L`accompagnement des personnes transidentitaires à l`Amicale du Nid

Transcription

L`accompagnement des personnes transidentitaires à l`Amicale du Nid
Une action conduite dans le cadre du projet européen
« Accès à l’emploi, un enjeu individuel et collectif »
« L'accompagnement
des personnes transidentitaires
à l'Amicale du Nid »
Une recherche action menée en 2010
par l'Amicale du Nid en partenariat avec
le Groupe d'Etude sur la Transidentité (GEsT)
cofinancée par le Fonds Social Européen
et la DHRIL 75
Rapport final
1
« Tant que nous n'aurons pas redéfini le comportement en termes de "humain"
plutôt que masculin ou féminin, nous resterons enfermés dans une danse de mort.»
PR. ANNA KUHN,
Université de Californie, Davis, USA
2
SOMMAIRE
Introduction
I. Que signifie parler de la transidentité à l'Amicale du Nid ?
II. Méthodologie
p. 7
p. 8
Apports pédagogiques
I. S'accorder sur le vocabulaire
A- Transidentité, pourquoi ?
B- Autres termes incontournables
p. 11
II. Des questions de genre au continuum trans'
A- Le genre, ou la construction du genre
1. Les trois grandes périodes en terme de politique d’égalité
2. Quelques apports conceptuels
B- Le continuum trans'
p.13
III. Approche historique de la transidentité
A- Aux origines : mythes et réalité
B- Une approche des sociétés non binaires
C- Quelques trans' repérés dans notre histoire
D- Conceptualisation et pratique : l'apparition du transsexualisme
1. Théoriciens et praticiens
2. Les premières "célébrités" trans'
E- La transidentité face aux institutions : politique, médicale, judiciaire
p.17
IV. Les parcours de transition
A- Les parcours de transition via l'hôpital public
1. Le diagnostic
2. Le traitement hormonal
3. La chirurgie
4. Les compléments
B- Les parcours de transition alternatifs
1. Les parcours semi-alternatif ou mixtes
2. Les parcours alternatifs
C- Le changement d'état civil
p.25
V. Transidentité et santé
p.35
A- Le parcours médical du point de vue de la Haute Autorité de la Santé (HAS)
1. Prévalence
2. Contexte de l'intervention médicale
3. Responsabilités du médecin :
4. Prise en charge financière des traitements
5. Les grandes étapes du parcours de soin : du diagnostic à la prise en charge
B- Les infections sexuellement transmissibles et le VIH
1. IST & MST
2. VIH
3
VI. Transidentité et vie affective
A- Quelques données
B- Le témoignage d'Isabelle
p.41
VII. Transidentité et insertion professionnelle
A- Principales difficultés rencontrées
1. Les difficultés concernant l’employeur
2. Les difficultés concernant la personne trans'
B- Le cadre légal et conventionnel
1. Le code du travail (modifié par la loi du 27 mai 2008)
2. Le statut des fonctionnaires
3. Le code pénal (art 225.1, 2 et 3)
4. Les décisions et interventions de la HALDE
5. Les accords syndicats-entreprises
6. Le label anti-discrimination
p.49
VIII- Panorama des associations trans' françaises
A- De 1960 aux années 1980 : Survivre
B- Les années 1990 : la transsexualité, une question de santé
C- Les années 2000 : se visibiliser
D- A partir de 2006 : s'affirmer comme expert
p.55
Témoignages
p.62
I. Lise
II. Rachel
III. Samuel
IV. Géraldine dite Dally
V. Kevin
VI. Sophie
D'un territoire à l'autre : état des lieux des pratiques de l'Amicale du Nid
I. Paris
A- Le pôle accompagnement social
B- Etude Pro-santé
C- Action prison
II. Les Hauts-de-Seine
III. L’Hérault
IV. La Haute-Garonne
A- Origine du groupe d’échanges
B- Objectifs et cadre du groupe d'échanges
C- Sa fréquentation
D- Le rôle des travailleurs sociaux
E- Les thèmes abordés
F- Réalisations consécutives au travail du groupe
V. Marseille
4
p.73
Accompagner des personnes transidentitaires à l'Amicale du Nid
p.85
I. Elargir son regard : à transitions multiples accompagnements diversifiés
A- Accompagnements individualisés
1. L'accueil
2. Les entretiens individuels
3. La santé
4. L'insertion professionnelle
5. Droits et administration :
6. Internet
B- Accueil et accompagnement collectif
p.87
II. Les ressources pratiques
A- Au niveau national
1. Sites d'informations
2. Blogs
3. Associations
B- Les spécificités territoriales
1. Toulouse
2. Montpellier
3. Paris
4. Marseille
p.91
Conclusion
p.95
Annexes
p.97
Bibliographie
p.101
5
INTRODUCTION
6
I. QUE SIGNIFIE PARLER
L'AMICALE DU NID ?
DE
LA
TRANSIDENTITE
A
L'Amicale du Nid a pour but d'aller à la rencontre, d'accueillir et d'accompagner les
personnes majeures et mineures en situation actuelle ou passée ou en risque de prostitution (article 1
des statuts de l'association).
Parmi ces personnes, certaines sont concernées par la transidentité. Face à un accroissement de
l'accueil de celles-ci, les travailleurs sociaux de l’Amicale du Nid ont souhaité s’informer davantage
et questionner leurs pratiques en lien avec ce sujet. De mai 2010 à avril 2011, une recherche-action
a donc été menée en collaboration avec le Groupe d'Etude sur la Transidentité (GEsT), dans le cadre
d’un programme européen de coopération avec la Pologne financé par le Fond Social Européen.
C'est de cette recherche action dont il va être question ici.
La question transidentitaire est en pleine émergence dans notre société, laquelle est en mouvement
et commence à considérer autrement ce sujet, comme en témoignent quatre faits récents.
Entre 2006 et 2010, la Haute Autorité de la Santé (HAS) dresse un état des lieux de la prise en
charge du transsexualisme1 en France. Son rapport estime que les protocoles actuels de soins sont
incertains et dénonce l'absence de référentiel sur le sujet. Suite à ce rapport, le Ministère de la Santé
met en place une commission visant à établir un cahier des charges pour la création de centres de
références spécialisés dans la prise en charge du transsexualisme.
En mai 2009, la Ministre de la Santé, Mme Bachelot, affirme son souhait que la transsexualité soit
retirée des maladies psychiatriques dans les classifications internationales. Dans ce sens, elle fait
d'ailleurs modifier le mode de prise en charge du transsexualisme, le sortant des affections
psychiatriques de longue durée pour l'intégrer aux maladies hors listes.
En juillet 2009, le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Thomas
Hammarberg, exprime clairement dans un rapport la nécessité que les droits fondamentaux des
personnes transgenres soient respectés.
Enfin, en mai 2010, la Ministre de la Justice, Mme Alliot-Marie, publie une circulaire incitant à ce
que les changements d'état civil demandés par les personnes transsexuelles soient facilités et non
plus entièrement conditionnés par des opérations chirurgicales.
Si ces évènements récents restent globalement suivis de peu d'effets concrets pour l'instant, ils nous
semblent cependant significatifs des changements à l'oeuvre dans notre société.
Au sein de l'Amicale du Nid, une question se pose presque immédiatement : parle-t-on de la
transidentité uniquement dans le cadre de la prostitution ou hors prostitution ? Les discours et les
cheminements semblent en effet très différents et il semble important de le préciser afin d'éviter tout
amalgame entre transidentité et prostitution.
Nous le verrons, sur certains territoires, il se trouve que des groupes d'échange constitués
initialement de personnes prostituées et transidentitaires accueillent progressivement des personnes
transidentitaires sans lien avec la prostitution.
Le cadre habituel de l'Amicale du Nid s'en trouve bousculé. En effet, la mission de l'Amicale du
Nid est d'intervenir auprès de personnes concernées par la prostitution. Mais, si la transidentité ne
mène pas forcément à la prostitution, la recherche-action ainsi que les expériences de terrain
menées depuis plusieurs années nous amènent désormais à considérer que la transidentité s'inscrit
1
Les termes en italique sont explicités p.11 de ce document. La transidentité n'étant pas un concept stabilisé, il en
existe de nombreuses définitions et déclinaisons selon les milieux ou les personnes. Tout au long de cet écrit seront
employés des termes tels que transidentitaire, transsexualité, transgenre, mtf, ftm, etc. Elaborer un vocabulaire
commun a été l'un des objectifs de cette recherche-action. Pour des raisons de clarté dans la lecture du document, la
restitution de ce travail est présentée en première partie, consacrée aux apports pédagogiques.
7
dans la logique de prévention de l'Amicale du Nid. Certaines personnes transidentitaires, fragilisées
par leur situation, peuvent être en danger de prostitution, ce qui justifie pleinement notre soutien et
notre accompagnement.
D'autres questions à résoudre apparaissent alors.
Est-ce que la transidentité est la même si la personne est concernée par la prostitution ou pas ? Pour
certains travailleurs sociaux, ce n'est pas le fait d'être transidentitaire qui est spécifique puisque
toutes les personnes accueillies sont singulières. Pour d'autres, c'est moins évident. Il est évoqué le
cas de personnes obligées de se travestir dans l'enfance, ce qui influencerait leur façon de se
prostituer. Ou encore le cas de personnes souhaitant conserver leur sexe masculin et justifiant leur
travestissement par leur activité de prostitution. Ne seraient-elles donc pas transidentitaires ? Mais
alors, qu'est-ce que la transidentité ? Qu'est-ce que ce terme dit des histoires individuelles, que
recouvre-t-il ? Enfin, est-ce que les personnes transidentitaires nécessitent un accompagnement
spécifique ?
A travers cet écrit, apparaîtront ainsi les réponses ou tentatives de réponses à ces questions.
.
II. METHODOLOGIE
Cette recherche-action a été menée sur cinq territoires différents : Paris, Bouches-du-Rhône,
Haute-Garonne, Hérault et Hauts-de-Seine, accompagnés par le Groupe d'Etude sur la Transidentité
(GEsT).
Il s'agissait d'aider les travailleurs sociaux et cadres de l'Amicale du Nid à mieux appréhender les
situations vécues par les personnes transidentitaires et d'aborder notamment la question de leur
insertion professionnelle. Cela devait se faire à la fois à travers :
• des apports théoriques sur les différents concepts et situations liés aux démarches ;
• le recueil des expériences de terrain vécues sur chaque territoire ;
• l'analyse des problématiques spécifiques à l'emploi ;
• et enfin, la mise en place d'une stratégie globale de prévention qui prenne en compte
l'ensemble des risques d'exclusion sociale spécifiques aux personnes transidentitaires.
Dès la première rencontre a été retenue l’idée de se déplacer au niveau des territoires afin que des
travailleurs sociaux ne participant pas habituellement au groupe de travail puissent le rejoindre et
apporter leurs expériences, réflexions, contributions… Dans la même logique, nous avons
également souhaité demander la participation de personnes transidentitaires accompagnées par
l'Amicale du Nid pour qu'elles puissent apporter leur témoignage2. Dans la réalité, ces apports n'ont
pu avoir lieu que sur deux territoires : en Haute-Garonne et dans l'Hérault.
Un travail préalable, à partir des représentations de chacun, a été nécessaire. Travailler la question
de la dé-construction des représentations du plus grand nombre nécessite de passer d’abord par la
dé-construction de ses propres représentations :
• Où en sommes-nous ?
• Quelles sont nos représentations de la transidentité ? de la transsexualité ?...
• De quoi s’agit-il ? de quoi parle-t-on lorsque l’on aborde les questions liées au sexe ? au
genre ? à l’identité ? ….
• Quel vocabulaire existe ? Quel langage commun ?
2
Précisons que les personnes transidentitaires accueillies par l'Amicale du Nid sont très majoritairement dans un
cheminement de masculin vers féminin, mais quelques personnes effectuant une transition de féminin vers masculin
sont aussi accompagnées.
8
Face aux difficultés rencontrées pour s'entendre sur les termes à employer, que ce soit d'un territoire
à l'autre ou entre salarié-es d'un même territoire, nous avons consacré une large part de notre
réflexion à ce sujet. Il existe tant de réalités différentes, de vécus singuliers, qu'il apparaît difficile
de catégoriser, de s'harmoniser... Nous en avons conclu qu’il n'y a pas nécessité de catégoriser : il
existe autant de personnes transidentitaires que de visions de ce qu'est « être trans’ » ; il n’y a pas
de communauté Trans’ mais des personnes transidentitaires qui s'auto-définissent de façon
individuelle.
A partir de ce constat, nous avons alors pu réfléchir à nos outils d'accueil et d'accompagnement dans
l'optique de répondre au mieux aux attentes des personnes transidentitaires cherchant de l'aide et du
soutien auprès des travailleurs sociaux de l'Amicale du Nid.
Ce document tend à rendre compte de l'ensemble de nos questionnements, réflexions et pistes de
travail. Il s'organise en quatre grandes parties. La première débute par une explicitation du
vocabulaire puis reprend l'ensemble des apports théoriques apportés par le GEsT. La seconde est le
compte rendu de témoignages de personnes transidentitaires accompagnées par les territoires de
l'Hérault et de la Haute-Garonne. La troisième dresse un état des lieux des pratiques de chaque
territoire participant à la recherche-action. La quatrième partie, enfin, s'attache à proposer des pistes
d'accompagnement des personnes transidentitaires par les travailleurs sociaux de l'Amicale du Nid.
L'ensemble est complété par des annexes et une bibliographie.
Dernières précisions :
La transidentité engendre de nombreuses questions d’ordre juridique. Pourtant, le droit applicable
aux personnes concernées en France est un droit issu uniquement de la jurisprudence, "puisque la
loi française n’a jamais traité directement du sujet, la question du transsexualisme ayant été exclue
de façon délibérée des débats lors de l’adoption des lois dites bioéthiques en 1994." (HAS, 2010).
Pour cette raison, il n'y aura pas ici de partie spécifiquement juridique, mais les différents points de
droit existants seront présentés tout au long du document en fonction des questions concernées. Ils
seront repérés par des encarts bleus.
Enfin, nous avons tenu à rendre présents les échanges et questionnements en lien avec les apports
théoriques. Ceux-ci sont rendus lisibles par des doubles encarts magenta.
9
APPORTS PEDAGOGIQUES
10
I. S'ACCORDER SUR LE VOCABULAIRE
Le travail sur les représentations de chacune des personnes du groupe de recherche-action a
permis de dégager des propositions de définitions communes. Le terme générique transidentité a
semblé globalement le plus approprié, malgré quelques réticences.
Les témoignages des personnes transidentitaires au cours de ce travail comme les rencontres dans
les accompagnements professionnels ont également permis de prendre conscience de la multiplicité
des parcours et des approches, donc de la difficulté à “cataloguer”, “catégoriser” les personnes selon
leur manière de vivre leur transidentité.
Au final, il s'agit plus de repérer les termes à ne pas trop utiliser pour ne pas heurter les sensibilités
que de déterminer de potentiels "bons" termes.
A- TRANSIDENTITE, POURQUOI ?
Trans- évoque un changement, un passage : le terme transsexualité, habituellement utilisé,
signifierait donc un changement de sexualité. Or nous entendons par sexualité un ensemble de
relations et de pratiques affectives et physiques. Liée à celles-ci, socialement, est associée la
question de l'orientation sexuelle : homosexualité, hétérosexualité, bisexualité...
En revanche, lorsque la personne ne peut se reconnaître dans les rôles et apparences que la société
attribue aux hommes et aux femmes en fonction de leur sexe biologique, il s'agit d'un
questionnement lié à sa propre perception de soi et à la perception qu'en ont les autres : on parlera
alors d'un questionnement identitaire ou d'une question d'identité de genre. Le terme transidentité
nous semble donc le mieux adapté à ces situations.
La grande diversité des perceptions et approches de ces questions, le fait que chaque individu est
unique et en perpétuel mouvement, nous amène à estimer qu'il n'y a pas une, mais des
transidentités.
Le terme trans' était initialement perçu par les personnes du groupe comme un terme trop réducteur,
voire péjoratif, et elles n'auraient pas osé l'utiliser. En fait, l'apostrophe permet d'ouvrir sur la
diversité, la multiplicité des situations, ce qui en fait un terme pratique et consensuel.
Au final, trans’ et transidentité sont les deux termes qui recouvrent l’éventail des possibles et
respectent toutes les sensibilités en évitant d’enfermer les personnes dans des catégories
restrictives et immuables.
Il est cependant apparu nécessaire d’expliciter les termes et locutions qui suivent, ne serait-ce que
parce que l’usage de certains reste très répandu dans les milieux spécialisés ou dans l’imagerie
populaire.
B- AUTRES TERMES INCONTOURNABLES
Transsexuel(le) : terme très connu et le plus utilisé par le grand public, ce qui le rend pratiquement
incontournable. Il concerne les personnes qui sont dans un processus de transformation corporelle
impliquant les caractères sexuels primaires (appareil génital) et/ou secondaires (seins, pilosité,
etc..). Par respect pour la personne, on décline transsexuel(le) au masculin ou au féminin selon son
genre de destination.
Transsexualisme : Il s'agit de la volonté de modification corporelle, qui peut aller jusqu'à la
chirurgie de l'appareil génital. A défaut de terme mieux approprié, on préférera ce mot à
transsexualité, auquel la racine sexualité confère une connotation inexacte. Bien que contesté par de
11
nombreuses associations en raison de sa consonance plus ou moins pathologisante, transsexualisme
reste encore très utilisé en tant que terme médical de référence (terme employé dans la classification
internationale de maladies, CIM 10, et dans le DSM IV).
Les instances médicales distinguent le transsexualisme primaire et secondaire. Les personnes
contestant leur sexe de manière absolue et précoce (un garçon qui dit "je suis une fille" ; une fille
qui dit "je suis un garçon", dès la petite enfance), sans construction sociale possible, relèveraient
d’un transsexualisme primaire ; la même demande exprimée plus tardivement et suite à une
construction sociale dans le genre d'assignation désignerait un transsexualisme secondaire.
Cette distinction très controversée continue de servir de filtre aux prises en charge médicales dans
certaines équipes hospitalières. Les directives de la CNAM reposant sur “les troubles précoces de
l’identité de genre”, il devient alors possible pour ces équipes de rejeter des demandes exprimées à
l’âge adulte.
Transgenre : Terme traduit de l’anglais transgender et dont la définition donne lieu à controverses.
Il est tantôt utilisé de manière inclusive pour désigner l’ensemble des personnes transidentitaires,
tantôt de manière exclusive pour les personnes affirmant leur transidentité, le cas échéant par des
processus médicaux, mais sans pour autant s’orienter vers une transformation corporelle majeure,
optant de fait pour des attributs corporels des deux genres et/ou sexes.
Travesti : personne qui porte occasionnellement des vêtements, accessoires et marques désignatifs
de l’autre genre (principalement de masculin vers féminin, mais l’inverse se pratique également :
costume-cravate, moustache et barbe postiches...) ; situation très courante dans la prostitution, et qui
pose le problème du retour à la vie courante. Où se situerait la frontière entre la pratique du
“paraître” et le questionnement identitaire ? En fait, on s’aperçoit que des pratiques qui pourraient
paraître anodines masquent généralement un malaise intime amplifié par les tabous sociaux. Ainsi,
l’ABC (Association Beaumont Continental, la plus ancienne association trans’ encore en activité,
longtemps considérée comme une association de travestis construite sur le modèle des “club”
anglais) a identifié dans ses rangs 75% de pères de famille de la "bonne bourgeoisie" n’ayant jamais
osé parler à leurs proches de leurs pratiques secrètes de travestissement.
La transidentité étant un terme inclusif, on considère donc que le travestisme, ou transvestisme, en
fait partie. On utilise de manière préférentielle les termes transvesti ou transvestisme, qui n’ont pas
la même connotation péjorative (travesti évoquant couramment travelo).
FtM, MtF : de l’anglais Female to Male et Male to Female, désignent respectivement la personne
de sexe féminin dans un cheminement vers le genre masculin et l’inverse. Ces locutions
s’appliquent à tous les cas de figures cités plus haut, et donnent lieu à de nombreuses et fantaisistes
variations, chacun inventant son vocabulaire (scientifiques, mouvances trans', équipes hospitalières,
Ministère de la Santé) : Ft* , Mt* (volonté de ne plus désigner le genre vers lequel on va et de sortir
de la binarité male/femelle), Ftu, Mtu (female to unknow, dans la même logique que Ft*, Mt*),
Ftx, Mtx (= Ft*, Mt*), transboy, XXboy, etc., ou encore, à la française, FvH (femme vers homme) et
HvF (homme vers femme).
Dysphorie de genre : la dysphorie étant l’antonyme d'euphorie, il s’agit donc d’un état de mal-être
psychologique lié au genre, terme souvent utilisé par les psychiatres et donc rejeté par certains
courants transidentitaires.
Syndrome de Benjamin : se dit en référence à Harry Benjamin, pionnier dans la prise en charge
médicale des personnes. Il définit le transsexualisme comme une "entité nosographique qui n’est ni
une perversion ni une homosexualité" (Benjamin, 1953). Arme à double tranchant, cette
déculpabilisation du fait transsexuel l'enferme toutefois dans la case "maladie".
12
3ème sexe : historiquement, l’expression arrive après le 2ème sexe ; elle exprime assez
maladroitement la contestation d'un système binaire. Il apparaît effectivement difficile de
s'identifier à un hypothétique 3ème sexe, notamment en admettant l’élémentaire distinction entre
sexe et genre.
Hermaphrodisme : le terme scientifique est le pseudo-hermaphrodisme, l'hermaphrodisme
complet n'existant quasiment pas. Dans la mythologie, l’hermaphrodite est l’être parfait possédant
les deux sexes. Dans la réalité, certains êtres humains naissent avec une relative ambigüité au
niveau du sexe (génétique, gonadique ou phénotypique), possédant des caractéristiques internes
et/ou externes à la fois mâles et femelles.
Intersexe : englobe toutes les catégories d'ambigüités sexuées : hermaphrodisme, et toutes les
formes de pseudo-hermaphrodisme.
Ces deux derniers termes ne recouvrent pas des situations directement liées à la transidentité, même
si les parcours induits peuvent présenter des similarités.
Réassignation sexuelle : terminologie éminemment explicite employée par le monde médical, dans
une vision exclusivement binaire, pour désigner l'ensemble des actes médicaux permettant de passer
d'un sexe à l'autre : nous ne choisissons pas, on nous impose à la naissance notre sexe/genre
(principe d'indisponibilité de l’état des personnes, un des fondements du droit français datant du
code Napoléon).
II. DES QUESTIONS DE GENRE AU CONTINUUM TRANS'
A- LE GENRE, OU LA CONSTRUCTION DU GENRE :
Cette recherche action s’inscrivant dans le cadre d’un projet européen, rappelons que
l’Union Européenne est une référence institutionnelle pour les politiques publiques de genre. Tout
pays qui souhaite devenir état membre se doit ainsi d’intégrer la dimension de genre dans
l’élaboration de ses politiques publiques, pour chercher à éliminer les inégalités, et lutter contre les
discriminations. On parle d’approche intégrée de l’égalité.
L’approche de genre permet une lecture et une compréhension de ce qu’est la transidentité, mais
aussi la prostitution. En France et en Europe, de nombreuses lois ont tenté d’instaurer depuis de
longues années le principe de l’égalité. Pour autant, qu’en est-il aujourd’hui de l’application de ces
lois ?
1. Les trois grandes périodes en terme de politique d’égalité3
• Années 1970 : période des droits individuels
On partait alors du principe que les femmes et les hommes devaient bénéficier d’une même égalité
de traitement, mais qu'ils n’étaient pas au départ en situation d’égalité. Il était constaté que des
politiques d’apparence neutre ne produisaient pas les résultats attendus (effets différents sur les
femmes et les hommes) et n’avaient pas toujours permis d’aboutir à des résultats égaux.
3
Selon Guide EQUAL de l’intégration de la dimension de genre - chap 5 – Commission européenne - 2004
13
Cette neutralisation occultait la construction des inégalités de genre : on parle d’invisibilité.
• Années 80 : période des actions spécifiques
On introduit dans les politiques publiques des actions dites spécifiques, ou actions positives, qui
visent à s’attaquer aux désavantages subis par les femmes.
Il s’agit d’une approche catégorielle. Ces politiques induisaient de manière implicite que le
problème venait des femmes elles-mêmes, et pas d’un problème plus global de société, et que
c’était donc à elles de changer. Ces actions, spécifiquement axées sur les femmes, se sont avérées
insuffisantes pour induire des changements majeurs.
• Années 90 : période du mainstreaming de genre
Ce concept est apparu lors de la 4ème conférence mondiale des femmes à Pékin, organisée par les
Nations Unies, en 1995. C’est la période de l’intégration de la dimension de genre, qui reconnaît
que les structures, institutions, instruments juridiques, etc., ne sont pas neutres du point de vue du
genre mais privilégient l’un ou l’autre sexe.
Le but est de dépasser les limites des actions positives catégorielles et de se centrer sur les
personnes et leurs besoins individuels.
Il s’agit de permettre de passer de l’égalité de droits à l’égalité réelle.
2. Quelques apports conceptuels :
Le genre est un terme (voire un raccourci) issu de la traduction de l’anglais « gender ».
L’expression exacte en français serait « rapports sociaux de sexe ».
Le genre se réfère à la construction et à la répartition des rôles sociaux, féminins et masculins. C’est
un concept sociologique qui cherche à analyser les rapports sociaux de sexe, rapports qui sont basés
sur les assignations de rôles socialement construits en fonction du sexe.
C’est aussi une méthodologie : l’approche de genre, qui produit une analyse systématique
comparée de la situation des femmes et des hommes d’un point de vue économique et social,
culturel et politique4.
• Quelle différence entre sexe et genre ?
Le sexe fait référence au sexe biologique (mâle/femelle), de l’ordre de l’inné.
Le genre renvoie à la construction sociale (rôles, comportements auxquels tous et toutes doivent se
conformer), de l’ordre de l’acquis.
Tout individu est composé de ces deux dimensions : biologique et sociale5.
Dès la naissance, nous sommes toutes et tous soumis à un conditionnement lié à cette norme, ces
rôles sociaux, que nous intégrons progressivement et profondément. Nous nous soumettons à cet
apprentissage, qui se rappelle à nous quotidiennement (sous peine de subir la désapprobation
générale) au point que cela devient du registre de l’automatisme.
4
Document d’orientation stratégique Genre, Service Coopération du Ministère des Affaires Etrangères et
Européennes français, décembre 2007
5 Selon Béatrice Borghino, chargée de mission à la DRDFE PACA (Délégation Régionale aux Droits des Femmes et
à l’Egalité).
14
L’approche de genre prend comme point de départ le fait que les hommes et les femmes occupent
des places, rôles, statuts différents dans la société, ont des expériences, des attentes différentes,
subissent des assignations différentes.
De toutes ces différences, apparaît une série d’oppositions : production/reproduction ; vie
publique/vie privée ; sphère professionnelle/sphère familiale ou domestique ; secteur marchand/non
marchand...
Nous subissons tous et toutes ces assignations, selon que l’on soit femme ou homme, et selon notre
culture, notre histoire, notre éducation, notre environnement, ou encore notre âge... Les genres
masculins et féminins sont non seulement porteurs de ces asymétries, mais aussi d’une
hiérarchisation de ces asymétries. Les rôles sociaux attribués au sexe masculin apparaissent ainsi
survalorisés, ceux attribués au sexe féminin dévalorisés.
Cette construction sociale n’a rien de naturel ou d’immuable, et peut donc être déconstruite. Ces
différences sociales sont apprises, acquises.
La question du genre, loin d’être anodine ou banale, questionne, dérange, voire effraie. Les
représentations sont multiples, les images traditionnelles persistent, les résistances sont nombreuses.
Le problème réside dans nos structures sociales, nos institutions, valeurs, croyances, qui font
perdurer ces déséquilibres et inégalités, et les reproduisent de génération en génération. Il s’agit
bien d’un problème social, d’une responsabilité politique, tant collective qu’individuelle.
L’approche de genre est un outil qui permet de se distancier de ces assignations, de les interroger,
en analysant les rapports sociaux de sexe, c'est-à-dire les rôles et stéréotypes attribués à chaque
sexe.
L’approche de genre rompt avec l’approche catégorielle; elle est transversale et conduit à la remise
en cause des représentations et pratiques inégalitaires, individuelles et collectives. Elle a pour objet
de mettre à jour les éléments de cette construction sociale, fondatrice d’inégalités, en vue de les
remettre en cause. Il s’agit d’opérer un déplacement, en passant d’une approche catégorielle se
focalisant sur les femmes, à une analyse des rapports sociaux entre les femmes et les hommes, et en
tentant de s’extraire de cette norme inconsciemment admise comme naturellement neutre, en réalité
à dominante masculine.
Ce système de représentations construit peut être déconstruit, pour trouver un autre modèle, plus
adapté à l’époque actuelle, aux réalités des femmes et des hommes, pour proposer une autre réponse
sociale. Une telle mutation n’appelle pas seulement des avancées législatives (les lois sont
nécessaires, mais restent insuffisantes pour opérer des changements majeurs), mais aussi une
transformation culturelle de nos comportements individuels et de nos pratiques collectives.
Ce concept d’approche de genre nous impose de rompre avec l’idée d’une binarité ou bipolarité des
sexes (femmes/hommes) et des rôles sociaux (masculin/féminin).
Ne sommes-nous pas enfermés par ces notions même de sexe et de genre, par cette conception
dualiste, dichotomique des différences sexuelles?
Qu’est ce qu’être femme ou homme ?
Qu’est-ce que le féminin, le masculin, la féminité, la masculinité ?
Qu’est ce que l’identité masculine, féminine ?
Une femme ne peut-elle pas être plus ou moins masculine ?
Un homme ne peut-il pas être plus ou moins féminin ?
Une remise en question de nos certitudes à propos des identités de genre et de sexe semble évidente
et nécessaire. L’amalgame entre le sexe et le genre, entre le biologique et le construit social, entre
15
l’inné et l’acquis, la division en deux sexes et en deux genres, apparaît trop limitée.
Certes des différences biologiques existent, il ne s’agit pas de les nier, mais l’une domine-t-elle
l’autre socialement ? Pourquoi ces différences s’imposent-elles si massivement à nous ?
Peut-il exister une société égalitaire sans prendre en compte la diversité des situations, avec le plus
grand respect pour chaque personne ?
Ne peut-on, ne doit-on pas parler aujourd’hui de diversité de genre ? De pluralité des sexes et des
genres ? Les personnes transidentitaires interrogent fortement ces stéréotypes et cette répartition
sexuée des rôles, identités auxquels nous sommes assignés, et auxquels nous nous efforçons de
correspondre. Même si l’on peut croire au premier abord qu’ils les renforcent.
Nous avons tous et toutes un intérêt à travailler sur nos propres représentations, sur ce que cela nous
fait vivre... C’est ce à quoi nous avons essayé de nous atteler dans le cadre de cette recherche action,
et que nous allons tenter de démontrer.
B- LE CONTINUUM TRANS'
Paradoxalement, l'interprétation du concept de genre peut parfois amener à renforcer le
clivage entre les sexes en assimilant toute inclinaison personnelle à des comportements sociaux
stéréotypés qu’il convient de combattre, le genre devenant “l’ennemi” du sexe !
L’humanité est donc cantonnée dans ses deux catégories sexuées, et toute affirmation de l’être
s’apparentant à un comportement genré doit être combattu, car généralement vécu comme un
instrument de la domination masculine.
Or nous le savons, nous sommes tous constitués d'un ensemble de bipolarité : l'être le plus généreux
peut aussi se révéler très égoïste, le courageux lâche, l'intelligent stupide, le tendre féroce, etc.
Jusqu'à la huitième semaine de gestation le fœtus possède un double potentiel de développement,
mâle et femelle (canaux de Wolff et de Müller), l'une des deux caractéristiques régressant ensuite
sous l’effet des hormones.
Et jusqu'à preuve du contraire, nous sommes le fruit de l'union d'un homme et d'une femme. C'est
donc un lieu commun d'énoncer que chaque être humain porte en lui du masculin et du féminin. Ou
de dire que depuis l'aube de l'humanité, parmi les dizaines de milliards d'hommes et de femmes qui
sont nés, ont vécu et sont morts, il n'y en eut jamais deux rigoureusement semblables.
Il appartient ainsi à chaque être humain de trouver son équilibre entre ses diverses composantes, en
fonction de son environnement social et des évènements qui vont jalonner sa vie.
L’image suivante résume ce propos : si l’on compare l’humanité à notre planète, on constate que les
pôles sont des extrêmes relativement inhospitaliers et que la vie se répartit essentiellement entre
eux. Il en va de même de l'identité de genre, qui n'est jamais totalement féminine ni totalement
masculine.
Ainsi, plutôt qu'une “passerelle” entre le masculin et le féminin, la transidentité peut s'entendre
comme une zone équatoriale, une place comme une autre sur le continuum du genre. De ce point de
vue, il n'est nul besoin de considérer les deux sexes comme opposés mais bien comme
complémentaires au sein d'une infinie diversité d'identités, parmi lesquels la transidentité ne serait
que l'expression exacerbée de cette tentative de réconciliation du masculin et du féminin en chacun
de nous et au sein de l'humanité. Elle nous invite, non à gommer les différences, mais à délaisser les
clivages pour raisonner en termes d'humanité.
16
• III APPROCHE HISTORIQUE DE LA TRANSIDENTITE
La transidentité existe depuis la nuit des temps, mais a été d'emblée victime d'un profond
malentendu :
• Parce qu'elle bouscule ce tabou fondateur de l'humanité qu’est le clivage, voire l'opposition
homme/femme, né de l'instinct de survie (donc de reproduction) de l'espèce, aggravé par la
montée du patriarcat et des religions : "Une femme ne portera point un habillement d'homme
et un homme ne mettra point des vêtements de femme ; car quiconque fait ces choses est en
abomination à l'Eternel, ton Dieu." (Deutéronome 22 : 5). Conceptuellement il n'existait
simplement pas de place pour la nuance entre les deux polarités mâle/femelle, même si
depuis la haute antiquité son mythe hante l'humanité.
• Parce que la médecine n'avait aucune réponse à y apporter, si ce n'est des mutilations
rituelles dans certaines sociétés.
• Parce qu'on a toujours confondu la cause (le noyau identitaire : qui suis-je ?) et une
conséquence possible (l'orientation sexuelle : vers qui suis-je attiré ?), et réduit son ressenti à
une question de sexualité, qui plus est déviante.
A- AUX ORIGINES : MYTHES ET REALITE
Le bisexualisme, entendu comme possession des deux organes sexuels (de manière simultanée ou
successive) tient une place primordiale dans l’imaginaire collectif des sociétés antiques, ainsi qu’en
témoignent notamment le discours d’Aristophane (in Le Banquet, de Platon -427 ; -348) et de
nombreux personnages de la mythologie grecque : Hermaphrodite, Tiresias et Sithon (qui furent
transformés en femmes), Kainis, Mestra, Iphis (transformées en hommes)…
Dans la Grèce et la Rome antiques, toute incertitude concernant une différenciation biologique
claire entre les sexes est perçue comme une menace pour la continuité de l'espèce. Les rôles sexuels
et sociaux sont en conséquence établis de manière très formelle : être un homme, c'est être actif
dans les rapports amoureux et guerrier, être une femme c'est être passive et épouse/mère. Refuser ce
rôle, le contester ou le tenir imparfaitement entraîne une interrogation plus ou moins ironique sur la
possession du sexe biologique correspondant. Un homme qui se montre lâche au combat se voit
qualifié d'androgyne. Le garçon n'est pas considéré comme un homme avant de devenir un guerrier,
ce qui justifie en Grèce les rapports homosexuels et amoureux avec des jeunes gens. Le
travestissement est souvent utilisé lors des rites de passage de l'adolescence à l'âge adulte, mais
aussi comme ruse guerrière, car tout ce qui est féminin est en principe étranger à la guerre.
Une série de lois grecques et romaines ordonnaient aux parents d'exposer publiquement les enfants
dits anormaux, comme les intersexués. Car ces enfants constituent des signes maléfiques que l'Etat
doit faire disparaître, en les rejetant hors du territoire de la cité, après en avoir interprété le sens.
Toutefois, même s'il faut prendre soin de purifier le territoire de la cité, on évite de donner
directement la mort à ces enfants et de les enterrer. En les tuant, on risquerait d'en faire des
revenants vengeurs, en les enterrant on rendrait intacts à la terre les corps de ces enfants qui
pourraient renaître tels quels. On les expose donc pour s'en remettre à la volonté des dieux, qui
peuvent en disposer comme ils l'entendent, et on fait appel aux devins, qui vont statuer sur leur sort.
En Grèce aux alentours de 314 av. JC, on rapporte l'histoire de Polycrite, élu du peuple Etolien,
dont l'enfant de mère étrangère, né après la mort du père, s'était révélé bisexué, et avait provoqué un
vif émoi dans la cité. Dans la Rome antique, Tite-Live recense très précisément 16 cas d'intersexués
nés entre 249 et 12 av. JC et qui donnent lieu à des cérémonies d'expiation. Dans la plupart des cas,
l'enfant est abandonné dans un coffre en mer ou sur un fleuve, et des cérémonies s'ensuivent, avec
des sacrifices et des défilés de vingt-sept jeunes filles.
