Et la lumière fut Octobre 2014. Il fait sombre, il fait

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Et la lumière fut Octobre 2014. Il fait sombre, il fait
Et la lumière fut
Octobre 2014. Il fait sombre, il fait froid, je suis en état d'hypothermie matinale
et sur le chemin de la fac. Le jour peine à se lever, vampirisé par la nuit. Il
faudrait vraiment que je remplace la lampe de mon vélo. Au loin, des
hurlements de chiens se répondent – écoutez-les, les enfants de la nuit.
Mon sang se glace dans mes veines. J'ai peur, mais de quoi, me demandezvous ? Ni du noir, ni du brouillard, mais de mon futur encore obscur. Je
culpabilise un peu en me disant que je ne n'ai pas le droit de me plaindre. Ne
suis-je pas entourée d'une famille aimante, d'amis prêts à me soutenir quoi
qu'il arrive ? N'ai-je pas en main toutes les clefs pour réussir ? La principale
étant évidemment l'éducation. Étudiante en Master d'anglais, je suis enchantée
que le savoir universitaire me soit à ce point accessible, surtout quand je
compare avec la situation de mes camarades anglo-saxons. Pour obtenir une
licence, ces derniers dépensent plus de 10 000 livres par an (chiffres pré-Brexit,
avant dévaluation de la livre, "of course"). Ironie du sort, ce jour-là, c'est
justement la fac qui m'inquiète : la date fatidique de remise du sujet de
mémoire approche, et j'ai beau chercher, je ne suis toujours pas fixée. La petite
ampoule ne s'est pas encore pas allumée, j'aimerais tant pouvoir crier :
« Eurêka ! ».
Je traverse la rue devant la ténébreuse et majestueuse église Saint-Paul. Je
cadenasse mon vélo devant le palais universitaire, monte les marches au
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ralenti, pose ma main sur la poignée. J'entre de mon plein gré. Et puis tout
s'éclaire. Une explosion de couleurs chaudes, ambrées, chatoyantes : les lustres
jettent sur le hall d'entrée et sur mon paysage intérieur une lumière rouge et
or. Moi la cartésienne, l'agnostique, je me sens comme illuminée par ce halo
surnaturel. Mots et sensations se bousculent dans mon esprit, je cherche à
décrire cet éclat onirique quasi ineffable, à le qualifier. Il est antithétique, doux
et énergisant, ravive tous mes sens en même temps qu'il les apaise. Comme je
me dirige vers la salle du cours de traduction, par association d'idées, je
poursuis ma recherche lexicale en invoquant la langue de Shakespeare. Les
termes du chapitre 10 du livre de vocabulaire résonnent en moi, la « sorcellerie
évocatoire » de l'anglais fait son effet : "glare, gleam, glimmer"...
Je monte l'escalier de droite. Le rayonnement ensorcelant des chandeliers est
brusquement remplacé par une lueur crue, aseptisée, déconcertante. Les mots
continuent toutefois de danser dans mon esprit : "glint, glisten, glitter"... Toute
la journée, le souvenir de cette atmosphère, comme un effet de persistance
rétinienne, me poursuit. Ce n'est qu'une fois dans mon lit, sur le point de
m'endormir, que la maïeutique finit d'agir pour donner naissance à un moment
d'épiphanie : je vais étudier la traduction de la lumière dans les romans
gothiques. Moi qui ne suis pas mystique, j'ai l'impression que l'Université de
Strasbourg m'a, ce jour-là, soufflé mon sujet de mémoire. Un sourire éclaire
mon visage au moment où j'éteins la lampe. Demain, il fera sombre, il fera
froid, mais c'est très bien : la lumière n'en sera que plus belle.
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