L`accompagnement des personnes transidentitaires à l`Amicale du Nid
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L`accompagnement des personnes transidentitaires à l`Amicale du Nid
Une action conduite dans le cadre du projet européen « Accès à l’emploi, un enjeu individuel et collectif » « L'accompagnement des personnes transidentitaires à l'Amicale du Nid » Une recherche action menée en 2010 par l'Amicale du Nid en partenariat avec le Groupe d'Etude sur la Transidentité (GEsT) cofinancée par le Fonds Social Européen et la DHRIL 75 Rapport final 1 « Tant que nous n'aurons pas redéfini le comportement en termes de "humain" plutôt que masculin ou féminin, nous resterons enfermés dans une danse de mort.» PR. ANNA KUHN, Université de Californie, Davis, USA 2 SOMMAIRE Introduction I. Que signifie parler de la transidentité à l'Amicale du Nid ? II. Méthodologie p. 7 p. 8 Apports pédagogiques I. S'accorder sur le vocabulaire A- Transidentité, pourquoi ? B- Autres termes incontournables p. 11 II. Des questions de genre au continuum trans' A- Le genre, ou la construction du genre 1. Les trois grandes périodes en terme de politique d’égalité 2. Quelques apports conceptuels B- Le continuum trans' p.13 III. Approche historique de la transidentité A- Aux origines : mythes et réalité B- Une approche des sociétés non binaires C- Quelques trans' repérés dans notre histoire D- Conceptualisation et pratique : l'apparition du transsexualisme 1. Théoriciens et praticiens 2. Les premières "célébrités" trans' E- La transidentité face aux institutions : politique, médicale, judiciaire p.17 IV. Les parcours de transition A- Les parcours de transition via l'hôpital public 1. Le diagnostic 2. Le traitement hormonal 3. La chirurgie 4. Les compléments B- Les parcours de transition alternatifs 1. Les parcours semi-alternatif ou mixtes 2. Les parcours alternatifs C- Le changement d'état civil p.25 V. Transidentité et santé p.35 A- Le parcours médical du point de vue de la Haute Autorité de la Santé (HAS) 1. Prévalence 2. Contexte de l'intervention médicale 3. Responsabilités du médecin : 4. Prise en charge financière des traitements 5. Les grandes étapes du parcours de soin : du diagnostic à la prise en charge B- Les infections sexuellement transmissibles et le VIH 1. IST & MST 2. VIH 3 VI. Transidentité et vie affective A- Quelques données B- Le témoignage d'Isabelle p.41 VII. Transidentité et insertion professionnelle A- Principales difficultés rencontrées 1. Les difficultés concernant l’employeur 2. Les difficultés concernant la personne trans' B- Le cadre légal et conventionnel 1. Le code du travail (modifié par la loi du 27 mai 2008) 2. Le statut des fonctionnaires 3. Le code pénal (art 225.1, 2 et 3) 4. Les décisions et interventions de la HALDE 5. Les accords syndicats-entreprises 6. Le label anti-discrimination p.49 VIII- Panorama des associations trans' françaises A- De 1960 aux années 1980 : Survivre B- Les années 1990 : la transsexualité, une question de santé C- Les années 2000 : se visibiliser D- A partir de 2006 : s'affirmer comme expert p.55 Témoignages p.62 I. Lise II. Rachel III. Samuel IV. Géraldine dite Dally V. Kevin VI. Sophie D'un territoire à l'autre : état des lieux des pratiques de l'Amicale du Nid I. Paris A- Le pôle accompagnement social B- Etude Pro-santé C- Action prison II. Les Hauts-de-Seine III. L’Hérault IV. La Haute-Garonne A- Origine du groupe d’échanges B- Objectifs et cadre du groupe d'échanges C- Sa fréquentation D- Le rôle des travailleurs sociaux E- Les thèmes abordés F- Réalisations consécutives au travail du groupe V. Marseille 4 p.73 Accompagner des personnes transidentitaires à l'Amicale du Nid p.85 I. Elargir son regard : à transitions multiples accompagnements diversifiés A- Accompagnements individualisés 1. L'accueil 2. Les entretiens individuels 3. La santé 4. L'insertion professionnelle 5. Droits et administration : 6. Internet B- Accueil et accompagnement collectif p.87 II. Les ressources pratiques A- Au niveau national 1. Sites d'informations 2. Blogs 3. Associations B- Les spécificités territoriales 1. Toulouse 2. Montpellier 3. Paris 4. Marseille p.91 Conclusion p.95 Annexes p.97 Bibliographie p.101 5 INTRODUCTION 6 I. QUE SIGNIFIE PARLER L'AMICALE DU NID ? DE LA TRANSIDENTITE A L'Amicale du Nid a pour but d'aller à la rencontre, d'accueillir et d'accompagner les personnes majeures et mineures en situation actuelle ou passée ou en risque de prostitution (article 1 des statuts de l'association). Parmi ces personnes, certaines sont concernées par la transidentité. Face à un accroissement de l'accueil de celles-ci, les travailleurs sociaux de l’Amicale du Nid ont souhaité s’informer davantage et questionner leurs pratiques en lien avec ce sujet. De mai 2010 à avril 2011, une recherche-action a donc été menée en collaboration avec le Groupe d'Etude sur la Transidentité (GEsT), dans le cadre d’un programme européen de coopération avec la Pologne financé par le Fond Social Européen. C'est de cette recherche action dont il va être question ici. La question transidentitaire est en pleine émergence dans notre société, laquelle est en mouvement et commence à considérer autrement ce sujet, comme en témoignent quatre faits récents. Entre 2006 et 2010, la Haute Autorité de la Santé (HAS) dresse un état des lieux de la prise en charge du transsexualisme1 en France. Son rapport estime que les protocoles actuels de soins sont incertains et dénonce l'absence de référentiel sur le sujet. Suite à ce rapport, le Ministère de la Santé met en place une commission visant à établir un cahier des charges pour la création de centres de références spécialisés dans la prise en charge du transsexualisme. En mai 2009, la Ministre de la Santé, Mme Bachelot, affirme son souhait que la transsexualité soit retirée des maladies psychiatriques dans les classifications internationales. Dans ce sens, elle fait d'ailleurs modifier le mode de prise en charge du transsexualisme, le sortant des affections psychiatriques de longue durée pour l'intégrer aux maladies hors listes. En juillet 2009, le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, exprime clairement dans un rapport la nécessité que les droits fondamentaux des personnes transgenres soient respectés. Enfin, en mai 2010, la Ministre de la Justice, Mme Alliot-Marie, publie une circulaire incitant à ce que les changements d'état civil demandés par les personnes transsexuelles soient facilités et non plus entièrement conditionnés par des opérations chirurgicales. Si ces évènements récents restent globalement suivis de peu d'effets concrets pour l'instant, ils nous semblent cependant significatifs des changements à l'oeuvre dans notre société. Au sein de l'Amicale du Nid, une question se pose presque immédiatement : parle-t-on de la transidentité uniquement dans le cadre de la prostitution ou hors prostitution ? Les discours et les cheminements semblent en effet très différents et il semble important de le préciser afin d'éviter tout amalgame entre transidentité et prostitution. Nous le verrons, sur certains territoires, il se trouve que des groupes d'échange constitués initialement de personnes prostituées et transidentitaires accueillent progressivement des personnes transidentitaires sans lien avec la prostitution. Le cadre habituel de l'Amicale du Nid s'en trouve bousculé. En effet, la mission de l'Amicale du Nid est d'intervenir auprès de personnes concernées par la prostitution. Mais, si la transidentité ne mène pas forcément à la prostitution, la recherche-action ainsi que les expériences de terrain menées depuis plusieurs années nous amènent désormais à considérer que la transidentité s'inscrit 1 Les termes en italique sont explicités p.11 de ce document. La transidentité n'étant pas un concept stabilisé, il en existe de nombreuses définitions et déclinaisons selon les milieux ou les personnes. Tout au long de cet écrit seront employés des termes tels que transidentitaire, transsexualité, transgenre, mtf, ftm, etc. Elaborer un vocabulaire commun a été l'un des objectifs de cette recherche-action. Pour des raisons de clarté dans la lecture du document, la restitution de ce travail est présentée en première partie, consacrée aux apports pédagogiques. 7 dans la logique de prévention de l'Amicale du Nid. Certaines personnes transidentitaires, fragilisées par leur situation, peuvent être en danger de prostitution, ce qui justifie pleinement notre soutien et notre accompagnement. D'autres questions à résoudre apparaissent alors. Est-ce que la transidentité est la même si la personne est concernée par la prostitution ou pas ? Pour certains travailleurs sociaux, ce n'est pas le fait d'être transidentitaire qui est spécifique puisque toutes les personnes accueillies sont singulières. Pour d'autres, c'est moins évident. Il est évoqué le cas de personnes obligées de se travestir dans l'enfance, ce qui influencerait leur façon de se prostituer. Ou encore le cas de personnes souhaitant conserver leur sexe masculin et justifiant leur travestissement par leur activité de prostitution. Ne seraient-elles donc pas transidentitaires ? Mais alors, qu'est-ce que la transidentité ? Qu'est-ce que ce terme dit des histoires individuelles, que recouvre-t-il ? Enfin, est-ce que les personnes transidentitaires nécessitent un accompagnement spécifique ? A travers cet écrit, apparaîtront ainsi les réponses ou tentatives de réponses à ces questions. . II. METHODOLOGIE Cette recherche-action a été menée sur cinq territoires différents : Paris, Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Hérault et Hauts-de-Seine, accompagnés par le Groupe d'Etude sur la Transidentité (GEsT). Il s'agissait d'aider les travailleurs sociaux et cadres de l'Amicale du Nid à mieux appréhender les situations vécues par les personnes transidentitaires et d'aborder notamment la question de leur insertion professionnelle. Cela devait se faire à la fois à travers : • des apports théoriques sur les différents concepts et situations liés aux démarches ; • le recueil des expériences de terrain vécues sur chaque territoire ; • l'analyse des problématiques spécifiques à l'emploi ; • et enfin, la mise en place d'une stratégie globale de prévention qui prenne en compte l'ensemble des risques d'exclusion sociale spécifiques aux personnes transidentitaires. Dès la première rencontre a été retenue l’idée de se déplacer au niveau des territoires afin que des travailleurs sociaux ne participant pas habituellement au groupe de travail puissent le rejoindre et apporter leurs expériences, réflexions, contributions… Dans la même logique, nous avons également souhaité demander la participation de personnes transidentitaires accompagnées par l'Amicale du Nid pour qu'elles puissent apporter leur témoignage2. Dans la réalité, ces apports n'ont pu avoir lieu que sur deux territoires : en Haute-Garonne et dans l'Hérault. Un travail préalable, à partir des représentations de chacun, a été nécessaire. Travailler la question de la dé-construction des représentations du plus grand nombre nécessite de passer d’abord par la dé-construction de ses propres représentations : • Où en sommes-nous ? • Quelles sont nos représentations de la transidentité ? de la transsexualité ?... • De quoi s’agit-il ? de quoi parle-t-on lorsque l’on aborde les questions liées au sexe ? au genre ? à l’identité ? …. • Quel vocabulaire existe ? Quel langage commun ? 2 Précisons que les personnes transidentitaires accueillies par l'Amicale du Nid sont très majoritairement dans un cheminement de masculin vers féminin, mais quelques personnes effectuant une transition de féminin vers masculin sont aussi accompagnées. 8 Face aux difficultés rencontrées pour s'entendre sur les termes à employer, que ce soit d'un territoire à l'autre ou entre salarié-es d'un même territoire, nous avons consacré une large part de notre réflexion à ce sujet. Il existe tant de réalités différentes, de vécus singuliers, qu'il apparaît difficile de catégoriser, de s'harmoniser... Nous en avons conclu qu’il n'y a pas nécessité de catégoriser : il existe autant de personnes transidentitaires que de visions de ce qu'est « être trans’ » ; il n’y a pas de communauté Trans’ mais des personnes transidentitaires qui s'auto-définissent de façon individuelle. A partir de ce constat, nous avons alors pu réfléchir à nos outils d'accueil et d'accompagnement dans l'optique de répondre au mieux aux attentes des personnes transidentitaires cherchant de l'aide et du soutien auprès des travailleurs sociaux de l'Amicale du Nid. Ce document tend à rendre compte de l'ensemble de nos questionnements, réflexions et pistes de travail. Il s'organise en quatre grandes parties. La première débute par une explicitation du vocabulaire puis reprend l'ensemble des apports théoriques apportés par le GEsT. La seconde est le compte rendu de témoignages de personnes transidentitaires accompagnées par les territoires de l'Hérault et de la Haute-Garonne. La troisième dresse un état des lieux des pratiques de chaque territoire participant à la recherche-action. La quatrième partie, enfin, s'attache à proposer des pistes d'accompagnement des personnes transidentitaires par les travailleurs sociaux de l'Amicale du Nid. L'ensemble est complété par des annexes et une bibliographie. Dernières précisions : La transidentité engendre de nombreuses questions d’ordre juridique. Pourtant, le droit applicable aux personnes concernées en France est un droit issu uniquement de la jurisprudence, "puisque la loi française n’a jamais traité directement du sujet, la question du transsexualisme ayant été exclue de façon délibérée des débats lors de l’adoption des lois dites bioéthiques en 1994." (HAS, 2010). Pour cette raison, il n'y aura pas ici de partie spécifiquement juridique, mais les différents points de droit existants seront présentés tout au long du document en fonction des questions concernées. Ils seront repérés par des encarts bleus. Enfin, nous avons tenu à rendre présents les échanges et questionnements en lien avec les apports théoriques. Ceux-ci sont rendus lisibles par des doubles encarts magenta. 9 APPORTS PEDAGOGIQUES 10 I. S'ACCORDER SUR LE VOCABULAIRE Le travail sur les représentations de chacune des personnes du groupe de recherche-action a permis de dégager des propositions de définitions communes. Le terme générique transidentité a semblé globalement le plus approprié, malgré quelques réticences. Les témoignages des personnes transidentitaires au cours de ce travail comme les rencontres dans les accompagnements professionnels ont également permis de prendre conscience de la multiplicité des parcours et des approches, donc de la difficulté à “cataloguer”, “catégoriser” les personnes selon leur manière de vivre leur transidentité. Au final, il s'agit plus de repérer les termes à ne pas trop utiliser pour ne pas heurter les sensibilités que de déterminer de potentiels "bons" termes. A- TRANSIDENTITE, POURQUOI ? Trans- évoque un changement, un passage : le terme transsexualité, habituellement utilisé, signifierait donc un changement de sexualité. Or nous entendons par sexualité un ensemble de relations et de pratiques affectives et physiques. Liée à celles-ci, socialement, est associée la question de l'orientation sexuelle : homosexualité, hétérosexualité, bisexualité... En revanche, lorsque la personne ne peut se reconnaître dans les rôles et apparences que la société attribue aux hommes et aux femmes en fonction de leur sexe biologique, il s'agit d'un questionnement lié à sa propre perception de soi et à la perception qu'en ont les autres : on parlera alors d'un questionnement identitaire ou d'une question d'identité de genre. Le terme transidentité nous semble donc le mieux adapté à ces situations. La grande diversité des perceptions et approches de ces questions, le fait que chaque individu est unique et en perpétuel mouvement, nous amène à estimer qu'il n'y a pas une, mais des transidentités. Le terme trans' était initialement perçu par les personnes du groupe comme un terme trop réducteur, voire péjoratif, et elles n'auraient pas osé l'utiliser. En fait, l'apostrophe permet d'ouvrir sur la diversité, la multiplicité des situations, ce qui en fait un terme pratique et consensuel. Au final, trans’ et transidentité sont les deux termes qui recouvrent l’éventail des possibles et respectent toutes les sensibilités en évitant d’enfermer les personnes dans des catégories restrictives et immuables. Il est cependant apparu nécessaire d’expliciter les termes et locutions qui suivent, ne serait-ce que parce que l’usage de certains reste très répandu dans les milieux spécialisés ou dans l’imagerie populaire. B- AUTRES TERMES INCONTOURNABLES Transsexuel(le) : terme très connu et le plus utilisé par le grand public, ce qui le rend pratiquement incontournable. Il concerne les personnes qui sont dans un processus de transformation corporelle impliquant les caractères sexuels primaires (appareil génital) et/ou secondaires (seins, pilosité, etc..). Par respect pour la personne, on décline transsexuel(le) au masculin ou au féminin selon son genre de destination. Transsexualisme : Il s'agit de la volonté de modification corporelle, qui peut aller jusqu'à la chirurgie de l'appareil génital. A défaut de terme mieux approprié, on préférera ce mot à transsexualité, auquel la racine sexualité confère une connotation inexacte. Bien que contesté par de 11 nombreuses associations en raison de sa consonance plus ou moins pathologisante, transsexualisme reste encore très utilisé en tant que terme médical de référence (terme employé dans la classification internationale de maladies, CIM 10, et dans le DSM IV). Les instances médicales distinguent le transsexualisme primaire et secondaire. Les personnes contestant leur sexe de manière absolue et précoce (un garçon qui dit "je suis une fille" ; une fille qui dit "je suis un garçon", dès la petite enfance), sans construction sociale possible, relèveraient d’un transsexualisme primaire ; la même demande exprimée plus tardivement et suite à une construction sociale dans le genre d'assignation désignerait un transsexualisme secondaire. Cette distinction très controversée continue de servir de filtre aux prises en charge médicales dans certaines équipes hospitalières. Les directives de la CNAM reposant sur “les troubles précoces de l’identité de genre”, il devient alors possible pour ces équipes de rejeter des demandes exprimées à l’âge adulte. Transgenre : Terme traduit de l’anglais transgender et dont la définition donne lieu à controverses. Il est tantôt utilisé de manière inclusive pour désigner l’ensemble des personnes transidentitaires, tantôt de manière exclusive pour les personnes affirmant leur transidentité, le cas échéant par des processus médicaux, mais sans pour autant s’orienter vers une transformation corporelle majeure, optant de fait pour des attributs corporels des deux genres et/ou sexes. Travesti : personne qui porte occasionnellement des vêtements, accessoires et marques désignatifs de l’autre genre (principalement de masculin vers féminin, mais l’inverse se pratique également : costume-cravate, moustache et barbe postiches...) ; situation très courante dans la prostitution, et qui pose le problème du retour à la vie courante. Où se situerait la frontière entre la pratique du “paraître” et le questionnement identitaire ? En fait, on s’aperçoit que des pratiques qui pourraient paraître anodines masquent généralement un malaise intime amplifié par les tabous sociaux. Ainsi, l’ABC (Association Beaumont Continental, la plus ancienne association trans’ encore en activité, longtemps considérée comme une association de travestis construite sur le modèle des “club” anglais) a identifié dans ses rangs 75% de pères de famille de la "bonne bourgeoisie" n’ayant jamais osé parler à leurs proches de leurs pratiques secrètes de travestissement. La transidentité étant un terme inclusif, on considère donc que le travestisme, ou transvestisme, en fait partie. On utilise de manière préférentielle les termes transvesti ou transvestisme, qui n’ont pas la même connotation péjorative (travesti évoquant couramment travelo). FtM, MtF : de l’anglais Female to Male et Male to Female, désignent respectivement la personne de sexe féminin dans un cheminement vers le genre masculin et l’inverse. Ces locutions s’appliquent à tous les cas de figures cités plus haut, et donnent lieu à de nombreuses et fantaisistes variations, chacun inventant son vocabulaire (scientifiques, mouvances trans', équipes hospitalières, Ministère de la Santé) : Ft* , Mt* (volonté de ne plus désigner le genre vers lequel on va et de sortir de la binarité male/femelle), Ftu, Mtu (female to unknow, dans la même logique que Ft*, Mt*), Ftx, Mtx (= Ft*, Mt*), transboy, XXboy, etc., ou encore, à la française, FvH (femme vers homme) et HvF (homme vers femme). Dysphorie de genre : la dysphorie étant l’antonyme d'euphorie, il s’agit donc d’un état de mal-être psychologique lié au genre, terme souvent utilisé par les psychiatres et donc rejeté par certains courants transidentitaires. Syndrome de Benjamin : se dit en référence à Harry Benjamin, pionnier dans la prise en charge médicale des personnes. Il définit le transsexualisme comme une "entité nosographique qui n’est ni une perversion ni une homosexualité" (Benjamin, 1953). Arme à double tranchant, cette déculpabilisation du fait transsexuel l'enferme toutefois dans la case "maladie". 12 3ème sexe : historiquement, l’expression arrive après le 2ème sexe ; elle exprime assez maladroitement la contestation d'un système binaire. Il apparaît effectivement difficile de s'identifier à un hypothétique 3ème sexe, notamment en admettant l’élémentaire distinction entre sexe et genre. Hermaphrodisme : le terme scientifique est le pseudo-hermaphrodisme, l'hermaphrodisme complet n'existant quasiment pas. Dans la mythologie, l’hermaphrodite est l’être parfait possédant les deux sexes. Dans la réalité, certains êtres humains naissent avec une relative ambigüité au niveau du sexe (génétique, gonadique ou phénotypique), possédant des caractéristiques internes et/ou externes à la fois mâles et femelles. Intersexe : englobe toutes les catégories d'ambigüités sexuées : hermaphrodisme, et toutes les formes de pseudo-hermaphrodisme. Ces deux derniers termes ne recouvrent pas des situations directement liées à la transidentité, même si les parcours induits peuvent présenter des similarités. Réassignation sexuelle : terminologie éminemment explicite employée par le monde médical, dans une vision exclusivement binaire, pour désigner l'ensemble des actes médicaux permettant de passer d'un sexe à l'autre : nous ne choisissons pas, on nous impose à la naissance notre sexe/genre (principe d'indisponibilité de l’état des personnes, un des fondements du droit français datant du code Napoléon). II. DES QUESTIONS DE GENRE AU CONTINUUM TRANS' A- LE GENRE, OU LA CONSTRUCTION DU GENRE : Cette recherche action s’inscrivant dans le cadre d’un projet européen, rappelons que l’Union Européenne est une référence institutionnelle pour les politiques publiques de genre. Tout pays qui souhaite devenir état membre se doit ainsi d’intégrer la dimension de genre dans l’élaboration de ses politiques publiques, pour chercher à éliminer les inégalités, et lutter contre les discriminations. On parle d’approche intégrée de l’égalité. L’approche de genre permet une lecture et une compréhension de ce qu’est la transidentité, mais aussi la prostitution. En France et en Europe, de nombreuses lois ont tenté d’instaurer depuis de longues années le principe de l’égalité. Pour autant, qu’en est-il aujourd’hui de l’application de ces lois ? 1. Les trois grandes périodes en terme de politique d’égalité3 • Années 1970 : période des droits individuels On partait alors du principe que les femmes et les hommes devaient bénéficier d’une même égalité de traitement, mais qu'ils n’étaient pas au départ en situation d’égalité. Il était constaté que des politiques d’apparence neutre ne produisaient pas les résultats attendus (effets différents sur les femmes et les hommes) et n’avaient pas toujours permis d’aboutir à des résultats égaux. 3 Selon Guide EQUAL de l’intégration de la dimension de genre - chap 5 – Commission européenne - 2004 13 Cette neutralisation occultait la construction des inégalités de genre : on parle d’invisibilité. • Années 80 : période des actions spécifiques On introduit dans les politiques publiques des actions dites spécifiques, ou actions positives, qui visent à s’attaquer aux désavantages subis par les femmes. Il s’agit d’une approche catégorielle. Ces politiques induisaient de manière implicite que le problème venait des femmes elles-mêmes, et pas d’un problème plus global de société, et que c’était donc à elles de changer. Ces actions, spécifiquement axées sur les femmes, se sont avérées insuffisantes pour induire des changements majeurs. • Années 90 : période du mainstreaming de genre Ce concept est apparu lors de la 4ème conférence mondiale des femmes à Pékin, organisée par les Nations Unies, en 1995. C’est la période de l’intégration de la dimension de genre, qui reconnaît que les structures, institutions, instruments juridiques, etc., ne sont pas neutres du point de vue du genre mais privilégient l’un ou l’autre sexe. Le but est de dépasser les limites des actions positives catégorielles et de se centrer sur les personnes et leurs besoins individuels. Il s’agit de permettre de passer de l’égalité de droits à l’égalité réelle. 2. Quelques apports conceptuels : Le genre est un terme (voire un raccourci) issu de la traduction de l’anglais « gender ». L’expression exacte en français serait « rapports sociaux de sexe ». Le genre se réfère à la construction et à la répartition des rôles sociaux, féminins et masculins. C’est un concept sociologique qui cherche à analyser les rapports sociaux de sexe, rapports qui sont basés sur les assignations de rôles socialement construits en fonction du sexe. C’est aussi une méthodologie : l’approche de genre, qui produit une analyse systématique comparée de la situation des femmes et des hommes d’un point de vue économique et social, culturel et politique4. • Quelle différence entre sexe et genre ? Le sexe fait référence au sexe biologique (mâle/femelle), de l’ordre de l’inné. Le genre renvoie à la construction sociale (rôles, comportements auxquels tous et toutes doivent se conformer), de l’ordre de l’acquis. Tout individu est composé de ces deux dimensions : biologique et sociale5. Dès la naissance, nous sommes toutes et tous soumis à un conditionnement lié à cette norme, ces rôles sociaux, que nous intégrons progressivement et profondément. Nous nous soumettons à cet apprentissage, qui se rappelle à nous quotidiennement (sous peine de subir la désapprobation générale) au point que cela devient du registre de l’automatisme. 4 Document d’orientation stratégique Genre, Service Coopération du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes français, décembre 2007 5 Selon Béatrice Borghino, chargée de mission à la DRDFE PACA (Délégation Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité). 14 L’approche de genre prend comme point de départ le fait que les hommes et les femmes occupent des places, rôles, statuts différents dans la société, ont des expériences, des attentes différentes, subissent des assignations différentes. De toutes ces différences, apparaît une série d’oppositions : production/reproduction ; vie publique/vie privée ; sphère professionnelle/sphère familiale ou domestique ; secteur marchand/non marchand... Nous subissons tous et toutes ces assignations, selon que l’on soit femme ou homme, et selon notre culture, notre histoire, notre éducation, notre environnement, ou encore notre âge... Les genres masculins et féminins sont non seulement porteurs de ces asymétries, mais aussi d’une hiérarchisation de ces asymétries. Les rôles sociaux attribués au sexe masculin apparaissent ainsi survalorisés, ceux attribués au sexe féminin dévalorisés. Cette construction sociale n’a rien de naturel ou d’immuable, et peut donc être déconstruite. Ces différences sociales sont apprises, acquises. La question du genre, loin d’être anodine ou banale, questionne, dérange, voire effraie. Les représentations sont multiples, les images traditionnelles persistent, les résistances sont nombreuses. Le problème réside dans nos structures sociales, nos institutions, valeurs, croyances, qui font perdurer ces déséquilibres et inégalités, et les reproduisent de génération en génération. Il s’agit bien d’un problème social, d’une responsabilité politique, tant collective qu’individuelle. L’approche de genre est un outil qui permet de se distancier de ces assignations, de les interroger, en analysant les rapports sociaux de sexe, c'est-à-dire les rôles et stéréotypes attribués à chaque sexe. L’approche de genre rompt avec l’approche catégorielle; elle est transversale et conduit à la remise en cause des représentations et pratiques inégalitaires, individuelles et collectives. Elle a pour objet de mettre à jour les éléments de cette construction sociale, fondatrice d’inégalités, en vue de les remettre en cause. Il s’agit d’opérer un déplacement, en passant d’une approche catégorielle se focalisant sur les femmes, à une analyse des rapports sociaux entre les femmes et les hommes, et en tentant de s’extraire de cette norme inconsciemment admise comme naturellement neutre, en réalité à dominante masculine. Ce système de représentations construit peut être déconstruit, pour trouver un autre modèle, plus adapté à l’époque actuelle, aux réalités des femmes et des hommes, pour proposer une autre réponse sociale. Une telle mutation n’appelle pas seulement des avancées législatives (les lois sont nécessaires, mais restent insuffisantes pour opérer des changements majeurs), mais aussi une transformation culturelle de nos comportements individuels et de nos pratiques collectives. Ce concept d’approche de genre nous impose de rompre avec l’idée d’une binarité ou bipolarité des sexes (femmes/hommes) et des rôles sociaux (masculin/féminin). Ne sommes-nous pas enfermés par ces notions même de sexe et de genre, par cette conception dualiste, dichotomique des différences sexuelles? Qu’est ce qu’être femme ou homme ? Qu’est-ce que le féminin, le masculin, la féminité, la masculinité ? Qu’est ce que l’identité masculine, féminine ? Une femme ne peut-elle pas être plus ou moins masculine ? Un homme ne peut-il pas être plus ou moins féminin ? Une remise en question de nos certitudes à propos des identités de genre et de sexe semble évidente et nécessaire. L’amalgame entre le sexe et le genre, entre le biologique et le construit social, entre 15 l’inné et l’acquis, la division en deux sexes et en deux genres, apparaît trop limitée. Certes des différences biologiques existent, il ne s’agit pas de les nier, mais l’une domine-t-elle l’autre socialement ? Pourquoi ces différences s’imposent-elles si massivement à nous ? Peut-il exister une société égalitaire sans prendre en compte la diversité des situations, avec le plus grand respect pour chaque personne ? Ne peut-on, ne doit-on pas parler aujourd’hui de diversité de genre ? De pluralité des sexes et des genres ? Les personnes transidentitaires interrogent fortement ces stéréotypes et cette répartition sexuée des rôles, identités auxquels nous sommes assignés, et auxquels nous nous efforçons de correspondre. Même si l’on peut croire au premier abord qu’ils les renforcent. Nous avons tous et toutes un intérêt à travailler sur nos propres représentations, sur ce que cela nous fait vivre... C’est ce à quoi nous avons essayé de nous atteler dans le cadre de cette recherche action, et que nous allons tenter de démontrer. B- LE CONTINUUM TRANS' Paradoxalement, l'interprétation du concept de genre peut parfois amener à renforcer le clivage entre les sexes en assimilant toute inclinaison personnelle à des comportements sociaux stéréotypés qu’il convient de combattre, le genre devenant “l’ennemi” du sexe ! L’humanité est donc cantonnée dans ses deux catégories sexuées, et toute affirmation de l’être s’apparentant à un comportement genré doit être combattu, car généralement vécu comme un instrument de la domination masculine. Or nous le savons, nous sommes tous constitués d'un ensemble de bipolarité : l'être le plus généreux peut aussi se révéler très égoïste, le courageux lâche, l'intelligent stupide, le tendre féroce, etc. Jusqu'à la huitième semaine de gestation le fœtus possède un double potentiel de développement, mâle et femelle (canaux de Wolff et de Müller), l'une des deux caractéristiques régressant ensuite sous l’effet des hormones. Et jusqu'à preuve du contraire, nous sommes le fruit de l'union d'un homme et d'une femme. C'est donc un lieu commun d'énoncer que chaque être humain porte en lui du masculin et du féminin. Ou de dire que depuis l'aube de l'humanité, parmi les dizaines de milliards d'hommes et de femmes qui sont nés, ont vécu et sont morts, il n'y en eut jamais deux rigoureusement semblables. Il appartient ainsi à chaque être humain de trouver son équilibre entre ses diverses composantes, en fonction de son environnement social et des évènements qui vont jalonner sa vie. L’image suivante résume ce propos : si l’on compare l’humanité à notre planète, on constate que les pôles sont des extrêmes relativement inhospitaliers et que la vie se répartit essentiellement entre eux. Il en va de même de l'identité de genre, qui n'est jamais totalement féminine ni totalement masculine. Ainsi, plutôt qu'une “passerelle” entre le masculin et le féminin, la transidentité peut s'entendre comme une zone équatoriale, une place comme une autre sur le continuum du genre. De ce point de vue, il n'est nul besoin de considérer les deux sexes comme opposés mais bien comme complémentaires au sein d'une infinie diversité d'identités, parmi lesquels la transidentité ne serait que l'expression exacerbée de cette tentative de réconciliation du masculin et du féminin en chacun de nous et au sein de l'humanité. Elle nous invite, non à gommer les différences, mais à délaisser les clivages pour raisonner en termes d'humanité. 