une anomalie organique du pancréas. Elle se distingue de l’hypoglycémie organique qui se produit généralement à jeun. Néanmoins, au cours de l’insulinome, on peut aussi constater également des hypoglycémies en période postprandiale. 1) Des hypoglycémies « physiologiques » ? Lorsqu’on fait des HGPO à des sujets sains, de poids normal, 10% des sujets sains de poids normal ont des glycémies « réactionnelles » < 0,5g/l à la 2ème heure sans signe de neuroglucopénie. La valeur prédictive de l’HGPO n’est donc pas très bonne pour définir une hypoglycémie postprandiale pathologique (3). Ces hypoglycémies réactionnelles ne s’accompagnent d’aucune anomalies électroencéphographiques (4). Après gastric banding, si on recherche ces hypoglycémies réactionnelles, on les observe dans les mêmes proportions, sans déclencher de symptomes spécifiques. Par conséquent, il a été proposé que les hypoglycémies réactionnelles soient définies par une glycémie basse constatée au moment où le patient présente des symptômes, et qui disparaissent avec le resucrage (5). Le terme choisi est celui de “Noninsulinoma pancreatogenous hypoglycemia syndrome (NIPHS) », caractérisés par des symptômes de neuroglucopénie, survenant 2 à 4 h après le repas et jamais à jeun. 5 2) Une augmentation de la masse de cellule béta chez le sujet obèse. Chez le sujet obèse, la diminution de la sensibilité à l’insuline des tissus est compensée par une augmentation des concentrations en insuline. Cette hyperinsulinisme peut se faire grâce à une augmentation de la taille des ilots de langherans et du nombre de cellules béta. Après CCG, on observe une importante amélioration de la sensibilité à l’insuline. Les sujets ayant compensé leur insulinorésistance par un hyperinsulinisme, ont des capacités insulino-sécrétoires qui deviennent excédentaires, du fait de la persistance d’une augmentation du pool de cellules pourrait favoriser l’hyperinsulinisme. Cette hypothèse est néanmoins controversée. Dans l’étude de Meier et al. (2006), le diamètre des cellules béta après CCG, était identique au sujet témoin obèse ou de poids normal. Par ailleurs, l’intervalle observé entre l’intervention et la survenue des hypoglycémies va à l’encontre de cette hypothèse. En effet, l’insulinorésistance s’améliore très rapidement après CCG (6). Les hypoglycémie postprandiales devraient donc être observée précocément apres le CCG, ce qui n’est pas observée en pratique clinique. 3) Rôle du GLP1 Le GLP1 dont la sécrétion est augmentée après CCG, pourrait contribuer à l’hypertrophie des cellules beta et au développement des ilots. En effet, in vitro et chez l’animal, cette hormone prévient l’apoptose de ces cellules et permet le développement des ilots (7). Néanmoins le traitement prolongé par l’agoniste de cette hormone (exenatide) n’entrainent pas d’hypoglycémie. Goldfine et al. conforte cette hypothèse, constatant une augmentation de la sécrétion de GLP1 chez les sujets présentant des hypoglycémies après CCG comparé à des patients sans hypoglycémie après CCG. 6 REFERENCES (1) Brown CK, Bartlett DL, Doppman JL, Gorden P, Libutti SK, Fraker DL, Shawker TH, Skarulis MC, Alexander HR 1997 Intraarterial calcium stimulation and intraoperative ultrasonography in the localization and resection of insulinomas. Surgery 122:1189–1193 (2) Conn JW, Seltzer HS 1955 Spontaneous hypoglycemia. Am J Med 19:460–478. (3) Lev-Ran A, Anderson RW 1981 The diagnosis of postprandial hypoglycemia. Diabetes 30:996– 999. (4) Hogan MJ, Service FJ, Sharbrough FW, Gerich JE 1983 Oral glucose tolerance test compared with a mixed meal in the diagnosis of reactive hypoglycemia. A caveat on stimulation. Mayo Clin Proc 58:491–496. (5) Service FJ 1995 Hypoglycemic disorders. N Engl J Med 332:1144–1152. (6) Wickremesekera K, Miller G, Naotunne TD, Knowles G, Stubbs RS 2005 Loss of insulin resistance after Roux-en-Y gastric bypass surgery: a time course study. Obes Surg 15:474. (7) Carpenter T, Trautmann ME, Baron AD 2005 Hyperinsulinemic hypoglycemia with nesidioblastosis after gastric-bypass surgery. N Engl J Med 353:2192–2194 7 HYPOCALCEMIE ET HYPERPARATHYROIDIE APRES CHIRURGIE DE L’OBESITE Auteur : Pr Laurent BRUNAUD Service de Chirurgie Générale et Endocrinienne CHU NANCY (Hôpital Brabois Adulte) La chirurgie de l’obésité est associée à deux mécanismes dont le but est d’induire une perte de poids. Il s’agit d’une part d’une restriction gastrique qui limite le volume et le débit de la prise alimentaire. D’autre part, le deuxième mécanisme est un court circuit du duodénum et de la portion proximale du jéjunum qui a pour conséquence une malabsorption sélective et relative (considérée comme responsable de l’amaigrissement). La combinaison de la restriction et de la malabsorption est efficace pour la perte de poids mais prédispose aussi le patient