La construction du mur de Berlin vue par la presse romande

Transcription

La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
La construction
du mur de Berlin
vue par la presse romande
Travail de maturité effectué par Hadrien L’Hoste au gymnase de Auguste Piccard en
3M3 avec Daniel Pedrucci, novembre 2008.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION.............................................................................................................
PREMIERS MOTS .......................................................................................................................................................... 3
LE MUR ....................................................................................................................................................................... 3
PROBLÉMATIQUE ........................................................................................................................................................ 6
ANALYSE DES JOURNAUX...................................................................................................
LES JOURNAUX ............................................................................................................................................................ 7
LA MÉTHODE ............................................................................................................................................................... 7
LA FEUILLE D’AVIS DE LAUSANNE ............................................................................................................................... 8
Analyse................................................................................................................................................................... 9
L’ILLUSTRÉ ................................................................................................................................................................ 11
Analyse................................................................................................................................................................. 12
LA VOIX OUVRIÈRE .................................................................................................................................................... 14
Analyse................................................................................................................................................................. 15
L’ÉVÉNEMENT HISTORIQUE .................................................................................................
« QU’EST-CE QU’UN ÉVÉNEMENT HISTORIQUE »..................................................................................................... 18
IMPRÉVISIBILITÉ ....................................................................................................................................................... 20
INTENSITÉ ................................................................................................................................................................. 22
CONSÉQUENCES ........................................................................................................................................................ 26
RETENTISSEMENT ..................................................................................................................................................... 30
CONCLUSION ................................................................................................................
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................
ANNEXE 1 ....................................................................................................................
ANNEXE 2 ....................................................................................................................
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
2
Introduction
Premiers mots
Etant en classe de maturité bilingue, j’ai effectué un séjour linguistique en Allemagne. J’ai
donc passé trois mois à Berlin, ville que j’ai beaucoup appréciée. J’ai trouvé particulièrement
intéressant d’observer à quel point cette cité a été marquée par l’histoire, plus particulièrement
par celle du XXe siècle.
Elle a été, entre autre, le témoin de la fin de l’empire, des années folles, de la crise de 29, de la
montée du nazisme, des jeux olympiques de 36, des persécutions contre les juifs. Elle a été
bombardée et en grande partie détruite par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale,
puis divisée en quatre secteurs et occupée militairement à partir de 1945. La moitié de la
population de Berlin a connu ensuite le blocus organisé pas les Soviétiques (de 1948 à 1949).
Et pour finir de 1961 à 1989, elle a été coupée en deux de façon hermétique par un mur
jusqu’à la chute du régime communiste en République Démocratique Allemande.
Aujourd’hui, bien que Berlin soit entièrement reconstruite, elle garde encore les traces de son
passé à la fois récent mais qui, à bien des égards, peut paraître lointain. Elle est devenue une
ville moderne et dynamique.
Le Mur
"Personne n'a l'intention d'ériger un mur !" 1, voilà ce que déclarait en juin 1961, lors d’une
interview de presse, Walter Ulbricht2. A peine deux mois plus tard, le Mur de Berlin divisait
hermétiquement la ville en deux !
Habituellement, les murs servent à se
défendre d’une menace extérieure, mais
celui-ci n’est pas un mur comme les
autres : cette barrière a été érigée par les
autorités de la RDA pour « enfermer »
son propre peuple. En effet, les habitants
de l’Est, ceux de la RDA, mais aussi des
Figure 1 : ouvrier construisant le mur, 1962(les
sources des images se trouvent dans la bibliographie)
1
2
Tchèques et des Polonais, utilisaient
Berlin-Est comme point de passage vers
http://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_Ulbricht
Communiste allemand et chef du SED (Sozialitische Einheitspartei Deutschlands)
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
3
l’Ouest3 car le régime politique leur semblait meilleur, voire parfois simplement pour avoir
des conditions salariales plus élevées. La RDA fut donc contrainte d’ériger un mur pour
arrêter l’exil de sa population, retenant ainsi de force les habitants dans la partie communiste,
d’où l’expression : « le
Mur de la honte ». En
effet, les chiffres sont
éloquents : entre deux
et trois millions de
personnes ont quitté la
RDA depuis 19494,
causant un déséquilibre
économique important
à l’Est.5
Dans la nuit du 12 au
13 août 1961, les
Figure 2 : jeune homme construisant le mur, 1962
troupes de la RDA sont en effervescence : l’opération « muraille de Chine » est en marche.
Les soldats déroulent sur 167 km (à travers routes, forêts et rivières), des barbelés, des sacs de
sable et déjà quelques plaques de béton ; des soldats et des policiers se placent tout le long de
la frontière pour la surveiller. En une nuit, Berlin-Ouest est minutieusement encerclée. Les
passages entre les deux frontières sont réduits et les contrôles deviennent plus sévères. Le
gouvernement coupe les lignes de métro Est-Ouest. A ce moment, le mur ne dépasse guère un
mètre cinquante de haut. Cette barrière reste encore facilement franchissable, mais, au fil des
mois, sa hauteur augmentera et sa sécurité se renforcera et il deviendra ainsi quasi
infranchissable : des parois de béton remplaceront les barbelés et des miradors, des chemins
de ronde, des éclairages et des chiens de garde feront leur apparition. Le mur peut être
considéré comme achevé à partir des années 70.6
L’effet de surprise est total pour les Berlinois qui se réveillent le dimanche 13 août avec un
mur les séparant les uns des autres. La vie à Berlin était à nouveau calme depuis la fin de la
guerre. La ville était divisée en quatre secteurs et une frontière entre l’Est et l’Ouest existait
déjà, mais il était facile de la traverser car elle n’était quasiment pas gardée. C’est donc avec
3
Ils leur suffisaient de prendre le métro de Berlin-Est vers Berlin-Ouest ou même d’y aller à pied, cela n’était
pas d’une grande difficulté.
4
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mur_de_Berlin
5
BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin, Paris, Tallandier, 2001, chapitres introductif et VI.
6
BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin, Paris, Tallandier, 2001, chapitres I et VII.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
4
une certaine crainte que les Berlinois découvrent cet état de fait. Bien que les autorités de
l’Est n’en soient pas à leur première épreuve de force face au bloc de l’Ouest (les Berlinois de
l’Ouest se rappellent encore du blocus de 48-49 et du pont aérien7), celle-ci est
particulièrement étonnante. Nous sommes en pleine guerre froide : les relations entre l’Est et
l’Ouest étaient tendues, surtout à Berlin, où les deux régimes coexistaient dans une grande
proximité8. Le secteur Ouest est à présent interdit
à la population de la RDA, sauf autorisations
spéciales. De même, les Berlinois de l’Ouest, qui
encore quelques jours après la construction du
mur, avaient l’autorisation de se déplacer en
secteur oriental, ne peuvent plus se rendre à
présent chez leurs voisins de l’Est. Les soldats et
les étrangers peuvent circuler librement. A partir
du milieu des années soixante, il sera toutefois
possible pour les familles de l’Ouest de rendre
visite à des parents de l’Est durant la période de
Noël ou en cas de décès/maladie grave, mais de
manière limitée.9
Par ailleurs, Berlin-Ouest était utile aux habitants
de l’Est afin de sortir de temps en temps de la
RDA et d’acheter des denrées ou exercer des
loisirs qui n’étaient pas toujours disponibles à
l’Est. Des dizaines de milliers d’habitants de
Berlin-Est travaillaient à l’Ouest. Il y avait aussi
des habitants de l’Ouest qui exerçaient leur
Figure 3 : manifestations devant la porte
de Brandebourg, août 1961
profession à l’Est, mais ceux-ci étaient moins
nombreux. La fermeture de la frontière provoqua donc beaucoup de chômage et de
mécontentement.
7
Durant ces années là, la RDA a effectué un blocus visant à affamer Berlin-Ouest afin de pousser les Alliés à
conclure un traité de paix. Pour éviter que la population de Berlin ne meure de faim, les Alliés ont envoyé
régulièrement pendant plusieurs mois des denrées alimentaires à Berlin-Ouest par avion.
8
L’un des meilleurs ouvrages de synthèse sur le sujet en langue française est celui de Fontaine, A.,
La guerre
froide 1917-1991, Paris, Points Seuil, 2001, 572 pages. Egalement : Collectif, « 1947 : le monde entre dans la
guerre froide », in Les collections de l’Histoire, n°209, avril 1997, pages 20 à 47 et Collectif, « Le siècle
communiste », in Les collections de l’Histoire, n°223, juillet-août 1998, pages 8 à 112.
9
BRIGOULEIX, B.,
1961-1989 Berlin , Paris, Tallandier, 2001,
chapitre VIII et
également
http://mediaplayer.archives.tsr.ch/unjour-berlin/3.rm
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
5
On s’étonna, on s’indigna, on manifesta.