16 • III APPROCHE HISTORIQUE DE LA TRANSIDENTITE La transidentité existe depuis la nuit des temps, mais a été d'emblée victime d'un profond malentendu : • Parce qu'elle bouscule ce tabou fondateur de l'humanité qu’est le clivage, voire l'opposition homme/femme, né de l'instinct de survie (donc de reproduction) de l'espèce, aggravé par la montée du patriarcat et des religions : "Une femme ne portera point un habillement d'homme et un homme ne mettra point des vêtements de femme ; car quiconque fait ces choses est en abomination à l'Eternel, ton Dieu." (Deutéronome 22 : 5). Conceptuellement il n'existait simplement pas de place pour la nuance entre les deux polarités mâle/femelle, même si depuis la haute antiquité son mythe hante l'humanité. • Parce que la médecine n'avait aucune réponse à y apporter, si ce n'est des mutilations rituelles dans certaines sociétés. • Parce qu'on a toujours confondu la cause (le noyau identitaire : qui suis-je ?) et une conséquence possible (l'orientation sexuelle : vers qui suis-je attiré ?), et réduit son ressenti à une question de sexualité, qui plus est déviante. A- AUX ORIGINES : MYTHES ET REALITE Le bisexualisme, entendu comme possession des deux organes sexuels (de manière simultanée ou successive) tient une place primordiale dans l’imaginaire collectif des sociétés antiques, ainsi qu’en témoignent notamment le discours d’Aristophane (in Le Banquet, de Platon -427 ; -348) et de nombreux personnages de la mythologie grecque : Hermaphrodite, Tiresias et Sithon (qui furent transformés en femmes), Kainis, Mestra, Iphis (transformées en hommes)… Dans la Grèce et la Rome antiques, toute incertitude concernant une différenciation biologique claire entre les sexes est perçue comme une menace pour la continuité de l'espèce. Les rôles sexuels et sociaux sont en conséquence établis de manière très formelle : être un homme, c'est être actif dans les rapports amoureux et guerrier, être une femme c'est être passive et épouse/mère. Refuser ce rôle, le contester ou le tenir imparfaitement entraîne une interrogation plus ou moins ironique sur la possession du sexe biologique correspondant. Un homme qui se montre lâche au combat se voit qualifié d'androgyne. Le garçon n'est pas considéré comme un homme avant de devenir un guerrier, ce qui justifie en Grèce les rapports homosexuels et amoureux avec des jeunes gens. Le travestissement est souvent utilisé lors des rites de passage de l'adolescence à l'âge adulte, mais aussi comme ruse guerrière, car tout ce qui est féminin est en principe étranger à la guerre. Une série de lois grecques et romaines ordonnaient aux parents d'exposer publiquement les enfants dits anormaux, comme les intersexués. Car ces enfants constituent des signes maléfiques que l'Etat doit faire disparaître, en les rejetant hors du territoire de la cité, après en avoir interprété le sens. Toutefois, même s'il faut prendre soin de purifier le territoire de la cité, on évite de donner directement la mort à ces enfants et de les enterrer. En les tuant, on risquerait d'en faire des revenants vengeurs, en les enterrant on rendrait intacts à la terre les corps de ces enfants qui pourraient renaître tels quels. On les expose donc pour s'en remettre à la volonté des dieux, qui peuvent en disposer comme ils l'entendent, et on fait appel aux devins, qui vont statuer sur leur sort. En Grèce aux alentours de 314 av. JC, on rapporte l'histoire de Polycrite, élu du peuple Etolien, dont l'enfant de mère étrangère, né après la mort du père, s'était révélé bisexué, et avait provoqué un vif émoi dans la cité. Dans la Rome antique, Tite-Live recense très précisément 16 cas d'intersexués nés entre 249 et 12 av. JC et qui donnent lieu à des cérémonies d'expiation. Dans la plupart des cas, l'enfant est abandonné dans un coffre en mer ou sur un fleuve, et des cérémonies s'ensuivent, avec des sacrifices et des défilés de vingt-sept jeunes filles. 17 Dans la Rome impériale, ce type de phénomène ne provoque plus de panique superstitieuse. C’est là que, pour la première fois dans l’histoire, on trouve la trace d’une demande délibérée de changement de sexe. Plusieurs chroniqueurs racontent en effet qu’Élagabal, empereur romain de 218 à 222, se serait marié avec son esclave Hiérocles pour se faire appeler « femme » et « dame impératrice ». Il aurait également demandé à des médecins de le faire accéder « à la double nature sexuelle par le moyen d’une incision à l’avant », leur promettant une rémunération généreuse. B- UNE APPROCHE DES SOCIETES NON BINAIRES Dans certaines sociétés dites primitives ou simplement différentes, une place existe pour les “entre-deux”, ni pleinement hommes ni véritablement femmes au sens étroit que l'on confère à ces deux facettes de l'être humain. Une place bien étroite, soumise à des codes sociaux rigoureux, mais une place tout de même. On peut citer ainsi : • Les berdaches chez les Indiens d'Amérique, recensés dans plus de 130 tribus. L'accent est mis sur une notion de passage d'un statut à un autre, après qu'une vision, des rêves, des révélations ou des signes aient mis en évidence le caractère irrévocable d'une destinée beaucoup plus que d'une fatalité. Le berdache occupe des fonctions sociales, sexuelles et religieuses très codifiées : il opère la synthèse entre les deux sexes et entre le monde des vivants et le monde des morts. Le vêtement et le comportement sont plus importants, comme « désignatifs », que le sexe biologique pour situer quelqu'un comme homme ou comme femme. Les colons espagnols se sont particulièrement acharnés, à une époque où l'inquisition avait atteint son apogée, à anéantir le phénomène berdache. • Les muche (muxhe ou muxé) au Mexique, hommes qui s´habillent et se conduisent comme des femmes. Le muche, dans cette société à tendance matriarcale, est considéré comme une bénédiction au sein d'une famille, car il va seconder la mère dans toutes les tâches ménagères, et pourra avoir un rôle dans l'initiation sexuelle des adolescents, la virginité des jeunes filles étant considérée comme sacrée. Une étude de 1974 estime que 6% des hommes de la communauté sont des muxhes. Ils sont socialement acceptés comme un genre supplémentaire. Certains se marient et ont des enfants, d´autres préfèrent choisir un homme comme partenaire. • Les acaults de Myanmar (Birmanie) : hommes biologiques travestis en femmes et symboliquement "mariés" à Manguedon, esprit animiste qui accorde bonheur et réussite. Alors que les rapports homosexuels sont interdits dans la société birmane, les rapports avec les acaults sont tolérés. On trouve d'ailleurs dans plusieurs sociétés la place de transgenre comme dérivatif social à l'homosexualité masculine (on tolère les rapports des hommes avec les transgenres qui ne sont plus considérés comme des hommes à part entière). En fait les acaults recouvrent un large spectre qu'on pourrait définir dans les termes occidentaux du transsexualisme à l'homosexualité en passant par le travestisme. • Les mahus (et raé raé) en Polynésie : statut social vieux de plusieurs siècles qui commence avec une éducation toute particulière pratiquée dès le plus jeune âge : l'auto-détermination de la personne est ainsi sujette à caution. Les Mahus, hommes biologiques, s’épilent, mangent à l’écart de la gent masculine, dansent, chantent et vivent avec les femmes. Il y a bien sûr une face sombre à cette apparente tolérance : la prostitution, née de l'essor du tourisme. Cela a donné naissance à l'appellation Rae rae, terme spécifiquement attribué par les occidentaux puis usité par les Polynésiens, pour qui la sexualité n’avait jamais servi à définir une identité. 18 • Les hijras (au Aravanis) en Inde et au Pakistan, dont on estime qu'elles sont entre 1 et 5 millions. Elles vivent travesties, exercent les métiers de danseuse, de musicienne et des fonctions d’ordre spirituel. A chaque étape importante de leur vie, les Indiens demandent la bénédiction d’une hijra, et leur présence aux fêtes données pour les naissances ou les mariages est recherchée, car elles sont réputées porter chance… ou malchance si on les évite. Les Hijras sont aujourd'hui de plus en plus marginalisées et vouées à la mendicité et à la prostitution. • Chez les Inuit : le phénomène transgenre occupe une place assez particulière, dans la mesure où cette spécificité est dictée par la société et non par un ressenti personnel : - le nom de l'enfant à naître, en hommage à un membre de la famille décédé ou encore vivant, va induire une obligation de travestissement jusqu'à la puberté si son sexe est différent de celui de l'ancêtre - la socialisation de l'enfant peut se dérouler de manière inversée en cas de déficit du ratio garçons/filles dans la fratrie. • Et aussi pour mémoire : Les fa'afafine (traduction : "à la manière d'une femme") à Samoa, les Fakaféfine aux îles Tonga, les waria en Indonésie, les katoeys en Thaïlande, les woobies en Côte d'Ivoire… C- QUELQUES TRANS' REPERES DANS NOTRE HISTOIRE • Mary de Vitry (16ème siècle, cité par Montaigne) : une jeune fille du nom de Mary, résidait à Chaumont et s'était résolue à s'habiller, à travailler et à vivre comme un homme. Mary gagnait sa vie comme tisserand et se rendit à Vitry pour y trouver l'amour. Il s'y maria avec une femme. Mais l'époux fut vite identifié et condamné à être… pendu ! Il préféra toutefois cette issue fatale plutôt que reprendre sa condition de fille. • Catalina de Erauso (1592-1650) : personnalité semi légendaire d'Espagne et des Amériques espagnoles. Basque, fille et sœur de soldats, elle est destinée à devenir nonne, mais abandonne cette voie, s'habille en homme et mènera une vie extrêmement aventureuse en tant que soldat et duelliste acharné dans toute l’Amérique du Sud, en Espagne et en Italie. • Philippe de France, frère de Louis XIV (1640-1701). Dès son enfance, Philippe montra son originalité, son jeu préféré étant de porter des robes et de se poudrer. Même si le fait de porter des robes était à l’époque normal pour les garçons en bas âge, Philippe en portera occasionnellement même à l'âge adulte, se déguisant en femme et aimant déguiser des femmes de la cour. • François-Timoléon, abbé de Choisy (1644-1724) : Fils d’un conseiller d’État intendant du Languedoc et d'une amie intime de Marie de Gonzague, reine de Pologne, qui l’habille en fille jusqu’à l’âge de dix-huit ans pour satisfaire aux caprices de Philippe de France, frère de Louis XIV. Adulte, il reprend le costume féminin et réside, avec les encouragements de son curé et l’approbation de son évêque, d’abord à Paris sous le nom de Mme de Sancy puis à Bourges où il se fait passer pour une riche veuve sous le nom de comtesse des Barres. Profitant de son costume pour séduire des jeunes filles, il en fait le récit dans ses "Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme". • La bourrelle de Lyon (1720- ?) : Marguerite-Julienne le Paistour s'enfuit à vingt ans du domicile paternel revêtue des effets de son frère et prend le nom d'Henry. Après quelques 19 aventures militaires, elle/il apprend le métier de bourreau à Strasbourg et Montpellier puis obtient le poste d’exécuteur des hautes œuvres à Lyon. Il est réputé exercer sa fonction avec zèle. Nul n’ignore que le nouvel exécuteur manie la corde avec dextérité, et pourtant ce bourreau est si chétif qu'on n’en croit pas ses yeux : comment des mains aussi frêles peuvent-elles rompre, fouetter ou pendre ? Pendant vingt-sept mois, Henry accomplit son œuvre, avant d’être démasqué et incarcéré… pour en fin de compte épouser un homme, ce qui lui vaut sa libération. • Le Chevalier de Beaumont d'Eon (1728-1810) : Espion de Louis XV, il est célèbre pour son habillement qui le faisait passer pour une femme. Affilié au "Secret du Roi", politique que mène Louis XV en parallèle des conseils officiels (le prince de Conti, le maréchal de Noailles, Beaumarchais en font également partie), il est dépêché à la Cour de Russie comme secrétaire d'ambassade, puis à Saint-Pétersbourg et à Londres, où il se présente toujours en femme. Après maintes péripéties il devra remettre au roi Louis XVI des documents secrets rédigés sous le règne de Louis XV et s’engager à ne plus jamais quitter ses vêtements féminins. En échange de quoi une rente viagère lui est accordée. D'Éon quitte Londres le 13 août 1777 et se présente à la cour en capitaine de dragons. Une ordonnance prise le 27 août par le roi lui donne ordre « de quitter l'uniforme de dragons qu'elle continue à porter et de reprendre les habits de son sexe avec défense de paraître dans le royaume sous d'autres habillements que ceux convenables aux femmes ». Il est exilé à Tonnerre, puis regagne la Grande-Bretagne où il meurt dans la misère. • Henriette-Jenny Savalette de Lange (1786?-1858) : Parfaitement intégrée dans la haute société du 19ème siècle, extrêmement courtisée, pensionnée par Louis XVIII et Charles X, toute sa vie repose sur un mystère : depuis ses origines restées inconnues en pleine tourmente révolutionnaire jusqu'à sa mort où l'on découvre lors de la toilette mortuaire qu'elle est de sexe masculin. Elle apparaît dans la bonne société parisienne en 1804 et se dit fille naturelle du comte Savalette de Lange, garde du Trésor Royal et créancier du frère de Louis XVI : elle fera même établir un acte de notoriété à défaut d'acte de naissance, appuyé par sept témoins de la noblesse. Protégée en haut lieu, elle obtiendra même un appartement au château de Versailles jusqu'à ce qu'il soit transformé en musée historique. On retrouvera après sa mort une petite fortune disséminée dans sa maison, ainsi qu'un couvre-lit très luxueux ayant appartenu à Louis XIV et qui alimentera les rumeurs les plus extravagantes, puisqu'on lui prêtera l'identité de Louis XVII. D- CONCEPTUALISATION TRANSSEXUALISME ET PRATIQUE : L'APPARITION DU 1. Théoriciens et praticiens A la fin du 19ème siècle, trois allemands (dont deux sexologues) jettent les bases d'une approche théorique de la transidentité. Dans les années 1860 apparaît la théorie dite "du 3ème sexe". Le juriste Karl Heinrich Ulrichs (1825-95) propose de diviser l'humanité en trois sexes : hommes, femmes et uraniens pour les homosexuels (anima mulieris in virile corpore inclusa). Selon lui la conséquence d'une âme de femme dans un corps d'homme est de développer une attirance sexuelle pour les hommes (vice versa pour les femmes). Il considère l'uranisme comme un phénomène d'origine naturelle et non comme une perversion. En voulant défendre les homosexuels il pose ainsi les jalons de la future définition de la transidentité, par la théorie du sexe psychologique et de sa contradiction avec le sexe anatomique. 20 Puis, dans "Psychopathia Sexualis" (1887 et 1895), Richard von Krafft-Ebing (1840-1902) publie des témoignages de femmes vivant en hommes et vice versa, mais assortis d'une morale manichéenne et puritaine qui fait apparaître toute déviance sexuelle comme folie criminelle. Enfin, Otto Weininger (1880-1903), grand rival de Freud, malgré des théories misogynes et racistes, affirme que tout être humain est bisexué et bisexuel : "Il n'existe heureusement pas d'individu qui soit tout entier d'un seul sexe". Dans son livre Sexe et Caractère, best seller en Europe au moment de son suicide, il insiste : "la classification des êtres vivants en mâles et femelles apparaît insuffisante pour rendre compte de la réalité". Au début du vingtième siècle, concepts et pratiques vont converger (Foerster, 2006) grâce à Magnus Hirschfeld (1868-1935), médecin et sexologue allemand. celui-ci définit quatre stades "d'intermédiaires sexuels" : - les intersexués (appelés alors hermaphrodites) - les porteurs de signes atypiques (femmes à barbe, hommes à seins… ) - ceux qu'on a alors coutume de nommer les "déviants sexuels" : homosexuels, mais aussi hétérosexuels adeptes du fétichisme, du sado-masochisme, de l'exhibitionnisme… - transsexuels (qu'il nomme transvestis, bien que la pratique du travestissement ne soit pas pour lui une condition sine qua non). En 1910, Hirschfeld publie Die Transvestiten dans lequel il décrit de nombreux cas d'une réalité méconnue. Parallèlement apparaît une nouvelle science médicale, l'endocrinologie, sous l'impulsion du Dr Eugen Steinach à Vienne. Le rôle des hormones dans le changement de sexe est mis en évidence dans des expériences sur des rats et des cobayes. Hirschfeld fonde en 1919 l'Institut de Sexologie, destiné à approfondir les connaissances sur la sexualité et à militer pour une amélioration de la condition des Intermédiaires sexuels. Le contexte lui est favorable : Berlin est alors la capitale européenne des subversions de tous genres, et sa réputation de licence et de liberté se répand internationalement : c'est là qu'apparaît la culture du cabaret transgenre (Foerster, 2006). Les opérations chirurgicales débutent à cette époque : Hirschfeld procède en 1912 à une mammectomie et une hystérectomie. En 1921, le Dr Félix Abraham pratique une orchidectomie sur Rudolf Richter, devenu Dora. En 1930, le Dr Levy-Lentz se charge de la pénectomie de Dora, et quelques mois plus tard Abraham, ou le Pr Gohrbandt, lui construit un vagin artificiel, achevant ainsi la première réassignation sexuelle de l'histoire. En parallèle, en 1917 à New York, une femme persuade le psychiatre Joshua Gilbert de faire pratiquer chez elle une hystérectomie. Après l’opération, le patient, devenu Allan Hart, réussit à changer d’état civil, se marie deux fois et mourra en 1962 à l’âge de soixante-douze ans, après une vie et une carrière heureuse de médecin et d’écrivain. (Meyerowitz, 2002). Nettement plus médiatisée que Dora, Lili Elbe, née Einar Wegener, peintre danoise venue se faire opérer en Allemagne, ne survivra pas à une tentative de greffe d'ovaires en 1931. Auparavant, elle aura obtenu dans son pays un changement d'état civil et inspire la publication de la première biographie d'une transsexuelle. Le Danemark sera d'ailleurs le premier pays à dépénaliser la castration pour objectif thérapeutique, en 1935. Les phalloplasties sont plus tardives et beaucoup moins réussies que les vaginoplasties. Les premières – sans rapport avec le transsexualisme – avaient été tentées dès 1916 sur des mutilés de guerre. En 1936, le médecin russe Nikolai Bogoraz réussit la première phalloplastie réparatrice avec un tube et des greffes de peau prélevés sur l’abdomen chez un homme dont la femme avait sectionné le pénis. Mais il faut attendre 1948 pour que le premier transsexuel bénéficie d’une telle intervention, qui reste difficile, complexe, et aux résultats aléatoires. Les débuts du transsexualisme à Berlin font l'objet de nombre de publications et de traductions en 21 français, ainsi que d'une large et positive vulgarisation effectuée par Voilà, magazine populaire à grand tirage. L'arrivée des nazis au pouvoir, en 1933, va marquer un coup d'arrêt aux travaux de l'Institut de sexologie, saccagé et fermé, dont les livres seront brûlés publiquement (Foerster, 2006). Tandis que Magnus Hirschfeld migre en France où il meurt en 1935, l'endocrinologue Harry Benjamin (1885-1986), né à Berlin mais ayant choisi l'exil aux USA dès 1914, va poursuivre et intensifier les travaux initiés en Allemagne et en Autriche. Il viendra en aide durant sa longue carrière à plus de 1500 patients, dont le tout premier, Otto Spengler, était déjà mentionné dans le livre de Hirschfeld en 1910. C'est d'ailleurs sur Otto Spengler, dans les années 1920 à New York qu'il pratiquera les premiers essais hormonaux avec des œstrogènes dérivées des travaux de Steinach. Dans l'histoire de la transidentité, Benjamin restera sans conteste le spécialiste incontournable de ce sujet, car il est l'un des premiers médecins à dire que la psychanalyse et la psychiatrie ne peuvent rien pour les transsexuels qui ne sont pas mentalement dérangés, et à tenter de leur apporter une aide en accédant à leurs besoins plutôt que de vouloir les "guérir". C'est ainsi qu'il sera pionnier dans l'utilisation des traitements hormonaux mis au point en 1949. En 1953 émerge une conception liée à sa pratique clinique qui affirme que le transsexualisme est une "entité nosographique qui n’est ni une perversion ni une homosexualité" et qui sera qualifiée de syndrome de Benjamin. Arme à double tranchant, cette déculpabilisation du fait transsexuel l'enferme toutefois dans la case "maladie". En 1966, il publie le premier ouvrage grand public sur le sujet, The transsexual phenomenon, qui présente les traitements hormonaux et chirurgicaux comme une solution satisfaisante. Il fournit également une première définition : le transsexualisme est le sentiment d’appartenir au sexe opposé et le désir corrélatif d’une transformation corporelle. Ses protocoles de soins ont fixé le cadre éthique, toujours en vigueur aujourd'hui, du traitement des transsexuels. Le psychiatre Richard Green participe aux travaux de Benjamin qu'il alimente de nombreuses recherches, études et enquêtes : dans l'une d'elle en 1969 il interroge 400 médecins (psychiatres, urologues, gynécologues, généralistes) à propos du cas d'une transsexuelle. Celle-ci était suivie par un psychiatre et un psychothérapeute depuis 2 ans, le psychiatre était convaincu que la chirurgie était indiquée et que son refus pourrait conduire à un suicide : 80% la disent atteinte d'une grave névrose, 15% de psychose. La majorité des médecins et 94% des psychiatres disent qu'ils refuseraient la réassignation sexuelle pour des raisons morales et/ou religieuses. Le psychologue John Money (1921-2006), qui travaille dans les années 1950 auprès d'enfants intersexués, met en exergue la prévalence de l'empreinte psychologique due à l'éducation sur la nature biologique du sexe en ce qui concerne l'acquisition du comportement masculin ou féminin. Cette conception appliquée aveuglément et de manière très normative aux intersexués s'avérera parfois catastrophique, mais Money aura au moins le mérite d'introduire une distinction fondamentale entre le genre, relevant du psycho-social, et le sexe, relevant du biologique. Robert Jesse Stoller (1925-92), psychiatre et psychanalyste, approfondit cette théorie en introduisant la notion d'identité de genre, qui désigne le vécu identitaire en termes d'appartenance au "masculin" ou au "féminin". Ces deux mots recouvrent des concepts éminemment culturels et fluctuants selon les sociétés et leurs évolutions. Ainsi, l'être humain est plus complexe que la subdivision binaire mâle/femelle : un mâle peut se sentir plus ou moins féminin et vice-versa, sans qu'il y ait nécessairement interrogation relative au sexe biologique. Quand c'est le cas, Stoller parle alors de dysphorie de genre, dont le transsexualisme représenterait la forme extrême. 22 2 . Les premières "célébrités" trans' En France, quelques "pionnier(e)s" connaissent une relative célébrité. Le peintre MichelMarie Poulain (1906-91), élevé comme une fille, réputé pour son talent dans le Montmartre d'entre deux guerres, et pour sa beauté en tant que mannequin de la bonne société. Elle rencontre Hirschfeld une première fois en 1937 et recule devant les risques opératoires, puis se décide en 1946. Opérée par un médecin dont on ne connaît pas l'identité, elle écrira son autobiographie sous le titre : J'ai choisi mon sexe. Violette Morris, sportif ou sportive (elle n'a jamais affirmé clairement son identité de genre) de haut niveau, porte plainte en 1927 contre la Fédération sportive féminine de France pour refus de licence, justifié par le port de vêtements masculins et une mastectomie (officiellement réalisée à cause de la gêne provoquée par une poitrine opulente dans sa pratique sportive…). Sur les traces de Violette Morris, Léa Caurla et Claire Bressoles, qui ont battu ensemble le record de France de 4x100m et obtenu une médaille d'argent au championnat d'Europe en 1946, deviendront officiellement Léon Caurla et Pierre Bressoles. Puis Marie-André Schwindenhammer (1909-81) devient une figure essentielle du transsexualisme d'après-guerre en France. Elle se déclare victime de traitements hormonaux expérimentaux effectués par les nazis lors de son internement. Bien que cette version ait pu servir d'alibi social (notamment vis à vis de sa famille de la haute bourgeoisie), elle se distingue par son extraordinaire énergie mise au service de ses consœurs, notamment en drainant toute la communauté de l'époque auprès de son amie Mme Bonnet qui pratiquait l'épilation par électrolyse, puis en créant en 1965 l'AMAHO (Aide aux Malades Hormonaux) et en allant jusqu'à créer une carte "d'identité" tolérée par la préfecture et destinée à faciliter la vie quotidienne des personnes travesties et transsexuelles de l'époque. Mais c'est le cas de Christine Jorgensen qui va sortir le transsexualisme de la confidentialité : bien malgré elle, cette jeune américaine qui avait pris le chemin du Danemark pour obtenir son changement de sexe (1950-52), fut à l'origine d'un scandale mondial. Elle n'était pas la première transsexuelle à se faire opérer, mais fut, dans le contexte historique de l'époque (en pleine guerre froide, chasse aux sorcières McCarthyste et ségrégation raciale), victime d'un déchaînement médiatique sans précédent. A la même époque, la jeune Jacques-Charles (plus tard Jacqueline-Charlotte) Dufesnoy est engagée chez Madame Arthur, grand cabaret parisien, antichambre du fameux Carrousel : le mythe Coccinelle est né, et avec lui l'image d'Epinal du transsexualisme. D'une grande beauté et véritable star dans tous les sens du terme, Coccinelle fera rayonner la culture du "cabaret transgenre" dans le monde entier durant plus de vingt ans. Opérée en 1958 par le Dr Burou à Casablanca, rapidement devenu le spécialiste mondial des opérations de changement de sexe, elle connaît une gloire fulgurante, passe à l'Olympia, tourne sur tous les continents et se marie à l'église en 1962, ce qui sera l'objet d'un scandale retentissant. C'est d'ailleurs suite à cet événement que les juges compliqueront les changements d'état civil des transsexuel-le-s. E- LA TRANSIDENTITE FACE AUX INSTITUTIONS : POLITIQUE, MEDICALE, JUDICIAIRE Des centaines de candidat(e)s au changement de sexe s'engouffreront dans le sillage de Coccinelle. La "bonne société" s'offusque hypocritement du succès de cette filière, et à l'ordonnance Lépine de 1907 interdisant le travestissement hors dimanches et mardi gras s'ajoute celle du préfet 23 Léonard (1949) interdisant le port de perruques, les faux seins, la danse entre hommes et les spectacles de travestissement. Paradoxalement, cette répression encourage le transsexualisme, les prises d'hormones (en vente libre) et la pousse des cheveux n'étant pas visées par l'interdiction. Alors que Harry Benjamin publie aux USA "The Transsexual Phenomenon", un plaidoyer pour la liberté de changer de sexe, les années 1970 marquent en France un durcissement vis à vis du transsexualisme (Foerster, 2006) : dans la lignée des positions de J. Lacan, qui taxe le recours à la chirurgie de délire pathologique, les pouvoirs publics rendent obligatoire le passage devant un psychiatre. Les hormones ne sont plus en vente libre, et les changements d'état civil deviennent de plus en plus difficiles, jusqu'à un arrêt de la Cour de Cassation (16/12/1975) qui les interdit, du fait de "l'indisponibilité de l'état des personnes" (Code Napoléon, 1804). Le recours à la prostitution et les violences policières deviennent le lot de nombreuses transsexuel-le-s. Plusieurs ouvrages émanant de psychiatres et psychanalystes, fustigent la démarche atypique des transsexuel(le)s, qualifiée de pathologie délirante tant elle échappe aux principes connus (Henri Frignet, Catherine Millot, Colette Chiland, Patricia Mercader entre autres) (Foesrter, 2006). C'est dans ce contexte que se mettent en place des équipes médicales pluridisciplinaires dans les hôpitaux publics, qui s'arrogent le monopole du traitement des demandes émanant de transsexuel(le)s, le recours à la chirurgie relevant d'autorisations exceptionnelles au regard de la loi : le pouvoir politique et judiciaire s'appuie ainsi sur l'expertise psychiatrique pour valider les changements de sexe, en référence à l'inscription du transsexualisme par l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) dans la catégorie des troubles psychiatriques. Le Centre du Christ Libérateur (CCL) créé en 1976 par le pasteur Doucé, sera la première structure d'accueil et d'aide aux transsexuels, tandis que l'ABC (Association Beaumont Continental, 1975) permettra un regroupement des personnes s'exprimant par le transvestisme. Des associations spécifiquement dédiées au transsexualisme apparaîtront progressivement (AMEFAT 1981, AAT 1992, ASB 1995, CARITIG 1995… ; voir à ce sujet la partie Panorama des associations trans' françaises). Alors que le sénateur Caillavet tente vainement en 1982 de faire voter une loi pour améliorer le sort des transsexuel(le)s, un patient travail de lobbying du pasteur Doucé amènera le Parlement Européen à voter une "Résolution sur la discrimination dont sont victimes les transsexuels" et la recommandation n°1117 invitant les états à accorder le changement d'état civil aux transsexuel(le)s opéré(e)s. En 1992, la Cour Européenne des Droits de l'Homme condamne la France pour avoir refusé durant dix-sept ans un changement d'Etat-civil à une personne transsexuelle opérée. Le 11 décembre de la même année, la Cour de Cassation rend donc un arrêt contraire à celui de 1975. POUR APPROFONDIR LE SUJET6 : - BRISSON Luc, Le sexe incertain, Androgynie et hermaphrodisme dans l'Antiquité gréco-romaine, Ed. Les Belles Lettres, septembre 2008 - FOERSTER Maxime, Histoire des transsexuels en France, Ed. H&O, octobre 2006 - CALIFIA Pat, Le mouvement transgenre, changer de sexe, Ed. EPEL, octobre 2003 - CASTEL Pierre-Henri, La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l'identité personnelle, Ed. Gallimard, mars 2003 - MICHEL Aude, Les troubles de l'identité sexuée, Ed. Armand Colin, collection 128, avril 2006 - HERAIL, Sur l'homme-femme connu sous le nom de Mademoiselle Savalette de Lange, Ed. Dilecta, mai 2006 6 Une bibliographie plus large est à disposition à la fin de ce document. 