La sédation consciente au mélange protoxyde d`azote/oxygène en

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La sédation consciente au mélange protoxyde d`azote/oxygène en
Douleurs, 2006, 7, 5
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VOTRE PRATIQUE
La sédation consciente au mélange protoxyde d’azote/oxygène
en odontologie
Frédéric Philippart
La « peur du dentiste » est encore bien
présente dans l’esprit de nos contemporains, malgré une prise en charge
systématique de la douleur par les
anesthésiques locaux lors des soins
dentaires [1].
Le contrôle de l’anxiété par un sédatif
apporte un confort aussi bien au
patient qu’à l’équipe soignante et
accroît la sécurité lors des soins sur les patients présentant un
risque médical [2]. Lorsque l’anxiété est contrôlée, le patient
consulte plus tôt et les soins sont alors moins invasifs.
Or en France, la sédation est essentiellement assurée par la
prescription de médicaments sédatifs administrés par voie orale
ayant des demi-vies longues et engageant la responsabilité du
prescripteur parfois jusqu’à 8 heures après l’intervention.
La sédation consciente par inhalation d’un mélange de protoxyde d’azote et d’oxygène représente une alternative tout
à fait intéressante aux méthodes de sédations classiques et
est largement utilisée dans certains pays européens et aux
États-Unis [6-8]. L’objectif recherché est le contrôle de
l’anxiété du patient, l’anesthésique local assurant le contrôle
de la douleur. Les concentrations de protoxyde d’azote utilisées ne dépassent pas 50 % du mélange gazeux protoxyde
d’azote/oxygène, le patient garde sa conscience et est capable de coopérer avec le praticien.
Nous allons voir comment un chirurgien-dentiste peut intégrer cette technique de sédation dans son exercice quotidien, nous décrirons le matériel spécifique dont il dispose
ainsi que le protocole d’administration tout à fait codifié qui
lui permet d’aboutir à cet objectif.
LES CARACTÉRISTIQUES DE LA SÉDATION
CONSCIENTE ET DU PROTOXYDE D’AZOTE
La sédation consciente est caractérisée par [3, 4] :
– un état de conscience du patient ;
– des réflexes de protection des voies aériennes intacts ;
– une ventilation normale et des mouvements oculaires
normaux ;
– une coopération totale du patient : ce dernier est en effet
capable de répondre à un ordre et de donner des informations sur ce qu’il ressent ;
Paris.
– un début de dépression du système nerveux central et
notamment du cortex cérébral entraînant une baisse des
facultés intellectuelles, de la mémoire et des fonctions d’intégration ainsi que de la perception du temps et de l’espace ;
– une diminution de réaction aux stimuli douloureux ;
– une diminution de la notion du temps et parfois une
amnésie partielle de l’acte.
La très faible solubilité dans le sang du protoxyde d’azote est à
l’origine d’une efficacité clinique et d’une élimination rapides
(3 à 5 minutes). Le protoxyde d’azote ne subit pas de bio transformation et ne s’accumule pas dans l’organisme même en cas
d’exposition répétée. Il est totalement éliminé par voie pulmonaire dans les 5 minutes qui suivent l’arrêt de l’administration.
Dans le cadre de la sédation consciente le protoxyde
d’azote, utilisé à des concentrations inférieures à 50 %, n’a
pas d’effet négatif sur le système nerveux central, n’a pas
d’effet clinique significatif sur le système cardiovasculaire,
respiratoire, gastro-intestinal, rénal et hématopoïétique. Il
ne présente pas d’effet toxique pour le patient [3].
LE MATÉRIEL
Le matériel utilisé autorise une administration adaptable
aux besoins du patient (titration), limitée au maximum à
50 % de protoxyde d’azote et permet en outre une réduction efficace de la pollution de l’environnement opératoire
par le protoxyde d’azote.
Les sources de gaz sont composées d’une bouteille de mélange
protoxyde d’azote (50 %) – oxygène (50 %) (MEOPA) et d’une
bouteille d’oxygène pur (fig. 1).
Ces bouteilles sont reliées à un débitmètre-mélangeur de
protoxyde d’azote et d’oxygène qui permet une titration de
0 à 50 % de protoxyde d’azote au maximum.
Des alarmes visuelle ou sonore ainsi que l’usage d’une source
de N2O déjà dosée à 50 % (MEOPA), assurent l’administration d’une concentration d’oxygène jamais inférieure à 50 %.
Le mélange est administré en continue grâce à un masque
nasal (fig. 2) adapté à la morphologie du patient, relié à un
système de récupération et d’évacuation active des gaz
expirés (aspiration chirurgicale) (fig. 3 et 4).
La salle de soins comporte une ouverture d’aération vers
l’extérieur ou un système de ventilation actif d’air non recyclé.
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Figure 1. Matériel dans le cadre d’une administration du protoxyde
d’azote avec titration, utilisant une source de mélange équimolaire
protoxyde d’azote-oxygène et une source d’oxygène.