« Es gibt nur ein Deutschland ! »,
« Deutschland einig Vaterland ! »,
« Deutschland bleibt deutsch ! »10. Certains
tentèrent encore de s’échapper, mais il était
trop tard : un nouveau rideau de fer venait
de s’abattre sur Berlin. Les Berlinois
devront s’habituer à vivre avec le mur.
Ce mur ne tombera que 38 ans plus tard et
aura provoqué la mort de plusieurs
centaines, voire de milliers de personnes (il
n’y pas de chiffres exacts) et la séparation
de nombreuses familles ; il sera aussi le
théâtre d’extravagantes évasions et aura
transformé à jamais le visage de la ville de
Berlin11.
Problématique
Figure 4 : ligne de soldats devant la porte de
Brandebourg
Mon intérêt pour le Mur de Berlin s’est
focalisé sur le moment de la construction
du mur (la nuit du 12 au 13 août 1961). J’ai ensuite opté pour un regard particulier, à savoir,
celui de la presse lausannoise, voire romande. Que pensait cette presse au sujet du mur ?
Comment le voyait-elle ? Et comment la presse a-t-elle rapporté l’événement ? Une autre
question a retenu mon attention. L’érection du Mur de Berlin peut-elle être considérée comme
un événement historique d’après la presse romande ? Et d’ailleurs qu’est ce qu’un événement
historique ? La démarche de mon travail est expliquée avec plus de précision dans le chapitre
suivant.
10
11
BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin, Paris, Tallandier, 2001, page 43
C’est en tout cas ce que je ressens après y avoir vécu trois mois.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
6
Analyse des journaux
Les journaux
La presse suisse romande dans les années soixante comptant de nombreux journaux12, j’ai
décidé de restreindre leur nombre à trois. Ceux-ci sont : la Feuille d’Avis de Lausanne,
L’Illustré, et La Voix Ouvrière. Chacun a ses propres particularités politiques et idéologiques.
Mes principaux critères pour les différencier sont leur tendance et leur périodicité. En effet,
les deux premiers ont des tendances plutôt de droite, quant au dernier, c’est un journal
communiste qui, dans le contexte de la Guerre froide, peut se révéler très intéressant.
L’Illustré est le seul hebdomadaire, les deux autre sont des quotidiens.
La méthode
Pour effectuer mon travail, je me suis tout d’abord rendu aux Archives de la Ville de
Lausanne pour visualiser des archives de journaux écrits et à la Bibliothèque Cantonale
Universitaire pour les documents microfilmés.
Mon travail est séparé en deux parties distinctes : une première partie comportant l’analyse
des journaux et une deuxième avec l’étude de l’événement historique. J’ai commencé par
dépouiller les articles des trois journaux jusqu’à ce que le mur de Berlin ne soit plus vu
comme un sujet de première importance ou n’apparaisse plus du tout dans le journal. Chaque
journal a donc été dépouillé sur une durée différente. Comme la construction du mur a
commencé durant la nuit du samedi 12 août au dimanche 13 août 1961, et que la plupart des
journaux ne publient pas le dimanche, mon analyse commence à partir du lundi 14 août à
l’exception de L’Illustré qui est un hebdomadaire qui paraissait le jeudi. Après avoir épluché
mes trois journaux, j’ai pu effectuer mon analyse pour chacun des journaux séparés.
Ensuite, pour la deuxième partie de ma problématique, je me suis confectionné une grille
d’analyse, exposée en annexe13, afin d’effectuer l’étude de l’événement historique. Pour ce
chapitre, les trois journaux ont été analysés ensemble, les critères primant sur les différents
journaux. Etant donné que les conséquences de l’événement ne peuvent pas toujours se
vérifier tout de suite, j’ai décidé de prendre un article exactement un an après sa construction
et un sur le célèbre discours de Kennedy le 26 juin 1963 lors de sa visite à Berlin.
12
Je suis dans l’incapacité de fournir un nombre exact, malgré des mails envoyés à l’ASSP (Association des
Sociétés Suisses de Publicité) et à la Presse Romande. Mes questions à leur adresse sont restées sans réponses.
13
Voir annexe 1 à la page 34.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
7
La Feuille d’Avis de Lausanne
La Feuille d’Avis de Lausanne14 est l’actuelle 24 Heures. Elle a été créée en 1762 par David
Duret, ce qui en fait le plus vieux quotidien vaudois. Jusqu’en 1850, la FAL est un
hebdomadaire d’avantage considéré comme une feuille d’annonces qu’un véritable journal.
Dès 1851, la FAL paraît deux fois par semaine et, en 1863, trois fois par semaine. Ce n’est
qu’en 1872 qu’elle devient un quotidien (à l’exception du dimanche) et un véritable journal.
La FAL prendra le nom de 24 Heures le 10 avril 1972. Dans les années soixante ce journal
avait un tirage de 80’000-90’000 exemplaires. La FAL est un journal populaire et très répandu
comportant des chroniques diverses (sport, art, agriculture, etc.), ainsi qu’un bulletin politique
quotidien réputé pour sa clarté et sa fiabilité. On y trouve aussi une page pour les femmes et
une pour les enfants. Ce journal s’adresse donc à un large public. Il s’occupait prioritairement
de l’information vaudoise et tenait à rester neutre. La FAL était composée en grande partie de
publicités (présentes même sur la première page jusqu’en 1962). C’était le journal idéal pour
les petites annonces. De 1959 à 1970, Pierre Cordey (1918-1981), le successeur du célèbre
Otto Treyvaud, en fut le rédacteur en chef15.
J’ai dépouillé les articles dans la FAL du lundi 14 août 1961 jusqu’au 29 septembre de la
même année, ce qui est une durée plus étendue que pour les deux autres journaux. La
première page de la FAL contenait beaucoup de publicités, l’événement ne figure donc pas à
la une. Ce journal possède en revanche une page « monde » en fin de chaque exemplaire, où
des articles sur le mur paraissaient régulièrement. Pendant les premières semaines, deux
articles occupaient une grande partie de la page. Puis, ceux-ci diminuèrent de volume et de
fréquence, jusqu’à devenir quasi inexistants à fin septembre. La majorité des articles étaient
écrits par des agences de presse avec peu d’illustrations. J’en ai remarqué quelques unes dans
les grands articles, dont un publié le 14 août 1962 qui commémore le premier anniversaire du
« mur de la honte ». Puis le 26 juin 1963, la FAL parle de l’arrivée de Kennedy dans la
capitale et de son discours.
14
Désormais FAL
A.A.S.P., Catalogue des journaux suisses , Lausanne, 1975, page 197 ; BLASER, F.,
Bibliographie de la
presse suisse, Basel, Birkhäuser, 1956, page 42 ; BONARD, A., La presse vaudoise, Lucerne, société suisse
d’éditeurs de journaux, 1925, pages 82-83 ; SCHMUTZ, M., La presse vaudoise et la création de l’ONU,
Lausanne, 1989, pages 180-181 ; BOLLINGER, E., La presse suisse, Lausanne, éditions Payot, Lausanne, 1986,
pages 7 et 56 ; CHUARD, J.-P., Une odeur d’encre, Lausanne, 24 Heures Imprimeries réunies S.A., 1986, page
116.
15
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
8
Analyse
La FAL est le journal parmi les trois qui parle le plus du sujet dans ses articles et qui
comptabilise le plus d’articles la dessus. La FAL est aussi le seul des trois journaux à publier
des articles avant la date du 13 août 1961. Néanmoins, on s’aperçoit que le journal est prooccidental, par exemple, il parle toujours du monde occidental comme du monde libre.
Contrairement aux deux autres journaux, la FAL tente néanmoins de maintenir une certaine
neutralité en faisant paraître de temps en temps l’opinion ou des notes du camp adverse. Il est
alors assez comique d’observer les deux avis divergents exposés dans un même article. En
effet, certaines notes de la RDA à l’adresse
des Occidentaux critiquent ouvertement
l’Ouest en décrivant, par exemple, leur
gouvernement comme « un régime périmé
d’occupation
qu’ils
maintiennent
artificiellement à Berlin-Ouest16 », ou lorsque
Kennedy arriva à Berlin, les soldats de l’Est
affichaient des panneaux où l’on pouvait lire
des critiques à l’adresse du président au sujet
de ses agissements. Un journal davantage prooccidental, comme L’Illustré, ne publierait
pas ces textes.
À l’inverse de L’Illustré, la F A L insère
beaucoup de citations, que ce soit celles
d’agences de presse ou celles d’hommes
politiques. Le journal cite donc beaucoup plus
ses sources, ce qui le rend plus sérieux et plus
Figure 5 : article du vendredi 18 août 1961 en
page 28 de la FAL
fiable. La page de la FAL ci-contre nous montre bien que le sujet occupe une place importante
(environ une bonne moitié de page).