24 - DESY Pierrette, “L’homme-femme. (Les berdaches en Amérique du Nord).” (1978), article publié dans la revue libre Politique, anthropologie, philoso-phie, 1978, no 78-3, pp. 57-102. Paris : Payot. Reproduit en version numérique à l'Université du Québec à Chicoutimi : http://classiques.uqac.ca/ • IV LES PARCOURS DE TRANSITION Remarque préalable : la description faite ici ne concerne qu'une partie des personnes trans', celles qui font le parcours de transition dans son ensemble (ce que certains qualifient de "jusqu'au bout", sous-entendu jusqu'à l'opération de réassignation sexuelle et au changement d'état civil), sachant que d'autres se travestissent, d'autres s'hormonent sans chirurgie, etc. Si l'identité de genre a longtemps fait partie de la sphère privée, le développement des hormones et des techniques chirurgicales a permis l'entrée des personnes transidentitaires sur une scène beaucoup plus large (Akrich, 2006). En s'intéressant à l'offre médicale proposée aujourd'hui en France, nous constatons que c'est celle développée par les équipes hospitalières qui apparaît comme la plus visible et la plus accessible pour les personnes trans', dans la mesure où elle a désormais acquis une certaine reconnaissance des pouvoirs publics (ce qui se traduit notamment par le remboursement des soins). Ces équipes sont dites « officielles » ou « protocolaires » et le « parcours de réassignation » qu'elles proposent s'est construit progressivement dans le dernier quart du XXème siècle, porté par une double logique : le transsexualisme serait un syndrome qui relève de la psychiatrie ; la réassignation hormonale et chirurgicale ne peut que "soulager une souffrance" et doit conduire à un être sexué stable, un homme ou une femme. Passer par une équipe hospitalière correspond ainsi à la volonté de passer d'un genre et d'un sexe à un autre, « d'aboutir à une construction normalement solide et répertoriée : un homme ou une femme » (Hérault, 2004). Or, cette condition s'oppose fortement à l'auto-définition revendiquée par certaines personnes trans' et à la multiplicité des ressentis face aux limites médicales et notamment chirurgicales. Dans les faits, certaines personnes trans' s'éloignent totalement ou en partie de l'offre de soin hospitalière, pour mettre en œuvre d'autres modalités de transformation : soit elles n'ont aucun contact avec les équipes officielles, soit elles engagent une partie du suivi avec elles et complètent avec l'offre médicale privée, soit, enfin, elles vivent leur transidentité sans aucune relation avec les médecins via des formes d'auto-médication notamment (hormonage sauvage). A- LES PARCOURS DE TRANSITION VIA L'HOPITAL PUBLIC Nous l'avons vu précédemment, le concept de transidentité a pris naissance en Allemagne où, porté par les nouvelles découvertes en endocrinologie et en chirurgie, le sexologue M. Hirschfeld fonde à Berlin l'Institut de Sexologie, où auront lieu les premières opérations de réassignation sexuelle. Mais, « si la France suit de près les débuts du transsexualisme en Allemagne, le milieu médical et psychiatrique ne partage pas le militantisme du Dr Hirschfeld, reprenant une partie de ses typologies tout en y injectant de la pathologie. » (Foerster, 2006) Dans la lignée de la psychiatrie européenne classique qui avait défini les critères de normalité et d'anormalité sexuelle (Iacoub, 2010), la psychanalyse qualifie de « délire pathologique » (Lacan, 1971) le recours à la chirurgie pour mieux vivre son identité de genre, et produit toute une littérature qui plaide « contre le droit des transsexuel(le)s à changer de sexe, de prénom et d'identité de genre » (Foerster, 2006). De fait, dans les années 1970, cette théorisation va influencer les pratiques médicales en rendant indispensable l'aval d'un psychiatre pour débuter un traitement hormonal ou chirurgical. Ces 25 pratiques médicales sont d'ailleurs légitimées par le pouvoir judiciaire, qui rappelle le principe d'indisponibilité de l'état des personnes et rend impossible, en 1975, la prise en compte par l'état civil des transformations corporelles obtenues par les traitements médicaux7. Il faut attendre une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme en 1992 pour que le droit français modifie sa position via un arrêt en cour de cassation autorisant à nouveau le changement d'état civil à condition de modifications corporelles irréversibles. POINT JURIDIQUE : LA FRANCE CONDAMNEE PAR LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME EN 1992 La cour européenne des droits de l'homme condamne la France du fait de son refus de changer à l'état civil le sexe d'une personne transsexuelle, au bout de 17 années de procédures. La cour de cassation produit alors un arrêt contraire à celui qu'elle avait pris en 1975 : lorsque, pour des raisons thérapeutiques, une personne ne possède plus les caractéristiques de son sexe d'origine, alors le respect de la vie privée oblige à ce qu'on lui accorde le changement d'état civil. A partir des années 1970, les équipes médicales hospitalières entérinent un fonctionnement sur la base d'une expertise psychiatrique, garante de la validité de la demande de traitement hormonal et chirurgical, et proposent un « parcours de réassignation » décliné selon cinq étapes chronologiques : le diagnostic, le test de vie réelle, l'hormonothérapie, la chirurgie et le changement d’état civil (HAS, 2010). Ne sont alors traités que les transsexuels "primaires" menaçant de se suicider. Dès lors, le psychiatre se retrouve enfermé dans une injonction paradoxale : il doit établir un diagnostic psychiatrique confirmant qu'il ne peut pas guérir la personne de sa maladie mentale et que celle-ci doit être confiée au chirurgien qui seul pourra la "soulager". Il est donc prié d'établir un diagnostic d'échec, diagnostiquant la maladie mentale sans pouvoir lui-même la soigner. Mais ces protocoles médicaux français sont sans fondements juridiques. Si de nombreuses personnes transsexuelles étaient opérées depuis les années cinquante dans le monde, il faut attendre 1989 pour que la France pose les bases d'un protocole à travers une circulaire de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM). En effet, malgré la mise en place des équipes hospitalières dans les années 1970, persistait la volonté délibérée de ne pas légiférer sur le sujet pour que les transitions restent des mesures très exceptionnelles8. Alors qu’aucun décret ou arrêté n’est venu valider la circulaire de 1989 (procédure normale pour officialiser un texte de ce type), celle-ci continue cependant à légitimer les pratiques hospitalières et à justifier la prise en charge par la sécurité sociale des frais médicaux inhérents au transsexualisme. Il existe actuellement six équipes hospitalières publiques en France, dites équipes officielles, mises en place dans la lignée de cette circulaire de la CNAM : Marseille, Bordeaux, Paris, Lyon, Montpellier et Nice (selon le site de la SOFECT9, S0ciété Française d'Etude et de prise en Charge du Transsexualisme, qui réunit l'ensemble de ces équipes). Il est difficile d'évaluer le nombre de patients suivis par ces équipes, car il n'existe aucun recensement. Un rapport de la HAS (2010) indique uniquement les chiffres fournis par : • • l'équipe de Paris qui, sur dix ans de travail, décrit 63 vaginoplasties MtF10 dont 59 % de transfusions sanguines nécessaires et 28 % de complications. une thèse menée sur les pratiques de l’équipe de Lyon, qui s’appuie sur 56 cas de phalloplasties FtM, avec 50 % de complications, 9 % de sensations érogènes et 16 % de mictions correctes. 7 Selon un arrêt de la Cour de Cassation du 16 décembre 1975, cité par P. Mercader dans « L'illusion transsexuelle » (2000). 8 Se référer à ce sujet au débat ayant lieu au sénat en 1983, entre médecins, juristes et parlementaires : les trois parties s’accordent pour ne pas légiférer sur ce point, de crainte de voir déferler les demandes "injustifiées". 9 http://www.transsexualisme.info/ 10 MtF : issu du terme anglossaxon male-to-female, qui qualifie une personne née de sexe mâle qui fait une transition vers le genre féminin. Inversement, FtM pour female-to-male. 26 Les pratiques restent très hétéroclites d'une équipe à l'autre. Certains chirurgiens tentent d'adopter de nouvelles techniques (à Marseille, Bordeaux et Lyon) à l'instar de ce qui se pratique à l'international. Selon cette circulaire de 1989, le protocole hospitalier décline les étapes suivantes (ces étapes sont déclinées et détaillées dans la partie Transidentité et santé) : • 1. Le diagnostic La personne doit être diagnostiquée par un psychiatre qui tend à déterminer si elle est atteinte d'une maladie mentale se distinguant d'autres pathologies (schizophrénie, délire paranoïaque,...). Sont ainsi évaluées l'absence de co-morbidité et la présence du syndrome de transsexualisme "primaire". La période de diagnostic peut s'étaler sur une à deux années. Quand le psychiatre valide le diagnostic, il y a prise en charge au titre de l'ALD 23 (ALD = Affection Longue Durée ; aujourd'hui, ALD 31) sur demande du médecin traitant11 qui doit joindre l'attestation psychiatrique. POINT JURIDIQUE : PASSAGE DE L'ALD 23 A L'ALD 31 En mai 2009, la Ministre de la Santé a annoncé que le transsexualisme ne ferait plus partie des affections psychiatriques de longue durée mais resterait pris en charge au titre des maladies hors liste. Elle fait ainsi passer le transsexualisme de l'ALD 23 (23ème catégorie de maladies dans la liste des ALD 30) à l'ALD 31 (affections hors liste). Si, de façon symbolique, cette décision répond à la demande des personnes trans' de ne plus être considérées comme des malades psychiatriques, cela tend à augmenter l'incertitude quant aux critères d'obtention de la prise en charge des traitements et opérations par la sécurité sociale. En effet, quand le transsexualisme était associé à l'ALD 30, il s'inscrivait dans la ligne « affections psychiatriques de longue durée »12 : si la personne était reconnue comme atteinte du syndrome de transsexualisme par un psychiatre, alors la demande d'ALD était acceptée. Avec ce changement de catégorie, les raisons d'accorder une exonération du ticket modérateur sont beaucoup plus floues et laissées plus largement à l'évaluation de chaque médecin conseil. Il faut désormais prouver qu'il s'agit d'une « maladie grave de forme évolutive ou invalidante, non inscrite sur la liste des ALD 30, comportant un traitement prolongé d'une durée prévisible supérieure à 6 mois et une thérapeutique particulièrement coûteuse (exemple : malformation congénitale des membres, embolie pulmonaire à répétition, dégénérescence musculaire, asthme…)»13. Plusieurs associations, inquiètes que ce changement puisse réduire voire supprimer les possibilités de prise en charge, ont fait pression sur le Ministère de la Santé pour obtenir des garanties. Celui-ci a fini par affirmer avoir transmis une « lettre au réseau » à l'ensemble des caisses primaires d'assurance maladie dont il a transmis une copie à une association. Cette lettre au réseau explique que « la sortie des troubles précoces de l'identité de genre de l'ALD23 ne signifie pas pour autant la remise en cause de l'exonération du ticket modérateur au bénéfice de ces patients. Les personnes concernées qui le nécessitent doivent continuer de bénéficier d'une prise en charge à 100% pour les soins en lien avec le transsexualisme. »14 11 Pratique instaurée par la réforme de l'Assurance Maladie en 2005. Auparavant, la demande était faite par le psychiatre. 12 Site internet de l'Assurance Maladie : http://www.ameli.fr 13 Ibid. 14 Lettre au réseau adressée aux CPAM par le Ministère de la Santé, février 2010. 27 Exemple d'une personne déboutée trois fois dans sa demande de prise en charge ALD : E. est suivie par un psychiatre privé, donc la CPAM dit que ça ne peut pas être pris en charge ; elle va à l'hôpital public, obtient la confirmation écrite de son diagnostic mais, cette fois, la CPAM répond que la demande d'ALD a été faite pour une ALD 30, qui ne correspond pas à sa situation. Le médecin traitant de E. reformule la demande au titre de l'ALD 31, demande à nouveau rejetée par la CPAM. Le premier recours relevant d'une expertise médicale, E. demande l'expertise : on l'envoie chez un pédiatre, expert près du tribunal de grande instance. L'expert pédiatre rédige un rapport invalidant la demande de prise en charge sous prétexte qu'elle ne correspond pas aux critères de l'ALD 31. E., démunie, sollicite la personne qui tient des permanences pour personnes transidentitaires au planning familial ; celle-ci appelle la CPAM au nom du planning et envoie un courrier argumentant dans le sens d'une erreur administrative due au flou provoqué par le changement d'ALD. Après réception de ce courrier, la CPAM reconsidère sa position et accepte le dossier avec prise en charge rétroactive. Cet exemple illustre que la réalité reste incertaine malgré la règle, produisant des réponses aléatoires en fonction des interlocuteurs et des territoires. • 2. Le traitement hormonal La personne peut ensuite accéder aux traitements hormonaux : dans un premier temps, un traitement vient contrer les effets naturels des hormones de l'organisme (testostérone pour les hommes, œstrogènes et progestérones pour les femmes, cf partie sur la santé), sans compenser les effets du manque d'hormones naturelles. Cette première phase est annoncée comme réversible. Dans un second temps, sont prescrites les hormones sexuelles du genre désiré (phase annoncée comme irréversible). Puis les opérations chirurgicales peuvent être proposées. • 3. La chirurgie Pour les mtf, celles-ci consistent en des chirurgies dites de confort (résection de la pomme d'Adam ; rhinoplastie, retouche du front, des maxillaires...) ; ou des opérations de "réassignation sexuelle" telle que la mammoplastie (pose définitive d'implants mammaires ; pas systématique car les hormones développent la poitrine) ; la vaginoplastie. POINT JURIDIQUE : LES OPERATIONS DE REASSIGNATION SEXUELLES La vaginoplastie correspond à la fabrication d'un vagin à partir d'organes génitaux mâles (sans greffe d'utérus et d'ovaires). Elle est autorisée seulement depuis 2001 par une loi de bio-éthique, bien qu'étant pratiquée depuis plusieurs années ; il n'existe aucune codification tarifaire de cette opération. Dans certains pays, on pratique uniquement l'orchidectomie, c'est-à-dire l'ablation des testicules permettant une castration (qui est interdite par la loi française). Pour la vaginoplastie, ce n'est plus la CPAM qui délivre les autorisations mais la CNAM : covalidation du diagnostic psychiatrique par un endocrinologue et un chirurgien (coût 12 à 15000). Pour les ftm, il n'existe pas de chirurgie de confort, mais peuvent se pratiquer la mastectomie 28 (ablation de la poitrine), l'ovariectomie et l'hystérectomie (ablation de l'utérus et des ovaires), métaoïdioplastie (la testostérone, sous forme d'injections mensuelles, développe le clitoris : on augmente alors le développement de ce néo-clitoris par injection de collagène, avec une éventuelle prolongation du canal urétral permettant d'uriner debout) ou la phalloplastie (constitution d'un phallus avec greffe de peau du bras ou de la cuisse). 4. Les compléments Pour les mtf, il est généralement nécessaire de faire appel à la dermatologie pour des épilations faciales et génitales. Certaines personnes choisissent également d'être accompagnées par un orthophoniste ou un phoniatre pour travailler le niveau de leur voix. Enfin, un grand nombre d'entre elles a recours à des prothèses capillaires15. Dans la réalité, de nombreuses personnes sont écartées des protocoles ou décident par ellesmêmes de s'adresser ailleurs. On parle alors de parcours alternatifs ou semi-alternatifs. B- LES PARCOURS DE TRANSITION ALTERNATIFS La plupart du temps, les personnes construisant des parcours alternatifs insistent beaucoup sur leur capacité à s'auto-définir et rejettent l’approche médicale pathologisante de la transidentité. Cela génère de multiples définitions de soi avec, quasiment, une définition pour chacun et de plus, une définition qui peut rester en mouvement, ré-interrogeable, re-négociable. Il semblerait que ce soit cette auto-définition, ce processus dynamique de recherche de soi, qui oriente les choix médicaux et construise des parcours plus ou moins linéaires, avec d'éventuelles discontinuités, allers-retours ou ruptures dans les modalités de transformation. En retour, cette construction de son propre parcours semble largement participer au développement identitaire. Généralement, plus la personne a une perception claire de ce qu'elle pense être ou souhaite devenir, plus les décisions liées à sa transition se prennent et se mettent en œuvre facilement. Ces décisions s'appuient alors sur une recherche active d'informations, que ce soit au travers d'ouvrages, d'articles scientifiques ou de presse, de témoignages autobiographiques, de médias télévisuels (émissions, documentaires). Si les livres imprimés sont une source de documentation précieuse, le principal support d'information utilisé reste internet : blogs, forums, sites personnels ou associatifs, exposent des parcours variés et des formes multiples de transition. S'amorce alors tout un travail de repérage puis de sélection de l'information, à travers des textes d'une grande variété, que ce soit dans leur forme - articles, post, mail... - ou leur fond - données scientifiques, textes militants, récits intimes.... A partir des éléments récoltés, certains choisissent de poursuivre leur transition avec l'équipe hospitalière pour le démarrage et le suivi du traitement hormonal, puis d'interrompre leur parcours pour se faire opérer par un chirurgien du privé, en France ou à l'étranger (on parle alors de parcours semi-alternatifs ou mixtes). Parfois, ce passage par internet, des réseaux associatifs ou les milieux queer, éloigne d'emblée les personnes trans' de l'hôpital public : elles mettent alors en œuvre leur transformation uniquement via les médecins du privé. Elles peuvent être accompagnées par leur médecin généraliste ou choisir un psychiatre, puis un endocrinologue et un chirurgien (on parle de parcours alternatifs). Les parcours dans le privé sont souvent décrits par les acteurs comme moins linéaires et plus rapides que les parcours hospitaliers. Cette rapidité - la transition peut se dérouler en une année du 15 Remarque : les compléments capillaires ne sont habituellement pas pris en charge mais ça peut être négocié avec le médecin conseil. Se référer à ce sujet à la notice proposée en annexes. 29 premier rendez-vous chez le psychiatre aux dernières opérations - est souvent valorisée par certains, puis atténuée après coup quand ils réalisent qu'ils auraient pu prendre plus de temps pour intégrer leurs changements corporels et moins « brutaliser » leur entourage par des changements aussi conséquents sur un laps de temps aussi court. Certaines personnes trans' commencent ainsi par se faire opérer sans prendre d'hormones ou alors seulement par la suite, prennent des hormones sans envisager d'opération, etc. D'autres encore, à partir des informations recueillies, choisissent de débuter leur transition hors de tout suivi médical, trouvant des solutions pour s'auto-médicamenter. Quoi qu'il en soit, pour mettre en œuvre leur transition, les personnes repèrent des médecins « transfriendly »16, puis font circuler leurs noms de façon sélective via les divers réseaux, virtuels, associatifs, amicaux. Elles demandent à être reçues et accompagnées médicalement en tant que « personne » et non pas en tant que « malade », comme le sont des femmes enceintes ou désirant avorter : elles revendiquent ainsi le droit à une médecine autorisant l'expérimentation (sujet en mouvement, en recherche de soi) et pas seulement la correction (sujet malade) (Hérault, 2004). Cette démarche et la recherche active d'informations fonctionnent ainsi en synergie, l'une alimentant l'autre et vice-versa. En effet, afin de prendre la « bonne » décision, il s'agit non seulement de trouver des informations sur telle ou telle technique, tel ou tel traitement, tel ou tel praticien, etc., mais également de pouvoir vérifier la fiabilité des informations obtenues. 1. Les parcours semi-alternatifs ou mixtes Ici, tout est fait dans le cadre du protocole sauf l'opération génitale, pour laquelle la personne se rend souvent à l'étranger (en Belgique, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, au Canada et en Thaïlande, ces deux dernières filières s'étant développées depuis la fin des années 1990). Quand il y a rupture du protocole à ce niveau-là, la prise en charge des remboursements devient très compliquée dans le cadre européen, quasi impossible en dehors de l'Europe (coût d'une opération en Thaïlande : de 7 000 à 10 000 ; cela couvre l'intervention, le suivi post-opératoire, la visite de contrôle de fin de séjour, les éventuelles retouches et les transferts aréoport-hôpital-hôtel). 2. Les parcours alternatifs Dans ces parcours, les personnes ne passent pas du tout par le protocole hospitalier ; c'est le cas le plus courant aujourd'hui (une enquête de HES17 faite auprès de cent jeunes trans' de 16 à 25 ans révèle que 90% d'entre eux transitent hors protocole). Nous l'avons vu, les personnes s'informent alors via les associations ou internet afin de construire des parcours très individualisés en passant uniquement par le monde médical privé voire hors circuit médical (dans ce dernier cas, l'hormonage est dit sauvage et il n'y a pas d'opération). 16 Des chirurgiens américains, par exemple, acceptent d'opérer sans attestation psychiatrique à partir du moment où la personne prouve sa motivation. 17 Homosexualité Et Socialisme : http://www.hes-france.org/IMG/pdf/Rapport_Prelim_Enquete_JeunesTrans_Avril2009_Vfinal.pdf 30 Les parcours de transition, qu'ils utilisent la voie protocolaire ou alternative, posent une question fondamentale : Qui, aujourd'hui, est habilité à décider du devenir de quelqu'un, mieux que la personne elle-même ? Certains travailleurs sociaux s'inquiètent, craignent que la personne fasse le mauvais choix, s'interrogent sur une logique libertaire où il n'y aurait pas suffisamment de filtres, d'explications, de garde-fous, rendant le "jeu" trop facile, pas assez "conscientisé", réfléchi. On a pu identifier dans certaines mouvances trans' que des jeunes filles sont incitées à prendre des traitements hormonaux sous l'influence de discours féministes radicaux et dans la volonté de devenir des "mecs" pour mettre "fin à la domination masculine". Sur un autre registre, un psychiatre intervenant dans l'un des territoires de l'Amicale du Nid avait conseillé aux équipes de s'adresser aux personnes en fonction de leur sexe biologique, estimant que la transsexualité relevait de la psychose. Aujourd'hui encore, certains salariés de l'Amicale du Nid pensent que la transsexualité est une pathologie et non une question identitaire. Ces divers exemples sont également signe qu'il devient nécessaire de considérer autrement la transidentité. Rappelons que les demandes d'ALD sont faites par le médecin traitant. Depuis la réforme de 2005, la demande d'ALD ne relève plus du médecin spécialiste, même si cela se maintient dans un cadre psychiatrique et que, la plupart du temps, le généraliste joint à la demande le certificat du psychiatre attestant qu'il s'agit bien d'un trouble précoce de l'identité sexuelle ou d'un syndrome de Benjamin primaire. La prise en charge hospitalière de la réassignation sexuelle nécessite une co-validation du diagnostic par 3 spécialistes. Les chirurgies périphériques relèvent des CPAM ; les chirurgies génitales du médecin conseil de la CNAM. Enfin, une dernière étape peut avoir lieu dans la transition de la personne : le changement d'état civil. C- LE CHANGEMENT D'ETAT CIVIL Le changement d'état civil se fait uniquement dans le cadre du Tribunal de Grande Instance (TGI). C'est le juge aux affaires familiales qui statue. La personne changeant de sexe produit une requête au TGI pour obtenir son changement d'état civil. Il existe de grandes inégalités d'un territoire à l'autre, car il n'y a aucun texte de référence spécifiquement dédié à ce sujet : le principe du droit français en la matière est "l'indisponibilité de l'état des personnes", ce qui signifie que l'état civil est immuable. L’inscription des noms, prénoms et sexe de l’enfant lors de sa déclaration de naissance est un acte non modifiable. Les évènements qui jalonneront la vie de la personne (mariage, divorce, décès), ainsi que les éventuelles modifications d’état civil donneront lieu à des mentions manuscrites en marge de l’acte de naissance. Les possibilités d’accéder à des modifications, pour les personnes transidentitaires, sont cadrées par deux textes : - le changement de prénom, prévu à l’article 60 du Code civil - le changement de sexe, en vertu de l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 1992 Dans la réalité, depuis 1992, le changement d’état civil est en principe accordé aux personnes transidentitaires ayant subi une intervention génitale. Le parquet peut argumenter contre, ce qui est 31 rare, ou demander des expertises complémentaires aux certificats médicaux produits. De fait, le juge ordonne généralement des expertises médicales (psychiatriques et gynécologiques), qui sont à la charge du demandeur et se font auprès d'un médecin expert auprès les tribunaux. Ces expertises sont contestées par toutes les associations de personnes transidentitaires, car elles provoquent la sensation de rajouter de l'humiliation à l'humiliation. Depuis mai 2010, une directive du Garde des Sceaux, faisant suite aux recommandations du Conseil de l'Europe de mars 2010, demande aux procureurs de vérifier le côté irréversible de la démarche et de ne pas solliciter d'expertises médicales dès lors qu'il y a suffisamment de certificats émanant de praticiens spécialistes stipulant l'état irréversible de la démarche de la personne. Ce caractère irréversible peut être évalué par des traitements hormonaux sur le long terme et des chirurgies périphériques. Mais cette circulaire de mai 2010 laisse encore largement place aux interprétations. Il peut être cité l'exemple intéressant d'un juge qui a refusé le changement d'état civil pour la seconde fois à Nancy, parce que la personne devait lui fournir la preuve que des chirurgies périphériques avaient été effectuées et produit une poitrine de taille suffisante comme preuve de l'irréversibilité de la démarche. Dans un autre cas, à Béziers, un juge a refusé le changement d'état civil parce qu'il doutait du caractère thérapeutique de la démarche, émettant l'hypothèse que cela arrangeait surtout la personne pour se prostituer. Quand le changement d'état civil est accordé, le greffe envoie le jugement à la mairie de naissance du demandeur, après un délai d'un mois servant à faire éventuellement appel. La mairie inscrit le changement de sexe assorti éventuellement d'un changement de prénom (si cela n'a pas été fait préalablement) en marge de l'acte intégral d'état civil : par jugement du TGI à telle date, la personne est déclarée de sexe masculin ou féminin et se prénommera désormais de telle ou telle manière. L'acte intégral n'est donc pas changé dans le registre : la personne reste marquée par son sexe de naissance. Cependant, dans de nombreux actes de la vie civile, l'acte intégral n'est pas demandé et c'est l'extrait de naissance qui est produit. Celui-ci est rédigé de la façon suivante : le 5 juillet 1963 est né à Grenoble Duchemin Jean, de sexe masculin. Cela correspond à la production d'un "vrai faux", puisque la personne n'est pas née du sexe indiqué (ici masculin). Quand une personne a vécu plusieurs évènements inscrits à l'état civil, cela peut donner ce genre de document : le 5 juillet 1963 est néE Dupont Justine Noémie de sexe féminin, mariéE le X avril 1984 avec – on ne peut pas mettre avec Madame, le mariage entre deux personnes du même sexe étant interdit en France, alors on "transsexualise" symboliquement l'épouse et on mentionne uniquement l'initiale – avec V. Dubois, divorcéE de V. Dubois le ... On "bricole" donc un état civil en modifiant le cas échéant le sexe du conjoint. Les personnes mariées représentent un cas particulier : le système judicaire français a modifié la réglementation concernant le mariage, pour préciser que le mariage entre deux personnes de même sexe est illégal dans notre société (suite au mariage entre deux personnes homosexuelles célébré par N. Mamère, maire de Bègles en 2004). Quand une personne transidentitaire arrive au TGI avec son dossier, elle doit fournir son acte intégral de naissance, qui indique le mariage : le greffier rappelle alors l'interdiction du mariage de même sexe et demande à la personne de divorcer avant de représenter son dossier ; or, lorsque le mariage a été célébré, les deux personnes étaient de sexes différents et le mariage était donc légal. En l'occurrence, la personne ne vient pas pour se marier, ni demander si son mariage est valide ou non, mais demande un changement d'état civil, ce qui n'implique pas de la marier avec une personne du même sexe qu'elle. Mais les greffes s'abritent systématiquement derrière ce principe et rejettent le dossier qui n'est même pas vu par le juge, ce qui peut s’apparenter à un abus de pouvoir. Il est à souligner qu'il n'y a pas d'autre situation a priori dans notre pays où les lois soient interprétées comme rétroactives. 32 En 2003, à Caen, un cas a échappé à la vigilance du greffe : c'est seulement lors de l’audience que le juge a décrété le changement d'état civil impossible du fait du mariage, qui aurait généré un "trouble à l'ordre public". Mais la cour d'appel a statué autrement : le juge estimait au contraire nécessaire d'appliquer le droit au respect de la vie privée, et a accordé le changement d'état civil. Ce cas ne fait cependant pas jurisprudence, la cour de cassation n’ayant pas été saisie. De nombreux couples, mariés depuis des années, parviennent à surmonter l’épreuve psychologique et affective du changement d'un des deux partenaires et se retrouvent ensuite dans l'obligation de casser symboliquement un lien resté fort pour pouvoir obtenir le changement d'état civil. Le changement de prénom est théoriquement plus simple dans le droit français : il suffit qu'il y ait un ”intérêt légitime” (art. 60 du Code Civil). Mais ce dernier relève de l'appréciation du juge. Pendant longtemps, les personnes transsexuelles, même opérées, demandant leur changement de prénom, n'avaient le droit qu'à des prénoms mixtes, utilisables dans les deux genres : Dominique, Camille... En 2005, dans sa réponse à une question écrite de parlementaire, le garde des sceaux précise que pour faciliter les démarches au quotidien des personnes en transition, celles-ci peuvent demander le changement de prénom, qui relève de l’intérêt légitime. De nombreux transgenres se sont appuyés sur cette précision, obtenant pour certain un changement de prénom sans faire l'ensemble de la transition. POINT JURIDIQUE : LE CHANGEMENT DE PRENOM La Cour de Cassation n’a jamais admis, en matière de changement de prénom, une situation irréversible, ayant reconnu que l’intérêt pouvait varier avec le temps, l’intéressé pouvant changer d’avis et demander à nouveau un changement de prénom (Cass Civ 1ère chambre du 22 juin 1999, n° 97-14.794). Mais, à l'heure actuelle, la Cour de Cassation n’a pas été saisie de la question de la modification du prénom dans le cadre du syndrome de dysphorie de genre. Le changement de prénom, comme le changement de sexe à l’état civil, relève d’un recours gracieux, mais les frais d’avocat sont à la charge du demandeur ; la démarche peut être coûteuse (environ 1000 à 2000). L'acte de notoriété : certaines personnes ont recours à cet acte passé devant un notaire, plus simple et moins coûteux que le changement de prénom. La personne souhaitant obtenir un nom d'usage ou un alias se présente devant un notaire avec deux témoins et des pièces à conviction appuyant sa demande (courriers,...). Le notaire rédige un acte permettant éventuellement de faire inscrire le nom d'usage sur la carte d'identité : Monsieur Untel dit Madame Untel ou dit "prénom". Mais le nom d’usage, s’il est toléré, ne présente aucun caractère légal, et la préfecture peut refuser l'inscription de l'alias sur la carte d'identité. La délivrance de cet acte coûte environ 250. 