Mai 2010 - Terres Nouvelles

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Mai 2010 - Terres Nouvelles
www.terresnouvelles.be
JOURNAL DU MOIS
Mai 2010
Action du mois: L’Arche
Terres
Nouvelles
soutient L’Arche d’Haïti
depuis le début des
années
80
(L’Arche
accueille des personnes
handicapées dans des
communautés de vie),
non seulement parce que
ces personnes fragiles et vulnérables ont besoin de
soutien, mais aussi parce que nous pensons que si la
société haïtienne peut faire une place «même à ses
handicapés», alors elle peut «reconnaître tout le
monde».
Jonathan Boulet-Groulx vit depuis mai 2009 dans la
petite communauté de Chantal, dans le sud du pays.
Son
blog,
Mwen
pa
fou
(http://www.larche.ca/reporters/jonathan), nous permet
de suivre «de l’intérieur» la vie haïtienne après le séisme
du 12 janvier.
Voici des extraits de son blogue:
-C’est l’histoire d’une femme touchée par la
déficience
intellectuelle,
morte
pendant
le
tremblement de terre du 12 janvier dernier. L’histoire
banale d’une femme, morte par oubli.
Elle vivait dans une maison à loyer, seule dans sa
chambre. Parfois, ses sœurs venaient la voir, quand
elles avaient le temps. Cette femme, en plus de ne pas
avoir une intelligence normale, était en fauteuil roulant.
Personne pour l’aider à sortir et prendre l’air. Lors du
tremblement de terre, les habitants ont eu le temps de
sortir, à la course, de leurs chambres respectives. Seule
notre femme est morte… Personne n’aura voulu qu’elle
meure, mais pendant des années, personne ne l’aura
sauvée de l’oubli…
Ce qui me fait peur dans tout ceci, c’est l’oubli collectif.
L’oubli des plus faibles est si facile; et c’est mille fois
plus facile lorsque nous sommes victimes d’une situation
d’urgence. Haïti a un passé de rejet: les esclaves par les
blancs; les mulâtres par les noirs; les pauvres par les
noirs riches; la femme par l’homme; l’enfant par l’adulte.
Dans une histoire où le dominant vit mieux que le
dominé, on comprend rapidement que pour s’épanouir, il
faut cette subtile domination sur l’autre qui nous élève
au rang des «écoutés. Les autres, mais vraiment tous
les autres, ce sont des sans-voix.
…C’est à nous humains, avant tout, de donner à ce
peuple toute la place qu’il mérite. Non pas une place à
part, mais une place bien ancrée dans nos sociétés…
…Nous n’en sommes pas encore à la reconstruction,
dans ce pays chaud. C’est l’urgence du quotidien qui est
encore présente dans Port-au-Prince, toute cette
urgence, tout ce quotidien ridiculement affligeant vécu
par des milliers de gens…Mais dans l’urgence, on pense
à soi, avant de penser à l’autre. Y a-t-il un système en
place pour les plus vulnérables? Y a-t-il une pensée
pour les plus faibles?
…Oui, je l’avoue, il y a comme une ombre qui plane au
dessus de mes mots ce soir. L’ombre du doute que nous
ne réalisons pas avec quelle facilité les faibles sont
rejetés. Que le rejet est la cause certaine de l’oubli. Que
l’oubli est la meilleure façon de mourir dans le silence.
Et que ce silence, les pays qui interviennent l’accepte
sans se questionner…
La magie de l’humanitaire.
En cœur, les chiens aboient au grand air un requiem de
c’est assez, pendant que mes voisins de tente se
remettent à prier. J’avais les yeux collés, la bouche
pâteuse, le sommeil profond, le rêve léger, mais quand
la terre se met à danser sous notre corps, l’adrénaline
nous ramène rapidement là où nous sommes. D’ailleurs,
un peu confus, je ne savais pas exactement où j’étais et
le stress d’être entouré de béton m’est revenu comme
revient au soleil l’envi des vacances. Suis-je à l’abri?
Oui, nous sommes à l’abri…
Les soldats, je veux dire nos soldats à nous, ceux qui
font dans l’humanitaire, sont venus nous installer tout ce
dont nous avions besoin pour vivre confortablement les
prochains mois. Protégés de la pluie, des insectes, du
soleil, des nuits fraîches, tous les amis sont maintenant
copropriétaires de logements à toile blanche et à sol
imperméable, tandis que les voisins, les assistants, sont
maintenant colocataires de loyers à prix modique.Voilà, notre ami Jonathan a dit l’essentiel… Ne les
oublions pas! Aidons-les à reconstruire leurs 2 maisons
d’accueil, leur école, leur atelier....C’est l’objet de
l’action de ce mois!
Suzanne Fassin
1842: Un récit du passé
Le samedi 7 mai 1842, un violent tremblement de
terre que l’on considère comme la plus grande catastrophe
de son histoire frappait la république d’Haïti et allait détruire
toutes les villes de sa côte atlantique et anéantir en un
moment des agglomérations comme le Môle Saint-Nicolas,
Port De Paix , Fort Liberté et particulièrement le CapHaïtien alors rivale de Port-Au-Prince.
