La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
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La construction du mur de Berlin vue par la presse romande
La construction du mur de Berlin vue par la presse romande Travail de maturité effectué par Hadrien L’Hoste au gymnase de Auguste Piccard en 3M3 avec Daniel Pedrucci, novembre 2008. TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION............................................................................................................. PREMIERS MOTS .......................................................................................................................................................... 3 LE MUR ....................................................................................................................................................................... 3 PROBLÉMATIQUE ........................................................................................................................................................ 6 ANALYSE DES JOURNAUX................................................................................................... LES JOURNAUX ............................................................................................................................................................ 7 LA MÉTHODE ............................................................................................................................................................... 7 LA FEUILLE D’AVIS DE LAUSANNE ............................................................................................................................... 8 Analyse................................................................................................................................................................... 9 L’ILLUSTRÉ ................................................................................................................................................................ 11 Analyse................................................................................................................................................................. 12 LA VOIX OUVRIÈRE .................................................................................................................................................... 14 Analyse................................................................................................................................................................. 15 L’ÉVÉNEMENT HISTORIQUE ................................................................................................. « QU’EST-CE QU’UN ÉVÉNEMENT HISTORIQUE »..................................................................................................... 18 IMPRÉVISIBILITÉ ....................................................................................................................................................... 20 INTENSITÉ ................................................................................................................................................................. 22 CONSÉQUENCES ........................................................................................................................................................ 26 RETENTISSEMENT ..................................................................................................................................................... 30 CONCLUSION ................................................................................................................ BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. ANNEXE 1 .................................................................................................................... ANNEXE 2 .................................................................................................................... La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 2 Introduction Premiers mots Etant en classe de maturité bilingue, j’ai effectué un séjour linguistique en Allemagne. J’ai donc passé trois mois à Berlin, ville que j’ai beaucoup appréciée. J’ai trouvé particulièrement intéressant d’observer à quel point cette cité a été marquée par l’histoire, plus particulièrement par celle du XXe siècle. Elle a été, entre autre, le témoin de la fin de l’empire, des années folles, de la crise de 29, de la montée du nazisme, des jeux olympiques de 36, des persécutions contre les juifs. Elle a été bombardée et en grande partie détruite par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, puis divisée en quatre secteurs et occupée militairement à partir de 1945. La moitié de la population de Berlin a connu ensuite le blocus organisé pas les Soviétiques (de 1948 à 1949). Et pour finir de 1961 à 1989, elle a été coupée en deux de façon hermétique par un mur jusqu’à la chute du régime communiste en République Démocratique Allemande. Aujourd’hui, bien que Berlin soit entièrement reconstruite, elle garde encore les traces de son passé à la fois récent mais qui, à bien des égards, peut paraître lointain. Elle est devenue une ville moderne et dynamique. Le Mur "Personne n'a l'intention d'ériger un mur !" 1, voilà ce que déclarait en juin 1961, lors d’une interview de presse, Walter Ulbricht2. A peine deux mois plus tard, le Mur de Berlin divisait hermétiquement la ville en deux ! Habituellement, les murs servent à se défendre d’une menace extérieure, mais celui-ci n’est pas un mur comme les autres : cette barrière a été érigée par les autorités de la RDA pour « enfermer » son propre peuple. En effet, les habitants de l’Est, ceux de la RDA, mais aussi des Figure 1 : ouvrier construisant le mur, 1962(les sources des images se trouvent dans la bibliographie) 1 2 Tchèques et des Polonais, utilisaient Berlin-Est comme point de passage vers http://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_Ulbricht Communiste allemand et chef du SED (Sozialitische Einheitspartei Deutschlands) La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 3 l’Ouest3 car le régime politique leur semblait meilleur, voire parfois simplement pour avoir des conditions salariales plus élevées. La RDA fut donc contrainte d’ériger un mur pour arrêter l’exil de sa population, retenant ainsi de force les habitants dans la partie communiste, d’où l’expression : « le Mur de la honte ». En effet, les chiffres sont éloquents : entre deux et trois millions de personnes ont quitté la RDA depuis 19494, causant un déséquilibre économique important à l’Est.5 Dans la nuit du 12 au 13 août 1961, les Figure 2 : jeune homme construisant le mur, 1962 troupes de la RDA sont en effervescence : l’opération « muraille de Chine » est en marche. Les soldats déroulent sur 167 km (à travers routes, forêts et rivières), des barbelés, des sacs de sable et déjà quelques plaques de béton ; des soldats et des policiers se placent tout le long de la frontière pour la surveiller. En une nuit, Berlin-Ouest est minutieusement encerclée. Les passages entre les deux frontières sont réduits et les contrôles deviennent plus sévères. Le gouvernement coupe les lignes de métro Est-Ouest. A ce moment, le mur ne dépasse guère un mètre cinquante de haut. Cette barrière reste encore facilement franchissable, mais, au fil des mois, sa hauteur augmentera et sa sécurité se renforcera et il deviendra ainsi quasi infranchissable : des parois de béton remplaceront les barbelés et des miradors, des chemins de ronde, des éclairages et des chiens de garde feront leur apparition. Le mur peut être considéré comme achevé à partir des années 70.6 L’effet de surprise est total pour les Berlinois qui se réveillent le dimanche 13 août avec un mur les séparant les uns des autres. La vie à Berlin était à nouveau calme depuis la fin de la guerre. La ville était divisée en quatre secteurs et une frontière entre l’Est et l’Ouest existait déjà, mais il était facile de la traverser car elle n’était quasiment pas gardée. C’est donc avec 3 Ils leur suffisaient de prendre le métro de Berlin-Est vers Berlin-Ouest ou même d’y aller à pied, cela n’était pas d’une grande difficulté. 4 http://fr.wikipedia.org/wiki/Mur_de_Berlin 5 BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin, Paris, Tallandier, 2001, chapitres introductif et VI. 6 BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin, Paris, Tallandier, 2001, chapitres I et VII. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 4 une certaine crainte que les Berlinois découvrent cet état de fait. Bien que les autorités de l’Est n’en soient pas à leur première épreuve de force face au bloc de l’Ouest (les Berlinois de l’Ouest se rappellent encore du blocus de 48-49 et du pont aérien7), celle-ci est particulièrement étonnante. Nous sommes en pleine guerre froide : les relations entre l’Est et l’Ouest étaient tendues, surtout à Berlin, où les deux régimes coexistaient dans une grande proximité8. Le secteur Ouest est à présent interdit à la population de la RDA, sauf autorisations spéciales. De même, les Berlinois de l’Ouest, qui encore quelques jours après la construction du mur, avaient l’autorisation de se déplacer en secteur oriental, ne peuvent plus se rendre à présent chez leurs voisins de l’Est. Les soldats et les étrangers peuvent circuler librement. A partir du milieu des années soixante, il sera toutefois possible pour les familles de l’Ouest de rendre visite à des parents de l’Est durant la période de Noël ou en cas de décès/maladie grave, mais de manière limitée.9 Par ailleurs, Berlin-Ouest était utile aux habitants de l’Est afin de sortir de temps en temps de la RDA et d’acheter des denrées ou exercer des loisirs qui n’étaient pas toujours disponibles à l’Est. Des dizaines de milliers d’habitants de Berlin-Est travaillaient à l’Ouest. Il y avait aussi des habitants de l’Ouest qui exerçaient leur Figure 3 : manifestations devant la porte de Brandebourg, août 1961 profession à l’Est, mais ceux-ci étaient moins nombreux. La fermeture de la frontière provoqua donc beaucoup de chômage et de mécontentement. 7 Durant ces années là, la RDA a effectué un blocus visant à affamer Berlin-Ouest afin de pousser les Alliés à conclure un traité de paix. Pour éviter que la population de Berlin ne meure de faim, les Alliés ont envoyé régulièrement pendant plusieurs mois des denrées alimentaires à Berlin-Ouest par avion. 8 L’un des meilleurs ouvrages de synthèse sur le sujet en langue française est celui de Fontaine, A., La guerre froide 1917-1991, Paris, Points Seuil, 2001, 572 pages. Egalement : Collectif, « 1947 : le monde entre dans la guerre froide », in Les collections de l’Histoire, n°209, avril 1997, pages 20 à 47 et Collectif, « Le siècle communiste », in Les collections de l’Histoire, n°223, juillet-août 1998, pages 8 à 112. 9 BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin , Paris, Tallandier, 2001, chapitre VIII et également http://mediaplayer.archives.tsr.ch/unjour-berlin/3.rm La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 5 On s’étonna, on s’indigna, on manifesta. « Es gibt nur ein Deutschland ! », « Deutschland einig Vaterland ! », « Deutschland bleibt deutsch ! »10. Certains tentèrent encore de s’échapper, mais il était trop tard : un nouveau rideau de fer venait de s’abattre sur Berlin. Les Berlinois devront s’habituer à vivre avec le mur. Ce mur ne tombera que 38 ans plus tard et aura provoqué la mort de plusieurs centaines, voire de milliers de personnes (il n’y pas de chiffres exacts) et la séparation de nombreuses familles ; il sera aussi le théâtre d’extravagantes évasions et aura transformé à jamais le visage de la ville de Berlin11. Problématique Figure 4 : ligne de soldats devant la porte de Brandebourg Mon intérêt pour le Mur de Berlin s’est focalisé sur le moment de la construction du mur (la nuit du 12 au 13 août 1961). J’ai ensuite opté pour un regard particulier, à savoir, celui de la presse lausannoise, voire romande. Que pensait cette presse au sujet du mur ? Comment le voyait-elle ? Et comment la presse a-t-elle rapporté l’événement ? Une autre question a retenu mon attention. L’érection du Mur de Berlin peut-elle être considérée comme un événement historique d’après la presse romande ? Et d’ailleurs qu’est ce qu’un événement historique ? La démarche de mon travail est expliquée avec plus de précision dans le chapitre suivant. 10 11 BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin, Paris, Tallandier, 2001, page 43 C’est en tout cas ce que je ressens après y avoir vécu trois mois. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 6 Analyse des journaux Les journaux La presse suisse romande dans les années soixante comptant de nombreux journaux12, j’ai décidé de restreindre leur nombre à trois. Ceux-ci sont : la Feuille d’Avis de Lausanne, L’Illustré, et La Voix Ouvrière. Chacun a ses propres particularités politiques et idéologiques. Mes principaux critères pour les différencier sont leur tendance et leur périodicité. En effet, les deux premiers ont des tendances plutôt de droite, quant au dernier, c’est un journal communiste qui, dans le contexte de la Guerre froide, peut se révéler très intéressant. L’Illustré est le seul hebdomadaire, les deux autre sont des quotidiens. La méthode Pour effectuer mon travail, je me suis tout d’abord rendu aux Archives de la Ville de Lausanne pour visualiser des archives de journaux écrits et à la Bibliothèque Cantonale Universitaire pour les documents microfilmés. Mon travail est séparé en deux parties distinctes : une première partie comportant l’analyse des journaux et une deuxième avec l’étude de l’événement historique. J’ai commencé par dépouiller les articles des trois journaux jusqu’à ce que le mur de Berlin ne soit plus vu comme un sujet de première importance ou n’apparaisse plus du tout dans le journal. Chaque journal a donc été dépouillé sur une durée différente. Comme la construction du mur a commencé durant la nuit du samedi 12 août au dimanche 13 août 1961, et que la plupart des journaux ne publient pas le dimanche, mon analyse commence à partir du lundi 14 août à l’exception de L’Illustré qui est un hebdomadaire qui paraissait le jeudi. Après avoir épluché mes trois journaux, j’ai pu effectuer mon analyse pour chacun des journaux séparés. Ensuite, pour la deuxième partie de ma problématique, je me suis confectionné une grille d’analyse, exposée en annexe13, afin d’effectuer l’étude de l’événement historique. Pour ce chapitre, les trois journaux ont été analysés ensemble, les critères primant sur les différents journaux. Etant donné que les conséquences de l’événement ne peuvent pas toujours se vérifier tout de suite, j’ai décidé de prendre un article exactement un an après sa construction et un sur le célèbre discours de Kennedy le 26 juin 1963 lors de sa visite à Berlin. 12 Je suis dans l’incapacité de fournir un nombre exact, malgré des mails envoyés à l’ASSP (Association des Sociétés Suisses de Publicité) et à la Presse Romande. Mes questions à leur adresse sont restées sans réponses. 13 Voir annexe 1 à la page 34. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 7 La Feuille d’Avis de Lausanne La Feuille d’Avis de Lausanne14 est l’actuelle 24 Heures. Elle a été créée en 1762 par David Duret, ce qui en fait le plus vieux quotidien vaudois. Jusqu’en 1850, la FAL est un hebdomadaire d’avantage considéré comme une feuille d’annonces qu’un véritable journal. Dès 1851, la FAL paraît deux fois par semaine et, en 1863, trois fois par semaine. Ce n’est qu’en 1872 qu’elle devient un quotidien (à l’exception du dimanche) et un véritable journal. La FAL prendra le nom de 24 Heures le 10 avril 1972. Dans les années soixante ce journal avait un tirage de 80’000-90’000 exemplaires. La FAL est un journal populaire et très répandu comportant des chroniques diverses (sport, art, agriculture, etc.), ainsi qu’un bulletin politique quotidien réputé pour sa clarté et sa fiabilité. On y trouve aussi une page pour les femmes et une pour les enfants. Ce journal s’adresse donc à un large public. Il s’occupait prioritairement de l’information vaudoise et tenait à rester neutre. La FAL était composée en grande partie de publicités (présentes même sur la première page jusqu’en 1962). C’était le journal idéal pour les petites annonces. De 1959 à 1970, Pierre Cordey (1918-1981), le successeur du célèbre Otto Treyvaud, en fut le rédacteur en chef15. J’ai dépouillé les articles dans la FAL du lundi 14 août 1961 jusqu’au 29 septembre de la même année, ce qui est une durée plus étendue que pour les deux autres journaux. La première page de la FAL contenait beaucoup de publicités, l’événement ne figure donc pas à la une. Ce journal possède en revanche une page « monde » en fin de chaque exemplaire, où des articles sur le mur paraissaient régulièrement. Pendant les premières semaines, deux articles occupaient une grande partie de la page. Puis, ceux-ci diminuèrent de volume et de fréquence, jusqu’à devenir quasi inexistants à fin septembre. La majorité des articles étaient écrits par des agences de presse avec peu d’illustrations. J’en ai remarqué quelques unes dans les grands articles, dont un publié le 14 août 1962 qui commémore le premier anniversaire du « mur de la honte ». Puis le 26 juin 1963, la FAL parle de l’arrivée de Kennedy dans la capitale et de son discours. 14 Désormais FAL A.A.S.P., Catalogue des journaux suisses , Lausanne, 1975, page 197 ; BLASER, F., Bibliographie de la presse suisse, Basel, Birkhäuser, 1956, page 42 ; BONARD, A., La presse vaudoise, Lucerne, société suisse d’éditeurs de journaux, 1925, pages 82-83 ; SCHMUTZ, M., La presse vaudoise et la création de l’ONU, Lausanne, 1989, pages 180-181 ; BOLLINGER, E., La presse suisse, Lausanne, éditions Payot, Lausanne, 1986, pages 7 et 56 ; CHUARD, J.