33 POINT JURIDIQUE : LE CHANGEMENT D'ETAT CIVIL EN QUELQUES DATES Le code Napoléon instaure le principe d'indisponibilité de l'état des personnes. En France, jusque dans les années 60, les demandes de changement d'état civil sont acceptées car elles restent très marginales. Mais le mariage de Coccinelle après son opération à Casablanca provoque un scandale qui remet en cause la possibilité de changement d'état civil. La Cour de assation, en 1975, rend un arrêt renvoyant au code Napoléon et interdisant le changement d'état civil (juste au moment où commencent les premières opérations en France). En 1992, la France se voit condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH). Se pliant à la décision de la CEDH, la Cour de Cassation, par un arrêt rendu en assemblée plénière, admet alors que « lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. » (C. Cass. Ass. Plén. 11 décembre 1992, pourvoi n° 91- 12373, JCP G 1993, II, 21991, concl. Jéol, note Mémeteau). La Cour de Cassation impose cependant quatre conditions cumulatives à cette reconnaissance : – le syndrome de dysphorie de genre doit avoir été médicalement constaté ; – l’intéressé-e doit avoir subi une opération de réassignation sexuelle ; – cette modification doit avoir été judiciairement constatée, c’est-à-dire corroborée par une expertise judiciaire ; – l’intéressé-e doit avoir adopté, outre l’apparence physique du sexe opposé, le comportement social de celui-ci. Une fois ces conditions remplies, la demande de rectification de la mention du sexe figurant sur l’état civil conduit à l’inscription du nouveau sexe en mention marginale, celle-ci ne valant que pour l’avenir. Mais, les changements d'état civil se demandant au tribunal de grande instance du lieu de résidence, on note des variations conséquentes selon les territoires. La mataoïdioplastie et la phalloplastie ne sont pas obligatoires pour obtenir le changement d'état civil, du fait des résultats peu satisfaisants des opérations ; par contre l'hystérectomie est obligatoire. Les ftm dénoncent cette situation la résumant à : "l'Etat nous demande d'être stérilisés pour changer d'état civil". En mars 2010, le Conseil de l'Europe adresse une recommandation aux états membres de non stérilisation. En mai 2010, la Ministre de la Justice transmet une circulaire : les opérations de conversions sexuées ne sont plus exigées pour le changement d'état civil, seul le critère d'irréversibilité est avancé et laissé à la libre appréciation du juge (jusqu'à cette date, une personne ne recourant pas à une réassignation sexuelle ne pouvait pas demander son changement d'état civil et devait conserver des papiers non conformes à son image). Les préconisations de cette circulaire placent l'Etat dans une position délicate puisqu'il reste garant de l'état civil des personnes et engage sa responsabilité en désignant telle personne comme un homme et telle autre comme une femme. Que se passerait-il alors si par exemple une femme épousait un homme qui révèlerait un sexe féminin au moment de la nuit de noce ? L'épouse pourrait s’en prendre à l'Etat qui l'aurait trompée sur le sexe de son partenaire ! Que faire alors ? Au nom de quoi l'Etat doit-il déterminer le sexe d'une personne ? Pendant une période (début des années 1980), la mention de sexe n'apparaissait pas sur la carte d'identité. Qu'en est-il des personnes intersexuées ? Comment les prend-on en compte ? 34 L'Australie, où une personne intersexuée a récemment refusé d'être assignée à un sexe, a été le premier pays à introduire officiellement la notion de sexe indéterminé. Certaines personnes accueillies à l'Amicale du Nid témoignent que ces changements d'état civil ou de prénom sont plus difficiles depuis que les cartes nationales d'identité sont électroniques : la qualité photographique exigée rend les séances photographiques souvent violentes, car on demande aux personnes d'enlever leur maquillage et perruque pour être le plus conformes possible à leur sexe de naissance. Pour une personne étrangère, le changement d'état civil relève du pays de naissance où doit être adressée la demande. Il est possible d'effectuer des démarches pour ré-éditer les diplômes au nouveau prénom ; idem pour les points retraite (situation de personnes ayant fait leur transition juste avant leur retraite qui, pour simplifier les démarches, se sont signalées dans leur ancien genre afin d'obtenir le versement de leur retraite). Quand, pour des raisons médicales, la chirurgie génitale est compliquée ou impossible, les tribunaux acceptent cependant le changement d'état civil. Le numéro INSEE (1 ou 2) est également modifié suite au changement d'état civil. Selon les territoires, le greffe transmet ou pas l'acte de l'audience aux services administratifs (mairie, Insee...). • V TRANSIDENTITE ET SANTE A- LE PARCOURS MEDICAL DU POINT DE VUE DE LA HAUTE AUTORITE DE LA SANTE (HAS) Ce chapitre se présente sous forme d’un exposé de l’approche médicale actuelle, telle que présentée dans le rapport de la HAS. Les passages en italique sont des citations extraites du rapport. Le cadre médical lié à la transidentité, entendu exclusivement sous l’angle "réassignation sexuelle" est défini par le récent rapport de la HAS (novembre 2009), qui dresse un état des lieux de la situation sous le titre : "SITUATION ACTUELLE ET PERSPECTIVES D’EVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE MEDICALE DU TRANSSEXUALISME EN FRANCE". Ce rapport a été produit suite à la demande : • de la direction générale de la santé qui considérait les protocoles de soins comme incertains et estimait donc nécessaire de fixer une ligne de conduite sur le diagnostic, le traitement et le suivi ; • des Caisses d'assurances maladie s’interrogeant sur la légitimité de la prise en charge des soins, en particulier à l'étranger ; • des associations de personnes trans’ jugeant les procédures inadéquates et trop lourdes (avis psychiatrique, attente de deux ans, chirurgie bâclée...) 35 Cette approche purement médicale est sous-tendue par une vision pathologique de la transidentité, encore considérée par l’Organisation Mondiale de la Santé comme maladie psychiatrique. A ce titre, le rapport de la HAS utilise la terminologie médicale classique (patient, épidémiologie, prévalence, diagnostic etc.) très contestée par les associations de personnes transidentitaires. 1. Prévalence Le rapport s’interroge en premier lieu sur le nombre de personnes concernées. Or, il n'existe pas d'étude épidémiologique ; les chiffres donnés font références aux demandes de soins exprimées auprès des équipes hospitalières spécialisées (5 en France) : « à partir des données les plus récentes, l’approximation d’une prévalence située entre 1 : 10 000 et 1 : 50 000 pourrait être faite, ce qui indiquerait alors que le transsexualisme n’est pas un phénomène exceptionnel. » On note une augmentation des demandes de soins dans beaucoup de pays d'Europe, ce qui peut s'interpréter comme une moindre grande stigmatisation et une meilleure accessibilité. Précisons que le rapport HAS ne s’intéresse qu’aux demandes de réassignation sexuelle (transsexualisme) limitées aux équipes hospitalières. On sait notamment à partir d'une enquête HES (Homosexualité Et Socialisme) que de nombreuses personnes échappent aux protocoles médicaux et que, par ailleurs, il existe également des pratiques secrètes et invisibles. On peut donc supposer que la prévalence réelle est beaucoup plus importante. 2. Contexte de l'intervention médicale L'intervention médicale est un élément important de la problématique, avec un “contrôle” médical à l'entrée et à la sortie des parcours de transition : • le psychiatre détient la clé d'accès aux traitements nécessaires à la modification corporelle ; • les traitements hormonal et chirurgical sont les conditions du changement de sexe à l'état civil. La découverte des hormones sexuelles en 1910 puis leur production par synthèse dès 1930, ouvre des possibilités, tout comme l'utilisation de l'anesthésie et de l'asepsie qui favorise l’essor de la chirurgie esthétique à partir de 1900 : celle-ci légitime l’idée selon laquelle l'apparence corporelle doit obtenir l'approbation de celui qui s'y trouve « enfermé ». 3. Responsabilités du médecin : Actuellement, les médecins et établissements de santé peuvent refuser les soins en faisant état de la clause de conscience. Cette liberté de conscience du médecin a été élevée au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République par le Conseil Constitutionnel en 2001 (introduite lors de la loi de 1975 sur l'IVG) : « un médecin peut, hors cas d’urgence et manquement à ses devoirs d’humanité, refuser ses soins pour des raisons professionnelles et/ou personnelles. La seule obligation du médecin réside alors en la transmission des informations au nouveau médecin désigné par le patient ». Depuis 1999, un acte médical portant atteinte à l’intégrité physique d’une personne est considéré comme licite s’il est justifié par une nécessité « médicale » ; mais la responsabilité n'est pas la même pour le chirurgien et pour l'endocrinologue. 36 Le chirurgien : dans la mesure où l’intervention chirurgicale est un des traitements reconnus dans la dysphorie de genre, le but thérapeutique poursuivi soustrait le chirurgien à l’incrimination du crime de castration ou d’atteinte volontaire à l’intégrité corporelle. Néanmoins, il « devra respecter les conditions de reconnaissance de la dysphorie de genre définies par les autorités en charge de ce dossier, sous peine de voir sa responsabilité engagée ». L'endocrinologue : il effectue de fait des prescriptions de médicaments hors du cadre juridique de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). La prescription hors AMM n’est pas en elle-même illégale, mais ses conséquences ne sont pas négligeables, en terme de responsabilité. 4. Prise en charge financière des traitements Faisant suite à l'avis de la HAS, le cadre de la prise en charge a récemment été modifié (décret n°2102-125 du 8 février 2010) : les "troubles précoces de l'identité de genre", qui relevaient jusqu’alors de l’ALD 23 (affections de longue durée à caractère psychiatrique) sont rayés de la liste. Les "affections de longue durée" donnent lieu à l’exonération du ticket modérateur habituellement à la charge du patient. POINT JURIDIQUE : CADRE DE LA PRISE EN CHARGE MEDICALE Une circulaire de la CNAMTS précise que les “troubles précoces de l’identité de genre” seront désormais pris en charge au titre de l’ALD 31 (hors liste) : pour être validée, une circulaire de ce type doit cependant donner lieu à décret ou arrêté ministériel dans le délai d’une année, ce qui n’est pas le cas. 5. Les grandes étapes du parcours de soin : du diagnostic à la prise en charge Le parcours médical minimal proposé est le suivant : • un diagnostic différentiel psychiatrique ; • une période de consultation (examens médicaux, informations sur le changement de sexe, accompagnement psychothérapeutique) et test en vie réelle ; • un traitement hormonal en deux étapes ; • enfin, si la personne le souhaite, une ou des intervention(s) chirurgicale(s), après autorisation donnée par une commission médicale pluridisciplinaire. • Diagnostic Le diagnostic de "dysphorie du genre", ou "transsexualisme primaire" doit être porté par le psychiatre pour ouvrir les autorisations de traitements hormonaux et chirurgicaux. Il utilise des outils médicaux comprenant des classifications des maladies ou des troubles mentaux et des tests psychologiques. Le but de cette étape, selon la HAS, n’est pas d’assimiler les transsexuels à des «malades mentaux» mais de poser un diagnostic positif, différentiel et confirmé : un diagnostic différentiel permettant d’écarter d’éventuelles pathologies confondantes ; un diagnostic confirmé permettant de s’assurer de la volonté du patient à s’engager dans les étapes ultérieures de la prise en charge thérapeutique. Habituellement, cette phase diagnostique dure de 6 à 9 mois, avec un psychiatre et éventuellement un psychologue. • La période de consultation et test en "vie réelle" 37 C'est souvent une période qui "apparait comme longue et difficile", car "le patient est censé vivre en permanence dans le rôle du sexe désiré dans les activités quotidiennes sociales et professionnelles (expérience en vie réelle ou test de real life) ; les membres de la famille doivent être informés des changements imminents et un nouveau prénom est choisi." Il s’agit pour “le patient”, sans aucun apport hormonal donc aucune possibilité de modifier progressivement son apparence physique, de vivre “dans le rôle du sexe désiré” pour “mesurer sa capacité et la persistance de la demande de transition”. Ce test de vie réelle peut apparaître comme pervers, anti-soin : car de l’avis unanime des personnes ayant vécu une transition, celle-ci n’est possible socialement qu’un certain temps après le démarrage de l’hormonosubstitution et s’opère très progressivement. Toutefois, ajoute le rapport, “pour éviter un désaccord hautement préjudiciable entre l’apparence physique et le genre désiré”, il peut être envisagé durant cette phase (d’une durée “recommandée” d’un an) des “soins entraînant des transformations réversibles ou légères”: cela s'apparente à un jeu de dupes : on fait semblant, on se déguise pour aller voir le psychiatre... • Le traitement hormonal Il a pour objectifs de bloquer, dans un premier temps, les effets des hormones sexuelles naturellement secrétées par l’organisme, puis, dans un second temps, d’induire les caractéristiques du sexe désiré. ? Hormonosubstitution MtF : • Avant orchidectomie : on bloque dans un premier temps les hormones masculines produites (par des anti-androgènes, le plus souvent de l’acétate de cyprotérone), puis on administre des œstrogènes. • Après orchidectomie : on diminue les doses d’œstrogènes, on arrête les anti-androgènes et on peut rajouter de la progestérone en cas de mastodynies. Effets secondaires : augmentation du risque thromboembolique et éventuellement augmentation des risques cardiovasculaires. Effets attendus du traitement : "adoucissement de la peau ; ralentissement ou arrêt de la chute de cheveux ; amenuisement de la pilosité ; diminution de la masse musculaire et de la carrure, redistribution des graisses ; augmentation des seins ; diminution des testicules ; modification du timbre de la voix." En réalité, ces effets sont à estimer en fonction de l’âge de l’individu, et sont très généralement moindres : ni la carrure, ni le timbre de la voix ne peuvent être affectés par l’hormonothérapie, et la diminution de la pilosité nécessitera des séances au long cours de laser et/ou d’électrolyse. ?Hormonsubsitution FtM : • Avant ovariectomie : éventuellement dérivés de la progestérone pour leur action de blocage des cycles ; • Après ovariectomie : la testostérone va à la fois inhiber les caractères sexuels secondaires féminins et induire les caractères sexuels masculins. Effets secondaires : troubles lipidiques, augmentation du réseau cardiovasculaire. Effets réversibles : diminution des seins ; aménorrhée ; augmentation de la masse musculaire ; Effets définitifs : augmentation de la pilosité ; dans certains cas calvitie ; modification de la voix ; hypertrophie clitoridienne (celle-ci permet de développer les techniques chirurgicales et notamment la métaïodioplastie). • La chirurgie : 38 ? Chirurgie de réassignation MtF : Castration avec pénectomie. Cela comprend l’ablation des corps caverneux et d’une partie du corps spongieux du pénis. Le reste du corps spongieux et une partie du gland sont préservés pour effectuer la clitoridoplastie. Puis, reconstruction, c'est à dire création des organes génitaux externes. La reconstruction consiste en la création d'une cavité vaginale, des lèvres génitales et un néoclitoris. Pour la cavité vaginale, deux techniques sont utilisées : la technique du lambeau pénien inversé (permet d’utiliser la peau et le tissu sous cutané du pénis) ; la technique par greffe de peau a également été décrite (souvent utilisée en complément du lambeau pénien inversé). Pour les lèvres, on utilise la plastie scrotale. Le néo-clitoris est créé par lambeau pédiculé balanique (gland + corps spongieux). Enfin : uréthroplastie. Cela peut éventuellement s'accompagner d'une mammoplastie et/ou de chirurgie de la voix. Le rapport de la HAS ne prend pas en compte les techniques de chirurgie plus abouties pratiquées dans d'autres pays, notamment le Canada et la Thaïlande. En Thaïlande, la pénectomie est abandonnée depuis plusieurs années pour permettre le modelage des structures externes, tandis que le néo-vagin est réalisé avec une greffe du scrotum. ? Chirurgie de réassignation FtM : Dans un premier temps il est pratiqué une hystérectomie et une ovariectomie par cœlioscopie. Dans un second temps, est créé un néopénis : chirurgie complexe aujourd’hui encore très peu aboutie, avec des risques importants et une fonctionnalité insatisfaisante. Deux techniques sont utilisées : • La phalloplastie : construction d’un pénis à partir de lambeaux cutanés prélevés sur l’abdomen, les bras ou la cuisse. • La métaïodioplastie : allongement du clitoris hypertrophié suite au traitement hormonal Dans les deux cas se pose le problème de la reconstruction d’un urètre, avec au final plus de 50 % de complications urinaires. La possibilité d’obtenir des érections, quant à elle, est subordonnée à la pose de prothèses. La plupart des FtM évitent à l’heure actuelle la phalloplastie. Certains s’orientent vers la métaïodioplastie. Mais généralement, ils n’ont pas recours à l’opération pour être assurés de pouvoir garder du plaisir sexuel, ce qui repose le problème de l'hystérectomie et de l'ovariectomie : ces interventions donnent parfois lieu à une ligature du vagin, sans que la personne en soit informée. Par ailleurs, le fait de renoncer à l’hystérectomie implique dans la plupart des cas de se confronter à un refus de changement de sexe à l’état civil. • L'accompagnement psychologique Un accompagnement psychologique doit être proposé par l’équipe au patient qui a le choix entre l’accepter ou le refuser. Cet accompagnement n’a pas pour intention de soigner les troubles de l’identité sexuelle. Son objectif principal est d’aider le patient à fixer des objectifs de vie réalistes, tant professionnels que relationnels. Cette déclaration d’intention de la HAS ne correspond pas à l’offre de soin identifiée globalement dans les équipes hospitalières. L’accompagnement psychologique devrait pourtant constituer le fil conducteur de tout parcours de transition, la personne se trouvant en général dans une situation de grande vulnérabilité durant cette phase de son existence, qui peut durer de longues années. 39 B- LES INFECTIONS SEXUELLEMENT TRANSMISSIBLES ET LE VIH Il y a peu d'études réalisées à ce jour spécifiquement dédiées aux personnes transidentitaires. Mais on peut s'appuyer sur l'exemple des USA dont les études portant sur l'infection VIH notent toutes une prévalence élevée : 27,7% de patients VIH mtf et de 27 à 48% d'attitudes à risque (rapports non protégés, partenaires multiples...). Ces chiffres sont beaucoup plus bas concernant les ftm. Dans une seconde méta analyse : la prévalence est de 27,3 % chez les prostitué-e-s transsexuelle-s, 15,1 % chez les prostitués hommes et 4.5% chez les prostituées femmes ; 14,7 % chez les transsexuelles mtf non prostituées. Si l'accès à des chiffres fiables est rare, il est cependant constaté une augmentation du nombre de personnes contaminées par le VIH (Source : BEH, "Transsexuel(le)s : conditions et style de vie, santé perçue et comportements sexuels. Résultats d’une enquête exploratoire par Internet", INVS, n°27, juillet 2008). Une enquête d'HES (Homosexualité Et Socialisme) et du MAG (Mouvement d'Affirmation des jeunes Gais, lesbiennes, bi et trans) d'avril 2009 à partir d'un questionnaire a obtenu les résultats suivants : - Un tiers (34%) des jeunes trans déclare avoir tenté de se suicider. Par ailleurs, 98% des jeunes trans interrogés expriment un mieux-être une fois le parcours de transition de genre commencé. - L'attitude de la famille est déterminante. Protectrice et acceptante en majorité, elle commet toutefois dans un cas sur cinq des actes de transphobie extrêmement violents, comme par exemple le reniement ou l'exclusion. - Les parcours médicaux d'hormonothérapie se font généralement indépendamment des équipes hospitalières autoproclamées officielles. La moitié des opérations (simples plasties réparatrices ou réassignations sexuelles) ont lieu hors de France. - Dans le milieu scolaire, nous constatons que les élèves trans’ doivent composer pour ne pas trop être victimes de transphobie. La moitié d'entre eux seulement disent avoir « fait leur coming-out » auprès de leurs camarades ou de l'administration. Et force est de constater que le fait d'exprimer leur transidentité ne réduit pas la violence des agressions subies. - Les résultats de l'enquête montrent également que la prévention du VIH doit rester d'une extrême priorité pour une génération trans’ qui vit des situations à risques. - Enfin, cette jeune population trans’ exprime en très grande majorité l'envie de s'inscrire dans une histoire de couple et de parentalité, tout en étant consciente des nombreux obstacles qui seront devant eux : processus de changement d'état civil archaïque, arbitraire et discriminatoire, fermeture de la société aux projets familiaux qui ne sont pas basés sur la vraisemblance biologique." (Source : http://www.hes-france.org/IMG/pdf/Rapport_Prelim_Enquete_JeunesTrans_Avril2009_Vfinal.pdf) 1. IST & MST : IST = Infections Sexuellement Transmissibles ; MST = Maladies Sexuellement Transmissibles ; les Maladies Vénériennes (MNI) sont dites aussi maladies de l'amour. Les IST sont dues à des germes fragiles ne survivant pas dans un milieu extérieur. Ce sont des maladies cliniques bien que leur expression soit parfois peu évidente. Leur dépistage ne se fait pas par des prises de sang (en dehors de la syphilis) et la prévention pour le partenaire passe généralement par des traitements. Ces infections concernant toutes les populations, nous ne nous étendrons pas ici sur leur 40 description. Cependant, il est à souligner que les personnes transidentaires sont souvent mal à l'aise à l'idée de consulter des gynécologues en partie du fait de leur rapport à leur corps, mais aussi parce qu'elles peuvent avoir vécu des expériences difficiles (mauvais accueil, médecin se déclarant incompétent...). Dans la population générale, 50% des femmes ne sont pas suivies au niveau gynécologique, ce qui interroge. Efforts à faire en terme d'accueil ? De posture du médecin ? Certaines femmes auront par exemple du mal à se déshabiller ou à accepter la position d'examen. D'après une enquête de l'INSEE, la première profession qui discrimine les personnes séropositives est celle de gynécologue (et dentiste ensuite). Le planning familial se veut comme un lieu d'innovation sur ces questions et il peut être proposé aux personnes transidentaires de consulter dans ses antennes. 2. VIH : Concernant le VIH, deux aspects ont vraiment changé aujourd'hui : • Les personnes mises sous traitement : on considère que dans le cadre d'une relation stable et hétérosexuelle, il n'y a quasiment plus de risque de transmission, ce qui perturbe les cadrages de la prévention. • Les tests de dépistage : l'idée est de multiplier les occasions pour discuter de la difficulté à se protéger. La proposition de tests va tendre à se développer dans deux espaces notamment : chez les généralistes et chez les professionnels en lien avec des personnes en difficulté, qui se retrouvent loin des services de soins pour des raisons de papiers, d'argent, etc. Des tests rapides seront proposés où l'on se pique le bout du doigt. Parler de prévention est abstrait, les personnes ont du mal à dire qu'elles ne se protègent pas. Cet outil de dépistage est aussi un outil de prévention en tant que support à la parole. Par ailleurs, il sera démédicalisé, ce qui peut permettre à la personne de parler plus facilement qu'à son médecin. L'objectif est donc une multiplication des lieux de dépistage en vue d'augmenter l'offre et le choix pour les personnes, qui pourront choisir les espaces où elles se sentent le plus à l'aise. • VI TRANSIDENTITE ET VIE AFFECTIVE Il existe très peu d'études traitant de la vie affective et familiale des personnes transidentitaires en France. En dehors de quelques éléments recueillis grâce à ces recherches, nous proposons donc ici de nous appuyer sur le témoignage d'une personne transidentitaire mariée et ayant des enfants, comme base de réflexion et de questionnement sur ce sujet. Il s'agira d'aborder en particulier la question de la transparentalité, qui sera cependant élargie aux relations conjugales et familiales. Le terme transparentalité a d'abord été utilisé en psychologie et sociologie pour parler des familles monoparentales et homoparentales, avant de se voir réapproprier par les trans'. Quand l'un ou les deux parents sont trans', il est possible de distinguer deux grandes catégories de situation : ceux qui étaient parents avant la transition et ceux qui deviennent parents pendant ou après la transition. Tous les cas sont alors possibles, avec d'éventuels problèmes de fertilité, des problèmes légaux d'insémination, d'adoption, etc. Finalement, parler de transparentalité revient avant tout à parler de parentalité. 41 A- QUELQUES DONNEES Au cours d'une enquête en 2007, l'Ilga a recueilli l'avis de 2 520 personnes transidentitaires au travers de l'Europe (White and al, 2008). Parmi elles, 16% étaient mariées (420) : • 85% étaient mtf ; • 74% ont dû mettre un terme à leur mariage, soit après avoir révélé leur travestissement (8%), soit après le démarrage de vie dans leur genre revendiqué (22%), soit du fait d'un comportement violent de la part du conjoint (29%), soit du fait d'un divorce imposé par le changement d'état civil (5%). Seulement 1,3% de ces 16% de personnes se sont remariées. Quant aux relations familiales, qu'elles aient des enfants ou pas : • 34% ne sont pas autorisées à garder des contacts avec la famille ou la belle-famille ; • 7% ne savent pas si elles peuvent reprendre contact. Ces chiffres montrent que dans presque un cas sur deux la transition mène à des liens familiaux distendus voire à des ruptures familiales, qui portent atteinte aux liens entre des parents trans' et leurs enfants. B- LE TEMOIGNAGE D'ISABELLE Isabelle vit dans un petit village de l'Isère en famille, avec son épouse Nadine et leur fille de 14 ans, Lola (dont Isabelle est le papa biologique). La fille aînée de son épouse, Anna (22 ans), a aujourd'hui quitté le domicile familial pour s'installer dans un appartement avec son copain. Isabelle travaille à la maison ; elle a monté une petite agence de communication il y a une dizaine d'années, ce qui lui a permis de changer tranquillement sa vie sans connaitre les problèmes d'emploi et d'employeurs que d'autres vivent. Isabelle est consciente que ce qu'elle a vécu n'est pas une recette, même si certains points lui paraissent importants en terme de timing, comme les coming-out notamment. Elle estime que le plus important est que Lola ne perd pas son papa : le deuil est à faire sur l'image du père mais il est hors de question qu'elle l'appelle "mamoune", elle reste "papa". Sinon, la situation serait sans doute ingérable pour Lola. Retour vers le passé - Isabelle a toujours eu un désir d'enfant et elle s'est aussi toujours sentie femme, comme la plupart des trans'. Au plus loin qu’elle remonte, elle se rappelle de cette préférence de genre. Elle a fait cependant tout ce qu'il fallait pour correspondre à ce que la société attendait d'elle en tant que garçon, notamment du fait de ce désir d'enfant, point d'ancrage de son projet de vie. Elle vit diverses expériences avec des conjointes sans réussir à avoir d'enfant. Puis elle rencontre Nadine. Isabelle se rend alors compte qu'elle est stérile : elle a une forme de mucoviscidose qui fait qu'elle n'a pas de canaux déférents et que les spermatozoïdes ne peuvent donc pas arriver dans le sperme. C'est une forme de mucoviscidose assez courante et ça se règle relativement facilement par un prélèvement et une injection cytoplasmique. À ce moment-là, avant de faire cette PMA (Procréation Médicalement Assistée), Isabelle s'interroge : “Mais qu'est-ce que tu décides, ça n'est pas naturel ?!”. Cette interrogation au sujet du naturel et de l'artificiel lui revient plus tard, au moment de son envie de faire sa transition (alors que Lola était née), à travers le même type de questionnement : "Quelle est ma responsabilité là-dedans, si je donne vie de façon "artificielle" ?" / "Quelle est ma responsabilité pour sa vie future si je fais ma transition alors qu'elle est née, que je lui ai donné la vie, etc. ?" Ce qui questionnait Isabelle, c'est sa responsabilité et plus largement la question de son libre arbitre. Elle a donc choisi. Elle traverse d'abord une période où elle pense pouvoir faire taire son questionnement de genre. 