La FAL insiste et s’intéresse plus sur les conséquences politiques en RDA ou dans les autres
pays concernés que L’Illustré. Le journal parle à plusieurs reprises des négociations entre
l’Est et l’Ouest et met aussi l’accent sur la violation du statut quadripartite par l’Etat de l’Est.
Il s’intéresse aussi davantage aux réactions des pays concernés et à celles de leurs présidents
ou de leurs gouvernements. La FAL est le seul journal à parler de l’arrivée de Kennedy à
16
Tiré de l’article du 17 août 1961 en vingt-sixième page de la FAL, écrit par AFP-UPI.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
9
Berlin en juin 1963, c’est un événement politique d’une grande importance, alors que
L’Illustré n’en fait aucune allusion. La Voix Ouvrière publie un tout petit article qui déclare
que le président est venu faire de la propagande à Berlin. La FAL est donc bien un journal
politique.17
La FAL est donc le journal de ma panoplie le plus au centre (politiquement parlant). Il peut
être considéré comme un vrai journal d’information et non comme un journal propagandiste
ou de style people.
17
J’ai du divisé mon analyse en deux parties pour que cela corresponde mieux à ma problématique : une partie
strictement analytique et une autre qui me permet de déterminer si la construction du mur peut être considérée
comme un événement historique. Il ne me fut cependant pas facile de différencier exactement les deux. C’est
pourquoi une lecture d’ensemble fournira tous les éléments utiles à la bonne compréhension de mon travail.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
10
L’Illustré
L’Illustré est un journal hebdomadaire qui paraissait chaque jeudi. Il comportait beaucoup de
publicités et de photographies. Contrairement aux autres journaux, certaines images étaient en
couleur. De plus, la plupart des publicités s’adressaient aux femmes (soutien-gorge, poudre à
lessive, culotte, produits nettoyants, etc.) et des romans feuilletons à l’eau de rose. L’Illustré
était-il donc un journal féminin ? Aujourd’hui c’est en tout cas un journal familial.
Contrairement aux autres, L’Illustré réalisait des interviews et insérait des dialogues dans ses
articles. Il comportait aussi plus de pages que les autres journaux. En effet, certains
exemplaires excédaient parfois les cents pages !
Il est difficile de classer précisément L’Illustré sur le plan politique. Mais au fil des articles et
de l’analyse, on peut déduire que le journal est pro-occidental. J’approfondirai ce point dans
mon analyse à la page suivante.
L’Illustré est un journal qui informait par des images et des interviews, à l’instar des
magazines people. La première page de L’Illustré était constituée d’une simple photo en
couleur en rapport avec un article du journal, mais le mur de Berlin n’était représenté sur
aucune de celle-ci. Il possédait, comme la FAL, une dépêche « monde » qui paraissait dans
chaque édition. Tous les articles sont écrits par la main d’un journaliste. J’ai dépouillé ce
journal du jeudi 17 août jusqu’au 28 septembre 1961. Les articles sont moins nombreux que
dans la FAL : deux grands articles les deux premières semaines, puis deux petits sans grande
importance et, enfin, un dernier sur les évasions. A partir de là, je n’ai plus remarqué d’article
sur le sujet. En revanche, les articles de L’Illustré sont beaucoup plus grands que ceux de la
FAL. En effet, la plupart comportent trois pages accompagnées par de nombreuse de photos.
Le journal fit paraître un article fêtant le premier anniversaire du Mur de Berlin le 9 août
1962. En revanche, il ne mentionna pas l’arrivée de Kennedy, ni son discours.18
18
Je suis dans l’incapacité de citer la date de création du journal, ni le nom du rédacteur en chef dans les années
soixante, en dépit des mails envoyés à L’Illustré. Mes questions à ce sujet sont restées sans réponses.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
11
Analyse
L’Illustré présente l’affaire d’une manière bien différente de la FAL. Il prend l’événement
beaucoup plus à la légère. En effet, ce journal n’utilise pas le même ton. Par quelques
commentaires, on peut se rendre compte que le journal est plutôt en faveur de l’Ouest : « le
gouvernement fantoche de Pankow », « Ulbricht de malheur », « Ulbricht et ses
marionnettes ». Ces petites remarques placent le journal dans un « camp » donné : les
Occidentaux19.
L’Illustré ajoute des petites touches d’humour telles que : « seul les lapins sont contents
depuis la construction du mur20 », en effet les Berlinois ne font plus de battues dans le
Tiergarten depuis le bouclage de la frontière. On ne trouve pas ce genre d’humour dans les
autres journaux. Un autre
clin d’œil amusant : le fait
que l’Etat de l’Est fasse
offrir des bouquets de fleurs
aux soldats en garnison au
pied du mur avec la mention
suivante : « De la population
de l’Est, reconnaissante à
ses soldats21 ». Ce n’est pas
ce genre d’anecdotes que
nous pourrions trouver dans
Figure 6 : article du jeudi 28 septembre 1961 en page 36 de l’Illustré
la FAL.
Toujours en comparaison
avec ce même journal, L’Illustré insère beaucoup plus d’images (qui sont d’ailleurs de très
bonne qualité) dans ses articles. La figure 6 nous montre bien à quel point l’image à une place
importante dans le journal. Il ajoute aussi des dialogues (à mon sens fictif) et des interviews.
Le journal essaie de toucher le lecteur par ses images dont beaucoup représentent des civils au
pied du mur, des soldats surveillant la frontière, la porte de Brandebourg, des tanks et le mur
lui-même. Les témoignages et interviews sont aussi censés rapprocher les lecteurs de
l’événement. Qui d’autre peut mieux décrire la situation à Berlin que ses habitants ? L’Illustré
19
Expressions tirées de l’article du 17 août 1961 à la troisième page de L’Illustré, écrit par W.A.
Tiré de l’article du 24 août 1961 à la troisième page de L’Illustré, écrit par Charles Montais.
21
Tiré de l’article du 24 août 1961 à la troisième page de L’Illustré, écrit par Charles Montais.
20
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
12
est donc un journal plus proche de son public que la FAL. En revanche, L’Illustré ne cite pas
autant les agences de presse ou les personnes importantes comme la fait la FAL.
Pour résumer, L’Illustré présente l’érection du mur de manière plus simple que la FAL. De
plus, bien que les deux journaux rapportent un peu près les mêmes genres d’informations, la
manière dont L’Illustré explique et expose le fait, est totalement différente de celle de la FAL.
En effet, L’Illustré insère des plaisanteries, des images et des interviews, ce que la FAL ne fait
pas.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
13
La Voix Ouvrière
La Voix Ouvrière, créée le 18 août 1944 par le Parti ouvrier, est un journal avec des
tendances de gauche très prononcées. Il était financé par les abonnements, les ventes, la
publicité et les dons des sections du Parti suisse du travail22.
D’abord hebdomadaire, il devient quotidien (excepté le dimanche) dès le 6 avril 1945. Son
aire de diffusion s’étend principalement de Lausanne à Genève. Peu volumineux, (entre 4 et 8
pages), il possède une présentation moderne et claire et des rubriques bien délimitées (la Une,
Lausanne, Genève, monde, sport…). En revanche, il ne possède aucune illustration. Ses
tendances politiques se ressentent fortement dans l’ensemble des articles qui sont, pour la
plupart, écrits par la main d’un journaliste et dans quelques rares cas pas une agence de
presse. Son rédacteur en chef et fondateur fut Léon Nicole (1887-1965), homme politique et
l’un des fondateurs, puis président du Parti suisse du travail.
En 1996, la Voix Ouvrière prend le nom de Gauchebdo et reste l’un des rares journaux
romands nettement engagés à gauche. 23
22
On aurait pu croire que le journal était financé par des fonds provenant du Parti communiste soviétique pour
en faire de la propagande, mais visiblement il n’en est rien, en tout cas selon les affirmations de Jérôme Béguin
rédacteur actuel de Gauchebdo. Echange de mail, août 2008.
23
BLASER, F., Bibliographie de la presse suisse , Basel, Birkhäuser, 1956, page 1073 ; SCHMUTZ, M,
La
presse vaudoise et la création de l’ONU, Lausanne, 1989, pages 172 et 185 ;
http://www.gauchebdo.ch/article.php3?id_article=387
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
14
Analyse
La Voix Ouvrière a un point de vue très différent aux deux autres journaux. En effet, ce
journal étant communiste, son opinion est radicalement différente de celle de la FAL ou de
L’Illustré.
