Fallait-il vraiment associer Louis Vuitton aux massacres du Darfour ?

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Fallait-il vraiment associer Louis Vuitton aux massacres du Darfour ?
Fallait-il vraiment associer Louis Vuitton aux massacres du Darfour ?
Par Valentin Callipel
Mis en ligne le mardi 29 mars 2011
Valentin Callipel est étudiant dans le cadre du cours DRT 6929-O.
Depuis plusieurs jours, lartiste Nadia Plesner occupe lactualité des fils Twitter et autres blogs
des inconditionnels de la liberté dexpression sur le Web. En effet, la jeune peintre danoise, déjà
condamnée en 2008 pour des faits similaires, est de nouveau opposée à la société française Louis
Vuitton qui lui reproche cette fois-ci davoir représenté sans autorisation le sac portant le nom d« Audra
» dans le tableau « Darfurnica » (ci-dessous).
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Ce tableau hommage au Guernica de Picasso présente un monde où les médias ne reconnaissent plus
la frontière entre publicités hollywoodiennes et crises humanitaires dévastant le monde ; inspirée par la
crise du Darfour, lSuvre arbore en son centre un enfant noir dénudé portant un sac à main très
semblable à celui commercialisé par la marque française.
Comme lindique lartiste au site « allvoice.com » :
« In Darfurnica I have mixed some of the horrible stories I have learned about Darfur over the
past years with some of the Hollywood gossip stories which made headlines during the same
time period. Paris Hilton going to prison, Britney Spears shaving her head and the Big Brother's
UK star with cancer ».
LSuvre, consultable en ligne sur le site de Nadia Plesner, nétait visiblement pas du goût de la marque
de luxe française qui sest pourvue en référé devant un Tribunal de la Haye (Pays-Bas) afin de faire
cesser et de sanctionner la violation de son droit dauteur. Dans un j ugement rendu par défaut le 27
janvier 2011, il a été ordonné à Nadia Plesner, sous astreinte de 5.000 ¬ par jour, de cesser de
présenter ou dexposer sa peinture au sein de lUnion européenne ainsi que sur son site Internet (pour
les non-juristes, lexpression « par défaut » signifie que Nadia Plesner nétait pas présente lors de la
procédure de référé et donc quelle na pas encore été en mesure de présenter sa défense).
Depuis ce jugement, la peinture est laissée délibérément accessible sur le site de lartiste, de sorte
quaujourdhui, le montant de la condamnation dépasserait 300.000 euros ! Lartiste, appuyée par de
nombreux soutiens, fait de ce procès un symbole du combat pour la liberté dexpression ( liste des
soutiens : dont le ministre danois de la culture Per Stig Møller, des intellectuels tel que Lawrence Lessig
& mais également des soutiens plus controversés comme le collectif anonymous).
Du reste, il est en effet difficile ici, de ne pas faire le lien avec l’affaire des caricatures de
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Mahomet qui avait obtenue, en son temps, une résolution différente.
Laffaire Plesner contre Vuitton est une illustration du regain dactualité du conflit entre droit dauteur et
liberté dexpression à lheure de lInternet. En effet, compte tenu de laudience dont dispose Nadia
Plesner, grâce à son site Web, le lien fait entre « Louis Vuitton and its products on the one hand, and
the situation in Darfur on the other hand » (al.34) était de nature à porter un important préjudice au nom
et à la réputation de la marque Louis Vuitton. Cependant, de lautre côté, se trouve : « la liberté de
communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et
sans considération de frontière » qui est prévue à larticle 10 de la Convention européenne des droits de
l’Homme et du citoyen.
Léquilibre entre ces deux droits sest traduit en lespèce en la défaveur de lSuvre de Nadia Plesner.
Comme le rappelle le juge hollandais, « In general, intellectual property rights are regarded as justified
restrictions of the freedom of speech within the meaning of Article 10 (2) of the ECHR : they are (i)
prescribed by law, (ii) necessary in a democratic society, and (iii) intended for the protection of the
reputation or rights of others.7 Only in exceptional cases, an intellectual property right may be set aside
on grounds of the freedom of speech » (al.30). En lespèce, lSuvre litigieuse na pas été considérée
comme relevant des hypothèses écartant le respect du droit dauteur. En effet, « Louis Vuitton has
nothing to do with the genocide in Darfur, and therefore it is not necessary (and without reason) to
associate Louis Vuitton with this genocide and to use its intellectual property rights for this purpose »
(al.31).
Le jugement propose, même, certaines alternatives que lartiste aurait pu utiliser afin déviter
denfreindre la législation sur le droit dauteur : « for example, if the choice would be made to maintain
the picture of the African small child, the child could be depicted with a large diamond ring, or with a
shiny car in the background, or slumping in front of a TV, etc. etc.) ».
Il ressort à ce stade de la procédure que le message politique de Nadia Pelsner aurait pu ou dû prendre
une autre forme. En effet, daprès le juge, il ne lui était pas nécessaire dassocier Louis Vuitton aux
massacres du Darfour pour défendre son point de vue. Dès lors lutilisation sans autorisation dun sac
ressemblant au sac « Audra » justifiait linterdiction de lexposition et de la mise en ligne de ce tableau.
Le sort réservé à cette Suvre dart est loin demporter ladhésion des
militants de la liberté dexpression.
Etait-il en effet pertinent de contrôler la liberté dexpression avec les instruments juridiques destinés à
réprimer la contrefaçon ? Le jugement constate que « It is clear that (Nadia Plesner) intend to attract the
public's attention to their own products by using the intellectual property rights of Louis Vuitton, and in
doing so are free riding on the public profile of Louis Vuitton ».
Difficile question que de savoir si une Suvre dart est un produit comme les autres. En tout cas lavocat
de Nadia Plesner, Jens van den Brink, est persuadé du contraire. Pour lui, ce tableau nest pas un
produit commercial, il sagit dune critique de la société :
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Par Valentin Callipel
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"Louis Vuitton ne rend pas service aux autres propriétaires de marque et détenteurs de
propriété intellectuelle. Il fait usage mal à propos (&) dune procédure qui est en fait utilisée pour
supprimer du marché les containers arrivant en Europe et chargés dobjets contrefaits.".
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Nous devrions obtenir rapidement des réponses, car lartiste a fait opposition au jugement rendu par
défaut, et son recours devrait être entendu le 30 mars 2011 à 14h00 devant la Cour de la Haye, à suivre
donc&
En attendant, on se demandera quelle aurait été laudience de ce tableau si aucune poursuite navait
été engagée contre lartiste et son Suvre.
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