-P., Une odeur d’encre, Lausanne, 24 Heures Imprimeries réunies S.A., 1986, page 116. 15 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 8 Analyse La FAL est le journal parmi les trois qui parle le plus du sujet dans ses articles et qui comptabilise le plus d’articles la dessus. La FAL est aussi le seul des trois journaux à publier des articles avant la date du 13 août 1961. Néanmoins, on s’aperçoit que le journal est prooccidental, par exemple, il parle toujours du monde occidental comme du monde libre. Contrairement aux deux autres journaux, la FAL tente néanmoins de maintenir une certaine neutralité en faisant paraître de temps en temps l’opinion ou des notes du camp adverse. Il est alors assez comique d’observer les deux avis divergents exposés dans un même article. En effet, certaines notes de la RDA à l’adresse des Occidentaux critiquent ouvertement l’Ouest en décrivant, par exemple, leur gouvernement comme « un régime périmé d’occupation qu’ils maintiennent artificiellement à Berlin-Ouest16 », ou lorsque Kennedy arriva à Berlin, les soldats de l’Est affichaient des panneaux où l’on pouvait lire des critiques à l’adresse du président au sujet de ses agissements. Un journal davantage prooccidental, comme L’Illustré, ne publierait pas ces textes. À l’inverse de L’Illustré, la F A L insère beaucoup de citations, que ce soit celles d’agences de presse ou celles d’hommes politiques. Le journal cite donc beaucoup plus ses sources, ce qui le rend plus sérieux et plus Figure 5 : article du vendredi 18 août 1961 en page 28 de la FAL fiable. La page de la FAL ci-contre nous montre bien que le sujet occupe une place importante (environ une bonne moitié de page). La FAL insiste et s’intéresse plus sur les conséquences politiques en RDA ou dans les autres pays concernés que L’Illustré. Le journal parle à plusieurs reprises des négociations entre l’Est et l’Ouest et met aussi l’accent sur la violation du statut quadripartite par l’Etat de l’Est. Il s’intéresse aussi davantage aux réactions des pays concernés et à celles de leurs présidents ou de leurs gouvernements. La FAL est le seul journal à parler de l’arrivée de Kennedy à 16 Tiré de l’article du 17 août 1961 en vingt-sixième page de la FAL, écrit par AFP-UPI. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 9 Berlin en juin 1963, c’est un événement politique d’une grande importance, alors que L’Illustré n’en fait aucune allusion. La Voix Ouvrière publie un tout petit article qui déclare que le président est venu faire de la propagande à Berlin. La FAL est donc bien un journal politique.17 La FAL est donc le journal de ma panoplie le plus au centre (politiquement parlant). Il peut être considéré comme un vrai journal d’information et non comme un journal propagandiste ou de style people. 17 J’ai du divisé mon analyse en deux parties pour que cela corresponde mieux à ma problématique : une partie strictement analytique et une autre qui me permet de déterminer si la construction du mur peut être considérée comme un événement historique. Il ne me fut cependant pas facile de différencier exactement les deux. C’est pourquoi une lecture d’ensemble fournira tous les éléments utiles à la bonne compréhension de mon travail. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 10 L’Illustré L’Illustré est un journal hebdomadaire qui paraissait chaque jeudi. Il comportait beaucoup de publicités et de photographies. Contrairement aux autres journaux, certaines images étaient en couleur. De plus, la plupart des publicités s’adressaient aux femmes (soutien-gorge, poudre à lessive, culotte, produits nettoyants, etc.) et des romans feuilletons à l’eau de rose. L’Illustré était-il donc un journal féminin ? Aujourd’hui c’est en tout cas un journal familial. Contrairement aux autres, L’Illustré réalisait des interviews et insérait des dialogues dans ses articles. Il comportait aussi plus de pages que les autres journaux. En effet, certains exemplaires excédaient parfois les cents pages ! Il est difficile de classer précisément L’Illustré sur le plan politique. Mais au fil des articles et de l’analyse, on peut déduire que le journal est pro-occidental. J’approfondirai ce point dans mon analyse à la page suivante. L’Illustré est un journal qui informait par des images et des interviews, à l’instar des magazines people. La première page de L’Illustré était constituée d’une simple photo en couleur en rapport avec un article du journal, mais le mur de Berlin n’était représenté sur aucune de celle-ci. Il possédait, comme la FAL, une dépêche « monde » qui paraissait dans chaque édition. Tous les articles sont écrits par la main d’un journaliste. J’ai dépouillé ce journal du jeudi 17 août jusqu’au 28 septembre 1961. Les articles sont moins nombreux que dans la FAL : deux grands articles les deux premières semaines, puis deux petits sans grande importance et, enfin, un dernier sur les évasions. A partir de là, je n’ai plus remarqué d’article sur le sujet. En revanche, les articles de L’Illustré sont beaucoup plus grands que ceux de la FAL. En effet, la plupart comportent trois pages accompagnées par de nombreuse de photos. Le journal fit paraître un article fêtant le premier anniversaire du Mur de Berlin le 9 août 1962. En revanche, il ne mentionna pas l’arrivée de Kennedy, ni son discours.18 18 Je suis dans l’incapacité de citer la date de création du journal, ni le nom du rédacteur en chef dans les années soixante, en dépit des mails envoyés à L’Illustré. Mes questions à ce sujet sont restées sans réponses. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 11 Analyse L’Illustré présente l’affaire d’une manière bien différente de la FAL. Il prend l’événement beaucoup plus à la légère. En effet, ce journal n’utilise pas le même ton. Par quelques commentaires, on peut se rendre compte que le journal est plutôt en faveur de l’Ouest : « le gouvernement fantoche de Pankow », « Ulbricht de malheur », « Ulbricht et ses marionnettes ». Ces petites remarques placent le journal dans un « camp » donné : les Occidentaux19. L’Illustré ajoute des petites touches d’humour telles que : « seul les lapins sont contents depuis la construction du mur20 », en effet les Berlinois ne font plus de battues dans le Tiergarten depuis le bouclage de la frontière. On ne trouve pas ce genre d’humour dans les autres journaux. Un autre clin d’œil amusant : le fait que l’Etat de l’Est fasse offrir des bouquets de fleurs aux soldats en garnison au pied du mur avec la mention suivante : « De la population de l’Est, reconnaissante à ses soldats21 ». Ce n’est pas ce genre d’anecdotes que nous pourrions trouver dans Figure 6 : article du jeudi 28 septembre 1961 en page 36 de l’Illustré la FAL. Toujours en comparaison avec ce même journal, L’Illustré insère beaucoup plus d’images (qui sont d’ailleurs de très bonne qualité) dans ses articles. La figure 6 nous montre bien à quel point l’image à une place importante dans le journal. Il ajoute aussi des dialogues (à mon sens fictif) et des interviews. Le journal essaie de toucher le lecteur par ses images dont beaucoup représentent des civils au pied du mur, des soldats surveillant la frontière, la porte de Brandebourg, des tanks et le mur lui-même. Les témoignages et interviews sont aussi censés rapprocher les lecteurs de l’événement. Qui d’autre peut mieux décrire la situation à Berlin que ses habitants ? L’Illustré 19 Expressions tirées de l’article du 17 août 1961 à la troisième page de L’Illustré, écrit par W.A. Tiré de l’article du 24 août 1961 à la troisième page de L’Illustré, écrit par Charles Montais. 21 Tiré de l’article du 24 août 1961 à la troisième page de L’Illustré, écrit par Charles Montais. 20 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 12 est donc un journal plus proche de son public que la FAL. En revanche, L’Illustré ne cite pas autant les agences de presse ou les personnes importantes comme la fait la FAL. Pour résumer, L’Illustré présente l’érection du mur de manière plus simple que la FAL. De plus, bien que les deux journaux rapportent un peu près les mêmes genres d’informations, la manière dont L’Illustré explique et expose le fait, est totalement différente de celle de la FAL. En effet, L’Illustré insère des plaisanteries, des images et des interviews, ce que la FAL ne fait pas. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 13 La Voix Ouvrière La Voix Ouvrière, créée le 18 août 1944 par le Parti ouvrier, est un journal avec des tendances de gauche très prononcées. Il était financé par les abonnements, les ventes, la publicité et les dons des sections du Parti suisse du travail22. D’abord hebdomadaire, il devient quotidien (excepté le dimanche) dès le 6 avril 1945. Son aire de diffusion s’étend principalement de Lausanne à Genève. Peu volumineux, (entre 4 et 8 pages), il possède une présentation moderne et claire et des rubriques bien délimitées (la Une, Lausanne, Genève, monde, sport…). En revanche, il ne possède aucune illustration. Ses tendances politiques se ressentent fortement dans l’ensemble des articles qui sont, pour la plupart, écrits par la main d’un journaliste et dans quelques rares cas pas une agence de presse. Son rédacteur en chef et fondateur fut Léon Nicole (1887-1965), homme politique et l’un des fondateurs, puis président du Parti suisse du travail. En 1996, la Voix Ouvrière prend le nom de Gauchebdo et reste l’un des rares journaux romands nettement engagés à gauche. 