Petite intro à l`évangile de Marc

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Petite intro à l`évangile de Marc
Mais qui donc est cet homme ?
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Petite intro à l’évangile de Marc
Dans son commentaire de l’évangile de Marc, J. Valette se pose cette question :
Pourquoi lire Marc, alors qu’il est avéré que 330 de ses versets se trouvent en substance chez Matthieu
et Luc, 178 chez Matthieu, 100 chez Luc seul ? Si bien que Marc n’en aurait en propre que 53.
Cet évangile serait-il un « parent pauvre ou abréviateur » de deux autres synoptiques, peu original,
simpliste ? Telle était à son sujet l’interrogation de l’Eglise jusqu’au 19ème siècle, moment, où, avec
l’hypothèse de la priorité de Marc, on a abordé autrement cet écrit.
L’une des raisons de lire Marc, toujours, selon J. Valette, serait donc le fait que cet écrit apporte « un
témoignage essentiel et profondément original au Christ et à son Evangile. (...) se priver de lire Marc,
c’est peut-être se priver de se trouver, sinon le plus près possible, en tout cas le moins loin de
l’atmosphère des temps évangéliques. »
Auteur
L’évangile selon Marc est une œuvre qui se veut anonyme. La personnalité de l’auteur s’efface devant
l’autorité du message à communiquer, devant la Bonne Nouvelle. Son récit n’affiche pas de « je », (à la
différence de Luc, en introduction), ni n’explique aucune intention théologique (à la différence de la
conclusion johannique p.ex.). Celle-ci est à déduire de la perspective de l’œuvre elle-même.
Bien des recherches et réflexions se sont faites au sujet de l’auteur qui ne se laisse pas connaître
autrement que par son écrit et ce qui est possible de déduire de sa langue, son style, son rapport à
l’espace et au temps, son travail littéraire et sa perspective théologique.
L’évangile de Marc est un écrit de langue grecque teintée de sémitismes, proche de traditions orales
araméennes, au réservoir lexical pauvre, à la syntaxe élémentaire, un large usage des temps simples
(présent historique) et dont les maladresses d’écriture restent apparentes. Ces traits le font « classer »
dans la littérature hellénistique populaire. Cependant, il n’est pas exempt, dans sa construction, de tout
un tissage travaillé dans lequel le style sert et est porteur du contenu.
Lieu
La tradition a localisé l’évangile à Rome ; rien dans le texte ne l’infirme ni confirme.
Des chercheurs ont avancé d’autres hypothèses les situant dans un centre urbain et ecclésial important :
l’Egypte avec Alexandrie, la Syrie avec Antioche, ou carrément la Galilée où Jésus commence à
proclamer son message et qu’il parcourt dans tous les sens.
Rome semble rester l’hypothèse privilégiée des chercheurs.
Date
C’est autour de l’an 70 que l’on situe la rédaction de l’évangile de Marc.
Et on retient comme critères de cette datation les indices contenus dans le chap. 13 (évocation de la fin
des temps, l’urgence à proclamer l’Evangile aux nations, etc.), climat de troubles, de guerre, toute une
ambiance apocalyptique qui fait très probablement écho à la Guerre Juive (66-70) qui aboutit à la prise de
Jérusalem par Titus et l’incendie du Temple, énorme traumatisme pour le judaïsme de l’époque.
Destinataires
Différents indices comme p.ex. l’absence de réflexion profonde sur la Torah, de nombreux déplacements
de Jésus vers les territoires limitrophes païens font penser à des destinataires pagano-chrétiens
(chrétiens d’origine païenne).
Ainsi, s’esquisse pour l’auteur la figure d’un judéo-chrétien de la deuxième génération, parlant grec,
ouvert à la mission universelle, qui écrit pour des pagano-chrétiens de communauté, sinon romaine, du
moins du monde occidental.
Mais qui donc est cet homme ?
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Quelques traits suggestifs d’un vécu historique peuvent être tirés de l’analyse attentive du récit. Il se
profile ainsi l’image d’une communauté en chemin, elle se dégage de la fièvre apocalyptique, prend ses
distances par rapport aux institutions juives (le sabbat p.ex.), elle se tourne vers les autres, les païens,
sous l’inspiration de la liberté reçue de Jésus. « Elle assume sa vie déracinée, itinérante, qui traverse les
tempêtes de l'histoire et de la foi. Elle trouve accueil et force d'affronter la nouveauté dans les pains que
lui partage son Seigneur, comme Dieu l'a fait pour son peuple en exode. Encouragée par des moments
de retrait dans les maisons où elle est enseignée, c'est surtout en avant qu'elle est portée, en quête de
reconnaissance, par la question Mais qui donc est Jésus ? C'est en s'interrogeant sur lui qu'elle répond
d’elle-même. Elle modèle son identité d'écrire et de lire son histoire, elle creuse le sillon de son avenir en
racontant où commence sa libération, qu'elle reçoit comme une guérison, une résurrection. »
Sources
Pour rédiger son évangile, Marc a sans doute bénéficié à la fois des sources écrites et des matériaux
oraux, de premières ébauches du judéo-christianisme de Palestine, et d’autres plus marquées par la
culture hellénistique.