MODALITÉS D’ADMINISTRATION
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5 – réalisation de l’acte sous administration continue du
mélange dont les paramètres (débit, concentration) ont été
précédemment ajustés,
6 – à la fin de l’acte : arrêt de l’administration du protoxyde
et administration d’oxygène pur durant 3 à 5 minutes au
minimum ou plus si les signes et symptômes cliniques de la
sédation persistent,
7 – arrêt complet de l’administration et évaluation du patient,
8 – libération du patient sans escorte.
Ce protocole permet d’obtenir un niveau de sédation
adapté à chaque patient par ajustement du taux de protoxyde d’azote dans le mélange administré.
Grâce au débitmètre-mélangeur il est possible à chaque instant
de diminuer ou d’augmenter dans la limite de 50 % le taux de
protoxyde administré ; l’effet sur le patient est quasi instantané.
L’administration se fait en continue grâce à un masque nasal
qui laisse libre l’accès à la bouche pour les soins (fig. 5 et 6).
Une attention particulière est portée au contrôle de la pollution de l’environnement par le protoxyde d’azote : le masque
nasal existe en plusieurs tailles afin d’être adapté à la morphologie du patient.
Le protocole d’administration est relativement simple [5] :
1 – mise en place du masque et administration d’oxygène
pur à raison de 5 litres/minute,
2 – ajustement du débit,
3 – administration du protoxyde d’azote réglé sur le débitmètre-mélangeur à 20 %,
4 – augmentation du pourcentage du protoxyde de 10 %
toutes les minutes jusqu’à ce que le niveau idéal de sédation
clinique soit atteint,
Figure 3. Circuit d’administration et d’évacuation des gaz, reliés au
masque avec système antipollution.
Figure 2. Administration du mélange équimolaire de protoxyde
d’azote et d’oxygène par un masque nasal.
Figure 4. La tubulure d’évacuation des gaz expirés est reliée à l’aspiration chirurgicale du cabinet.
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Figure 5. La sédation par inhalation permet de soigner dans les situations cliniques les plus diverses, les patients répondant aux indications.
Ce masque est chapeauté par une petite coupelle (reliée à
l’aspiration chirurgicale) dans laquelle est créée une dépression afin de récupérer et évacuer les gaz expirés. L’administration se fait dans un local ventilé.
INDICATIONS – CONTRE-INDICATIONS
Les indications sont représentées classiquement par les
patients (enfants et adultes) présentant une anxiété sévère
ou modérée vis-à-vis des soins [2, 3, 5, 9, 11-14].
Mais aussi nous porterons une attention particulière aux
patients dits à risque au plan médical et dont les soins doivent
être réalisés sous sédation pour prévenir toute exacerbation de
leur(s) pathologie(s) sous-jacente(s).
Les patients mentalement déficients, les patients présentant
des comportements interférant sur le bon déroulement des
soins, représentent aussi des populations pour lesquels la
sédation consciente est tout à fait bénéfique.
Nous retiendrons comme contre-indications [3, 5-8, 10,
15, 16] :
– les patients sur lesquels l’application du masque est
impossible pour des raisons physiques (traumatismes
faciaux) ou psychologiques (claustrophobes, non coopératifs refusant la sédation) ;
– les patients présentant des désordres de la personnalité ;
– les patients présentant une obstruction naso-pharyngée ;
– les patients présentant une maladie pulmonaire obstructive
sévère chronique, insuffisant respiratoire sévère, patient traité
ou ayant été sous traitement (dans l’année précédente) à la
bléomycine et patients présentant une déficience en vitamine
B12 ;
– les patients présentant un risque ou un antécédent de
pneumothorax, d’emphysème, d’occlusion intestinale, de
distension abdominale ou d’atteinte de l’oreille moyenne ;
– les patients présentant de l’hypertension intra-crânienne.
Figure 6. La sédation par inhalation permet de réduire les risques de
réflexes nauséeux lors des prises d’empreintes.
DOMAINE LÉGAL D’UTILISATION
La sédation consciente au protoxyde d’azote peut être pratiquée par du personnel médical ou paramédical correctement formé.
Malheureusement, alors que la sédation consciente au protoxyde d’azote est une technique largement pratiquée dans
les cabinets dentaires européens et américains, alors qu’elle
bénéficie d’une innocuité largement documentée, l’AMM
délivrée par l’AFSAPS (2002) en restreint l’usage aux services
hospitaliers !
La très grande majorité des patients traités en cabinet dentaire privé ne peuvent donc pas bénéficier des avantages de
la sédation. C’est une exception Française. Les patients relevant des indications de la sédation consciente sont obligés
de consulter les services de soins dentaires des hôpitaux
déjà surchargés.