17
Dans la Rome impériale, ce type de phénomène ne provoque plus de panique superstitieuse. C’est là
que, pour la première fois dans l’histoire, on trouve la trace d’une demande délibérée de
changement de sexe. Plusieurs chroniqueurs racontent en effet qu’Élagabal, empereur romain de
218 à 222, se serait marié avec son esclave Hiérocles pour se faire appeler « femme » et « dame
impératrice ». Il aurait également demandé à des médecins de le faire accéder « à la double nature
sexuelle par le moyen d’une incision à l’avant », leur promettant une rémunération généreuse.
B- UNE APPROCHE DES SOCIETES NON BINAIRES
Dans certaines sociétés dites primitives ou simplement différentes, une place existe pour les
“entre-deux”, ni pleinement hommes ni véritablement femmes au sens étroit que l'on confère à ces
deux facettes de l'être humain. Une place bien étroite, soumise à des codes sociaux rigoureux, mais
une place tout de même. On peut citer ainsi :
•
Les berdaches chez les Indiens d'Amérique, recensés dans plus de 130 tribus. L'accent est
mis sur une notion de passage d'un statut à un autre, après qu'une vision, des rêves, des
révélations ou des signes aient mis en évidence le caractère irrévocable d'une destinée
beaucoup plus que d'une fatalité. Le berdache occupe des fonctions sociales, sexuelles et
religieuses très codifiées : il opère la synthèse entre les deux sexes et entre le monde des
vivants et le monde des morts. Le vêtement et le comportement sont plus importants,
comme « désignatifs », que le sexe biologique pour situer quelqu'un comme homme ou
comme femme. Les colons espagnols se sont particulièrement acharnés, à une époque où
l'inquisition avait atteint son apogée, à anéantir le phénomène berdache.
•
Les muche (muxhe ou muxé) au Mexique, hommes qui s´habillent et se conduisent comme
des femmes. Le muche, dans cette société à tendance matriarcale, est considéré comme une
bénédiction au sein d'une famille, car il va seconder la mère dans toutes les tâches
ménagères, et pourra avoir un rôle dans l'initiation sexuelle des adolescents, la virginité des
jeunes filles étant considérée comme sacrée. Une étude de 1974 estime que 6% des hommes
de la communauté sont des muxhes. Ils sont socialement acceptés comme un genre
supplémentaire. Certains se marient et ont des enfants, d´autres préfèrent choisir un homme
comme partenaire.
•
Les acaults de Myanmar (Birmanie) : hommes biologiques travestis en femmes et
symboliquement "mariés" à Manguedon, esprit animiste qui accorde bonheur et réussite.
Alors que les rapports homosexuels sont interdits dans la société birmane, les rapports avec
les acaults sont tolérés. On trouve d'ailleurs dans plusieurs sociétés la place de transgenre
comme dérivatif social à l'homosexualité masculine (on tolère les rapports des hommes avec
les transgenres qui ne sont plus considérés comme des hommes à part entière). En fait les
acaults recouvrent un large spectre qu'on pourrait définir dans les termes occidentaux du
transsexualisme à l'homosexualité en passant par le travestisme.
•
Les mahus (et raé raé) en Polynésie : statut social vieux de plusieurs siècles qui commence
avec une éducation toute particulière pratiquée dès le plus jeune âge : l'auto-détermination
de la personne est ainsi sujette à caution. Les Mahus, hommes biologiques, s’épilent,
mangent à l’écart de la gent masculine, dansent, chantent et vivent avec les femmes. Il y a
bien sûr une face sombre à cette apparente tolérance : la prostitution, née de l'essor du
tourisme. Cela a donné naissance à l'appellation Rae rae, terme spécifiquement attribué par
les occidentaux puis usité par les Polynésiens, pour qui la sexualité n’avait jamais servi à
définir une identité.
18
•
Les hijras (au Aravanis) en Inde et au Pakistan, dont on estime qu'elles sont entre 1 et 5
millions. Elles vivent travesties, exercent les métiers de danseuse, de musicienne et des
fonctions d’ordre spirituel. A chaque étape importante de leur vie, les Indiens demandent la
bénédiction d’une hijra, et leur présence aux fêtes données pour les naissances ou les
mariages est recherchée, car elles sont réputées porter chance… ou malchance si on les
évite. Les Hijras sont aujourd'hui de plus en plus marginalisées et vouées à la mendicité et à
la prostitution.
•
Chez les Inuit : le phénomène transgenre occupe une place assez particulière, dans la mesure
où cette spécificité est dictée par la société et non par un ressenti personnel :
- le nom de l'enfant à naître, en hommage à un membre de la famille décédé ou encore
vivant, va induire une obligation de travestissement jusqu'à la puberté si son sexe est
différent de celui de l'ancêtre
- la socialisation de l'enfant peut se dérouler de manière inversée en cas de déficit du ratio
garçons/filles dans la fratrie.
•
Et aussi pour mémoire : Les fa'afafine (traduction : "à la manière d'une femme") à Samoa,
les Fakaféfine aux îles Tonga, les waria en Indonésie, les katoeys en Thaïlande, les woobies
en Côte d'Ivoire…
C- QUELQUES TRANS' REPERES DANS NOTRE HISTOIRE
•
Mary de Vitry (16ème siècle, cité par Montaigne) : une jeune fille du nom de Mary,
résidait à Chaumont et s'était résolue à s'habiller, à travailler et à vivre comme un homme.
Mary gagnait sa vie comme tisserand et se rendit à Vitry pour y trouver l'amour. Il s'y maria
avec une femme. Mais l'époux fut vite identifié et condamné à être… pendu ! Il préféra
toutefois cette issue fatale plutôt que reprendre sa condition de fille.
•
Catalina de Erauso (1592-1650) : personnalité semi légendaire d'Espagne et des
Amériques espagnoles. Basque, fille et sœur de soldats, elle est destinée à devenir nonne,
mais abandonne cette voie, s'habille en homme et mènera une vie extrêmement aventureuse
en tant que soldat et duelliste acharné dans toute l’Amérique du Sud, en Espagne et en Italie.
•
Philippe de France, frère de Louis XIV (1640-1701). Dès son enfance, Philippe montra son
originalité, son jeu préféré étant de porter des robes et de se poudrer. Même si le fait de
porter des robes était à l’époque normal pour les garçons en bas âge, Philippe en portera
occasionnellement même à l'âge adulte, se déguisant en femme et aimant déguiser des
femmes de la cour.
•
François-Timoléon, abbé de Choisy (1644-1724) : Fils d’un conseiller d’État intendant du
Languedoc et d'une amie intime de Marie de Gonzague, reine de Pologne, qui l’habille en
fille jusqu’à l’âge de dix-huit ans pour satisfaire aux caprices de Philippe de France, frère de
Louis XIV. Adulte, il reprend le costume féminin et réside, avec les encouragements de son
curé et l’approbation de son évêque, d’abord à Paris sous le nom de Mme de Sancy puis à
Bourges où il se fait passer pour une riche veuve sous le nom de comtesse des Barres.
Profitant de son costume pour séduire des jeunes filles, il en fait le récit dans ses "Mémoires
de l’abbé de Choisy habillé en femme".
•
La bourrelle de Lyon (1720- ?) : Marguerite-Julienne le Paistour s'enfuit à vingt ans du
domicile paternel revêtue des effets de son frère et prend le nom d'Henry. Après quelques
19
aventures militaires, elle/il apprend le métier de bourreau à Strasbourg et Montpellier puis
obtient le poste d’exécuteur des hautes œuvres à Lyon. Il est réputé exercer sa fonction avec
zèle. Nul n’ignore que le nouvel exécuteur manie la corde avec dextérité, et pourtant ce
bourreau est si chétif qu'on n’en croit pas ses yeux : comment des mains aussi frêles
peuvent-elles rompre, fouetter ou pendre ? Pendant vingt-sept mois, Henry accomplit son
œuvre, avant d’être démasqué et incarcéré… pour en fin de compte épouser un homme, ce
qui lui vaut sa libération.
•
Le Chevalier de Beaumont d'Eon (1728-1810) : Espion de Louis XV, il est célèbre pour
son habillement qui le faisait passer pour une femme. Affilié au "Secret du Roi", politique
que mène Louis XV en parallèle des conseils officiels (le prince de Conti, le maréchal de
Noailles, Beaumarchais en font également partie), il est dépêché à la Cour de Russie comme
secrétaire d'ambassade, puis à Saint-Pétersbourg et à Londres, où il se présente toujours en
femme. Après maintes péripéties il devra remettre au roi Louis XVI des documents secrets
rédigés sous le règne de Louis XV et s’engager à ne plus jamais quitter ses vêtements
féminins. En échange de quoi une rente viagère lui est accordée. D'Éon quitte Londres le
13 août 1777 et se présente à la cour en capitaine de dragons. Une ordonnance prise le
27 août par le roi lui donne ordre « de quitter l'uniforme de dragons qu'elle continue à porter
et de reprendre les habits de son sexe avec défense de paraître dans le royaume sous d'autres
habillements que ceux convenables aux femmes ». Il est exilé à Tonnerre, puis regagne la
Grande-Bretagne où il meurt dans la misère.
•
Henriette-Jenny Savalette de Lange (1786?-1858) : Parfaitement intégrée dans la haute
société du 19ème siècle, extrêmement courtisée, pensionnée par Louis XVIII et Charles X,
toute sa vie repose sur un mystère : depuis ses origines restées inconnues en pleine
tourmente révolutionnaire jusqu'à sa mort où l'on découvre lors de la toilette mortuaire
qu'elle est de sexe masculin. Elle apparaît dans la bonne société parisienne en 1804 et se dit
fille naturelle du comte Savalette de Lange, garde du Trésor Royal et créancier du frère de
Louis XVI : elle fera même établir un acte de notoriété à défaut d'acte de naissance, appuyé
par sept témoins de la noblesse. Protégée en haut lieu, elle obtiendra même un appartement
au château de Versailles jusqu'à ce qu'il soit transformé en musée historique. On retrouvera
après sa mort une petite fortune disséminée dans sa maison, ainsi qu'un couvre-lit très
luxueux ayant appartenu à Louis XIV et qui alimentera les rumeurs les plus extravagantes,
puisqu'on lui prêtera l'identité de Louis XVII.
D- CONCEPTUALISATION
TRANSSEXUALISME
ET
PRATIQUE
:
L'APPARITION
DU
1. Théoriciens et praticiens
A la fin du 19ème siècle, trois allemands (dont deux sexologues) jettent les bases d'une
approche théorique de la transidentité.
Dans les années 1860 apparaît la théorie dite "du 3ème sexe". Le juriste Karl Heinrich Ulrichs
(1825-95) propose de diviser l'humanité en trois sexes : hommes, femmes et uraniens pour les
homosexuels (anima mulieris in virile corpore inclusa). Selon lui la conséquence d'une âme de
femme dans un corps d'homme est de développer une attirance sexuelle pour les hommes (vice
versa pour les femmes). Il considère l'uranisme comme un phénomène d'origine naturelle et non
comme une perversion. En voulant défendre les homosexuels il pose ainsi les jalons de la future
définition de la transidentité, par la théorie du sexe psychologique et de sa contradiction avec le
sexe anatomique.
20
Puis, dans "Psychopathia Sexualis" (1887 et 1895), Richard von Krafft-Ebing (1840-1902) publie
des témoignages de femmes vivant en hommes et vice versa, mais assortis d'une morale
manichéenne et puritaine qui fait apparaître toute déviance sexuelle comme folie criminelle.
Enfin, Otto Weininger (1880-1903), grand rival de Freud, malgré des théories misogynes et racistes,
affirme que tout être humain est bisexué et bisexuel : "Il n'existe heureusement pas d'individu qui
soit tout entier d'un seul sexe". Dans son livre Sexe et Caractère, best seller en Europe au moment
de son suicide, il insiste : "la classification des êtres vivants en mâles et femelles apparaît
insuffisante pour rendre compte de la réalité".
Au début du vingtième siècle, concepts et pratiques vont converger (Foerster, 2006) grâce à Magnus
Hirschfeld (1868-1935), médecin et sexologue allemand. celui-ci définit quatre stades
"d'intermédiaires sexuels" :
- les intersexués (appelés alors hermaphrodites)
- les porteurs de signes atypiques (femmes à barbe, hommes à seins… )
- ceux qu'on a alors coutume de nommer les "déviants sexuels" : homosexuels, mais aussi
hétérosexuels adeptes du fétichisme, du sado-masochisme, de l'exhibitionnisme…
- transsexuels (qu'il nomme transvestis, bien que la pratique du travestissement ne soit pas pour lui
une condition sine qua non).
En 1910, Hirschfeld publie Die Transvestiten dans lequel il décrit de nombreux cas d'une réalité
méconnue.
Parallèlement apparaît une nouvelle science médicale, l'endocrinologie, sous l'impulsion du Dr
Eugen Steinach à Vienne. Le rôle des hormones dans le changement de sexe est mis en évidence
dans des expériences sur des rats et des cobayes.
Hirschfeld fonde en 1919 l'Institut de Sexologie, destiné à approfondir les connaissances sur la
sexualité et à militer pour une amélioration de la condition des Intermédiaires sexuels. Le contexte
lui est favorable : Berlin est alors la capitale européenne des subversions de tous genres, et sa
réputation de licence et de liberté se répand internationalement : c'est là qu'apparaît la culture du
cabaret transgenre (Foerster, 2006).
Les opérations chirurgicales débutent à cette époque : Hirschfeld procède en 1912 à une
mammectomie et une hystérectomie. En 1921, le Dr Félix Abraham pratique une orchidectomie sur
Rudolf Richter, devenu Dora. En 1930, le Dr Levy-Lentz se charge de la pénectomie de Dora, et
quelques mois plus tard Abraham, ou le Pr Gohrbandt, lui construit un vagin artificiel, achevant
ainsi la première réassignation sexuelle de l'histoire.
En parallèle, en 1917 à New York, une femme persuade le psychiatre Joshua Gilbert de faire
pratiquer chez elle une hystérectomie. Après l’opération, le patient, devenu Allan Hart, réussit à
changer d’état civil, se marie deux fois et mourra en 1962 à l’âge de soixante-douze ans, après une
vie et une carrière heureuse de médecin et d’écrivain. (Meyerowitz, 2002).
Nettement plus médiatisée que Dora, Lili Elbe, née Einar Wegener, peintre danoise venue se faire
opérer en Allemagne, ne survivra pas à une tentative de greffe d'ovaires en 1931. Auparavant, elle
aura obtenu dans son pays un changement d'état civil et inspire la publication de la première
biographie d'une transsexuelle. Le Danemark sera d'ailleurs le premier pays à dépénaliser la
castration pour objectif thérapeutique, en 1935.
Les phalloplasties sont plus tardives et beaucoup moins réussies que les vaginoplasties. Les
premières – sans rapport avec le transsexualisme – avaient été tentées dès 1916 sur des mutilés de
guerre. En 1936, le médecin russe Nikolai Bogoraz réussit la première phalloplastie réparatrice avec
un tube et des greffes de peau prélevés sur l’abdomen chez un homme dont la femme avait
sectionné le pénis. Mais il faut attendre 1948 pour que le premier transsexuel bénéficie d’une telle
intervention, qui reste difficile, complexe, et aux résultats aléatoires.
Les débuts du transsexualisme à Berlin font l'objet de nombre de publications et de traductions en
21
français, ainsi que d'une large et positive vulgarisation effectuée par Voilà, magazine populaire à
grand tirage. L'arrivée des nazis au pouvoir, en 1933, va marquer un coup d'arrêt aux travaux de
l'Institut de sexologie, saccagé et fermé, dont les livres seront brûlés publiquement (Foerster, 2006).
Tandis que Magnus Hirschfeld migre en France où il meurt en 1935, l'endocrinologue Harry
Benjamin (1885-1986), né à Berlin mais ayant choisi l'exil aux USA dès 1914, va poursuivre et
intensifier les travaux initiés en Allemagne et en Autriche. Il viendra en aide durant sa longue
carrière à plus de 1500 patients, dont le tout premier, Otto Spengler, était déjà mentionné dans le
livre de Hirschfeld en 1910. C'est d'ailleurs sur Otto Spengler, dans les années 1920 à New York
qu'il pratiquera les premiers essais hormonaux avec des œstrogènes dérivées des travaux de
Steinach.
Dans l'histoire de la transidentité, Benjamin restera sans conteste le spécialiste incontournable de ce
sujet, car il est l'un des premiers médecins à dire que la psychanalyse et la psychiatrie ne peuvent
rien pour les transsexuels qui ne sont pas mentalement dérangés, et à tenter de leur apporter une
aide en accédant à leurs besoins plutôt que de vouloir les "guérir". C'est ainsi qu'il sera pionnier
dans l'utilisation des traitements hormonaux mis au point en 1949.
En 1953 émerge une conception liée à sa pratique clinique qui affirme que le transsexualisme est
une "entité nosographique qui n’est ni une perversion ni une homosexualité" et qui sera qualifiée de
syndrome de Benjamin. Arme à double tranchant, cette déculpabilisation du fait transsexuel
l'enferme toutefois dans la case "maladie".
En 1966, il publie le premier ouvrage grand public sur le sujet, The transsexual phenomenon, qui
présente les traitements hormonaux et chirurgicaux comme une solution satisfaisante. Il fournit
également une première définition : le transsexualisme est le sentiment d’appartenir au sexe opposé
et le désir corrélatif d’une transformation corporelle. Ses protocoles de soins ont fixé le cadre
éthique, toujours en vigueur aujourd'hui, du traitement des transsexuels.
Le psychiatre Richard Green participe aux travaux de Benjamin qu'il alimente de nombreuses
recherches, études et enquêtes : dans l'une d'elle en 1969 il interroge 400 médecins (psychiatres,
urologues, gynécologues, généralistes) à propos du cas d'une transsexuelle. Celle-ci était suivie par
un psychiatre et un psychothérapeute depuis 2 ans, le psychiatre était convaincu que la chirurgie
était indiquée et que son refus pourrait conduire à un suicide : 80% la disent atteinte d'une grave
névrose, 15% de psychose. La majorité des médecins et 94% des psychiatres disent qu'ils
refuseraient la réassignation sexuelle pour des raisons morales et/ou religieuses.
Le psychologue John Money (1921-2006), qui travaille dans les années 1950 auprès d'enfants
intersexués, met en exergue la prévalence de l'empreinte psychologique due à l'éducation sur la
nature biologique du sexe en ce qui concerne l'acquisition du comportement masculin ou féminin.
Cette conception appliquée aveuglément et de manière très normative aux intersexués s'avérera
parfois catastrophique, mais Money aura au moins le mérite d'introduire une distinction
fondamentale entre le genre, relevant du psycho-social, et le sexe, relevant du biologique.
Robert Jesse Stoller (1925-92), psychiatre et psychanalyste, approfondit cette théorie en
introduisant la notion d'identité de genre, qui désigne le vécu identitaire en termes d'appartenance au
"masculin" ou au "féminin". Ces deux mots recouvrent des concepts éminemment culturels et
fluctuants selon les sociétés et leurs évolutions. Ainsi, l'être humain est plus complexe que la
subdivision binaire mâle/femelle : un mâle peut se sentir plus ou moins féminin et vice-versa, sans
qu'il y ait nécessairement interrogation relative au sexe biologique. Quand c'est le cas, Stoller parle
alors de dysphorie de genre, dont le transsexualisme représenterait la forme extrême.
22
2 . Les premières "célébrités" trans'
En France, quelques "pionnier(e)s" connaissent une relative célébrité. Le peintre MichelMarie Poulain (1906-91), élevé comme une fille, réputé pour son talent dans le Montmartre d'entre
deux guerres, et pour sa beauté en tant que mannequin de la bonne société. Elle rencontre
Hirschfeld une première fois en 1937 et recule devant les risques opératoires, puis se décide en
1946. Opérée par un médecin dont on ne connaît pas l'identité, elle écrira son autobiographie sous le
titre : J'ai choisi mon sexe.
Violette Morris, sportif ou sportive (elle n'a jamais affirmé clairement son identité de genre) de haut
niveau, porte plainte en 1927 contre la Fédération sportive féminine de France pour refus de
licence, justifié par le port de vêtements masculins et une mastectomie (officiellement réalisée à
cause de la gêne provoquée par une poitrine opulente dans sa pratique sportive…).
Sur les traces de Violette Morris, Léa Caurla et Claire Bressoles, qui ont battu ensemble le record
de France de 4x100m et obtenu une médaille d'argent au championnat d'Europe en 1946,
deviendront officiellement Léon Caurla et Pierre Bressoles.
Puis Marie-André Schwindenhammer (1909-81) devient une figure essentielle du transsexualisme
d'après-guerre en France. Elle se déclare victime de traitements hormonaux expérimentaux
effectués par les nazis lors de son internement. Bien que cette version ait pu servir d'alibi social
(notamment vis à vis de sa famille de la haute bourgeoisie), elle se distingue par son extraordinaire
énergie mise au service de ses consœurs, notamment en drainant toute la communauté de l'époque
auprès de son amie Mme Bonnet qui pratiquait l'épilation par électrolyse, puis en créant en 1965
l'AMAHO (Aide aux Malades Hormonaux) et en allant jusqu'à créer une carte "d'identité" tolérée
par la préfecture et destinée à faciliter la vie quotidienne des personnes travesties et transsexuelles
de l'époque.
Mais c'est le cas de Christine Jorgensen qui va sortir le transsexualisme de la confidentialité : bien
malgré elle, cette jeune américaine qui avait pris le chemin du Danemark pour obtenir son
changement de sexe (1950-52), fut à l'origine d'un scandale mondial. Elle n'était pas la première
transsexuelle à se faire opérer, mais fut, dans le contexte historique de l'époque (en pleine guerre
froide, chasse aux sorcières McCarthyste et ségrégation raciale), victime d'un déchaînement
médiatique sans précédent.
A la même époque, la jeune Jacques-Charles (plus tard Jacqueline-Charlotte) Dufesnoy est engagée
chez Madame Arthur, grand cabaret parisien, antichambre du fameux Carrousel : le mythe
Coccinelle est né, et avec lui l'image d'Epinal du transsexualisme. D'une grande beauté et véritable
star dans tous les sens du terme, Coccinelle fera rayonner la culture du "cabaret transgenre" dans le
monde entier durant plus de vingt ans. Opérée en 1958 par le Dr Burou à Casablanca, rapidement
devenu le spécialiste mondial des opérations de changement de sexe, elle connaît une gloire
fulgurante, passe à l'Olympia, tourne sur tous les continents et se marie à l'église en 1962, ce qui
sera l'objet d'un scandale retentissant. C'est d'ailleurs suite à cet événement que les juges
compliqueront les changements d'état civil des transsexuel-le-s.
E- LA TRANSIDENTITE FACE AUX INSTITUTIONS : POLITIQUE,
MEDICALE, JUDICIAIRE
Des centaines de candidat(e)s au changement de sexe s'engouffreront dans le sillage de
Coccinelle. La "bonne société" s'offusque hypocritement du succès de cette filière, et à l'ordonnance
Lépine de 1907 interdisant le travestissement hors dimanches et mardi gras s'ajoute celle du préfet
23
Léonard (1949) interdisant le port de perruques, les faux seins, la danse entre hommes et les
spectacles de travestissement. Paradoxalement, cette répression encourage le transsexualisme, les
prises d'hormones (en vente libre) et la pousse des cheveux n'étant pas visées par l'interdiction.
Alors que Harry Benjamin publie aux USA "The Transsexual Phenomenon", un plaidoyer pour la
liberté de changer de sexe, les années 1970 marquent en France un durcissement vis à vis du
transsexualisme (Foerster, 2006) : dans la lignée des positions de J. Lacan, qui taxe le recours à la
chirurgie de délire pathologique, les pouvoirs publics rendent obligatoire le passage devant un
psychiatre. Les hormones ne sont plus en vente libre, et les changements d'état civil deviennent de
plus en plus difficiles, jusqu'à un arrêt de la Cour de Cassation (16/12/1975) qui les interdit, du fait
de "l'indisponibilité de l'état des personnes" (Code Napoléon, 1804). Le recours à la prostitution et
les violences policières deviennent le lot de nombreuses transsexuel-le-s.
Plusieurs ouvrages émanant de psychiatres et psychanalystes, fustigent la démarche atypique des
transsexuel(le)s, qualifiée de pathologie délirante tant elle échappe aux principes connus (Henri
Frignet, Catherine Millot, Colette Chiland, Patricia Mercader entre autres) (Foesrter, 2006).
C'est dans ce contexte que se mettent en place des équipes médicales pluridisciplinaires dans les
hôpitaux publics, qui s'arrogent le monopole du traitement des demandes émanant de
transsexuel(le)s, le recours à la chirurgie relevant d'autorisations exceptionnelles au regard de la loi
: le pouvoir politique et judiciaire s'appuie ainsi sur l'expertise psychiatrique pour valider les
changements de sexe, en référence à l'inscription du transsexualisme par l'OMS (Organisation
Mondiale de la Santé) dans la catégorie des troubles psychiatriques.
Le Centre du Christ Libérateur (CCL) créé en 1976 par le pasteur Doucé, sera la première structure
d'accueil et d'aide aux transsexuels, tandis que l'ABC (Association Beaumont Continental, 1975)
permettra un regroupement des personnes s'exprimant par le transvestisme. Des associations
spécifiquement dédiées au transsexualisme apparaîtront progressivement (AMEFAT 1981, AAT
1992, ASB 1995, CARITIG 1995… ; voir à ce sujet la partie Panorama des associations trans'
françaises).
Alors que le sénateur Caillavet tente vainement en 1982 de faire voter une loi pour améliorer le sort
des transsexuel(le)s, un patient travail de lobbying du pasteur Doucé amènera le Parlement
Européen à voter une "Résolution sur la discrimination dont sont victimes les transsexuels" et la
recommandation n°1117 invitant les états à accorder le changement d'état civil aux transsexuel(le)s
opéré(e)s. En 1992, la Cour Européenne des Droits de l'Homme condamne la France pour avoir
refusé durant dix-sept ans un changement d'Etat-civil à une personne transsexuelle opérée. Le 11
décembre de la même année, la Cour de Cassation rend donc un arrêt contraire à celui de 1975.
POUR APPROFONDIR LE SUJET6 :
- BRISSON Luc, Le sexe incertain, Androgynie et hermaphrodisme dans l'Antiquité gréco-romaine,
Ed. Les Belles Lettres, septembre 2008
- FOERSTER Maxime, Histoire des transsexuels en France, Ed. H&O, octobre 2006
- CALIFIA Pat, Le mouvement transgenre, changer de sexe, Ed. EPEL, octobre 2003
- CASTEL Pierre-Henri, La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l'identité
personnelle, Ed. Gallimard, mars 2003
- MICHEL Aude, Les troubles de l'identité sexuée, Ed. Armand Colin, collection 128, avril 2006
- HERAIL, Sur l'homme-femme connu sous le nom de Mademoiselle Savalette de Lange, Ed.
Dilecta, mai 2006
6 Une bibliographie plus large est à disposition à la fin de ce document.
24
- DESY Pierrette, “L’homme-femme. (Les berdaches en Amérique du Nord).” (1978), article publié
dans la revue libre Politique, anthropologie, philoso-phie, 1978, no 78-3, pp. 57-102. Paris : Payot.
Reproduit en version numérique à l'Université du Québec à Chicoutimi : http://classiques.uqac.ca/
• IV LES PARCOURS DE TRANSITION
Remarque préalable : la description faite ici ne concerne qu'une partie des personnes trans',
celles qui font le parcours de transition dans son ensemble (ce que certains qualifient de "jusqu'au
bout", sous-entendu jusqu'à l'opération de réassignation sexuelle et au changement d'état civil),
sachant que d'autres se travestissent, d'autres s'hormonent sans chirurgie, etc.
Si l'identité de genre a longtemps fait partie de la sphère privée, le développement des
hormones et des techniques chirurgicales a permis l'entrée des personnes transidentitaires sur une
scène beaucoup plus large (Akrich, 2006). En s'intéressant à l'offre médicale proposée aujourd'hui
en France, nous constatons que c'est celle développée par les équipes hospitalières qui apparaît
comme la plus visible et la plus accessible pour les personnes trans', dans la mesure où elle a
désormais acquis une certaine reconnaissance des pouvoirs publics (ce qui se traduit notamment par
le remboursement des soins). Ces équipes sont dites « officielles » ou « protocolaires » et le
« parcours de réassignation » qu'elles proposent s'est construit progressivement dans le dernier quart
du XXème siècle, porté par une double logique : le transsexualisme serait un syndrome qui relève
de la psychiatrie ; la réassignation hormonale et chirurgicale ne peut que "soulager une souffrance"
et doit conduire à un être sexué stable, un homme ou une femme.
Passer par une équipe hospitalière correspond ainsi à la volonté de passer d'un genre et d'un sexe à
un autre, « d'aboutir à une construction normalement solide et répertoriée : un homme ou une
femme » (Hérault, 2004). Or, cette condition s'oppose fortement à l'auto-définition revendiquée par
certaines personnes trans' et à la multiplicité des ressentis face aux limites médicales et notamment
chirurgicales.
Dans les faits, certaines personnes trans' s'éloignent totalement ou en partie de l'offre de soin
hospitalière, pour mettre en œuvre d'autres modalités de transformation : soit elles n'ont aucun
contact avec les équipes officielles, soit elles engagent une partie du suivi avec elles et complètent
avec l'offre médicale privée, soit, enfin, elles vivent leur transidentité sans aucune relation avec les
médecins via des formes d'auto-médication notamment (hormonage sauvage).
A- LES PARCOURS DE TRANSITION VIA L'HOPITAL PUBLIC
Nous l'avons vu précédemment, le concept de transidentité a pris naissance en Allemagne
où, porté par les nouvelles découvertes en endocrinologie et en chirurgie, le sexologue M.
Hirschfeld fonde à Berlin l'Institut de Sexologie, où auront lieu les premières opérations de
réassignation sexuelle. Mais, « si la France suit de près les débuts du transsexualisme en
Allemagne, le milieu médical et psychiatrique ne partage pas le militantisme du Dr Hirschfeld,
reprenant une partie de ses typologies tout en y injectant de la pathologie. » (Foerster, 2006)
Dans la lignée de la psychiatrie européenne classique qui avait défini les critères de normalité et
d'anormalité sexuelle (Iacoub, 2010), la psychanalyse qualifie de « délire pathologique » (Lacan,
1971) le recours à la chirurgie pour mieux vivre son identité de genre, et produit toute une littérature
qui plaide « contre le droit des transsexuel(le)s à changer de sexe, de prénom et d'identité de genre »
(Foerster, 2006).
De fait, dans les années 1970, cette théorisation va influencer les pratiques médicales en rendant
indispensable l'aval d'un psychiatre pour débuter un traitement hormonal ou chirurgical. Ces
25
pratiques médicales sont d'ailleurs légitimées par le pouvoir judiciaire, qui rappelle le principe
d'indisponibilité de l'état des personnes et rend impossible, en 1975, la prise en compte par l'état
civil des transformations corporelles obtenues par les traitements médicaux7. Il faut attendre une
condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme en 1992 pour que le droit
français modifie sa position via un arrêt en cour de cassation autorisant à nouveau le changement
d'état civil à condition de modifications corporelles irréversibles.
POINT JURIDIQUE
:
LA FRANCE CONDAMNEE PAR LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME EN 1992
La cour européenne des droits de l'homme condamne la France du fait de son refus de changer à
l'état civil le sexe d'une personne transsexuelle, au bout de 17 années de procédures.
La cour de cassation produit alors un arrêt contraire à celui qu'elle avait pris en 1975 : lorsque, pour
des raisons thérapeutiques, une personne ne possède plus les caractéristiques de son sexe d'origine,
alors le respect de la vie privée oblige à ce qu'on lui accorde le changement d'état civil.
A partir des années 1970, les équipes médicales hospitalières entérinent un fonctionnement sur la
base d'une expertise psychiatrique, garante de la validité de la demande de traitement hormonal et
chirurgical, et proposent un « parcours de réassignation » décliné selon cinq étapes chronologiques :
le diagnostic, le test de vie réelle, l'hormonothérapie, la chirurgie et le changement d’état civil
(HAS, 2010). Ne sont alors traités que les transsexuels "primaires" menaçant de se suicider.
Dès lors, le psychiatre se retrouve enfermé dans une injonction paradoxale : il doit établir un
diagnostic psychiatrique confirmant qu'il ne peut pas guérir la personne de sa maladie mentale et
que celle-ci doit être confiée au chirurgien qui seul pourra la "soulager". Il est donc prié d'établir un
diagnostic d'échec, diagnostiquant la maladie mentale sans pouvoir lui-même la soigner.
Mais ces protocoles médicaux français sont sans fondements juridiques. Si de nombreuses
personnes transsexuelles étaient opérées depuis les années cinquante dans le monde, il faut attendre
1989 pour que la France pose les bases d'un protocole à travers une circulaire de la Caisse Nationale
d'Assurance Maladie (CNAM). En effet, malgré la mise en place des équipes hospitalières dans les
années 1970, persistait la volonté délibérée de ne pas légiférer sur le sujet pour que les transitions
restent des mesures très exceptionnelles8. Alors qu’aucun décret ou arrêté n’est venu valider la
circulaire de 1989 (procédure normale pour officialiser un texte de ce type), celle-ci continue
cependant à légitimer les pratiques hospitalières et à justifier la prise en charge par la sécurité
sociale des frais médicaux inhérents au transsexualisme.
Il existe actuellement six équipes hospitalières publiques en France, dites équipes officielles, mises
en place dans la lignée de cette circulaire de la CNAM : Marseille, Bordeaux, Paris, Lyon,
Montpellier et Nice (selon le site de la SOFECT9, S0ciété Française d'Etude et de prise en Charge
du Transsexualisme, qui réunit l'ensemble de ces équipes).
Il est difficile d'évaluer le nombre de patients suivis par ces équipes, car il n'existe aucun
recensement. Un rapport de la HAS (2010) indique uniquement les chiffres fournis par :
•
•
l'équipe de Paris qui, sur dix ans de travail, décrit 63 vaginoplasties MtF10 dont 59 % de
transfusions sanguines nécessaires et 28 % de complications.
une thèse menée sur les pratiques de l’équipe de Lyon, qui s’appuie sur 56 cas de phalloplasties
FtM, avec 50 % de complications, 9 % de sensations érogènes et 16 % de mictions correctes.
7 Selon un arrêt de la Cour de Cassation du 16 décembre 1975, cité par P. Mercader dans « L'illusion transsexuelle »
(2000).
8 Se référer à ce sujet au débat ayant lieu au sénat en 1983, entre médecins, juristes et parlementaires : les trois parties
s’accordent pour ne pas légiférer sur ce point, de crainte de voir déferler les demandes "injustifiées".
9 http://www.transsexualisme.info/
10 MtF : issu du terme anglossaxon male-to-female, qui qualifie une personne née de sexe mâle qui fait une transition
vers le genre féminin. Inversement, FtM pour female-to-male.
26
Les pratiques restent très hétéroclites d'une équipe à l'autre. Certains chirurgiens tentent d'adopter
de nouvelles techniques (à Marseille, Bordeaux et Lyon) à l'instar de ce qui se pratique à
l'international.
Selon cette circulaire de 1989, le protocole hospitalier décline les étapes suivantes (ces étapes sont
déclinées et détaillées dans la partie Transidentité et santé) :
•
1. Le diagnostic
La personne doit être diagnostiquée par un psychiatre qui tend à déterminer si elle est
atteinte d'une maladie mentale se distinguant d'autres pathologies (schizophrénie, délire
paranoïaque,...). Sont ainsi évaluées l'absence de co-morbidité et la présence du syndrome de
transsexualisme "primaire". La période de diagnostic peut s'étaler sur une à deux années.
Quand le psychiatre valide le diagnostic, il y a prise en charge au titre de l'ALD 23 (ALD =
Affection Longue Durée ; aujourd'hui, ALD 31) sur demande du médecin traitant11 qui doit joindre
l'attestation psychiatrique.
POINT JURIDIQUE : PASSAGE DE L'ALD 23 A L'ALD 31
En mai 2009, la Ministre de la Santé a annoncé que le transsexualisme ne ferait plus partie des
affections psychiatriques de longue durée mais resterait pris en charge au titre des maladies hors
liste. Elle fait ainsi passer le transsexualisme de l'ALD 23 (23ème catégorie de maladies dans la liste
des ALD 30) à l'ALD 31 (affections hors liste).
Si, de façon symbolique, cette décision répond à la demande des personnes trans' de ne plus être
considérées comme des malades psychiatriques, cela tend à augmenter l'incertitude quant aux
critères d'obtention de la prise en charge des traitements et opérations par la sécurité sociale.
En effet, quand le transsexualisme était associé à l'ALD 30, il s'inscrivait dans la ligne « affections
psychiatriques de longue durée »12 : si la personne était reconnue comme atteinte du syndrome de
transsexualisme par un psychiatre, alors la demande d'ALD était acceptée. Avec ce changement de
catégorie, les raisons d'accorder une exonération du ticket modérateur sont beaucoup plus floues et
laissées plus largement à l'évaluation de chaque médecin conseil.
Il faut désormais prouver qu'il s'agit d'une « maladie grave de forme évolutive ou invalidante, non
inscrite sur la liste des ALD 30, comportant un traitement prolongé d'une durée prévisible
supérieure à 6 mois et une thérapeutique particulièrement coûteuse (exemple : malformation
congénitale des membres, embolie pulmonaire à répétition, dégénérescence musculaire,
asthme…)»13.