23 22 On aurait pu croire que le journal était financé par des fonds provenant du Parti communiste soviétique pour en faire de la propagande, mais visiblement il n’en est rien, en tout cas selon les affirmations de Jérôme Béguin rédacteur actuel de Gauchebdo. Echange de mail, août 2008. 23 BLASER, F., Bibliographie de la presse suisse , Basel, Birkhäuser, 1956, page 1073 ; SCHMUTZ, M, La presse vaudoise et la création de l’ONU, Lausanne, 1989, pages 172 et 185 ; http://www.gauchebdo.ch/article.php3?id_article=387 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 14 Analyse La Voix Ouvrière a un point de vue très différent aux deux autres journaux. En effet, ce journal étant communiste, son opinion est radicalement différente de celle de la FAL ou de L’Illustré. Au lieu de parler directement du mur dans ses articles, comme le font les deux autres journaux, La Voix Ouvrière critique ouvertement et avec force le régime de l’Ouest et considère les Occidentaux comme responsables de la crise qui se passait à ce moment-là à Berlin. La figure 7 représente le premier article sur le mur de Berlin apparu dans la Voix Ouvrière (en haut au centre). Le journal lui réserve une place minime en dernière page du numéro. Il décrit l’édification du mur, en citant Tass24, comme « des mesures prises pour protéger les ouvriers de la RDA contre les activités hostiles des forces revanchardes et militaires de l’Ouest25 ». La RDA s’est sentie obligée d’ériger ce mur à cause des provocations de l’Ouest. La Voix Ouvrière poursuit en Figure 7 : article du lundi 14 août 1961 en page 4 de la Voix Ouvrière déclarant que les dirigeants de Bonn sont tous des revanchards, des provocateurs et des anciens nazis26 qui rêvent de dominer le monde à nouveau. Le journal accuse l’Ouest de sabotage et 24 La principale agence de presse russe. Tiré de l’article du 14 août 1961 en page quatre de La Voix Ouvrière et écrit par ATS et AFP (cet élément qui peut paraître étrange sera repris en page 20 note 35). 26 Ce qui n’est pas faux. La RFA, avec le soutien américain a réintégré nombre d’anciens cadres nazis dans la RFA naissante. D’ALMEIDA, F., La vie mondaine sous le nazisme, Paris, Perrin, 2008, page 412 et JUDT, T., Après guerre, une histoire de l’Europe depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2007, chapitre : châtiment, particulièrement pages 67 à 82. 25 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 15 d’espionnage27. Berlin-Ouest y est décrit comme un monstre, un marché aux esclaves où les citoyens sont exploités, une vitrine du monde libre où vivent les impérialistes occidentaux, et un Etat dirigé de force par Adenauer et des anciens généraux nazis. Berlin-Est est, pour le journal, « la plus hallucinante absurdité depuis la guerre28 ». C’est aussi un foyer de braises et de tisons où la guerre froide et une situation explosive sont maintenues artificiellement par Bonn. Le gouvernement de cette capitale est d’ailleurs décrit comme un régime périmé d’occupation conservé artificiellement à l’Ouest. Il ajoute le fait que Bonn sape la population de l’Est grâce à de la fausse propagande diffusée à Berlin-Ouest et que cela mine l’économie de la RDA (qui était classée dans le top 5 des meilleurs Etats industriels). La Voix Ouvrière va jusqu’à attaquer la CIA en déclarant qu’elle organise des évasions à l’Ouest en appâtant des habitants de l’Est avec des lettres, puis en les aidant à s’évader pour ensuite les « stocker » dans des centres de réfugiés où ils étaient mal nourris et mal logés et où ils resteraient parfois jusqu’à leur mort. Cette hypothèse est soutenue par des Figure 8 : article du mercredi 16 août 1961 en page 1 de la Voix Ouvrière témoignages et par le journal parisien non communiste : Le Combat. La page de journal ci- contre nous montre l’article de la Voix Ouvrière sur la CIA (des réfugiés ? Oui…mais pourquoi). Le journal n’hésite pas à le mettre à la une et à lui faire occuper une grande partie de l’espace de la première page (l’article continue même en page 3). 27 28 Ce qui n’est pas faux non plus. En effet, il existait de nombreux réseaux d’espionnage implantés à l’Est. Tiré de l’article du 17 août 1961 en première page de La Voix Ouvrière. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 16 En bref, La Voix Ouvrière est un journal atypique qui non seulement ne parle presque pas du mur, mais de plus retourne la situation pour attaquer et critiquer les Occidentaux. Il arrive a détourner les informations afin de nous faire croire que le monde occidental est coupable de ce qui se passe à Berlin. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 17 L’événement historique « Qu’est-ce qu’un événement historique » Pour cette partie de l’analyse, je me suis basé sur un article de Michel Winock, un historien français, professeur à l’université de Paris et le fondateur de la revue L’Histoire qu’il crée en 1978.29 Les critères Michel Winock tente d’éclaircir la notion d’événement historique dans cet article30. Pour ce faire, il se base sur une grille de critères à appliquer à un événement pour en conclure si on peut le considérer comme historique ou non. Les quatre critères retenus par l’auteur sont les suivants : conséquence, imprévisibilité, intensité et retentissement. Imprévisibilité : « le prévisible ne fait pas événement31 », un événement historique ne peut en être un que s’il surprend, bouleverse et trouble. Les véritables événements historiques chamboulent nos idées, nos opinions et nous plongent dans le désarroi, certains même nous choquent. L’événement surprend encore plus si on le croyait impossible. L’assassinat de Kennedy était une chose inconcevable pour le monde occidental. Qui aurait pu croire, dans le public en général, qu’on veuille tuer ce jeune président ? C’était tout simplement impossible et inimaginable. Intensité : le nombre de victimes, les partis pris en cause, la portée de destruction de l’événement, son ampleur (géographique ou politique) : tous ces facteurs prennent leur importance pour déterminer l’intensité de l’événement. Celui-ci doit être presque quantifiable. Mais ce ne sont pas les seules raisons, les lieux géographiques et politiques jouent ici aussi un grand rôle. 29 http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Winock WINOCK M., « qu’est ce qu’un événement ? », in Les collections de l’Histoire , n° 268, septembre 2002, pages 32 à 55. 31 WINOCK, M., « Qu’est ce qu’un événement ? », in Les collections de l’Histoire , n° 268, septembre 2002, page 34. 30 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 18 En voici un exemple : la bataille de Stalingrad durant la Seconde Guerre mondiale a fait des centaines de milliers de mort (des deux côtés) et a été extrêmement éprouvante pour les soldats. Elle impliquait deux des plus grandes puissances de l’Europe à l’époque : les Allemands face aux Soviétiques. Des centaines de personnes attendaient en écoutant leur radio le déroulement de la bataille, qui a été l’un des tournants de la Seconde Guerre mondiale. Conséquence : quelles ont été les conséquences, la portée de l’événement ? Qu’a-t-il apporté ou créé de nouveau ? L’événement a, d’un côté, une force de destruction et, d’un autre côté une force de création, il est obligé de créer une rupture pour amener une nouveauté. Un événement ne peut être considéré comme tel que s’il crée. S’il ne fait que détruire, il n’en est pas un. Il doit apporter une transformation. C’est grâce à ses conséquences qu’un événement perdure à travers le temps, s’il n’en a aucune, il sera vite oublié. La plupart du temps, les conséquences ne peuvent se vérifier que quelques mois, voire quelques années plus tard après l’événement lui-même. Il ne faut donc pas juger un événement trop vite. La découverte de l’Amérique, par exemple, aura provoqué la destruction de civilisations ; des milliers de morts. Cet événement aura des conséquences majeures pour l’ancien monde, mais aussi pour l’Afrique et le monde musulman, mais il faudra du temps pour vraiment les apprécier. Retentissement : plus l’événement parvient à un grand nombre de personnes, plus il prend de l’importance. Les médias de masse d’aujourd’hui y contribuent largement. La presse, la radio et la télévision nous permettent de suivre l’actualité mondiale quasiment instantanément. L’attentat du 11 septembre 2001 est un excellent exemple de retentissement. Des millions de personnes ont pu suivre, quasi en direct, la course folle des deux avions sur leur télévision. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et a ainsi eu un énorme retentissement. Des millions de personnes gardent ainsi ce souvenir dans leur mémoire (aujourd’hui encore, la plupart des personnes sont capables de se rappeler ce qu’ils faisaient à l’instant où ils ont appris l’événement). J’ai décidé de faire usage de la grille d’interprétation de Winock pour le mur de Berlin et c’est à l’aide des ces quatre critères répertoriés sous la forme d’une grille d’analyse exposée en annexe que je présenterai les résultats de mon travail. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 19 Imprévisibilité Des articles sur Berlin apparaissent déjà dans la FAL avant la nuit du 12 au 13 août 1961. En effet, le problème n’est pas nouveau : « le ver est dans la pomme depuis 13 ans32 », à savoir depuis la séparation de l’Allemagne en deux Etats : la RDA et la RFA en 1949. Mais durant cette fameuse nuit, « la crise est entrée dans une phase active33 », en quelques heures la situation à Berlin a changé. D’ailleurs la F A L utilise à quelques reprises le terme de « coup de théâtre » de la part de l’Est. Une expression qui signifie un retournement brusque de situation, une arrivée brutale d’un événement. Le mot « rideau » (de fer) complète cette métaphore. On pourrait donc croire que cet événement fut assez inattendu Figure 9 : maisons détruites qui gênaient l’avancée du mur pour les Berlinois. Pourtant, dans un article datant du 1er septembre 1961 (soit presque un mois après l’érection du mur), un journaliste écrit que la population de Berlin savait que la RDA était sur le point de verrouiller la frontière et qu’elle n’a même pas été surprise par ces mesures. Dans le même article, une autre personne prétend que la population occidentale ellemême le savait aussi, mais n’a pas réagi en conséquence. En revanche, dans L’Illustré, l’imprévisibilité n’a pas été au rendez-vous. En effet, ce journal étant un hebdomadaire, il sortait cette semaine-là le 17 août, soit quatre jours après l’édification du mur ! Les gens ont donc eu le temps d’être informé par d’autres journaux qui étaient, eux, des quotidiens. Mais cela n’a pas empêché les journaliste d’être surpris par ce qui arrivait. Néanmoins L’Illustré décrit la construction de cette nouvelle frontière comme des mesures « improvisées34 » par l’Est, ce qui implique forcément une certaine soudaineté. Les gens sur 32 Tiré de l’article du 16 août 1961 en vingt-sixième page de la FAL, écrit par UPI. Tiré de l’article du 14 août 1961 en vingt-deuxième page de la FAL, écrit par UPI – AFP – DPA. 34 Tiré de l’article du 17 août 1961 à la troisième page de L’Illustré, écrit par W.A. 33 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 20 place disaient ne pas trop savoir ce qui se passait. De plus, contrairement à la FAL, on ne trouvait pas d’article dans L’Illustré sur la crise de Berlin avant la construction du mur durant la nuit du 12 au 13 août 1961. C’est donc une rubrique toute nouvelle dans L’Illustré. La Voix Ouvrière, elle aussi, ne parlait pas de Berlin avant la nuit du 12 au 13 août 1961. Le lundi 14, le journal publie trois articles, dont deux à la une, parlant de Berlin. Pourtant, aucun des ces trois articles ne parle du mur, ni même n’utilise ce mot ! Ils parlent d’un « danger allemand » que personne ne veut croire, un « danger allemand » que la plupart des personnes croient inventé et entretenu par Khrouchtchev, et qui, pourtant, selon La Voix Ouvrière existe. Le journal parle aussi des frontaliers : des habitants de l’Est qui travaillent à l’Ouest, mais qui profitent parfois de cet avantage pour prendre la fuite. Mais, dans aucun de ces articles, on ne mentionne que la frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest vient de se fermer. Dans le troisième article, qui paraît en page quatre (à savoir la dernière page du journal), le journal parle du mur, mais il le fait de façon détournée. En effet, La Voix Ouvrière déclare que « la RDA a établi aux frontières, le contrôle que tout état souverain exerce35 ». Le journal considère donc l’érection de cette nouvelle frontière comme normale, voire banale, car, selon lui, la RDA n’est pas le premier Etat à le faire. La Voix Ouvrière continue sur la même lignée, en affirmant que « la population ne semble pas prendre la situation au tragique36 ». Donc, d’après le journal, le peuple de Berlin accepterait ce mur sans réticence, ce qui n’est pas le cas dans les deux autres journaux. D’ailleurs, La Voix Ouvrière poursuit, en citant Tass, qui dit que « les ouvriers de la RDA ont accueilli et approuvé avec une grande satisfaction la décision de Berlin-Est37 ». 35 Tiré de l’article du 14 août 1961 en page quatre de La Voix Ouvrière et écrit par ATS et AFP. Il est étonnant de remarquer que ce sont des agences de presse suisse et française (non communistes) qui écrivent cela. Le journal a peut-être subtilement coupé leurs propos au bon endroit pour se les approprier. Il en va de même pour les notes 25, 36, 37, 57 et 58. 36 Tiré de l’article du 14 août 1961 en page quatre de La Voix Ouvrière et écrit par ATS et AFP. 37 Tiré de l’article du 14 août 1961 en page quatre de La Voix Ouvrière et écrit par ATS et AFP. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 21 Intensité La FAL fera pendant longtemps paraître des articles sur cet événement. Jusqu’à fin août, deux articles (de taille moyenne) sur le mur seront présents presque quotidiennement. Un journaliste écrit d’ailleurs que « l’affaire de Berlin n’a pas laissé aux éditorialistes le loisir de s’occuper d’autre chose38 ». Par la suite, les articles se feront moins fréquents et moins volumineux, pour pratiquement disparaître vers fin septembre. En revanche, seuls quelques articles sont agrémentés de photos (en noir et blanc). Dans le premier article du lundi 14 août, la FAL décrit l’apparition du mur comme un petit blocus (sans doute en souvenir du premier blocus de Berlin le 24 juin 1948) et les réactions vont bon train de la part de l’Ouest. Les mesures prises par l’Est sont « draconiennes » selon la FAL. La capitale, Bonn, les décrit comme « monstrueuses » voire comme « la succession du régime hitlérien sur le sol allemand39 ». Willy Brandt 40 les considère comme « la faillite du régime d’Ulbricht41 ». Un journaliste va jusqu’à comparer Berlin-Est au « plus grand camp de concentration du monde42 ». De Gaulle, quant à lui, prend cette attaque comme « un nouvel acte de la tentative de communisation du monde43 ». Le journal ne s’approprie pas directement les commentaires, mais les cite tout de même. La FAL déclare être en face d’un véritable problème juridique. Il ne Figure 10 : grues installant des plaques de béton qui constituent la grande partie du mur, début année 60 s’agit pas d’un simple petit problème interne et les Alliés ont plusieurs possibilités pour le résoudre. La première est l’usage de la force, ce qui est impensable car cela déclencherait inévitablement une Troisième Guerre 38 Tiré de l’article du 25 août 1961 en trente-quatrième page de la FAL, écrit par R.-O. Frick. Tiré de l’article du 14 août 1961 en vingt-deuxième page de la FAL, écrit par UPI – AFP – DPA. 40 A ce moment maire de Berlin, qui deviendra par la suite chancelier. 41 Tiré de l’article du 14 août 1961 en vingt-deuxième page de la FAL, écrit par UPI – AFP – DPA. 42 Tiré de l’article du 21 août 1961 en vingt-huitième page de la FAL, écrit par Jean Gaud. 43 Tiré de l’article du 18 août 1961 en vingt-huitième page de la FAL, écrit par Intérim. 