CONCLUSION
Appliquée à l’odontologie, la sédation consciente au protoxyde d’azote présente donc de nombreux avantages ;
outre une diminution de la souffrance psychologique du
patient la sédation consciente entraîne :
– une motivation à la consultation et donc un accès précoce
aux soins permettant prévention et dépistage ;
– des soins précoces donc moins invasifs, de durée réduite,
permettant une diminution significative du nombre des
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séances, se traduisant par des soins moins coûteux tant
pour le patient que pour la collectivité ;
– une amélioration de la qualité des soins, qui est liée entre
autre à la collaboration du patient ;
– une gestion appropriée des patients à risque au plan médical, avec amélioration de la sécurité ;
– une réduction de la prescription des soins sous anesthésie
générale.
En fait, le champ d’application de la sédation est particulièrement vaste. Il concerne effectivement la chirurgie dentaire
mais aussi bien d’autres disciplines comme la gynécologie,
l’ophtalmologie, la dermatologie et d’une manière plus générale toute procédure médicale au cours de laquelle la prise
en charge de l’anxiété peut être bénéfique pour le patient. „
RÉFÉRENCES
1. Scott DS, Hischman R. Psychological aspects of dental anxiety disorder.
Committee for drug information. The Sweedish National Board of Health
and Welfare, 1988.
2. D’Eramo EM. Morbidity and mortality with outpatient anesthesia: the Massachusetts experience. J Oral Maxillofac Surg 1999;57:531-6.
3. Malamed SF. St Louis, Mosby, 2003.
4. Clark M, Brunick A. Handbook of nitrous oxide and oxygen sedation,
St Louis, Mosby, 1999.
5. Philippart F, Roche Y. La sédation consciente au protoxyde d’azote en
odontologie, Editions Cdp, 2004.
6. Little JW et al. Dental management of medically compromised patient, ed 4
St Louis, Mosby, 2003.
7. Bricker SI et al. Oral diagnosis oral medicine and treatment planning, Philadelphia, Lea and Febiger, 1994.
8. Sonis ST et al. Principles and practice of oral medicine, ed 2 Philadelphia,
Saunders, 1995.
9. Roche Y. Chirurgie dentaire et patients à risque. Evaluation et précautions
à prendre en pratique quotidienne, Paris, Médecine-Sciences Flammarion,
1996.
10. Philippart F. Intérêt de la sédation par inhalation d’un mélange de protoxyde d’azote et d’oxygène. Inf Dent 2000;32:2457-62.
11. Roberts GJ. Inhalation sedation with oxygen/ nitrous gas mixture. 1 Principles. Dent Update1990;17:139-46.
12. Hallonsten AL et al. Nitrous oxide-oxygen sedation in dental care. Com Dent
Oral Epidemiol 1983;11:347.
13. Little JW et al. Dental management of medically compromised patient, ed 4
St Louis, Mosby, 2003.
14. Hennequin M et al. Faulks D, Collado V, Gremeau C. A retrospective study
of the indications for relative analgesia by inhalation of a mixture of 50%
oxygen/50% nitrous oxide in special needs dentistry. Congress of the International Association of Paediatric Dentistry, Paris, 2001.
15. Mann MS et al. Anesthetic carrier gases. Anesth 1985;40:8-11.
16. Barash PG et al. Clinical anesthesia, ed 2 Philadelphia, Lippincott, 1993.
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L’aspect bénéfique de la sédation, la relative innocuité du protocole,
sa parfaite adaptation au caractère ambulatoire des interventions au
cabinet sont autant d’avantages qui laissent envisager un développement important de son usage en odontologie et dans d’autres spécialités médicales.
Mots-clés : sédation consciente, protoxyde d’azote, odontologie.
Summary: Sedation in the conscious odontology patient with nitrogen protoxide
Use of oxygen nitrogen protoxide for conscious sedation in odontology procedures has several advantages in terms of patient
safety and comfort but also in terms of public health. Indeed, this
method is an incentive for earlier care and limits the number of
indications for general anesthesia.
Administration of protoxide is perfectly well defined. Use of a
flow meter mixer linked to the surgical aspiration circuit enables
quality control of pollution.
The beneficial effect of sedation, the safety of the protocol, and
the perfect adaptation to ambulatory care in the dental office are
some of the many advantages which should favor more widespread development both in odontology and other medical
specialties.
Key-words: conscious sedation, nitrogen protoxide, odontology.
Résumé
L’usage de la sédation consciente au protoxyde d’azote-oxygène en
odontologie présente des avantages en terme de confort et de sécurité pour le patient mais aussi en matière de santé publique par
une incitation aux soins précoces et une diminution des indications
de l’anesthésie générale.
Le protocole d’administration est parfaitement codifié. L’usage
d’un débitmètre-mélangeur permet une titration du protoxyde
d’azote et l’utilisation d’un masque nasal relié à l’aspiration chirurgicale du cabinet, autorise un contrôle de la pollution de la salle de
soins.
Correspondance : F. PHILIPPART,
145 avenue de Malakoff,
75116 Paris.
e-mail : [email protected]

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