42 Mais cela revient de façon massive quand Lola a deux ans. Isabelle est alors de nouveau préoccupée par son désir de faire une transition, elle dit à Nadine, à qui elle en avait parlé dès le départ de leur relation (ironie de la vie le frère de Nadine est trans' lui aussi, donc le sujet ne lui était pas inconnu) : “Ecoute, je me suis stabilisé, je suis très amoureux, on a un bébé, ça s'est équilibré dans ma vie et pourtant ça revient au grand galop, c'est bien là”. Isabelle profite donc d'une période de chômage pour réfléchir à sa situation. Elle dit à sa compagne : "Je ne sais plus qui je suis, je vais poser mes valises, je vais en parler autour de moi, chercher des informations." Internet existait à ce moment-là, c'était le début, et Isabelle commence à rencontrer des personnes trans', à sortir en se travestissant, en se faisant belle, à aller en boîte, etc. A cette période, elle se cachait des enfants et Nadine était complice. Jusqu'à ce que celle-ci l'interroge : "Mais pourquoi le caches-tu aux enfants ? On cache ce qui est mal ! Ce n'est pas mal de se travestir !" A partir de ce moment-là, pour les enfants Isabelle est devenue un homme qui aimait s'habiller en femme. Puis tout s’est déroulé très progressivement, avec beaucoup de lenteur. Quand il y avait des questions des enfants, Isabelle répondait : "Je me sens plus femme qu'homme". L'évolution a été très lente, sur presque dix années, avec un point de bascule le jour où, au début de la prise d'hormones, les gens dans la rue ne l’ont plus appelée "monsieur". Sa famille et ses amis ont ainsi vécu sa transition de "façon escargot". Cela a permis le temps de trouver des solutions au fur et à mesure, du vocabulaire, des réponses à des situations variées, parfois drôles, jamais dramatiques, notamment dans les relations avec les écoles et les voisins. Avant de décider d'un changement social de genre, pendant deux ans, Isabelle se disait qu'elle ne pouvait pas "faire ça aux gosses". Erreur fondamentale : Isabelle comprend un jour qu'elle risquait ainsi de leur faire porter la responsabilité de ne pas faire sa transition et donc qu'elles vivent mal d'être utilisées comme barrière à sa réalisation. Par ailleurs, à cette époque Nadine et Anna faisaient une psychothérapie, et Lola a demandé à voir elle aussi un psychothérapeute. Elle a fait trois séances seule puis a sollicité la présence d'Isabelle. En fait, c'était juste pour clore ce travail : Lola voulait arrêter et la psychothérapeute a dit : "trans' ou pas trans', votre gamine va très bien et je ne vois pas ce qu'on peut travailler de plus ensemble". Ces séances ont surtout permis à Lola de pouvoir dire "moi aussi j'ai vu un psy", comme en réaction et pour rassurer l'entourage amical et familial qui s'inquiétait de la souffrance qu'Isabelle allait faire vivre à sa femme et ses filles. Mais Isabelle restait le papa de Lola. Et Lola l'appelait comme elle le voulait. C'est elle qui choisissait. Pendant la période de sa transition où les gens commençaient à l'appeler "madame" dans la rue, Lola faisait parfois exprès de l'appeler "papa" très fort, pour tester leur réaction. Pour Isabelle et Nadine, il a été important que leurs enfants voient d'autres enfants de parents trans', pour qu'elles puissent constater qu'elles n'étaient pas les seules à vivre cette situation, qui pouvait être bien vécue. Elles invitent donc chez elles des parents trans' avec leurs enfants. Ses deux filles ont désormais une connaissance et une compétence assez grandes sur le sujet : elles ont vu des personnes trans' opérées, non opérées... L'aînée sait expliquer les différences de situation, les techniques opératoires, etc. Au cours de la transition, l'image du papa change mais celle des parents aussi : ce n'est plus un couple hétérosexuel mais un couple homosexuel qui s'impose lors des sorties en famille. Et ça n'a pas toujours été évident pour Nadine, qui ne se considère pas comme homosexuelle, et pas facile pour les enfants, notamment l'aînée qui disait "ma maman n'est pas lesbienne". De plus, la vie de tous les jours peut être traversée par des moments de stress, principalement parce qu’Isabelle ne s'est pas fait opérer et se trouve donc sans papiers conformes à son apparence. De fait, elle est en difficulté pour aller voter, a peur du gendarme, etc. Concernant son sexe physiologique, Isabelle pense que ça a été important pour Lola qu'elle ne soit pas opérée, comme si cela lui permettait d'intégrer que le papa était toujours là. Aujourd'hui, Isabelle n'est pas sûre que cela reste aussi important pour elle, sans vraiment savoir ce qu'elle peut imaginer de sa sexualité. Pendant la transition, il y a également du in et du out, c'est-à-dire un fonctionnement qu'Isabelle et 43 sa famille adoptent chez elles et qui est différent dehors. Mais globalement tout reste fluide, comme l'illustre la réaction des enfants. Lola peut expliquer à ses copains et copines : "Tu vois Isabelle, ce n'est pas ma mère c'est mon père" et les enfants semblent digérer l'information presque aussitôt, venant jouer à la maison sans qu'il n'y ait non plus de retours négatifs des parents. D'ailleurs, de façon générale, Isabelle ne perçoit aucun regard particulier posé sur elle à la sortie de l'école. Pour Isabelle, le point important, assez crucial, est celui du passing. Pendant deux à trois ans elle a quasiment disparu de la rue, se rendant invisible pendant une partie de sa transition. Elle n'allait plus à la sortie de l'école, ne faisait pas les courses, etc. Cela lui a permis ensuite de sortir plus tranquillement, une fois qu'elle était devenue plus crédible grâce aux hormones et à l'épilation. La crédibilité est importante, elle facilite vraiment le quotidien. Et quand les relations sont déjà bonnes avec les voisins, il n'y aucune raison que ça change, surtout s'ils voient que la vie de famille se poursuit et que la vie continue. Isabelle a conscience que son parcours peut sembler idéal, mais c'est pourtant ce qu'elles ont vécu. Au niveau administratif, Isabelle a progressivement réussi à faire passer des changements. Son prénom de garçon n'apparait que sur les documents administratifs officiels, et il y en a peu : le téléphone, les papiers d'identité de son entreprise (extrait k-bis), les impôts et sa carte vitale. Mais, la sécurité sociale a cependant accepté de recevoir ses ordonnances au prénom d'Isabelle, suite à une demande de celle-ci par courrier. Concernant son couple, la période de transition n'a pas toujours été évidente et lisse. Il se trouve que Nadine a elle-même traversé une période de remise en cause personnelle profonde. Elles ont donc fait toutes les deux leur travail personnel, se trouvant dans quelque chose de l'ordre du "je ne sais pas". Bien sûr, l'ouverture de Nadine a facilité leur communication : avec son frère trans', elle connaissait un peu le sujet et, ayant vécu à Paris, elle avait passé des soirées avec des travestis. Mais ça n'explique pas tout non plus. Elle aurait pu préférer continuer avec un " mâle homme". Or, Isabelle se définit comme un "mâle femelle", c'est-à-dire une femme. Mais cette mise sous tension des relations correspond, selon Isabelle, à une partie de la préparation du coming-out : faire son coming-out, c'est accepter le risque de perdre la personne à qui on le dit. C'est se sentir suffisamment fort pour accepter cette idée et réussir à le dire. Cela entraîne un nettoyage profond de l'ensemble de sa vie, une remise en cause de fond en comble. Pendant deux ou trois années, il y a eu ainsi de la prise de risque, dans toutes les relations familiales, sociales, professionnelles et au sein du couple. Mais, finalement, Isabelle et Nadine se sont "retrouvées" et leur couple est beaucoup plus fort maintenant, en plein épanouissement. Au niveau de la famille élargie, les situations ont été variées. Avec ses parents, ça a été un accouchement très difficile, pour Isabelle d'abord, puis pour eux. Ils habitent loin, ils se voient, mais Isabelle est certaine que Lola verrait davantage ses grands-parents si elle n'était pas trans'. Principalement pour des raisons pratiques : comme sa mère ne veut pas le dire à ses voisins, il est difficile d'aller chez eux ou alors cela implique qu'Isabelle cache vite sa voiture dans le garage et qu'elle évite de sortir pour que les voisins ne sachent pas qu'elle est là. Alors ce sont ses parents qui se déplacent. Par contre, cela a été beaucoup plus simple avec sa belle-famille, qui l'a très bien accueillie. Sa belle-mère l'appelle "ma gendrouillette". De façon générale, pour les enfants et les proches, les photographies dans l'album de famille représentent un enjeu important. Sa mère demande à Isabelle si elle souhaite qu'elle détruise toutes ses photos. Ce à quoi Isabelle répond que non, c'est elle. De la même façon, Lola a ses photos d'elle bébé où Isabelle (dans son apparence masculine) lui donne le biberon. Ça semble être un point symbolique important. Transidentité au présent - Aujourd'hui, Lola appelle encore Isabelle "papa", c'est ce qu'elle 44 a inscrit sur son téléphone portable, et elle a construit tout son système de fonctionnement avec l'extérieur, elle a mis au point, avec l'aide de ses parents et de sa sœur tout un stratagème pour jouer avec cette identité. Lola a gardé une image de papa classique et si elle en a besoin elle utilise ce papa-là, pour les gens qui ne viendront jamais à la maison par exemple. Si ce sont des gens proches ou susceptibles de venir à la maison, elle en parle, elle montre Isabelle du doigt quand elle vient la chercher à l'école. Quand Lola est rentrée au collège, Isabelle a tenu à informer l'équipe pédagogique de l'existence du papa. En effet, cela fait partie des espaces où elle tient à exister, où elle assume la vérité et veut la dire. Elle et Nadine se sont présentées lors de la journée parents-professeurs. Isabelle savait que tous étaient déjà au courant, parce que l'une des conseillères principales d'éducation est la sœur d'un copain. Quand elles sont arrivées au rendez-vous, la situation les a amusées car elles ont constaté que personne n’avait réussi à distinguer laquelle des deux était le papa. Ce jour-là, au professeur de mathématique proche de la retraite, Isabelle annonce que Nadine est la maman de Lola et qu'ellemême est son papa. Face à son incompréhension, Nadine reprend l'explication de façon différente mais le professeur ne réussit pas à intégrer l'information, comme si pour lui ça n'était pas possible. Elles en ont déduit qu'il avait pensé qu'elles étaient un couple de lesbiennes et que l'une se présentait comme père. Et la professeur d'anglais, qui elle comprend bien l'explication, leur dit partant : "Je suis heureuse d'avoir rencontré la nouvelle maman de Lola." !! Lola est très bien avec ce genre de situation. Elle l'assume parfaitement et ça lui est égal que ce soit Isabelle ou sa mère qui vienne pour les rendez-vous à l'école. Quand vraiment c'est quelqu'un qu'elle n'aime pas, elle présente Isabelle comme sa tante. Comme ses parents la laissent assez libre de gérer son système, il arrive qu'elle se trompe faute d'anticipation. Elle dit "c'est ma maman", en désignant Isabelle sauf que le lendemain Nadine se retrouve au même endroit et demande "je suis qui moi alors ?". Mais cela reste sur le registre des anecdotes plutôt drôles. Ce que l'on peut en retenir, c'est l'importance de pouvoir en parler et de permettre aux personnes de mieux connaitre et donc de mieux comprendre des situations qui peuvent a priori inquiéter. Finalement, Isabelle reste avec Lola comme elle l'a toujours été. Comme elle ne conçoit pas forcément le père comme viril ou puissant, ça permet encore à sa fille de lui dire : "T'es le plus fort des papas !". Si, à certaines périodes où elle cherchait sa féminité, Isabelle n'avait pas forcément envie d'aller vers des activités étiquetées comme masculine (le bricolage par exemple), cela est maintenant passé et elle bricole de nouveau avec plaisir. Comme pour les photographies, elle ne met pas de côté ses compétences. Et après ? - Être trans' interroge le passé, le présent, mais aussi l'avenir. Nous avons vu les conséquences du coming-out sur l'environnement, mais il y a rarement des projections au-delà. Pourtant, si Isabelle meurt demain, comment se passera la cérémonie ? Ça lui semble important d'en parler aussi, de le préparer, de faire un testament par exemple, la question étant : "Qui va-t-on enterrer finalement ?" Sur un autre registre, si ses filles ont des enfants un jour, qui sera-t-elle pour eux ? Un grand-père ? Une grand-mère ? Si Nadine la considère encore comme son mari, Lola comme son papa, ses parents comme leur fils, pour le futur il lui apparaît clairement maintenant qu'elle sera une grandmère. Et la vie fera que ce sera expliqué à l'enfant, mais en attendant ce sera sans doute plus simple, clair et net pour le petit ou la petite. Isabelle est consciente que son coming-out a imposé et continue d'imposer des coming-out à son entourage. Comme pour les personnes homosexuelles. Finalement, il lui semble que les relations familiales dépendent de ce qu'il y a avant, pendant et après la transition. Avec deux mots clés : vérité et amour. Et avant tout, l'amour de soi-même, condition sine qua non pour s'assumer, faire ce qu'il y a à faire et respecter les autres. Vérité, parce que ce n'est pas du cinéma : il s'agit de dire sa vérité profonde aux autres. Il n'est pas possible de se reprocher de se dire et de dire aux autres sa 45 propre vérité. Cela ne génère aucun regret, contrairement aux mensonges que l'on peut se faire à soi-même ou aux autres. En conclusion - Le désir d'enfant pour une personne en transition créé des situations très riches et très colorées. Un ami d'Isabelle, un ftm, a eu un enfant avec sa compagne, via une insémination artisanale (comme le font certaines lesbiennes). Il n'a pas de papiers, n'a pas fait de phalloplastie. Son petit de 3 ans maintenant dit clairement : "mon papa n'a pas de zizi". Comme personne n'est au courant dans son entourage, il appréhende la façon dont il va gérer la situation quand son fils le dira à des personnes extérieures à la famille. Certaines personnes mtf aimeraient pouvoir congeler du sperme avant la prise d'hormones, ce qui n'est pas légal à l'heure actuelle. A partir du moment où ils ont été opérés (hystérectomie) et que le changement d'état civil a été obtenu, les ftm peuvent accéder au programme de PMA (Procréation Médicalement Assistée). Au centre Cecos de Cochin, en dix ans d'accueil de ftm, soixante couples ont eu accès à la PMA et vingt enfants en sont nés. Pour les mtf, c'est évidemment plus compliqué, du fait des limites physiologiques mais également parce que la loi interdit pour l'instant la PMA aux couples homosexuels. Reste la possibilité d'adopter. LES INTERROGATIONS SOULEVEES PAR CE TEMOIGNAGE EXEMPLES DE SITUATIONS FAMILIALES VECUES PAR DES PERSONNES TRANSIDENTITAIRES ACCUEILLIES A L'AMICALE DU NID A Paris: - Une personne s'est autorisée à vivre sa transsexualité sur le tard. Âgée de 40 ans, mariée, père de deux enfants et cadre dans une administration, elle s'est affirmée et cela l'a conduite à un état de déréliction : prostitution sous son identité féminine puis rupture familiale, professionnelle, sociale, jusqu'à la clochardisation. Elle a maintenant repris son apparence masculine pour pouvoir survivre et accéder aux dispositifs de lutte contre l'exclusion (hébergement du 115, etc.). - Deux personnes de vingt-deux ans, avec une activité de prostitution et une prise d'hormones sauvage très récentes, se sont présentées au service. L'une d'entre elles souhaitait que l'on prenne contact avec sa mère pour l'aider à faire son coming-out. Ça n'a pas été fait car elle n'est pas revenue. A Montpellier : - Une personne d'une quarantaine d'années, qui a des enfants, a rejoint récemment le groupe d'échanges proposé par le service (cf partie sur l'état des lieux par territoire). Elle veut avancer dans sa transition et se pose beaucoup de questions. Sa participation au groupe lui apporte du soutien et lui permet d'être moins isolée. - Un jeune a remercié les membres du groupe de l'avoir freiné dans sa prise d'hormone, ce qui lui a laissé le temps de préparer sa mère. Avec du recul, il imagine qu'il aurait pu faire "exploser sa famille" s'il n'avait pas ralenti le rythme de sa transition. A Toulouse : Plusieurs situations de personnes avec enfant et donc plusieurs cas de figure : rupture pour certains, maintien des liens pour d'autres. 46 ? Les lieux d'accueil, d'échanges, de soutien et d'informations manquent pour les personnes transidentitaires, quel que soit leur statut. Cela renforce l'intérêt de mettre en place des groupes d'échanges à visée préventive, pour accueillir des personnes qui n'ont pas forcément de lien avec la prostitution. En effet, la personne bien insérée socialement qui "dégringole" avec la transition est un cas de figure bien connu et très fréquent dans le monde de la transidentité. Ce sont des situations où tout se désagrège ou explose : l'environnement affectif, familial, professionnel... Proposer un accompagnement à ces personnes relève de la prévention de la désinsertion sociale, familiale, etc., en amont même de la prévention de la prostitution. ETRE CREDIBLE Certaines personnes transidentitaires accueillies à l'Amicale du Nid n'apparaissent pas crédibles : il y a un trop grand décalage entre leur apparence physique et le genre revendiqué. Cela génère des situations douloureuses (moqueries et agressions dans la rue ou les transports en commun...). Accéder à cette crédibilité demande parfois du temps et du travail. Pour certaines, c'est encore plus compliqué que ça, quand la transidentité croise de grandes difficultés cognitives par exemple. C'est une période très difficile pour toutes les transitions. Souvent, la personne veut "en faire des tonnes"; conseillée par un professionnel, mieux coiffée, mieux maquillée, elle pourra sortir de la caricature et gagner en crédibilité (même s'il reste souvent un petit quelque chose que la personne n'arrivera jamais à gommer, surtout pour celles qui font des transitions tardives). Globalement, il y a beaucoup de maladresses, notamment sur le maquillage, le choix d'une perruque ou d'une coupe de cheveux. Un accompagnement ponctuel manque, alors qu'il pourrait facilement y remédier. Le problème est le coût : quand il n'est pas possible de trouver une personne bénévole, cela peut nécessiter 200 par personne pour obtenir de tels conseils, ce qui n'est pas à la portée de toutes les personnes. Ce problème de crédibilité génère un large sentiment de peur. La peur d'être agressé-e accompagne toutes les transitions et un travail sur soi devient important pour réussir à prendre confiance et ne plus susciter de réactions malveillantes en marchant "la tête dans le trottoir". Même quand il n'y a plus de problème de passing, cela peut être long avant de se sentir à nouveau à l'aise dans la rue. Les personnes transidentitaires savent que si elles sont interpellées par un policier peu compréhensif, cela peut mener à une garde à vue. Sans compter la peur de l'agression dans la rue, quand on n'a pas été opéré-e notamment. HOMMES ENCEINTS Trois cas d'hommes enceints ont été médiatisés au cours de ces dernières années : un Américain (qui a eu deux enfants) et deux Espagnols. Cela concerne des personnes qui sont devenues socialement hommes, c'est-à-dire qui ont obtenu dans leurs pays le changement d'état civil (de femme vers homme), mais ont gardé leurs organes génitaux féminins et ont choisi, pour avoir un enfant, d'être enceintes. Ces situations ont soulevé des questions éminemment troublantes pour la majorité des membres de notre groupe. Pour certains, cela correspond à une véritable provocation. Nous reprenons ici les éléments ayant animé notre débat. 47 Voir un homme enceint interroge réellement la binarité des sexes sur laquelle notre société est construite. On est soit un mâle soit une femelle avec tous les stéréotypes que cela induit. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le système judiciaire en France a délégué son pouvoir au médical : le juge ne prend une décision qu'à partir du moment où un médecin atteste que la personne est effectivement un homme ou une femme. D'où les débats que soulève l'ablation de l'utérus et des ovaires, non nécessaire dans une transition sociale mais servant à prouver l'irréversibilité de la transformation et le passage d'un genre à l'autre. Afficher des photographies d'hommes enceints à la première page des magazines n'aide pas forcément à la compréhension et l'acceptation de la transidentité, voire même risque d'augmenter le rejet. Pourtant, ces témoignages d'hommes enceints permettent à des garçons trans' de se questionner sur leur désir ou non de demander une hystérectomie, sachant que celle-ci leur interdira définitivement d'enfanter. Ils servent de façon plus large à interroger tout un chacun sur les systèmes binaires. Certains psychiatres s'estiment "garants de la binarité". Est-ce vrai pour les travailleurs sociaux aussi ? Un enfant ne peut-il se construire qu'en référence à une mère et un père tels qu'ils sont assignés par la société ? C'est rassurant pour tout le monde, et en particulier pour des trans', de rester dans des fonctionnements binaires. La visibilité trans' fait pourtant avancer la réflexion sur le non-binaire, dans la logique du principe de continuum (cf chapitre Le continuum trans'). Recevoir des personnes trans' en tant que travailleur social amène à être parfois décontenancé, voire choqué, heurté, bouleversé par ces situations hors normes. Comment alors réussir à accompagner quelqu'un qui nous heurte ? Le réflexe est grand d'accuser l'autre de provocation ou de folie, parce que nous ne sommes pas en capacité de le comprendre. Pourtant, être trans' n'est qu'un élément de l'identité de la personne. Il est important de pouvoir renvoyer à la personne que oui, elle est trans', mais qu'elle n'est pas que ça. LA PEUR DE L'IRREVERSIBLE Face à des transformations physiques et des changements de vie si conséquents, une inquiétude persiste : "Et si la personne se trompe ?". Autrement dit, est soulevée ici la peur de l'irréversibilité. Pourtant, d'autres actes irréversibles ne nécessitent pas l'aval d'un psychiatre : un tatouage, de la chirurgie esthétique, un avortement, adopter ou faire des enfants, etc. Pourquoi est-ce que la question de l'irréversibilité des parcours transidentitaires interroge autant, alors que tant d'autres actes peuvent conduire à des regrets sans que ça ne pose problème socialement ? Qu'est-ce que cela vient interroger ? En tant que travailleurs sociaux, nous devons faire avec le doute, les incertitudes, et notre rôle est de rester en alerte, ouverts à l'ensemble des possibles, afin que la personne accompagnée puisse bénéficier de notre regard élargi. ? Il paraît important de ne pas chercher à répondre à la place de la personne, de ne pas chercher à estimer pour elle si elle est une "vraie" trans' ou pas. Et de lui faire confiance aussi dans son droit à se tromper. Ce n'est pas le travailleur social qui possède la solution mais la personne concernée qui doit mener son propre cheminement et "devenir qui elle est". POUR APPROFONDIR LE SUJET : • GRENIER M., Papa t'es belle, mémoire de master 2 sous la direction de L. Hérault, 2006 • HES, Rapport de la commission sur la Transparentalité, 24 mai 2008 http://www.hesfrance.org/IMG/pdf/Commission-TRANSPARENTALITE-V1.0.pdf • RUSPINI E. Monoparentalité, Homoparentalité, Transparentalité en France et en Italie. Tendances, défis et nouvelles exigences, l'Harmattan, 2011 • WHITTLE S., TURNER L., COMBS R. et RHODES S., Transgender Eurostudy. Legal 48 survey and focus on the transgender experience of health care, Ilga Europe-Tgeu, 2008 • VII TRANSIDENTITE ET INSERTION PROFESSIONNELLE A- PRINCIPALES DIFFICULTES RENCONTREES Lorsqu'une personne en transition est employée ou en recherche d'emploi, elle peut être confrontée à diverses difficultés. Celles-ci peuvent être liées à l'employeur ou aux relations avec les collègues, d'autres à sa situation même. 1. Les difficultés concernant l’employeur : • • • la non acceptation de la différence ; le manque d'arguments de l'employeur vis-à-vis des autres membres de l'entreprise : l'employeur peut ne pas prendre la transidentité comme un problème mais se sentir en difficulté par rapport à un conseil d'administration, aux autres salariés, etc. ; le souci de protection de l'employeur qui n'a pas envie de gérer certaines complications : Comment gérer les vestiaires ? Le bilan social ? L'employeur peut percevoir la personne trans' comme un problème supplémentaire qu'il refusera de gérer. EXEMPLE D'UN ACCUEIL FAVORABLE DE L'EMPLOYEUR Une personne transgenre, avec poste à responsabilité dans l'industrie, faisait progressivement évoluer son image et son apparence physique sans rien dire à son employeur avec des stratégies particulières comme une photo d'elle en femme posée dans un cadre sur son bureau, devant laquelle ses collègues s'exclamaient : « ah ! pas mal la nana ! ». Quand un chasseur de tête la contacte, elle se dit qu'elle n'a rien à perdre et envoie un CV avec, dans les points divers, la précision : TG. Le jour de l'entretien, on lui demande ce que signifie TG. Elle explique alors qu'elle est transgenre. Le cabinet de recrutement met alors cet élément en avant dans le dossier de présentation, et elle est recrutée ! Elle peut, désormais afficher clairement son identité féminine dans son nouveau poste. Ici, la transidentité a été considérée comme un atout supplémentaire, qui a bien fonctionné du fait de ses compétences pointues et de sa solidité de caractère. 2. Les difficultés concernant la personne trans' : • • • des papiers non-conformes ; un comportement qui peut être inadéquat (agressivité, gêne...) ; un manque de compétences et de formation : certaines personnes semblent attendre une forme de discrimination positive du fait d'être trans', sans forcément se donner les moyens de pouvoir accéder à un poste. B- LE CADRE LEGAL ET CONVENTIONNEL : EXAMEN DES TEXTES RELATIFS A LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS & LA 49 PROMOTION DE LA DIVERSITE DANS LE MONDE DU TRAVAIL Le but est de prendre conscience de l'importance des textes prévus pour lutter contre la discrimination. Du point de vue légal, "la discrimination n'est pas simplement fondée sur une distinction mais sur une différence de traitement à partir d'une distinction.". Elle ne se confond pas avec les notions de rejet ou d'agression, par exemple. La loi distingue la discrimination directe ou indirecte. Elle définit la discrimination directe comme une situation où la personne est traitée de façon moins favorable qu'une autre. La discrimination indirecte correspond à "une disposition ou pratique neutre en apparence mais susceptible d'entrainer... " (par exemple : servir tous les jours du porc uniquement au restaurant d'entreprise). Ainsi, "la discrimination inclut tout agissement… à connotation sexuelle... porter atteinte à la dignité de la personne ou de créer un environnement hostile, dégradant… humiliant ou offensant ". L'employeur ne peut pas embaucher une personne trans' puis créer un environnement discriminant, en installant des toilettes ou des vestiaires inadaptés par exemple. Il existe un certain nombre de condamnations pénales en réponse à ces discriminations. 1. Le code du travail (modifié par la loi du 27 mai 2008) La loi principale est celle du 27 mai 2008 qui modifie le code du travail, auquel elle a été intégrée. Il est à noter que sur ce sujet l'Europe impose régulièrement de nouvelles mesures. Le code du travail pose le principe de non discrimination : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008,(…) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap ». Nous soulignons ici en gras les points qui nous semblent en lien avec la transidentité, y compris le handicap, puisque certaines personnes trans’ se placent dans ce statut qui permet un soutien financier de la COTOREP. Le travail ne doit faire intervenir que les compétences en lien avec celuici, tout le reste ne concerne pas l'employeur. Dans certains cas, on peut considérer que l'apparence compte : un poste de chargé-e de clientèle par exemple, ou encore certaines sociétés exigeant des tenues avec des dressing-codes qui ne sont contestés par personne. La loi maintient un certain flou et autorise, dans son article 2, des différences de traitements quand "l'exigence professionnelle est essentielle et déterminante, si l'exigence est légitime et proportionnée". Les descriptions de postes de travail doivent donc être les plus précises possibles : par exemple, il sera indiqué que les chargé-e-s de clientèle masculins doivent porter des blazers bleus et ne pas avoir les cheveux longs, etc. L'employeur doit pouvoir prouver que ce sont des exigences concernant tous et toutes les salarié-e-s de façon établie (règlement intérieur, fiches de postes...). Mais cela n'est pas toujours fait de façon rigoureuse. La sanction d'une apparence non conforme ne peut être justifiée que pour des raisons essentielles et déterminantes. L'article 4 de la loi porte sur l'égalité professionnelle entre homme et femme : « Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est interdite en matière d’accès aux biens et 50 services et de fourniture de biens et services. Ce principe ne fait pas obstacle à ce que soient faites des différences selon le sexe lorsque la fourniture de biens et services exclusivement ou essentiellement destinés aux personnes de sexe masculin ou de sexe féminin est justifiée par un but légitime et que les moyens de parvenir à ce but sont nécessaires et appropriés. » Une liste des professions concernées par cette exception est établie et révisée périodiquement. Dans les faits, très peu de métiers y sont inscrits : mannequin, comédien et comédienne. Il arrive donc que les prudhommes donnent raison à des employeurs pour des métiers se trouvant en dehors de cette liste. UN EXEMPLE DE BONNE PRATIQUE Une personne en transition d'homme vers femme travaillait dans une entreprise où n'étaient employés que des hommes. Quand elle a informé son directeur de sa transition, il a fait installer des toilettes pour femmes. 2. Le statut des fonctionnaires Le statut de la fonction publique indique dans son article 6 "qu'aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. Toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions." 3. Le code pénal (art 225.1, 2 et 3) Le code pénal précise que la discrimination consiste : 1° A refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ; 2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ; 3° A refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; 4° A subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 5° A subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 6° A refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros d'amende. 4. Les décisions et interventions de la HALDE : La Halde est amenée à se fondre dans la Commission Nationale de Médiation. Spécialisée dans les discriminations, elle peut s'inviter à un procès, quel qu'il soit, et le juge a obligation d'entendre son rapport. Pour la HALDE, la discrimination contre une personne transidentitaire est assimilée aux discriminations envers les hommes ou les femmes. Elle ne prend pas en compte le changement de 51 sexe en lui-même (opération) mais s'appuie sur l'apparence et le genre revendiqué par la personne (une personne qui se présente vêtue en femme et adopte un comportement féminin par exemple, devra être considérée et respectée dans ce genre). A titre d'exemple, il est possible de se référer à la délibération de la Halde en date du 18 février 2008 à Montpellier. • La position de la HALDE concernant le numéro d'immatriculation de la sécurité sociale : Concernant l'immatriculation par la sécurité sociale, une décision de la Halde peut servir d'exemple. Elle précise ainsi que les personnes "transsexuelles sont souvent victimes de discrimination durant la période d’adaptation et de conversion sexuelle. Le transsexualisme est un état transitoire, le temps de la conversion d’un sexe à l’autre depuis la prise de conscience du décalage entre l’identité psychologique et le sexe anatomique jusqu’au changement d’état civil. Cette phase transitoire peut durer plusieurs années." De ce fait, et dans le cas cité, il se trouve que "l’apparence physique de la réclamante et son immatriculation à la sécurité sociale ne coïncidant plus, elle a été contrainte de révéler son transsexualisme à son employeur. A la suite de cette révélation, elle a été victime de moqueries et de pressions qui l’ont contrainte à démissionner. Le Collège de la haute autorité rappelle à l’employeur les dispositions relatives au principe de nondiscrimination et lui recommande de se rapprocher de la réclamante afin de lui proposer une juste réparation du préjudice subi." Dans la défense de ce cas, la Halde a par ailleurs adressé des recommandations au gouvernement afin qu'il mette en place un "dispositif réglementaire ou législatif permettant de tenir compte, durant la phase de conversion sexuelle, de l’adéquation entre l’apparence physique de la personne transsexuelle et l’identité inscrite sur les pièces d’identité, les documents administratifs ou toutes pièces officielles, afin d’assurer notamment le droit au respect de la vie privée dans leurs relations avec les services de l’Etat et également le principe de non-discrimination dans leurs relations de travail, en vue d’une harmonisation des pratiques au sein des juridictions." Dans la même logique, la Halde demandait à "la Caisse nationale d’assurance maladie de prévoir une circulaire à destination de ses services afin qu’ils soient vigilants sur l’immatriculation sociale du patient en tenant compte du changement d’état civil des personnes transsexuelles et à l’INSEE de prendre toutes les mesures utiles de mise à jour du répertoire national d’identification des personnes physiques, en tenant compte du changement d’état civil des personnes transsexuelles." (délibération de la Halde 2008-190 du 15 septembre 2008). REMARQUE : Cela était possible et fonctionnait bien avant la création de la carte vitale, puisque la sécurité sociale pouvait alors choisir d'attribuer les numéros temporaires plus “neutres” 7 ou 8 au lieu du 1 ou 2. • La HALDE et la non-discrimination entre les hommes et les femmes : Comme indiqué plus haut, il faut que la discrimination réservant un emploi seulement aux hommes ou seulement aux femmes soit justifiée par des raisons impératives. La Halde a considéré que l'employeur ne pouvait réserver aux femmes un emploi de démarchage à domicile pour de la lingerie et des objets érotiques destinés aux femmes. En revanche, on pourrait se poser la question pour un emploi de vendeuse dans une boutique de lingerie féminine qui serait amenée à aider les clientes dans les cabines d'essayage. 