Plusieurs associations, inquiètes que ce changement puisse réduire voire supprimer les possibilités
de prise en charge, ont fait pression sur le Ministère de la Santé pour obtenir des garanties. Celui-ci
a fini par affirmer avoir transmis une « lettre au réseau » à l'ensemble des caisses primaires
d'assurance maladie dont il a transmis une copie à une association. Cette lettre au réseau explique
que « la sortie des troubles précoces de l'identité de genre de l'ALD23 ne signifie pas pour autant la
remise en cause de l'exonération du ticket modérateur au bénéfice de ces patients. Les personnes
concernées qui le nécessitent doivent continuer de bénéficier d'une prise en charge à 100% pour les
soins en lien avec le transsexualisme. »14
11 Pratique instaurée par la réforme de l'Assurance Maladie en 2005. Auparavant, la demande était faite par le
psychiatre.
12 Site internet de l'Assurance Maladie : http://www.ameli.fr
13 Ibid.
14
Lettre au réseau adressée aux CPAM par le Ministère de la Santé, février 2010.
27
Exemple d'une personne déboutée trois fois dans sa demande de prise en charge ALD :
E. est suivie par un psychiatre privé, donc la CPAM dit que ça ne peut pas être pris en charge ; elle
va à l'hôpital public, obtient la confirmation écrite de son diagnostic mais, cette fois, la CPAM
répond que la demande d'ALD a été faite pour une ALD 30, qui ne correspond pas à sa situation. Le
médecin traitant de E. reformule la demande au titre de l'ALD 31, demande à nouveau rejetée par la
CPAM. Le premier recours relevant d'une expertise médicale, E. demande l'expertise : on l'envoie
chez un pédiatre, expert près du tribunal de grande instance. L'expert pédiatre rédige un rapport
invalidant la demande de prise en charge sous prétexte qu'elle ne correspond pas aux critères de
l'ALD 31.
E., démunie, sollicite la personne qui tient des permanences pour personnes transidentitaires au
planning familial ; celle-ci appelle la CPAM au nom du planning et envoie un courrier argumentant
dans le sens d'une erreur administrative due au flou provoqué par le changement d'ALD. Après
réception de ce courrier, la CPAM reconsidère sa position et accepte le dossier avec prise en charge
rétroactive.
Cet exemple illustre que la réalité reste incertaine malgré la règle, produisant des réponses
aléatoires en fonction des interlocuteurs et des territoires.
• 2. Le traitement hormonal
La personne peut ensuite accéder aux traitements hormonaux : dans un premier temps, un
traitement vient contrer les effets naturels des hormones de l'organisme (testostérone pour les
hommes, œstrogènes et progestérones pour les femmes, cf partie sur la santé), sans compenser les
effets du manque d'hormones naturelles. Cette première phase est annoncée comme réversible.
Dans un second temps, sont prescrites les hormones sexuelles du genre désiré (phase annoncée
comme irréversible).
Puis les opérations chirurgicales peuvent être proposées.
•
3. La chirurgie
Pour les mtf, celles-ci consistent en des chirurgies dites de confort (résection de la pomme
d'Adam ; rhinoplastie, retouche du front, des maxillaires...) ; ou des opérations de "réassignation
sexuelle" telle que la mammoplastie (pose définitive d'implants mammaires ; pas systématique car
les hormones développent la poitrine) ; la vaginoplastie.
POINT JURIDIQUE :
LES OPERATIONS DE REASSIGNATION SEXUELLES
La vaginoplastie correspond à la fabrication d'un vagin à partir d'organes génitaux mâles (sans
greffe d'utérus et d'ovaires). Elle est autorisée seulement depuis 2001 par une loi de bio-éthique,
bien qu'étant pratiquée depuis plusieurs années ; il n'existe aucune codification tarifaire de cette
opération.
Dans certains pays, on pratique uniquement l'orchidectomie, c'est-à-dire l'ablation des testicules
permettant une castration (qui est interdite par la loi française). Pour la vaginoplastie, ce n'est plus
la CPAM qui délivre les autorisations mais la CNAM : covalidation du diagnostic psychiatrique par
un endocrinologue et un chirurgien (coût 12 à 15000).
Pour les ftm, il n'existe pas de chirurgie de confort, mais peuvent se pratiquer la mastectomie
28
(ablation de la poitrine), l'ovariectomie et l'hystérectomie (ablation de l'utérus et des ovaires),
métaoïdioplastie (la testostérone, sous forme d'injections mensuelles, développe le clitoris : on
augmente alors le développement de ce néo-clitoris par injection de collagène, avec une éventuelle
prolongation du canal urétral permettant d'uriner debout) ou la phalloplastie (constitution d'un
phallus avec greffe de peau du bras ou de la cuisse).
4. Les compléments
Pour les mtf, il est généralement nécessaire de faire appel à la dermatologie pour des
épilations faciales et génitales. Certaines personnes choisissent également d'être accompagnées par
un orthophoniste ou un phoniatre pour travailler le niveau de leur voix. Enfin, un grand nombre
d'entre elles a recours à des prothèses capillaires15.
Dans la réalité, de nombreuses personnes sont écartées des protocoles ou décident par ellesmêmes de s'adresser ailleurs. On parle alors de parcours alternatifs ou semi-alternatifs.
B- LES PARCOURS DE TRANSITION ALTERNATIFS
La plupart du temps, les personnes construisant des parcours alternatifs insistent beaucoup
sur leur capacité à s'auto-définir et rejettent l’approche médicale pathologisante de la transidentité.
Cela génère de multiples définitions de soi avec, quasiment, une définition pour chacun et de plus,
une définition qui peut rester en mouvement, ré-interrogeable, re-négociable.
Il semblerait que ce soit cette auto-définition, ce processus dynamique de recherche de soi, qui
oriente les choix médicaux et construise des parcours plus ou moins linéaires, avec d'éventuelles
discontinuités, allers-retours ou ruptures dans les modalités de transformation. En retour, cette
construction de son propre parcours semble largement participer au développement identitaire.
Généralement, plus la personne a une perception claire de ce qu'elle pense être ou souhaite devenir,
plus les décisions liées à sa transition se prennent et se mettent en œuvre facilement. Ces décisions
s'appuient alors sur une recherche active d'informations, que ce soit au travers d'ouvrages, d'articles
scientifiques ou de presse, de témoignages autobiographiques, de médias télévisuels (émissions,
documentaires). Si les livres imprimés sont une source de documentation précieuse, le principal
support d'information utilisé reste internet : blogs, forums, sites personnels ou associatifs, exposent
des parcours variés et des formes multiples de transition. S'amorce alors tout un travail de repérage
puis de sélection de l'information, à travers des textes d'une grande variété, que ce soit dans leur
forme - articles, post, mail... - ou leur fond - données scientifiques, textes militants, récits intimes....
A partir des éléments récoltés, certains choisissent de poursuivre leur transition avec l'équipe
hospitalière pour le démarrage et le suivi du traitement hormonal, puis d'interrompre leur parcours
pour se faire opérer par un chirurgien du privé, en France ou à l'étranger (on parle alors de parcours
semi-alternatifs ou mixtes). Parfois, ce passage par internet, des réseaux associatifs ou les milieux
queer, éloigne d'emblée les personnes trans' de l'hôpital public : elles mettent alors en œuvre leur
transformation uniquement via les médecins du privé. Elles peuvent être accompagnées par leur
médecin généraliste ou choisir un psychiatre, puis un endocrinologue et un chirurgien (on parle de
parcours alternatifs).
Les parcours dans le privé sont souvent décrits par les acteurs comme moins linéaires et plus
rapides que les parcours hospitaliers. Cette rapidité - la transition peut se dérouler en une année du
15
Remarque : les compléments capillaires ne sont habituellement pas pris en charge mais ça peut être négocié
avec le médecin conseil. Se référer à ce sujet à la notice proposée en annexes.
29
premier rendez-vous chez le psychiatre aux dernières opérations - est souvent valorisée par certains,
puis atténuée après coup quand ils réalisent qu'ils auraient pu prendre plus de temps pour intégrer
leurs changements corporels et moins « brutaliser » leur entourage par des changements aussi
conséquents sur un laps de temps aussi court.
Certaines personnes trans' commencent ainsi par se faire opérer sans prendre d'hormones ou alors
seulement par la suite, prennent des hormones sans envisager d'opération, etc. D'autres encore, à
partir des informations recueillies, choisissent de débuter leur transition hors de tout suivi médical,
trouvant des solutions pour s'auto-médicamenter.
Quoi qu'il en soit, pour mettre en œuvre leur transition, les personnes repèrent des médecins
« transfriendly »16, puis font circuler leurs noms de façon sélective via les divers réseaux, virtuels,
associatifs, amicaux. Elles demandent à être reçues et accompagnées médicalement en tant que
« personne » et non pas en tant que « malade », comme le sont des femmes enceintes ou désirant
avorter : elles revendiquent ainsi le droit à une médecine autorisant l'expérimentation (sujet en
mouvement, en recherche de soi) et pas seulement la correction (sujet malade) (Hérault, 2004).
Cette démarche et la recherche active d'informations fonctionnent ainsi en synergie, l'une alimentant
l'autre et vice-versa. En effet, afin de prendre la « bonne » décision, il s'agit non seulement de
trouver des informations sur telle ou telle technique, tel ou tel traitement, tel ou tel praticien, etc.,
mais également de pouvoir vérifier la fiabilité des informations obtenues.
1. Les parcours semi-alternatifs ou mixtes
Ici, tout est fait dans le cadre du protocole sauf l'opération génitale, pour laquelle la personne
se rend souvent à l'étranger (en Belgique, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, au Canada et en
Thaïlande, ces deux dernières filières s'étant développées depuis la fin des années 1990).
Quand il y a rupture du protocole à ce niveau-là, la prise en charge des remboursements devient très
compliquée dans le cadre européen, quasi impossible en dehors de l'Europe (coût d'une opération en
Thaïlande : de 7 000 à 10 000 ; cela couvre l'intervention, le suivi post-opératoire, la visite de
contrôle de fin de séjour, les éventuelles retouches et les transferts aréoport-hôpital-hôtel).
2. Les parcours alternatifs
Dans ces parcours, les personnes ne passent pas du tout par le protocole hospitalier ; c'est le
cas le plus courant aujourd'hui (une enquête de HES17 faite auprès de cent jeunes trans' de 16 à 25
ans révèle que 90% d'entre eux transitent hors protocole).
Nous l'avons vu, les personnes s'informent alors via les associations ou internet afin de construire
des parcours très individualisés en passant uniquement par le monde médical privé voire hors
circuit médical (dans ce dernier cas, l'hormonage est dit sauvage et il n'y a pas d'opération).
16
Des chirurgiens américains, par exemple, acceptent d'opérer sans attestation psychiatrique à partir du moment où
la personne prouve sa motivation.
17 Homosexualité Et Socialisme :
http://www.hes-france.org/IMG/pdf/Rapport_Prelim_Enquete_JeunesTrans_Avril2009_Vfinal.pdf
30
Les parcours de transition, qu'ils utilisent la voie protocolaire ou alternative, posent une question
fondamentale : Qui, aujourd'hui, est habilité à décider du devenir de quelqu'un, mieux que la
personne elle-même ?
Certains travailleurs sociaux s'inquiètent, craignent que la personne fasse le mauvais choix,
s'interrogent sur une logique libertaire où il n'y aurait pas suffisamment de filtres, d'explications, de
garde-fous, rendant le "jeu" trop facile, pas assez "conscientisé", réfléchi.
On a pu identifier dans certaines mouvances trans' que des jeunes filles sont incitées à prendre des
traitements hormonaux sous l'influence de discours féministes radicaux et dans la volonté de
devenir des "mecs" pour mettre "fin à la domination masculine".
Sur un autre registre, un psychiatre intervenant dans l'un des territoires de l'Amicale du Nid avait
conseillé aux équipes de s'adresser aux personnes en fonction de leur sexe biologique, estimant que
la transsexualité relevait de la psychose.
Aujourd'hui encore, certains salariés de l'Amicale du Nid pensent que la transsexualité est une
pathologie et non une question identitaire.
Ces divers exemples sont également signe qu'il devient nécessaire de considérer autrement la
transidentité.
Rappelons que les demandes d'ALD sont faites par le médecin traitant. Depuis la réforme de 2005,
la demande d'ALD ne relève plus du médecin spécialiste, même si cela se maintient dans un cadre
psychiatrique et que, la plupart du temps, le généraliste joint à la demande le certificat du psychiatre
attestant qu'il s'agit bien d'un trouble précoce de l'identité sexuelle ou d'un syndrome de Benjamin
primaire.
La prise en charge hospitalière de la réassignation sexuelle nécessite une co-validation du
diagnostic par 3 spécialistes. Les chirurgies périphériques relèvent des CPAM ; les chirurgies
génitales du médecin conseil de la CNAM.
Enfin, une dernière étape peut avoir lieu dans la transition de la personne : le changement d'état
civil.
C- LE CHANGEMENT D'ETAT CIVIL
Le changement d'état civil se fait uniquement dans le cadre du Tribunal de Grande Instance
(TGI). C'est le juge aux affaires familiales qui statue. La personne changeant de sexe produit une
requête au TGI pour obtenir son changement d'état civil.
Il existe de grandes inégalités d'un territoire à l'autre, car il n'y a aucun texte de référence
spécifiquement dédié à ce sujet : le principe du droit français en la matière est "l'indisponibilité de
l'état des personnes", ce qui signifie que l'état civil est immuable. L’inscription des noms, prénoms
et sexe de l’enfant lors de sa déclaration de naissance est un acte non modifiable. Les évènements
qui jalonneront la vie de la personne (mariage, divorce, décès), ainsi que les éventuelles
modifications d’état civil donneront lieu à des mentions manuscrites en marge de l’acte de
naissance.
Les possibilités d’accéder à des modifications, pour les personnes transidentitaires, sont cadrées par
deux textes :
- le changement de prénom, prévu à l’article 60 du Code civil
- le changement de sexe, en vertu de l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 1992
Dans la réalité, depuis 1992, le changement d’état civil est en principe accordé aux personnes
transidentitaires ayant subi une intervention génitale. Le parquet peut argumenter contre, ce qui est
31
rare, ou demander des expertises complémentaires aux certificats médicaux produits. De fait, le juge
ordonne généralement des expertises médicales (psychiatriques et gynécologiques), qui sont à la
charge du demandeur et se font auprès d'un médecin expert auprès les tribunaux. Ces expertises
sont contestées par toutes les associations de personnes transidentitaires, car elles provoquent la
sensation de rajouter de l'humiliation à l'humiliation.
Depuis mai 2010, une directive du Garde des Sceaux, faisant suite aux recommandations du Conseil
de l'Europe de mars 2010, demande aux procureurs de vérifier le côté irréversible de la démarche et
de ne pas solliciter d'expertises médicales dès lors qu'il y a suffisamment de certificats émanant de
praticiens spécialistes stipulant l'état irréversible de la démarche de la personne. Ce caractère
irréversible peut être évalué par des traitements hormonaux sur le long terme et des chirurgies
périphériques. Mais cette circulaire de mai 2010 laisse encore largement place aux interprétations.
Il peut être cité l'exemple intéressant d'un juge qui a refusé le changement d'état civil pour la
seconde fois à Nancy, parce que la personne devait lui fournir la preuve que des chirurgies
périphériques avaient été effectuées et produit une poitrine de taille suffisante comme preuve de
l'irréversibilité de la démarche.
Dans un autre cas, à Béziers, un juge a refusé le changement d'état civil parce qu'il doutait du
caractère thérapeutique de la démarche, émettant l'hypothèse que cela arrangeait surtout la personne
pour se prostituer.
Quand le changement d'état civil est accordé, le greffe envoie le jugement à la mairie de naissance
du demandeur, après un délai d'un mois servant à faire éventuellement appel. La mairie inscrit le
changement de sexe assorti éventuellement d'un changement de prénom (si cela n'a pas été fait
préalablement) en marge de l'acte intégral d'état civil : par jugement du TGI à telle date, la personne
est déclarée de sexe masculin ou féminin et se prénommera désormais de telle ou telle manière.
L'acte intégral n'est donc pas changé dans le registre : la personne reste marquée par son sexe de
naissance. Cependant, dans de nombreux actes de la vie civile, l'acte intégral n'est pas demandé et
c'est l'extrait de naissance qui est produit. Celui-ci est rédigé de la façon suivante : le 5 juillet 1963
est né à Grenoble Duchemin Jean, de sexe masculin. Cela correspond à la production d'un "vrai
faux", puisque la personne n'est pas née du sexe indiqué (ici masculin).
Quand une personne a vécu plusieurs évènements inscrits à l'état civil, cela peut donner ce genre de
document : le 5 juillet 1963 est néE Dupont Justine Noémie de sexe féminin, mariéE le X avril 1984
avec – on ne peut pas mettre avec Madame, le mariage entre deux personnes du même sexe étant
interdit en France, alors on "transsexualise" symboliquement l'épouse et on mentionne uniquement
l'initiale – avec V. Dubois, divorcéE de V. Dubois le ... On "bricole" donc un état civil en modifiant
le cas échéant le sexe du conjoint.
Les personnes mariées représentent un cas particulier : le système judicaire français a modifié
la réglementation concernant le mariage, pour préciser que le mariage entre deux personnes de
même sexe est illégal dans notre société (suite au mariage entre deux personnes homosexuelles
célébré par N. Mamère, maire de Bègles en 2004). Quand une personne transidentitaire arrive au
TGI avec son dossier, elle doit fournir son acte intégral de naissance, qui indique le mariage : le
greffier rappelle alors l'interdiction du mariage de même sexe et demande à la personne de divorcer
avant de représenter son dossier ; or, lorsque le mariage a été célébré, les deux personnes étaient de
sexes différents et le mariage était donc légal. En l'occurrence, la personne ne vient pas pour se
marier, ni demander si son mariage est valide ou non, mais demande un changement d'état civil, ce
qui n'implique pas de la marier avec une personne du même sexe qu'elle. Mais les greffes s'abritent
systématiquement derrière ce principe et rejettent le dossier qui n'est même pas vu par le juge, ce
qui peut s’apparenter à un abus de pouvoir. Il est à souligner qu'il n'y a pas d'autre situation a priori
dans notre pays où les lois soient interprétées comme rétroactives.
32
En 2003, à Caen, un cas a échappé à la vigilance du greffe : c'est seulement lors de l’audience que
le juge a décrété le changement d'état civil impossible du fait du mariage, qui aurait généré un
"trouble à l'ordre public". Mais la cour d'appel a statué autrement : le juge estimait au contraire
nécessaire d'appliquer le droit au respect de la vie privée, et a accordé le changement d'état civil. Ce
cas ne fait cependant pas jurisprudence, la cour de cassation n’ayant pas été saisie.
De nombreux couples, mariés depuis des années, parviennent à surmonter l’épreuve psychologique
et affective du changement d'un des deux partenaires et se retrouvent ensuite dans l'obligation de
casser symboliquement un lien resté fort pour pouvoir obtenir le changement d'état civil.
Le changement de prénom est théoriquement plus simple dans le droit français : il suffit qu'il y ait
un ”intérêt légitime” (art. 60 du Code Civil). Mais ce dernier relève de l'appréciation du juge.
Pendant longtemps, les personnes transsexuelles, même opérées, demandant leur changement de
prénom, n'avaient le droit qu'à des prénoms mixtes, utilisables dans les deux genres : Dominique,
Camille...
En 2005, dans sa réponse à une question écrite de parlementaire, le garde des sceaux précise que
pour faciliter les démarches au quotidien des personnes en transition, celles-ci peuvent demander le
changement de prénom, qui relève de l’intérêt légitime. De nombreux transgenres se sont appuyés
sur cette précision, obtenant pour certain un changement de prénom sans faire l'ensemble de la
transition.
POINT JURIDIQUE : LE CHANGEMENT DE PRENOM
La Cour de Cassation n’a jamais admis, en matière de changement de prénom, une situation
irréversible, ayant reconnu que l’intérêt pouvait varier avec le temps, l’intéressé pouvant changer
d’avis et demander à nouveau un changement de prénom (Cass Civ 1ère chambre du 22 juin 1999,
n° 97-14.794).
Mais, à l'heure actuelle, la Cour de Cassation n’a pas été saisie de la question de la modification du
prénom dans le cadre du syndrome de dysphorie de genre.
Le changement de prénom, comme le changement de sexe à l’état civil, relève d’un recours
gracieux, mais les frais d’avocat sont à la charge du demandeur ; la démarche peut être coûteuse
(environ 1000 à 2000).
L'acte de notoriété : certaines personnes ont recours à cet acte passé devant un notaire, plus simple
et moins coûteux que le changement de prénom. La personne souhaitant obtenir un nom d'usage ou
un alias se présente devant un notaire avec deux témoins et des pièces à conviction appuyant sa
demande (courriers,...). Le notaire rédige un acte permettant éventuellement de faire inscrire le nom
d'usage sur la carte d'identité : Monsieur Untel dit Madame Untel ou dit "prénom". Mais le nom
d’usage, s’il est toléré, ne présente aucun caractère légal, et la préfecture peut refuser l'inscription
de l'alias sur la carte d'identité.
La délivrance de cet acte coûte environ 250.
33
POINT JURIDIQUE : LE CHANGEMENT D'ETAT CIVIL EN QUELQUES DATES
Le code Napoléon instaure le principe d'indisponibilité de l'état des personnes. En France, jusque
dans les années 60, les demandes de changement d'état civil sont acceptées car elles restent très
marginales. Mais le mariage de Coccinelle après son opération à Casablanca provoque un scandale
qui remet en cause la possibilité de changement d'état civil.
La Cour de assation, en 1975, rend un arrêt renvoyant au code Napoléon et interdisant le
changement d'état civil (juste au moment où commencent les premières opérations en France). En
1992, la France se voit condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH). Se
pliant à la décision de la CEDH, la Cour de Cassation, par un arrêt rendu en assemblée plénière,
admet alors que « lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical subi dans un but
thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les
caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe,
auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que
son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. » (C. Cass. Ass. Plén. 11 décembre
1992, pourvoi n° 91- 12373, JCP G 1993, II, 21991, concl. Jéol, note Mémeteau).
La Cour de Cassation impose cependant quatre conditions cumulatives à cette reconnaissance :
– le syndrome de dysphorie de genre doit avoir été médicalement constaté ;
– l’intéressé-e doit avoir subi une opération de réassignation sexuelle ;
– cette modification doit avoir été judiciairement constatée, c’est-à-dire corroborée par une
expertise judiciaire ;
– l’intéressé-e doit avoir adopté, outre l’apparence physique du sexe opposé, le comportement
social de celui-ci.
Une fois ces conditions remplies, la demande de rectification de la mention du sexe figurant sur
l’état civil conduit à l’inscription du nouveau sexe en mention marginale, celle-ci ne valant que pour
l’avenir.
Mais, les changements d'état civil se demandant au tribunal de grande instance du lieu de résidence,
on note des variations conséquentes selon les territoires. La mataoïdioplastie et la phalloplastie ne
sont pas obligatoires pour obtenir le changement d'état civil, du fait des résultats peu satisfaisants
des opérations ; par contre l'hystérectomie est obligatoire. Les ftm dénoncent cette situation la
résumant à : "l'Etat nous demande d'être stérilisés pour changer d'état civil".
En mars 2010, le Conseil de l'Europe adresse une recommandation aux états membres de non
stérilisation.
En mai 2010, la Ministre de la Justice transmet une circulaire : les opérations de conversions
sexuées ne sont plus exigées pour le changement d'état civil, seul le critère d'irréversibilité est
avancé et laissé à la libre appréciation du juge (jusqu'à cette date, une personne ne recourant pas à
une réassignation sexuelle ne pouvait pas demander son changement d'état civil et devait conserver
des papiers non conformes à son image).
Les préconisations de cette circulaire placent l'Etat dans une position délicate puisqu'il reste garant
de l'état civil des personnes et engage sa responsabilité en désignant telle personne comme un
homme et telle autre comme une femme.
Que se passerait-il alors si par exemple une femme épousait un homme qui révèlerait un sexe
féminin au moment de la nuit de noce ? L'épouse pourrait s’en prendre à l'Etat qui l'aurait trompée
sur le sexe de son partenaire ! Que faire alors ? Au nom de quoi l'Etat doit-il déterminer le sexe
d'une personne ? Pendant une période (début des années 1980), la mention de sexe n'apparaissait
pas sur la carte d'identité. Qu'en est-il des personnes intersexuées ? Comment les prend-on en
compte ?
34
L'Australie, où une personne intersexuée a récemment refusé d'être assignée à un sexe, a été le
premier pays à introduire officiellement la notion de sexe indéterminé.
Certaines personnes accueillies à l'Amicale du Nid témoignent que ces changements d'état civil ou
de prénom sont plus difficiles depuis que les cartes nationales d'identité sont électroniques : la
qualité photographique exigée rend les séances photographiques souvent violentes, car on demande
aux personnes d'enlever leur maquillage et perruque pour être le plus conformes possible à leur sexe
de naissance.
Pour une personne étrangère, le changement d'état civil relève du pays de naissance où doit être
adressée la demande.
Il est possible d'effectuer des démarches pour ré-éditer les diplômes au nouveau prénom ; idem pour
les points retraite (situation de personnes ayant fait leur transition juste avant leur retraite qui, pour
simplifier les démarches, se sont signalées dans leur ancien genre afin d'obtenir le versement de leur
retraite).
Quand, pour des raisons médicales, la chirurgie génitale est compliquée ou impossible, les
tribunaux acceptent cependant le changement d'état civil.
Le numéro INSEE (1 ou 2) est également modifié suite au changement d'état civil. Selon les
territoires, le greffe transmet ou pas l'acte de l'audience aux services administratifs (mairie, Insee...).
• V TRANSIDENTITE ET SANTE
A- LE PARCOURS MEDICAL DU POINT DE VUE DE LA HAUTE
AUTORITE DE LA SANTE (HAS)
Ce chapitre se présente sous forme d’un exposé de l’approche médicale actuelle, telle que
présentée dans le rapport de la HAS. Les passages en italique sont des citations extraites du
rapport.
Le cadre médical lié à la transidentité, entendu exclusivement sous l’angle "réassignation sexuelle"
est défini par le récent rapport de la HAS (novembre 2009), qui dresse un état des lieux de la
situation sous le titre : "SITUATION ACTUELLE ET PERSPECTIVES D’EVOLUTION DE LA
PRISE EN CHARGE MEDICALE DU TRANSSEXUALISME EN FRANCE".
Ce rapport a été produit suite à la demande :
• de la direction générale de la santé qui considérait les protocoles de soins comme incertains
et estimait donc nécessaire de fixer une ligne de conduite sur le diagnostic, le traitement et le
suivi ;
• des Caisses d'assurances maladie s’interrogeant sur la légitimité de la prise en charge des
soins, en particulier à l'étranger ;
• des associations de personnes trans’ jugeant les procédures inadéquates et trop lourdes (avis
psychiatrique, attente de deux ans, chirurgie bâclée...)
35
Cette approche purement médicale est sous-tendue par une vision pathologique de la transidentité,
encore considérée par l’Organisation Mondiale de la Santé comme maladie psychiatrique. A ce
titre, le rapport de la HAS utilise la terminologie médicale classique (patient, épidémiologie,
prévalence, diagnostic etc.) très contestée par les associations de personnes transidentitaires.
1. Prévalence
Le rapport s’interroge en premier lieu sur le nombre de personnes concernées. Or, il n'existe
pas d'étude épidémiologique ; les chiffres donnés font références aux demandes de soins exprimées
auprès des équipes hospitalières spécialisées (5 en France) : « à partir des données les plus récentes,
l’approximation d’une prévalence située entre 1 : 10 000 et 1 : 50 000 pourrait être faite, ce qui
indiquerait alors que le transsexualisme n’est pas un phénomène exceptionnel. » On note une
augmentation des demandes de soins dans beaucoup de pays d'Europe, ce qui peut s'interpréter
comme une moindre grande stigmatisation et une meilleure accessibilité.
Précisons que le rapport HAS ne s’intéresse qu’aux demandes de réassignation sexuelle
(transsexualisme) limitées aux équipes hospitalières. On sait notamment à partir d'une enquête HES
(Homosexualité Et Socialisme) que de nombreuses personnes échappent aux protocoles médicaux
et que, par ailleurs, il existe également des pratiques secrètes et invisibles. On peut donc supposer
que la prévalence réelle est beaucoup plus importante.
2. Contexte de l'intervention médicale
L'intervention médicale est un élément important de la problématique, avec un “contrôle”
médical à l'entrée et à la sortie des parcours de transition :
• le psychiatre détient la clé d'accès aux traitements nécessaires à la modification corporelle ;
• les traitements hormonal et chirurgical sont les conditions du changement de sexe à l'état
civil.
La découverte des hormones sexuelles en 1910 puis leur production par synthèse dès 1930, ouvre
des possibilités, tout comme l'utilisation de l'anesthésie et de l'asepsie qui favorise l’essor de la
chirurgie esthétique à partir de 1900 : celle-ci légitime l’idée selon laquelle l'apparence corporelle
doit obtenir l'approbation de celui qui s'y trouve « enfermé ».
3. Responsabilités du médecin :
Actuellement, les médecins et établissements de santé peuvent refuser les soins en faisant
état de la clause de conscience. Cette liberté de conscience du médecin a été élevée au rang de
principe fondamental reconnu par les lois de la République par le Conseil Constitutionnel en 2001
(introduite lors de la loi de 1975 sur l'IVG) : « un médecin peut, hors cas d’urgence et manquement
à ses devoirs d’humanité, refuser ses soins pour des raisons professionnelles et/ou personnelles. La
seule obligation du médecin réside alors en la transmission des informations au nouveau médecin
désigné par le patient ».
Depuis 1999, un acte médical portant atteinte à l’intégrité physique d’une personne est considéré
comme licite s’il est justifié par une nécessité « médicale » ; mais la responsabilité n'est pas la
même pour le chirurgien et pour l'endocrinologue.
36
Le chirurgien : dans la mesure où l’intervention chirurgicale est un des traitements reconnus dans la
dysphorie de genre, le but thérapeutique poursuivi soustrait le chirurgien à l’incrimination du crime
de castration ou d’atteinte volontaire à l’intégrité corporelle. Néanmoins, il « devra respecter les
conditions de reconnaissance de la dysphorie de genre définies par les autorités en charge de ce
dossier, sous peine de voir sa responsabilité engagée ».
L'endocrinologue : il effectue de fait des prescriptions de médicaments hors du cadre juridique de
l’autorisation de mise sur le marché (AMM). La prescription hors AMM n’est pas en elle-même
illégale, mais ses conséquences ne sont pas négligeables, en terme de responsabilité.
4. Prise en charge financière des traitements
Faisant suite à l'avis de la HAS, le cadre de la prise en charge a récemment été modifié
(décret n°2102-125 du 8 février 2010) : les "troubles précoces de l'identité de genre", qui relevaient
jusqu’alors de l’ALD 23 (affections de longue durée à caractère psychiatrique) sont rayés de la liste.
Les "affections de longue durée" donnent lieu à l’exonération du ticket modérateur habituellement à
la charge du patient.
POINT JURIDIQUE : CADRE DE LA PRISE EN CHARGE MEDICALE
Une circulaire de la CNAMTS précise que les “troubles précoces de l’identité de genre” seront
désormais pris en charge au titre de l’ALD 31 (hors liste) : pour être validée, une circulaire de ce
type doit cependant donner lieu à décret ou arrêté ministériel dans le délai d’une année, ce qui n’est
pas le cas.
5. Les grandes étapes du parcours de soin : du diagnostic à la prise en charge
Le parcours médical minimal proposé est le suivant :
• un diagnostic différentiel psychiatrique ;
• une période de consultation (examens médicaux, informations sur le changement de sexe,
accompagnement psychothérapeutique) et test en vie réelle ;
• un traitement hormonal en deux étapes ;
• enfin, si la personne le souhaite, une ou des intervention(s) chirurgicale(s), après
autorisation donnée par une commission médicale pluridisciplinaire.
•
Diagnostic
Le diagnostic de "dysphorie du genre", ou "transsexualisme primaire" doit être porté par le
psychiatre pour ouvrir les autorisations de traitements hormonaux et chirurgicaux. Il utilise des
outils médicaux comprenant des classifications des maladies ou des troubles mentaux et des tests
psychologiques. Le but de cette étape, selon la HAS, n’est pas d’assimiler les transsexuels à des
«malades mentaux» mais de poser un diagnostic positif, différentiel et confirmé : un diagnostic
différentiel permettant d’écarter d’éventuelles pathologies confondantes ; un diagnostic confirmé
permettant de s’assurer de la volonté du patient à s’engager dans les étapes ultérieures de la prise en
charge thérapeutique.
Habituellement, cette phase diagnostique dure de 6 à 9 mois, avec un psychiatre et éventuellement
un psychologue.
•
La période de consultation et test en "vie réelle"
37
C'est souvent une période qui "apparait comme longue et difficile", car "le patient est censé
vivre en permanence dans le rôle du sexe désiré dans les activités quotidiennes sociales et
professionnelles (expérience en vie réelle ou test de real life) ; les membres de la famille doivent
être informés des changements imminents et un nouveau prénom est choisi."
Il s’agit pour “le patient”, sans aucun apport hormonal donc aucune possibilité de modifier
progressivement son apparence physique, de vivre “dans le rôle du sexe désiré” pour “mesurer sa
capacité et la persistance de la demande de transition”.
Ce test de vie réelle peut apparaître comme pervers, anti-soin : car de l’avis unanime des personnes
ayant vécu une transition, celle-ci n’est possible socialement qu’un certain temps après le
démarrage de l’hormonosubstitution et s’opère très progressivement.
Toutefois, ajoute le rapport, “pour éviter un désaccord hautement préjudiciable entre l’apparence
physique et le genre désiré”, il peut être envisagé durant cette phase (d’une durée “recommandée”
d’un an) des “soins entraînant des transformations réversibles ou légères”: cela s'apparente à un
jeu de dupes : on fait semblant, on se déguise pour aller voir le psychiatre...
•
Le traitement hormonal
Il a pour objectifs de bloquer, dans un premier temps, les effets des hormones sexuelles
naturellement secrétées par l’organisme, puis, dans un second temps, d’induire les caractéristiques
du sexe désiré.
? Hormonosubstitution MtF :
• Avant orchidectomie : on bloque dans un premier temps les hormones masculines produites
(par des anti-androgènes, le plus souvent de l’acétate de cyprotérone), puis on administre
des œstrogènes.
• Après orchidectomie : on diminue les doses d’œstrogènes, on arrête les anti-androgènes et
on peut rajouter de la progestérone en cas de mastodynies. Effets secondaires : augmentation
du risque thromboembolique et éventuellement augmentation des risques cardiovasculaires.
Effets attendus du traitement : "adoucissement de la peau ; ralentissement ou arrêt de la chute de
cheveux ; amenuisement de la pilosité ; diminution de la masse musculaire et de la carrure,
redistribution des graisses ; augmentation des seins ; diminution des testicules ; modification du
timbre de la voix."
En réalité, ces effets sont à estimer en fonction de l’âge de l’individu, et sont très généralement
moindres : ni la carrure, ni le timbre de la voix ne peuvent être affectés par l’hormonothérapie, et la
diminution de la pilosité nécessitera des séances au long cours de laser et/ou d’électrolyse.
?Hormonsubsitution FtM :
• Avant ovariectomie : éventuellement dérivés de la progestérone pour leur action de blocage
des cycles ;
• Après ovariectomie : la testostérone va à la fois inhiber les caractères sexuels secondaires
féminins et induire les caractères sexuels masculins. Effets secondaires : troubles lipidiques,
augmentation du réseau cardiovasculaire.
Effets réversibles : diminution des seins ; aménorrhée ; augmentation de la masse musculaire ;
Effets définitifs : augmentation de la pilosité ; dans certains cas calvitie ; modification de la voix ;
hypertrophie clitoridienne (celle-ci permet de développer les techniques chirurgicales et notamment
la métaïodioplastie).
•
La chirurgie :
38
? Chirurgie de réassignation MtF : Castration avec pénectomie. Cela comprend l’ablation des corps
caverneux et d’une partie du corps spongieux du pénis. Le reste du corps spongieux et une partie du
gland sont préservés pour effectuer la clitoridoplastie.
Puis, reconstruction, c'est à dire création des organes génitaux externes. La reconstruction consiste
en la création d'une cavité vaginale, des lèvres génitales et un néoclitoris. Pour la cavité vaginale,
deux techniques sont utilisées : la technique du lambeau pénien inversé (permet d’utiliser la peau et
le tissu sous cutané du pénis) ; la technique par greffe de peau a également été décrite (souvent
utilisée en complément du lambeau pénien inversé). Pour les lèvres, on utilise la plastie scrotale. Le
néo-clitoris est créé par lambeau pédiculé balanique (gland + corps spongieux). Enfin :
uréthroplastie.
Cela peut éventuellement s'accompagner d'une mammoplastie et/ou de chirurgie de la voix.
Le rapport de la HAS ne prend pas en compte les techniques de chirurgie plus abouties pratiquées
dans d'autres pays, notamment le Canada et la Thaïlande. En Thaïlande, la pénectomie est
abandonnée depuis plusieurs années pour permettre le modelage des structures externes, tandis que
le néo-vagin est réalisé avec une greffe du scrotum.
