Le cri du peuple _Fe..
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JEAN VAUTRIN Le cri du peuple Collection LIVRE DE POCHE 1999 Extraits Page 20 « - Elle a aussi été surinée. Avec un eustache virole. Deux vilains sétons en plein abdomen. - Alors, cette femme est une mal peignée ! C'est une biche ! Une passe-lacet, une pas grand-chose ! s'énerva subitement le commissaire. Peut-être même une retapeuse de barrière ! Et plusieurs souteneurs se sont acharnes sur elle ! Son regard de myope venait de croiser celui du lieutenant Desétoiles qui, poste en arrière-plan, lui adressait un reproche muet, au motif de l'avoir laisse tomber comme une vieille chaussette.» Page 37 « Cette femme lucide s'appelle Jeanne Couerbe. Elle s'écrie aussitôt : Il faut prévenir Louise! Elle dénoue son tablier. Elle a des yeux bleus (Mayes et intelligents dans un visage énergique. Son corps épuise par les grossesses est d'une maigreur a faire peur mais le frémissement de la lèvre indique une énergie capable de soulever les montagnes. - II faut prévenir Louise, répète-t-elle. Elle est de garde au Comite de vigilance! Elle saura quoi faire ! - Qu'est-ce qu'on a besoin d'une femme pour décider à notre place ? lui rétorque un nomme Abel Rochon. Jeanne lui fait face. Les autres se pressent pour écouter. » Page 38 « Maintenant ils sont bien une trentaine au pied de l'immeuble. Elle monte sur ses grands chevaux. Elle se dresse. Elle parait grandie, elle ameute les femmes qui restent encore à l’écart. - Vous êtes bien mal reconnaissantes ! leur reproche-t-elle. Qui a appris a lire a toute votre marmaille dans son école ? Qui vous a soutenues quand vous étiez en grève avec l'atelier des gants ? Qui a donne à manger a vos gosses pendant les mois terribles ? Qui a organisé les ateliers dans les mairies et partagé le travail et le profit entre les femmes ? C'est elle ! C'est elle ! C'est Louise Michel ! Et toi, Léonce, dit-elle en s'adressant a une veuve, tu as vite oublie que ta Marion lui doit son embauche ! Elle les défie — la mère, la fille. Serrées l'une contre I’ autre. Liées par la main. Les pique de ses yeux bleus qui lessivent les pleutres. » Pages 95-96 « Une grande fille brune avec un port de reine défait son chignon et dénude sa poitrine. Les gendarmes croisent les chassepots devant elle. N'importe ! Elle chante. Elle chante la Canaille que chanta avant elle Rosalie Bordas au lendemain de l'assassinat de Victor Noir. Elle s'appelle Gabriella Pucci mais tout le monde l'appelle Caf'conc. On la connait bien sur la Butte. C'est une chanteuse réaliste qui a tourné cocotte par amour des divans confortables garnis de velours incarnat. Elle est l'ornement, la femme entretenue, d'un caïd qui s'appelle Edmond Trocard. Elle chante haut et fort. Sa beauté plébéienne, la vérité charnelle de son corps, ses hanches faites pour enfanter, la sensualité de ses lèvres, son caractère affirmé font de cette belle aboyeuse le symbole de l'audace femelle. Elle se campe devant Lecomte, sangle dans sa vareuse, muré dans son orgueil de seigneur. La foule écoute la Pucci avec un frémissement d'enthousiasme et reprend en chœur le refrain qu'elle sert au général : Dans la vieille cité française, Existe une race de fer Dont l’âme comme une fournaise A de son feu bronzé la chair. Tous ses fils naissent sur la paille, Pour palais, ils n'ont qu'un taudis, C'est la canaille Eh bien, j'en suis ! Voila! Le dé en est jeté. Plus rien ne l'arrêtera : le peuple s'avance. Des mains d'un fédéré, un second drapeau se déroule. C'est le drapeau français. » Pages 280-281 « Elles. Elles, prêtes a se battre jusqu'à la dernière goutte de leur sang. Elles, en quête d'éternelle justice. Elles — dont c'est aussi la fête, ce jourd'hui. Femmes citoyennes. Femmes du Faubourg et de la Halle. Femmes des manufactures et des quartiers de misère de l'Est parisien. Femmes barricadières. Femmes de gardes nationaux à soixante-quinze centimes de subside par jour. Ambulancières, cantinières, employées des fourneaux et des hôpitaux, amazones rouges. Femmes en cheveux, en camisole à pois, en robes grises a volants noirs. Femmes nombreuses, femmes a châles, les cheveux relevés sur les tempes, un chignon aplati sur la nuque, femmes au cou blanc où pend une croix de chrysocale. Femmes guerrières — à tambour, à pistolets. Soldats en jupons, un petit chapeau sur les yeux, — mutines, zézayeuses, en écharpes rouges, la voix enfantine — femmes furies nues sous le caraco, jurant comme des chattes de gouttière, courant à la barricade, saoules de rhum et prêtes à mourir pour l'émeute. Femme a raison ! Le sang court ! Le sang ne fait qu'un tour. Quel beau coup de gueule, ce fameux cri du peuple ! Une immense rumeur rythme les poitrines. — Vive la Commune ! Vive la Sociale ! »