52 Le principal problème réside dans l'application de ces textes, qui impose un changement profond des mentalités au moment de l'embauche. Par contre, le système juridique fonctionne globalement bien quand la personne est déjà embauchée, la difficulté étant la capacité de la personne à se défendre. 5. Les accords syndicats-entreprises : Il existe notamment un accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l'entreprise. Le terme diversité est un peu un terme "valise", mais il peut permettre de considérer que non seulement les personnes ne correspondant pas aux normes majoritaires ne sont pas un problème, mais même qu'elles peuvent représenter un atout pour les entreprises. Les entreprises doivent s'assurer que leur règlement intérieur est conforme à la ligne directrice de non-discrimination. 6. Le label anti-discrimination : Le décret du 17 décembre 2008 établit un label diversité avec pour objet de développer les bonnes pratiques. Ce label a été validé par toutes les confédérations syndicales. Il peut être intéressant d'aller voir la convention collective d'une entreprise, qui liste généralement les mesures de non-discriminations et peut servir une argumentation face à un employeur. Bien que l'on soit à chaque fois dans des cas particuliers, il semble important de rappeler le cadre général aux personnes accueillies à l'Amicale du Nid afin de leur permettre de travailler sur leur comportement, sur la façon dont elles se présentent à leur premier entretien, etc. Pour information, quand les personnes passant du genre féminin au genre masculin commencent à prendre des hormones, le résultat est assez spectaculaire dans la mesure où les effets sont produits très rapidement : en un mois et demi, c'est-à-dire en trois injections de testostérone, la masse musculaire peut augmenter d'une dizaine de kg, la voix mue et la pilosité s'accentue. TRANSIDENTITE ET EMPLOI : Personne à l'Amicale du Nid n'est spécialiste de cette question "transidentité-emploi" ; la spécialité de l'Amicale du Nid c'est la prostitution. Par contre cet intitulé nous interroge sur les spécificités de l'accès à l'emploi quand la personne est trans' et prostituée. Les pratiques sont très différentes d'un territoire à l'autre, en lien avec l'histoire de chaque service. Existe-t-il une spécificité dans l'accueil des personnes prostituées transidentitaires ? Y aurait-il des difficultés spécifiques ou supplémentaires pour les personnes quand elles sont trans' ? Fautil attendre que le processus de transition soit achevé ou avancer en parallèle ? Qu'est-ce qui pose problème dans le fait d'accompagner une personne prostituée et trans' ? Le problème de l'image est-il spécifique des trans' ou pas ? Il semblerait que l'accompagnement vers l'insertion professionnelle des personnes transidentitaires soit, dans une large partie, similaire à celui proposé aux autres personnes accueillies à l'Amicale du Nid. Cependant, une transition ou un questionnement identitaire sur son genre peut renforcer des situations déjà très précaires et augmenter ainsi les difficultés d'accompagnement. Si certaines personnes ont besoin de s'éloigner provisoirement de l'emploi pendant le temps de leur transition, il semble pertinent que les travailleurs sociaux les aident à garder à l'esprit la question de leur insertion professionnelle et leur permettent d'engager celle-ci par étapes (et ce d'autant plus pour les personnes qui restent en questionnement sans s'engager véritablement dans une transition). 53 En effet, toutes les étapes avant l'accès à l'emploi font déjà partie de l'insertion : c'est un cheminement qui se construit, permet de prendre de la distance par rapport à l'emploi et donc d'y accéder ensuite plus sereinement. L'accès à la formation peut être plus facile que l'accès à l'emploi par exemple, et ça peut être une première étape d'insertion sociale dans laquelle accompagner la personne. L'aider à améliorer sa présentation physique et son passing fait également partie de ces étapes préalables à l'insertion professionnelle. Si le travailleur social accepte la stratégie d'évitement des personnes par rapport à l'emploi tant que leur transition n'est pas achevée, cela risque finalement de mener à une perte de temps énorme puisque les étapes préalables à un emploi seront à mettre en œuvre par la suite. UN QUESTIONNEMENT IDENTITAIRE PAR ALTERNANCE Il arrive que le travailleur social soit démuni face à une personne qui n'affirme pas de préférence de genre, qui est dans la confusion ou pour qui il y a trop d'ambigüité entre son apparence et la manière dont elle souhaite être considérée. Si la volonté est de respecter le genre demandé, l'alternance de genre (situation récurrente sur deux territoires de l'Amicale du Nid) est parfois difficile à gérer dans certains espaces d'accueil collectif. Il semblerait que cela vienne en effet renforcer l'exclusion et/ou l'enfermement dans des groupes de pairs. Face à ces situations, il peut arriver que le travailleur social s'interroge sur la nature de ce que vit la personne : est-ce une question d'identité de genre ? Un trouble psychiatrique ? Il peut alors être nécessaire de ne pas rester seul et de solliciter l'aide de collègues pour sortir de la crainte d'influencer la personne dans un sens qui "ne serait pas le bon". Il est également possible d'exprimer à la personne sa difficulté à lui parler au féminin quand elle se présente avec une barbe naissante (par exemple). Cependant, avec le temps, on constate que la personne finit par éclaircir cette question s'il lui est offert une écoute bienveillante lui permettant d'avancer dans son processus. Il s'agit de travailler avant tout avec ce que la personne amène et nous donne à ressentir. UN CUMUL DE DIFFICULTES Le cumul « prostitution et transidentité » complexifie les accompagnements. Un certain nombre d’éléments spécifiques, facilitants ou handicapants, ont été repérés, dont l’importance relative varie selon le stade du parcours : - L’apparence de la personne, sa « crédibilité » dans le genre revendiqué : en début de transition, les personnes sont souvent dans un excès de féminisation qui peut invalider leur crédibilité : maquillage excessif, tenues sexy, voix forcée dans les aigus, etc. Ces excès peuvent même mettre la personne en danger. - Les papiers d’identité (et carte vitale, chéquiers etc.) : leur non-conformité avec l’apparence physique est un handicap majeur. En outre, beaucoup de ces personnes sont étrangères et l’obtention d’un titre de séjour est le premier objectif. - L'inadaptation du système d'aide sociale, notamment en terme d'hébergement : les foyers par exemple refuseront d'accueillir des personnes transidentitaires dont les papiers d'identité n'ont pas été changés. Le fait de ne pouvoir se stabiliser en terme de logement empêche la mise en place du dispositif d'insertion professionnelle. - Le comportement de la personne, généralement en réaction à un rejet social et familial : la peur, la dégradation de l’image de soi, le manque de confiance, les réflexes de repli ou de violence vis-à-vis de soi ou d'autrui. Il est alors nécessaire pour le travailleur social de prendre le temps d'apprivoiser les personnes, qu'elles comprennent qu'elles ne sont plus en danger, avant de pouvoir envisager des actions en vue d'une insertion professionnelle. 54 - La difficulté à s'extraire du groupe de pairs et de ses codes, qui peut empêcher ou ralentir l'élaboration d'un projet. - Les aptitudes professionnelles, le CV : bien souvent les personnes ne veulent plus ou ne peuvent plus exercer le métier précédant leur transition. Elles font en effet souvent apparaître dans leur choix d’orientation professionnelle l’importance d’aller vers des métiers très stéréotypés, qui semblent renforcer l’appartenance à l’identité choisie. De plus, l’entrée dans la prostitution, notamment lorsqu’elle se fait de manière précoce, mobilise psychiquement la personne, et de fait ralenti l’accès aux apprentissages. Cela induit peu ou pas de niveau de qualification, et rallonge d’autant plus les parcours d’insertion professionnelle. Cela demande donc de reconstruire entièrement un profil professionnel. Pourtant, dans certaines situations, les personnes ont une réelle qualification qu'elles ne peuvent valoriser du fait de leur transidentité. - L'association des traitements hormonaux avec d'autres toxiques peut s'avérer dangereuse et renforcer l'inadaptation de la personne aux exigences des normes du travail. - Un élément peut faciliter l'insertion professionnelle : la personne peut prendre appui possible sur la législation contre les discriminations fondées sur le genre et l’apparence. Plus largement, c’est la problématique de l’emploi dans notre société qui est en question. Par ailleurs, les contraintes imposées par les politiques publiques rendent les parcours d'insertion de plus en plus complexes, notamment quand elles tendent à associer l'aide sociale et l'activité et, de fait, imposent une accélération des processus d'insertion professionnelle. Or, les personnes transidentitaires sont des personnes très discriminées, très stigmatisées. Aborder la question de l’insertion professionnelle impose d’aborder les questions de discrimination faites au genre en général, et aux personnes trans' en particulier. LES VARIABLES SUR LESQUELLES LE TRAVAILLEUR SOCIAL PEUT AXER SON ACCOMPAGNEMENT Le grand malaise, qui bloque certaines personnes trans’ en situation de prostitution dans leurs possibilités de réinsertion, pourrait être soulagé par des éléments tels que : - l’acceptation physique - les relations avec la famille - les relations avec les pairs - les relations avec les partenaires de l’Amicale du Nid - la prise de distance (y compris une prise de distance provisoire avec l’emploi, le cas échéant) VIII- PANORAMA DES ASSOCIATIONS TRANS' FRANÇAISES La première association de personnes transsexuelles a été créée en France en 1965 ; à partir de cette date d'origine, nous pouvons distinguer quatre grandes périodes dans le mouvement associatif. Les grandes tendances que marquent ces périodes permettent de repérer à quel moment et selon quel processus les différentes associations se sont créées, sachant que l’on peut distinguer trois types d'engagement associatif : l'auto-support ; le lobbying (ou groupe de pression) ; l'expertise et la professionnalisation. Nous verrons que ces formes apparaissent au cours du temps et qu'elles peuvent toutes être présentes au sein d'une même association. 55 A- DE 1960 AUX ANNEES 1980 : SURVIVRE Au cours de cette période, la répression policière est massive. Des décrets interdisent le port de perruques et le travestissement. Les opérations chirurgicales, rares, se font uniquement à l'étranger (au Maroc en particulier) et l'hormonage est uniquement sauvage. De fait, les individus sont très isolés et se transmettent des informations au hasard des rencontres, par le bouche à oreille. Cependant, les premières figures médiatiques apparaissent, forgeant l'image de la transsexuelle star de cabaret à l'instar de Coccinelle ou Bambi. Coccinelle servira d'ailleurs de modèle à toute une génération de personnes trans' qui, en découvrant ses photographies ou ses images télévisées, se diront : "C'est donc possible, je peux devenir une femme comme elle". En 1965, Marie-André Schwindenhammer (1909-1981) crée la première association trans' : l'AMAHO (Aide aux Malades HOrmonaux), à Paris. Ancien militaire, résistant, il avait été interné par les Allemands et subi des expérimentations sur les traitements hormonaux. A son retour de la guerre, il vit progressivement puis complètement en femme "psycho-socialement" (selon une expression de l'époque). C'est alors la "belle époque" du Carrousel, un cabaret transgenre parisien, que Marie-André approvisionne en champagne. Les personnes transidentitaires sont peu visibilisées, "sans-papiers", leurs changements d'état civil sont bloqués par jurisprudence depuis le scandale du mariage de Coccinelle en 1962 (sa situation est l'occasion pour le Conseil de l'Ordre des Médecins de déclarer "que les interventions castratrices ne peuvent être admises que dans des cas d'intersexualité attestée par un chirurgien, un endocrinologue et un neuro-psychiatre" se conformant en ceci à la position des juristes" (Foerster, 2006).). L'AMAHO offre dans ce contexte une première forme d'auto-support, à travers du soutien, des rencontres et la mise en place d'un réseau d'aide. La compagne de Marie-André assure des séances d'épilation définitive à l'électrolyse à leur domicile. Marie-André, en s'inspirant de M. Hirschfeld, créateur de l'institut de sexologie à Berlin (premier lieu européen d'opérations trans'), invente des cartes associatives imitant des cartes d'identité, qui finissent par être tolérées par la préfecture de police. L'histoire de Marie-André illustre comment les transitions se faisaient alors "au petit bonheur la chance", de façon opportuniste, au gré des rencontres. C'est elle, par exemple, qui va rencontrer par hasard Coccinelle dans un train, lui apprendre l'existence des hormones et la possibilité d'une transition. Or, nous l'avons vu, Coccinelle deviendra une figure médiatique majeure de la publiscisation de la transidentité. Avec l'AMAHO (qui n'existe plus aujourd'hui), on devine également les premières racines d'une forme de lobbying trans', qui passe par l'expérience individuelle, la défense du cas par cas. MarieAndré va multiplier les démarches dans les administrations et les ministères pour défendre sa cause et la jurisprudence sur les trans' va commencer à évoluer à travers sa situation : un arrêt de cassation en 1975 puis un arrêt de renvoi de la cour d'appel de Reims permettent la suppression de son prénom masculin sur son état civil. En 1975, l'ABC (Association Beaumont Continental) voit le jour à Mulhouse par et pour des personnes "de sexe masculin éprouvant le besoin de se travestir régulièrement". L'association accueille uniquement des personnes dans le sens homme vers femme. Elle est créée sur le modèle de la Beaumont Society, un club anglais de personnes travesties, qui "font du tricot en parlant de football". L'association a fait perdurer cette image de club anglais au "travestissement bon chic bon genre". Elle s'inscrit dans de l'auto-support, "l'objectif numéro 1 étant de créer du lien social, permettre aux gens de se retrouver entre personnes vivant la même chose ". L'ABC rejette l'idée de militantisme, refusant de prendre le risque de détruire la cellule familiale et le cercle social de ses membres. Elle compte aujourd'hui 200 adhérents (dont 30 à 40 % sont à Paris). 56 En 1976, le pasteur Doucé, sensible aux exclusions en lien avec la sexualité, ouvre à Paris un centre accueillant des homosexuel-le-s, des prostituées et des transsexuel-le-s : le Centre du Christ Libérateur. Cela deviendra un lieu important dans l'histoire associative trans' en France, en tant que premier vrai espace de reconnaissance. Le centre offre un soutien psychologique, politique (milite auprès du parlement européen pour obtenir une résolution condamnant la discrimination à l'égard des transsexuel-le-s) et théorique avec la publication d'un essai (La question transsexuelle). De fait, il inaugure les trois racines principales du mouvement associatif – auto-support, lobbying, expertise – qui se développeront par la suite. Le centre fonctionne jusqu'à l'assassinat inexpliqué du pasteur en 1990. Cette mort brutale et incompréhensible sèmera la terreur et, pendant un certain temps, le refus de se regrouper des personnes trans'. Il est intéressant de remarquer que la première équipe médicale hospitalière créée en France se met en place en 1978, treize ans après la première association trans'. C'est l'équipe de Paris, alors constituée d'un psychiatre, d'un endocrinologue et d'un chirurgien. B- LES ANNEES 1990 : LA TRANSSEXUALITE, UNE QUESTION DE SANTE Au début des années 1980, deux autres équipes médicales hospitalières sont créées, l'une à Bordeaux et l'autre à Lyon. Les années 1990 bénéficient donc d'une expérience des parcours via l'hôpital d'une dizaine d'années. En 1989, le Ministère de la Santé adresse à la CNAM une circulaire qui officialise un protocole de soins créé par l'équipe parisienne : les trois équipes médicales hospitalières existantes s'en servent pour se déclarer comme "officielles". C'est de cette façon qu'est validé le protocole de prise en charge hospitalier décrit précédemment (rapport HAS). La condition pour l'exonération du ticket modérateur des soins médicaux passe par le diagnostic psychiatrique de transsexualisme. Cette période est également fortement marquée par l'épidémie du SIDA, qui réactualise les questions trans' sur un autre registre : de nombreuses personnes transsexuelles sont contaminées (la prévalence est plus forte que dans le reste de la population) et les premières permanences de l'une des associations créées à cette période auront lieu dans les locaux du CRIPS (Centre Régional d'Information et de Prévention du Sida). Sans doute en lien avec ces deux réalités - reconnaissance des équipes médicales hospitalières par la sécurité sociale / SIDA - on observe alors une proximité des associations trans' avec le monde médical, plusieurs d'entre elles étant même créées par des médecins. Quelques figures emblématiques du milieu militant, qui perdurent encore aujourd'hui, vont se démarquer ces années-là, du fait notamment de leur charisme et de leur activité dense de lobbying. Par ailleurs, comme nous l'avons vu précédemment, la Cour Européenne des droits de l'homme condamne la France en 1992. Cette condamnation marque un virage important dans l'histoire de la transidentité, puisque le changement d'état civil va désormais être autorisé. Suivant ce mouvement, les associations trans' accentuent leur volonté de favoriser l'accès au droit commun par le biais du médical, au nom de la citoyenneté. Diverses formes de lobbying se développent et annoncent le début de revendications concernant la dépsychiatrisation. Dans ce contexte, quatre nouvelles associations émergent, qui prendront plus d'ampleur que leurs prédécesseurs, et, même si deux d'entre elles vont être dissoutes une douzaine d'années plus tard, elles resteront comme des jalons significatifs du mouvement et seront à l'origine de la création d'autres associations portées par la volonté de prolonger l'action de ces associations mères. L'AAT, Association d'Aide aux Transsexuels, voit le jour à Marseille en 1993. Ouverte aux mtf et aux ftm, elle propose principalement de l'auto-support. Son vocabulaire médical est prégnant : ses 57 membres parlent du syndrome de Benjamin, de femmes andro-génésiques et d'hommes gynégénésiques (avec des gênes d'homme et de femme), affichent clairement que la meilleure prise en charge possible est de passer par les équipes spécialisées (nom donné aux équipes médicales hospitalières). Et il est impossible d'adhérer si l'on ne prouve pas que l'on est suivi par un psychiatre. Sa présidente, Sandra Dual, qui a été médecin, est l'auteur de "Rencontre avec le 3ème sexe" (Edition Gérard Blanc, 1999). En 1993, à Paris, le PASTT, Groupe de prévention et d'action pour la santé et le travail des transsexuel(le)s, se spécialise dans le conseil et le soutien des transsexuel(le)s et travestis, principalement en situation difficile (sans papiers) et se réclamant travailleur-se-s du sexe. Sa présidente, Camille Cabral, médecin elle aussi, met en place un fonctionnement proche de celui des associations de prise en charge de personnes en situation de prostitution, avec un bus de prévention notamment. Toujours dans la capitale, une "association de patients"18 est créée en 1994, par Tom Reucher entre autres, ftm et psychologue clinicien. C'est l'ASB, Association du Syndrome de Benjamin, qui propose de l'auto-support tout en assurant une activité marquée de lobbying. L'association considère que si le syndrome de Benjamin est "une affection d'origine encore inconnue", ce n'est "en rien une maladie mentale, mais un problème d'identité sexuelle". Elle est la première à demander la dépsychiatrisation de ce qui avait été "maintenu sous le terme stigmatisant de transsexualisme". En 1994, l'ASB rédige une "proposition de loi pour harmoniser la modification de l'état civil des transsexuels", proposition réécrite en 2002. En 1997, elle crée une marche de soutien aux transsexuel-le-s : l'Existrans. L'association conçoit un bulletin associatif et prend de plus en plus d'ampleur. En parallèle, les psychiatres et psychanalystes, inquiets d'une possible émancipation juridique et psychiatrique des personnes trans', produisent de nombreux essais ou tribunes libres qui insistent pour que les personnes ne changent pas de sexe mais "ce qu'il y a dans leur tête", défendant la psychothérapie comme alternative aux hormones et à la chirurgie (Foerster, 2006). En 2008, des conflits internes mènent à la dissolution de l'association, qui compte alors 300 adhérents. Après une période de flottement de deux ans sans activité, quelques anciens membres du conseil d'administration démarrent une nouvelle association : ORTrans. Sur la même période, le CARITIG, Centre d'Aide de Recherche et d'Information sur la Transsexualité et l'Identité de Genre voit le jour à Paris, sur l'impulsion d'Armand Hotimsky, ftm lui aussi. L'association met également en œuvre auto-support et groupe de pression et, comme l'ASB, produit une activité intellectuelle (nombreux articles et diffusion de documents juridiques ou scientifiques à travers bulletins associatifs et sites internet), qui annonce ce que nous avons repéré comme étant la dernière période du mouvement, où les groupes chercheront à s'affirmer comme experts, dans une volonté d'approcher des pratiques professionnalisées. Mais là encore, des conflits de personnes limitent les actions du groupe jusqu'à la disparition de l'association à la fin des années 2000. C- LES ANNEES 2000 : SE VISIBILISER Entre 1997 et 2000, les trois autres équipes hospitalières sont mises en place à Montpellier (1997), Nice (2000) et Marseille (2002 : année de la structuration officielle bien que les premiers travaux en endocrinologie et en chirurgie aient été menés dès les années 70).19 Mais, à partir de 2000, l'essor d'internet permet la notoriété et le développement des parcours hors protocoles. Les blogs, les sites et les forums se multiplient, donnant accès à quantité d'informations 18 Les passages entre guillemets sont issus du site de l'association. 19 D'après le site de la SoFECT : http://www.transsexualisme.info/ 58 qui permettent aux personnes de "bricoler" leur propre parcours, soit complètement en dehors des équipes officielles soit en mixant prise en charge dans le public et dans le privé. Sur le web, les récits de vie se multiplient, servent à se révéler et révéler que l'on est trans', se prouver et prouver aux autres que l'on est trans'. Des noms de médecins "transfriendly" et des photographies s'échangent, permettant aux personnes de choisir leurs modalités d'opérations et leurs chirurgiens. Cette multiplication des témoignages sur le réseau virtuel va progressivement constituer une base de données qui sert la production d'un savoir, d'une expertise : on trouve là le terreau de la dernière période du mouvement associatif, qui sera celle de l'expertise. Se marque par ailleurs la volonté de parler à la première personne, sous l'influence des associations féministes et de lutte contre le SIDA, dont Act-up notamment. Et l'on assiste alors à une explosion des auto-définitions. La règle défendue par les associations est que le bon genre pour s'adresser à une personne est celui qu'elle revendique, même s'il est fluctuant : mtf, ftm, mt*, ft*; mtu ; ftu ; transgenre ; transboy ; XXboy ; femme d'origine transsexuelle ; ielle ; ceulles... Les années 2000 sont également marquées par un militantisme "dur", qui rejette de façon massive les équipes hospitalières, exige la dépsychiatrisation et mène des actions coup-de-poing, qui permettront les premières entrées officielles des associations au sein du ministère de la santé ou de la CNAM. Ces actions serviront de support aux premières ébauches de fédération des associations trans' via deux assemblées générales. Les associations sont de plus en plus politisées et dénoncent la "transphobie de l'Etat". En 2002, STS, Support Transgenre Strasbourg, groupe de personnes transgenres (principalement des mtf qui se qualifient de transsexuées) dit se battre "pour le droit d'être individuellement nousmêmes, pas pour celui d'entrer dans un moule, quel qu'il soit."20 Mais c'est le GAT, Groupe Activiste Trans’, qui marque à Paris l'arrivée d'une forme militante plus engagée dès 2002. Luttant pour que les pouvoirs publics et les services de santé prennent en compte la situation des personnes trans’ (transsexuelLEs, transgenres et autres… ) , parce qu'il est pour eux "tout simplement impensable de ne pas associer les personnes Trans’ qui le souhaitent à venir s’exprimer librement sur les questions Trans’", ils sont à l'origine de la première "Assemblée Générale des Trans’" en septembre 2004. Ils mènent des actions de visibilité "coup-de-poing" (action auprès des services publics comme la CNAM, interruption de colloques, intervention au domicile de C. Chiland (psychiatre qui défend l'idée que la chirurgie de réassignation chirurgicale est une réponse folle faite à une demande folle), agitant le monde transidentitaire de leur énergie particulière. Le groupe s'auto-dissout en 2006. Objet de fortes controverses, il aura néanmoins permis une visibilité des trans' inédite, autorisant notamment les personnes à se reconnaitre comme n'étant pas des "malades mentales". En 2004, Trans Aide se monte à Nancy. La présidente de l'association, Stéphanie Nicot, est coauteur avec Alexandra Augst-Merelle (une des deux créatrices de STS), de l'ouvrage "Changer de sexe" paru en 2006. L'association, qui accueille des personnes trans' et intersexuées, revendique aujourd'hui 800 adhérents. La même année, une association aussitôt avortée du fait de désaccords entre les personnes souhaitant la créer, Trans'act, va donner naissance à Marseille à Sans Contrefaçon en 2005 et au GEsT en 2007. Sans Contrefaçon se consacre rapidement à la lutte contre la transphobie. Quant au GEsT, ce sera l'information et la formation sur la transidentité qui sera son principal axe de développement. 20 D'après le site : http://www.sts67.org/. Pour rappel, il est possible de se référer à la partie S'accorder sur le vocabulaire. 59 En 2005, l'ETT, Entraide Transgenre Tours se propose d'apporter son soutien à des transgenres souhaitant effectuer un parcours "libre " (c'est-à-dire en dehors des protocoles officiels, qui sont estimés "humiliants"). L'association insiste sur le partage d'expériences de transitions réussies et dénonce une transphobie de l'Etat français. Toujours la même année, Mutatis-Mutandis à Bordeaux offre information et accueil aux personnes transidentitaires, et produit plusieurs documents dont le Petit Mutatis illustré, un guide de transition.21 A Lille , C'est pas mon genre ! vise à promouvoir l'intégration et la visibilité des "personnes trans' au sens large (personnes voulant se faire opérer ou non, hormoner ou non, ou se situant entre les genres)", comme le précise son site Internet.22 D- A PARTIR DE 2006 : S'AFFIRMER COMME EXPERT Face à la pression des associations trans' et à la demande de médecins et de la CNAM, la Haute Autorité de la Santé, nous l'avons vu, entreprend de rédiger un rapport sur la prise en charge du transsexualisme en France (pré-rapport rendu public au printemps 2009, rapport définitif en novembre 2009 mais publié début 2010). La publication de ce rapport, signe de reconnaissance d'une problématique jusqu'ici peu prise en compte par les services publics, est l'objet de fortes controverses et débouche sur : • Premièrement : la mise en place, par le Ministère de la Santé, d'une commission de travail visant à élaborer un cahier des charges à destination de centres de références pour personnes transsexuelles ; • Deuxièmement : l'organisation d'une assemblée générale d'association trans' afin d'élire des représentants qui siègeraient à cette commission de travail mise en place par le ministère ; • Troisièmement : la création d'une association réunissant, pour la première fois, l'ensemble des équipes médicales dites officielles (la SoFECT). En octobre 2009, c'est le commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe qui produit un texte portant sur "les droits de l'homme et l'identité de genre". Ce document d'une cinquantaine de pages est jugé comme "le document le plus progressiste et le plus favorable aux trans' écrit par un officiel en Europe" selon des militants trans'. Dans ce contexte, où l'Etat et l'Europe adressent des signes manifestes d'intérêt à la cause trans', on assiste à un mouvement associatif qui tend à se professionnaliser : de nouvelles associations sont créées, dont les fondateurs manifestent la volonté de dépasser la seule expérience individuelle pour se faire reconnaître comme des experts des questions trans'. Elles agissent alors dans le sens d'un renversement des positions asymétriques médecins/patients et les associations deviennent des partenaires officiels de l'action publique. Six nouvelles associations voient le jour dans cette dynamique, dont le GEsT. A Lyon, Chrysalide s'inscrit à partir de 2006 comme une "association militante de support et de diffusion d'informations sur la transidentité, faite par et pour des personnes transsexuelles, transgenres, intersexes, travesties". Elle a pour objets "l’étude, la formation et l’information relatives aux problématiques inhérentes à l’identité de genre ou transidentité (travestisme,transsexualité, transgendérisme) ; La lutte contre l’exclusion et l’aide à l’intégration des personnes transidentitaires dans leur environnement familial, social et économique ; La 21 http://www.mutatismutandis.info/ 22 http://www.cestpasmongenre.com/ 60 contribution à la promotion de la culture transidentitaire."23 L'association mène différentes actions et cherche notamment à développer des liens avec les politiques locaux. Elle a ainsi rencontré des élus de la Région Rhône-Alpes ou participé à des groupes de travail d'HES (Homosexualités et socialisme) etc., afin de faire connaître la transidentité. Elle obtient le financement par le Conseil Régional de ses brochures associatives. En 2007, PARI-T, Plateforme d’Action et de Reconnaissance Identitaire pour les Transgenres s'ouvre à Paris sur l'impulsion de Kouka Garcia, membre de l'UNALS (Union des associations de lutte contre le SIDA). L'association mène principalement des actions en direction de trans' prostitué-e-s et/ou séropositif-ve-s et obtient pour cela des financements de l'INPES. En 2009, l'Inter-Trans' tend à regrouper des "personnes Trans’ membres d’autres associations ou de partis politiques au sein desquels elles travaillent sur les questions Trans’". La volonté de départ est de représenter l'ensemble des associations trans' mais, dans les faits, seul l'un des membres actuels est dans cette situation (membre d'ACTHE, Association Commune Trans et Homo pour l’Egalité), les autres faisant partie du PCF, d'Act Up, d'HES et des Verts. Le groupe travaille en lien avec ORTrans à la rédaction d'un projet de loi visant à simplifier les procédures de changement d'état civil. ORTrans, Objectif Respect Trans (ORTrans - prononcer O puis R puis Trans, comme précisé sur son site) est créée à Paris en 2009 par d'anciens membres du conseil d'administration de l'ASB qui, de ce fait, ont maintenu les liens établis avec le ministère de la santé et la Halde. L'association "se consacre aux personnes concernées par les questions d’identité de genre au sens large et par le transsexualisme en particulier. "24 Enfin, OUTrans25, en 2009 est proposée par et pour des ftm qui avaient le sentiment que rien n'existait en terme d'auto-support pour eux. Au départ, leur idée était de proposer de l'auto-support et des temps de convivialité. Mais, pris dans l'actualité de la sortie du rapport de la HAS, le groupe développe rapidement une activité complémentaire de lobbying. Ils rédigent plusieurs communiqués de presse en réaction aux annonces de la ministre de la santé ou de la HAS par exemple. Ils participent par ailleurs à l'organisation puis à la marche Existrans 2009 ; ils initient la création d'un carré trans', c'est-à-dire d'un espace réunissant toutes les associations trans' participant aux marches des fiertés LGBT de Lyon et Paris. Ils créent et diffusent de nombreux tracts ou affiches dénonçant la psychiatrisation ou exposant des revendications en lien avec le changement d'état civil, organisent la troisième assemblée générale trans'... Ce panorama du mouvement associatif, permet de constater que celui-ci, initié dans les années 60, prend progressivement de l'ampleur pour s'étendre largement sur le territoire français. On peut observer des groupes qui se font et se défont, où des individus assez isolés prennent finalement une place importante en lien avec les politiques ou par le biais de l'activité des divers supports internet : forums, blog, site perso... On assiste ainsi au passage de groupes de soutien et de modes de solidarité en réponse à des situations de précarité et d'isolement, à des positions et organisations d'experts, la transition de l'un à l'autre se faisant par : • une visibilisation de la cause trans' par l'exposition de soi ; • la constitution d'un savoir à partir de l'ensemble des témoignages exposés et du cumul des expériences individuelles ; • des formes de militantisme radicales qui enfoncent des portes fermées et laissent ensuite la place à des groupes plus modérés ; • l'infiltration progressive dans des institutions sociales et de santé publique, où ils sont finalement intégrés comme spécialistes de la question. 