? Chirurgie de réassignation FtM : Dans un premier temps il est pratiqué une hystérectomie et une
ovariectomie par cœlioscopie. Dans un second temps, est créé un néopénis : chirurgie complexe
aujourd’hui encore très peu aboutie, avec des risques importants et une fonctionnalité
insatisfaisante. Deux techniques sont utilisées :
• La phalloplastie : construction d’un pénis à partir de lambeaux cutanés prélevés sur
l’abdomen, les bras ou la cuisse.
• La métaïodioplastie : allongement du clitoris hypertrophié suite au traitement hormonal
Dans les deux cas se pose le problème de la reconstruction d’un urètre, avec au final plus de 50 %
de complications urinaires. La possibilité d’obtenir des érections, quant à elle, est subordonnée à la
pose de prothèses.
La plupart des FtM évitent à l’heure actuelle la phalloplastie. Certains s’orientent vers la
métaïodioplastie. Mais généralement, ils n’ont pas recours à l’opération pour être assurés de
pouvoir garder du plaisir sexuel, ce qui repose le problème de l'hystérectomie et de l'ovariectomie :
ces interventions donnent parfois lieu à une ligature du vagin, sans que la personne en soit
informée. Par ailleurs, le fait de renoncer à l’hystérectomie implique dans la plupart des cas de se
confronter à un refus de changement de sexe à l’état civil.
•
L'accompagnement psychologique
Un accompagnement psychologique doit être proposé par l’équipe au patient qui a le choix
entre l’accepter ou le refuser. Cet accompagnement n’a pas pour intention de soigner les troubles de
l’identité sexuelle. Son objectif principal est d’aider le patient à fixer des objectifs de vie réalistes,
tant professionnels que relationnels.
Cette déclaration d’intention de la HAS ne correspond pas à l’offre de soin identifiée globalement
dans les équipes hospitalières. L’accompagnement psychologique devrait pourtant constituer le fil
conducteur de tout parcours de transition, la personne se trouvant en général dans une situation de
grande vulnérabilité durant cette phase de son existence, qui peut durer de longues années.
39
B- LES INFECTIONS SEXUELLEMENT TRANSMISSIBLES ET LE VIH
Il y a peu d'études réalisées à ce jour spécifiquement dédiées aux personnes transidentitaires.
Mais on peut s'appuyer sur l'exemple des USA dont les études portant sur l'infection VIH notent
toutes une prévalence élevée : 27,7% de patients VIH mtf et de 27 à 48% d'attitudes à risque
(rapports non protégés, partenaires multiples...). Ces chiffres sont beaucoup plus bas concernant les
ftm. Dans une seconde méta analyse : la prévalence est de 27,3 % chez les prostitué-e-s transsexuelle-s, 15,1 % chez les prostitués hommes et 4.5% chez les prostituées femmes ; 14,7 % chez les
transsexuelles mtf non prostituées.
Si l'accès à des chiffres fiables est rare, il est cependant constaté une augmentation du nombre de
personnes contaminées par le VIH (Source : BEH, "Transsexuel(le)s : conditions et style de vie,
santé perçue et comportements sexuels. Résultats d’une enquête exploratoire par Internet", INVS,
n°27, juillet 2008).
Une enquête d'HES (Homosexualité Et Socialisme) et du MAG (Mouvement d'Affirmation des
jeunes Gais, lesbiennes, bi et trans) d'avril 2009 à partir d'un questionnaire a obtenu les résultats
suivants :
- Un tiers (34%) des jeunes trans déclare avoir tenté de se suicider. Par ailleurs, 98% des jeunes
trans interrogés expriment un mieux-être une fois le parcours de transition de genre commencé.
- L'attitude de la famille est déterminante. Protectrice et acceptante en majorité, elle commet
toutefois dans un cas sur cinq des actes de transphobie extrêmement violents, comme par exemple
le reniement ou l'exclusion.
- Les parcours médicaux d'hormonothérapie se font généralement indépendamment des équipes
hospitalières autoproclamées officielles. La moitié des opérations (simples plasties réparatrices ou
réassignations sexuelles) ont lieu hors de France.
- Dans le milieu scolaire, nous constatons que les élèves trans’ doivent composer pour ne pas trop
être victimes de transphobie. La moitié d'entre eux seulement disent avoir « fait leur coming-out »
auprès de leurs camarades ou de l'administration. Et force est de constater que le fait d'exprimer leur
transidentité ne réduit pas la violence des agressions subies.
- Les résultats de l'enquête montrent également que la prévention du VIH doit rester d'une extrême
priorité pour une génération trans’ qui vit des situations à risques.
- Enfin, cette jeune population trans’ exprime en très grande majorité l'envie de s'inscrire dans une
histoire de couple et de parentalité, tout en étant consciente des nombreux obstacles qui seront
devant eux : processus de changement d'état civil archaïque, arbitraire et discriminatoire, fermeture
de la société aux projets familiaux qui ne sont pas basés sur la vraisemblance biologique." (Source :
http://www.hes-france.org/IMG/pdf/Rapport_Prelim_Enquete_JeunesTrans_Avril2009_Vfinal.pdf)
1. IST & MST :
IST = Infections Sexuellement Transmissibles ; MST = Maladies Sexuellement
Transmissibles ; les Maladies Vénériennes (MNI) sont dites aussi maladies de l'amour.
Les IST sont dues à des germes fragiles ne survivant pas dans un milieu extérieur. Ce sont des
maladies cliniques bien que leur expression soit parfois peu évidente. Leur dépistage ne se fait pas
par des prises de sang (en dehors de la syphilis) et la prévention pour le partenaire passe
généralement par des traitements.
Ces infections concernant toutes les populations, nous ne nous étendrons pas ici sur leur
40
description. Cependant, il est à souligner que les personnes transidentaires sont souvent mal à l'aise
à l'idée de consulter des gynécologues en partie du fait de leur rapport à leur corps, mais aussi parce
qu'elles peuvent avoir vécu des expériences difficiles (mauvais accueil, médecin se déclarant
incompétent...).
Dans la population générale, 50% des femmes ne sont pas suivies au niveau gynécologique, ce qui
interroge. Efforts à faire en terme d'accueil ? De posture du médecin ? Certaines femmes auront par
exemple du mal à se déshabiller ou à accepter la position d'examen.
D'après une enquête de l'INSEE, la première profession qui discrimine les personnes séropositives
est celle de gynécologue (et dentiste ensuite).
Le planning familial se veut comme un lieu d'innovation sur ces questions et il peut être proposé
aux personnes transidentaires de consulter dans ses antennes.
2. VIH :
Concernant le VIH, deux aspects ont vraiment changé aujourd'hui :
• Les personnes mises sous traitement : on considère que dans le cadre d'une relation stable et
hétérosexuelle, il n'y a quasiment plus de risque de transmission, ce qui perturbe les
cadrages de la prévention.
• Les tests de dépistage : l'idée est de multiplier les occasions pour discuter de la difficulté à
se protéger. La proposition de tests va tendre à se développer dans deux espaces notamment
: chez les généralistes et chez les professionnels en lien avec des personnes en difficulté, qui
se retrouvent loin des services de soins pour des raisons de papiers, d'argent, etc. Des tests
rapides seront proposés où l'on se pique le bout du doigt. Parler de prévention est abstrait,
les personnes ont du mal à dire qu'elles ne se protègent pas. Cet outil de dépistage est aussi
un outil de prévention en tant que support à la parole. Par ailleurs, il sera démédicalisé, ce
qui peut permettre à la personne de parler plus facilement qu'à son médecin. L'objectif est
donc une multiplication des lieux de dépistage en vue d'augmenter l'offre et le choix pour les
personnes, qui pourront choisir les espaces où elles se sentent le plus à l'aise.
• VI TRANSIDENTITE ET VIE AFFECTIVE
Il existe très peu d'études traitant de la vie affective et familiale des personnes
transidentitaires en France. En dehors de quelques éléments recueillis grâce à ces recherches, nous
proposons donc ici de nous appuyer sur le témoignage d'une personne transidentitaire mariée et
ayant des enfants, comme base de réflexion et de questionnement sur ce sujet.
Il s'agira d'aborder en particulier la question de la transparentalité, qui sera cependant élargie aux
relations conjugales et familiales.
Le terme transparentalité a d'abord été utilisé en psychologie et sociologie pour parler des familles
monoparentales et homoparentales, avant de se voir réapproprier par les trans'. Quand l'un ou les
deux parents sont trans', il est possible de distinguer deux grandes catégories de situation : ceux qui
étaient parents avant la transition et ceux qui deviennent parents pendant ou après la transition. Tous
les cas sont alors possibles, avec d'éventuels problèmes de fertilité, des problèmes légaux
d'insémination, d'adoption, etc. Finalement, parler de transparentalité revient avant tout à parler de
parentalité.
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A- QUELQUES DONNEES
Au cours d'une enquête en 2007, l'Ilga a recueilli l'avis de 2 520 personnes transidentitaires
au travers de l'Europe (White and al, 2008). Parmi elles, 16% étaient mariées (420) :
• 85% étaient mtf ;
• 74% ont dû mettre un terme à leur mariage, soit après avoir révélé leur travestissement
(8%), soit après le démarrage de vie dans leur genre revendiqué (22%), soit du fait d'un
comportement violent de la part du conjoint (29%), soit du fait d'un divorce imposé par le
changement d'état civil (5%).
Seulement 1,3% de ces 16% de personnes se sont remariées. Quant aux relations familiales, qu'elles
aient des enfants ou pas :
• 34% ne sont pas autorisées à garder des contacts avec la famille ou la belle-famille ;
• 7% ne savent pas si elles peuvent reprendre contact.
Ces chiffres montrent que dans presque un cas sur deux la transition mène à des liens familiaux
distendus voire à des ruptures familiales, qui portent atteinte aux liens entre des parents trans' et
leurs enfants.
B- LE TEMOIGNAGE D'ISABELLE
Isabelle vit dans un petit village de l'Isère en famille, avec son épouse Nadine et leur fille de
14 ans, Lola (dont Isabelle est le papa biologique). La fille aînée de son épouse, Anna (22 ans), a
aujourd'hui quitté le domicile familial pour s'installer dans un appartement avec son copain.
Isabelle travaille à la maison ; elle a monté une petite agence de communication il y a une dizaine
d'années, ce qui lui a permis de changer tranquillement sa vie sans connaitre les problèmes d'emploi
et d'employeurs que d'autres vivent.
Isabelle est consciente que ce qu'elle a vécu n'est pas une recette, même si certains points lui
paraissent importants en terme de timing, comme les coming-out notamment. Elle estime que le
plus important est que Lola ne perd pas son papa : le deuil est à faire sur l'image du père mais il est
hors de question qu'elle l'appelle "mamoune", elle reste "papa". Sinon, la situation serait sans doute
ingérable pour Lola.
Retour vers le passé - Isabelle a toujours eu un désir d'enfant et elle s'est aussi toujours
sentie femme, comme la plupart des trans'. Au plus loin qu’elle remonte, elle se rappelle de cette
préférence de genre. Elle a fait cependant tout ce qu'il fallait pour correspondre à ce que la société
attendait d'elle en tant que garçon, notamment du fait de ce désir d'enfant, point d'ancrage de son
projet de vie.
Elle vit diverses expériences avec des conjointes sans réussir à avoir d'enfant. Puis elle rencontre
Nadine. Isabelle se rend alors compte qu'elle est stérile : elle a une forme de mucoviscidose qui fait
qu'elle n'a pas de canaux déférents et que les spermatozoïdes ne peuvent donc pas arriver dans le
sperme. C'est une forme de mucoviscidose assez courante et ça se règle relativement facilement par
un prélèvement et une injection cytoplasmique.
À ce moment-là, avant de faire cette PMA (Procréation Médicalement Assistée), Isabelle
s'interroge : “Mais qu'est-ce que tu décides, ça n'est pas naturel ?!”. Cette interrogation au sujet du
naturel et de l'artificiel lui revient plus tard, au moment de son envie de faire sa transition (alors que
Lola était née), à travers le même type de questionnement : "Quelle est ma responsabilité là-dedans,
si je donne vie de façon "artificielle" ?" / "Quelle est ma responsabilité pour sa vie future si je fais
ma transition alors qu'elle est née, que je lui ai donné la vie, etc. ?" Ce qui questionnait Isabelle,
c'est sa responsabilité et plus largement la question de son libre arbitre. Elle a donc choisi.
Elle traverse d'abord une période où elle pense pouvoir faire taire son questionnement de genre.
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Mais cela revient de façon massive quand Lola a deux ans. Isabelle est alors de nouveau préoccupée
par son désir de faire une transition, elle dit à Nadine, à qui elle en avait parlé dès le départ de leur
relation (ironie de la vie le frère de Nadine est trans' lui aussi, donc le sujet ne lui était pas
inconnu) : “Ecoute, je me suis stabilisé, je suis très amoureux, on a un bébé, ça s'est équilibré dans
ma vie et pourtant ça revient au grand galop, c'est bien là”. Isabelle profite donc d'une période de
chômage pour réfléchir à sa situation. Elle dit à sa compagne : "Je ne sais plus qui je suis, je vais
poser mes valises, je vais en parler autour de moi, chercher des informations."
Internet existait à ce moment-là, c'était le début, et Isabelle commence à rencontrer des personnes
trans', à sortir en se travestissant, en se faisant belle, à aller en boîte, etc. A cette période, elle se
cachait des enfants et Nadine était complice. Jusqu'à ce que celle-ci l'interroge : "Mais pourquoi le
caches-tu aux enfants ? On cache ce qui est mal ! Ce n'est pas mal de se travestir !"
A partir de ce moment-là, pour les enfants Isabelle est devenue un homme qui aimait s'habiller en
femme. Puis tout s’est déroulé très progressivement, avec beaucoup de lenteur. Quand il y avait des
questions des enfants, Isabelle répondait : "Je me sens plus femme qu'homme". L'évolution a été très
lente, sur presque dix années, avec un point de bascule le jour où, au début de la prise d'hormones,
les gens dans la rue ne l’ont plus appelée "monsieur".
Sa famille et ses amis ont ainsi vécu sa transition de "façon escargot". Cela a permis le temps de
trouver des solutions au fur et à mesure, du vocabulaire, des réponses à des situations variées,
parfois drôles, jamais dramatiques, notamment dans les relations avec les écoles et les voisins.
Avant de décider d'un changement social de genre, pendant deux ans, Isabelle se disait qu'elle ne
pouvait pas "faire ça aux gosses". Erreur fondamentale : Isabelle comprend un jour qu'elle risquait
ainsi de leur faire porter la responsabilité de ne pas faire sa transition et donc qu'elles vivent mal
d'être utilisées comme barrière à sa réalisation. Par ailleurs, à cette époque Nadine et Anna faisaient
une psychothérapie, et Lola a demandé à voir elle aussi un psychothérapeute. Elle a fait trois
séances seule puis a sollicité la présence d'Isabelle. En fait, c'était juste pour clore ce travail : Lola
voulait arrêter et la psychothérapeute a dit : "trans' ou pas trans', votre gamine va très bien et je ne
vois pas ce qu'on peut travailler de plus ensemble". Ces séances ont surtout permis à Lola de
pouvoir dire "moi aussi j'ai vu un psy", comme en réaction et pour rassurer l'entourage amical et
familial qui s'inquiétait de la souffrance qu'Isabelle allait faire vivre à sa femme et ses filles.
Mais Isabelle restait le papa de Lola. Et Lola l'appelait comme elle le voulait. C'est elle qui
choisissait. Pendant la période de sa transition où les gens commençaient à l'appeler "madame" dans
la rue, Lola faisait parfois exprès de l'appeler "papa" très fort, pour tester leur réaction.
Pour Isabelle et Nadine, il a été important que leurs enfants voient d'autres enfants de parents trans',
pour qu'elles puissent constater qu'elles n'étaient pas les seules à vivre cette situation, qui pouvait
être bien vécue. Elles invitent donc chez elles des parents trans' avec leurs enfants. Ses deux filles
ont désormais une connaissance et une compétence assez grandes sur le sujet : elles ont vu des
personnes trans' opérées, non opérées... L'aînée sait expliquer les différences de situation, les
techniques opératoires, etc.
Au cours de la transition, l'image du papa change mais celle des parents aussi : ce n'est plus
un couple hétérosexuel mais un couple homosexuel qui s'impose lors des sorties en famille. Et ça
n'a pas toujours été évident pour Nadine, qui ne se considère pas comme homosexuelle, et pas facile
pour les enfants, notamment l'aînée qui disait "ma maman n'est pas lesbienne".
De plus, la vie de tous les jours peut être traversée par des moments de stress, principalement parce
qu’Isabelle ne s'est pas fait opérer et se trouve donc sans papiers conformes à son apparence. De
fait, elle est en difficulté pour aller voter, a peur du gendarme, etc.
Concernant son sexe physiologique, Isabelle pense que ça a été important pour Lola qu'elle ne soit
pas opérée, comme si cela lui permettait d'intégrer que le papa était toujours là. Aujourd'hui,
Isabelle n'est pas sûre que cela reste aussi important pour elle, sans vraiment savoir ce qu'elle peut
imaginer de sa sexualité.
Pendant la transition, il y a également du in et du out, c'est-à-dire un fonctionnement qu'Isabelle et
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sa famille adoptent chez elles et qui est différent dehors. Mais globalement tout reste fluide, comme
l'illustre la réaction des enfants. Lola peut expliquer à ses copains et copines : "Tu vois Isabelle, ce
n'est pas ma mère c'est mon père" et les enfants semblent digérer l'information presque aussitôt,
venant jouer à la maison sans qu'il n'y ait non plus de retours négatifs des parents. D'ailleurs, de
façon générale, Isabelle ne perçoit aucun regard particulier posé sur elle à la sortie de l'école.
Pour Isabelle, le point important, assez crucial, est celui du passing. Pendant deux à trois ans elle a
quasiment disparu de la rue, se rendant invisible pendant une partie de sa transition. Elle n'allait
plus à la sortie de l'école, ne faisait pas les courses, etc. Cela lui a permis ensuite de sortir plus
tranquillement, une fois qu'elle était devenue plus crédible grâce aux hormones et à l'épilation. La
crédibilité est importante, elle facilite vraiment le quotidien. Et quand les relations sont déjà bonnes
avec les voisins, il n'y aucune raison que ça change, surtout s'ils voient que la vie de famille se
poursuit et que la vie continue. Isabelle a conscience que son parcours peut sembler idéal, mais c'est
pourtant ce qu'elles ont vécu.
Au niveau administratif, Isabelle a progressivement réussi à faire passer des changements. Son
prénom de garçon n'apparait que sur les documents administratifs officiels, et il y en a peu : le
téléphone, les papiers d'identité de son entreprise (extrait k-bis), les impôts et sa carte vitale. Mais,
la sécurité sociale a cependant accepté de recevoir ses ordonnances au prénom d'Isabelle, suite à
une demande de celle-ci par courrier.
Concernant son couple, la période de transition n'a pas toujours été évidente et lisse. Il se trouve que
Nadine a elle-même traversé une période de remise en cause personnelle profonde. Elles ont donc
fait toutes les deux leur travail personnel, se trouvant dans quelque chose de l'ordre du "je ne sais
pas". Bien sûr, l'ouverture de Nadine a facilité leur communication : avec son frère trans', elle
connaissait un peu le sujet et, ayant vécu à Paris, elle avait passé des soirées avec des travestis.
Mais ça n'explique pas tout non plus. Elle aurait pu préférer continuer avec un " mâle homme". Or,
Isabelle se définit comme un "mâle femelle", c'est-à-dire une femme.
Mais cette mise sous tension des relations correspond, selon Isabelle, à une partie de la préparation
du coming-out : faire son coming-out, c'est accepter le risque de perdre la personne à qui on le dit.
C'est se sentir suffisamment fort pour accepter cette idée et réussir à le dire. Cela entraîne un
nettoyage profond de l'ensemble de sa vie, une remise en cause de fond en comble.
Pendant deux ou trois années, il y a eu ainsi de la prise de risque, dans toutes les relations
familiales, sociales, professionnelles et au sein du couple. Mais, finalement, Isabelle et Nadine se
sont "retrouvées" et leur couple est beaucoup plus fort maintenant, en plein épanouissement.
Au niveau de la famille élargie, les situations ont été variées. Avec ses parents, ça a été un
accouchement très difficile, pour Isabelle d'abord, puis pour eux. Ils habitent loin, ils se voient, mais
Isabelle est certaine que Lola verrait davantage ses grands-parents si elle n'était pas trans'.
Principalement pour des raisons pratiques : comme sa mère ne veut pas le dire à ses voisins, il est
difficile d'aller chez eux ou alors cela implique qu'Isabelle cache vite sa voiture dans le garage et
qu'elle évite de sortir pour que les voisins ne sachent pas qu'elle est là. Alors ce sont ses parents qui
se déplacent.
Par contre, cela a été beaucoup plus simple avec sa belle-famille, qui l'a très bien accueillie. Sa
belle-mère l'appelle "ma gendrouillette".
De façon générale, pour les enfants et les proches, les photographies dans l'album de famille
représentent un enjeu important. Sa mère demande à Isabelle si elle souhaite qu'elle détruise toutes
ses photos. Ce à quoi Isabelle répond que non, c'est elle. De la même façon, Lola a ses photos d'elle
bébé où Isabelle (dans son apparence masculine) lui donne le biberon. Ça semble être un point
symbolique important.
Transidentité au présent - Aujourd'hui, Lola appelle encore Isabelle "papa", c'est ce qu'elle
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a inscrit sur son téléphone portable, et elle a construit tout son système de fonctionnement avec
l'extérieur, elle a mis au point, avec l'aide de ses parents et de sa sœur tout un stratagème pour jouer
avec cette identité. Lola a gardé une image de papa classique et si elle en a besoin elle utilise ce
papa-là, pour les gens qui ne viendront jamais à la maison par exemple. Si ce sont des gens proches
ou susceptibles de venir à la maison, elle en parle, elle montre Isabelle du doigt quand elle vient la
chercher à l'école.
Quand Lola est rentrée au collège, Isabelle a tenu à informer l'équipe pédagogique de l'existence du
papa. En effet, cela fait partie des espaces où elle tient à exister, où elle assume la vérité et veut la
dire. Elle et Nadine se sont présentées lors de la journée parents-professeurs. Isabelle savait que
tous étaient déjà au courant, parce que l'une des conseillères principales d'éducation est la sœur d'un
copain. Quand elles sont arrivées au rendez-vous, la situation les a amusées car elles ont constaté
que personne n’avait réussi à distinguer laquelle des deux était le papa. Ce jour-là, au professeur de
mathématique proche de la retraite, Isabelle annonce que Nadine est la maman de Lola et qu'ellemême est son papa. Face à son incompréhension, Nadine reprend l'explication de façon différente
mais le professeur ne réussit pas à intégrer l'information, comme si pour lui ça n'était pas possible.
Elles en ont déduit qu'il avait pensé qu'elles étaient un couple de lesbiennes et que l'une se
présentait comme père. Et la professeur d'anglais, qui elle comprend bien l'explication, leur dit
partant : "Je suis heureuse d'avoir rencontré la nouvelle maman de Lola." !!
Lola est très bien avec ce genre de situation. Elle l'assume parfaitement et ça lui est égal que ce soit
Isabelle ou sa mère qui vienne pour les rendez-vous à l'école. Quand vraiment c'est quelqu'un
qu'elle n'aime pas, elle présente Isabelle comme sa tante. Comme ses parents la laissent assez libre
de gérer son système, il arrive qu'elle se trompe faute d'anticipation. Elle dit "c'est ma maman", en
désignant Isabelle sauf que le lendemain Nadine se retrouve au même endroit et demande "je suis
qui moi alors ?". Mais cela reste sur le registre des anecdotes plutôt drôles.
Ce que l'on peut en retenir, c'est l'importance de pouvoir en parler et de permettre aux personnes de
mieux connaitre et donc de mieux comprendre des situations qui peuvent a priori inquiéter.
Finalement, Isabelle reste avec Lola comme elle l'a toujours été. Comme elle ne conçoit pas
forcément le père comme viril ou puissant, ça permet encore à sa fille de lui dire : "T'es le plus fort
des papas !". Si, à certaines périodes où elle cherchait sa féminité, Isabelle n'avait pas forcément
envie d'aller vers des activités étiquetées comme masculine (le bricolage par exemple), cela est
maintenant passé et elle bricole de nouveau avec plaisir. Comme pour les photographies, elle ne met
pas de côté ses compétences.
Et après ? - Être trans' interroge le passé, le présent, mais aussi l'avenir. Nous avons vu les
conséquences du coming-out sur l'environnement, mais il y a rarement des projections au-delà.
Pourtant, si Isabelle meurt demain, comment se passera la cérémonie ? Ça lui semble important d'en
parler aussi, de le préparer, de faire un testament par exemple, la question étant : "Qui va-t-on
enterrer finalement ?"
Sur un autre registre, si ses filles ont des enfants un jour, qui sera-t-elle pour eux ? Un grand-père ?
Une grand-mère ? Si Nadine la considère encore comme son mari, Lola comme son papa, ses
parents comme leur fils, pour le futur il lui apparaît clairement maintenant qu'elle sera une grandmère. Et la vie fera que ce sera expliqué à l'enfant, mais en attendant ce sera sans doute plus simple,
clair et net pour le petit ou la petite.
Isabelle est consciente que son coming-out a imposé et continue d'imposer des coming-out à son
entourage. Comme pour les personnes homosexuelles. Finalement, il lui semble que les relations
familiales dépendent de ce qu'il y a avant, pendant et après la transition. Avec deux mots clés :
vérité et amour. Et avant tout, l'amour de soi-même, condition sine qua non pour s'assumer, faire ce
qu'il y a à faire et respecter les autres. Vérité, parce que ce n'est pas du cinéma : il s'agit de dire sa
vérité profonde aux autres. Il n'est pas possible de se reprocher de se dire et de dire aux autres sa
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propre vérité. Cela ne génère aucun regret, contrairement aux mensonges que l'on peut se faire à
soi-même ou aux autres.
En conclusion - Le désir d'enfant pour une personne en transition créé des situations très
riches et très colorées. Un ami d'Isabelle, un ftm, a eu un enfant avec sa compagne, via une
insémination artisanale (comme le font certaines lesbiennes). Il n'a pas de papiers, n'a pas fait de
phalloplastie. Son petit de 3 ans maintenant dit clairement : "mon papa n'a pas de zizi". Comme
personne n'est au courant dans son entourage, il appréhende la façon dont il va gérer la situation
quand son fils le dira à des personnes extérieures à la famille.
Certaines personnes mtf aimeraient pouvoir congeler du sperme avant la prise d'hormones, ce qui
n'est pas légal à l'heure actuelle. A partir du moment où ils ont été opérés (hystérectomie) et que le
changement d'état civil a été obtenu, les ftm peuvent accéder au programme de PMA (Procréation
Médicalement Assistée). Au centre Cecos de Cochin, en dix ans d'accueil de ftm, soixante couples
ont eu accès à la PMA et vingt enfants en sont nés. Pour les mtf, c'est évidemment plus compliqué,
du fait des limites physiologiques mais également parce que la loi interdit pour l'instant la PMA aux
couples homosexuels. Reste la possibilité d'adopter.
LES INTERROGATIONS SOULEVEES PAR CE TEMOIGNAGE
EXEMPLES DE SITUATIONS FAMILIALES VECUES PAR DES PERSONNES
TRANSIDENTITAIRES ACCUEILLIES A L'AMICALE DU NID
A Paris:
- Une personne s'est autorisée à vivre sa transsexualité sur le tard. Âgée de 40 ans, mariée, père de
deux enfants et cadre dans une administration, elle s'est affirmée et cela l'a conduite à un état de
déréliction : prostitution sous son identité féminine puis rupture familiale, professionnelle, sociale,
jusqu'à la clochardisation. Elle a maintenant repris son apparence masculine pour pouvoir survivre
et accéder aux dispositifs de lutte contre l'exclusion (hébergement du 115, etc.).
- Deux personnes de vingt-deux ans, avec une activité de prostitution et une prise d'hormones
sauvage très récentes, se sont présentées au service. L'une d'entre elles souhaitait que l'on prenne
contact avec sa mère pour l'aider à faire son coming-out. Ça n'a pas été fait car elle n'est pas
revenue.
A Montpellier :
- Une personne d'une quarantaine d'années, qui a des enfants, a rejoint récemment le groupe
d'échanges proposé par le service (cf partie sur l'état des lieux par territoire). Elle veut avancer dans
sa transition et se pose beaucoup de questions. Sa participation au groupe lui apporte du soutien et
lui permet d'être moins isolée.
- Un jeune a remercié les membres du groupe de l'avoir freiné dans sa prise d'hormone, ce qui lui a
laissé le temps de préparer sa mère. Avec du recul, il imagine qu'il aurait pu faire "exploser sa
famille" s'il n'avait pas ralenti le rythme de sa transition.
A Toulouse :
Plusieurs situations de personnes avec enfant et donc plusieurs cas de figure : rupture pour certains,
maintien des liens pour d'autres.
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? Les lieux d'accueil, d'échanges, de soutien et d'informations manquent pour les personnes
transidentitaires, quel que soit leur statut. Cela renforce l'intérêt de mettre en place des groupes
d'échanges à visée préventive, pour accueillir des personnes qui n'ont pas forcément de lien avec la
prostitution. En effet, la personne bien insérée socialement qui "dégringole" avec la transition est un
cas de figure bien connu et très fréquent dans le monde de la transidentité. Ce sont des situations où
tout se désagrège ou explose : l'environnement affectif, familial, professionnel... Proposer un
accompagnement à ces personnes relève de la prévention de la désinsertion sociale, familiale,
etc., en amont même de la prévention de la prostitution.
ETRE CREDIBLE
Certaines personnes transidentitaires accueillies à l'Amicale du Nid n'apparaissent pas crédibles : il
y a un trop grand décalage entre leur apparence physique et le genre revendiqué. Cela génère des
situations douloureuses (moqueries et agressions dans la rue ou les transports en commun...).
Accéder à cette crédibilité demande parfois du temps et du travail. Pour certaines, c'est encore plus
compliqué que ça, quand la transidentité croise de grandes difficultés cognitives par exemple. C'est
une période très difficile pour toutes les transitions. Souvent, la personne veut "en faire des tonnes";
conseillée par un professionnel, mieux coiffée, mieux maquillée, elle pourra sortir de la caricature et
gagner en crédibilité (même s'il reste souvent un petit quelque chose que la personne n'arrivera
jamais à gommer, surtout pour celles qui font des transitions tardives).
Globalement, il y a beaucoup de maladresses, notamment sur le maquillage, le choix d'une perruque
ou d'une coupe de cheveux. Un accompagnement ponctuel manque, alors qu'il pourrait facilement y
remédier. Le problème est le coût : quand il n'est pas possible de trouver une personne bénévole,
cela peut nécessiter 200 par personne pour obtenir de tels conseils, ce qui n'est pas à la portée de
toutes les personnes.
Ce problème de crédibilité génère un large sentiment de peur. La peur d'être agressé-e accompagne
toutes les transitions et un travail sur soi devient important pour réussir à prendre confiance et ne
plus susciter de réactions malveillantes en marchant "la tête dans le trottoir". Même quand il n'y a
plus de problème de passing, cela peut être long avant de se sentir à nouveau à l'aise dans la rue.
Les personnes transidentitaires savent que si elles sont interpellées par un policier peu
compréhensif, cela peut mener à une garde à vue. Sans compter la peur de l'agression dans la rue,
quand on n'a pas été opéré-e notamment.
HOMMES ENCEINTS
Trois cas d'hommes enceints ont été médiatisés au cours de ces dernières années : un Américain
(qui a eu deux enfants) et deux Espagnols. Cela concerne des personnes qui sont devenues
socialement hommes, c'est-à-dire qui ont obtenu dans leurs pays le changement d'état civil (de
femme vers homme), mais ont gardé leurs organes génitaux féminins et ont choisi, pour avoir un
enfant, d'être enceintes.
Ces situations ont soulevé des questions éminemment troublantes pour la majorité des membres de
notre groupe. Pour certains, cela correspond à une véritable provocation. Nous reprenons ici les
éléments ayant animé notre débat.
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Voir un homme enceint interroge réellement la binarité des sexes sur laquelle notre société est
construite. On est soit un mâle soit une femelle avec tous les stéréotypes que cela induit. Sans doute
est-ce la raison pour laquelle le système judiciaire en France a délégué son pouvoir au médical : le
juge ne prend une décision qu'à partir du moment où un médecin atteste que la personne est
effectivement un homme ou une femme. D'où les débats que soulève l'ablation de l'utérus et des
ovaires, non nécessaire dans une transition sociale mais servant à prouver l'irréversibilité de la
transformation et le passage d'un genre à l'autre.
Afficher des photographies d'hommes enceints à la première page des magazines n'aide pas
forcément à la compréhension et l'acceptation de la transidentité, voire même risque d'augmenter le
rejet. Pourtant, ces témoignages d'hommes enceints permettent à des garçons trans' de se
questionner sur leur désir ou non de demander une hystérectomie, sachant que celle-ci leur interdira
définitivement d'enfanter.
Ils servent de façon plus large à interroger tout un chacun sur les systèmes binaires. Certains
psychiatres s'estiment "garants de la binarité". Est-ce vrai pour les travailleurs sociaux aussi ? Un
enfant ne peut-il se construire qu'en référence à une mère et un père tels qu'ils sont assignés par la
société ?
C'est rassurant pour tout le monde, et en particulier pour des trans', de rester dans des
fonctionnements binaires. La visibilité trans' fait pourtant avancer la réflexion sur le non-binaire,
dans la logique du principe de continuum (cf chapitre Le continuum trans'). Recevoir des personnes
trans' en tant que travailleur social amène à être parfois décontenancé, voire choqué, heurté,
bouleversé par ces situations hors normes.
Comment alors réussir à accompagner quelqu'un qui nous heurte ? Le réflexe est grand d'accuser
l'autre de provocation ou de folie, parce que nous ne sommes pas en capacité de le comprendre.
Pourtant, être trans' n'est qu'un élément de l'identité de la personne. Il est important de pouvoir
renvoyer à la personne que oui, elle est trans', mais qu'elle n'est pas que ça.
LA PEUR DE L'IRREVERSIBLE
Face à des transformations physiques et des changements de vie si conséquents, une inquiétude
persiste : "Et si la personne se trompe ?". Autrement dit, est soulevée ici la peur de l'irréversibilité.
Pourtant, d'autres actes irréversibles ne nécessitent pas l'aval d'un psychiatre : un tatouage, de la
chirurgie esthétique, un avortement, adopter ou faire des enfants, etc. Pourquoi est-ce que la
question de l'irréversibilité des parcours transidentitaires interroge autant, alors que tant d'autres
actes peuvent conduire à des regrets sans que ça ne pose problème socialement ? Qu'est-ce que cela
vient interroger ?
En tant que travailleurs sociaux, nous devons faire avec le doute, les incertitudes, et notre rôle est de
rester en alerte, ouverts à l'ensemble des possibles, afin que la personne accompagnée puisse
bénéficier de notre regard élargi.
? Il paraît important de ne pas chercher à répondre à la place de la personne, de ne pas
chercher à estimer pour elle si elle est une "vraie" trans' ou pas. Et de lui faire confiance aussi
dans son droit à se tromper. Ce n'est pas le travailleur social qui possède la solution mais la
personne concernée qui doit mener son propre cheminement et "devenir qui elle est".
POUR APPROFONDIR LE SUJET :
• GRENIER M., Papa t'es belle, mémoire de master 2 sous la direction de L. Hérault, 2006
• HES, Rapport de la commission sur la Transparentalité, 24 mai 2008 http://www.hesfrance.org/IMG/pdf/Commission-TRANSPARENTALITE-V1.0.pdf
• RUSPINI E. Monoparentalité, Homoparentalité, Transparentalité en France et en Italie.
Tendances, défis et nouvelles exigences, l'Harmattan, 2011
• WHITTLE S., TURNER L., COMBS R. et RHODES S., Transgender Eurostudy. Legal
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survey and focus on the transgender experience of health care, Ilga Europe-Tgeu, 2008
• VII TRANSIDENTITE ET INSERTION PROFESSIONNELLE
A- PRINCIPALES DIFFICULTES RENCONTREES
Lorsqu'une personne en transition est employée ou en recherche d'emploi, elle peut être
confrontée à diverses difficultés. Celles-ci peuvent être liées à l'employeur ou aux relations avec les
collègues, d'autres à sa situation même.
1. Les difficultés concernant l’employeur :
•
•
•
la non acceptation de la différence ;
le manque d'arguments de l'employeur vis-à-vis des autres membres de l'entreprise :
l'employeur peut ne pas prendre la transidentité comme un problème mais se sentir en
difficulté par rapport à un conseil d'administration, aux autres salariés, etc. ;
le souci de protection de l'employeur qui n'a pas envie de gérer certaines complications :
Comment gérer les vestiaires ? Le bilan social ? L'employeur peut percevoir la personne
trans' comme un problème supplémentaire qu'il refusera de gérer.