Au lieu de parler directement du mur dans ses articles, comme le font les deux autres
journaux, La Voix Ouvrière critique
ouvertement et avec force le régime de
l’Ouest et considère les Occidentaux
comme responsables de la crise qui se
passait à ce moment-là à Berlin. La
figure 7 représente le premier article sur
le mur de Berlin apparu dans la Voix
Ouvrière (en haut au centre). Le journal
lui réserve une place minime en dernière
page du numéro. Il décrit l’édification
du mur, en citant Tass24, comme « des
mesures prises pour protéger les ouvriers
de la RDA contre les activités hostiles
des forces revanchardes et militaires de
l’Ouest25 ». La RDA s’est sentie obligée
d’ériger ce mur à cause des provocations
de l’Ouest. La Voix Ouvrière poursuit en
Figure 7 : article du lundi 14 août 1961 en page 4 de la
Voix Ouvrière
déclarant que les dirigeants de Bonn
sont
tous
des
revanchards,
des
provocateurs et des anciens nazis26 qui
rêvent de dominer le monde à nouveau.
Le journal accuse l’Ouest de sabotage et
24
La principale agence de presse russe.
Tiré de l’article du 14 août 1961 en page quatre de La Voix Ouvrière et écrit par ATS et AFP (cet élément qui
peut paraître étrange sera repris en page 20 note 35).
26
Ce qui n’est pas faux. La RFA, avec le soutien américain a réintégré nombre d’anciens cadres nazis dans la
RFA naissante. D’ALMEIDA, F., La vie mondaine sous le nazisme, Paris, Perrin, 2008, page 412 et JUDT, T.,
Après guerre, une histoire de l’Europe depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2007, chapitre : châtiment,
particulièrement pages 67 à 82.
25
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
15
d’espionnage27. Berlin-Ouest y est décrit comme un monstre, un marché aux esclaves où les
citoyens sont exploités, une vitrine du monde libre où vivent les impérialistes occidentaux, et
un Etat dirigé de force par Adenauer et des anciens généraux nazis. Berlin-Est est, pour le
journal, « la plus hallucinante absurdité depuis la guerre28 ». C’est aussi un foyer de braises et
de tisons où la guerre froide et une situation explosive sont maintenues artificiellement par
Bonn. Le gouvernement de cette capitale est d’ailleurs décrit comme un régime périmé
d’occupation conservé artificiellement à l’Ouest.
Il ajoute le fait que Bonn sape la
population de l’Est grâce à de la
fausse propagande diffusée à
Berlin-Ouest et que cela mine
l’économie de la RDA (qui était
classée dans le top 5 des meilleurs
Etats industriels). La
Voix
Ouvrière va jusqu’à attaquer la
CIA en déclarant qu’elle organise
des évasions à l’Ouest en appâtant
des habitants de l’Est avec des
lettres, puis en les aidant à
s’évader
pour
ensuite
les
« stocker » dans des centres de
réfugiés où ils étaient mal nourris
et mal logés et où ils resteraient
parfois jusqu’à leur mort. Cette
hypothèse est soutenue par des
Figure 8 : article du mercredi 16 août 1961 en page 1 de la
Voix Ouvrière
témoignages et par le journal
parisien non communiste : Le
Combat. La page de journal ci-
contre nous montre l’article de la Voix Ouvrière sur la CIA (des réfugiés ? Oui…mais
pourquoi). Le journal n’hésite pas à le mettre à la une et à lui faire occuper une grande partie
de l’espace de la première page (l’article continue même en page 3).
27
28
Ce qui n’est pas faux non plus. En effet, il existait de nombreux réseaux d’espionnage implantés à l’Est.
Tiré de l’article du 17 août 1961 en première page de La Voix Ouvrière.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
16
En bref, La Voix Ouvrière est un journal atypique qui non seulement ne parle presque pas du
mur, mais de plus retourne la situation pour attaquer et critiquer les Occidentaux. Il arrive a
détourner les informations afin de nous faire croire que le monde occidental est coupable de
ce qui se passe à Berlin.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
17
L’événement historique
« Qu’est-ce qu’un événement historique »
Pour cette partie de l’analyse, je me suis basé sur un article de Michel Winock, un historien
français, professeur à l’université de Paris et le fondateur de la revue L’Histoire qu’il crée en
1978.29
Les critères
Michel Winock tente d’éclaircir la notion d’événement historique dans cet article30. Pour ce
faire, il se base sur une grille de critères à appliquer à un événement pour en conclure si on
peut le considérer comme historique ou non.
Les quatre critères retenus par l’auteur sont les suivants : conséquence, imprévisibilité,
intensité et retentissement.
Imprévisibilité : « le prévisible ne fait pas événement31 », un événement historique ne peut en
être un que s’il surprend, bouleverse et trouble. Les véritables événements historiques
chamboulent nos idées, nos opinions et nous plongent dans le désarroi, certains même nous
choquent. L’événement surprend encore plus si on le croyait impossible.
L’assassinat de Kennedy était une chose inconcevable pour le monde occidental. Qui aurait
pu croire, dans le public en général, qu’on veuille tuer ce jeune président ? C’était tout
simplement impossible et inimaginable.
Intensité : le nombre de victimes, les partis pris en cause, la portée de destruction de
l’événement, son ampleur (géographique ou politique) : tous ces facteurs prennent leur
importance pour déterminer l’intensité de l’événement. Celui-ci doit être presque quantifiable.
Mais ce ne sont pas les seules raisons, les lieux géographiques et politiques jouent ici aussi un
grand rôle.
29
http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Winock
WINOCK M., « qu’est ce qu’un événement ? », in Les
collections de l’Histoire , n° 268, septembre 2002,
pages 32 à 55.
31
WINOCK, M., « Qu’est ce qu’un événement ? », in
Les collections de l’Histoire , n° 268, septembre 2002,
page 34.
30
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
18
En voici un exemple : la bataille de Stalingrad durant la Seconde Guerre mondiale a fait des
centaines de milliers de mort (des deux côtés) et a été extrêmement éprouvante pour les
soldats. Elle impliquait deux des plus grandes puissances de l’Europe à l’époque : les
Allemands face aux Soviétiques. Des centaines de personnes attendaient en écoutant leur
radio le déroulement de la bataille, qui a été l’un des tournants de la Seconde Guerre
mondiale.
Conséquence : quelles ont été les conséquences, la portée de l’événement ? Qu’a-t-il apporté
ou créé de nouveau ? L’événement a, d’un côté, une force de destruction et, d’un autre côté
une force de création, il est obligé de créer une rupture pour amener une nouveauté. Un
événement ne peut être considéré comme tel que s’il crée. S’il ne fait que détruire, il n’en est
pas un. Il doit apporter une transformation. C’est grâce à ses conséquences qu’un événement
perdure à travers le temps, s’il n’en a aucune, il sera vite oublié. La plupart du temps, les
conséquences ne peuvent se vérifier que quelques mois, voire quelques années plus tard après
l’événement lui-même. Il ne faut donc pas juger un événement trop vite.
La découverte de l’Amérique, par exemple, aura provoqué la destruction de civilisations ; des
milliers de morts. Cet événement aura des conséquences majeures pour l’ancien monde, mais
aussi pour l’Afrique et le monde musulman, mais il faudra du temps pour vraiment les
apprécier.
Retentissement : plus l’événement parvient à un grand nombre de personnes, plus il prend de
l’importance. Les médias de masse d’aujourd’hui y contribuent largement. La presse, la radio
et la télévision nous permettent de suivre l’actualité mondiale quasiment instantanément.
L’attentat du 11 septembre 2001 est un excellent exemple de retentissement. Des millions de
personnes ont pu suivre, quasi en direct, la course folle des deux avions sur leur télévision. La
nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et a ainsi eu un énorme retentissement.
Des millions de personnes gardent ainsi ce souvenir dans leur mémoire (aujourd’hui encore,
la plupart des personnes sont capables de se rappeler ce qu’ils faisaient à l’instant où ils ont
appris l’événement).
J’ai décidé de faire usage de la grille d’interprétation de Winock pour le mur de Berlin et c’est
à l’aide des ces quatre critères répertoriés sous la forme d’une grille d’analyse exposée en
annexe que je présenterai les résultats de mon travail.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
19
Imprévisibilité
Des articles sur Berlin apparaissent déjà dans la FAL avant la nuit du 12 au 13 août 1961. En
effet, le problème n’est pas nouveau : « le ver est dans la pomme depuis 13 ans32 », à savoir
depuis la séparation de l’Allemagne en deux Etats : la RDA et la RFA en 1949. Mais durant
cette fameuse nuit, « la crise est entrée dans une phase active33 », en quelques heures la
situation à Berlin a changé.
D’ailleurs la F A L utilise à
quelques reprises le terme de
« coup de théâtre » de la part de
l’Est. Une expression qui signifie
un retournement brusque de
situation, une arrivée brutale
d’un
événement.
Le
mot
« rideau » (de fer) complète cette
métaphore.