23 http://chrysalidelyon.free.fr/ 24 D'après ler site http://www.ortrans.org/. 25 http://outrans.org/blog/ 61 TEMOIGNAGES Les témoignages qui suivent ont été recueillis par l’ensemble du groupe de la recherche-action auprès de personnes fréquentant les groupes d’échange institués sur les territoires de l’Hérault et de la Haute-Garonne et rencontrées lors de nos déplacements sur ces derniers (cf. Méthodologie, p. 8) 62 • LISE Lise participe au groupe d'échange de Montpellier depuis sa création, fin 2006. Elle y trouve dès le départ un espace où discuter des problématiques trans' au quotidien, échanger avec d'autres qui vivent la même chose qu'elle et sortir de son isolement. Les échanges se font autour de leurs "avancées ou non-avancées"26, de leurs "prises de têtes" avec les psychiatres, les psychologues. Les informations fusent : qui aller voir, qui rencontrer, qui appeler..., infos que ne peuvent se trouver ailleurs. L'important pour elle c'est que c'est un lieu d'accueil : "on est accueilli, on n'est pas jeté, on peut discuter, être informé et c'est important". Elle a eu une mauvaise expérience à Marseille : elle était dans un foyer avec un suivi dans un CMP ; elle est allée à l'Amicale du Nid et elle n'a "pas été vraiment accueillie", elle n'a "pas eu d'espoir de re-rencontre, de lieu où venir pour avoir des infos". Elle n'y a "pas remis les pieds parce qu'elle avait l'impression qu'on ne pouvait pas faire grandchose pour elle" : elle était à la rue et ils ne lui ont rien proposé, elle a été renvoyée vers un accueil pour garçons. Lise arrive "à la fin de son parcours". Elle vient tout juste d'obtenir l'autorisation psychiatrique pour se faire opérer. Suivie par un psychiatre hospitalier qui ne voulait pas qu'elle prenne d'hormones, elle a commencé sans son accord par le biais d'une personne lui "faisant passer des hormones". Lorsqu'il l'apprend, le psychiatre la "bannit de son protocole" et elle "passe donc à Marseille" : elle rencontre la psychiatre, le chirurgien et l'endocrinonologue : ils ne la trouvent pas prête et la renvoient vers une psychothérapie. Ils estiment en effet qu'elle a "découvert ça trop tard pour être une vraie trans", qu'elle aurait "dû m'en rendre compte vers 4-5 ans". Elle essaye sans succès de leur expliquer que dans son milieu "c'était une honte d'être féminisé". Elle choisit alors de se rendre à Lyon où elle se sent mieux accueillie : le psychiatre est "plus ouvert" et elle obtient son autorisation d'opération. Lise a traversé une période de trois ans de chômage suite à une incarcération. Elle est alors en difficulté pour trouver du travail du fait de ses tenues vestimentaires. Puis elle travaille dans une association "comme Emmaus", avant d'être employée comme agent d'entretien à Ikea pendant quelques mois, puis à Orchestra. Pour les entretiens d'embauche, elle se présentait sous son identité masculine et expliquait sa situation pendant l'entretien. Ensuite, elle en parlait ou pas à ses collègues, en fonction des relations qu'elle avait avec eux. Elle n'a jamais eu de réflexions ni des responsables ni des collègues. Elle vient de terminer une formation d'hôtesse de l'air, qu'elle doit compléter par une formation en anglais avant de pouvoir postuler. Elle a désormais changé officiellement de prénom et postulera avec son prénom féminin. • RACHEL Rachel est "un peu malentendante" : il faut lui parler "assez fort", sinon elle n'entend pas. Elle a commencé sa transformation en 2002. Elle n'avait pas de travail, "était dans la prostitution depuis six ans, pour pouvoir se payer tout ça, les épilations lasers, etc.". Elle estime qu'elle était très mal informée sur les remboursements et ne connaissait "que le trottoir pour se payer ça". Une fille "génétique" lui a fait connaitre un jour la Babotte, qui l'a beaucoup aidée. Mais elle trouve que c'est "dur de revenir à une autre vie professionnelle" ensuite. Elle fait une formation sanitaire et sociale puis, l'année d'après, demande à faire la formation BEP carrières sanitaires et sociales : elle obtient la pratique mais pas l'écrit. Puis elle cherche du travail : "pas facile !". Une dizaine d'entretiens : tous les employeurs se montrent d'abord "enchantés" ; elle 26 Les phrases ou expression entre guillemets sont celles employées par les personnes. 63 ne disait pas qu'elle était trans’ et quand elle le disait la fois d'après ("voilà il faut que je vous éclaircisse sur ma vie privée, je suis transsexuelle mais j'ai encore mon identité masculine") alors ils se montraient surpris, prétendaient que ça ne posait pas de problème, demandaient quand elle pouvait commencer et quand elle annonçait qu'elle pouvait démarrer immédiatement, ils lui disaient qu'on la rappellerait pour signer le contrat, ce qu'ils ne faisaient jamais. Quand Rachel les recontactait, il lui était alors expliqué qu'ils avaient trouvé quelqu'un de "mieux qu'elle". Ensuite, Rachel décide de ne plus rien dire jusqu'à la signature du contrat ; elle indique "Rachel" sur son CV et, le jour de la signature, elle annonce sa situation. Elle réussit ainsi à signer un CDI de 20h, ce qui lui fait dire : "comme quoi on peut y arriver, notre identité ne bloque pas forcément, il y a des gens qui comprennent". Actuellement, il n'y a que ses employeurs qui savent qu'elle est trans’, pas le public dont elle prend soin (des personnes âgées), ni ses collègues. Rachel considère qu'elle n'a pas "le devoir de dire qu'elle est trans’", qu'elle n'a pas "à mettre un écriteau, c'est déjà bien assez lourd à porter comme ça" à chaque fois qu'elle "va à la banque ou qu'elle fait un chèque". Alors on lui dit souvent : "ah ben ça se voit pas !". Ce travail a permis de sortir de la prostitution. La prostitution lui a permis de devenir ce qu'elle est aujourd'hui, de se payer ses opérations, ses habits : "ça ne lui a servi uniquement qu'à ça". Rachel a fréquenté très tôt les "milieux homos sans en être vraiment satisfaite", ça ne répondait pas à son sentiment de féminité. Elle s'est "toujours sentie femme", même si elle n'est pas encore opérée. Elle sera opérée dans l'année à Lyon, car elle n'avait "pas les moyens d'aller en Thaïlande". Elle a été suivie par un psychiatre et un endocrinologue du CHU de Montpellier : "c'est juste pour l'opération qu'on va à Lyon". Elle a appelé elle-même la secrétaire du chirurgien lyonnais pour prendre rendez-vous. Le chirurgien ne lui a pas demandé de reprendre l'ensemble du protocole, il "prend la personne là où elle en est". D'ici janvier 2011, Rachel espère "avoir son changement d'état civil". Son avocate lui a demandé si elle était gênée de passer devant un expert pour le changement d'état civil, elle a répondu que non, que si ça lui permettait "d'obtenir son changement, pas de problème, c'est comme d'aller voir un gynéco". C'est avec Rachel que le groupe de Montpellier s'est monté. Elle "bassine" alors un éducateur pour qu'il "trouve des réponses à ses questions". Le groupe est "important parce que personne ne savait rien, on était complètement paumés". Avec le groupe, "on réussit à avoir des infos". D'ailleurs, l'une des participantes les "bleuffe en réussissant à faire sa transition en deux ans". Sans doute aurait-elle évité la prostitution si elle avait connu un lieu comme celui-ci avant, parce qu'elle aurait pu "avoir d'autres infos et faire autrement". Pour Rachel, le fait que le groupe accueille des personnes prostituées et des personnes qui ne le sont pas permet aux prostituées "d'éviter de le faire, parce qu'on leur propose d'autres solutions". Elle cite l'exemple d'une personne "qui voulait se prostituer mais a pu l'éviter car la Babotte lui a proposé un appartement relais et l'a aidée à trouver du travail". Pour Rachel, "il n'y avait pas d'autres solutions, d'autant que ses parents l'ont très mal pris, il a fallu qu'elle se débrouille seule". Si elle n'avait pas connu la Babotte, elle imagine qu'elle serait peut-être encore dans la prostitution. Elle a été aidée dans sa recherche de stage, a pu faire ses CV, les imprimer, rencontrer d'autres personnes avec un autre vécu, ce qui "ouvre des portes et des horizons". • SAMUEL Samuel est arrivé dans le groupe en février 2008 et participe régulièrement aux réunions depuis. Il y rencontre Rachel et Lise notamment, au sein d'un groupe dynamique de femmes qui l'a "adopté et réciproquement". Il ressemblait encore beaucoup à une femme biologique et ce n'était "pas évident pour elles de l'appeler au masculin", mais ça a beaucoup évolué depuis. Il y a plus de 64 femmes à l'Amicale du Nid du fait de la prostitution, et Samuel ne connait pas de personne dans "son cas" ayant recours à la prostitution ou à la drogue pour payer sa transition. Il lui semble que l'isolement vécu par les ftm est plus grand avant la transition mais que, par contre, leur insertion est très rapide ensuite. Heureusement, Internet permet de rompre cet isolement : "c'est internet qui nous relie tous". Il aurait aimé qu'il y ait quelqu'un d'autre dans "son sens" en arrivant, mais il a été le premier, "c'est comme ça", et il est content d'accueillir d'autres personnes maintenant. Le groupe lui paraît pertinent dans la mesure où il permet "de trouver des réponses de vie, plus que des réponses médicales" et, surtout, un lien amical, un lien social : il était dans "une grande solitude, sans travail et c'était le moyen de trouver des copines". Samuel s'est "inséré tout seul", en créant sa propre entreprise en bâtiment, puis en cherchant du travail par le réseau. C'est difficile au début, à cause de son physique féminin : les employeurs potentiels avaient du mal à imaginer que la femme qu'il était, avec ses formes, allait rapidement devenir un homme, ou tout du moins "un morceau d'homme". Samuel a été suivi par le psychiatre de l'hôpital, dont une personne du groupe lui avait donné les coordonnées. Aujourd'hui, il y a plusieurs ftm dans le groupe, jeunes, entre 17 et 25 ans, et il est le plus âgé. La famille est souvent un pilier. Sa famille est loin, ils pensent qu'il est "une fille homosexuelle", bien qu'il leur ait dit que "ça allait un peu plus loin". Mais les autres garçons du groupe ont beaucoup de soutien de la part de leurs familles. La présence des garçons dans le groupe change l'énergie, amène plus de réflexion et d'échanges. Mais Samuel n'oublie pas qu'il a été élevé et qu'il a vécu pendant 30 ans "comme une femme". Il portait des tailleurs il n’y a encore pas si longtemps. Il croit qu'ils ont tous accepté à un moment d'être une femme. Ils se montrent leurs photos entre eux, ils "y arrivent et en déconnent". Il ne "veut pas oublier ça", surtout quand il voit des mecs qui après leur transition ne veulent pas que leur copine sorte de chez eux, etc. Quand il voit une photo d'E. [un copain trans'] avant, Samuel constate que "c'était une jolie femme, et maintenant que c'est un beau mec". Il n'arrive pas à le voir comme une femme. Face à la crainte de certaines personnes de venir dans le groupe (peur qu'on questionne leur transidentité) Samuel aurait envie de leur dire que dans le groupe personne ne questionne jamais l'identité des autres : "si une personne à l'apparence masculine se présente au nom de Patricia, elle sera accueillie comme Patricia". Tous et toutes ont vécu cette crainte au début, estimant ne pas ressembler assez à un homme ou à une femme, renforcée par le fait que certain(e)s se trompaient sur le prénom. Mais "le respect est là, de pouvoir se le dire, même si on ne peut pas éviter certaines tensions ou certains échanges un peu virulents. Mais ça reste toujours productif". Pour Samuel, la première question à poser à un(e) nouvel(le) arrivant(e) est s’il/elle a un prénom féminin/masculin. Si la personne n'ose pas, il lui demande en tête à tête si elle a choisi un prénom féminin ou masculin. "Cette question peut être extrêmement libératrice", insiste-t-il, pour lui "est-ce que tu as choisi un prénom ?", est "une question essentielle et importante en terme de respect". Samuel a été agent commercial, "avec tailleur de rigueur, seule femme au milieu d'une équipe de 12 hommes", avec son étiquette d'homosexuelle puisqu'ils avaient vu son amie. Il a dérivé vers le bâtiment parce qu'il ne pouvait pas faire "ce qui le passionnait" - encadreur de tableau - et que ça lui permettait de se "muscler". "Notre problème, c'est ce qu'on a dans la culotte. Ou ce qu'on n'a pas." Samuel sait qu'il n'aura pas "une masculinité totale, quelles que soient les prothèses qu'il se mettra dans le caleçon". S'il avait pu rester encadreur de tableau, dans un métier minutieux et créatif, il y serait resté, mais il a pris la perceuse parce que c'était là qu'il y avait du travail. Pour un de ses collègues, il était un fantasme ; comme Samuel n'a pas de mal à parler de sexualité, il en parlait avec son collègue et ils s'arrêtaient devant les mêmes filles. Mais parfois, ça devenait un peu lourd. Un jour, alors qu'ils "bossaient en plein cagnard", le collègue était torse nu ; au bout 65 d'un moment, Samuel "n'en peut plus" et enlève lui aussi son tee-shirt sans être encore opéré : tout d'un coup, il se sent à nouveau femme. Son collègue lui dit qu'il ne devrait peut-être pas se faire opérer. Ou alors, on lui proposait de porter à sa place "tel ou tel truc sur le chantier", ce qu'on ne lui propose plus maintenant. Devant la force des assignations, Samuel développe des stratégies. Avant d'aller dans un magasin de bricolage par exemple, il se renseigne pour ne pas "avoir l'air trop bête". Quand il dit bonjour, il sourit systématiquement ; on lui dit alors qu'il est "pédé, parce que vous en avez vu beaucoup des hommes qui sourient quand ils se disent bonjour" ? Pour sa transition, Samuel fréquente plusieurs médecins, dont le psychiatre du CHU de Montpellier. S'il se plie à certaines de leurs exigences, il reste vigilant et cherche à bien se renseigner. Dans le cadre du protocole, il a accepté de passer trois fois le test Rorschach à la demande du psychiatre, pour voir comment sa personnalité évoluait. Il connaît un jeune ftm, opéré à Marseille, à qui l'on a recousu le vagin à 2 cm au cours de l'hystérectomie, sans lui demander son avis. Ce serait une pratique courante, de le faire sans demander son avis à la personne : si elle exprime le souhait de le garder intact, on lui laisse, mais si elle ne dit rien, le chirurgien suture à 2 cm. Quand on fait une phalloplastie, le vagin est obligatoirement fermé. Samuel se demande ce qui justifie cela. Il estime que les gynécos sont aujourd'hui incompétents pour les accompagner. Il en a trouvé un seul à Montpellier acceptant de le suivre, bien qu'il n'y connaisse rien. Il a essayé de prendre des rendez-vous avec des médecins qui ont refusé, expliquant qu'ils n'y connaissaient rien. C'est un vrai problème que les gynécos soient incapables de les suivre, voire fassent semblant de recevoir une femme biologique à qui ils font un frottis, alors qu'ils ont un homme trans en face d'eux. Impossible de savoir si c'est un problème d'éthique ou de méconnaissance totale de la part des médecins. Sans doute les deux. Mais c'est un vrai problème pour les hommes comme les femmes trans'. Il y a un déficit dans la médecine post ou pré-opératoire assez effarant. Quand quelqu'un trouve un médecin bien, il passe l'adresse aux autres, mais après il y a le risque que le médecin devienne médecin pour trans', avec tout ce que ça implique. Samuel aimerait montrer l'évolution d'un corps trans' sous testostérone : il projette de diffuser des photos de transition, pour aider dans le choix des chirurgiens et favoriser des opérations réussies. Pour certains, ça devient une marque de fabrique : la cicatrice est virilisée, montre qu'on a souffert pour devenir ce qu'on est. Samuel conclut sur le fait que le groupe d'échange formé aujourd'hui est très ouvert, qu'il permet de vrais échanges. REMARQUES A PROPOS DE CES TEMOIGNAGES Il existe un postulat fondamental dans le groupe : on accueille la personne comme elle est, comme elle se présente et il y a de multiples situations possibles, qui sont toutes acceptées. Par ailleurs, des permanences d'accueil individuel sont proposées par le planning familial, qui peuvent éventuellement aider la personne à aller ensuite vers le groupe. Parfois, certain(e)s ne veulent pas participer au groupe parce qu'ils/elles "ne veulent pas aller au bout des opérations et ont peur du groupe à cause de ça : les transformations sont très liées à la prostitution, c'est confus, la personne parle de lui au masculin, est homo, prend des hormones fait un peu de chirurgie mais ne veut pas se faire opérer par exemple". Si la question du nouveau prénom peut-être libératrice, est-ce qu'elle peut produire l'effet inverse, dans le cas où la personne voudrait rester dans un entre-deux ? Il semblerait que non : si la personne ne s'y retrouve pas elle reviendra à son premier prénom, à partir du moment où il n'y a pas de jugement sur ses éventuels aller-retours. 66 • GERALDINE DITE DALLY Au cours d'échanges avec Chantal et Christian [travailleur-se-s sociaux de l'Amicale du Nid], Dally propose de créer une association pour permettre à des personnes transsexuelles de se rencontrer, parler entre elles, pour que l’on cesse de les regarder "comme des objets non-identifiés". Chantal et Christian lui proposent alors de mettre un groupe en place, à l'Amicale du Nid. Quelques années plus tard, Dally est contente de voir que le groupe se réunit toujours, même si elle ne vient pas systématiquement, elle reste au courant par courrier. Dally a commencé sa transformation, d’abord vestimentaire, dès l’âge de 16 ans, elle savait déjà qu’il y avait une femme en elle, puis sa première prise d’hormones à 21 ans, l’âge de la majorité... depuis, elle a toujours vécu dans la peau d’une femme. A 55 ans, elle a dit “stop”. Elle ne pouvait plus se regarder dans la glace avec des seins et un sexe d’homme, elle voulait devenir une femme à part entière. "Nous avons été des hommes ou des femmes, des travestis, des transsexuelles. Les termes de transgenre, transidentité, ne correspondent à rien pour moi, c’est une question d’époque." Dally a rêvé d'être une femme toute sa vie. "La transsexualité, c'est un chemin de croix, une souffrance". Elle a mis "quarante-cinq ans à en arriver là" et "ce n'est pas encore fini", dit-elle, "ce n'est jamais fini". Elle a eu la chance d'obtenir le changement d'identité 3 ans avant l'opération. Opérée en France, par des chirurgiens français, elle a pu être prise en charge par la sécurité sociale. Elle a dû "taper des coudes, des poings", n'a pas eu peur des réflexions. Pour demander l'opération, elle s'est présentée, avec son avocat, devant la Commission médicale, à l’Hôpital La Grave de Toulouse, c’était en novembre 1998. "Il y avait plein de médecins, c'était presque les assises". On lui a posé beaucoup de questions sur son histoire, puis une date a été choisie : le 13 janvier 1999. Même si l’intervention est réussie, Dally rappelle l’importance du respect des consignes post-opératoires. Après l’intervention chirurgicale, "aucune souffrance, pas le moindre mal" mais Dally s’est astreinte à un suivi médical régulier auprès du médecin qui a pratiqué l’opération. "Il y avait aussi, un véritable travail à faire soi-même en plus de ce suivi médical : ce travail consistait à pratiquer deux fois par jour une pénétration vaginale pour rendre plus élastique et plus profond le vagin". Cette contrainte quotidienne a été difficile à suivre mais nécessaire pour obtenir un bon résultat. Dally a été mariée, a eu 3 enfants mais a coupé tous liens avec eux, ne les a jamais revus. Son choix de mener au bout sa transformation, être femme, elle n’a pas voulu l’imposer à ses enfants. Elle ne voulait pas leur porter préjudice dans leur vie, "pour ne pas qu’ils aient honte de leur père". Elle n'est jamais revenue en arrière. Avec ses parents, Dally a été très claire depuis le début : "c'est ça ou la mort". Sa mère lui a toujours dit : "quoi que tu fasses, tu seras toujours mon enfant, la seule chose que je ne te pardonnerais pas, c'est que tu prennes de la drogue". Dally n’a jamais "succombé à la tentation". Aujourd’hui, quand Dally rentre chez elle, elle est "le bon Dieu" pour sa famille. Elle témoigne de l’importance d’avoir toujours été soutenue par sa famille, c’est ce qui lui a permis d’aller de l’avant. Dally a eu une activité de prostitution et une activité de spectacle. Elle a commencé à Paris, alors qu'elle était encore mineure. Prostitution de 5h00 à 10h00 du matin au bois de Boulogne, puis des petits boulots : livreur, barman, employé de bureau... Son idéal était de devenir femme. Elle a commencé le spectacle, a travaillé au "Carrousel", a 67 rencontré les plus beaux transsexuels du monde, Coccinelle, Cobra... Son handicap le plus important était la barbe. L’épilation a été pour elle la première démarche effective de transformation, très chère et très douloureuse. Dally a choisi la prostitution parce que pour elle, et, à son époque, tous les trans’ y passaient un jour ou l’autre. "Parce que c'était le seul moyen de se payer des opérations magnifiques". La prostitution lui a permis d'aller vers son idéal de femme. "Si il n’y avait pas eu la transsexualité, il n’y aurait sûrement pas eu la prostitution". Elle fait des études en Algérie et rentre en France en 1964. Si elle avait pu, elle serait toujours restée dans son pays, l’Algérie. "L'opération, les papiers, être une femme physiquement, ne pas baisser la tête quand on croise quelqu'un... quand on a franchi tout ça, on vit normalement". Parfois, Dally s'interroge : "qu'est-ce que je pourrais faire de plus ? Par où suis-je passée ?.... et toute cette souffrance!" Dally fait part de quelque chose qu’elle ressent, du fait de sa transsexualité: "on peut avoir cette double identité homme et femme et ça nous renforce, on n'a peur de rien et on peut aller jusqu'au bout". Dally travaille dans un quartier assez dangereux, si on l'ennuie trop, elle frappe, une des raisons pour lesquelles elle dit que les trans' ont un dédoublement de personnalité qui leur sert. Elle se définit comme une femme enfermée dans un corps d'homme et un homme enfermé dans un corps de femme, l'un parle à l'autre, quand l'un flanche, l'autre le redresse : "tu as voulu devenir une femme et maintenant tu pleures ?". C'est ce qui fait sa force. Elle revendique : "nous sommes des êtres humains comme tout le monde, nous avons droit au respect". • KEVIN "Cette force dont parle Dally, on l'a tous, vous l'avez tous, sauf que vous ne le savez pas et que nous on le sait". Kevin s'appelait Chantal, il a voulu faire la place à Kévin, en jetant Chantal. Une personne lui a dit que s'il était devenu Kévin, c'était grâce à Chantal et qu'il ne devait pas l'oublier, ce avec quoi il est d'accord. Il trouve que c'est plus facile pour eux [les ftm] au niveau du changement physique. Pendant le temps où il n'avait pas ses papiers, il y avait toujours "un hic" : quand on lui disait "ah non, il faut que ce soit la personne qui fasse la demande !", alors il stressait, avait des sueurs froides, avait envie de secouer la personne mais, finalement, il peut dire qu’il n’a rien vécu de “vraiment dur". Pour la chirurgie, par contre, "c'est plus dur que dans l'autre sens". Il estime avoir eu de la chance. Kévin avait déjà rencontré le chirurgien sur Toulouse (Dr G.) et le Dr B., qui chapeautait l’équipe quand il a rencontré trois personnes qui lui ont "sauvé la vie". Les deux premières (M. et O., deux mtf) avaient été opérées par le Dr G., chirurgien "apprenti boucher” de Toulouse, qui n'exerce plus maintenant, puis avaient été ré-opérées et rectifiées par un chirurgien à Lausanne. Ce sont elles qui lui ont parlé de la Suisse. Kévin avait peur de la phalloplastie et pensait faire une métaoidioplastie. Il a d'abord vu un médecin à Bordeaux où il a rencontré F., la troisième personne. F. lui a raconté qu'il avait failli perdre sa jambe droite à cause du prélèvement pour la phalloplastie. Kévin est donc allé à Lausanne, mais il n'y avait pas de remboursement possible. Il se fait donc "faire des certificats par l'apprenti boucher" et celui qui lui succèdera, le Dr V. Puis il retourne voir la Sécu. Comme il y avait eu des filles mutilées à Toulouse, la Sécu a accepté la première prise en charge. 68 Il fait d'abord l'hystérectomie et l’ovarectomie, l’ablation des seins et la métaoidioplastie puis, un an après, la phalloplastie qui a nécessité un prélèvement de peau, de nerfs, etc... pour faire une néoverge. Ça s'est bien passé dans l'ensemble. Enfin a eu lieu une dernière opération pour la pose des implants péniens, en 2005. Depuis, tout va bien, Kévin a "juste des révisions à faire". Là où il considère "s'être planté", c'est qu'il croyait qu'une fois les opérations terminées, tout se réglerait dans sa vie. Or quand il a fini, il s'est rendu compte qu'il s'était trompé : les problèmes au boulot ce n'était pas la transidentité, c'était lui. Tout comme ses infections urinaires, il les avait déjà à la base. “Il y a encore du travail d'acceptation à faire dans sa tête pour s'approprier ce nouveau corps, le regard des autres, etc.”, dit-il. Il voyait bien qu'il avait du mal à trouver du travail et croyait que c'était parce qu'il était trans'. Il a travaillé dans l'animation, mais c'était compliqué quand il allait à la piscine avec les jeunes. Il a arrêté pour devenir ambulancier, mais il était en difficulté avec son CV et sa carte d'identité. Alors, il est allé aux entretiens d’embauche en mettant Kevin à la place de Chantal sur les CV et ça a marché. Il a réussi à avoir un CDI. Il ne parlait de sa transidentité que lorsqu’ils lui disaient que c'était ok pour l'embauche. Il a demandé deux fois le changement d'état civil : la première fois après la métaoidioplastie, on lui a répondu qu'il n'était pas stérile, qu'il pouvait revenir en arrière. Il semble que le Tribunal n’ait pas compris la nature de l’intervention. Il a été accepté à la deuxième demande, après la phalloplastie. Auparavant, il avait fait refaire sa carte d'identité avec une photo où il avait la barbe. A la banque, il leur avait demandé : "vous voyez qui en face de vous ? Une nana ?", alors, ils ont accepté de ne marquer que l'initiale de son prénom. Maintenant il a ses papiers mais c'est "comme un boomerang". Cela va faire trois ans qu'il est au chômage. Au niveau des indemnités, il a été en ARE (Allocation d'aide au Retour à l'Emploi) puis en ASS (Allocation de Solidarité Spécifique), il devait prouver cinq ans de travail. Comme il y avait une alternance de Chantal/Kévin, c’était compliqué, cela lui donnait l'impression "de devoir baisser son froc à chaque fois". Quand il a été clair sur sa situation avec la personne de l'ANPE, le dossier est passé. Il a apporté l’explication de cette alternance en fournissant dans le dossier, la copie intégrale de l’acte de naissance. En 1998, quand il est allé voir le sexologue pensant être homosexuel et ne l'acceptant pas, le sexologue lui parle de transsexualité. Kévin ne connaissait même pas le nom, il ne savait pas ce qu'il avait. Son mal-être retentissait sur l'emploi mais ça n'expliquait pas tout. La transition ça n'a rien changé pour son travail. “C'est l'euphorie après la phalloplastie, puis c’est la chute, la redescente, on réalise que non, ça ne change rien à ses problèmes”. Kévin n'aime pas le mot protocole, qui cache du bien mais surtout du mauvais. En France, c'est carré, il y a des règles, ça doit se passer comme ça, mais en fait, ils font comme ils veulent et comme ils peuvent : "on est des cobayes pour eux". Pour exemple, en 1999, l’endocrinologue de l’équipe toulousaine prescrit à Kévin un double traitement hormonal, le premier (testostérone) adapté, mais un second, sensé faire accélérer le processus, qui sera remis en cause par le chirurgien Suisse, pas nécessaire et dangereux. Par contre en Suisse, ce n'est pas du tout protocolaire. Au niveau familial, la transition a été douloureuse. Pour Kévin, le soutien familial dont il a cru bénéficier a été un leurre. Il s'en est rendu compte quand son père est décédé. Sa tante parle encore de lui au féminin. Il n'a jamais eu de place dans sa famille et il pense qu'il n'en aura jamais, sauf pour son père. C'était pour ne pas faire de peine à son père, qui l'a beaucoup aidé, qu'il voyait les autres. Sa mère le défendait au début puis ça a changé, elle s'est remise à l'appeler par son ancien prénom alors que cela faisait plus de dix ans qu'il prenait des hormones. Kévin aurait préféré qu'ils 69 lui ferment la porte. À l'enterrement de sa grand-mère, une ancienne voisine ne le reconnait pas et demande "où est Chantal ?", ce à quoi sa tante répond qu'elle n'existe plus. Kévin estime que ce n'est pas difficile seulement pour eux (la famille), qu'on ne parle que de leur difficulté à eux, et lui ? S'il en est là, il considère que c'est uniquement grâce à lui, pas à eux, à lui et à son père. • SOPHIE Sophie confirme que l'on peut être en difficulté dans un milieu professionnel parce qu'on est focalisé par sa transition et qu'on ne peut pas s'occuper d'autre chose. On parle de choix mais pour elle, à part choisir de ne pas mourir, on ne choisit pas grand-chose. Une fois la transition finie, c'est comme si on enlevait un grand poids et qu'on pouvait se concentrer sur autre chose. Sophie préfère parler de parcours plutôt que de protocole. Il en va des trans’ comme de tous les êtres humains, il s'agit de parcours individuels, on est tous différents les uns des autres. Sophie souligne l'importance des groupes comme celui mis en place à l'Amicale du Nid à l'initiative de Dally. Il y a trente-cinq ans en arrière, il était impossible de trouver des informations en dehors des médias qui parlaient de drogue, prostitution... De nos jours, l’accès à l'information est facilité, notamment grâce à internet. Mais sur internet, l’information disponible n’est pas toujours fiable, on trouve de tout et de n'importe quoi. Le groupe permet un accès à des informations vérifiées ou au moins étayées par des témoignages et offre en plus de la chaleur humaine et de la sécurité. Parce que ce qui "nous rend heureuses, devenir ce qu'on veut être, rend souvent malheureux nos proches" : le groupe permet de rencontrer des personnes neutres avec qui il est finalement possible de devenir amies, alors que les proches n'acceptent pas forcément tout de suite de "nous voir devenir nousmêmes". En ce qui la concerne, Sophie exerce encore en tant que "il", comme cadre dans une administration. Elle a prévu son coming-out professionnel très prochainement. Elle était jusqu'ici dans la crainte de la rupture et de se mettre en difficulté dans son travail. Comme elle arrive à la fin d'une mission, elle compte en profiter pour faire son coming-out avant de repartir sur une autre. Dans cet objectif, Sophie s’est fait conseiller par un juge des prud'hommes et prévoit de bâtir un dossier avec une lettre explicite, des photos pour montrer à quoi elle peut ressembler (pour casser l’image un peu sulfureuse et montrer qu'on peut être quelconque), des attestations de médecins et notamment de psychiatres. Elle prendra un congé et laissera son dossier à son employeur avant, en lui proposant de trouver ensemble la meilleure solution possible pour l'entreprise et pour elle. La direction, c'est la première chose. Puis, il y a les collègues, qui ne sont pas familiarisés avec ce monde-là : il va falloir arriver à faire en sorte que ça se passe bien ; c'est ce qui interroge le plus Sophie. Elle suppose que c'est le temps qui va aider : "au début ça paraît extraordinaire puis on s'habitue". Elle va dire à son employeur que, jusqu'ici, elle n'a travaillé qu'à 30% de ses capacités, parce qu'elle était trop prise par autre chose et lui demander d'imaginer ce qu'elle pourrait faire pour l'entreprise avec 100% de ses capacités. Sophie est consciente que tout le monde n'est pas armé psychologiquement pour faire front et elle trouve vraiment important de trouver du soutien dans une association comme l'Amicale du Nid. Pendant le début du parcours, c'est très dur à porter et il ne faut pas s'étonner que les personnes soient dépressives, en difficulté. Maintenir un emploi peut alors être très dur. C’est pourtant, de son point de vue, un facteur déterminant d’intégration sociale. Comme les trans' revendiquent d'être considérés comme les autres, Sophie estime qu'il est donc important de réussir à négocier intelligemment dans le cadre légal existant. Elle défend toujours la pédagogie. Elle sait que la “problématique trans’ peut générer de l'irrationnel chez les autres et du pulsionnel : angoisse de castration, etc. et quand c'est le patron qui ressent ça, c'est très compliqué. 