EXEMPLE D'UN ACCUEIL FAVORABLE DE L'EMPLOYEUR
Une personne transgenre, avec poste à responsabilité dans l'industrie, faisait progressivement
évoluer son image et son apparence physique sans rien dire à son employeur avec des stratégies
particulières comme une photo d'elle en femme posée dans un cadre sur son bureau, devant laquelle
ses collègues s'exclamaient : « ah ! pas mal la nana ! ». Quand un chasseur de tête la contacte, elle
se dit qu'elle n'a rien à perdre et envoie un CV avec, dans les points divers, la précision : TG. Le
jour de l'entretien, on lui demande ce que signifie TG. Elle explique alors qu'elle est transgenre. Le
cabinet de recrutement met alors cet élément en avant dans le dossier de présentation, et elle est
recrutée ! Elle peut, désormais afficher clairement son identité féminine dans son nouveau poste.
Ici, la transidentité a été considérée comme un atout supplémentaire, qui a bien fonctionné du fait de
ses compétences pointues et de sa solidité de caractère.
2. Les difficultés concernant la personne trans' :
•
•
•
des papiers non-conformes ;
un comportement qui peut être inadéquat (agressivité, gêne...) ;
un manque de compétences et de formation : certaines personnes semblent attendre une
forme de discrimination positive du fait d'être trans', sans forcément se donner les moyens
de pouvoir accéder à un poste.
B- LE CADRE LEGAL ET CONVENTIONNEL : EXAMEN DES TEXTES
RELATIFS A LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS & LA
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PROMOTION DE LA DIVERSITE DANS LE MONDE DU TRAVAIL
Le but est de prendre conscience de l'importance des textes prévus pour lutter contre la
discrimination.
Du point de vue légal, "la discrimination n'est pas simplement fondée sur une distinction mais sur
une différence de traitement à partir d'une distinction.". Elle ne se confond pas avec les notions de
rejet ou d'agression, par exemple.
La loi distingue la discrimination directe ou indirecte. Elle définit la discrimination directe comme
une situation où la personne est traitée de façon moins favorable qu'une autre. La discrimination
indirecte correspond à "une disposition ou pratique neutre en apparence mais susceptible
d'entrainer... " (par exemple : servir tous les jours du porc uniquement au restaurant d'entreprise).
Ainsi, "la discrimination inclut tout agissement… à connotation sexuelle... porter atteinte à la
dignité de la personne ou de créer un environnement hostile, dégradant… humiliant ou offensant ".
L'employeur ne peut pas embaucher une personne trans' puis créer un environnement discriminant,
en installant des toilettes ou des vestiaires inadaptés par exemple. Il existe un certain nombre de
condamnations pénales en réponse à ces discriminations.
1. Le code du travail (modifié par la loi du 27 mai 2008)
La loi principale est celle du 27 mai 2008 qui modifie le code du travail, auquel elle a été
intégrée. Il est à noter que sur ce sujet l'Europe impose régulièrement de nouvelles mesures.
Le code du travail pose le principe de non discrimination : « Aucun salarié ne peut être sanctionné,
licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à
l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008,(…) en raison de son origine, de son sexe, de ses
mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses
caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à
une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou
mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou
en raison de son état de santé ou de son handicap ».
Nous soulignons ici en gras les points qui nous semblent en lien avec la transidentité, y compris le
handicap, puisque certaines personnes trans’ se placent dans ce statut qui permet un soutien
financier de la COTOREP. Le travail ne doit faire intervenir que les compétences en lien avec celuici, tout le reste ne concerne pas l'employeur.
Dans certains cas, on peut considérer que l'apparence compte : un poste de chargé-e de clientèle par
exemple, ou encore certaines sociétés exigeant des tenues avec des dressing-codes qui ne sont
contestés par personne. La loi maintient un certain flou et autorise, dans son article 2, des
différences de traitements quand "l'exigence professionnelle est essentielle et déterminante, si
l'exigence est légitime et proportionnée". Les descriptions de postes de travail doivent donc être les
plus précises possibles : par exemple, il sera indiqué que les chargé-e-s de clientèle masculins
doivent porter des blazers bleus et ne pas avoir les cheveux longs, etc. L'employeur doit pouvoir
prouver que ce sont des exigences concernant tous et toutes les salarié-e-s de façon établie
(règlement intérieur, fiches de postes...). Mais cela n'est pas toujours fait de façon rigoureuse. La
sanction d'une apparence non conforme ne peut être justifiée que pour des raisons essentielles et
déterminantes.
L'article 4 de la loi porte sur l'égalité professionnelle entre homme et femme : « Toute
discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est interdite en matière d’accès aux biens et
50
services et de fourniture de biens et services. Ce principe ne fait pas obstacle à ce que soient faites
des différences selon le sexe lorsque la fourniture de biens et services exclusivement ou
essentiellement destinés aux personnes de sexe masculin ou de sexe féminin est justifiée par un but
légitime et que les moyens de parvenir à ce but sont nécessaires et appropriés. » Une liste des
professions concernées par cette exception est établie et révisée périodiquement. Dans les faits, très
peu de métiers y sont inscrits : mannequin, comédien et comédienne. Il arrive donc que les
prudhommes donnent raison à des employeurs pour des métiers se trouvant en dehors de cette liste.
UN EXEMPLE DE BONNE PRATIQUE
Une personne en transition d'homme vers femme travaillait dans une entreprise où n'étaient
employés que des hommes. Quand elle a informé son directeur de sa transition, il a fait installer des
toilettes pour femmes.
2. Le statut des fonctionnaires
Le statut de la fonction publique indique dans son article 6 "qu'aucune distinction, directe
ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques,
syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge,
de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur
appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. Toutefois
des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à
exercer certaines fonctions."
3. Le code pénal (art 225.1, 2 et 3)
Le code pénal précise que la discrimination consiste :
1° A refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ;
2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ;
3° A refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ;
4° A subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des
éléments visés à l'article 225-1 ;
5° A subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en
entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ;
6° A refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du
code de la sécurité sociale.
Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux
fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros
d'amende.
4. Les décisions et interventions de la HALDE :
La Halde est amenée à se fondre dans la Commission Nationale de Médiation. Spécialisée
dans les discriminations, elle peut s'inviter à un procès, quel qu'il soit, et le juge a obligation
d'entendre son rapport.
Pour la HALDE, la discrimination contre une personne transidentitaire est assimilée aux
discriminations envers les hommes ou les femmes. Elle ne prend pas en compte le changement de
51
sexe en lui-même (opération) mais s'appuie sur l'apparence et le genre revendiqué par la personne
(une personne qui se présente vêtue en femme et adopte un comportement féminin par exemple,
devra être considérée et respectée dans ce genre).
A titre d'exemple, il est possible de se référer à la délibération de la Halde en date du 18 février
2008 à Montpellier.
•
La position de la HALDE concernant le numéro d'immatriculation de la sécurité
sociale :
Concernant l'immatriculation par la sécurité sociale, une décision de la Halde peut servir
d'exemple. Elle précise ainsi que les personnes "transsexuelles sont souvent victimes de
discrimination durant la période d’adaptation et de conversion sexuelle. Le transsexualisme est un
état transitoire, le temps de la conversion d’un sexe à l’autre depuis la prise de conscience du
décalage entre l’identité psychologique et le sexe anatomique jusqu’au changement d’état civil.
Cette phase transitoire peut durer plusieurs années." De ce fait, et dans le cas cité, il se trouve que
"l’apparence physique de la réclamante et son immatriculation à la sécurité sociale ne coïncidant
plus, elle a été contrainte de révéler son transsexualisme à son employeur. A la suite de cette
révélation, elle a été victime de moqueries et de pressions qui l’ont contrainte à démissionner.
Le Collège de la haute autorité rappelle à l’employeur les dispositions relatives au principe de nondiscrimination et lui recommande de se rapprocher de la réclamante afin de lui proposer une juste
réparation du préjudice subi."
Dans la défense de ce cas, la Halde a par ailleurs adressé des recommandations au gouvernement
afin qu'il mette en place un "dispositif réglementaire ou législatif permettant de tenir compte,
durant la phase de conversion sexuelle, de l’adéquation entre l’apparence physique de la personne
transsexuelle et l’identité inscrite sur les pièces d’identité, les documents administratifs ou toutes
pièces officielles, afin d’assurer notamment le droit au respect de la vie privée dans leurs relations
avec les services de l’Etat et également le principe de non-discrimination dans leurs relations de
travail, en vue d’une harmonisation des pratiques au sein des juridictions."
Dans la même logique, la Halde demandait à "la Caisse nationale d’assurance maladie de prévoir
une circulaire à destination de ses services afin qu’ils soient vigilants sur l’immatriculation sociale
du patient en tenant compte du changement d’état civil des personnes transsexuelles et à l’INSEE
de prendre toutes les mesures utiles de mise à jour du répertoire national d’identification des
personnes physiques, en tenant compte du changement d’état civil des personnes transsexuelles."
(délibération de la Halde 2008-190 du 15 septembre 2008).
REMARQUE :
Cela était possible et fonctionnait bien avant la création de la carte vitale, puisque la sécurité sociale
pouvait alors choisir d'attribuer les numéros temporaires plus “neutres” 7 ou 8 au lieu du 1 ou 2.
•
La HALDE et la non-discrimination entre les hommes et les femmes :
Comme indiqué plus haut, il faut que la discrimination réservant un emploi seulement aux
hommes ou seulement aux femmes soit justifiée par des raisons impératives. La Halde a considéré
que l'employeur ne pouvait réserver aux femmes un emploi de démarchage à domicile pour de la
lingerie et des objets érotiques destinés aux femmes. En revanche, on pourrait se poser la question
pour un emploi de vendeuse dans une boutique de lingerie féminine qui serait amenée à aider les
clientes dans les cabines d'essayage.
52
Le principal problème réside dans l'application de ces textes, qui impose un changement profond
des mentalités au moment de l'embauche. Par contre, le système juridique fonctionne globalement
bien quand la personne est déjà embauchée, la difficulté étant la capacité de la personne à se
défendre.
5. Les accords syndicats-entreprises :
Il existe notamment un accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans
l'entreprise. Le terme diversité est un peu un terme "valise", mais il peut permettre de considérer
que non seulement les personnes ne correspondant pas aux normes majoritaires ne sont pas un
problème, mais même qu'elles peuvent représenter un atout pour les entreprises.
Les entreprises doivent s'assurer que leur règlement intérieur est conforme à la ligne directrice de
non-discrimination.
6. Le label anti-discrimination :
Le décret du 17 décembre 2008 établit un label diversité avec pour objet de développer les
bonnes pratiques. Ce label a été validé par toutes les confédérations syndicales.
Il peut être intéressant d'aller voir la convention collective d'une entreprise, qui liste généralement
les mesures de non-discriminations et peut servir une argumentation face à un employeur.
Bien que l'on soit à chaque fois dans des cas particuliers, il semble important de rappeler le
cadre général aux personnes accueillies à l'Amicale du Nid afin de leur permettre de travailler sur
leur comportement, sur la façon dont elles se présentent à leur premier entretien, etc.
Pour information, quand les personnes passant du genre féminin au genre masculin commencent à
prendre des hormones, le résultat est assez spectaculaire dans la mesure où les effets sont produits
très rapidement : en un mois et demi, c'est-à-dire en trois injections de testostérone, la masse
musculaire peut augmenter d'une dizaine de kg, la voix mue et la pilosité s'accentue.
TRANSIDENTITE ET EMPLOI :
Personne à l'Amicale du Nid n'est spécialiste de cette question "transidentité-emploi" ; la spécialité
de l'Amicale du Nid c'est la prostitution. Par contre cet intitulé nous interroge sur les spécificités de
l'accès à l'emploi quand la personne est trans' et prostituée.
Les pratiques sont très différentes d'un territoire à l'autre, en lien avec l'histoire de chaque service.
Existe-t-il une spécificité dans l'accueil des personnes prostituées transidentitaires ? Y aurait-il
des difficultés spécifiques ou supplémentaires pour les personnes quand elles sont trans' ? Fautil attendre que le processus de transition soit achevé ou avancer en parallèle ? Qu'est-ce qui pose
problème dans le fait d'accompagner une personne prostituée et trans' ? Le problème de l'image
est-il spécifique des trans' ou pas ?
Il semblerait que l'accompagnement vers l'insertion professionnelle des personnes transidentitaires
soit, dans une large partie, similaire à celui proposé aux autres personnes accueillies à l'Amicale du
Nid.
Cependant, une transition ou un questionnement identitaire sur son genre peut renforcer des
situations déjà très précaires et augmenter ainsi les difficultés d'accompagnement. Si certaines
personnes ont besoin de s'éloigner provisoirement de l'emploi pendant le temps de leur transition, il
semble pertinent que les travailleurs sociaux les aident à garder à l'esprit la question de leur
insertion professionnelle et leur permettent d'engager celle-ci par étapes (et ce d'autant plus pour les
personnes qui restent en questionnement sans s'engager véritablement dans une transition).
53
En effet, toutes les étapes avant l'accès à l'emploi font déjà partie de l'insertion : c'est un
cheminement qui se construit, permet de prendre de la distance par rapport à l'emploi et donc d'y
accéder ensuite plus sereinement. L'accès à la formation peut être plus facile que l'accès à l'emploi
par exemple, et ça peut être une première étape d'insertion sociale dans laquelle accompagner la
personne. L'aider à améliorer sa présentation physique et son passing fait également partie de ces
étapes préalables à l'insertion professionnelle.
Si le travailleur social accepte la stratégie d'évitement des personnes par rapport à l'emploi
tant que leur transition n'est pas achevée, cela risque finalement de mener à une perte de
temps énorme puisque les étapes préalables à un emploi seront à mettre en œuvre par la suite.
UN QUESTIONNEMENT IDENTITAIRE PAR ALTERNANCE
Il arrive que le travailleur social soit démuni face à une personne qui n'affirme pas de préférence de
genre, qui est dans la confusion ou pour qui il y a trop d'ambigüité entre son apparence et la manière
dont elle souhaite être considérée. Si la volonté est de respecter le genre demandé, l'alternance de
genre (situation récurrente sur deux territoires de l'Amicale du Nid) est parfois difficile à gérer dans
certains espaces d'accueil collectif. Il semblerait que cela vienne en effet renforcer l'exclusion et/ou
l'enfermement dans des groupes de pairs.
Face à ces situations, il peut arriver que le travailleur social s'interroge sur la nature de ce que vit la
personne : est-ce une question d'identité de genre ? Un trouble psychiatrique ? Il peut alors être
nécessaire de ne pas rester seul et de solliciter l'aide de collègues pour sortir de la crainte
d'influencer la personne dans un sens qui "ne serait pas le bon". Il est également possible
d'exprimer à la personne sa difficulté à lui parler au féminin quand elle se présente avec une barbe
naissante (par exemple).
Cependant, avec le temps, on constate que la personne finit par éclaircir cette question s'il lui
est offert une écoute bienveillante lui permettant d'avancer dans son processus. Il s'agit de
travailler avant tout avec ce que la personne amène et nous donne à ressentir.
UN CUMUL DE DIFFICULTES
Le cumul « prostitution et transidentité » complexifie les accompagnements. Un certain nombre
d’éléments spécifiques, facilitants ou handicapants, ont été repérés, dont l’importance relative varie
selon le stade du parcours :
- L’apparence de la personne, sa « crédibilité » dans le genre revendiqué : en début de transition, les
personnes sont souvent dans un excès de féminisation qui peut invalider leur crédibilité :
maquillage excessif, tenues sexy, voix forcée dans les aigus, etc. Ces excès peuvent même mettre la
personne en danger.
- Les papiers d’identité (et carte vitale, chéquiers etc.) : leur non-conformité avec l’apparence
physique est un handicap majeur. En outre, beaucoup de ces personnes sont étrangères et
l’obtention d’un titre de séjour est le premier objectif.
- L'inadaptation du système d'aide sociale, notamment en terme d'hébergement : les foyers par
exemple refuseront d'accueillir des personnes transidentitaires dont les papiers d'identité n'ont pas
été changés. Le fait de ne pouvoir se stabiliser en terme de logement empêche la mise en place du
dispositif d'insertion professionnelle.
- Le comportement de la personne, généralement en réaction à un rejet social et familial : la peur, la
dégradation de l’image de soi, le manque de confiance, les réflexes de repli ou de violence vis-à-vis
de soi ou d'autrui. Il est alors nécessaire pour le travailleur social de prendre le temps d'apprivoiser
les personnes, qu'elles comprennent qu'elles ne sont plus en danger, avant de pouvoir envisager des
actions en vue d'une insertion professionnelle.
54
- La difficulté à s'extraire du groupe de pairs et de ses codes, qui peut empêcher ou ralentir
l'élaboration d'un projet.
- Les aptitudes professionnelles, le CV : bien souvent les personnes ne veulent plus ou ne peuvent
plus exercer le métier précédant leur transition. Elles font en effet souvent apparaître dans leur
choix d’orientation professionnelle l’importance d’aller vers des métiers très stéréotypés, qui
semblent renforcer l’appartenance à l’identité choisie. De plus, l’entrée dans la prostitution,
notamment lorsqu’elle se fait de manière précoce, mobilise psychiquement la personne, et de fait
ralenti l’accès aux apprentissages. Cela induit peu ou pas de niveau de qualification, et rallonge
d’autant plus les parcours d’insertion professionnelle. Cela demande donc de reconstruire
entièrement un profil professionnel. Pourtant, dans certaines situations, les personnes ont une réelle
qualification qu'elles ne peuvent valoriser du fait de leur transidentité.
- L'association des traitements hormonaux avec d'autres toxiques peut s'avérer dangereuse et
renforcer l'inadaptation de la personne aux exigences des normes du travail.
- Un élément peut faciliter l'insertion professionnelle : la personne peut prendre appui possible sur
la législation contre les discriminations fondées sur le genre et l’apparence.
Plus largement, c’est la problématique de l’emploi dans notre société qui est en question. Par
ailleurs, les contraintes imposées par les politiques publiques rendent les parcours d'insertion de
plus en plus complexes, notamment quand elles tendent à associer l'aide sociale et l'activité et, de
fait, imposent une accélération des processus d'insertion professionnelle.
Or, les personnes transidentitaires sont des personnes très discriminées, très stigmatisées. Aborder
la question de l’insertion professionnelle impose d’aborder les questions de discrimination faites au
genre en général, et aux personnes trans' en particulier.
LES VARIABLES SUR LESQUELLES LE TRAVAILLEUR SOCIAL PEUT AXER SON
ACCOMPAGNEMENT
Le grand malaise, qui bloque certaines personnes trans’ en situation de prostitution dans leurs
possibilités de réinsertion, pourrait être soulagé par des éléments tels que :
- l’acceptation physique
- les relations avec la famille
- les relations avec les pairs
- les relations avec les partenaires de l’Amicale du Nid
- la prise de distance (y compris une prise de distance provisoire avec l’emploi, le cas échéant)
VIII- PANORAMA DES ASSOCIATIONS TRANS' FRANÇAISES
La première association de personnes transsexuelles a été créée en France en 1965 ; à partir
de cette date d'origine, nous pouvons distinguer quatre grandes périodes dans le mouvement
associatif. Les grandes tendances que marquent ces périodes permettent de repérer à quel moment et
selon quel processus les différentes associations se sont créées, sachant que l’on peut distinguer
trois types d'engagement associatif : l'auto-support ; le lobbying (ou groupe de pression) ; l'expertise
et la professionnalisation. Nous verrons que ces formes apparaissent au cours du temps et qu'elles
peuvent toutes être présentes au sein d'une même association.
55
A- DE 1960 AUX ANNEES 1980 : SURVIVRE
Au cours de cette période, la répression policière est massive. Des décrets interdisent le port
de perruques et le travestissement. Les opérations chirurgicales, rares, se font uniquement à
l'étranger (au Maroc en particulier) et l'hormonage est uniquement sauvage. De fait, les individus
sont très isolés et se transmettent des informations au hasard des rencontres, par le bouche à oreille.
Cependant, les premières figures médiatiques apparaissent, forgeant l'image de la transsexuelle star
de cabaret à l'instar de Coccinelle ou Bambi. Coccinelle servira d'ailleurs de modèle à toute une
génération de personnes trans' qui, en découvrant ses photographies ou ses images télévisées, se
diront : "C'est donc possible, je peux devenir une femme comme elle".
En 1965, Marie-André Schwindenhammer (1909-1981) crée la première association trans' :
l'AMAHO (Aide aux Malades HOrmonaux), à Paris. Ancien militaire, résistant, il avait été interné
par les Allemands et subi des expérimentations sur les traitements hormonaux. A son retour de la
guerre, il vit progressivement puis complètement en femme "psycho-socialement" (selon une
expression de l'époque). C'est alors la "belle époque" du Carrousel, un cabaret transgenre parisien,
que Marie-André approvisionne en champagne. Les personnes transidentitaires sont peu
visibilisées, "sans-papiers", leurs changements d'état civil sont bloqués par jurisprudence depuis le
scandale du mariage de Coccinelle en 1962 (sa situation est l'occasion pour le Conseil de l'Ordre
des Médecins de déclarer "que les interventions castratrices ne peuvent être admises que dans des
cas d'intersexualité attestée par un chirurgien, un endocrinologue et un neuro-psychiatre" se
conformant en ceci à la position des juristes" (Foerster, 2006).).
L'AMAHO offre dans ce contexte une première forme d'auto-support, à travers du soutien, des
rencontres et la mise en place d'un réseau d'aide. La compagne de Marie-André assure des séances
d'épilation définitive à l'électrolyse à leur domicile. Marie-André, en s'inspirant de M. Hirschfeld,
créateur de l'institut de sexologie à Berlin (premier lieu européen d'opérations trans'), invente des
cartes associatives imitant des cartes d'identité, qui finissent par être tolérées par la préfecture de
police.
L'histoire de Marie-André illustre comment les transitions se faisaient alors "au petit bonheur la
chance", de façon opportuniste, au gré des rencontres. C'est elle, par exemple, qui va rencontrer par
hasard Coccinelle dans un train, lui apprendre l'existence des hormones et la possibilité d'une
transition. Or, nous l'avons vu, Coccinelle deviendra une figure médiatique majeure de la
publiscisation de la transidentité.
Avec l'AMAHO (qui n'existe plus aujourd'hui), on devine également les premières racines d'une
forme de lobbying trans', qui passe par l'expérience individuelle, la défense du cas par cas. MarieAndré va multiplier les démarches dans les administrations et les ministères pour défendre sa cause
et la jurisprudence sur les trans' va commencer à évoluer à travers sa situation : un arrêt de cassation
en 1975 puis un arrêt de renvoi de la cour d'appel de Reims permettent la suppression de son
prénom masculin sur son état civil.
En 1975, l'ABC (Association Beaumont Continental) voit le jour à Mulhouse par et pour des
personnes "de sexe masculin éprouvant le besoin de se travestir régulièrement". L'association
accueille uniquement des personnes dans le sens homme vers femme. Elle est créée sur le modèle
de la Beaumont Society, un club anglais de personnes travesties, qui "font du tricot en parlant de
football". L'association a fait perdurer cette image de club anglais au "travestissement bon chic bon
genre". Elle s'inscrit dans de l'auto-support, "l'objectif numéro 1 étant de créer du lien social,
permettre aux gens de se retrouver entre personnes vivant la même chose ". L'ABC rejette l'idée de
militantisme, refusant de prendre le risque de détruire la cellule familiale et le cercle social de ses
membres. Elle compte aujourd'hui 200 adhérents (dont 30 à 40 % sont à Paris).
56
En 1976, le pasteur Doucé, sensible aux exclusions en lien avec la sexualité, ouvre à Paris un
centre accueillant des homosexuel-le-s, des prostituées et des transsexuel-le-s : le Centre du Christ
Libérateur. Cela deviendra un lieu important dans l'histoire associative trans' en France, en tant que
premier vrai espace de reconnaissance. Le centre offre un soutien psychologique, politique (milite
auprès du parlement européen pour obtenir une résolution condamnant la discrimination à l'égard
des transsexuel-le-s) et théorique avec la publication d'un essai (La question transsexuelle). De fait,
il inaugure les trois racines principales du mouvement associatif – auto-support, lobbying, expertise
– qui se développeront par la suite. Le centre fonctionne jusqu'à l'assassinat inexpliqué du pasteur
en 1990. Cette mort brutale et incompréhensible sèmera la terreur et, pendant un certain temps, le
refus de se regrouper des personnes trans'.
Il est intéressant de remarquer que la première équipe médicale hospitalière créée en France
se met en place en 1978, treize ans après la première association trans'. C'est l'équipe de Paris, alors
constituée d'un psychiatre, d'un endocrinologue et d'un chirurgien.
B- LES ANNEES 1990 : LA TRANSSEXUALITE, UNE QUESTION DE SANTE
Au début des années 1980, deux autres équipes médicales hospitalières sont créées, l'une à
Bordeaux et l'autre à Lyon. Les années 1990 bénéficient donc d'une expérience des parcours via
l'hôpital d'une dizaine d'années. En 1989, le Ministère de la Santé adresse à la CNAM une circulaire
qui officialise un protocole de soins créé par l'équipe parisienne : les trois équipes médicales
hospitalières existantes s'en servent pour se déclarer comme "officielles". C'est de cette façon qu'est
validé le protocole de prise en charge hospitalier décrit précédemment (rapport HAS). La condition
pour l'exonération du ticket modérateur des soins médicaux passe par le diagnostic psychiatrique
de transsexualisme.
Cette période est également fortement marquée par l'épidémie du SIDA, qui réactualise les
questions trans' sur un autre registre : de nombreuses personnes transsexuelles sont contaminées (la
prévalence est plus forte que dans le reste de la population) et les premières permanences de l'une
des associations créées à cette période auront lieu dans les locaux du CRIPS (Centre Régional
d'Information et de Prévention du Sida).
Sans doute en lien avec ces deux réalités - reconnaissance des équipes médicales hospitalières par la
sécurité sociale / SIDA - on observe alors une proximité des associations trans' avec le monde
médical, plusieurs d'entre elles étant même créées par des médecins.
Quelques figures emblématiques du milieu militant, qui perdurent encore aujourd'hui, vont se
démarquer ces années-là, du fait notamment de leur charisme et de leur activité dense de lobbying.
Par ailleurs, comme nous l'avons vu précédemment, la Cour Européenne des droits de l'homme
condamne la France en 1992. Cette condamnation marque un virage important dans l'histoire de la
transidentité, puisque le changement d'état civil va désormais être autorisé. Suivant ce mouvement,
les associations trans' accentuent leur volonté de favoriser l'accès au droit commun par le biais du
médical, au nom de la citoyenneté. Diverses formes de lobbying se développent et annoncent le
début de revendications concernant la dépsychiatrisation.
Dans ce contexte, quatre nouvelles associations émergent, qui prendront plus d'ampleur que leurs
prédécesseurs, et, même si deux d'entre elles vont être dissoutes une douzaine d'années plus tard,
elles resteront comme des jalons significatifs du mouvement et seront à l'origine de la création
d'autres associations portées par la volonté de prolonger l'action de ces associations mères.
L'AAT, Association d'Aide aux Transsexuels, voit le jour à Marseille en 1993. Ouverte aux mtf et
aux ftm, elle propose principalement de l'auto-support. Son vocabulaire médical est prégnant : ses
57
membres parlent du syndrome de Benjamin, de femmes andro-génésiques et d'hommes gynégénésiques (avec des gênes d'homme et de femme), affichent clairement que la meilleure prise en
charge possible est de passer par les équipes spécialisées (nom donné aux équipes médicales
hospitalières). Et il est impossible d'adhérer si l'on ne prouve pas que l'on est suivi par un
psychiatre. Sa présidente, Sandra Dual, qui a été médecin, est l'auteur de "Rencontre avec le 3ème
sexe" (Edition Gérard Blanc, 1999).
En 1993, à Paris, le PASTT, Groupe de prévention et d'action pour la santé et le travail des
transsexuel(le)s, se spécialise dans le conseil et le soutien des transsexuel(le)s et travestis,
principalement en situation difficile (sans papiers) et se réclamant travailleur-se-s du sexe. Sa
présidente, Camille Cabral, médecin elle aussi, met en place un fonctionnement proche de celui des
associations de prise en charge de personnes en situation de prostitution, avec un bus de prévention
notamment.
Toujours dans la capitale, une "association de patients"18 est créée en 1994, par Tom Reucher entre
autres, ftm et psychologue clinicien. C'est l'ASB, Association du Syndrome de Benjamin, qui
propose de l'auto-support tout en assurant une activité marquée de lobbying. L'association considère
que si le syndrome de Benjamin est "une affection d'origine encore inconnue", ce n'est "en rien une
maladie mentale, mais un problème d'identité sexuelle". Elle est la première à demander la
dépsychiatrisation de ce qui avait été "maintenu sous le terme stigmatisant de transsexualisme".
En 1994, l'ASB rédige une "proposition de loi pour harmoniser la modification de l'état civil des
transsexuels", proposition réécrite en 2002. En 1997, elle crée une marche de soutien aux
transsexuel-le-s : l'Existrans.
L'association conçoit un bulletin associatif et prend de plus en plus d'ampleur. En parallèle, les
psychiatres et psychanalystes, inquiets d'une possible émancipation juridique et psychiatrique des
personnes trans', produisent de nombreux essais ou tribunes libres qui insistent pour que les
personnes ne changent pas de sexe mais "ce qu'il y a dans leur tête", défendant la psychothérapie
comme alternative aux hormones et à la chirurgie (Foerster, 2006).
En 2008, des conflits internes mènent à la dissolution de l'association, qui compte alors 300
adhérents. Après une période de flottement de deux ans sans activité, quelques anciens membres du
conseil d'administration démarrent une nouvelle association : ORTrans.
Sur la même période, le CARITIG, Centre d'Aide de Recherche et d'Information sur la
Transsexualité et l'Identité de Genre voit le jour à Paris, sur l'impulsion d'Armand Hotimsky, ftm lui
aussi. L'association met également en œuvre auto-support et groupe de pression et, comme l'ASB,
produit une activité intellectuelle (nombreux articles et diffusion de documents juridiques ou
scientifiques à travers bulletins associatifs et sites internet), qui annonce ce que nous avons repéré
comme étant la dernière période du mouvement, où les groupes chercheront à s'affirmer comme
experts, dans une volonté d'approcher des pratiques professionnalisées. Mais là encore, des conflits
de personnes limitent les actions du groupe jusqu'à la disparition de l'association à la fin des années
2000.
C- LES ANNEES 2000 : SE VISIBILISER
Entre 1997 et 2000, les trois autres équipes hospitalières sont mises en place à Montpellier
(1997), Nice (2000) et Marseille (2002 : année de la structuration officielle bien que les premiers
travaux en endocrinologie et en chirurgie aient été menés dès les années 70).19
Mais, à partir de 2000, l'essor d'internet permet la notoriété et le développement des parcours hors
protocoles. Les blogs, les sites et les forums se multiplient, donnant accès à quantité d'informations
18 Les passages entre guillemets sont issus du site de l'association.
19 D'après le site de la SoFECT : http://www.transsexualisme.info/
58
qui permettent aux personnes de "bricoler" leur propre parcours, soit complètement en dehors des
équipes officielles soit en mixant prise en charge dans le public et dans le privé. Sur le web, les
récits de vie se multiplient, servent à se révéler et révéler que l'on est trans', se prouver et prouver
aux autres que l'on est trans'. Des noms de médecins "transfriendly" et des photographies
s'échangent, permettant aux personnes de choisir leurs modalités d'opérations et leurs chirurgiens.
Cette multiplication des témoignages sur le réseau virtuel va progressivement constituer une base de
données qui sert la production d'un savoir, d'une expertise : on trouve là le terreau de la dernière
période du mouvement associatif, qui sera celle de l'expertise.
Se marque par ailleurs la volonté de parler à la première personne, sous l'influence des associations
féministes et de lutte contre le SIDA, dont Act-up notamment. Et l'on assiste alors à une explosion
des auto-définitions. La règle défendue par les associations est que le bon genre pour s'adresser à
une personne est celui qu'elle revendique, même s'il est fluctuant : mtf, ftm, mt*, ft*; mtu ; ftu ;
transgenre ; transboy ; XXboy ; femme d'origine transsexuelle ; ielle ; ceulles...
Les années 2000 sont également marquées par un militantisme "dur", qui rejette de façon massive
les équipes hospitalières, exige la dépsychiatrisation et mène des actions coup-de-poing, qui
permettront les premières entrées officielles des associations au sein du ministère de la santé ou de
la CNAM.
Ces actions serviront de support aux premières ébauches de fédération des associations trans' via
deux assemblées générales. Les associations sont de plus en plus politisées et dénoncent la
"transphobie de l'Etat".
En 2002, STS, Support Transgenre Strasbourg, groupe de personnes transgenres (principalement
des mtf qui se qualifient de transsexuées) dit se battre "pour le droit d'être individuellement nousmêmes, pas pour celui d'entrer dans un moule, quel qu'il soit."20
Mais c'est le GAT, Groupe Activiste Trans’, qui marque à Paris l'arrivée d'une forme militante plus
engagée dès 2002. Luttant pour que les pouvoirs publics et les services de santé prennent en compte
la situation des personnes trans’ (transsexuelLEs, transgenres et autres… ) , parce qu'il est pour eux
"tout simplement impensable de ne pas associer les personnes Trans’ qui le souhaitent à venir
s’exprimer librement sur les questions Trans’", ils sont à l'origine de la première "Assemblée
Générale des Trans’" en septembre 2004. Ils mènent des actions de visibilité "coup-de-poing"
(action auprès des services publics comme la CNAM, interruption de colloques, intervention au
domicile de C. Chiland (psychiatre qui défend l'idée que la chirurgie de réassignation chirurgicale
est une réponse folle faite à une demande folle), agitant le monde transidentitaire de leur énergie
particulière. Le groupe s'auto-dissout en 2006. Objet de fortes controverses, il aura néanmoins
permis une visibilité des trans' inédite, autorisant notamment les personnes à se reconnaitre comme
n'étant pas des "malades mentales".
En 2004, Trans Aide se monte à Nancy. La présidente de l'association, Stéphanie Nicot, est coauteur avec Alexandra Augst-Merelle (une des deux créatrices de STS), de l'ouvrage "Changer de
sexe" paru en 2006. L'association, qui accueille des personnes trans' et intersexuées, revendique
aujourd'hui 800 adhérents.
La même année, une association aussitôt avortée du fait de désaccords entre les personnes
souhaitant la créer, Trans'act, va donner naissance à Marseille à Sans Contrefaçon en 2005 et au
GEsT en 2007. Sans Contrefaçon se consacre rapidement à la lutte contre la transphobie. Quant au
GEsT, ce sera l'information et la formation sur la transidentité qui sera son principal axe de
développement.
20 D'après le site : http://www.sts67.org/. Pour rappel, il est possible de se référer à la partie S'accorder sur le
vocabulaire.
59
En 2005, l'ETT, Entraide Transgenre Tours se propose d'apporter son soutien à des transgenres
souhaitant effectuer un parcours "libre " (c'est-à-dire en dehors des protocoles officiels, qui sont
estimés "humiliants"). L'association insiste sur le partage d'expériences de transitions réussies et
dénonce une transphobie de l'Etat français.
Toujours la même année, Mutatis-Mutandis à Bordeaux offre information et accueil aux personnes
transidentitaires, et produit plusieurs documents dont le Petit Mutatis illustré, un guide de
transition.21
A Lille , C'est pas mon genre ! vise à promouvoir l'intégration et la visibilité des "personnes trans'
au sens large (personnes voulant se faire opérer ou non, hormoner ou non, ou se situant entre les
genres)", comme le précise son site Internet.22
D- A PARTIR DE 2006 : S'AFFIRMER COMME EXPERT
Face à la pression des associations trans' et à la demande de médecins et de la CNAM, la
Haute Autorité de la Santé, nous l'avons vu, entreprend de rédiger un rapport sur la prise en charge
du transsexualisme en France (pré-rapport rendu public au printemps 2009, rapport définitif en
novembre 2009 mais publié début 2010).
La publication de ce rapport, signe de reconnaissance d'une problématique jusqu'ici peu prise en
compte par les services publics, est l'objet de fortes controverses et débouche sur :
• Premièrement : la mise en place, par le Ministère de la Santé, d'une commission de travail
visant à élaborer un cahier des charges à destination de centres de références pour personnes
transsexuelles ;
• Deuxièmement : l'organisation d'une assemblée générale d'association trans' afin d'élire des
représentants qui siègeraient à cette commission de travail mise en place par le ministère ;
• Troisièmement : la création d'une association réunissant, pour la première fois, l'ensemble
des équipes médicales dites officielles (la SoFECT).
En octobre 2009, c'est le commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe qui produit un
texte portant sur "les droits de l'homme et l'identité de genre". Ce document d'une cinquantaine de
pages est jugé comme "le document le plus progressiste et le plus favorable aux trans' écrit par un
officiel en Europe" selon des militants trans'.
Dans ce contexte, où l'Etat et l'Europe adressent des signes manifestes d'intérêt à la cause trans', on
assiste à un mouvement associatif qui tend à se professionnaliser : de nouvelles associations sont
créées, dont les fondateurs manifestent la volonté de dépasser la seule expérience individuelle pour
se faire reconnaître comme des experts des questions trans'. Elles agissent alors dans le sens d'un
renversement des positions asymétriques médecins/patients et les associations deviennent des
partenaires officiels de l'action publique.