39 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 22 mondiale. La deuxième est d’effectuer un embargo économique, mais qui risque de poser aussi problème à Berlin-Ouest. Reste alors la dernière solution, à savoir les négociations avec l’Est, exactement ce que désirait Khrouchtchev44. Selon le journal, Khrouchtchev a eu ce qu’il désirait, alors que les Alliés étaient dans le « pétrin ». Et le journal reprochera dans plusieurs articles l’absence de réaction de l’Ouest face aux mesures arbitraires prises par l’Est. Le peuple de Berlin-Ouest lui fait les mêmes reproches, « assez de paroles, nous voulons des actes45 » déclarent-ils. Pourtant, Konrad Adenauer46 affirme que la vraie crise n’a pas encore commencé et que tout cela n’est qu’« un amuse bouche », écrit la FAL. En soit, il n’a pas tout à fait tort, car le journal va, par la suite, décrire les nouvelles mesures que l’Est prend au fil des jours pour continuer méthodiquement l’isolement de Berlin-Ouest : prise du métro, restrictions pour les frontaliers qui habitent l’Ouest, mais travaillent à l’Est, diminution des points de passages entre l’Est et l’Ouest, interdiction pour les Berlinois de l’Ouest de circuler à l’Est, sauf autorisation spéciale et aussi la lente « construction d’une muraille de béton par une armée de maçons47 ». Chacune de ces mesures, les Berlinois et la FAL s’attendent à des réactions des Alliés, mais aucunes ne viennent. Quant à L’Illustré, celui-ci comporte beaucoup moins d’articles sur la construction du mur que la FAL. Premièrement, parce qu’il s’agit d’un hebdomadaire, mais aussi parce que le journal se lasse plus vite du sujet que la FAL. Deux grands articles font leur apparition les deux premières semaines après l’érection du mur, suivis de deux petits articles, l’un narrant la chronologie de la crise de Berlin, l’autre au sujet des élections qui se déroulent à Berlin. Fin septembre, un article sur les évasions est publié et ce sera le dernier. Ce sujet n’aura donc pas autant monopolisé ce journal que la FAL. Le mur ou plutôt « son » mur (à Ulbricht) comme l’appelle l’Illustré est décrit comme « un monument monstrueux de la bassesse humaine48 ». A partir du 24 août 1961, le journal parle de véritable rideau de fer et prévient que chaque coup de feu peut déraper et déclencher une guerre. La tension monte. Fin septembre Berlin-Est est désert. Il n’y personne dans la rue. Berlin-Est est mort. Les gens disent n’avoir aucune envie de sortir. L’Illustré insiste aussi sur l’ampleur de la propagande 44 Le Premier secrétaire du Parti Communiste de l’Union Soviétique Tiré de l’article du 17 août 1961 en vingt-huitième page de la FAL, écrit par FAL – UPI – AFP – DPA. 46 A ce moment chancelier de l’Allemagne (RFA). 47 Tiré de l’article du 24 août 1961 en trente-sixième page de la FAL, sans auteur. 48 Tiré de l’article du 9 août 1962 à la deuxième page de L’Illustré, écrit par K. Zehlendorf. 45 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 23 communiste omniprésente, même jusqu’à l’Ouest (L’Est tente de faire passer des messages propagandistes de l’autre côté du mur à l’aide de panneaux lumineux sur lesquelles on peut lire des messages destinés aux gouvernements et à la population de l’Ouest). Les témoignages des habitants expriment l’oppression. L’Illustré présente les Berlinois impuissants, voire indifférents. De plus, il expose l’impassibilité des Alliés face à ce coup monté de l’Est. Mais il dit les comprendre, car une simple bévue de leur part pourrait entraîner une Troisième Guerre mondiale. L’année d’après, dans un article commémorant le premier anniversaire du mur de Berlin (l’événement a donc encore suffisamment d’importance pour faire parler de lui une année après), le journal annonce que la situation n’a pas changé depuis son commencement le 13 août 1961, à part le fait que le mur n’a cessé de grandir. La force de l’événement est donc encore intense. D’après L’Illustré, le mur n’est pas près de s’en aller. Le futur lui donnera raison. En revanche, l’arrivé de Kennedy à Berlin et le discours qu’il y prononça n’a pas donné lieu à un article dans L’Illustré. Sans doute l’hebdomadaire y prête moins d’attention qu’un journal plus axé sur la politique comme la FAL. Dans la Voix Ouvrière, le critère intensité est très différent comparé aux autres journaux. En effet, comme dit plus haut, le journal parle extrêmement peu de la nouvelle frontière et d’une façon détournée. Le mot « mur », par exemple, n’apparaît dans aucun de ses articles (l’expression « rideau de fer » y apparaît une seule fois). Le nombre d’article est lui aussi plus réduit que dans la FAL par exemple, et absolument aucune image ne montre les activités de l’Est à Berlin. Le journal tente de minimiser l’affaire, en déclarant par exemple que les récits de fuites sous le feu des balles et sous les aboiements des chiens sont des hallucinations ou des histoires qui proviennent de l’imagination des Américains49. La Voix Ouvrière explique que les évasions ne sont pas toujours dues à la politique établie en RDA. Bonn déclare que 28% des évasions sont dues à la politique et 9% aux persécutions. Le Daily Express (Grande-Bretagne) explique que 4% sont dues à l’idéologie. Et, pour finir, le Manchester Guardian (Grande-Bretagne) affirme que 30% des causes sont personnelles et que 30% sont dues à une fausse idée de l’Ouest. La Voix Ouvrière déclare que les causes de fuites sont multiples et nombreuses. Parmi celle-ci on trouve les familles séparées par la guerre et qui tentent de se ressouder, les offres plus généreuses à l’Ouest qui attirent les spécialistes, le climat plus agréable à l’Ouest 49 On peut suivre cette idée de La Voix Ouvrière mais, néanmoins environ un millier de personnes sont morts en essayant de le franchir ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Mur_de_Berlin La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 24 qui profite aux anciens nazis, les condamnés de l’Est qui fuient à l’Ouest, les jeunes en quête d’aventure, les difficultés familiales et pour finir les fausses idées du monde de l’Occident diffusées par l’Ouest lui-même. Dans l’article du 17 août, La Voix Ouvrière inverse les rôles de manière très subtile en parlant d’un exode vers l’Est. En effet, selon le journal, 1,2 million de personnes auraient quitté la RFA pour passer à l’Est entre 1954 et 1960. La moitié serait des anciens habitants de la RDA qui reviendraient dans leur patrie50. Le manque d’argent, les exceptions, la peur des représailles et l’espoir d’une vie meilleure seraient les principales raisons pour lesquelles ils ne reviennent pas tous en RDA, selon La Voix Ouvrière51. 50 Pour rappel, entre deux et trois millions d’habitants de l’Est ont quitté la RDA entre 1949 et 1960. Donc, aux dires du journal, la moitié serait revenue. 51 Cette information est difficilement vérifiable. En effet, aucun livre que j’ai consulté sur le sujet ne mentionne ce fait. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 25 Conséquences La FAL déclare que le bouclage de la frontière provoqua à l’Est le mécontentement et l’incompréhension des habitants face à tant de « stupidité ». A l’Ouest, la population craignit un soulèvement. Durant les premiers jours qui suivirent la fermeture de la frontière, le journal observe des tentatives de fuites de l’Est (pas seulement des habitants, mais aussi des soldats) ou des passages en force à travers le mur ainsi que des manifestations à l’Ouest. L’Est répond aux manifestants à l’aide de gaz lacrymogènes et de lances à eau. Il n’hésite donc pas à faire usage de la force.52 Les Occidentaux réagissent (l’une des seules réactions de l’Ouest face aux mesures de l’Est) en envoyant des renforts armés le long de la frontière. D’abord les Américains, puis les Anglais et enfin les Français envoient des soldats, des blindés et d’autres véhicules à Berlin le long de la ligne de démarcation (autant pour parer à toute invasion que pour protéger la frontière, afin que les Berlinois de l’Ouest ne s’approchent pas trop près et ainsi éviter tout accident). L’Est répond en envoyant à son tour des troupes en renforts. De part et d’autre du Figure 11 : Kennedy à Berlin, juin 1963 mur, les soldats des deux camps se font face. C’est le principe de 52 Article du 15 août 1961, page trente de la FAL, écrit par UPI-AFP-DPA. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 26 la Guerre froide, à savoir le fait de rassembler un maximum de troupes et d’armement des deux côtés, sans qu’aucun des deux ne l’utilise car ils savent que le moindre coup de feu peut dégénérer en guerre. L’Est et l’Ouest seront donc obligés de négocier.53 A partir du 18 août, le journal laisse entendre que la situation va se calmer et que les négociations sont pour bientôt. Pourtant, aucun article sur l’aboutissement des négociations ne paraîtra durant les semaines suivantes. En effet, les Alliés et l’URSS n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur ce point jusqu’en 1990. Une autre réaction de la part des Américains survient le 21 août : Lyndon Johnson54 est à Berlin afin d’assurer le soutien américain à la population ouest berlinoise qui a dénoncé, à plusieurs reprises, la mollesse des Occidentaux depuis les événements du 13 août. Un an après, la situation n’a pas changé, le mur est toujours là. À l’occasion du premier anniversaire du « mur de la honte », la sécurité a été renforcée, car la tension est montée les jours précédents. Le jour même, des manifestations sont organisées à l’Ouest, au pied du mur. L’Est riposte à coups de grenades lacrymogènes et de jets d’eau. Les Etats-Unis envoient simplement des messages d’encouragement aux Berlinois de l’Ouest.55 L’Illustré, de son coté, s’intéresse moins aux faits politiques et aux négociations entre l’Est et l’Ouest que la FAL. Il préfère mettre en avant la situation de la population et l’impression des habitants de Berlin. La vie quotidienne est devenue à présent une aventure absurde et dramatique pour les Berlinois, parmi lesquels ceux qui se trouvent du « mauvais » côté du mur manquent de nourriture. Le journal insiste aussi sur les évasions (un grand article de deux pages sur le sujet apparaît le 28 septembre) : des civils fuient Berlin-Est ainsi que des médecins et des VoPos56. Les deux autres journaux y prêtent beaucoup moins d’attention. Le journal insère des interviews avec des rescapés de l’Est qui décrivent leurs peurs et leurs craintes. Toute fuite réussie devient à présent un exploit, car cela est de plus en plus difficile. L’Illustré mélange à l’article les photos des fuites héroïques et les héros qui les ont accomplies avec leurs témoignages. En faisant passer les rescapés de l’Est pour des héros, L’Illustré fait de la propagande pour le monde occidental, alors que lui même critique celle de l’Est. 53 Articles du 14 août 1961, en page vingt deux de la FAL, écrit par UPI-AFP-DPA et du 19 août 1961, en page trente deux de la FAL, écrit par FAL-UPI-AFP-DNP. 54 Le vice-président des Etats-Unis durant le mandat de Kennedy, et son successeur après son assassinat le 22 novembre 1963. 