On pourrait donc croire que cet
événement fut assez inattendu
Figure 9 : maisons détruites qui gênaient l’avancée du mur
pour les Berlinois. Pourtant, dans un article datant du 1er septembre 1961 (soit presque un
mois après l’érection du mur), un journaliste écrit que la population de Berlin savait que la
RDA était sur le point de verrouiller la frontière et qu’elle n’a même pas été surprise par ces
mesures. Dans le même article, une autre personne prétend que la population occidentale ellemême le savait aussi, mais n’a pas réagi en conséquence.
En revanche, dans L’Illustré, l’imprévisibilité n’a pas été au rendez-vous. En effet, ce journal
étant un hebdomadaire, il sortait cette semaine-là le 17 août, soit quatre jours après
l’édification du mur ! Les gens ont donc eu le temps d’être informé par d’autres journaux qui
étaient, eux, des quotidiens. Mais cela n’a pas empêché les journaliste d’être surpris par ce qui
arrivait.
Néanmoins L’Illustré décrit la construction de cette nouvelle frontière comme des mesures
« improvisées34 » par l’Est, ce qui implique forcément une certaine soudaineté. Les gens sur
32
Tiré de l’article du 16 août 1961 en vingt-sixième page de la FAL, écrit par UPI.
Tiré de l’article du 14 août 1961 en vingt-deuxième page de la FAL, écrit par UPI – AFP – DPA.
34
Tiré de l’article du 17 août 1961 à la troisième page de L’Illustré, écrit par W.A.
33
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
20
place disaient ne pas trop savoir ce qui se passait. De plus, contrairement à la FAL, on ne
trouvait pas d’article dans L’Illustré sur la crise de Berlin avant la construction du mur durant
la nuit du 12 au 13 août 1961. C’est donc une rubrique toute nouvelle dans L’Illustré.
La Voix Ouvrière, elle aussi, ne parlait pas de Berlin avant la nuit du 12 au 13 août 1961. Le
lundi 14, le journal publie trois articles, dont deux à la une, parlant de Berlin. Pourtant, aucun
des ces trois articles ne parle du mur, ni même n’utilise ce mot ! Ils parlent d’un « danger
allemand » que personne ne veut croire, un « danger allemand » que la plupart des personnes
croient inventé et entretenu par Khrouchtchev, et qui, pourtant, selon La Voix Ouvrière existe.
Le journal parle aussi des frontaliers : des habitants de l’Est qui travaillent à l’Ouest, mais qui
profitent parfois de cet avantage pour prendre la fuite. Mais, dans aucun de ces articles, on ne
mentionne que la frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest vient de se fermer.
Dans le troisième article, qui paraît en page quatre (à savoir la dernière page du journal), le
journal parle du mur, mais il le fait de façon détournée. En effet, La Voix Ouvrière déclare
que « la RDA a établi aux frontières, le contrôle que tout état souverain exerce35 ». Le journal
considère donc l’érection de cette nouvelle frontière comme normale, voire banale, car, selon
lui, la RDA n’est pas le premier Etat à le faire. La Voix Ouvrière continue sur la même lignée,
en affirmant que « la population ne semble pas prendre la situation au tragique36 ». Donc,
d’après le journal, le peuple de Berlin accepterait ce mur sans réticence, ce qui n’est pas le cas
dans les deux autres journaux. D’ailleurs, La Voix Ouvrière poursuit, en citant Tass, qui dit
que « les ouvriers de la RDA ont accueilli et approuvé avec une grande satisfaction la
décision de Berlin-Est37 ».
35
Tiré de l’article du 14 août 1961 en page quatre de La Voix Ouvrière et écrit par ATS et AFP. Il est étonnant
de remarquer que ce sont des agences de presse suisse et française (non communistes) qui écrivent cela. Le
journal a peut-être subtilement coupé leurs propos au bon endroit pour se les approprier. Il en va de même pour
les notes 25, 36, 37, 57 et 58.
36
Tiré de l’article du 14 août 1961 en page quatre de La Voix Ouvrière et écrit par ATS et AFP.
37
Tiré de l’article du 14 août 1961 en page quatre de La Voix Ouvrière et écrit par ATS et AFP.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
21
Intensité
La FAL fera pendant longtemps paraître des articles sur cet événement. Jusqu’à fin août, deux
articles (de taille moyenne) sur le mur seront présents presque quotidiennement. Un
journaliste écrit d’ailleurs que « l’affaire de Berlin n’a pas laissé aux éditorialistes le loisir de
s’occuper d’autre chose38 ». Par la suite, les articles se feront moins fréquents et moins
volumineux, pour pratiquement disparaître vers fin septembre. En revanche, seuls quelques
articles sont agrémentés de photos (en noir et blanc).
Dans le premier article du lundi 14 août, la FAL décrit l’apparition du mur comme un petit
blocus (sans doute en souvenir du premier blocus de Berlin le 24 juin 1948) et les réactions
vont bon train de la part de l’Ouest. Les mesures prises par l’Est sont « draconiennes » selon
la FAL. La capitale, Bonn, les décrit comme « monstrueuses » voire comme « la succession
du régime hitlérien sur le sol
allemand39 ». Willy Brandt
40
les
considère comme « la faillite du
régime d’Ulbricht41 ». Un journaliste
va jusqu’à comparer Berlin-Est au
« plus grand camp de concentration
du monde42 ». De Gaulle, quant à
lui, prend cette attaque comme « un
nouvel acte de la tentative de
communisation du monde43 ». Le
journal
ne
s’approprie
pas
directement les commentaires, mais
les cite tout de même.
La FAL déclare être en face d’un
véritable problème juridique. Il ne
Figure 10 : grues installant des plaques de béton qui
constituent la grande partie du mur, début année 60
s’agit pas d’un simple petit problème
interne et les Alliés ont plusieurs possibilités pour le résoudre. La première est l’usage de la
force, ce qui est impensable car cela déclencherait inévitablement une Troisième Guerre
38
Tiré de l’article du 25 août 1961 en trente-quatrième page de la FAL, écrit par R.-O. Frick.
Tiré de l’article du 14 août 1961 en vingt-deuxième page de la FAL, écrit par UPI – AFP – DPA.
40
A ce moment maire de Berlin, qui deviendra par la suite chancelier.
41
Tiré de l’article du 14 août 1961 en vingt-deuxième page de la FAL, écrit par UPI – AFP – DPA.
42
Tiré de l’article du 21 août 1961 en vingt-huitième page de la FAL, écrit par Jean Gaud.
43
Tiré de l’article du 18 août 1961 en vingt-huitième page de la FAL, écrit par Intérim.
39
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
22
mondiale. La deuxième est d’effectuer un embargo économique, mais qui risque de poser
aussi problème à Berlin-Ouest. Reste alors la dernière solution, à savoir les négociations avec
l’Est, exactement ce que désirait Khrouchtchev44. Selon le journal, Khrouchtchev a eu ce qu’il
désirait, alors que les Alliés étaient dans le « pétrin ». Et le journal reprochera dans plusieurs
articles l’absence de réaction de l’Ouest face aux mesures arbitraires prises par l’Est. Le
peuple de Berlin-Ouest lui fait les mêmes reproches, « assez de paroles, nous voulons des
actes45 » déclarent-ils.
Pourtant, Konrad Adenauer46 affirme que la vraie crise n’a pas encore commencé et que tout
cela n’est qu’« un amuse bouche », écrit la FAL. En soit, il n’a pas tout à fait tort, car le
journal va, par la suite, décrire les nouvelles mesures que l’Est prend au fil des jours pour
continuer méthodiquement l’isolement de Berlin-Ouest : prise du métro, restrictions pour les
frontaliers qui habitent l’Ouest, mais travaillent à l’Est, diminution des points de passages
entre l’Est et l’Ouest, interdiction pour les Berlinois de l’Ouest de circuler à l’Est, sauf
autorisation spéciale et aussi la lente « construction d’une muraille de béton par une armée de
maçons47 ». Chacune de ces mesures, les Berlinois et la
FAL s’attendent à des réactions des
Alliés, mais aucunes ne viennent.
Quant à L’Illustré, celui-ci comporte beaucoup moins d’articles sur la construction du mur
que la FAL. Premièrement, parce qu’il s’agit d’un hebdomadaire, mais aussi parce que le
journal se lasse plus vite du sujet que la FAL. Deux grands articles font leur apparition les
deux premières semaines après l’érection du mur, suivis de deux petits articles, l’un narrant la
chronologie de la crise de Berlin, l’autre au sujet des élections qui se déroulent à Berlin. Fin
septembre, un article sur les évasions est publié et ce sera le dernier. Ce sujet n’aura donc pas
autant monopolisé ce journal que la FAL.
Le mur ou plutôt « son » mur (à Ulbricht) comme l’appelle l’Illustré est décrit comme « un
monument monstrueux de la bassesse humaine48 ». A partir du 24 août 1961, le journal parle
de véritable rideau de fer et prévient que chaque coup de feu peut déraper et déclencher une
guerre. La tension monte.