Six nouvelles associations voient le jour dans cette dynamique, dont le GEsT.
A Lyon, Chrysalide s'inscrit à partir de 2006 comme une "association militante de support et de
diffusion d'informations sur la transidentité, faite par et pour des personnes transsexuelles,
transgenres, intersexes, travesties". Elle a pour objets "l’étude, la formation et l’information
relatives aux problématiques inhérentes à l’identité de genre ou transidentité
(travestisme,transsexualité, transgendérisme) ; La lutte contre l’exclusion et l’aide à l’intégration
des personnes transidentitaires dans leur environnement familial, social et économique ; La
21 http://www.mutatismutandis.info/
22 http://www.cestpasmongenre.com/
60
contribution à la promotion de la culture transidentitaire."23
L'association mène différentes actions et cherche notamment à développer des liens avec les
politiques locaux. Elle a ainsi rencontré des élus de la Région Rhône-Alpes ou participé à des
groupes de travail d'HES (Homosexualités et socialisme) etc., afin de faire connaître la
transidentité. Elle obtient le financement par le Conseil Régional de ses brochures associatives.
En 2007, PARI-T, Plateforme d’Action et de Reconnaissance Identitaire pour les Transgenres
s'ouvre à Paris sur l'impulsion de Kouka Garcia, membre de l'UNALS (Union des associations de
lutte contre le SIDA). L'association mène principalement des actions en direction de trans'
prostitué-e-s et/ou séropositif-ve-s et obtient pour cela des financements de l'INPES.
En 2009, l'Inter-Trans' tend à regrouper des "personnes Trans’ membres d’autres associations ou de
partis politiques au sein desquels elles travaillent sur les questions Trans’". La volonté de départ
est de représenter l'ensemble des associations trans' mais, dans les faits, seul l'un des membres
actuels est dans cette situation (membre d'ACTHE, Association Commune Trans et Homo pour
l’Egalité), les autres faisant partie du PCF, d'Act Up, d'HES et des Verts. Le groupe travaille en lien
avec ORTrans à la rédaction d'un projet de loi visant à simplifier les procédures de changement
d'état civil. ORTrans, Objectif Respect Trans (ORTrans - prononcer O puis R puis Trans, comme
précisé sur son site) est créée à Paris en 2009 par d'anciens membres du conseil d'administration de
l'ASB qui, de ce fait, ont maintenu les liens établis avec le ministère de la santé et la Halde.
L'association "se consacre aux personnes concernées par les questions d’identité de genre au sens
large et par le transsexualisme en particulier. "24
Enfin, OUTrans25, en 2009 est proposée par et pour des ftm qui avaient le sentiment que rien
n'existait en terme d'auto-support pour eux. Au départ, leur idée était de proposer de l'auto-support
et des temps de convivialité. Mais, pris dans l'actualité de la sortie du rapport de la HAS, le groupe
développe rapidement une activité complémentaire de lobbying. Ils rédigent plusieurs
communiqués de presse en réaction aux annonces de la ministre de la santé ou de la HAS par
exemple. Ils participent par ailleurs à l'organisation puis à la marche Existrans 2009 ; ils initient la
création d'un carré trans', c'est-à-dire d'un espace réunissant toutes les associations trans' participant
aux marches des fiertés LGBT de Lyon et Paris. Ils créent et diffusent de nombreux tracts ou
affiches dénonçant la psychiatrisation ou exposant des revendications en lien avec le changement
d'état civil, organisent la troisième assemblée générale trans'...
Ce panorama du mouvement associatif, permet de constater que celui-ci, initié dans les
années 60, prend progressivement de l'ampleur pour s'étendre largement sur le territoire français.
On peut observer des groupes qui se font et se défont, où des individus assez isolés prennent
finalement une place importante en lien avec les politiques ou par le biais de l'activité des divers
supports internet : forums, blog, site perso...
On assiste ainsi au passage de groupes de soutien et de modes de solidarité en réponse à des
situations de précarité et d'isolement, à des positions et organisations d'experts, la transition de l'un
à l'autre se faisant par :
• une visibilisation de la cause trans' par l'exposition de soi ;
• la constitution d'un savoir à partir de l'ensemble des témoignages exposés et du cumul des
expériences individuelles ;
• des formes de militantisme radicales qui enfoncent des portes fermées et laissent ensuite la
place à des groupes plus modérés ;
• l'infiltration progressive dans des institutions sociales et de santé publique, où ils sont
finalement intégrés comme spécialistes de la question.
23 http://chrysalidelyon.free.fr/
24 D'après ler site http://www.ortrans.org/.
25 http://outrans.org/blog/
61
TEMOIGNAGES
Les témoignages qui suivent ont été recueillis par l’ensemble du groupe de la recherche-action
auprès de personnes fréquentant les groupes d’échange institués sur les territoires de l’Hérault et de
la Haute-Garonne et rencontrées lors de nos déplacements sur ces derniers (cf. Méthodologie, p. 8)
62
• LISE
Lise participe au groupe d'échange de Montpellier depuis sa création, fin 2006. Elle y trouve
dès le départ un espace où discuter des problématiques trans' au quotidien, échanger avec d'autres
qui vivent la même chose qu'elle et sortir de son isolement. Les échanges se font autour de leurs
"avancées ou non-avancées"26, de leurs "prises de têtes" avec les psychiatres, les psychologues. Les
informations fusent : qui aller voir, qui rencontrer, qui appeler..., infos que ne peuvent se trouver
ailleurs. L'important pour elle c'est que c'est un lieu d'accueil : "on est accueilli, on n'est pas jeté, on
peut discuter, être informé et c'est important". Elle a eu une mauvaise expérience à Marseille : elle
était dans un foyer avec un suivi dans un CMP ; elle est allée à l'Amicale du Nid et elle n'a "pas été
vraiment accueillie", elle n'a "pas eu d'espoir de re-rencontre, de lieu où venir pour avoir des infos".
Elle n'y a "pas remis les pieds parce qu'elle avait l'impression qu'on ne pouvait pas faire grandchose pour elle" : elle était à la rue et ils ne lui ont rien proposé, elle a été renvoyée vers un accueil
pour garçons.
Lise arrive "à la fin de son parcours". Elle vient tout juste d'obtenir l'autorisation psychiatrique pour
se faire opérer. Suivie par un psychiatre hospitalier qui ne voulait pas qu'elle prenne d'hormones,
elle a commencé sans son accord par le biais d'une personne lui "faisant passer des hormones".
Lorsqu'il l'apprend, le psychiatre la "bannit de son protocole" et elle "passe donc à Marseille" : elle
rencontre la psychiatre, le chirurgien et l'endocrinonologue : ils ne la trouvent pas prête et la
renvoient vers une psychothérapie. Ils estiment en effet qu'elle a "découvert ça trop tard pour être
une vraie trans", qu'elle aurait "dû m'en rendre compte vers 4-5 ans". Elle essaye sans succès de leur
expliquer que dans son milieu "c'était une honte d'être féminisé".
Elle choisit alors de se rendre à Lyon où elle se sent mieux accueillie : le psychiatre est "plus
ouvert" et elle obtient son autorisation d'opération.
Lise a traversé une période de trois ans de chômage suite à une incarcération. Elle est alors en
difficulté pour trouver du travail du fait de ses tenues vestimentaires. Puis elle travaille dans une
association "comme Emmaus", avant d'être employée comme agent d'entretien à Ikea pendant
quelques mois, puis à Orchestra. Pour les entretiens d'embauche, elle se présentait sous son identité
masculine et expliquait sa situation pendant l'entretien. Ensuite, elle en parlait ou pas à ses
collègues, en fonction des relations qu'elle avait avec eux. Elle n'a jamais eu de réflexions ni des
responsables ni des collègues.
Elle vient de terminer une formation d'hôtesse de l'air, qu'elle doit compléter par une formation en
anglais avant de pouvoir postuler. Elle a désormais changé officiellement de prénom et postulera
avec son prénom féminin.
• RACHEL
Rachel est "un peu malentendante" : il faut lui parler "assez fort", sinon elle n'entend pas.
Elle a commencé sa transformation en 2002. Elle n'avait pas de travail, "était dans la prostitution
depuis six ans, pour pouvoir se payer tout ça, les épilations lasers, etc.". Elle estime qu'elle était très
mal informée sur les remboursements et ne connaissait "que le trottoir pour se payer ça". Une fille
"génétique" lui a fait connaitre un jour la Babotte, qui l'a beaucoup aidée. Mais elle trouve que c'est
"dur de revenir à une autre vie professionnelle" ensuite.
Elle fait une formation sanitaire et sociale puis, l'année d'après, demande à faire la formation BEP
carrières sanitaires et sociales : elle obtient la pratique mais pas l'écrit. Puis elle cherche du travail :
"pas facile !". Une dizaine d'entretiens : tous les employeurs se montrent d'abord "enchantés" ; elle
26
Les phrases ou expression entre guillemets sont celles employées par les personnes.
63
ne disait pas qu'elle était trans’ et quand elle le disait la fois d'après ("voilà il faut que je vous
éclaircisse sur ma vie privée, je suis transsexuelle mais j'ai encore mon identité masculine") alors ils
se montraient surpris, prétendaient que ça ne posait pas de problème, demandaient quand elle
pouvait commencer et quand elle annonçait qu'elle pouvait démarrer immédiatement, ils lui disaient
qu'on la rappellerait pour signer le contrat, ce qu'ils ne faisaient jamais. Quand Rachel les
recontactait, il lui était alors expliqué qu'ils avaient trouvé quelqu'un de "mieux qu'elle".
Ensuite, Rachel décide de ne plus rien dire jusqu'à la signature du contrat ; elle indique "Rachel" sur
son CV et, le jour de la signature, elle annonce sa situation. Elle réussit ainsi à signer un CDI de
20h, ce qui lui fait dire : "comme quoi on peut y arriver, notre identité ne bloque pas forcément, il y
a des gens qui comprennent".
Actuellement, il n'y a que ses employeurs qui savent qu'elle est trans’, pas le public dont elle prend
soin (des personnes âgées), ni ses collègues. Rachel considère qu'elle n'a pas "le devoir de dire
qu'elle est trans’", qu'elle n'a pas "à mettre un écriteau, c'est déjà bien assez lourd à porter comme
ça" à chaque fois qu'elle "va à la banque ou qu'elle fait un chèque". Alors on lui dit souvent : "ah
ben ça se voit pas !".
Ce travail a permis de sortir de la prostitution. La prostitution lui a permis de devenir ce qu'elle est
aujourd'hui, de se payer ses opérations, ses habits : "ça ne lui a servi uniquement qu'à ça".
Rachel a fréquenté très tôt les "milieux homos sans en être vraiment satisfaite", ça ne répondait pas
à son sentiment de féminité. Elle s'est "toujours sentie femme", même si elle n'est pas encore
opérée. Elle sera opérée dans l'année à Lyon, car elle n'avait "pas les moyens d'aller en Thaïlande".
Elle a été suivie par un psychiatre et un endocrinologue du CHU de Montpellier : "c'est juste pour
l'opération qu'on va à Lyon". Elle a appelé elle-même la secrétaire du chirurgien lyonnais pour
prendre rendez-vous. Le chirurgien ne lui a pas demandé de reprendre l'ensemble du protocole, il
"prend la personne là où elle en est".
D'ici janvier 2011, Rachel espère "avoir son changement d'état civil". Son avocate lui a demandé si
elle était gênée de passer devant un expert pour le changement d'état civil, elle a répondu que non,
que si ça lui permettait "d'obtenir son changement, pas de problème, c'est comme d'aller voir un
gynéco".
C'est avec Rachel que le groupe de Montpellier s'est monté. Elle "bassine" alors un éducateur pour
qu'il "trouve des réponses à ses questions". Le groupe est "important parce que personne ne savait
rien, on était complètement paumés". Avec le groupe, "on réussit à avoir des infos". D'ailleurs, l'une
des participantes les "bleuffe en réussissant à faire sa transition en deux ans".
Sans doute aurait-elle évité la prostitution si elle avait connu un lieu comme celui-ci avant, parce
qu'elle aurait pu "avoir d'autres infos et faire autrement".
Pour Rachel, le fait que le groupe accueille des personnes prostituées et des personnes qui ne le sont
pas permet aux prostituées "d'éviter de le faire, parce qu'on leur propose d'autres solutions". Elle
cite l'exemple d'une personne "qui voulait se prostituer mais a pu l'éviter car la Babotte lui a
proposé un appartement relais et l'a aidée à trouver du travail". Pour Rachel, "il n'y avait pas
d'autres solutions, d'autant que ses parents l'ont très mal pris, il a fallu qu'elle se débrouille seule".
Si elle n'avait pas connu la Babotte, elle imagine qu'elle serait peut-être encore dans la prostitution.
Elle a été aidée dans sa recherche de stage, a pu faire ses CV, les imprimer, rencontrer d'autres
personnes avec un autre vécu, ce qui "ouvre des portes et des horizons".
• SAMUEL
Samuel est arrivé dans le groupe en février 2008 et participe régulièrement aux réunions
depuis. Il y rencontre Rachel et Lise notamment, au sein d'un groupe dynamique de femmes qui l'a
"adopté et réciproquement". Il ressemblait encore beaucoup à une femme biologique et ce n'était
"pas évident pour elles de l'appeler au masculin", mais ça a beaucoup évolué depuis. Il y a plus de
64
femmes à l'Amicale du Nid du fait de la prostitution, et Samuel ne connait pas de personne dans
"son cas" ayant recours à la prostitution ou à la drogue pour payer sa transition. Il lui semble que
l'isolement vécu par les ftm est plus grand avant la transition mais que, par contre, leur insertion est
très rapide ensuite. Heureusement, Internet permet de rompre cet isolement : "c'est internet qui nous
relie tous". Il aurait aimé qu'il y ait quelqu'un d'autre dans "son sens" en arrivant, mais il a été le
premier, "c'est comme ça", et il est content d'accueillir d'autres personnes maintenant.
Le groupe lui paraît pertinent dans la mesure où il permet "de trouver des réponses de vie, plus que
des réponses médicales" et, surtout, un lien amical, un lien social : il était dans "une grande solitude,
sans travail et c'était le moyen de trouver des copines".
Samuel s'est "inséré tout seul", en créant sa propre entreprise en bâtiment, puis en cherchant du
travail par le réseau. C'est difficile au début, à cause de son physique féminin : les employeurs
potentiels avaient du mal à imaginer que la femme qu'il était, avec ses formes, allait rapidement
devenir un homme, ou tout du moins "un morceau d'homme".
Samuel a été suivi par le psychiatre de l'hôpital, dont une personne du groupe lui avait donné les
coordonnées.
Aujourd'hui, il y a plusieurs ftm dans le groupe, jeunes, entre 17 et 25 ans, et il est le plus âgé. La
famille est souvent un pilier. Sa famille est loin, ils pensent qu'il est "une fille homosexuelle", bien
qu'il leur ait dit que "ça allait un peu plus loin". Mais les autres garçons du groupe ont beaucoup de
soutien de la part de leurs familles.
La présence des garçons dans le groupe change l'énergie, amène plus de réflexion et d'échanges.
Mais Samuel n'oublie pas qu'il a été élevé et qu'il a vécu pendant 30 ans "comme une femme". Il
portait des tailleurs il n’y a encore pas si longtemps. Il croit qu'ils ont tous accepté à un moment
d'être une femme. Ils se montrent leurs photos entre eux, ils "y arrivent et en déconnent". Il ne "veut
pas oublier ça", surtout quand il voit des mecs qui après leur transition ne veulent pas que leur
copine sorte de chez eux, etc.
Quand il voit une photo d'E. [un copain trans'] avant, Samuel constate que "c'était une jolie femme,
et maintenant que c'est un beau mec". Il n'arrive pas à le voir comme une femme.
Face à la crainte de certaines personnes de venir dans le groupe (peur qu'on questionne leur
transidentité) Samuel aurait envie de leur dire que dans le groupe personne ne questionne jamais
l'identité des autres : "si une personne à l'apparence masculine se présente au nom de Patricia, elle
sera accueillie comme Patricia". Tous et toutes ont vécu cette crainte au début, estimant ne pas
ressembler assez à un homme ou à une femme, renforcée par le fait que certain(e)s se trompaient
sur le prénom. Mais "le respect est là, de pouvoir se le dire, même si on ne peut pas éviter certaines
tensions ou certains échanges un peu virulents. Mais ça reste toujours productif".
Pour Samuel, la première question à poser à un(e) nouvel(le) arrivant(e) est s’il/elle a un prénom
féminin/masculin. Si la personne n'ose pas, il lui demande en tête à tête si elle a choisi un prénom
féminin ou masculin. "Cette question peut être extrêmement libératrice", insiste-t-il, pour lui "est-ce
que tu as choisi un prénom ?", est "une question essentielle et importante en terme de respect".
Samuel a été agent commercial, "avec tailleur de rigueur, seule femme au milieu d'une équipe de 12
hommes", avec son étiquette d'homosexuelle puisqu'ils avaient vu son amie. Il a dérivé vers le
bâtiment parce qu'il ne pouvait pas faire "ce qui le passionnait" - encadreur de tableau - et que ça lui
permettait de se "muscler". "Notre problème, c'est ce qu'on a dans la culotte. Ou ce qu'on n'a pas."
Samuel sait qu'il n'aura pas "une masculinité totale, quelles que soient les prothèses qu'il se mettra
dans le caleçon".
S'il avait pu rester encadreur de tableau, dans un métier minutieux et créatif, il y serait resté, mais il
a pris la perceuse parce que c'était là qu'il y avait du travail.
Pour un de ses collègues, il était un fantasme ; comme Samuel n'a pas de mal à parler de sexualité,
il en parlait avec son collègue et ils s'arrêtaient devant les mêmes filles. Mais parfois, ça devenait
un peu lourd. Un jour, alors qu'ils "bossaient en plein cagnard", le collègue était torse nu ; au bout
65
d'un moment, Samuel "n'en peut plus" et enlève lui aussi son tee-shirt sans être encore opéré : tout
d'un coup, il se sent à nouveau femme. Son collègue lui dit qu'il ne devrait peut-être pas se faire
opérer. Ou alors, on lui proposait de porter à sa place "tel ou tel truc sur le chantier", ce qu'on ne lui
propose plus maintenant. Devant la force des assignations, Samuel développe des stratégies. Avant
d'aller dans un magasin de bricolage par exemple, il se renseigne pour ne pas "avoir l'air trop bête".
Quand il dit bonjour, il sourit systématiquement ; on lui dit alors qu'il est "pédé, parce que vous en
avez vu beaucoup des hommes qui sourient quand ils se disent bonjour" ?
Pour sa transition, Samuel fréquente plusieurs médecins, dont le psychiatre du CHU de Montpellier.
S'il se plie à certaines de leurs exigences, il reste vigilant et cherche à bien se renseigner. Dans le
cadre du protocole, il a accepté de passer trois fois le test Rorschach à la demande du psychiatre,
pour voir comment sa personnalité évoluait. Il connaît un jeune ftm, opéré à Marseille, à qui l'on a
recousu le vagin à 2 cm au cours de l'hystérectomie, sans lui demander son avis. Ce serait une
pratique courante, de le faire sans demander son avis à la personne : si elle exprime le souhait de le
garder intact, on lui laisse, mais si elle ne dit rien, le chirurgien suture à 2 cm.
Quand on fait une phalloplastie, le vagin est obligatoirement fermé. Samuel se demande ce qui
justifie cela. Il estime que les gynécos sont aujourd'hui incompétents pour les accompagner. Il en a
trouvé un seul à Montpellier acceptant de le suivre, bien qu'il n'y connaisse rien. Il a essayé de
prendre des rendez-vous avec des médecins qui ont refusé, expliquant qu'ils n'y connaissaient rien.
C'est un vrai problème que les gynécos soient incapables de les suivre, voire fassent semblant de
recevoir une femme biologique à qui ils font un frottis, alors qu'ils ont un homme trans en face
d'eux.
Impossible de savoir si c'est un problème d'éthique ou de méconnaissance totale de la part des
médecins. Sans doute les deux. Mais c'est un vrai problème pour les hommes comme les femmes
trans'. Il y a un déficit dans la médecine post ou pré-opératoire assez effarant. Quand quelqu'un
trouve un médecin bien, il passe l'adresse aux autres, mais après il y a le risque que le médecin
devienne médecin pour trans', avec tout ce que ça implique.
Samuel aimerait montrer l'évolution d'un corps trans' sous testostérone : il projette de diffuser des
photos de transition, pour aider dans le choix des chirurgiens et favoriser des opérations réussies.
Pour certains, ça devient une marque de fabrique : la cicatrice est virilisée, montre qu'on a souffert
pour devenir ce qu'on est.
Samuel conclut sur le fait que le groupe d'échange formé aujourd'hui est très ouvert, qu'il permet de
vrais échanges.
REMARQUES A PROPOS DE CES TEMOIGNAGES
Il existe un postulat fondamental dans le groupe : on accueille la personne comme elle est, comme
elle se présente et il y a de multiples situations possibles, qui sont toutes acceptées. Par ailleurs, des
permanences d'accueil individuel sont proposées par le planning familial, qui peuvent
éventuellement aider la personne à aller ensuite vers le groupe.
Parfois, certain(e)s ne veulent pas participer au groupe parce qu'ils/elles "ne veulent pas aller au
bout des opérations et ont peur du groupe à cause de ça : les transformations sont très liées à la
prostitution, c'est confus, la personne parle de lui au masculin, est homo, prend des hormones fait
un peu de chirurgie mais ne veut pas se faire opérer par exemple".
Si la question du nouveau prénom peut-être libératrice, est-ce qu'elle peut produire l'effet inverse,
dans le cas où la personne voudrait rester dans un entre-deux ?
Il semblerait que non : si la personne ne s'y retrouve pas elle reviendra à son premier prénom, à
partir du moment où il n'y a pas de jugement sur ses éventuels aller-retours.
66
• GERALDINE DITE DALLY
Au cours d'échanges avec Chantal et Christian [travailleur-se-s sociaux de l'Amicale du
Nid], Dally propose de créer une association pour permettre à des personnes transsexuelles de se
rencontrer, parler entre elles, pour que l’on cesse de les regarder "comme des objets non-identifiés".
Chantal et Christian lui proposent alors de mettre un groupe en place, à l'Amicale du Nid. Quelques
années plus tard, Dally est contente de voir que le groupe se réunit toujours, même si elle ne vient
pas systématiquement, elle reste au courant par courrier.
Dally a commencé sa transformation, d’abord vestimentaire, dès l’âge de 16 ans, elle savait déjà
qu’il y avait une femme en elle, puis sa première prise d’hormones à 21 ans, l’âge de la majorité...
depuis, elle a toujours vécu dans la peau d’une femme.
A 55 ans, elle a dit “stop”. Elle ne pouvait plus se regarder dans la glace avec des seins et un sexe
d’homme, elle voulait devenir une femme à part entière.
"Nous avons été des hommes ou des femmes, des travestis, des transsexuelles. Les termes de
transgenre, transidentité, ne correspondent à rien pour moi, c’est une question d’époque."
Dally a rêvé d'être une femme toute sa vie. "La transsexualité, c'est un chemin de croix, une
souffrance". Elle a mis "quarante-cinq ans à en arriver là" et "ce n'est pas encore fini", dit-elle, "ce
n'est jamais fini".
Elle a eu la chance d'obtenir le changement d'identité 3 ans avant l'opération. Opérée en France, par
des chirurgiens français, elle a pu être prise en charge par la sécurité sociale. Elle a dû "taper des
coudes, des poings", n'a pas eu peur des réflexions. Pour demander l'opération, elle s'est présentée,
avec son avocat, devant la Commission médicale, à l’Hôpital La Grave de Toulouse, c’était en
novembre 1998.
"Il y avait plein de médecins, c'était presque les assises". On lui a posé beaucoup de questions sur
son histoire, puis une date a été choisie : le 13 janvier 1999. Même si l’intervention est réussie,
Dally rappelle l’importance du respect des consignes post-opératoires.
Après l’intervention chirurgicale, "aucune souffrance, pas le moindre mal" mais Dally s’est
astreinte à un suivi médical régulier auprès du médecin qui a pratiqué l’opération. "Il y avait aussi,
un véritable travail à faire soi-même en plus de ce suivi médical : ce travail consistait à pratiquer
deux fois par jour une pénétration vaginale pour rendre plus élastique et plus profond le vagin".
Cette contrainte quotidienne a été difficile à suivre mais nécessaire pour obtenir un bon résultat.
Dally a été mariée, a eu 3 enfants mais a coupé tous liens avec eux, ne les a jamais revus.
Son choix de mener au bout sa transformation, être femme, elle n’a pas voulu l’imposer à ses
enfants. Elle ne voulait pas leur porter préjudice dans leur vie, "pour ne pas qu’ils aient honte de
leur père". Elle n'est jamais revenue en arrière. Avec ses parents, Dally a été très claire depuis le
début : "c'est ça ou la mort".
Sa mère lui a toujours dit : "quoi que tu fasses, tu seras toujours mon enfant, la seule chose que je
ne te pardonnerais pas, c'est que tu prennes de la drogue". Dally n’a jamais "succombé à la
tentation". Aujourd’hui, quand Dally rentre chez elle, elle est "le bon Dieu" pour sa famille. Elle
témoigne de l’importance d’avoir toujours été soutenue par sa famille, c’est ce qui lui a permis
d’aller de l’avant.
Dally a eu une activité de prostitution et une activité de spectacle. Elle a commencé à Paris, alors
qu'elle était encore mineure. Prostitution de 5h00 à 10h00 du matin au bois de Boulogne, puis des
petits boulots : livreur, barman, employé de bureau...
Son idéal était de devenir femme. Elle a commencé le spectacle, a travaillé au "Carrousel", a
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rencontré les plus beaux transsexuels du monde, Coccinelle, Cobra...
Son handicap le plus important était la barbe. L’épilation a été pour elle la première démarche
effective de transformation, très chère et très douloureuse. Dally a choisi la prostitution parce que
pour elle, et, à son époque, tous les trans’ y passaient un jour ou l’autre. "Parce que c'était le seul
moyen de se payer des opérations magnifiques".
La prostitution lui a permis d'aller vers son idéal de femme. "Si il n’y avait pas eu la transsexualité,
il n’y aurait sûrement pas eu la prostitution". Elle fait des études en Algérie et rentre en France en
1964. Si elle avait pu, elle serait toujours restée dans son pays, l’Algérie.
"L'opération, les papiers, être une femme physiquement, ne pas baisser la tête quand on croise
quelqu'un... quand on a franchi tout ça, on vit normalement". Parfois, Dally s'interroge : "qu'est-ce
que je pourrais faire de plus ? Par où suis-je passée ?.... et toute cette souffrance!"
Dally fait part de quelque chose qu’elle ressent, du fait de sa transsexualité: "on peut avoir cette
double identité homme et femme et ça nous renforce, on n'a peur de rien et on peut aller jusqu'au
bout".
Dally travaille dans un quartier assez dangereux, si on l'ennuie trop, elle frappe, une des raisons
pour lesquelles elle dit que les trans' ont un dédoublement de personnalité qui leur sert.
Elle se définit comme une femme enfermée dans un corps d'homme et un homme enfermé dans un
corps de femme, l'un parle à l'autre, quand l'un flanche, l'autre le redresse : "tu as voulu devenir une
femme et maintenant tu pleures ?". C'est ce qui fait sa force.
Elle revendique : "nous sommes des êtres humains comme tout le monde, nous avons droit au
respect".
• KEVIN
"Cette force dont parle Dally, on l'a tous, vous l'avez tous, sauf que vous ne le savez pas et
que nous on le sait".
Kevin s'appelait Chantal, il a voulu faire la place à Kévin, en jetant Chantal. Une personne lui a dit
que s'il était devenu Kévin, c'était grâce à Chantal et qu'il ne devait pas l'oublier, ce avec quoi il est
d'accord.
Il trouve que c'est plus facile pour eux [les ftm] au niveau du changement physique.
Pendant le temps où il n'avait pas ses papiers, il y avait toujours "un hic" : quand on lui disait "ah
non, il faut que ce soit la personne qui fasse la demande !", alors il stressait, avait des sueurs
froides, avait envie de secouer la personne mais, finalement, il peut dire qu’il n’a rien vécu de
“vraiment dur".
Pour la chirurgie, par contre, "c'est plus dur que dans l'autre sens". Il estime avoir eu de la chance.
Kévin avait déjà rencontré le chirurgien sur Toulouse (Dr G.) et le Dr B., qui chapeautait l’équipe
quand il a rencontré trois personnes qui lui ont "sauvé la vie".
Les deux premières (M. et O., deux mtf) avaient été opérées par le Dr G., chirurgien "apprenti
boucher” de Toulouse, qui n'exerce plus maintenant, puis avaient été ré-opérées et rectifiées par un
chirurgien à Lausanne. Ce sont elles qui lui ont parlé de la Suisse.
Kévin avait peur de la phalloplastie et pensait faire une métaoidioplastie. Il a d'abord vu un médecin
à Bordeaux où il a rencontré F., la troisième personne. F. lui a raconté qu'il avait failli perdre sa
jambe droite à cause du prélèvement pour la phalloplastie.
Kévin est donc allé à Lausanne, mais il n'y avait pas de remboursement possible. Il se fait donc
"faire des certificats par l'apprenti boucher" et celui qui lui succèdera, le Dr V. Puis il retourne voir
la Sécu. Comme il y avait eu des filles mutilées à Toulouse, la Sécu a accepté la première prise en
charge.
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Il fait d'abord l'hystérectomie et l’ovarectomie, l’ablation des seins et la métaoidioplastie puis, un an
après, la phalloplastie qui a nécessité un prélèvement de peau, de nerfs, etc... pour faire une néoverge. Ça s'est bien passé dans l'ensemble. Enfin a eu lieu une dernière opération pour la pose des
implants péniens, en 2005. Depuis, tout va bien, Kévin a "juste des révisions à faire".
Là où il considère "s'être planté", c'est qu'il croyait qu'une fois les opérations terminées, tout se
réglerait dans sa vie. Or quand il a fini, il s'est rendu compte qu'il s'était trompé : les problèmes au
boulot ce n'était pas la transidentité, c'était lui. Tout comme ses infections urinaires, il les avait déjà
à la base.
“Il y a encore du travail d'acceptation à faire dans sa tête pour s'approprier ce nouveau corps, le
regard des autres, etc.”, dit-il.
Il voyait bien qu'il avait du mal à trouver du travail et croyait que c'était parce qu'il était trans'. Il a
travaillé dans l'animation, mais c'était compliqué quand il allait à la piscine avec les jeunes. Il a
arrêté pour devenir ambulancier, mais il était en difficulté avec son CV et sa carte d'identité.
Alors, il est allé aux entretiens d’embauche en mettant Kevin à la place de Chantal sur les CV et ça
a marché. Il a réussi à avoir un CDI. Il ne parlait de sa transidentité que lorsqu’ils lui disaient que
c'était ok pour l'embauche.
Il a demandé deux fois le changement d'état civil : la première fois après la métaoidioplastie, on lui
a répondu qu'il n'était pas stérile, qu'il pouvait revenir en arrière. Il semble que le Tribunal n’ait pas
compris la nature de l’intervention. Il a été accepté à la deuxième demande, après la phalloplastie.
Auparavant, il avait fait refaire sa carte d'identité avec une photo où il avait la barbe. A la banque, il
leur avait demandé : "vous voyez qui en face de vous ? Une nana ?", alors, ils ont accepté de ne
marquer que l'initiale de son prénom.
Maintenant il a ses papiers mais c'est "comme un boomerang". Cela va faire trois ans qu'il est au
chômage. Au niveau des indemnités, il a été en ARE (Allocation d'aide au Retour à l'Emploi)
puis en ASS (Allocation de Solidarité Spécifique), il devait prouver cinq ans de travail. Comme il y
avait une alternance de Chantal/Kévin, c’était compliqué, cela lui donnait l'impression "de devoir
baisser son froc à chaque fois". Quand il a été clair sur sa situation avec la personne de l'ANPE, le
dossier est passé. Il a apporté l’explication de cette alternance en fournissant dans le dossier, la
copie intégrale de l’acte de naissance.
En 1998, quand il est allé voir le sexologue pensant être homosexuel et ne l'acceptant pas, le
sexologue lui parle de transsexualité. Kévin ne connaissait même pas le nom, il ne savait pas ce
qu'il avait. Son mal-être retentissait sur l'emploi mais ça n'expliquait pas tout.
La transition ça n'a rien changé pour son travail. “C'est l'euphorie après la phalloplastie, puis c’est
la chute, la redescente, on réalise que non, ça ne change rien à ses problèmes”.
Kévin n'aime pas le mot protocole, qui cache du bien mais surtout du mauvais.
En France, c'est carré, il y a des règles, ça doit se passer comme ça, mais en fait, ils font comme ils
veulent et comme ils peuvent : "on est des cobayes pour eux". Pour exemple, en 1999,
l’endocrinologue de l’équipe toulousaine prescrit à Kévin un double traitement hormonal, le
premier (testostérone) adapté, mais un second, sensé faire accélérer le processus, qui sera remis en
cause par le chirurgien Suisse, pas nécessaire et dangereux. Par contre en Suisse, ce n'est pas du tout
protocolaire.
Au niveau familial, la transition a été douloureuse. Pour Kévin, le soutien familial dont il a cru
bénéficier a été un leurre. Il s'en est rendu compte quand son père est décédé. Sa tante parle encore
de lui au féminin. Il n'a jamais eu de place dans sa famille et il pense qu'il n'en aura jamais, sauf
pour son père. C'était pour ne pas faire de peine à son père, qui l'a beaucoup aidé, qu'il voyait les
autres. Sa mère le défendait au début puis ça a changé, elle s'est remise à l'appeler par son ancien
prénom alors que cela faisait plus de dix ans qu'il prenait des hormones. Kévin aurait préféré qu'ils
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lui ferment la porte. À l'enterrement de sa grand-mère, une ancienne voisine ne le reconnait pas et
demande "où est Chantal ?", ce à quoi sa tante répond qu'elle n'existe plus.
Kévin estime que ce n'est pas difficile seulement pour eux (la famille), qu'on ne parle que de leur
difficulté à eux, et lui ? S'il en est là, il considère que c'est uniquement grâce à lui, pas à eux, à lui et
à son père.
• SOPHIE
Sophie confirme que l'on peut être en difficulté dans un milieu professionnel parce qu'on est
focalisé par sa transition et qu'on ne peut pas s'occuper d'autre chose. On parle de choix mais pour
elle, à part choisir de ne pas mourir, on ne choisit pas grand-chose. Une fois la transition finie, c'est
comme si on enlevait un grand poids et qu'on pouvait se concentrer sur autre chose.
Sophie préfère parler de parcours plutôt que de protocole. Il en va des trans’ comme de tous les
êtres humains, il s'agit de parcours individuels, on est tous différents les uns des autres.
Sophie souligne l'importance des groupes comme celui mis en place à l'Amicale du Nid à l'initiative
de Dally.
Il y a trente-cinq ans en arrière, il était impossible de trouver des informations en dehors des médias
qui parlaient de drogue, prostitution... De nos jours, l’accès à l'information est facilité, notamment
grâce à internet. Mais sur internet, l’information disponible n’est pas toujours fiable, on trouve de
tout et de n'importe quoi. Le groupe permet un accès à des informations vérifiées ou au moins
étayées par des témoignages et offre en plus de la chaleur humaine et de la sécurité. Parce que ce
qui "nous rend heureuses, devenir ce qu'on veut être, rend souvent malheureux nos proches" : le
groupe permet de rencontrer des personnes neutres avec qui il est finalement possible de devenir
amies, alors que les proches n'acceptent pas forcément tout de suite de "nous voir devenir nousmêmes".
En ce qui la concerne, Sophie exerce encore en tant que "il", comme cadre dans une administration.
Elle a prévu son coming-out professionnel très prochainement. Elle était jusqu'ici dans la crainte de
la rupture et de se mettre en difficulté dans son travail. Comme elle arrive à la fin d'une mission,
elle compte en profiter pour faire son coming-out avant de repartir sur une autre. Dans cet objectif,
Sophie s’est fait conseiller par un juge des prud'hommes et prévoit de bâtir un dossier avec une
lettre explicite, des photos pour montrer à quoi elle peut ressembler (pour casser l’image un peu
sulfureuse et montrer qu'on peut être quelconque), des attestations de médecins et notamment de
psychiatres. Elle prendra un congé et laissera son dossier à son employeur avant, en lui proposant
de trouver ensemble la meilleure solution possible pour l'entreprise et pour elle. La direction, c'est la
première chose. Puis, il y a les collègues, qui ne sont pas familiarisés avec ce monde-là : il va falloir
arriver à faire en sorte que ça se passe bien ; c'est ce qui interroge le plus Sophie. Elle suppose que
c'est le temps qui va aider : "au début ça paraît extraordinaire puis on s'habitue". Elle va dire à son
employeur que, jusqu'ici, elle n'a travaillé qu'à 30% de ses capacités, parce qu'elle était trop prise
par autre chose et lui demander d'imaginer ce qu'elle pourrait faire pour l'entreprise avec 100% de
ses capacités.
Sophie est consciente que tout le monde n'est pas armé psychologiquement pour faire front et elle
trouve vraiment important de trouver du soutien dans une association comme l'Amicale du Nid.