C’était alors une cité florissante qui prospérait par son
négoce, ses riches plantations, sa bourgeoisie d’affaires.
Juste avant la catastrophe, elle était considérée avec la
Nouvelle Orléans et Québec comme l’un des trois
principaux centres commerciaux et culturels de l’Amérique
francophone.
Dans ses mémoires encore inédits, Demesvar Delorme
parle d’une ville qui dispute à Port-Au-Prince, l’hégémonie
financière et intellectuelle d’Haïti et ne cédera à sa rivale
qu’après le tremblement de terre. En un moment cette
ravissante cité de pierre avec ses belles demeures, ses
vastes entrepôts, ses superbes monuments coloniaux se
trouva anéantie. On estime à cinq mille le nombre des
victimes ensevelies sous les décombres, soit la moitié des
habitants de la ville.
Voici le récit de Démesvar Delorme rescapé de la
catastrophe!
Desmévar Delorme jouait aux billes avec son frère Lorsqu’il
remarqua que les soldats qui défilaient tombaient de façon
grotesque.
Un bruit sourd, un grondement lointain comme sorti
d’un gouffre profond se fait entendre du côté de l’est.
Nous chancelons, mon frère et moi et tombons. Le mur
de la caserne s’ébranle et tombe presqu’en même
temps que nous. Le clocher de la cathédrale se met à
se balancer dans l’air, les cloches sonnant à toute
volée un carillon sans rythme, sinistre, un glas horrible.
Le clocher s’écroule, puis l’église s’abat et toutes les
maisons, et la ville entière. Tout cela avec un bruit sans
nom, une buée épaisse sortant des murailles brisées,
un nuage noir bientôt sillonné de lueurs rouges
ardentes.(…) En effet comme le séisme était survenu à
l’heure où on prépare le repas du soir , les feux de
cuisine n’avaient pas tardé à transformer la ville en un
immense brasier.
La population épouvantée par les répliques
intermittentes ne dormait plus que dans la rue, sur les
places
publiques
ou
encore
dans
l’édifice
miraculeusement épargné abritant l’ancien opéra royal
du roi Christophe (…)
Les gens qui avaient survécu à la catastrophe se
mouraient de faim, mutilés ou blessés pour la plupart.
Ce qu’il y a encore de
plus horrible ce fût les
des
bandits
qui
dérobèrent tout ce qu’ils
pouvaient
trouver
puisque l’ordre militaire
avait disparu; dans les
ruines des maisons, tout
fût pillé.(…)
En plus du tremblement de terre un raz de marée avait
envahi les rues commerciales du front de mer laissant
une épaisse et nauséabonde vase noire après son
passage, la mer se précipita sur la ville mais se retira
presque aussitôt, fort heureusement(…)
Le Cap-Haïtien porte aujourd’hui encore les nombreux
stigmates de ce tremblement de terre. La cathédrale ne
sera restaurée que cent ans après son écroulement. Le
séisme n’épargna pas la citadelle et infligea des
dommages irrémédiables au palais du roi Christophe. Au
fait, tout le patrimoine bâti de la ville a été anéanti.
Aucune des imposantes résidences de deux ou trois
étages n’a résisté à la force du séisme. La ville avait été
construite avec des matériaux nobles venus de France,
ardoise, tuile, granit.
Il n’est peut être pas inutile de rappeler que les Capois
affrontèrent seuls ces épreuves morales et matérielles.
Aucun secours ne fut organisé par les autorités
haïtiennes, aucun secours ne parvint de l’étranger.
En 1842, Haïti perdait sa deuxième ville en importance,
une ville brillante, un centre économique florissant
qu’elle ne retrouvera peut être jamais.
(Extrait des mémoires de Démesvar Delorme )
Containers d'aide humanitaire...
Madame Maïté Mertens va envoyer début juin des
containers en Haïti. Elle est à la recherche de vêtements
légers, matériel scolaire, outils, tentes, …
Si vous voulez l’aider: [email protected]
Des victimes de part et d'autre..
Deux millions de victimes en Haïti à la suite d’un séisme
de 7.3 à l’échelle de Richter.
Comment un pareil phénomène considéré comme non
majeur a-t-il pu causer autant de morts (215.000), de
blessés (350.000) et détruire autant de maisons
(250.000) alors qu’au Chili, un mois après un séisme de
magnitude supérieure (8.3) a provoqué un impact bien
moindre, soit moins de 2.000 morts?
Il faut le dire: les Haïtiens sont victimes de la
méchanceté de leurs dirigeants alliée à la rapacité et la
perversité des ONG occidentales sans compter la
permissivité des gouvernements qui les financent.
