Quand les consommateurs deviennent coauteurs de la publicité

Transcription

Quand les consommateurs deviennent coauteurs de la publicité
Quand les consommateurs deviennent coauteurs de la publicité
LE MONDE | 24.06.06 | 14h49 • Mis à jour le 24.06.06 | 14h49
Imaginez 250 000 balles colorées lancées par dix canons dans
les rues pentues de San Francisco. L’idée de ce ballet visuel est
venue à l’esprit des créatifs de l’agence publicitaire britannique Fallon pour vanter les mérites du nouvel écran plat LCD de
Sony.
Ils se sont empressés d’avertir les riverains. Le jour où les publicitaires sont venus filmer, ils étaient là,, appareils photo ou vidéo à la main. Quelques minutes plus tard, les premiers clichés
circulaient sur Internet et bien avant que le spot ne soit diffusé à
la télévision, il bénéficiait d’un bouche-à-oreille garanti.
L’histoire de ce spot, présenté à Cannes à l’occasion du Festival international de la publicité qui se tient du 18 au 24 juin, le
prouve : de plus en plus de marques cherchent à associer les
consommateurs dans leurs scénarios de communication.
Bien d’autres travaux présentés sur la Croisette vont dans ce
sens. En particulier, dans la catégorie «cyber» où sont jugées
les campagnes diffusées sur Internet.
Le cas Ecko l’illustre parfaitement. Pour cette marque américaine de vêtements créée par un adepte des tags, David Droga, qui
vient de lancer son agence Droga5, a eu l’idée de tourner un petit
film «viral».
Dans cette vidéo, on voit un homme franchir de nuit des barbelés, s’approcher de l’Air Force One, l’avion du président Bush, et
taguer sur le fuselage «still free». Habilement adressée à quelques sites, elle a été relayée sur Internet, a suscité le débat et
a très vite été commentée dans les journaux et à la télévision
américaine.
A tel point que la Maison Blanche a dû publier un communiqué
pour démentir les faits. Si la marque Ecko n’apparaissait pas en
tant que telle dans la vidéo, elle a largement été citée lorsque
l’affaire a été élucidée. Elle s’est offert ainsi une campagne médiatique intense - Droga5 avance le chiffre d’une audience de
26 millions de personnes - sans débourser un centime. «C’est
là où l’on voit la force d’Internet. La créativité subit moins de
contrainte sur les nouveaux médias, il y a plus d’audace. Ce type
de film ne passerait jamais à la télévision», souligne Maurice
Lévy, président de Publicis.
«L’exemple Ecko est remarquable. Avec les imperfections de ces
images diffusées sur Internet en style DV, le doute s’installe. On
ne sait plus si c’est vrai ou pas. Nike a également créé un «buzz»
(bruit médiatique) avec un film où l’on voyait Ronaldinho faire
une suite de frappes sur la barre. Mais un film ne devient «viral»
sur Internet que s’il est bien», affirment Alexandre Hervé et Sylvain Thirache, directeurs de création de DDB Paris.
L’agence DDB a elle aussi fait un coup publicitaire avec le Transatlantys en France. Une campagne d’affichage annonçait le
projet d’un tunnel entre Paris et New York et proposait aux passants de se connecter sur Internet pour en savoir plus. L’effet
fut immédiat. Les gens puis les médias s’en sont emparés avant
de découvrir qu’il s’agissait d’une promotion pour le site sncf.
com. «Ces campagnes intégrées sont souvent le fait d’agences
axées sur les idées et qui ont une culture des médias traditionnels, d’Internet et de la création publicitaire. L’objectif est de
fédérer des communautés autour de messages, de faire adhérer
les consommateurs afin qu’ils participent à la construction de la
marque», explique Philippe Simonet, directeur de Publicis Net.
Parfois, les consommateurs ne sont pas uniquement des messagers mais créent eux-mêmes du contenu publicitaire. Burger
King, par exemple, a tourné une série de vidéos diffusées sur
Internet où un homme avec le masque du «King» se livrait à des
plaisanteries chez les concurrents. Puis il a distribué des milliers
de masques dans ces restaurants et demandé aux gens d’envoyer leur propre vidéo. De même, Nike, surfant sur le succès
des blogs vidéo personnels, les «vlogs», incite les internautes
à se filmer ballon au pied pour former la plus longue passe du
monde.
Son concurrent Adidas propose actuellement à Berlin aux visiteurs de son stadium d’être filmés et incruste ces images dans
le spot publicitaire de la marque. Ainsi personnalisé, le spot est
envoyé sur le téléphone mobile et le quidam se voit jouer aux
côtés de Platini, Zidane et Cissé.
Toujours à l’occasion de la Coupe du monde, Adidas a mis en
place en Nouvelle-Zélande avec TBWA un dispositif d’affichage
géant où le supporter entre dans une nacelle en forme de ballon
et se trouve propulsé à 170 km/h, comme s’il avait été frappé par
le joueur britannique Steven Gerrard. En France, JWT a fait appel
aux barbus désireux de participer à la galerie de portraits des
rasages extravagants pour la marque Wilkinson.
Cette «participation volontaire» est aussi au coeur d’un projet
mené par Paris 2012, couronné à Cannes. A quelques jours de
la décision du comité olympique, en juillet 2005, Havas Sport
avait transformé les Champs-Elysées en un immense terrain de
pratiques sportives.
Cet événement, publicité géante pour Paris, dont les retombées
médiatiques orchestrées furent mondiales, n’aurait pas été réalisable sans les centaines de bénévoles et le million de visiteurs.
Cette volonté des publicitaires de transformer le consommateur
en allié, en acteur de ses campagnes est à mettre en parallèle
avec le pouvoir grandissant de l’internaute qui peut faire ou défaire la réputation d’une marque.
Selon Maurice Lévy, président de Publicis : «Avec les technologies numériques, l’interactivité et la mobilité, nous assistons à
un changement de société. Les consommateurs sont aussi des
éditeurs, des journalistes, ils sont avides d’échanges, d’informations. Une des tâches les plus difficiles pour les groupes publicitaires est de comprendre cette transformation.»
Désormais, chacun est en mesure de comparer les prix, d’élaborer son modèle de voiture, voire en téléchargeant de considérer
qu’une partie des biens culturels comme la musique ou les films
est accessible sans bourse délier.
Les frontières bougent. Les consommateurs plus matures sont
aptes à décoder les techniques publicitaires et marketing. Pour
garder le lien avec ce client qui a pris ses distances, les publicitaires n’hésitent pas à exploiter le registre de la parodie.
Un exemple frappant est donné par un spot tourné pour une
marque de bière, Carlton Draught en Australie. Sur l’air O Fortuna de Carmina Burana, un choeur chante «c’est une grande pub,
une très grande pub, une pub très chère», et l’on voit à l’écran,
filmée dans un style épique, une foule de gens habillés en jaune
et rouge se rassembler et former une immense silhouette rouge
avec le flux jaune de la bière se déversant dans le gosier.
Un spot qui se joue des codes de la publicité à grand spectacle
souvent primée à Cannes. De même, une campagne thaïlandaise,
justement appelée Love Story, s’est amusée à détourner les
codes du soap opera en créant un spot à épisodes tenant son
audience en haleine pour vanter les mérites d’une crème de
beauté. Deux exercices qui ne devraient pas laisser indifférent
les jurés cannois.
Laurence Girard
Article paru dans l’édition du 25.06.06