Pendant le début du parcours, c'est très dur à porter et il ne faut pas s'étonner que les personnes
soient dépressives, en difficulté. Maintenir un emploi peut alors être très dur. C’est pourtant, de son
point de vue, un facteur déterminant d’intégration sociale.
Comme les trans' revendiquent d'être considérés comme les autres, Sophie estime qu'il est donc
important de réussir à négocier intelligemment dans le cadre légal existant. Elle défend toujours la
pédagogie. Elle sait que la “problématique trans’ peut générer de l'irrationnel chez les autres et du
pulsionnel : angoisse de castration, etc. et quand c'est le patron qui ressent ça, c'est très compliqué.
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Quant au soutien familial, quand ça se passe bien c'est fondamental mais les coups pris sont très
durs. Pendant trois mois, son père a refusé de la voir, c’est sa sœur et sa mère qui ont assuré le
maintien du lien familial, puis, l’ensemble de la famille a été mis au courant et a exprimé son
soutien. Ainsi après cette période nécessaire pour "intégrer" le changement de sa fille, le père de
Sophie a accepté de la voir à nouveau et assez rapidement, leurs rapports sont rentrés dans une
normalité. Toutefois, les parents de Sophie ont continué à parler d'elle au masculin quand elle n'était
pas là, pendant presque deux ans. Ils avaient (et auront certainement longtemps au fond d’eux)
l'image de ce qu'elle a été et ils avaient du mal à la changer. Mais l'important c'est qu'ils ne lui
ferment pas la porte. Sophie reconnait que c'est pour eux comme une bombe atomique. Il faut alors
accepter de prendre des coups, d'être déchirée, et de laisser le temps au temps. Elle précise d'ailleurs
que quand on s'ouvre aux autres, c'est que ça a mûri dans notre tête depuis des années alors qu'eux
l'apprennent brutalement. Il ne faut pas s’attendre à ce qu'ils puissent l'accepter tout de suite. Elle
pense qu'il y a très peu de familles où ça doit se passer facilement, qu'il faut toujours du temps. Au
bout du compte, après trois ans, Sophie est parfaitement intégrée auprès de sa famille, sa mère parle
même d’elle au féminin quand elle évoque des souvenirs concernant Sophie enfant.
Cela plaide en faveur de l’idée que même si les personnes trans’ sont toujours pressées d’être
acceptées telles qu’elles sont, il faut laisser à la famille le temps d’accepter les choses.
En tout cas elle ne conseillera jamais à quelqu'un de rompre avec sa famille.
Par ailleurs, Sophie a fait son “coming out” auprès de toutes les personnes (amis, voisins) qui la
connaissaient en dehors du travail.
Elle précise qu’elle a contacté individuellement une bonne trentaine de personnes, puis a laissé faire
le bouche à oreille, quitte à s’expliquer a posteriori avec celles et ceux qui n’avaient pas été
contactés directement.
Malgré les craintes qu’elle pouvait avoir a priori, Sophie a été parfaitement acceptée par l’ensemble
de ses amis et a très rapidement et très naturellement trouvé "sa place" au sein du groupe.
Cela conforte l’hypothèse qu’elle avance et selon laquelle la personne la plus sévère à l’égard de
nous, c’est souvent nous même.
Sophie souligne, là encore, l’importance de disposer d’un réseau social et précise que cette
intégration ne peut la plupart du temps se faire que lorsque l’évolution de la personne lui a permis
d’obtenir une apparence et un comportement qui ne soient pas jugés dérangeants par les autres.
Cette maturité tant physique que psychologique ne s’exprime pas toujours dans les premiers temps
de la transition, ce qui souligne l’importance de structures telles que l’Amicale du Nid pour, en plus
d’informer, accueillir, écouter, réconforter les personnes en début de parcours.
REMARQUES A PROPOS DE CES TEMOIGNAGES
Sophie a fait un choix de stratégie d'annonce à son employeur : on remarque généralement que ce
type de choix favorise l'annonce de transition dans l'entreprise. D'où l'importance de la force morale
pour être capable de faire son coming-out tranquillement, sachant qu'il faut toujours du temps, quoi
qu'il en soit. Quand on met son identité au jour, il faut accepter que les personnes fassent le même
chemin que soi-même pour réaliser ce qu'on est en train de devenir.
Dans les témoignages entendus, on constate encore cette discrimination bi-polaire sur des métiers
très genrés : Lise hôtesse de l'air, Rachel dans le médico-social et Samuel dans le bâtiment. Ça vient
renforcer l'identité. Le projet professionnel de Lise lui a permis d'introduire son prénom féminin
dans son CV par exemple. Cela peut enfermer aussi, mais s'avère utile pour répondre à : quelle
femme ou quel homme suis-je en train de devenir ? Il arrive aussi que ce soit le métier que la
personne voulait faire avant sa transformation.
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Globalement, cela interroge sur ce qu'est un métier de femme ou d'homme dans notre société : une
cuisinière est une "petite" cuisinière, un cuisinier est un grand chef; idem pour
couturier/couturière... Si notre société n'était pas si normée et si bi-polarisée, que se passerait-il ?
Beaucoup de personnes reçues à l'Amicale du Nid veulent être dans le soin, l'aide aux autres : c'est
aussi dû à leur histoire. Des personnes, en dehors de la prostitution, ont été assignées dans des
métiers du fait de leur genre puis se sont réorientées vers 40-50 ans : il nous paraît important d'être
attentifs à ne pas empêcher les personnes d'aller vers des métiers qui sortent des stéréotypes.
Mais on ne doit pas oublier pour autant qu'il peut être utile pour une personne trans' d'aller vers des
métiers très normatifs, que ce soit pour répondre à un désir de tranquillité, pour correspondre
complètement à la nouvelle assignation, pour se "noyer dans la masse" (et ce d'autant plus que dans
les protocoles médicaux il est contre-indiqué d'afficher la volonté d'exercer un métier à priori
réservé au genre opposé auquel on aspire). De plus, certains métiers développent trop la
musculature au goût des personnes en processus de féminisation par exemple.
Sur un autre registre, il est intéressant de mesurer l'utilité des groupes qui permettent le partage de
témoignages sur la question de l'environnement familial, le désir d'enfant, ce qu'on attend des
relations sexuelles après l'opération, etc. : cela permet l'échange et fait médiation.
Il est vrai que l'on accepte souvent plus de ses pairs : on n'a pas l'impression de recevoir de leçons
puisque c'est un échange de vécus et non pas de "il faut que".
Kévin, Sophie et Dally ont exprimé le fait d'être heureux d'être là, de témoigner devant notre groupe
et de participer ainsi à notre recherche-action : c'est un temps de plus dans notre histoire commune.
Il y a de manière très explicite de leur part le souhait de continuer et de faire avancer les choses.
C'est touchant et encourage dans ce type de projet.
Il semble impossible de détacher la question de l'insertion professionnelle du reste : la transition, la
famille... Peut-on un jour être rassuré sur le fait d'être accepté par sa famille ? Tout est-il gagné de
façon définitive ? Est-ce que chercher l'apaisement grâce à l'acceptation par l'autre relève de
l'impossible ?
Il n'y a vraisemblablement pas de règle générale sur le sujet, puisqu'il y a autant de possibilités que
de familles. Il est nécessaire pour les personnes en transition d'être conscientes que c'est un modus
vivendi : il leur faut parfois être plus qu'irréprochable pour qu'on ne leur renvoie pas leur
transidentité. Mais c'est vrai aussi pour quelqu'un qui a fait de la prison par exemple.
Les témoignages illustrent que plus les personnes sont rassurées du côté de la vie affective et
familiale, plus elles sont en mesure d'affronter les problématiques liées à l'emploi.
Il est à noter que, sur le plan affectif et sexuel, il y a un écart énorme entre les hommes et les
femmes trans', puisqu'à l'heure actuelle, étant donné les chirurgies encore insatisfaisantes, les ftm ne
peuvent plus cacher leur situation au moment des relations sexuelles, alors que les mtf peuvent
donner le change.
Il est globalement question des attentes que chacun met dans la transformation : plus l'attente est
importante par rapport au changement, plus la déception risque d'être grande après, quand les
personnes se rendent compte que tout n'a pas été réglé.
Cela confirme la nécessité de mettre en place un maillage de travailleurs sociaux permettant
aux personnes de s'interroger en amont sur toutes ces questions.
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D'UN TERRITOIRE A L'AUTRE :
ETAT DES LIEUX DES PRATIQUES
DE L'AMICALE DU NID
73
• PARIS
L’établissement de l’Amicale du Nid Paris est composé de deux pôles :
• Le pôle actions extérieures : propose des actions de travail de rue et de prévention. Il est
composé de sept personnes : un chef de service, trois médiateurs santé, une éducatrice
spécialisée, un moniteur éducateur et une secrétaire.
• Le pôle accompagnement social : propose des suivis sociaux individuels de la personne. Il
est composé de quinze personnes : un chef de service, douze travailleurs sociaux (assistants
sociaux et éducateurs spécialisés), une chargée d’insertion professionnelle et une secrétaire.
Lors de nos tournées avec l’antenne mobile ou au service, nous sommes amenés à rencontrer de
nombreuses personnes transidentitaires qui ont été ou qui sont en situation de prostitution.
Pour celles qui désirent arrêter, il est difficile de trouver une reconnaissance sociale de part leur
transidentité. Accéder à une formation ou à un emploi est très compliqué, notamment parce que leur
« identité administrative » (passeport, carte d’identité et numéro de sécurité sociale) est en
discordance avec leur apparence physique.
De plus, ce sont souvent des personnes en situation irrégulière, non diplômées avec une expérience
professionnelle limitée (emplois informels au pays). Les personnes trans' en situation de
prostitution sont particulièrement désocialisées. Elles partagent leur temps entre lieu de prostitution
et domicile. Elles ont intégré au quotidien les codes vestimentaires, les attitudes et le langage
utilisés sur leur lieu de prostitution.
Ces comportements sont un obstacle à leur recherche d’emploi et leur insertion en général. Au-delà
de critères moraux, il nous semble pertinent de leur faire prendre conscience des « attitudes » qui
sont attendues vis-à-vis d’un employeur.
A- LE POLE ACCOMPAGNEMENT SOCIAL
En 2010, nous avons reçu 460 personnes dont 40 personnes transidentitaires ; douze d'entreelles étaient en situation irrégulière.
Souvent marquées par des années de vie en marge, les personnes qui nous sollicitent se disent
isolées dans leur vie présente mais aussi dans leur histoire, n’ayant de lien qu’avec un groupe de
pairs parlant la même langue.
En effet, beaucoup de personnes parmi celles qui nous préoccupent sont d’origine étrangères avec
ou sans papiers et ne maitrisant pas le français.
Avant même que se pose la question de la transidentité, la demande d’insertion est bien freinée :
prostitution de misère, problème de papiers, problèmes de langue.
L’accès aux minima sociaux n’est pas toujours envisageable sachant d’autre part que beaucoup de
personnes n’ont pas d’hébergement stable et souvent plus d’hébergement à l’arrêt de la prostitution.
Quelle que soit la difficulté, elle est souvent réglée dans l’urgence, au jour le jour. Il est difficile de
se projeter, d’avoir des envies pour soi de penser à se préserver, à se soigner.
Les problèmes de santé, parfois graves (ALD), sont très présents d’autant plus qu’ils ne sont pas
traités au fur et à mesure. La couverture médicale doit être mise en place quand cela est possible.
Quand certaines priorités commencent à se régler, les questions relatives à la transidentité, viennent,
se parlent.
Concernant l’appellation, comme dans les autres régions, nous nous adressons à la personne dans le
genre qu’elle donne à voir. Pour certaines, la question ne se pose pas, c’est en entretien que l'on
découvre sa transidentité, lorsqu'elle se présente : « je suis transexuelle, je suis une femme
transexuelle… ».
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Pour d’autres, nous sommes en difficulté, tant les traits sont exagérés et/ou laissent apparaître du
féminin et du masculin. Certaines personnes reviennent sur les transformations qu’elles ont faites
ou commencées. Elles sont très marquées physiquement par toutes ces années d’errance, leur visage
et leur corps témoignent d’un vécu douloureux et, pour certaines, des prises de toxiques qui ont
laissé des traces. Elles viennent nous voir pour commencer autre chose, essayer de vivre autrement.
Quand la question de la transidentité est très présente, quand elle tend à prendre toute la place, il
arrive que nous soyons démunis, que nous souhaitions "une aide psy". Non pas pour influencer un
choix de la personne mais pour nous assurer que la personne peut prendre une décision pour ellemême. On ne cherche pas l’aval du "psy" concernant les choix à faire à propos de la transition, mais
son aval pour confirmer la capacité de la personne à prendre une décision éclairée.
Il est important de noter qu’un certain nombre de ces personnes ont des pathologies psychiatriques.
Il est alors difficile « d’extraire » la question de la transidentité de la situation globale de la
personne.
Notre "boîte à outil" nécessite d'être très fournie puisqu’elle doit déjà pouvoir répondre à des
essentiels très différents : hébergement, logement, santé, soins, prévention, ressources au quotidien,
"insertion professionnelle", ouverture de droits.
Quand une personne se présente à l’association et souhaite procéder à une réassignation sexuelle, le
travailleur social la met en contact avec une instance médicale, de manière à ce qu’elle puisse
obtenir les informations nécessaires.
En effet, de notre place, à partir de notre connaissance de la question identitaire et en lien avec les
missions de l’association, nous nous appuyons sur des experts désignés et accessibles aux personnes
(avec la couverture médicale : AME ou CMU). Démunis, et à défaut d’associations spécialisées
existantes en région parisienne, les travailleurs sociaux utilisent cet espace comme une garantie.
B- ETUDE PRO-SANTE
Durant l’année 2010, une enquête santé à été menée par une médiatrice de santé travaillant
à l’Amicale du Nid Paris, afin de dresser un état des lieux sur le rapport à la santé qu’ont les
personnes en situation de prostitution : état psychologique, conséquences de la prostitution, rythme
de vie, etc.
Cette étude a été lancée par la FNARS et l’INPES. L’Amicale du Nid Paris s’est engagée à faire
remplir cent questionnaires. A ce jour, quatre-vingt-dix-neuf enquêtes ont été menées, dont
cinquante concernent des personnes transidentitaires.
Cette enquête a pour objectif d’obtenir des informations sur l’état de santé des personnes comme
par exemple de mesurer la connaissance qu’a la personne du VIH et des MST. Une fois les enquêtes
remplies, les personnes peuvent se rendre à l’hôpital effectuer un bilan de santé complet (test hiv et
autres IST, mise à jour des vaccins), en étant accompagnées par un travailleur social.
A travers l’enquête, on s’aperçoit qu’une majorité de personnes transidentitaire prennent des
médicaments type antidépresseurs. Mais aussi des substances psycho actives : drogues licites ou
illicites ( alcool, cocaïne etc..), anxiolytiques.
Beaucoup des personnes interrogées parlent de leur souffrance (l’idée du suicide est souvent
évoquée), de la difficulté de l’activité de prostitution, de la précarité de leur situation (avec un
quotidien où il est dur de se payer une chambre d’hôtel et de se subvenir à ses besoins
alimentaires). Elles abordent également leur sentiment de ne pas être reconnues en tant qu’être
humain du fait de leur transidentité, d'accès au logement compliqués et de la violence quotidienne
entre elles sur leurs lieux de prostitution (violence physique et verbale). Une majorité d’entre elles
sont immigrées. Elles relatent que vivre en France sans papiers empêche leur insertion et les pousse
à se marginaliser à travers la prostitution.
Cette enquête a mis à jour la demande massive d’un espace de discussion autour de la santé.
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L’Amicale du Nid 75 a donc mis en place un groupe d'échange autour de la thématique de la santé
tous les premiers lundis du mois.
Dans cet espace, les personnes transidentitaires peuvent échanger sur des aspects de santé les
concernant (hormonothérapie, problèmes suites aux injections clandestines de silicone, IST,
conséquences du rythme de vie dû à une activité prostitutionnelle).
L'une des problématiques sanitaires repérée est la prise chaotique d’hormones : il est très fréquent
que les personnes transidentitaires se fassent des injections d’hormones achetées à l’étranger ou au
marché noir, en dehors de tout suivi médical. Ces prises d’hormones "sauvages" peuvent avoir des
conséquences graves sur la santé, notamment pour les personnes atteintes du VIH du fait des
interactions avec la trithérapie. C’est l'un des aspects que nous abordons avec elles.
De plus, les personnes trans' touchées par le VIH et en situation de prostitution ont des difficultés à
respecter une bonne observance de leur traitement à cause de leur rythme de vie éprouvant. Le
travailleur social, qui anime le groupe d'échange, tente de repérer quels sont les freins à la prise
régulière du traitement et rappelle aux participant-e-s l’importance d’une stricte observance pour
leur santé. Il favorise également leurs échanges à propos de ces difficultés afin qu'émergent
éventuellement des solutions concrètes entre elles.
C- ACTION PRISON
L’Amicale du Nid Paris a signé une convention avec la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
pour intervenir une fois par mois dans le quartier spécifique où sont accueillies les personnes
transidentitaires incarcérées.
Afin de garantir au mieux leur sécurité au sein de la maison d’arrêt des hommes, une aile leur est
réservée. Du fait de leur transidentité et dans un souci de protection, aucune activité au sein de la
maison d’arrêt ne leur est accessible : seule une heure de bibliothèque par semaine et une demiheure de promenade quotidienne leur permettent de sortir de leur cellule.
Deux travailleurs sociaux de notre service vont à leur rencontre pour leur proposer un temps de
parole et de réflexion, qui leur offre la possibilité d’évoquer leur histoire de vie.
A ce jour, les personnes rencontrées ont eu une activité de prostitution avant leur incarcération.
Celle-ci peut être due à des agressions commises dans le milieu prostitutionnel ou à des usurpations
d’identité. Aucune de ces personnes ne se projette hors milieu prostitution à sa sortie.
Le service médical de la prison tient compte de leurs besoins sanitaires, assurant un suivi
psychologique et psychiatrique. Il semblerait que le service pénitencier porte une attention
particulière à cette population. Pour exemple : une personne transidentitaire française, opérée depuis
plus de vingt ans (vaginoplastie) mais sans changement d'état civil, a été incarcérée dans ce quartier
spécifique de la maison d’arrêt des hommes. A son arrivée, l’établissement pénitencier s’est
interrogé quant à l'espace d’incarcération le plus adapté : maison d’arrêt des femmes ? maison
d’arrêt des hommes ? Il opte finalement pour le quartier des hommes parce que cette personne se
réapproprie son identité masculine depuis trois ans et qu'elle est redevenue un homme en apparence.
• HAUTS-DE-SEINE
Remarque préalable : les collègues des Hauts-de-Seine n'ont pas pu suivre l'ensemble de la
recherche action. La description faite ici du service reste donc très succincte.
Le service a mis en place un AAVA (Atelier d’Adaptation à la Vie Active), dit Atelier Dagobert, au
centre de Colombe. Il accueille des personnes en danger ou en situation de prostitution : hommes,
femmes, personnes transgenres... Cet accueil existe depuis cinq ans. L'équipe s'est trouvée en
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difficulté quand les personnes se présentaient avec un genre différent et, jusqu'il y a deux ans, elles
devaient se présenter dans leur genre de naissance pour être accueillies à l'atelier (sur conseil du
psychiatre).
L'atelier compte quatre encadrants techniques ; le pôle accueil, six travailleurs sociaux.
• MONTPELLIER
En 2006, l’Amicale du Nid à Montpellier, dit La Babotte, a mis en place une réunion
mensuelle dénommée « Lieu de parole pour personnes transgenres ». Ce projet a été pensé comme
un lieu de parole et non pas un groupe de parole, dans la mesure où cette deuxième acception
recouvre des instances à but thérapeutique ; aujourd’hui ces temps de rencontre sont appelés
« Groupe d’échange ». Les travailleurs sociaux de La Babotte sont partis du présupposé que ce
groupe nécessite l’investissement des participants pour avoir du sens, il est évident que leurs
souhaits, motivés et argumentés, sont aujourd’hui la base du déroulement et de l’organisation de
celui-ci.
Les personnes bénéficiaires de ce projet sont celles qui sont ou se sentent concernées par les
problématiques liées à l’identité de genre, sans condition de suivi à l’association. Ces temps de
rencontre sont co-animés par un travailleur social de La Babotte et Mme Camille BERNARD du
GEsT (Groupe d’Etudes sur la Transidentité). Cette double animation nous paraît importante car,
d’une part le travailleur social représente l’institution, garant de l’accueil et du bon déroulement des
séances ; d’autre part le savoir-faire et l’expérience du GEsT sont des ressources incontournables.
Le constat de départ de ce projet est triple :
- Plusieurs personnes ont formulé des requêtes auprès des travailleurs sociaux de La Babotte
portant sur une demande d’information ou d’accompagnement concernant des aspects de la
problématique d’identité de genre (comme les effets des hormones ou le protocole de réassignation
sexuelle). Ces demandes ont également porté sur l’accompagnement dans des démarches déjà
entamées auprès des professionnels de santé qui s’occupent de ces problématiques.
- La stigmatisation dont ces personnes font l’objet dans la société est un autre des constats à
l’origine de cette initiative, avec l’idée de les accueillir en prenant en compte avant tout en tant que
sujet.
- Le troisième constat est l’ampleur des représentations réciproques, c'est-à-dire celles qui sont en
action dans la société vis-à-vis des personnes trans’ mais également à l’inverse, celles existantes
chez les personnes trans’ à l’encontre des administrations, des employeurs, des personnes
« autres ».
Le but de ce groupe est de permettre des échanges autour des questionnements des personnes dans
un lieu neutre, où la parole de chaque participant est prise en compte et où chacun peut s’exprimer
dans le respect des autres. Il s’agit de pouvoir donner des informations fiables à ceux et celles qui
en demandent et de sortir de l’aspect un peu « fantasmatique » que ces questions peuvent recouvrir,
même pour les personnes concernées directement.
Un autre objectif de ce lieu de parole concerne ce que l’on peut appeler « le ghetto transgenre »,
c'est-à-dire le phénomène communautaire qui peut être parfois très enfermant, et dont les personnes
peuvent avoir beaucoup de mal à s’extraire. L’idée est que ce lieu puisse agir en prévention à ce
niveau, en apportant un regard positif et non jugeant, mais aussi en permettant aux personnes de se
rencontrer et d’échanger autour de ce que recouvre la démarche trans’. Il est question d’un temps
d’information pour les personnes, ainsi que d’un moment d’échanges et de partages autour de leurs
attentes et de leurs propositions. Se rendre compte que l'on n'est pas la seule personne qui à se poser
77
certaines questions est un prémice pour rompre l’isolement.
Mais ce groupe a eu, par moments, d’autres fonctions que celle d'informer. Ainsi, quand une
personne participante a évoqué la possibilité de commencer à se prostituer, le groupe a exercé une
fonction de régulation en la dissuadant d’aller au but de sa décision. La personne en question
voulait commencer la prostitution parce qu'elle n’avait pas de travail et désirait partir à l’étranger
pour se faire opérer. Finalement, elle n’est pas « passée à l’acte » et a trouvé d'autres moyens pour
terminer sa transition. Aujourd’hui, elle reconnaît l’aide que la position du groupe lui a apporté.
Dès le début de cette action, les travailleurs sociaux de l’Amicale du Nid ont considéré que ce lieu
de parole ne serait pas un espace où parler prostitution, mais ils ont accepté que cette question
puisse être abordée. Il était également nécessaire d’être très attentifs à l’effet « fascination » qui
peut s'exercer sur les personnes les plus jeunes, et sur celles qui débutent leur questionnement ou
leur démarche de réassignation sexuelle.
Une charte des engagements de chacun a été rédigée et proposée aux participants. Elle a été signée
par chaque personne présente aux premières réunions.
Avant de démarrer cette activité, les membres de l’équipe se sont beaucoup interrogés, non tant sur
son bien fondé mais plutôt sur leurs capacités à mener à bien ce projet. Il était sans doute question
des représentations mais aussi de la relative ignorance autour des questions de transidentité et des
protocoles de réassignation sexuelle. L’ensemble de l’équipe a rencontré la psychologue clinicienne
de l'équipe médicale pluridisciplinaire marseillaise afin de mieux comprendre les différentes
typologies des troubles de l’identité sexuelle, ainsi que certains enjeux de la problématique
transidentitaire, notamment ce qui concerne les risques de manipulation auxquels les travailleurs
sociaux auraient pu se trouver confrontés lors de ces réunions.
Au fil du temps des relations se sont tissées à l’intérieur du groupe, permettant aux personnes de se
rencontrer aussi dans d’autres lieux et temps. Après chaque réunion à La Babotte les personnes qui
le désirent se retrouvent dans un restaurant de la ville pour terminer la soirée autour d'un bon repas.
Cela peut paraître anecdotique mais, quand on écoute les récits des personnes qui font état de
solitude, de stigmatisation et de rejet, on se rend compte de l’importance que cela peut avoir de
pouvoir sortir entre pairs sans faire l’objet d’injures ou appréciations peu galantes. De plus, cette
sortie au restaurant est ouverte aux personnes qui, tout en se considérant concernées par la
problématique trans', n’ont pas pour autant envie de participer aux réunions du groupe à La Babotte.
• TOULOUSE
A Toulouse, l’équipe est composée de cinq travailleurs sociaux, un responsable de service et
une secrétaire.
Une éducatrice spécialisée est spécifiquement attachée aux actions de prévention et de formation,
les quatre autres travailleurs sociaux, deux assistantes sociales et deux éducateurs, interviennent
dans la rencontre, l’accueil et l’accompagnement des publics.
Les personnes transidentitaires sont rencontrées dans le cadre du travail de rue pour celles qui sont
en situation de prostitution, dans le cadre des permanences d’accueil collectif, dans celui des
accompagnements individuels, ainsi que dans celui de l’action spécifique (groupe d’échanges) mise
en place pour les personnes trans’. Deux travailleurs sociaux de l’équipe sont porteurs de cette
action.
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A- ORIGINE DU GROUPE D’ECHANGES
Depuis la création du service à Toulouse, les équipes ont toujours rencontré des personnes
transidentitaires, soit à l'occasion du travail de rue, soit pour les accompagner individuellement. Ce
travail d’accompagnement individuel continue d’exister dans le service, mais il s’est enrichi d’une
nouvelle action, collective celle-ci.
Au-delà des difficultés personnelles sur la question de l'identité de genre, nous avions repéré de
façon quasi générale que les personnes transidentitaires vivaient un très fort sentiment de rejet,
associé à un isolement social et souvent à une rupture au niveau familial. Ce constat nous amenait à
penser qu'il serait opportun de créer un espace permettant à ces individualités dispersées de se
rencontrer, d'autant qu'il n'existait pas à Toulouse de lieu offrant cette possibilité.
Une rencontre est venue mettre un terme à nos hésitations et a été décisive pour l'inventer.
Au mois d'avril 2002, à l'occasion de notre intervention en journée dans la rue, Dalida, une
personne transidentitaire, exprime son souhait de rencontrer d'autres personnes trans’. Nous avons
pris le temps d'explorer cette parole évocatrice d'un réel désir, venue réveiller et donner du sens au
nôtre. L'équipe a rapidement validé ce qui apparaissait là comme le germe d'une initiative à
poursuivre.
Les deux travailleurs sociaux (assistante sociale et éducateur spécialisé) ayant rencontré Dalida, ont
souhaité prolonger le tandem en s'impliquant pour la suite. En étroite collaboration avec Dalida,
nous avons rédigé une invitation à l'adresse de toutes les personnes susceptibles d'être intéressées.
En apposant sa signature aux côtés des nôtres, Dalida signifiait clairement à ses pairs son adhésion
et son implication dans le projet. (Cf. en annexe la copie de la lettre envoyée le 23 avril 2002)
B- OBJECTIFS ET CADRE DU GROUPE D'ECHANGES
•
•
•
•
Les objectifs énoncés dans cette invitation étaient les suivants :
créer un réseau, une solidarité, une occasion de se connaître et d'être moins isolé-e-s ;
échanger sur les expériences, les savoirs et les savoir-faire ;
partager des informations, des adresses ;
réfléchir à des initiatives pour se faire connaître à l'extérieur et contribuer à une modification
des représentations.
Les objectifs généraux que nous voulions poursuivre étaient :
• lutter contre la transphobie,
• participer au changement des mentalités.
La première rencontre du groupe a eu lieu le 6 mai 2002 ; les rencontres ont d'abord été mensuelles
puis tous les deux mois (pour des raisons liées à un manque de moyens au niveau du service).
Au fil du temps, le groupe a été amené à se positionner tant sur le fonctionnement interne qui
prévaut dans les aspects relationnels que sur sa composition :
• Les échanges se veulent spontanés, sincères et respectueux des différences, les règles sont
donc le respect de l'autre, de sa différence, de ses choix, le non-jugement, la confidentialité
et l'anonymat
• Il est impératif de se dégager des querelles (surtout dans le milieu prostitutionnel) pour se
retrouver autour de préoccupations communes
• Toute personne concernée par des interrogations sur la transidentité peut rejoindre le groupe
• Le groupe est ouvert aux personnes trans’ quel que soit le sens de leur transition : homme
vers femme ou femme vers homme.
79
•
•
Le groupe est ouvert à tous et toutes quel que soit le stade de leur parcours : de la personne
non opérée, sans aucun traitement, à la personne opérée ayant obtenu un changement
d'identité
Bien que le groupe se réunisse dans les locaux de l'Amicale Du Nid, le lien avec la
prostitution n'est pas une condition pour y participer
C- SA FREQUENTATION
Depuis 2002, une cinquantaine de personnes sont en lien avec le groupe. La fréquentation
par rencontre a pu fluctuer de trois à vingt personnes, avec le plus souvent un groupe de sept à dix.
Nous notons la présence dans la durée d'un "noyau dur" constitué de cinq personnes.
L'investissement permanent de ce dernier a, sans doute, permis le maintien d'une dynamique à des
moments de fragilité.
Même si, lors sa première réunion en 2002, le groupe n'était composé que de personnes trans’ qui se
prostituaient, d'autres personnes sans aucun lien avec la prostitution l’ont très vite rejoint. Le fait
que rien n'existait sur Toulouse, le réel besoin de rencontre et le bon fonctionnement du "bouche à
oreilles" ont été des éléments déterminants.
La multitude des profils a rapidement montré que la transidentité est à considérer sans lien avec la
prostitution. La transidentité ne trace pas un destin particulier conduisant à la prostitution. C’est le
vécu, associé aux conditions dans lesquelles se trouve la personne trans’, qui va déterminer ou pas
le passage en prostitution.
Cadre d’entreprise, enseignante, agent immobilier, coiffeuse, étudiante, employé du BTP,
bénéficiaire du RSA dans l’errance et la toxicomanie, personnes prostituées... les milieux sociaux et
professionnels sont d’une grande diversité. Cela permet une richesse dans les échanges et implique
le respect et le non jugement.
Avec le recul de plusieurs années de pratique, nous pouvons constater qu'un tel groupe - réunissant
des personnes en lien ou pas avec la prostitution - non seulement ne pose pas de difficultés
particulières mais apporte beaucoup à chacun-e en terme d'ouverture et de prévention de la
prostitution.
D- LE ROLE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX
Dès le début du projet, nous avons considéré le support écrit comme un outil
complémentaire : s'astreindre à des comptes rendus écrits de chacune des rencontres est devenu une
règle.
Entre deux réunions, les deux travailleurs sociaux impliqués élaborent un compte rendu de la
dernière rencontre et rappellent la date retenue pour la suivante. Dans la durée, ces écrits constituent
une mémoire du contenu des échanges.
Ce travail a un effet régulateur : il nous permet d'échanger nos impressions et réflexions, parfois nos
difficultés, d’éclaircir notre pensée, de réfléchir ensemble au sens de notre travail et ainsi, de rester
engagés dans l’action.
Nous mettons en forme la teneur des échanges en restant au plus près de ce qui s'est passé et de ce
qui a été dit, avec une vigilance particulière pour ne blesser personne. Nous avons pour règle de ne
citer aucun nom, les paroles sont retranscrites mais pas le nom de leurs auteurs.
Les comptes rendus sont envoyés par courrier ou par mail à toutes les personnes trans’ dont nous
avons les coordonnées. Par ce biais, nous informons les personnes qui ne participent pas
régulièrement, ou pas physiquement, mais qui suivent de manière plus éloignée l'actualité du
groupe.
80
Nous avons donc un rôle de retranscription de la parole mais aussi, dans le groupe, celui de
l'ordonner, de faciliter son expression, de la valoriser, de la faire circuler, de favoriser l'écoute, la
communication et de garantir le cadre auquel tous les membres du groupe adhèrent pour l'avoir euxmêmes défini. Il arrive que nous fassions des commentaires pour énoncer des positions soucieuses
de la démocratie et de la santé du groupe. Cette fonction régulatrice se fonde sur un mandat
relativement explicite des participants à notre égard. En effet, c’est le groupe lui-même qui a
formulé cette demande : que les deux professionnels du service soient garants du cadre, du
fonctionnement et des valeurs du groupe (respect, tolérance, bienveillance), de l’organisation des
rencontres et de l’envoi des comptes rendus.
De manière constante depuis son existence, le groupe exprime à certains moments l’importance que
le binôme d’intervenants soit d’une part représentatif du genre féminin et masculin et, d’autre part,
dégagé sur le plan personnel de la problématique transidentitaire. Ce dernier aspect est important
car il permet une extériorité dans la proximité, un espace libéré dans lequel les relations peuvent
évoluer à l’abri de tensions que beaucoup ont connues dans d’autres univers associatifs ou sur
internet. Lors de certains échanges, nous pouvons être interpellés non à partir de notre fonction mais
de notre place de femme ou d’homme. Nous y répondons, pas pour asséner des vérités mais dans un
souci d’ouverture, de développement d’un questionnement. C’est là que notre fonction prend toute
sa place.
Notre rôle a aussi été d’établir des liens avec des professionnels de santé, du droit, des organismes
administratifs. Il existe ainsi :
• Un partenariat privilégié avec la CPAM pour l’accès aux droits mais aussi avec le service
des relations internationales pour les questions relatives aux prises en charge à l’étranger. Ce
partenariat a été facilité par la participation d’un des deux travailleurs sociaux au « Réseau
d’Accès aux Droits et aux Soins » mis en place par la CPAM de Toulouse.
• Un réseau de professionnels constitué à partir des retours des membres du groupe, de leurs
propres expériences, en matière de santé ou de droit. Ainsi une liste de professionnels a pu
être établie, elle comporte des noms de médecins généralistes, psychiatres, endocrinologues,
chirurgiens, dermatologues, phoniatres, orthophonistes et des noms d’avocats.
E- LES THEMES ABORDES
En dehors de temps formalisés pour construire des projets particuliers, il n’y a pas d’ordre
du jour pré-établi pour les réunions du groupe. Ces temps de rencontre sont nourris par ce que
chaque personne amène.
Les thèmes souvent abordés sont :
• le processus de transformation : les différentes étapes du parcours
• le suivi médical et psychothérapeutique
• les interventions chirurgicales
• les échanges sur l’angoisse liée à l’opération, les sentiments de crainte, d’hésitation, de
doute …
• la relation aux autres, l'image de soi
• les relations avec la famille, le rapport aux parents, aux enfants …
• le monde du travail
• le changement d'état civil, de prénom
• la relation amoureuse, la sexualité
• le désir d’enfant, l’adoption, la projection dans un rôle de parent…
• les prises en charges sécurité sociale
• les échanges d'informations, d'adresses, de noms de médecins, d’avocats…
• les conseils « techniques » : maquillage, voix, choix vestimentaires …
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En dehors de ces thèmes, une large place est faite à l'expression de la parole sur le vécu personnel
en terme de malaises ou de satisfactions. Le groupe se met alors en position d'écoute empathique et
donne des avis, des conseils.
F- REALISATIONS CONSECUTIVES AU TRAVAIL DU GROUPE
Cette dynamique collective a pu déboucher sur l’élaboration de divers projets accompagnés
et soutenus par les deux travailleurs sociaux impliqués dans l’action. Parallèlement aux rencontres,
certaines personnes du groupe se sont mobilisées pour réaliser des actions et les animer :
• élaboration du texte à intégrer au site Internet de l’Amicale du Nid Toulouse.
• création d'un site Internet : www.fabulous-gonzesses.com
• création d'une association au service des personnes trans’ (information, soutien, relooking) :
« Atelier Expressions ».
• mise en place sur Toulouse de « Trans Aide Midi-Pyrénées » : cet épisode dans la vie du
groupe a été source de conflits et, à l’origine d’une scission du groupe. Les personnes
impliquées dans la mise en place de cette association ont quitté le groupe pour s’orienter
vers une action plus militante, ce qui n’était pas l’objet de nos rencontres.
• rencontres avec d’autres associations : le CARITIG (Centre d’Aide, de Recherche et
d’Information sur la Transsexualité et l’Identité de Genre), Arc-en-ciel (Association
toulousaine qui informe sur les questions d’homosexualité, bisexualité et d’identité de
genre).
• réalisation et animation de conférences en direction des professionnels du secteur médicosocial :
• Conférence du 21 juin 2005 : « Journée d’information, de réflexion et d’échange sur
la transsexualité », dans les locaux de l’Amicale du Nid Toulouse, animée par des membres du
groupe et les deux travailleurs sociaux, avec la participation d’un psychiatre, d’un avocat, d’un
phoniatre.
