Lire le premier chapitre du livre en PDF
Transcription
Lire le premier chapitre du livre en PDF
Sophie Gurung Martin Rubió Maya et le Dalaï-Lama Une rencontre peut tout changer Le Souffle d’Or 5 allée du Torrent – 05000 Gap (France) www.souffledor.fr Māyā (devanāgarī : माया) terme sanskrit. Māyā est la déité principale qui crée, perpétue et régit l’illusion de la dualité dans l’univers phénoménal. Dans la philosophie védique, la Māyā est l’illusion d’un monde physique que notre conscience considère comme la réalité. Wikipédia Première partie 1 Le monastère était niché au bout du chemin de terre. Sec et poussiéreux en saison chaude, l’accès se transformait en un tapis boueux à la saison des pluies. Du village, on ne voyait pas le bâtiment. Et aucun écriteau ne signalait sa présence. En outre, une brume épaisse le dissimulait une bonne partie de l’année. Lorsqu’on empruntait la route en contrebas, la seule route goudronnée sur ce versant de la montagne, on pouvait passer en toute ignorance à proximité de l’un des plus grands centres spirituels du Népal. Des drapeaux de prières se dressaient tout autour de l’esplanade de terre du marché. Mais ces derniers pouvaient aussi bien avoir été plantés par des marchands désireux de favoriser leurs affaires. Pour les villageois et les habitués, c’était autre chose. Ils savaient qu’à partir du coin sud-ouest du marché, débutait le chemin de la Gumpa. Là, les drapeaux s’élevaient en deux rangées parallèles, de haute taille, filant sur la crête. Tels les rails d’une voie ferrée aérienne inventée par un créateur 10 Maya et le Dalaï-Lama de Manga, les drapeaux de prières bariolés montaient puis disparaissaient dans une forêt touffue. Quand le plafond nuageux n’était pas trop bas, on les voyait voler dans le vent. Ici vent et nuages se côtoyaient en permanence. Ils étaient comme des frères. C’était dans ce lieu inhospitalier, à l’abri d’un monastère rétif à toute publicité, loin des foules de trekkeurs du chemin des Annapurna, que le Dalaï-Lama avait choisi de venir faire une retraite. Il l’avait choisi à dessein. Le Saint Homme savait que le temps était venu de mettre entre parenthèses ses activités. Il n’avait répondu à aucune sollicitation pour les trois mois à venir. La condition de reclus lui était nécessaire pour atteindre le niveau de méditation indispensable. Il ne s’agissait plus de méditer dans un esprit de partage, mais d’aller au plus profond de lui-même. Il sentait que son rôle était désormais de prier, et de prier encore, pour que cesse la souffrance de l’humanité. Oh, le bonheur de l’humanité, il en avait été question dès ses premiers enseignements, alors qu’il n’était encore qu’un bambin. À l’époque, il s’agissait d’un lointain absolu : l’idéal du Bodhisattva était de se consacrer à l’éveil de tous les humains. Une direction que ses aînés indiquaient. Mais il ne pensait pas que son degré d’évolution lui permettrait de l’atteindre dans cette vie. Moinillon désigné Maya et le Dalaï-Lama 11 dès ses plus jeunes années, puis jeune homme obligé à l’exil, puis Dalaï-Lama dans le plein exercice de sa charge, à aucune des trois grandes étapes de sa vie, il n’avait imaginé devoir prier « en urgence » pour le monde. Mais un sentiment lancinant de danger l’habitait désormais. Les événements sombres s’accumulaient dans le monde et avaient fini par l’atteindre lui aussi. Il ressentait dans ses tripes la mauvaise vibration générale. La peur et le défaitisme habitaient l’humanité depuis le début du troisième millénaire. Le Saint Homme ne connaissait pas de solution miracle. Mais, plus que jamais, il savait que la méditation permettait d’entrer en résonance avec les hommes. Et qu’ainsi, il pourrait peut-être comprendre le sens de toute cette souffrance. Maya et le Dalaï-Lama 13 la pièce où trônait l’immense Bouddha Maitreya, « celui qui viendrait dans le futur ». Il lui adressa un signe de respect et de connivence, car, comme chaque fois, il avait l’impression que le sourire du Bouddha, doux et légèrement ironique s’adressait à lui, personnellement. Il entra dans la grande salle et prit place sur l’estrade au centre de la pièce. Il avala son thé noir en silence, en présence de quelques moines recueillis, assis sur d’épais tapis. Il se lança dans un mantra en attendant l’arrivée des autres pour la prière du matin. L’odeur lourde de l’encens et des lampes à huile se mêlait à celle des corps enveloppés dans leur robe de laine cramoisie. Leur respiration dégageait une épaisse buée, le froid étant encore vif dans la pièce. L’organisation de ce début de journée recommençait à l’identique comme tous les jours, depuis son installation ici, en début de saison. Et cette répétition, loin de constituer un motif d’ennui, était précisément la condition de l’élévation. Chercher la variété, l’enrichissement des sensations, était contraire à la voie du bouddhisme. Le vieil homme creusait le même sillon, indéfiniment. Ce matin, le mantra débutait comme les autres jours. « OM MANI PADME HUM. » Les yeux fermés, il répéta dix fois, vingt fois la litanie. Il se sentait particulièrement bien.