Fin septembre Berlin-Est est désert. Il n’y personne dans la rue. Berlin-Est est mort. Les gens
disent n’avoir aucune envie de sortir. L’Illustré insiste aussi sur l’ampleur de la propagande
44
Le Premier secrétaire du Parti Communiste de l’Union Soviétique
Tiré de l’article du 17 août 1961 en vingt-huitième page de la FAL, écrit par FAL – UPI – AFP – DPA.
46
A ce moment chancelier de l’Allemagne (RFA).
47
Tiré de l’article du 24 août 1961 en trente-sixième page de la FAL, sans auteur.
48
Tiré de l’article du 9 août 1962 à la deuxième page de L’Illustré, écrit par K. Zehlendorf.
45
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
23
communiste omniprésente, même jusqu’à l’Ouest (L’Est tente de faire passer des messages
propagandistes de l’autre côté du mur à l’aide de panneaux lumineux sur lesquelles on peut
lire des messages destinés aux gouvernements et à la population de l’Ouest). Les témoignages
des habitants expriment l’oppression.
L’Illustré présente les Berlinois impuissants, voire indifférents. De plus, il expose
l’impassibilité des Alliés face à ce coup monté de l’Est. Mais il dit les comprendre, car une
simple bévue de leur part pourrait entraîner une Troisième Guerre mondiale.
L’année d’après, dans un article commémorant le premier anniversaire du mur de Berlin
(l’événement a donc encore suffisamment d’importance pour faire parler de lui une année
après), le journal annonce que la situation n’a pas changé depuis son commencement le 13
août 1961, à part le fait que le mur n’a cessé de grandir. La force de l’événement est donc
encore intense. D’après L’Illustré, le mur n’est pas près de s’en aller. Le futur lui donnera
raison. En revanche, l’arrivé de Kennedy à Berlin et le discours qu’il y prononça n’a pas
donné lieu à un article dans L’Illustré. Sans doute l’hebdomadaire y prête moins d’attention
qu’un journal plus axé sur la politique comme la FAL.
Dans la Voix Ouvrière, le critère intensité est très différent comparé aux autres journaux. En
effet, comme dit plus haut, le journal parle extrêmement peu de la nouvelle frontière et d’une
façon détournée. Le mot « mur », par exemple, n’apparaît dans aucun de ses articles
(l’expression « rideau de fer » y apparaît une seule fois). Le nombre d’article est lui aussi plus
réduit que dans la FAL par exemple, et absolument aucune image ne montre les activités de
l’Est à Berlin.
Le journal tente de minimiser l’affaire, en déclarant par exemple que les récits de fuites sous
le feu des balles et sous les aboiements des chiens sont des hallucinations ou des histoires qui
proviennent de l’imagination des Américains49. La Voix Ouvrière explique que les évasions
ne sont pas toujours dues à la politique établie en RDA. Bonn déclare que 28% des évasions
sont dues à la politique et 9% aux persécutions. Le Daily Express (Grande-Bretagne) explique
que 4% sont dues à l’idéologie. Et, pour finir, le Manchester Guardian (Grande-Bretagne)
affirme que 30% des causes sont personnelles et que 30% sont dues à une fausse idée de
l’Ouest. La Voix Ouvrière déclare que les causes de fuites sont multiples et nombreuses.
Parmi celle-ci on trouve les familles séparées par la guerre et qui tentent de se ressouder, les
offres plus généreuses à l’Ouest qui attirent les spécialistes, le climat plus agréable à l’Ouest
49
On peut suivre cette idée de La Voix Ouvrière mais, néanmoins environ un millier de personnes sont morts en
essayant de le franchir ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Mur_de_Berlin
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
24
qui profite aux anciens nazis, les condamnés de l’Est qui fuient à l’Ouest, les jeunes en quête
d’aventure, les difficultés familiales et pour finir les fausses idées du monde de l’Occident
diffusées par l’Ouest lui-même.
Dans l’article du 17 août, La Voix Ouvrière inverse les rôles de manière très subtile en parlant
d’un exode vers l’Est. En effet, selon le journal, 1,2 million de personnes auraient quitté la
RFA pour passer à l’Est entre 1954 et 1960. La moitié serait des anciens habitants de la RDA
qui reviendraient dans leur patrie50. Le manque d’argent, les exceptions, la peur des
représailles et l’espoir d’une vie meilleure seraient les principales raisons pour lesquelles ils
ne reviennent pas tous en RDA, selon La Voix Ouvrière51.
50
Pour rappel, entre deux et trois millions d’habitants de l’Est ont quitté la RDA entre 1949 et 1960. Donc, aux
dires du journal, la moitié serait revenue.
51
Cette information est difficilement vérifiable. En effet, aucun livre que j’ai consulté sur le sujet ne mentionne
ce fait.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
25
Conséquences
La FAL déclare que le bouclage de la frontière provoqua à l’Est le mécontentement et
l’incompréhension des habitants face à tant de « stupidité ». A l’Ouest, la population craignit
un soulèvement. Durant les premiers jours qui suivirent la fermeture de la frontière, le journal
observe des tentatives de fuites de l’Est (pas seulement des habitants, mais aussi des soldats)
ou des passages en force à travers le mur ainsi que des manifestations à l’Ouest. L’Est répond
aux manifestants à l’aide de gaz lacrymogènes et de lances à eau. Il n’hésite donc pas à faire
usage de la force.52
Les Occidentaux réagissent
(l’une des seules réactions de
l’Ouest face aux mesures de
l’Est) en envoyant des renforts
armés le long de la frontière.
D’abord les Américains, puis les
Anglais et enfin les Français
envoient des soldats, des blindés
et d’autres véhicules à Berlin le
long de la ligne de démarcation
(autant pour parer à toute
invasion que pour protéger la
frontière, afin que les Berlinois
de l’Ouest ne s’approchent pas
trop près et ainsi éviter tout
accident). L’Est répond en
envoyant à son tour des troupes
en renforts. De part et d’autre du
Figure 11 : Kennedy à Berlin, juin 1963
mur, les soldats des deux camps
se font face. C’est le principe de
52
Article du 15 août 1961, page trente de la FAL, écrit par UPI-AFP-DPA.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
26
la Guerre froide, à savoir le fait de rassembler un maximum de troupes et d’armement des
deux côtés, sans qu’aucun des deux ne l’utilise car ils savent que le moindre coup de feu peut
dégénérer en guerre. L’Est et l’Ouest seront donc obligés de négocier.53
A partir du 18 août, le journal laisse entendre que la situation va se calmer et que les
négociations sont pour bientôt. Pourtant, aucun article sur l’aboutissement des négociations ne
paraîtra durant les semaines suivantes. En effet, les Alliés et l’URSS n’ont jamais réussi à se
mettre d’accord sur ce point jusqu’en 1990.
Une autre réaction de la part des Américains survient le 21 août : Lyndon Johnson54 est à
Berlin afin d’assurer le soutien américain à la population ouest berlinoise qui a dénoncé, à
plusieurs reprises, la mollesse des Occidentaux depuis les événements du 13 août.
Un an après, la situation n’a pas changé, le mur est toujours là. À l’occasion du premier
anniversaire du « mur de la honte », la sécurité a été renforcée, car la tension est montée les
jours précédents. Le jour même, des manifestations sont organisées à l’Ouest, au pied du mur.
L’Est riposte à coups de grenades lacrymogènes et de jets d’eau. Les Etats-Unis envoient
simplement des messages d’encouragement aux Berlinois de l’Ouest.55
L’Illustré, de son coté, s’intéresse moins aux faits politiques et aux négociations entre l’Est et
l’Ouest que la FAL. Il préfère mettre en avant la situation de la population et l’impression des
habitants de Berlin. La vie quotidienne est devenue à présent une aventure absurde et
dramatique pour les Berlinois, parmi lesquels ceux qui se trouvent du « mauvais » côté du
mur manquent de nourriture.
Le journal insiste aussi sur les évasions (un grand article de deux pages sur le sujet apparaît le
28 septembre) : des civils fuient Berlin-Est ainsi que des médecins et des VoPos56. Les deux
autres journaux y prêtent beaucoup moins d’attention. Le journal insère des interviews avec
des rescapés de l’Est qui décrivent leurs peurs et leurs craintes. Toute fuite réussie devient à
présent un exploit, car cela est de plus en plus difficile. L’Illustré mélange à l’article les
photos des fuites héroïques et les héros qui les ont accomplies avec leurs témoignages. En
faisant passer les rescapés de l’Est pour des héros, L’Illustré fait de la propagande pour le
monde occidental, alors que lui même critique celle de l’Est.
53
Articles du 14 août 1961, en page vingt deux de la FAL, écrit par UPI-AFP-DPA et du 19 août 1961, en page
trente deux de la FAL, écrit par FAL-UPI-AFP-DNP.