• Conférence du 7 juin 2007 : «Troubles de l’identité de genre, Transsexualisme et
Exclusion », animée par des membres du groupe, avec l’appui de la FNARS Midi-Pyrénées, qui
s’est chargée de l’organisation et de la mise à disposition d’une salle.
• Journée d’Etude Régionale du 9 octobre 2008 : « Transidentité et Exclusion, enjeux
et positions, une discrimination qui interroge », co-organisée avec la FNARS Midi-Pyrénées.
L’objectif de ces initiatives est d’apporter au public (travailleurs sociaux essentiellement) des
éléments de connaissance sur la problématique transidentitaire, sur les besoins et les attentes des
personnes, afin de multiplier les espaces de parole et de proposer des accompagnements adaptés.
Le groupe est en perpétuelle évolution. Il s’enrichit à chaque rencontre de nouvelles
personnes et de nouvelles orientations, tout en répondant aux objectifs qu’il s’est fixé : une fonction
d’entraide, de soutien, d’établissement de lien, d’information. A ce jour, le groupe définit ainsi sa
fonction :
• échanger avec d’autres personnes dans la même dynamique et traversées par les mêmes
questions ;
• éveiller l’esprit critique et la tolérance, aider à prendre conscience, se remettre en question,
se méfier du jugement hâtif ;
• sortir de sa solitude, offrir une rencontre conviviale ;
• partager des informations pratiques, créer un réseau ;
• se sentir accepté-e, en confiance, pouvoir s’habiller en fille ou en garçon ;
• expérimenter une transformation, en mesurer la crédibilité ;
• se confronter au regard de l’autre dans un milieu protégé ;
82
• retrouver de la chaleur humaine.
Ce n’est pas une structure militante, c’est un lieu de médiation, une plateforme d’échanges libres,
respectueux et dépassionnés. Chaque personne peut faire partie d’une association à l’extérieur mais
parle en son nom propre dans le groupe de l’Amicale du Nid.
Nous pouvons constater que le groupe joue un rôle de prévention des dégradations de situations
individuelles : en participant à l’amélioration des suivis santé notamment, en favorisant la création
de liens de solidarité, il soutient les démarches d’insertion et contribue à soutenir des personnes très
isolées.
Avec le temps, nous avons constaté une évolution du groupe mais aussi de ceux et celles qui le
composent. Certains propos ont changé, ils sont plus réalistes, plus pondérés. C’est l’expression de
quelque chose qui s’est apaisé.
• MARSEILLE
En 1996, l’Amicale du Nid 13, à la demande de la DDASS reprend le SPRS (Service de
Prévention et de Réinsertion Sociale), situé dans le centre-ville de Marseille, dans le quartier de
prostitution masculine.
Ce nouveau service de l’Amicale du Nid 13, nommé Horizon par les personnes accueillies, est
dédié à l’accueil des hommes et personnes transgenres en situation, ayant été, ou en danger de
prostitution.
Le terme transgenre a été choisi par les personnes accueillies et concernées lors de l’élaboration de
la plaquette de présentation du service début 2000. En effet, pour elles le terme transgenre
(traduction du terme anglo-saxon transgender) leur semblait le plus proche de leur réalité,
regroupant les différentes problématiques identitaires que sont le transformisme, le travestisme et le
transsexualisme. Cette nouvelle dénomination pouvait permettre, selon elles, d'éviter les stigmates
souvent associés notamment pour le travestisme, les personnes transsexuelles (opérées ou pas) étant
mieux acceptées dans notre société.
En adoptant ce terme, nous avons souhaité respecter leur parole et les connaissances issues de leur
vécu.
Durant 14 ans, l’approche et la rencontre avec ce public se sont faites sans formation préalable des
travailleurs sociaux. Le postulat premier a toujours été la prise en compte de la personne comme un
sujet avant tout, avant même sa problématique identitaire.
Si l’état civil des personnes est une réalité administrative à laquelle nous ne pouvons déroger dans
les démarches, nous avons toujours été attentifs et vigilants à employer les prénoms souhaités par
les personnes et à nous adresser à elles dans le genre revendiqué. Cette attention apparaissait encore
plus importante sur les temps d’accueil collectif, où les personnes veulent être nommées par le
prénom choisi.
Ainsi, on peut dire que nous avons créé et développé une “boîte à outils” au fil du temps en
apprenant à nous connaître réciproquement. De plus, des travailleurs sociaux détachés par la DASS
sont restés en poste à Horizon : ils ont pu faire lien entre les personnes transgenres et nous, et nous
faire bénéficier de leur expérience.
Accompagnés par des psychanalystes lors de séances d’analyse des pratiques, les travailleurs
sociaux de l’Amicale du Nid ont peu à peu adaptés leurs techniques d’intervention en direction des
personnes transgenres. Par ailleurs, une assistante sociale de la DASS, adhérente à l’association
AAT (aide aux personnes transsexuelles) a pu nous apporter nombre d’articles à lire sur cette
question et nous initier aux problématiques particulières.
Au-delà de l’accueil et de l’écoute des personnes en questionnement identitaire dans le cadre de
83
l’accompagnement social global que nous leur proposons, nous avons été amenés à les
accompagner dans leurs démarches administratives et/ou médicales pour les personnes en parcours
de conversion de genre, dans leurs suivis post-opératoires, leurs relations familiales, etc. Cette
construction empirique nous a permis d’interroger nos modalités d’intervention pour ensuite les
adapter au mieux aux demandes et aux besoins spécifiques de ces personnes.
Au sein de l’Amicale du Nid 13, l’accueil de ce public était nouveau et a pu parfois nous mettre en
difficulté, notamment en ce qui concerne les questions d’orientation tant en interne qu’en externe.
Cela a nécessité de travailler à partir des représentations des salariés des services partenaires afin de
déconstruire l'imaginaire de la "cage aux folles" qui reste très prégnant. Nous aussi mis en réflexion
le fait qu’à force de côtoyer ces personnes, nous ne relevions plus les extravagances de certaines. Il
est vrai que souvent l’inconnu peut se révéler inquiétant alors que la connaissance favorise la
déconstruction des représentations.
D’autre part, des actions telles que le travail de rue, effectué en commun avec les deux équipes
(Relais/Horizon) ont favorisé les interactions le public prostitué et, de fait, la rencontre avec les
personnes en questionnement identitaire.
La participation de certains salariés à des colloques ou à des journées d’étude, comme celles
proposées par l’équipe de Toulouse sur la transsexualité, a permis de développer des connaissances
techniques (juridiques, médicales...). Ces informations réactualisées ont enrichi et étayé nos savoirsfaire.
Ce service a déménagé en juillet 2010 pour être unifié à l’autre service qui accueillait les femmes.
Après consultation des personnes accueillies et une décision par vote, ce service unifié a pris le nom
d’Orion.
Afin de favoriser ce changement institutionnel, dans les trois services existants (Bossuet, Relais,
Horizon), les équipes éducatives ont accompagné l’accueil des personnes transidentitaire auprès des
publics déjà reçus, par le biais de réunions de préparation à l’unification du Relais et d’Horizon, de
CVS (Conseils de Vie Sociale) et de sorties socio-culturelles proposées à l’ensemble des personnes
accueillies. L’unification des deux services favorise la transmission aux collègues de l’ex-Relais de
nos connaissances sur l’approche du public en questionnement identitaire.
Dans ce contexte, la mise en place de l’action recherche sur la transidentité vient à point nourrir un
débat en interne pour accueillir au mieux les personnes et continuer à les accompagner au regard de
leurs besoins et de leurs projets.
Cette action recherche nous a permis de faire un état des lieux des actions existantes et de celles à
développer, dans l'objectif d'optimiser nos propres connaissances mais aussi d'orienter et
accompagner au mieux les personnes.
84
ACCOMPAGNER DES PERSONNES
TRANSIDENTITAIRES
A L'AMICALE DU NID
85
En introduction à cette dernière partie, il nous semble essentiel de rappeler qu'il ne faut pas
créer d'amalgame entre transidentité et prostitution. Nous l'avons vu, cette recherche-action a
nécessité l'élaboration de définitions et d’un référentiel communs, mais elle a posé d’emblée
d'autres questions :
• Parle-t-on, au sein de ce groupe, de transidentité uniquement dans le cadre d’une activité
prostitutionnelle ou hors prostitution ?
• Existe-t-il une spécificité dans l'accueil des personnes prostituées trans' ?
• Y aurait-il des difficultés spécifiques ou supplémentaires pour les personnes quand elles
sont trans' ?
Notre partage d'expériences a mis à jour l'existence de pratiques différentes selon les territoires, qui
peuvent être issues de ou générer des questionnements très variés. Deux services par exemple ont
mis en place des groupes d'échanges initialement constitués de personnes présentant une
problématique transidentitaire et prostitutionnelle, mais, au fil du temps ces groupes se sont ouverts
à des personnes transidentitaires hors problématique prostitutionnelle.
De façon générale, nous constatons cependant deux modes d'entrée en relation avec les travailleurs
sociaux : soit les personnes mettent en avant prioritairement la prostitution, soit prioritairement la
transidentité.
On peut alors rencontrer plusieurs types de situation :
• soit le transvestisme est vécu comme un « outil » d’une activité de prostitution ;
• soit la personne souhaite aborder uniquement son activité de prostitution, sans demander
d'accompagnement par rapport à sa transidentité ;
• soit la personne demande de l'aide d'abord par rapport à son questionnement identitaire, la
prostitution étant vécue comme une source de revenus pour lui permettre de faire sa
transition;
• soit la personne souhaite parler de sa transidentité et ne désire pas, dans un premier temps,
aborder la question de sa prostitution ;
• soit la personne vit dans une ambivalence assumée et pose l'intégralité de ces
questionnements.
Face à la difficulté pour une personne en transition de trouver un emploi, la prostitution peut être un
moyen de survie. A noter que pendant cette période de transformation, la personne est rarement
disponible pour réfléchir à son insertion professionnelle. Cela est parfois renforcé par l'inscription
dans le groupe de pairs, que la personne ne veut pas quitter.
Un parcours prostitutionnel peut aussi influencer ou troubler la question de la transidentité. La
prostitution semble en effet intervenir dans les deux sens :
• comme accélérateur de transition, en étant censé amener l’argent pour les opérations ou
permettre une forme de normalisation sexuée ;
• comme limitation de la transition, afin de conserver le sexe utile à l’activité
prostitutionnelle.
Comment, donc, accompagner ces personnes en tant que travailleur social ?
86
I. ELARGIR SON REGARD : A TRANSITIONS MULTIPLES
ACCOMPAGNEMENTS DIVERSIFIES
Le travailleur social peut craindre que les choix de la personne transidentitaire ne soient pas
fondés, du fait de l'engagement à vie qu'ils génèrent. Mais toute problématique de vie est
particulière et tout être humain a son propre cheminement et travail sur soi à faire. Quand ça vient
interférer avec cette problématique identitaire, ça peut être très violent.
On polarise toujours sur les éléments physiques irréversibles et on mélange plusieurs niveaux. Si la
personne est sûre d'elle, on ne la fera pas changer d'avis, indépendamment de la question de la
transformation physique. Mais cette dimension irréversible ne doit pas être confondue avec toute la
réflexion et le travail sur soi qui est à faire, à un moment ou un autre, que ce soit avant, pendant ou
après la transformation physique. Ce n'est pas la transformation physique en soi qui doit être source
d'inquiétudes, parce que si elle doit être, elle sera.
La difficulté pour le travailleur social est alors d'accompagner la personne sans induire ce qu'elle
fera. Il peut y arriver en mettant à disposition de la personne ce qui est utile à ses prises de décision.
Cela implique une posture éducative qui n'anticipe pas et attend que la personne pose des questions
afin d'élaborer à partir de celles-ci.
A- ACCOMPAGNEMENTS INDIVIDUALISES
1. L'accueil
Le temps de l'accueil est délicat, pour toutes les personnes accueillies. Pour les personnes
transidentaires il nous semble important d'être vigilant à différents points.
Entrer en relation avec les personnes transidentitaires nous interroge. En effet, il est étrange de
recevoir une personne, homme ou femme, dont nous savons que le sexe biologique est différent du
genre qu'elle présente, dont nous entendons parfois l'ambigüité dans la voix et même dans le
discours. Quand la personne arrive, elle peut être vêtue au féminin avec une barbe, une voix très
grave ; parfois, on rencontre une personne en situation de prostitution, dans la rue très féminine
avec sa perruque et ses vêtements, et elle se présente ensuite au service en garçon, sans qu'on la
reconnaisse. Le travailleur social doit faire avec ces situations qui ne vont pas de soi, qui font
parfois vivre des sentiments compliqués face à des apparences physiques ambigues, des prénoms
qui changent, etc. Les personnes nous plongent alors dans le trouble au point que nous confondons
parfois le il et le elle. Afin de contribuer à leur mieux être il est indiqué de communiquer en
s'appuyant sur le genre et l'identité d'adoption.
Ainsi, l'une des premières questions à poser serait : "Comment vous appelez-vous ?".
La personne peut avoir un prénom masculin, un prénom féminin et un prénom pour la prostitution.
On lui demande alors : "Quel prénom préférez-vous que j'utilise ?"
Certaines personnes alternent la façon de se présenter et donc de prénom, notamment quand elles se
travestissent pour la prostitution et vivent le reste du temps dans leur genre d'origine. Le travailleur
social s'adaptera au cas par cas en fonction de la façon dont la personne se présente.
2. Les entretiens individuels
Par la suite, les entretiens sont un espace d'expression et d'élaboration de son parcours
transidentitaire : en début de transition, c'est souvent l'un des seuls espaces où la personne peut
librement en parler et se vêtir sans choquer.
Le travailleur social se montre à l'écoute et informe autant que possible la personne en fonction des
87
étapes de sa transition. Il a un rôle de médiateur et de facilitateur dans les liens à tisser avec les
professionnels et institutions que la personne transidentitaire sera amenée à rencontrer au cours de
son cheminement.
Le travailleur social doit permettre à la personne une réflexion sur ce qu'elle vit et la façon dont elle
projette sa transition. En fonction des préoccupations de la personne, il explorera avec elle comment
elle envisage ses coming-out, la prise d'hormones, etc.
ACCOMPAGNER LA REFLEXION
Il n'y a pas de recette. Il est nécessaire de prendre la personne avec ce qu'elle amène dans la relation.
Il est utile de garder à l'esprit que, quoi qu'il en soit, la personne est majeure et qu'elle a,
fondamentalement, les ressources en elle qui vont lui permettre de se prendre en charge. Toute la
question est de savoir jusqu'où donner des éléments permettant à la personne de se prendre ellemême en main.
En voici un exemple :
La fondation suisse Agnodice, aux objectifs équivalents à ceux du GEsT, reçoit un appel au secours
d'une personne de vingt-trois ans, handicapée, vivant dans un petit village des Hautes-Alpes. La
fondation transfère sa demande au GEsT dont l'un des membres prend contact avec la jeune mtf. La
communication se fait par mail uniquement, parce que la personne vit chez ses parents, et ceux-ci
sont engagés dans une congrégation religieuse plus ou moins apparentée à une secte, qui interdit le
téléphone portable et les caméras, rendant également impossible la discussion via une webcam.
Après plusieurs échanges, une conversation audio sur Skype est programmée.
La personne exprime dans la conversation son désarroi car elle ne réussit pas à faire son coming-out
auprès de ses parents.
La personne du GEsT lui demande :
- "A votre avis, qu'est-ce qui pourrait faire que ça change ?"
- "Ce serait le rêve si vous pouviez venir et parler à mes parents", répond-elle.
- "Ok, imaginons que je vienne, comment cela se passerait-il selon vous ?"
La jeune mtf commence alors à imaginer la situation, réfléchissant aux scénarii possibles. Du coup
elle prend conscience qu'elle aurait un travail préparatoire à faire auprès de ses parents pour
annoncer la présence de la personne du GEsT et qu'elle ferait elle-même son coming-out. Elle a
alors convenu que le plus simple était qu'elle se débrouille seule, ce qu'elle a réussi à faire.
Accompagner la personne dans sa réflexion c'est l'aider à s'interroger : "Je veux être une
femme, mais quelle femme ?" ; "Je veux être un homme mais quel homme ?" Dès le début de
l'accompagnement les échanges peuvent se faire autour de cette question : "Quelle
femme/homme voulez-vous être ?". Il est possible d'utiliser des photographies de magazines par
exemple, qui serviront de support à la parole à partir de l'apparence physique et de ce que la
personne fantasme en terme de transformation.
3. La santé
• Les médecins :
À son arrivée, la personne transidentitaire n'a pas forcément un médecin traitant ou se demande quel
est le médecin le plus qualifié pour accompagner sa transition.
Nous l'avons vu, le médecin généraliste a un rôle central pour permettre l'accès à l'Ald. Cependant,
trop peu de médecins sont sensibilisés à la question et le travailleur social peut jouer ici un rôle actif
88
de médiation. Il s'agit alors de rencontrer un ou plusieurs généralistes pour leur parler de la
transidentité et leur fournir les éléments servant à remplir un dossier d'Ald. Une notice a été
élaborée pour faciliter ce travail (cf annexe).
Dans chaque service de l'Amicale du Nid, une liste de médecins identifiés sera mise à disposition
des travailleurs sociaux. Cette liste peut être constituée à partir :
• des démarches faites par les travailleurs sociaux pour élargir le réseau de médecins
sensibilisés ;
• des retours positifs des personnes transidentitaires concernant leurs médecins.
De la même façon, une liste peut être établie concernant d'autres professionnels de santé conseillés
par les personnes transidentitaires : dermatologue, gynécologue, endocrinologue, chirurgien,
psychiatre, psychothérapeute...
Pour les personnes transidentitaires atteintes de pathologies de longue durée (VIH, hépatites,
IST...), il est également possible de développer des liens privilégiés avec un service hospitalier, qui
suivra la personne dans sa globalité, lui évitant ainsi de multiplier des examens dans divers lieux
avec le risque de se confronter sans cesse à des situations discriminantes du fait de sa
transidentité27.
La sécurité sociale :
Chaque service établit des relations privilégiées avec la CPAM28, ce qui peut permettre à la
personne transidentitaire de faire ses démarches seules ensuite, en l'orientant vers la personne
ressource repérée.
Quand ce partenariat n'est pas établi ou s’avère difficile à établir, alors le travailleur social peut
accompagner la personne pour sa demande de CMU ou d'AME ou encore pour négocier le
changement de numéro de sécurité sociale et son prénom (1 ou 2).
4. L'insertion professionnelle :
Nous l'avons vu, pendant la transition, certaines personnes sont dans l'incapacité d'investir
un projet d'insertion. Il est indispensable de respecter le rythme de la personne.
Cependant, il est préférable, dans la mesure du possible, d'anticiper la préparation du parcours
d'insertion en permettant à la personne de se projeter à travers une évaluation de ses compétences,
une formation à la langue, une étape de redynamisation... C'est une période où la personne peut
notamment être accompagnée pour réfléchir à ses représentations liées aux métiers dits féminins ou
masculins.
Quand la personne peut mener de front sa transition et son insertion professionnelle, ou à l'issue de
son parcours, des accompagnements spécifiques peuvent se prévoir.
Dans certains services de l’Amicale du Nid, un-e salarié-e est chargé-e d'insertion professionnelle.
Quand ça n'est pas le cas, il est possible de prendre contact avec des référents externes : Pole
Emploi pour le droit commun, PLIE (Plan Local pour l'Insertion et l'Emploi) ou d’autres dispositifs
d’accompagnement à l’emploi. Dans tous les cas, le travailleur social leur donnera des éléments en
amont pour une meilleure compréhension et un accueil adapté à la personne. Nous avons un rôle
d’information et de médiation.
Le travailleur social aidera également la personne transidentitaire à adapter sa tenue et son
apparence physique en fonction du projet d'insertion : quand les tenues risquent d'être perçues trop
provocantes, proposer des décolletés et un maquillage plus sobres par exemple.
27
28
Cf le Centre Europe à Paris par exemple, dans la partie état des lieux et ressources par territoire.
Ibid.
89
5. Droits et administration :
• La préfecture :
Ici, les partenariats privilégiés sont compliqués à mettre en place. Pour les personnes étrangères
transidentitaires dont la situation nécessite des démarches en préfecture, un accompagnement
systématique est conseillé, afin d'assurer un rôle de médiation et de rassurer la personne dans sa
crainte d'être rejetée du fait du décalage entre son apparence physique et ses papiers d'identité.
• L'avocat :
Les avocats pratiquent des tarifs divers. Afin d'éviter les abus, il est utile là aussi d'établir une liste
d'avocats accessibles financièrement, qui acceptent l'aide juridictionnelle sans demander de
complément. Cette liste peut être constituée à partir des témoignages des personnes mais il est
également possible de prendre contact avec le RAVAD (Réseau d'Assistance aux Victimes
d'Agressions et de Discriminations) ou la Commission Nationale de Médiation (ancienne Halde)
selon les secteurs (cf ressources par territoires).
Pour une modification du prénom d'usage, le travailleur social peut également orienter la personne
vers un notaire en vue de produire un acte de notoriété qui établira que le prénom d'usage de A. est
B. (Pierre dit Martine ou Estelle dite Laurent par exemple). Ce document notarié permettra de faire
modifier le prénom sur les cartes de transport, les chéquiers, etc. mais aussi, selon les préfectures,
d'indiquer le prénom d'usage sur les papiers d'identité.
6. Internet :
Afin d'aider la personne à chercher des informations sur les différentes possibilités de
transition, le travailleur social peut lui proposer un temps d'exploration de forums ou sites sur
Internet29.
B- ACCUEIL ET ACCOMPAGNEMENT COLLECTIF
L'expérience de certains services30 montre tout l'intérêt de proposer un temps collectif pour
les personnes concernées par la transidentité, lieu de parole ou groupe d’échange sans vocation
thérapeutique.
Créer cet espace dans un service aux préoccupations plus large que la transidentité garantit un cadre
sécurisant31 permettant l’émergence de la parole et garantissant le respect de celle-ci. Au sein de ce
groupe les personnes transidentitaires peuvent alors trouver des réponses que le travailleur social n'a
pas forcément, repérer des interlocuteurs fiables dans les administrations, le secteur médical ou
juridique, etc., grâce à la mutualisation des expériences individuelles.
Cela offre également la possibilité aux personnes de sortir de leur isolement grâce aux liens noués
avec d’autres partageant des vécus proches. D'ailleurs, si les travailleurs sociaux sont les garants du
cadre bienveillant des rencontres, la parole échangée entre pairs aura souvent un impact et une
crédibilité plus forte que celle du travailleur social, permettant aux personnes de clarifier ce qu'elles
vivent et veulent vivre.
Par ailleurs, la régularité du groupe, qui s'inscrit dans le temps comme un repère stable, est la
bienvenue quand la transition peut déstabiliser les repères familiaux ou amicaux.
29
Cf la liste de sites proposés dans la partie Ressources pratiques.
Comme les expériences de Toulouse et Montpellier dans la partie précédente Etat des lieux des territoires.
31
Une charte, sorte de règlement intérieur du groupe, peut être rédigée par les travailleurs sociaux.
30
90
Enfin, face au problème conséquent d'absence de suivi médical post-opératoire, le groupe est aussi
un espace où peuvent s'échanger des conseils pour apprivoiser ce corps transformé et apprendre de
nouvelles façons d'en prendre soin.
Il nous semble que la mise en place de groupes d'échanges exprime une volonté associative
d’informer et d'accompagner au mieux les personnes accueillies dans le respect de leur choix, en les
acceptant là où elles en sont dans leur parcours.
Si le groupe est prévu pour des personnes accueillies par l'Amicale du Nid et donc en situation de
prostitution, il peut s'ouvrir au cours du temps à des personnes concernées uniquement par la
transidentité. Cette ouverture présente un double intérêt :
• les personnes participantes ont la possibilité de réaliser que la transidentité ne rime pas
forcément avec la prostitution.
• l’échange d’informations fiables et le partage d’expériences deviennent en eux-mêmes une
démarche de prévention dans la mesure où cela permet à la personne de faire des choix
éclairés en toute connaissance de cause.
Une approche par le biais du collectif complète ainsi de façon très avantageuse tout le travail
d'accueil et d'accompagnement individualisés réalisés par ailleurs.
III. LES RESSOURCES PRATIQUES
A- AU NIVEAU NATIONAL
Lors de l'accompagnement d'une personne en questionnement sur son identité de genre, il est
possible de lui proposer de consulter avec elle des sites internet ou blogs. Cela peut lui permettre de
mieux comprendre ce qu'elle vit, de s'interroger sur ce qu'elle souhaite vraiment et peut-être aussi de
prendre des décisions.
1. Sites d'informations
Le site du GEsT : http://transidentite.fr/ ; sur ce site vous trouverez notamment le rapport de la
HAS et une lecture critique de celui-ci, ainsi qu'une bibliographie francophone plus détaillée que
celle proposée à la fin de ce document.
Transsexualite : http://www.transsexualite.com/ : ce portail d'information dresse un inventaire des
principaux sites d'information, des regroupements et associations traitant de la transidentité.
ODT : http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/ : l'observatoire des transidentités a été
mis en ligne fin 2010. Il publie des articles mensuels traitant des questions transidentitaires écrits
par des universitaires, des acteurs-actrices de terrain et des associations.
Transidentité : http://syndromedebenjamin.free.fr/ : ce site est animé par Tom Reucher, ftm,
psychologue clinicien et militant depuis de nombreuses années. Il propose une grande variété
d'articles, témoignages et références théoriques sur la transidentité.
Les fabulous gonzesses : http://www.fabulous-gonzesses.com/ : forum d'échanges destinés à
"rassembler des personnes transgenres ou non".
FTM Info : http://ftm-transsexuel.info/ : comme son nom l'indique, ce site est spécialisé ftm et
91
passe en revue l'ensemble des incontournables du parcours de transition. Il propose également un
forum de discussion.
Trans mecs & mecs : http://www.ftmvariations.org/gay/ : site d'informations et de visibilité pour les
hommes et garçons trans/FTM gay, bi, autre, attirés affectivement et sexuellement par les hommes
(trans ou non) et vice versa. Il a pour but de leur donner une visibilité en français, et de permettre la
diffusion en français d'articles anglophones.
2. Blogs
De nombreux blogs sont en ligne témoignant des transitions de leurs auteurs. Nous vous
laissons partir à leur découverte en suivant les liens proposés d'un blog à l'autre. Pour débuter, vous
pouvez lire le blog d'un ftm : Deviens ce que tu es http://lerevecommence.blogspot.com/ ou d'une
mtf : Ester de Paris http://pagesperso-orange.fr/ester/.
3. Associations
• Le mouvement français pour le planning familial :
Depuis son congrès de mai 2009, le mouvement a inscrit la transidentité dans ses missions. Si ce
n'est pas déjà le cas sur votre territoire, envisager un partenariat avec le planning familial peut
permettre de créer un autre espace de ressource pour les personnes transidentitaires que vous
accompagnez en leur ouvrant notamment l'accès à des lieux d'écoute ou de soins (IST, gynécologie,
etc.) privilégiés. http://www.planning-familial.org/
• Le RAVAD
Le RAVAD est une association qui comporte de nombreux juristes et qui assiste les victimes
d'agressions et de discriminations, en particulier les agressions en raison de l'orientation sexuelle ou
de l'identité de genre. C'est un acteur du monde associatif LGBT (Lesbien, Gai, Bi et Trans).
www.ravad.org
•
L'Autre Cercle
La Fédération L'Autre Cercle regroupe onze associations régionales et compte près de six cents
membres, issus de l'entreprise, de la fonction publique (nationale, territoriale et hospitalière) et des
professions libérales. Ils ont comme point commun l'appartenance à la communauté homosexuelle
et transsexuelle. C'est un réseau solidaire qui, à travers ses activités, fait des propositions concrètes
au monde politique, syndical et aux employeurs. www.autrecercle.org
• Les Centres LGBT
Dans plusieurs villes de France et notamment à Paris se sont mis en place des centres LGBT qui
offrent de la documentation, des permanences et de l'écoute (www.centrelgbtparis.org, ou taper
"centre lgbt" sur un moteur de recherche pour trouver le centre le plus proche).
•
Associations de lutte contre le sida travaillant sur les questions trans' :
- Act Up-Paris : www.actupparis.org
- Arcat : www.arcat-sida.org
- Le CRIPS : www.lecrips.net
92
•
Associations d'autosupport pour les usager-e-s de produits :
- Asud : www.asud.org
B- LES SPECIFICITES TERRITORIALES
Chaque territoire s'appuie sur les ressources locales à sa disposition : médecins,
associations... Nous listons ici l'ensemble de ces ressources par territoire, sachant que chaque
service tient à disposition les coordonnées des professionnels concernés.
•
Toulouse
A partir de l’expérience des membres du groupe d'échange et de leurs retours positifs, nous
avons établi une liste de professionnels :
• du secteur judiciaire : avocats.
• du secteur médical : médecins généralistes, dermatologues, endocrinologues, psychiatres,
phoniatre, orthophoniste, chirurgien plastique.
• esthétique : coiffure, conseil en image.
Nous nous appuyons également sur diverses associations :
• GEsT : www.transidentite.fr 06 28 77 06 29
• Arc-en-ciel : www.aectoulouse.fr [email protected].
• ABC (Association Beaumont Continental) : [email protected] 06 70 54 20 69
• Mutatis Mutandis (Bordeaux) : www.mutatismutandis.info/ 09 79 59 78 48
Nous avons par ailleurs établi des liens privilégiés avec la CPAM de la Haute-Garonne. En ce qui
concerne l’insertion professionnelle, nous avons mis en place un partenariat avec un référent PLIE
(Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi).
Pour l’hébergement, nous faisons appel aux CHRS (Centres d’Hébergement et de Réinsertion
Sociale) de Toulouse.
•
Montpellier
Grâce au groupe d’échange et à la présence du GEsT, l'Amicale du Nid a accès à un petit
réseau de professionnels de santé sensibilisés à l’accueil de personnes trans’. Ce réseau comprend :
• un dermatologue ;
• une gynécologue ;
• une association de psychologues cliniciens ;
• des permanences d'accueil individuel au planning familial ;
• un psychiatre ;
• deux endocrinologues.
•
Paris
Etant donné l’augmentation du nombre de personnes transidentitaires sur ce territoire, le
service s’emploie à trouver des réponses adaptées et à élargir le champs de connaissance de la
question trans'.
93
A ainsi été mis en place un partenariat avec divers hôpitaux :
Hôpital Ambroise Paré : création d’un pass santé pour permettre l’accès aux soins aux personnes
malades avant qu’elles ne puissent bénéficier de l’AME (carence de 3 mois) ;
Hôpital Bichat : un accueil est aménagé par une équipe sensibilisée et connaissant les personnes
transidentitaires, avec la prise en charge au titre de l'ALD ;
Hôpital Saint Louis : étude Pro-santé ;
• Le centre Moulin Joly de la Croix Rouge a signé une convention avec l’Amicale du Nid 75
pour l'accueil des personnes transidentitaires.
Il est également possible de solliciter :
Le CMP15, qui propose des suivis avec une psychologue et / ou un psychiatre ;
• Altaïr : association partenaire ayant créé un SEA (service d’écoute et d’accueil) réservé aux
personnes ayant des questionnements d’identité de genre ;
• Le 115 parisien : propose une chambre d’hôtel gérée par l’ADN75 pour des personnes
transidentitaires. Dans ce partenariat, un accès individualisé tenant compte de la particularité
identitaire des personnes est possible pour les lits « médicalisés » ;
• Sécurité sociale : permanence hebdomadaire au sein de l’établissement ADN75 avec un
intervenant sensibilisé à la question.
•
Marseille
Nous déclinons ici le réseau existant, celui à développer et les axes de réflexion à travailler en
équipe.
Le réseau existant :
• Association de santé communautaire en direction des personnes prostituées Autres Regards.
Ce partenariat s’est notamment étoffé lors de la mise en place du dispositif Equal-Parade de
2004 à 2007. Cette association a mis en place un livret de genre et a tenté de créer une
association spécifique dans l’accueil des personnes prostituées trans’ (Cathléia). Cette
association a assuré des permanences à l’Hôpital Sainte Marguerite pendant plusieurs
années.
• Association Amicale du Nid au plan national.
• Hôpital Sainte Marguerite (unité fonctionnelle de sexologie et de dysphorie de genre).
• AAT (association d’aide aux transsexuels).
Réseau à développer :
• Axe santé :
Planning familial, Instituts de formation en soins infirmiers, CIDIST, CODES, CRIPS,
Dispensaires, Médecins généralistes, Médecins gynécologues, Réseau Santé Marseille Sud et Nord
(VIH, toxicomanies), CPCAM, PMI, Médecine du travail.
• Axe socioprofessionnel :
Ecoles de travailleurs sociaux (IRTS, IMF), Coordinateurs sociaux des commissariats, Pôle Emploi,
Pôles insertion, Cité des Métiers, Lieux accueil RSA, DIRECTE (ex DDTEFP), MDPH, CAF.
Axe de réflexion à travailler en équipe :
La transparentalité.
94
CONCLUSION
95
A travers cette recherche-action qui s'achève, nous avons pu approfondir nos connaissances
et notre réflexion sur la question transidentitaire. Ce travail aura également permis l'élaboration de
ce document, qui devrait servir de support et outil à nos pratiques. Chaque territoire concerné aura à
organiser une restitution en interne auprès des membres des différentes équipes.
Mais le travail à l’Amicale du Nid ne s’arrête pas au moment où s’achève cette recherche action. Il
y a nécessité de poursuivre le travail engagé, de « mutualiser » les savoirs et expériences entre les
territoires par des rencontres régulières, etc. En ce sens, l’idée de la mise en place d’une
commission nationale sur la question est émise.
Peut-être aussi que ces travaux pourront conduire à la création de nouveaux groupes d'échanges ou
de toutes autres propositions innovantes, dans une dynamique de modélisation des pratiques.
Un positionnement politique de la part du conseil d'administration de l'association sera nécessaire
concernant le vocabulaire à utiliser et la mise en œuvre de référentiels d'action communs.
Quelles sont les perspectives pour l'accompagnement social de personnes transidentitaires, afin que
soient abordées ces questions de façon plus globale, autrement qu’au travers d’une approche
morcelée, sériée (axe de la transformation sociale ou du parcours médical ou des changements de
papiers, etc. ) ?
Dans le cadre de la loi 2002, il nous semble pertinent voire nécessaire que les personnes
transidentitaires soient associées à des groupes de travail, tel que celui de cette recherche-action,
visant à améliorer l’accompagnement qui leur est proposé.
Par ailleurs, nous avons démontré que le rôle du médecin généraliste est primordial (dans la mise en
œuvre du parcours médical présenté pour le dossier d'ALD par exemple). En effet, la qualité de
l’accueil et de l’information dispensés lors de cette étape est déterminante pour orienter les
personnes.
Comment, donc, créer un maillage pour informer les médecins généralistes sur ce sujet ?
Comment, ensuite, élargir ce maillage auprès des réseaux de santé concernés par l’accueil de
personnes transidentitaires?
Un important et essentiel travail d’information reste à faire auprès du grand public, et au delà, la
sensibilisation et la formation des professionnels des domaines médical, psychologique et social. Le
niveau de connaissance sur cette question doit être approfondi.
Une mission de veille, tant sur les questions juridiques que les questions relatives à la santé, doit se
structurer.
La transidentité reste un sujet complexe, très singulier. Elle déborde nos pratiques, interroge nos
normes, valeurs, croyances, représentations relatives aux notions de sexe et de genre... bouscule nos
repères, nos codes sociaux.
La transidentité n’est pas un choix.
Elle s’impose à la personne comme une évidence, quelle qu’en soit la cause.
Il ne s’agit ni de dramatiser, ni de banaliser, tout comme ce qui concerne la question de la
prostitution, mais bien de prendre en compte les personnes et leurs situations particulières, sans les
stigmatiser ni les discriminer.
Rappelons qu’il n’existe pas une transidentité, mais des transidentités.
Tout individu est en mouvement.
Nous espérons que cette question qui émerge dans notre société fasse évoluer les mentalités, à
l’instar des avancées que nous avons constatées en ce qui concerne d’autres sujets tels que
l'homosexualité, le racisme, les familles monoparentales, etc.
Une perception différente au fil du temps, plus de tolérance, une reconnaissance sur le plan
96
législatif et une nécessaire vigilance concernant les risques de discrimination, sont à attendre.
L’Amicale du Nid a un rôle, une mission à accomplir en ce sens, à la fois pour rendre plus visibles
et plus compréhensibles ces questions, mais également participer à leur conceptualisation.
Nous devons continuer à adapter et faire évoluer nos pratiques, ainsi qu'à les formaliser pour les
transmettre au plus grand nombre, à améliorer la qualité de l’accueil et de l’accompagnement des
personnes transidentitaires, en prenant encore mieux en compte leurs besoins.
Nous avons toutes et tous à gagner d’une société plus égalitaire, d’une société qui reconnaisse
l’Autre et sa différence, sa singularité, qui intègre la pluralité des sexes et des genres à la diversité
humaine.
97
ANNEXES
1. Lettre de l’Amicale du Nid Toulouse invitant à la constitution d’un groupe d’échange
sur la transidentité (avril 2002)
2. Notice à l’intention des médecins traitants pour demande d’ALD
98
99
100
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