55 Article du 14 août 1961, en troisième page de la FAL, écrit par Reuter. On remarque que désormais la rubrique monde ne se trouve plus tout à la fin du journal, mais a pris maintenant de l’importance est se situe dans les toutes premières pages. 56 Volkspolizei, c'est-à-dire la police de l’Allemagne de l’Est. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 27 Le journal se plait aussi à décrire la surveillance des VoPos à l’Est et la progression de la construction du mur. Il décrit l’atmosphère électrique et tendue, l’oppression est presque palpable. Berlin-Est est devenue pour L’Illustré une immense prison. De plus, la ville entière a perdu un morceau de sa liberté. Pour le journal, la RDA a perdu la face et a reconnu l’impopularité du régime de l’Est. Mais, plus optimiste, L’Illustré prévoit pour les mois à venir une accalmie et peut-être même un traité de paix entre les deux blocs. Il imagine aussi un danger futur pour les habitants de Berlin-Ouest, qui jusque-là n’avaient pas trop eu de problèmes. Pourtant, dans l’article du premier anniversaire du mur, ces craintes semblent infondées. En effet, à part le renforcement du mur, la chute du niveau de vie à l’Est (le journal le décrit comme une crise des années 40) et des problèmes d’approvisionnement à l’Est, le mur n’a pas réussi à affecter l’Ouest comme le désirait Nikita Khrouchtchev, afin de pousser les Occidentaux à établir un traité de paix. Le mur est donc pour L’Illustré un échec, car, à l’exception d’avoir réussi à stopper l’exode massif vers l’Occident, il n’a pas réussi à atteindre son autre objectif, celui de gêner l’Ouest. D’ailleurs, même le premier objectif n’est pas complètement atteint; en effet il y a toujours des évasions, certes moins nombreuses, mais le gouvernement de l’Est craint encore que des civils ne s’enfuient à l’Ouest. Pour la Voix Ouvrière, très terre à terre, la fermeture de la frontière implique, premièrement, la séparation des deux populations habitant Berlin et la diminution des points de passage (la célèbre porte de Brandebourg sera fermée le 15 août à cause des « provocations de l’Ouest57 »). Puis viennent les menaces d’un embargo économique de la part d’Adenauer. La Voix Ouvrière prenant cela comme de la provocation, rétorque que l’Ouest s’expose à de « fâcheuses conséquences58 », sans les nommer plus en détail. Mais la plus grande crainte pour le journal reste la possibilité d’une éventuelle Troisième Guerre mondiale. En effet, selon La Voix Ouvrière, les Occidentaux ont pris Berlin comme prétexte de guerre, mais cela ne sera pas le cas, car, d’après La Voix Ouvrière, « la raison l’emportera sur la violence59 ». En effet, la RDA aurait fait « des propositions conciliantes et pacifistes60 », mais la RFA les aurait purement et simplement rejetées. Depuis 1958, la RDA désire un traité de paix pour faire de Berlin une ville libre et démilitarisée ajoute le journal, mais l’Ouest a toujours refusé de signer. Walter Ulbricht déclare, lors d’un discours télévisé 57 Tiré de l’article du 15 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière, écrit par ATS et AFP. Tiré de l’article du 16 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière, écrit par ATS et AFP. 59 Tiré de l’article du 17 août 1961 en première page de La Voix Ouvrière. 60 Tiré de l’article du 19 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière. 58 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 28 publié le 19 août dans le journal, avoir « arrêté l’incendie en train de s’allumer à Berlin61 » et avoir « fourni une contribution à la paix internationale62 ». Ces mesures prises sont décrites comme « correctes, rapides et couronnées de succès63 ». Une autre conséquence principale est le renforcement militaire sur la frontière. Cette mesure prise par les Américains, à savoir d’amener des renforts militaires à Berlin, est considérée comme « un voyage de provocation64 ». De plus l’armée allemande étant en train de se reformer, le journal considère que l’Est ne peut pas rester inactif face à ces provocations. Les objectifs que voulaient atteindre les Occidentaux à Berlin n’ont pas été remplis, d’après La Voix Ouvrière, à savoir faire de Berlin une ville dénazifiée, démocratisée, démilitarisée et neutre. A partir du 25 août, le journal déclare que la situation s’est calmée et ajoute que beaucoup de journaux suisses sont déçus car ils espéraient la guerre65. Bien sûr, je n’ai pu trouver aucun article qui relate la première année de ce mur douze mois plus tard, comme c’était le cas dans L’Illustré et la FAL. Le 26 juin 1963, paraît tout de même un petit article en sixième page qui décrit l’arrivée de Kennedy à Berlin et son discours qui est décrit comme étant de la propagande américaine. Le journal poursuit sur la même lignée en répétant que la RFA est la cause des tensions en Europe. 61 Tiré de l’article du 19 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière. Tiré de l’article du 19 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière. 63 Tiré de l’article du 19 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière. 64 Tiré de l’article du 21 août 1961 en quatrième page de La Voix Ouvrière, écrit par ATS et AFP. 65 On remarque quand même que ce n’est pas le cas des deux autres journaux analysés. 62 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 29 Retentissement « L’affaire est internationale66 » écrit un journaliste (R.-O. Frick) de la FAL. En effet, les plus grandes nations du moment sont concernées. Les Etats-Unis, l’Allemagne, la GrandeBretagne, la France et l’URSS. Les grands hommes du moment y prennent part : Kennedy, de Gaulle, Khrouchtchev. La FAL les mentionne souvent. Ce même journaliste écrit, dans un autre article, que « le mur a dangereusement aggravé la tension mondiale67 ». D’un autre côté, la FAL écrit que les journaux et la radio du secteur communiste ne font aucune allusion à ce qui vient de se passer. En revanche, le Neues Deutschland68 attaque les Occidentaux en affirmant que ce sont eux qui ont verrouillé la frontière en direction de l’Est. Les articles sur le sujet sont nombreux et volumineux. Ils paraissent dans un journal énormément lu à l’époque par un public large et qui avait l’un des plus grands tirages du canton. Dans le cas de L’Illustré, le retentissement n’est pas aisé à observer, car il s’agit du même problème que pour le critère de l’imprévisibilité. L’événement était déjà parvenu à un nombre conséquent de personnes lorsque l’article apparaît le 17 août. Et, contrairement à Figure 12 : foule observant la construction du mur, milieu année 60 la F A L , ce journal ne s’intéresse pas autant aux réactions des pays concernés par l’événement, c'est-à-dire les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Il préfère parler de l’actualité sur place : les évasions, la pauvreté de l’Est et sa propagande, des images du murs, etc. Néanmoins, il mentionne l’arrivée de Lyndon Johnson à Berlin et les quelques réactions de Konrad Adenauer et de Willy Brandt, mais sans entrer dans les détails. 66 Tiré de l’article du 16 août 1961 en vingt-sixième page de la FAL, écrit par R.-O. Frick. Tiré de l’article du 26 août 1961 en quarante-deuxième page de la FAL, écrit par R.-O. Frick. 