54
Le vice-président des Etats-Unis durant le mandat de Kennedy, et son successeur après son assassinat le 22
novembre 1963.
55
Article du 14 août 1961, en troisième page de la FAL, écrit par Reuter. On remarque que désormais la rubrique
monde ne se trouve plus tout à la fin du journal, mais a pris maintenant de l’importance est se situe dans les
toutes premières pages.
56
Volkspolizei, c'est-à-dire la police de l’Allemagne de l’Est.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
27
Le journal se plait aussi à décrire la surveillance des VoPos à l’Est et la progression de la
construction du mur. Il décrit l’atmosphère électrique et tendue, l’oppression est presque
palpable. Berlin-Est est devenue pour L’Illustré une immense prison. De plus, la ville entière
a perdu un morceau de sa liberté. Pour le journal, la RDA a perdu la face et a reconnu
l’impopularité du régime de l’Est.
Mais, plus optimiste, L’Illustré prévoit pour les mois à venir une accalmie et peut-être même
un traité de paix entre les deux blocs. Il imagine aussi un danger futur pour les habitants de
Berlin-Ouest, qui jusque-là n’avaient pas trop eu de problèmes. Pourtant, dans l’article du
premier anniversaire du mur, ces craintes semblent infondées. En effet, à part le renforcement
du mur, la chute du niveau de vie à l’Est (le journal le décrit comme une crise des années 40)
et des problèmes d’approvisionnement à l’Est, le mur n’a pas réussi à affecter l’Ouest comme
le désirait Nikita Khrouchtchev, afin de pousser les Occidentaux à établir un traité de paix. Le
mur est donc pour L’Illustré un échec, car, à l’exception d’avoir réussi à stopper l’exode
massif vers l’Occident, il n’a pas réussi à atteindre son autre objectif, celui de gêner l’Ouest.
D’ailleurs, même le premier objectif n’est pas complètement atteint; en effet il y a toujours
des évasions, certes moins nombreuses, mais le gouvernement de l’Est craint encore que des
civils ne s’enfuient à l’Ouest.
Pour la Voix Ouvrière, très terre à terre, la fermeture de la frontière implique, premièrement,
la séparation des deux populations habitant Berlin et la diminution des points de passage (la
célèbre porte de Brandebourg sera fermée le 15 août à cause des « provocations de
l’Ouest57 »). Puis viennent les menaces d’un embargo économique de la part d’Adenauer. La
Voix Ouvrière prenant cela comme de la provocation, rétorque que l’Ouest s’expose à de
« fâcheuses conséquences58 », sans les nommer plus en détail.
Mais la plus grande crainte pour le journal reste la possibilité d’une éventuelle Troisième
Guerre mondiale. En effet, selon La Voix Ouvrière, les Occidentaux ont pris Berlin comme
prétexte de guerre, mais cela ne sera pas le cas, car, d’après La Voix Ouvrière, « la raison
l’emportera sur la violence59 ». En effet, la RDA aurait fait « des propositions conciliantes et
pacifistes60 », mais la RFA les aurait purement et simplement rejetées. Depuis 1958, la RDA
désire un traité de paix pour faire de Berlin une ville libre et démilitarisée ajoute le journal,
mais l’Ouest a toujours refusé de signer. Walter Ulbricht déclare, lors d’un discours télévisé
57
Tiré de l’article du 15 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière, écrit par ATS et AFP.
Tiré de l’article du 16 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière, écrit par ATS et AFP.
59
Tiré de l’article du 17 août 1961 en première page de La Voix Ouvrière.
60
Tiré de l’article du 19 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière.
58
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
28
publié le 19 août dans le journal, avoir « arrêté l’incendie en train de s’allumer à Berlin61 » et
avoir « fourni une contribution à la paix internationale62 ». Ces mesures prises sont décrites
comme « correctes, rapides et couronnées de succès63 ».
Une autre conséquence principale est le renforcement militaire sur la frontière. Cette mesure
prise par les Américains, à savoir d’amener des renforts militaires à Berlin, est considérée
comme « un voyage de provocation64 ». De plus l’armée allemande étant en train de se
reformer, le journal considère que l’Est ne peut pas rester inactif face à ces provocations. Les
objectifs que voulaient atteindre les Occidentaux à Berlin n’ont pas été remplis, d’après La
Voix Ouvrière, à savoir faire de Berlin une ville dénazifiée, démocratisée, démilitarisée et
neutre. A partir du 25 août, le journal déclare que la situation s’est calmée et ajoute que
beaucoup de journaux suisses sont déçus car ils espéraient la guerre65.
Bien sûr, je n’ai pu trouver aucun article qui relate la première année de ce mur douze mois
plus tard, comme c’était le cas dans L’Illustré et la FAL. Le 26 juin 1963, paraît tout de même
un petit article en sixième page qui décrit l’arrivée de Kennedy à Berlin et son discours qui est
décrit comme étant de la propagande américaine. Le journal poursuit sur la même lignée en
répétant que la RFA est la cause des tensions en Europe.
61
Tiré de l’article du 19 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière.
Tiré de l’article du 19 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière.
63
Tiré de l’article du 19 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière.
64
Tiré de l’article du 21 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière, écrit par ATS et AFP.
65
On remarque quand même que ce n’est pas le cas des deux autres journaux analysés.
62
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
29
Retentissement
« L’affaire est internationale66 » écrit un journaliste (R.-O. Frick) de la FAL. En effet, les plus
grandes nations du moment sont concernées. Les Etats-Unis, l’Allemagne, la GrandeBretagne, la France et l’URSS. Les grands hommes du moment y prennent part : Kennedy, de
Gaulle, Khrouchtchev. La FAL les mentionne souvent. Ce même journaliste écrit, dans un
autre article, que « le mur a dangereusement aggravé la tension mondiale67 ».
D’un autre côté, la FAL écrit que les journaux et la radio du secteur communiste ne font
aucune allusion à ce qui vient de se passer. En revanche, le Neues Deutschland68 attaque les
Occidentaux en affirmant que ce sont eux qui ont verrouillé la frontière en direction de l’Est.
Les articles sur le sujet sont nombreux et volumineux. Ils paraissent dans un journal
énormément lu à l’époque par un public large et qui avait l’un des plus grands tirages du
canton.
Dans le cas de L’Illustré, le
retentissement n’est pas aisé
à observer, car il s’agit du
même problème que pour le
critère de l’imprévisibilité.
L’événement était déjà
parvenu
à
un
nombre
conséquent de personnes
lorsque l’article apparaît le
17 août. Et, contrairement à
Figure 12 : foule observant la construction du mur, milieu année 60
la F A L , ce journal ne
s’intéresse pas autant aux
réactions des pays concernés par l’événement, c'est-à-dire les Etats-Unis, la Grande-Bretagne
et la France. Il préfère parler de l’actualité sur place : les évasions, la pauvreté de l’Est et sa
propagande, des images du murs, etc.
Néanmoins, il mentionne l’arrivée de Lyndon Johnson à Berlin et les quelques réactions de
Konrad Adenauer et de Willy Brandt, mais sans entrer dans les détails.
66
Tiré de l’article du 16 août 1961 en vingt-sixième page de la FAL, écrit par R.-O. Frick.
Tiré de l’article du 26 août 1961 en quarante-deuxième page de la FAL, écrit par R.-O. Frick.
68
Journal de la RDA.
67
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
30
Lorsque, dans un article, L’Illustré se demandait ce qu’allait être la réaction des Alliés face à
l’Est, le journal ajoutait que « le monde entier se le demande ». Tout les pays sont donc
concernés par ce qui se passe. Ce n’est donc pas un problème à l’échelle régionale pour
l’Illustré, mais un problème planétaire.
Un an après l’érection de « cette nouvelle frontière », l’Illustré faisait paraître un article
dessus. Ce qui avait principalement changé depuis le début, c’était le tourisme. En effet, le
mur était devenu une attraction touristique. Des voyageurs du monde entier venaient le voir et
des marchands avaient installé leurs stands et vendaient des souvenirs. « L’horreur se vend
bien69 » comme disait l’Illustré dans son article. Mais les touristes revenaient rarement joyeux
de leur visite. Ce mur a donc déjà pris une ampleur mondiale un an seulement après sa
construction.
La Voix Ouvrière prend souvent à partie et cite de nombreux journaux provenant du monde
entier qui ne sont pas tous communistes. Le Combat, Daily Express, Manchester Guardian,
Financial Time, Die Welt, Frankfurter Allgemeine, Westfalische Runschau, New York Herald
Tribune, Dépêche du midi, Le Monde, Mirror, et la Pravda (en revanche celui-ci est
communiste) par exemple. On peut donc dire que l’événement est d’actualité un peu partout
sur le globe.