à un déficit nutritionnel avec modifications des boucles de régulations hormonales (Wilhem Surgery 2007). La malabsorption postopératoire de vitamine D et de calcium a pour conséquence une modification des régulations hormonales de la parathormone. En effet, le calcium est normalement absorbé principalement dans le duodénum et le jéjunum (Carlin Surg Obes 2006). Les interventions bariatriques quelles qu’elles soient (restriction pure mais surtout les interventions associant une malabsorption) ont ainsi pour conséquence une modification de l’absorption du calcium. Dans cette situation, la supplémentation calcique post opératoire peut potentiellement ne pas être suffisante pour obtenir des taux sanguins normaux de calcium (Digiorgi Obes Surg 2008). Une étude de 140 patients opérés d’un court circuit gastrique et supplémentés par 1g de calcium per os / jour et de 400 à 800 UI de vitamine D / jours montre qu’une hyperparathyroïdie secondaire est observée chez 5 % et 21 % des patients à deux semaines et un an de l’intervention (Wilhem Surgery 2007). De façon intéressante, 7 % de ces patients ayant un taux élevé de parathormone à un an de la chirurgie bariatrique avaient aussi une hypercalcémie (définissant ainsi une sécrétion inappropriée et inadaptée de 8 parathormone). Par ailleurs, la longueur de l’anse alimentaire avait un impact sur le taux de vitamine D (anse longue associée à un taux de vitamine D plus faible) mais ne semblait pas avoir un impact sur le taux de parathormone. La présence d’une normocalcémie associée à une augmentation du taux de parathormone après chirurgie bariatrique est importante à reconnaître car cette situation est délétère pour le statut osseux. En effet, l’augmentation du taux de parathormone induit une augmentation de l’activité ostéoclastique osseuse avec pour conséquence une fragilisation de l’os cortical. Cette situation peut parfois amener à l’observation d’une tumeur brune osseuse, qui est un des signes cliniques classiques des patients présentant une hyperparathyroïdie primaire (Katrien Endocrine Journal 2009). La supplémentation après chirurgie bariatrique en calcium et vitamine D n’est pour le moment pas consensuelle. Une étude récente propose d’augmenter les doses de supplémentation à 2g par jour de calcium et 5000 UI par jour de vitamine D (Goldner Obes Surg 2009). La recherche des facteurs pronostiques permettant de prévoir avant l’intervention quels patients auront une hyperparathyroïdie secondaire n’est pour le moment pas terminée. L’origine africaine des patients semble aussi être associée à un risque plus important de déficit en vitamine D (synthèse cutanée en vitamine D plus faible en raison de la pigmentation cutanée). L’ensoleillement et la latitude de la région des patients sont aussi un facteur déterminant le taux de vitamine D. Ainsi, le pourcentage de patient présentant un déficit en vitamine D varie entre 5 et 65 % avant la réalisation d’une chirurgie bariatrique. Ces patients devraient idéalement être supplémentés avant le geste chirurgical (Fendrikova Obes Surg 2009 ; Jin J Gastrointest Surg 2009). Par ailleurs, la réalisation d’une chirurgie bariatrique est importante à connaître chez les patients opérés d’une thyroïdectomie et/ou parathyroïdectomie puisqu’elle modifie aussi la prise en charge. En effet, l’incidence et la dynamique de l’hypocalcémie temporaire et définitive est modifiée par la réalisation d’une chirurgie bariatrique (Pietras Obes Surg 2008). L’augmentation croissante de la chirurgie de l’obésité et l’importance du nombre de thyroïdectomies totales annuelles font que cette situation risque d’être de plus en plus fréquente. Les chirurgiens endocriniens doivent connaître le risque accru d’hypocalcémie dans cette situation et la cinétique spécifique de la calcémie. Par ailleurs, la perte de poids occasionnée par une chirurgie bariatrique peut diminuer le volume de distribution de certains médicaments et induire une conséquence délétère. Ainsi, une hyperthyroïdie aigue à 9 l’amiodarone a été observée après perte de poids importante dans les suites d’un court circuit gastrique (Bourron Obes Surg 2007). Au total, la chirurgie de l’obésité induit une modification du métabolisme phosphocalcique et du taux de parathormone. Cette modification doit être anticipée par les chirurgiens bariatriques pour éviter l’effet délétère sur l’os. L’hyperparathyroïdie secondaire induite par la chirurgie bariatrique peut aussi potentiellement s’autonomiser pour aboutir à une sécrétion inappropriée et autonome de parathormone (possible mais situation peu rapportée dans la littérature). Les chirurgiens endocriniens doivent connaître les conséquences métaboliques de la chirurgie bariatrique car la gestion des patients après thyroïdectomie ou parathyroïdectomie devient alors spécifique. 10