68 Journal de la RDA. 67 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 30 Lorsque, dans un article, L’Illustré se demandait ce qu’allait être la réaction des Alliés face à l’Est, le journal ajoutait que « le monde entier se le demande ». Tout les pays sont donc concernés par ce qui se passe. Ce n’est donc pas un problème à l’échelle régionale pour l’Illustré, mais un problème planétaire. Un an après l’érection de « cette nouvelle frontière », l’Illustré faisait paraître un article dessus. Ce qui avait principalement changé depuis le début, c’était le tourisme. En effet, le mur était devenu une attraction touristique. Des voyageurs du monde entier venaient le voir et des marchands avaient installé leurs stands et vendaient des souvenirs. « L’horreur se vend bien69 » comme disait l’Illustré dans son article. Mais les touristes revenaient rarement joyeux de leur visite. Ce mur a donc déjà pris une ampleur mondiale un an seulement après sa construction. La Voix Ouvrière prend souvent à partie et cite de nombreux journaux provenant du monde entier qui ne sont pas tous communistes. Le Combat, Daily Express, Manchester Guardian, Financial Time, Die Welt, Frankfurter Allgemeine, Westfalische Runschau, New York Herald Tribune, Dépêche du midi, Le Monde, Mirror, et la Pravda (en revanche celui-ci est communiste) par exemple. On peut donc dire que l’événement est d’actualité un peu partout sur le globe. De plus, La Voix Ouvrière parle d’une éventuelle Troisième Guerre mondiale, qui comme son nom l’indique serait un événement majeur d’une ampleur mondiale, comme les deux dernières. Si ce n’est pire en raison du développement de l’armement nucléaire. 69 Tiré de l’article du 9 août 1962 à la deuxième page de L’Illustré, écrit par K. Zehlendorf. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 31 Conclusion Premièrement les trois journaux présentés sont tous très différents les uns des autres, ce qui nous donne à chaque fois un autre aperçu de la construction du mur. Nous avons d’un côté la FAL, un journal sérieux qui expose l’événement de la manière la plus impartiale possible, mais que l’ont sent quand même plutôt en faveur de l’Occident. Puis vient L’Illustré, avec des images, des interviews, un journal qui est nettement plus en faveur des Alliés que la FAL, et qui fait plus journal people que journal d’information. Et enfin, vient La Voix Ouvrière absolument engagée du côté communiste, qui parle le moins possible du mur et qui critique très ouvertement le monde occidental. Deuxièmement, en ce qui concerne l’événement historique, il faut répondre à la question journal par journal. Pour la FAL, il ne fait aucun doute que l’érection du mur peut prétendre au titre d’événement historique. Elle expose l’affaire en montrant bien la complexité de la situation. L’Illustré, quant à lui, bien qu’il prenne l’événement moins sérieusement que la FAL (en plaisantant par exemple), en fait tout de même un événement majeur, principalement en montrant de nombreuses images sur le sujet. Pour finir, totalement à l’opposé, La Voix Ouvrière fait de la construction du mur un non événement, cela signifie que pour eux cette affaire est normal voire banal et ne mérite presque pas de figurer dans un article. De plus le journal profite de cette histoire pour déclarer que le capitalisme est le pire régime politique et le critique ouvertement dans la plupart de ses articles. Un élément intéressant à mettre en évidence est celui de l’écriture de l’histoire. En effet, comme j’ai pu le remarquer, il y a très peu d’informations écrites par La Voix Ouvrière qui figurent dans un livre d’histoire, sur un site Internet ou dans un cours d’histoire. Il en va de même pour les points de vue et les idées. Je n’ai jamais trouvé un livre, un site ou entendu un professeur qui exposait les faits à la manière de La Voix Ouvrière. Au contraire, la plupart des ouvrages parlent de l’histoire comme le faisait la FAL ou L’Illustré. C’est un point de vue strictement occidental. Les Occidentaux ayant « remporté » la guerre froide, ils ont eu le privilège d’écrire l’histoire, et ce à leur manière. C'est-à-dire qu’ils ont pu faire passer sous silence des épisodes peu glorifiant. Et cela nous a très certainement influencé. L’histoire aurait été complément différente si l’URSS l’avait écrite.70 Ici se termine mon travail. Et pourtant, il est loin d’être exhaustif. J’aurais volontiers interviewé les journalistes qui ont écrit certains articles (si toutefois ils sont encore en vie) ou 70 VIDAL, D., « Commémoration ou transmission ? », in Manière de voir, n°82, août-septembre 2005, Pages d’histoires occultées, Paris, Le Monde diplomatique, pages 94-95. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 32 bien des personnes qui, en 1961 lisaient ces journaux. Les réactions et les remarques de ces gens auraient pu être intéressantes et auraient ajouté du dynamisme et de la vie dans ce travail. Ce travail de maturité m’aura apporté plusieurs choses. D’abord à bien gérer mon temps pour pouvoir à la fois écrire, faire des recherches et le concilier avec le travail scolaire. Il m’a aussi appris à travailler dans les grandes bibliothèques universitaires et les archives, choses que je ne faisais pas auparavant. La recherche et l’analyse des archives étaient un tout nouvel exercice pour moi. Ce travail m’a aussi beaucoup apporté sur la compréhension de la presse de l’époque. Les journaux d’aujourd’hui ont beaucoup changé, que ce soit au niveau de la présentation ou de l’information. Par exemple, les journaux de l’époque s’intéressaient plus aux événements de la région que à ceux dans le monde. Pour conclure, ce travail était un bon aperçu des travaux plus complexes que l’on devra réaliser pour les études supérieures. La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 33 Bibliographie Ouvrages généraux A.A.S.P., Catalogue des journaux suisses, Lausanne, 1975, 224 pages BAHNSEN, U. et, ZOLLING, H., Berlin, la nuit du mur, Paris, Robet Laffant, 1968, 248 pages BENDER, P. PRAGAL, P. et SCREITER, H., 40 Jahre DDR, Hamburg, Stern-Bücher, 1989, 136 pages BLASER, F., Bibliographie de la presse suisse, Basel, Birkhäuser, 1956, 1441 pages BOLLINGER, E., La presse suisse, Lausanne, éditions Payot Lausanne, 1986, 192 pages BONARD, A., La presse vaudoise, Lucerne, société suisse d’éditeurs de journaux, 1925, 100 pages BRIGOULEIX, B., 1961-1989 Berlin, Paris, Tallandier, 2001, 217 pages CHUARD, J.-P., Une odeur d’encre, Lausanne, 24 heures imprimeries réunies S.A., 1986, 204 pages D’ALMEIDA, F., La vie mondaine sous le nazisme, Paris, Perrin, 2008, 529 pages FONTAINE, A., La guerre froide 1917-1991, Paris, Points Seuil, 2001, 572 pages FRAISSINIER, G., La chute du mur de Berlin à la télévision française, Paris, L’Harmattan, 2005, 273 pages HILDERBRANDT, R., Cela c’est passé au mur, Berlin, Verlag Haus am Checkpoint Charlie, 2006, 230 pages JUDT, T., Après guerre, une histoire de l’Europe depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2007, 1023 pages PETSCHULL, J., Die Mauer, Hamburg, Stern-Bücher, 1989, 287 pages SCHMUTZ, M., La presse vaudoise et la création de l’ONU, Lausanne, 1989, 249 pages STEININGER, R., Der Mauerbau, München, Olzog, 2001, 411 pages Articles COLLECTIF, « 1947 : le monde entre dans la guerre froide », in Les collections de l’Histoire, n°209, avril 1997, pages 20 à 47 COLLECTIF, « Le siècle communiste », in Les collections de l’Histoire, n° 223, juillet août 1997, pages 8 à 112 La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 34 VIDAL, D., « Commémoration ou transmission ? », in Manière de voir, n°82, août-septembre 2005, Pages d’histoires occultées, Paris, Le Monde diplomatique, pages 94-95. WINOCK M., « qu’est ce qu’un événement ? », in Les collections de l’Histoire, n° 268, septembre 2002, pages 32 à 55 Sites Internet http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil histoire du mur et noms propres, consulté en 08 http://mediaplayer.archives.tsr.ch/unjour-berlin/3.rm archive de la TSR, émission sur Berlin le 5 novembre 1964, consulté en avril 08 http://www.gauchebdo.ch/article.php3?id_article=387 archive de Gauchebdo, utile pour l’histoire de ce journal, consulté en avril 08 Sources Articles de journaux tirés de FAL du lundi 14 août 1961 au 29 septembre 1961, passim. Articles de journaux tirés de La Voix Ouvrière du lundi 14 août 1961 au 10 septembre 1961, passim. Articles de journaux tirés de L’Illustré du jeudi 17 août 1961 au 28 septembre 1961 passim. Images Page de titre : http://pagesperso-orange.fr/cchamorand/hist/images/1961.jpg VoPo franchissant la ligne de démarcation mi août 1961. Figure 1 : http://www.dubuiss5.perso.cegetel.net/1961-%20Construction%20du%20mur.jpg Figure 2 : http://userpage.chemie.fu-berlin.de/bilder/13aug.gif Figure 3, 4, 9 et 11 : HILDERBRANDT, R., Cela c’est passé au mur, Berlin, Verlag Haus am Checkpoint Charlie, 2006, 230 pages. Figure 5 : tiré de la FAL le vendredi 18 août 1961 en page 28. Figure 6 : tiré de L’Illustré le jeudi 28 septembre 1961 en page 36. Figure 7 : tiré de la Voix Ouvrière le lundi 14 août 1961 en page 4. Figure 8 : tiré de la Voix Ouvrière le mercredi 16 août 1961 en page 1. Figure 10 : http://www.hanisauland.de/img/db/berlinermauer_430_430_80.jpg Figure 12 : http://jsphere.files.wordpress.com/2008/02/03_07_berlinermauer.jpg La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 35 Annexe 1 Grille de lecture, presse Journal : Date article + titre: Longueur article + n°de page : Auteur : Images, cartes, etc. : Contenu : Résumé : Résumé : Résumé : Autres : Faits historiques (Winock) Imprévisibilité : Intensité : Conséquences : Retentissement : La construction du mur de Berlin vue par la presse romande 36