Le tremblement de terre a mis en évidence pour le reste
du monde l’extrême fragilité du cadre de vie des haïtiens
à cause du non respect des normes d’urbanisme, des
conditions environnementales et des principes de
gestion publique. La catastrophe survenue le 12 janvier
2012 a fait valoir les prévisions longtemps ignorées de
certains géologues et autres experts haïtiens en la
matière sur les risques que courait Port-au-Prince en
terme de catastrophes naturelles. Conférences, débats,
interventions dans les médias: rien de cela n’a eu
d’effets sur les responsables publics.
En réalité les haïtiens ne constituent pas les seules
victimes de ce séisme. Il est clair que les citoyens des
pays occidentaux comme la France, la Belgique, les
Etats-Unis, le Canada etc. représentent également des
victimes mais d’un tout autre genre. La solidarité envers
le peuple haïtien en ces circonstances n’a pas de prix
mais leur volonté d’aider se heurte à la médiation des
entités garantes de l’aide d’urgence et de l’aide au
développement. Les fonds récoltés auprès des publics
européens et nord-américain n’aboutiront sans doute
point dans la mare de misère et de désolation qui
submerge les pauvres d’Haïti car personne ne demande
des comptes… et les multinationales humanitaires
(ONG) ne se sentent nullement redevable aux citoyens
ni du Nord ni du Sud.
Des interrogations s’imposent: À combien s’élève le
volume global de l’aide récoltée jusqu’ici pour Haïti? En
trois mois d’urgence, combien de sinistrés sont-ils
réellement bénéficiaires de l’aide? Peut-on les
dénombrer, les identifier?
Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) distribue du
riz américain acheté aux Etats-Unis, soit un million de
tonnes à moins de 700.000 personnes alors que les 8
millions d’haïtiens ne consomment qu’un quota annuel
de 1.5 million de tonnes et qu’un budget de 90 millions
de dollars relancerait la production de cette denrée afin
de nourrir l’ensemble de la population. Ce riz coûte en
effet sur le marché haïtien environ 500 millions de
dollars.
Plus de 250.000 tentes sont, dit-on, distribuées: cela
donne l’équivalent de 50 millions de dollars payés à des
entreprises de fabrication américaine via la Chine. Il y a
actuellement 900 ONG internationales sur le territoire
haïtien avec leur contingent de bénévoles et d’experts
en toute matière. Jusqu’au mois de mars l’aide en faveur
des haïtiens a propulsé environ 3.000 étrangers bénévoles
vers Haïti, mais elle a servi surtout à payer leurs frais de
dépenses en tout genre: un montant de 27 millions de
dollars pour les frais de voyage à raison de 900 dollars par
bénévole, un montant de 60 millions de dollars pour les frais
d’hébergement à raison de 200 dollars par personne et par
nuit d’hôtel sur une durée de 10 jours, un montant de 30
millions de dollars versés pour les frais de nourriture avec
une moyenne de 100 dollars par personne et par jour, sans
prendre en compte d’autres frais comme les déplacements
en voiture ou en autobus etc.…
La phase d’urgence ayant été clôturée par le gouvernement
haïtien depuis le 31 mars, la phase dite de stabilisation,
justement à l’heure où nous sommes, ouvre la voie à toutes
sortes de programmes de formation certifiée afin de
permettre aux haïtiens de prendre en main la reconstruction
de leur pays. Ce type d’objectif fixé par les détenteurs des
fonds collectés auprès du citoyen lambda à travers l’Europe
et l’Amérique demeure incompatible avec les desiderata de
tout un peuple qui réclame sans cesse du travail face à une
hausse de 25% des denrées alimentaires. Le vœu subit de
certifier les métiers en Haïti demeure tout aussi difficile à
comprendre pour toute personne avisée puisque les
nouveaux logements annoncés consisteront en maisons
préfabriquées.
250.000 maisons ont été détruites. Les remplacer par de
nouvelles maisons en pièces détachées coûterait la
bagatelle de 750 millions de dollars si l’on attribue à chaque
unité la valeur minimale des 3.000 dollars. Où serait, par
conséquent, la place d’une main d’œuvre locale dans cette
nouvelle politique du logement.
Toutes les mesures sont prises pour que l’aide citoyenne,
celle des contribuables européens et nord-américains,
transite par Haïti mais sans jamais y atterrir. Les
manipulateurs de ces opérations ne sont autre que les
grandes ONG, les consortiums d’ONG en complicité avec
les agences du financement gouvernemental et le réseau
bancaire et le monde des affaires. D’ailleurs 40 % des fonds
sont normalement dévorés par les salaires et les frais de
gestion relatifs au fonctionnement de ces lourdes
machineries.
Il est louable d’avouer que les Européens notamment les
belges ont manifesté une solidarité et une générosité sans
limite envers les haïtiens. Leur geste est magnifique!
Peut-on dire de même pour la Croix-Rouge, l’Unicef,
Médecins du Monde, MSF et tant d’autres?
Harold Errié
Rue du Fays, 55 4450 Lantin- 250-0082943-93
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