De plus, La Voix Ouvrière parle d’une éventuelle Troisième Guerre mondiale, qui comme son
nom l’indique serait un événement majeur d’une ampleur mondiale, comme les deux
dernières. Si ce n’est pire en raison du développement de l’armement nucléaire.
69
Tiré de l’article du 9 août 1962 à la deuxième page de L’Illustré, écrit par K. Zehlendorf.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
31
Conclusion
Premièrement les trois journaux présentés sont tous très différents les uns des autres, ce qui
nous donne à chaque fois un autre aperçu de la construction du mur. Nous avons d’un côté la
FAL, un journal sérieux qui expose l’événement de la manière la plus impartiale possible,
mais que l’ont sent quand même plutôt en faveur de l’Occident. Puis vient L’Illustré, avec des
images, des interviews, un journal qui est nettement plus en faveur des Alliés que la FAL, et
qui fait plus journal people que journal d’information. Et enfin, vient La Voix Ouvrière
absolument engagée du côté communiste, qui parle le moins possible du mur et qui critique
très ouvertement le monde occidental.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’événement historique, il faut répondre à la question
journal par journal. Pour la FAL, il ne fait aucun doute que l’érection du mur peut prétendre
au titre d’événement historique. Elle expose l’affaire en montrant bien la complexité de la
situation. L’Illustré, quant à lui, bien qu’il prenne l’événement moins sérieusement que la
FAL (en plaisantant par exemple), en fait tout de même un événement majeur, principalement
en montrant de nombreuses images sur le sujet. Pour finir, totalement à l’opposé, La Voix
Ouvrière fait de la construction du mur un non événement, cela signifie que pour eux cette
affaire est normal voire banal et ne mérite presque pas de figurer dans un article. De plus le
journal profite de cette histoire pour déclarer que le capitalisme est le pire régime politique et
le critique ouvertement dans la plupart de ses articles.
Un élément intéressant à mettre en évidence est celui de l’écriture de l’histoire. En effet,
comme j’ai pu le remarquer, il y a très peu d’informations écrites par La Voix Ouvrière qui
figurent dans un livre d’histoire, sur un site Internet ou dans un cours d’histoire. Il en va de
même pour les points de vue et les idées. Je n’ai jamais trouvé un livre, un site ou entendu un
professeur qui exposait les faits à la manière de La Voix Ouvrière. Au contraire, la plupart des
ouvrages parlent de l’histoire comme le faisait la FAL ou L’Illustré. C’est un point de vue
strictement occidental. Les Occidentaux ayant « remporté » la guerre froide, ils ont eu le
privilège d’écrire l’histoire, et ce à leur manière. C'est-à-dire qu’ils ont pu faire passer sous
silence des épisodes peu glorifiant. Et cela nous a très certainement influencé. L’histoire
aurait été complément différente si l’URSS l’avait écrite.70
Ici se termine mon travail. Et pourtant, il est loin d’être exhaustif. J’aurais volontiers
interviewé les journalistes qui ont écrit certains articles (si toutefois ils sont encore en vie) ou
70
VIDAL, D., « Commémoration ou transmission ? », in Manière de voir, n°82, août-septembre 2005, Pages
d’histoires occultées, Paris, Le Monde diplomatique, pages 94-95.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
32
bien des personnes qui, en 1961 lisaient ces journaux. Les réactions et les remarques de ces
gens auraient pu être intéressantes et auraient ajouté du dynamisme et de la vie dans ce travail.
Ce travail de maturité m’aura apporté plusieurs choses. D’abord à bien gérer mon temps pour
pouvoir à la fois écrire, faire des recherches et le concilier avec le travail scolaire. Il m’a aussi
appris à travailler dans les grandes bibliothèques universitaires et les archives, choses que je
ne faisais pas auparavant. La recherche et l’analyse des archives étaient un tout nouvel
exercice pour moi. Ce travail m’a aussi beaucoup apporté sur la compréhension de la presse
de l’époque. Les journaux d’aujourd’hui ont beaucoup changé, que ce soit au niveau de la
présentation ou de l’information. Par exemple, les journaux de l’époque s’intéressaient plus
aux événements de la région que à ceux dans le monde. Pour conclure, ce travail était un bon
aperçu des travaux plus complexes que l’on devra réaliser pour les études supérieures.
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
33
Bibliographie
Ouvrages généraux
A.A.S.P., Catalogue des journaux suisses, Lausanne, 1975, 224 pages
BAHNSEN, U. et, ZOLLING, H., Berlin, la nuit du mur, Paris, Robet Laffant, 1968, 248
pages
BENDER, P. PRAGAL, P. et SCREITER, H., 40 Jahre DDR, Hamburg, Stern-Bücher, 1989,
136 pages
BLASER, F., Bibliographie de la presse suisse, Basel, Birkhäuser, 1956, 1441 pages
BOLLINGER, E., La presse suisse, Lausanne, éditions Payot Lausanne, 1986, 192 pages
BONARD, A., La presse vaudoise, Lucerne, société suisse d’éditeurs de journaux, 1925, 100
pages
BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin, Paris, Tallandier, 2001, 217 pages
CHUARD, J.-P., Une odeur d’encre, Lausanne, 24 heures imprimeries réunies S.A., 1986,
204 pages
D’ALMEIDA, F., La vie mondaine sous le nazisme, Paris, Perrin, 2008, 529 pages
FONTAINE, A., La guerre froide 1917-1991, Paris, Points Seuil, 2001, 572 pages
FRAISSINIER, G., La chute du mur de Berlin à la télévision française, Paris, L’Harmattan,
2005, 273 pages
HILDERBRANDT, R., Cela c’est passé au mur, Berlin, Verlag Haus am Checkpoint Charlie,
2006, 230 pages
JUDT, T., Après guerre, une histoire de l’Europe depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2007,
1023 pages
PETSCHULL, J., Die Mauer, Hamburg, Stern-Bücher, 1989, 287 pages
SCHMUTZ, M., La presse vaudoise et la création de l’ONU, Lausanne, 1989, 249 pages
STEININGER, R., Der Mauerbau, München, Olzog, 2001, 411 pages
Articles
COLLECTIF, « 1947 : le monde entre dans la guerre froide », in Les collections de l’Histoire,
n°209, avril 1997, pages 20 à 47
COLLECTIF, « Le siècle communiste », in Les collections de l’Histoire, n° 223, juillet août
1997, pages 8 à 112
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34
VIDAL, D., « Commémoration ou transmission ? », in Manière de voir, n°82, août-septembre
2005, Pages d’histoires occultées, Paris, Le Monde diplomatique, pages 94-95.
WINOCK M., « qu’est ce qu’un événement ? », in Les collections de l’Histoire, n° 268,
septembre 2002, pages 32 à 55
Sites Internet
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil histoire du mur et noms propres, consulté en 08
http://mediaplayer.archives.tsr.ch/unjour-berlin/3.rm archive de la TSR, émission sur Berlin le
5 novembre 1964, consulté en avril 08
http://www.gauchebdo.ch/article.php3?id_article=387 archive de Gauchebdo, utile pour
l’histoire de ce journal, consulté en avril 08
Sources
Articles de journaux tirés de FAL du lundi 14 août 1961 au 29 septembre 1961, passim.
Articles de journaux tirés de La Voix Ouvrière du lundi 14 août 1961 au 10 septembre 1961,
passim.
Articles de journaux tirés de L’Illustré du jeudi 17 août 1961 au 28 septembre 1961 passim.
Images
Page
de
titre
: http://pagesperso-orange.fr/cchamorand/hist/images/1961.jpg VoPo
franchissant la ligne de démarcation mi août 1961.
Figure 1 : http://www.dubuiss5.perso.cegetel.net/1961-%20Construction%20du%20mur.jpg
Figure 2 : http://userpage.chemie.fu-berlin.de/bilder/13aug.gif
Figure 3, 4, 9 et 11 : HILDERBRANDT, R., Cela c’est passé au mur, Berlin, Verlag Haus am
Checkpoint Charlie, 2006, 230 pages.
Figure 5 : tiré de la FAL le vendredi 18 août 1961 en page 28.
Figure 6 : tiré de L’Illustré le jeudi 28 septembre 1961 en page 36.
Figure 7 : tiré de la Voix Ouvrière le lundi 14 août 1961 en page 4.
Figure 8 : tiré de la Voix Ouvrière le mercredi 16 août 1961 en page 1.
Figure 10 : http://www.hanisauland.de/img/db/berlinermauer_430_430_80.jpg
Figure 12 : http://jsphere.files.wordpress.com/2008/02/03_07_berlinermauer.jpg
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
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Annexe 1
Grille de lecture, presse
Journal :
Date article + titre:
Longueur article + n°de
page :
Auteur :
Images, cartes, etc. :
Contenu :
Résumé :
Résumé :
Résumé :
Autres :
Faits historiques
(Winock)
Imprévisibilité :
Intensité :
Conséquences :
Retentissement :
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