Les éléments principaux de ce matériau sont :
- le récit de la Passion par lequel les communautés commémoraient, dans leurs liturgies, la mort et
la résurrection de leur Seigneur ; ce récit a peut-être formé le noyau de la narration,
- des citations des Ecritures évoquant la figure du juste persécuté,
- des paraboles, controverses, miracles, déjà en partie travaillés et regroupées par la tradition orale,
- de petites collections de sentences que Marc a reprises ici et là.
Cela dit, « le ressort essentiel de la composition de Marc qui assure une cohérence théologique aux
traditions recueillies, a été désigné sous le terme de secret messianique. Il recouvre les ordres de silence
adressés par Jésus à ceux qu’il guérit ou, aux disciples après une révélation, et le thème de
l’incompréhension des disciples.
Ces deux thèmes font de la révélation une épiphanie secrète (M. Dibelius).
Quelques points caractéristiques de l’évangile de Marc
1. Dans sa visée théologique, dès les premières lignes, l’écrit déclare explicitement l’intérêt porté à
« l’Evangile de Jésus Christ, Fils de Dieu ». Evangile est la Bonne Nouvelle apportée et destinée à
tous les hommes et dont l’accueil définit la foi chrétienne. Le mot Evangile revient 7 fois dans le
texte (bien moins présent chez Matthieu et Luc). C’est dire son importance. A cet égard, deux
affirmations sont fortes chez Marc : - le rôle de l’Eglise est de continuer et d’actualiser le message
et l’œuvre de Jésus ; - le souci missionnaire de l’expansion de l’Evangile.
2. Dans son style, une certaine rudesse, candeur, franchise et sincérité, une manière directe de
raconter, et même quelques gaucheries ici ou là confèrent à ce texte vivacité, force et énergie
toutes particulières.
3. Dans l’insistance sur l’humanité de Jésus, l’auteur de Marc, dont l’évangile est un témoignage
rendu au Fils de Dieu et la Bonne Nouvelle qu’il apporte au monde (cf. ci-dessus), prend un grand
soin de témoigner aussi de la pleine humanité de Jésus (ses joies, ses colères, sa faiblesse).
Mais, chaque fois qu’il le peut, il souligne aussi sa grandeur et sa bonté (ses sentiments de
compassion dans les récits de miracle p.ex.).
4. Dans sa relation avec les disciples, Jésus est présenté dans un lien fort et presque constant avec
les disciples ; mise à part le moment où il les envoie en mission, on ne voit pas souvent Jésus
sans eux. Il en va de même avec la foule, souvent présente dans cet évangile. « La frontière entre
elle et les disciples est indécise, à la fois parce que les disciples apparaissent souvent aussi
inconscients qu’elle, ne comprennent pas leur maître, et parce que les hommes de la foule sont
toujours regardés comme des disciples potentiels. » (cf. préoccupation missionnaire de Marc).
5. Dans l’enseignement de Jésus, un certain paradoxe se fait sentir : d’un côté Marc attache une très
grande importance à cet enseignement, justement porteur de l’Evangile, et d’un autre, une part
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importante de l’enseignement y manque, alors qu’elle est présente chez Matthieu et Luc (fait
probablement dû à l’insuffisance des sources dont Marc disposait).
6. Et enfin, pour Marc, comme pour Paul, l’Evangile, c’est Jésus. La force de sa Parole, sa vérité et
son autorité viennent du fait que c’est lui qui la prononce. Point n’est besoin non plus de proclamer
haut et fort, publiquement, la messianité de Jésus (cf. le secret messianique). L’essentiel étant la
reconnaissance et l’adhésion personnelle au Christ (cf. la confession du centurion romain au pied
de la croix).
Magda Eggimann
Informations et citations tirées de :
D. Marguerat et al., Introduction au Nouveau Testament, Son histoire, son écriture, sa théologie, 4ème éd.
Augmentée et corrigée, Le monde de la Bible, Labor et Fides, 2008.
D. Marguerat, Le Dieu des premiers chrétiens, Essais bibliques, Labor et Fides, 1997.
J. Valette, L’Evangile de Marc, parole de puissance, message de vie, commentaires tome 1, Les bergers
et les mages, 1986.