70 Quant au soutien familial, quand ça se passe bien c'est fondamental mais les coups pris sont très durs. Pendant trois mois, son père a refusé de la voir, c’est sa sœur et sa mère qui ont assuré le maintien du lien familial, puis, l’ensemble de la famille a été mis au courant et a exprimé son soutien. Ainsi après cette période nécessaire pour "intégrer" le changement de sa fille, le père de Sophie a accepté de la voir à nouveau et assez rapidement, leurs rapports sont rentrés dans une normalité. Toutefois, les parents de Sophie ont continué à parler d'elle au masculin quand elle n'était pas là, pendant presque deux ans. Ils avaient (et auront certainement longtemps au fond d’eux) l'image de ce qu'elle a été et ils avaient du mal à la changer. Mais l'important c'est qu'ils ne lui ferment pas la porte. Sophie reconnait que c'est pour eux comme une bombe atomique. Il faut alors accepter de prendre des coups, d'être déchirée, et de laisser le temps au temps. Elle précise d'ailleurs que quand on s'ouvre aux autres, c'est que ça a mûri dans notre tête depuis des années alors qu'eux l'apprennent brutalement. Il ne faut pas s’attendre à ce qu'ils puissent l'accepter tout de suite. Elle pense qu'il y a très peu de familles où ça doit se passer facilement, qu'il faut toujours du temps. Au bout du compte, après trois ans, Sophie est parfaitement intégrée auprès de sa famille, sa mère parle même d’elle au féminin quand elle évoque des souvenirs concernant Sophie enfant. Cela plaide en faveur de l’idée que même si les personnes trans’ sont toujours pressées d’être acceptées telles qu’elles sont, il faut laisser à la famille le temps d’accepter les choses. En tout cas elle ne conseillera jamais à quelqu'un de rompre avec sa famille. Par ailleurs, Sophie a fait son “coming out” auprès de toutes les personnes (amis, voisins) qui la connaissaient en dehors du travail. Elle précise qu’elle a contacté individuellement une bonne trentaine de personnes, puis a laissé faire le bouche à oreille, quitte à s’expliquer a posteriori avec celles et ceux qui n’avaient pas été contactés directement. Malgré les craintes qu’elle pouvait avoir a priori, Sophie a été parfaitement acceptée par l’ensemble de ses amis et a très rapidement et très naturellement trouvé "sa place" au sein du groupe. Cela conforte l’hypothèse qu’elle avance et selon laquelle la personne la plus sévère à l’égard de nous, c’est souvent nous même. Sophie souligne, là encore, l’importance de disposer d’un réseau social et précise que cette intégration ne peut la plupart du temps se faire que lorsque l’évolution de la personne lui a permis d’obtenir une apparence et un comportement qui ne soient pas jugés dérangeants par les autres. Cette maturité tant physique que psychologique ne s’exprime pas toujours dans les premiers temps de la transition, ce qui souligne l’importance de structures telles que l’Amicale du Nid pour, en plus d’informer, accueillir, écouter, réconforter les personnes en début de parcours. REMARQUES A PROPOS DE CES TEMOIGNAGES Sophie a fait un choix de stratégie d'annonce à son employeur : on remarque généralement que ce type de choix favorise l'annonce de transition dans l'entreprise. D'où l'importance de la force morale pour être capable de faire son coming-out tranquillement, sachant qu'il faut toujours du temps, quoi qu'il en soit. Quand on met son identité au jour, il faut accepter que les personnes fassent le même chemin que soi-même pour réaliser ce qu'on est en train de devenir. Dans les témoignages entendus, on constate encore cette discrimination bi-polaire sur des métiers très genrés : Lise hôtesse de l'air, Rachel dans le médico-social et Samuel dans le bâtiment. Ça vient renforcer l'identité. Le projet professionnel de Lise lui a permis d'introduire son prénom féminin dans son CV par exemple. Cela peut enfermer aussi, mais s'avère utile pour répondre à : quelle femme ou quel homme suis-je en train de devenir ? Il arrive aussi que ce soit le métier que la personne voulait faire avant sa transformation. 71 Globalement, cela interroge sur ce qu'est un métier de femme ou d'homme dans notre société : une cuisinière est une "petite" cuisinière, un cuisinier est un grand chef; idem pour couturier/couturière... Si notre société n'était pas si normée et si bi-polarisée, que se passerait-il ? Beaucoup de personnes reçues à l'Amicale du Nid veulent être dans le soin, l'aide aux autres : c'est aussi dû à leur histoire. Des personnes, en dehors de la prostitution, ont été assignées dans des métiers du fait de leur genre puis se sont réorientées vers 40-50 ans : il nous paraît important d'être attentifs à ne pas empêcher les personnes d'aller vers des métiers qui sortent des stéréotypes. Mais on ne doit pas oublier pour autant qu'il peut être utile pour une personne trans' d'aller vers des métiers très normatifs, que ce soit pour répondre à un désir de tranquillité, pour correspondre complètement à la nouvelle assignation, pour se "noyer dans la masse" (et ce d'autant plus que dans les protocoles médicaux il est contre-indiqué d'afficher la volonté d'exercer un métier à priori réservé au genre opposé auquel on aspire). De plus, certains métiers développent trop la musculature au goût des personnes en processus de féminisation par exemple. Sur un autre registre, il est intéressant de mesurer l'utilité des groupes qui permettent le partage de témoignages sur la question de l'environnement familial, le désir d'enfant, ce qu'on attend des relations sexuelles après l'opération, etc. : cela permet l'échange et fait médiation. Il est vrai que l'on accepte souvent plus de ses pairs : on n'a pas l'impression de recevoir de leçons puisque c'est un échange de vécus et non pas de "il faut que". Kévin, Sophie et Dally ont exprimé le fait d'être heureux d'être là, de témoigner devant notre groupe et de participer ainsi à notre recherche-action : c'est un temps de plus dans notre histoire commune. Il y a de manière très explicite de leur part le souhait de continuer et de faire avancer les choses. C'est touchant et encourage dans ce type de projet. Il semble impossible de détacher la question de l'insertion professionnelle du reste : la transition, la famille... Peut-on un jour être rassuré sur le fait d'être accepté par sa famille ? Tout est-il gagné de façon définitive ? Est-ce que chercher l'apaisement grâce à l'acceptation par l'autre relève de l'impossible ? Il n'y a vraisemblablement pas de règle générale sur le sujet, puisqu'il y a autant de possibilités que de familles. Il est nécessaire pour les personnes en transition d'être conscientes que c'est un modus vivendi : il leur faut parfois être plus qu'irréprochable pour qu'on ne leur renvoie pas leur transidentité. Mais c'est vrai aussi pour quelqu'un qui a fait de la prison par exemple. Les témoignages illustrent que plus les personnes sont rassurées du côté de la vie affective et familiale, plus elles sont en mesure d'affronter les problématiques liées à l'emploi. Il est à noter que, sur le plan affectif et sexuel, il y a un écart énorme entre les hommes et les femmes trans', puisqu'à l'heure actuelle, étant donné les chirurgies encore insatisfaisantes, les ftm ne peuvent plus cacher leur situation au moment des relations sexuelles, alors que les mtf peuvent donner le change. Il est globalement question des attentes que chacun met dans la transformation : plus l'attente est importante par rapport au changement, plus la déception risque d'être grande après, quand les personnes se rendent compte que tout n'a pas été réglé. Cela confirme la nécessité de mettre en place un maillage de travailleurs sociaux permettant aux personnes de s'interroger en amont sur toutes ces questions. 72 D'UN TERRITOIRE A L'AUTRE : ETAT DES LIEUX DES PRATIQUES DE L'AMICALE DU NID 73 • PARIS L’établissement de l’Amicale du Nid Paris est composé de deux pôles : • Le pôle actions extérieures : propose des actions de travail de rue et de prévention. Il est composé de sept personnes : un chef de service, trois médiateurs santé, une éducatrice spécialisée, un moniteur éducateur et une secrétaire. • Le pôle accompagnement social : propose des suivis sociaux individuels de la personne. Il est composé de quinze personnes : un chef de service, douze travailleurs sociaux (assistants sociaux et éducateurs spécialisés), une chargée d’insertion professionnelle et une secrétaire. Lors de nos tournées avec l’antenne mobile ou au service, nous sommes amenés à rencontrer de nombreuses personnes transidentitaires qui ont été ou qui sont en situation de prostitution. Pour celles qui désirent arrêter, il est difficile de trouver une reconnaissance sociale de part leur transidentité. Accéder à une formation ou à un emploi est très compliqué, notamment parce que leur « identité administrative » (passeport, carte d’identité et numéro de sécurité sociale) est en discordance avec leur apparence physique. De plus, ce sont souvent des personnes en situation irrégulière, non diplômées avec une expérience professionnelle limitée (emplois informels au pays). Les personnes trans' en situation de prostitution sont particulièrement désocialisées. Elles partagent leur temps entre lieu de prostitution et domicile. Elles ont intégré au quotidien les codes vestimentaires, les attitudes et le langage utilisés sur leur lieu de prostitution. Ces comportements sont un obstacle à leur recherche d’emploi et leur insertion en général. Au-delà de critères moraux, il nous semble pertinent de leur faire prendre conscience des « attitudes » qui sont attendues vis-à-vis d’un employeur. A- LE POLE ACCOMPAGNEMENT SOCIAL En 2010, nous avons reçu 460 personnes dont 40 personnes transidentitaires ; douze d'entreelles étaient en situation irrégulière. Souvent marquées par des années de vie en marge, les personnes qui nous sollicitent se disent isolées dans leur vie présente mais aussi dans leur histoire, n’ayant de lien qu’avec un groupe de pairs parlant la même langue. En effet, beaucoup de personnes parmi celles qui nous préoccupent sont d’origine étrangères avec ou sans papiers et ne maitrisant pas le français. Avant même que se pose la question de la transidentité, la demande d’insertion est bien freinée : prostitution de misère, problème de papiers, problèmes de langue. L’accès aux minima sociaux n’est pas toujours envisageable sachant d’autre part que beaucoup de personnes n’ont pas d’hébergement stable et souvent plus d’hébergement à l’arrêt de la prostitution. Quelle que soit la difficulté, elle est souvent réglée dans l’urgence, au jour le jour. Il est difficile de se projeter, d’avoir des envies pour soi de penser à se préserver, à se soigner. Les problèmes de santé, parfois graves (ALD), sont très présents d’autant plus qu’ils ne sont pas traités au fur et à mesure. La couverture médicale doit être mise en place quand cela est possible. Quand certaines priorités commencent à se régler, les questions relatives à la transidentité, viennent, se parlent. Concernant l’appellation, comme dans les autres régions, nous nous adressons à la personne dans le genre qu’elle donne à voir. Pour certaines, la question ne se pose pas, c’est en entretien que l'on découvre sa transidentité, lorsqu'elle se présente : « je suis transexuelle, je suis une femme transexuelle… ». 74 Pour d’autres, nous sommes en difficulté, tant les traits sont exagérés et/ou laissent apparaître du féminin et du masculin. Certaines personnes reviennent sur les transformations qu’elles ont faites ou commencées. Elles sont très marquées physiquement par toutes ces années d’errance, leur visage et leur corps témoignent d’un vécu douloureux et, pour certaines, des prises de toxiques qui ont laissé des traces. Elles viennent nous voir pour commencer autre chose, essayer de vivre autrement. Quand la question de la transidentité est très présente, quand elle tend à prendre toute la place, il arrive que nous soyons démunis, que nous souhaitions "une aide psy". Non pas pour influencer un choix de la personne mais pour nous assurer que la personne peut prendre une décision pour ellemême. On ne cherche pas l’aval du "psy" concernant les choix à faire à propos de la transition, mais son aval pour confirmer la capacité de la personne à prendre une décision éclairée. Il est important de noter qu’un certain nombre de ces personnes ont des pathologies psychiatriques. Il est alors difficile « d’extraire » la question de la transidentité de la situation globale de la personne. Notre "boîte à outil" nécessite d'être très fournie puisqu’elle doit déjà pouvoir répondre à des essentiels très différents : hébergement, logement, santé, soins, prévention, ressources au quotidien, "insertion professionnelle", ouverture de droits. Quand une personne se présente à l’association et souhaite procéder à une réassignation sexuelle, le travailleur social la met en contact avec une instance médicale, de manière à ce qu’elle puisse obtenir les informations nécessaires. En effet, de notre place, à partir de notre connaissance de la question identitaire et en lien avec les missions de l’association, nous nous appuyons sur des experts désignés et accessibles aux personnes (avec la couverture médicale : AME ou CMU). Démunis, et à défaut d’associations spécialisées existantes en région parisienne, les travailleurs sociaux utilisent cet espace comme une garantie. B- ETUDE PRO-SANTE Durant l’année 2010, une enquête santé à été menée par une médiatrice de santé travaillant à l’Amicale du Nid Paris, afin de dresser un état des lieux sur le rapport à la santé qu’ont les personnes en situation de prostitution : état psychologique, conséquences de la prostitution, rythme de vie, etc. Cette étude a été lancée par la FNARS et l’INPES. L’Amicale du Nid Paris s’est engagée à faire remplir cent questionnaires. A ce jour, quatre-vingt-dix-neuf enquêtes ont été menées, dont cinquante concernent des personnes transidentitaires. Cette enquête a pour objectif d’obtenir des informations sur l’état de santé des personnes comme par exemple de mesurer la connaissance qu’a la personne du VIH et des MST. Une fois les enquêtes remplies, les personnes peuvent se rendre à l’hôpital effectuer un bilan de santé complet (test hiv et autres IST, mise à jour des vaccins), en étant accompagnées par un travailleur social. A travers l’enquête, on s’aperçoit qu’une majorité de personnes transidentitaire prennent des médicaments type antidépresseurs. Mais aussi des substances psycho actives : drogues licites ou illicites ( alcool, cocaïne etc..), anxiolytiques. Beaucoup des personnes interrogées parlent de leur souffrance (l’idée du suicide est souvent évoquée), de la difficulté de l’activité de prostitution, de la précarité de leur situation (avec un quotidien où il est dur de se payer une chambre d’hôtel et de se subvenir à ses besoins alimentaires). Elles abordent également leur sentiment de ne pas être reconnues en tant qu’être humain du fait de leur transidentité, d'accès au logement compliqués et de la violence quotidienne entre elles sur leurs lieux de prostitution (violence physique et verbale). Une majorité d’entre elles sont immigrées. Elles relatent que vivre en France sans papiers empêche leur insertion et les pousse à se marginaliser à travers la prostitution. Cette enquête a mis à jour la demande massive d’un espace de discussion autour de la santé. 75 L’Amicale du Nid 75 a donc mis en place un groupe d'échange autour de la thématique de la santé tous les premiers lundis du mois. Dans cet espace, les personnes transidentitaires peuvent échanger sur des aspects de santé les concernant (hormonothérapie, problèmes suites aux injections clandestines de silicone, IST, conséquences du rythme de vie dû à une activité prostitutionnelle). L'une des problématiques sanitaires repérée est la prise chaotique d’hormones : il est très fréquent que les personnes transidentitaires se fassent des injections d’hormones achetées à l’étranger ou au marché noir, en dehors de tout suivi médical. Ces prises d’hormones "sauvages" peuvent avoir des conséquences graves sur la santé, notamment pour les personnes atteintes du VIH du fait des interactions avec la trithérapie. C’est l'un des aspects que nous abordons avec elles. De plus, les personnes trans' touchées par le VIH et en situation de prostitution ont des difficultés à respecter une bonne observance de leur traitement à cause de leur rythme de vie éprouvant. Le travailleur social, qui anime le groupe d'échange, tente de repérer quels sont les freins à la prise régulière du traitement et rappelle aux participant-e-s l’importance d’une stricte observance pour leur santé. Il favorise également leurs échanges à propos de ces difficultés afin qu'émergent éventuellement des solutions concrètes entre elles. C- ACTION PRISON L’Amicale du Nid Paris a signé une convention avec la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pour intervenir une fois par mois dans le quartier spécifique où sont accueillies les personnes transidentitaires incarcérées. Afin de garantir au mieux leur sécurité au sein de la maison d’arrêt des hommes, une aile leur est réservée. Du fait de leur transidentité et dans un souci de protection, aucune activité au sein de la maison d’arrêt ne leur est accessible : seule une heure de bibliothèque par semaine et une demiheure de promenade quotidienne leur permettent de sortir de leur cellule. Deux travailleurs sociaux de notre service vont à leur rencontre pour leur proposer un temps de parole et de réflexion, qui leur offre la possibilité d’évoquer leur histoire de vie. A ce jour, les personnes rencontrées ont eu une activité de prostitution avant leur incarcération. Celle-ci peut être due à des agressions commises dans le milieu prostitutionnel ou à des usurpations d’identité. Aucune de ces personnes ne se projette hors milieu prostitution à sa sortie. Le service médical de la prison tient compte de leurs besoins sanitaires, assurant un suivi psychologique et psychiatrique. Il semblerait que le service pénitencier porte une attention particulière à cette population. Pour exemple : une personne transidentitaire française, opérée depuis plus de vingt ans (vaginoplastie) mais sans changement d'état civil, a été incarcérée dans ce quartier spécifique de la maison d’arrêt des hommes. A son arrivée, l’établissement pénitencier s’est interrogé quant à l'espace d’incarcération le plus adapté : maison d’arrêt des femmes ? maison d’arrêt des hommes ? Il opte finalement pour le quartier des hommes parce que cette personne se réapproprie son identité masculine depuis trois ans et qu'elle est redevenue un homme en apparence. • HAUTS-DE-SEINE Remarque préalable : les collègues des Hauts-de-Seine n'ont pas pu suivre l'ensemble de la recherche action. La description faite ici du service reste donc très succincte. Le service a mis en place un AAVA (Atelier d’Adaptation à la Vie Active), dit Atelier Dagobert, au centre de Colombe. Il accueille des personnes en danger ou en situation de prostitution : hommes, femmes, personnes transgenres... Cet accueil existe depuis cinq ans. L'équipe s'est trouvée en 76 difficulté quand les personnes se présentaient avec un genre différent et, jusqu'il y a deux ans, elles devaient se présenter dans leur genre de naissance pour être accueillies à l'atelier (sur conseil du psychiatre). L'atelier compte quatre encadrants techniques ; le pôle accueil, six travailleurs sociaux. • MONTPELLIER En 2006, l’Amicale du Nid à Montpellier, dit La Babotte, a mis en place une réunion mensuelle dénommée « Lieu de parole pour personnes transgenres ». Ce projet a été pensé comme un lieu de parole et non pas un groupe de parole, dans la mesure où cette deuxième acception recouvre des instances à but thérapeutique ; aujourd’hui ces temps de rencontre sont appelés « Groupe d’échange ». Les travailleurs sociaux de La Babotte sont partis du présupposé que ce groupe nécessite l’investissement des participants pour avoir du sens, il est évident que leurs souhaits, motivés et argumentés, sont aujourd’hui la base du déroulement et de l’organisation de celui-ci. Les personnes bénéficiaires de ce projet sont celles qui sont ou se sentent concernées par les problématiques liées à l’identité de genre, sans condition de suivi à l’association. Ces temps de rencontre sont co-animés par un travailleur social de La Babotte et Mme Camille BERNARD du GEsT (Groupe d’Etudes sur la Transidentité). Cette double animation nous paraît importante car, d’une part le travailleur social représente l’institution, garant de l’accueil et du bon déroulement des séances ; d’autre part le savoir-faire et l’expérience du GEsT sont des ressources incontournables. Le constat de départ de ce projet est triple : - Plusieurs personnes ont formulé des requêtes auprès des travailleurs sociaux de La Babotte portant sur une demande d’information ou d’accompagnement concernant des aspects de la problématique d’identité de genre (comme les effets des hormones ou le protocole de réassignation sexuelle). Ces demandes ont également porté sur l’accompagnement dans des démarches déjà entamées auprès des professionnels de santé qui s’occupent de ces problématiques. - La stigmatisation dont ces personnes font l’objet dans la société est un autre des constats à l’origine de cette initiative, avec l’idée de les accueillir en prenant en compte avant tout en tant que sujet. - Le troisième constat est l’ampleur des représentations réciproques, c'est-à-dire celles qui sont en action dans la société vis-à-vis des personnes trans’ mais également à l’inverse, celles existantes chez les personnes trans’ à l’encontre des administrations, des employeurs, des personnes « autres ». Le but de ce groupe est de permettre des échanges autour des questionnements des personnes dans un lieu neutre, où la parole de chaque participant est prise en compte et où chacun peut s’exprimer dans le respect des autres. Il s’agit de pouvoir donner des informations fiables à ceux et celles qui en demandent et de sortir de l’aspect un peu « fantasmatique » que ces questions peuvent recouvrir, même pour les personnes concernées directement. Un autre objectif de ce lieu de parole concerne ce que l’on peut appeler « le ghetto transgenre », c'est-à-dire le phénomène communautaire qui peut être parfois très enfermant, et dont les personnes peuvent avoir beaucoup de mal à s’extraire. L’idée est que ce lieu puisse agir en prévention à ce niveau, en apportant un regard positif et non jugeant, mais aussi en permettant aux personnes de se rencontrer et d’échanger autour de ce que recouvre la démarche trans’. Il est question d’un temps d’information pour les personnes, ainsi que d’un moment d’échanges et de partages autour de leurs attentes et de leurs propositions. Se rendre compte que l'on n'est pas la seule personne qui à se poser 77 certaines questions est un prémice pour rompre l’isolement. Mais ce groupe a eu, par moments, d’autres fonctions que celle d'informer. Ainsi, quand une personne participante a évoqué la possibilité de commencer à se prostituer, le groupe a exercé une fonction de régulation en la dissuadant d’aller au but de sa décision. La personne en question voulait commencer la prostitution parce qu'elle n’avait pas de travail et désirait partir à l’étranger pour se faire opérer. Finalement, elle n’est pas « passée à l’acte » et a trouvé d'autres moyens pour terminer sa transition. Aujourd’hui, elle reconnaît l’aide que la position du groupe lui a apporté. Dès le début de cette action, les travailleurs sociaux de l’Amicale du Nid ont considéré que ce lieu de parole ne serait pas un espace où parler prostitution, mais ils ont accepté que cette question puisse être abordée. Il était également nécessaire d’être très attentifs à l’effet « fascination » qui peut s'exercer sur les personnes les plus jeunes, et sur celles qui débutent leur questionnement ou leur démarche de réassignation sexuelle. Une charte des engagements de chacun a été rédigée et proposée aux participants. Elle a été signée par chaque personne présente aux premières réunions. Avant de démarrer cette activité, les membres de l’équipe se sont beaucoup interrogés, non tant sur son bien fondé mais plutôt sur leurs capacités à mener à bien ce projet. Il était sans doute question des représentations mais aussi de la relative ignorance autour des questions de transidentité et des protocoles de réassignation sexuelle. L’ensemble de l’équipe a rencontré la psychologue clinicienne de l'équipe médicale pluridisciplinaire marseillaise afin de mieux comprendre les différentes typologies des troubles de l’identité sexuelle, ainsi que certains enjeux de la problématique transidentitaire, notamment ce qui concerne les risques de manipulation auxquels les travailleurs sociaux auraient pu se trouver confrontés lors de ces réunions. Au fil du temps des relations se sont tissées à l’intérieur du groupe, permettant aux personnes de se rencontrer aussi dans d’autres lieux et temps. Après chaque réunion à La Babotte les personnes qui le désirent se retrouvent dans un restaurant de la ville pour terminer la soirée autour d'un bon repas. Cela peut paraître anecdotique mais, quand on écoute les récits des personnes qui font état de solitude, de stigmatisation et de rejet, on se rend compte de l’importance que cela peut avoir de pouvoir sortir entre pairs sans faire l’objet d’injures ou appréciations peu galantes. De plus, cette sortie au restaurant est ouverte aux personnes qui, tout en se considérant concernées par la problématique trans', n’ont pas pour autant envie de participer aux réunions du groupe à La Babotte. • TOULOUSE A Toulouse, l’équipe est composée de cinq travailleurs sociaux, un responsable de service et une secrétaire. Une éducatrice spécialisée est spécifiquement attachée aux actions de prévention et de formation, les quatre autres travailleurs sociaux, deux assistantes sociales et deux éducateurs, interviennent dans la rencontre, l’accueil et l’accompagnement des publics. Les personnes transidentitaires sont rencontrées dans le cadre du travail de rue pour celles qui sont en situation de prostitution, dans le cadre des permanences d’accueil collectif, dans celui des accompagnements individuels, ainsi que dans celui de l’action spécifique (groupe d’échanges) mise en place pour les personnes trans’. Deux travailleurs sociaux de l’équipe sont porteurs de cette action. 78 A- ORIGINE DU GROUPE D’ECHANGES Depuis la création du service à Toulouse, les équipes ont toujours rencontré des personnes transidentitaires, soit à l'occasion du travail de rue, soit pour les accompagner individuellement. Ce travail d’accompagnement individuel continue d’exister dans le service, mais il s’est enrichi d’une nouvelle action, collective celle-ci. Au-delà des difficultés personnelles sur la question de l'identité de genre, nous avions repéré de façon quasi générale que les personnes transidentitaires vivaient un très fort sentiment de rejet, associé à un isolement social et souvent à une rupture au niveau familial. Ce constat nous amenait à penser qu'il serait opportun de créer un espace permettant à ces individualités dispersées de se rencontrer, d'autant qu'il n'existait pas à Toulouse de lieu offrant cette possibilité. Une rencontre est venue mettre un terme à nos hésitations et a été décisive pour l'inventer. Au mois d'avril 2002, à l'occasion de notre intervention en journée dans la rue, Dalida, une personne transidentitaire, exprime son souhait de rencontrer d'autres personnes trans’. Nous avons pris le temps d'explorer cette parole évocatrice d'un réel désir, venue réveiller et donner du sens au nôtre. L'équipe a rapidement validé ce qui apparaissait là comme le germe d'une initiative à poursuivre. Les deux travailleurs sociaux (assistante sociale et éducateur spécialisé) ayant rencontré Dalida, ont souhaité prolonger le tandem en s'impliquant pour la suite. En étroite collaboration avec Dalida, nous avons rédigé une invitation à l'adresse de toutes les personnes susceptibles d'être intéressées. En apposant sa signature aux côtés des nôtres, Dalida signifiait clairement à ses pairs son adhésion et son implication dans le projet. (Cf. en annexe la copie de la lettre envoyée le 23 avril 2002) B- OBJECTIFS ET CADRE DU GROUPE D'ECHANGES • • • • Les objectifs énoncés dans cette invitation étaient les suivants : créer un réseau, une solidarité, une occasion de se connaître et d'être moins isolé-e-s ; échanger sur les expériences, les savoirs et les savoir-faire ; partager des informations, des adresses ; réfléchir à des initiatives pour se faire connaître à l'extérieur et contribuer à une modification des représentations. Les objectifs généraux que nous voulions poursuivre étaient : • lutter contre la transphobie, • participer au changement des mentalités. La première rencontre du groupe a eu lieu le 6 mai 2002 ; les rencontres ont d'abord été mensuelles puis tous les deux mois (pour des raisons liées à un manque de moyens au niveau du service). Au fil du temps, le groupe a été amené à se positionner tant sur le fonctionnement interne qui prévaut dans les aspects relationnels que sur sa composition : • Les échanges se veulent spontanés, sincères et respectueux des différences, les règles sont donc le respect de l'autre, de sa différence, de ses choix, le non-jugement, la confidentialité et l'anonymat • Il est impératif de se dégager des querelles (surtout dans le milieu prostitutionnel) pour se retrouver autour de préoccupations communes • Toute personne concernée par des interrogations sur la transidentité peut rejoindre le groupe • Le groupe est ouvert aux personnes trans’ quel que soit le sens de leur transition : homme vers femme ou femme vers homme. 79 • • Le groupe est ouvert à tous et toutes quel que soit le stade de leur parcours : de la personne non opérée, sans aucun traitement, à la personne opérée ayant obtenu un changement d'identité Bien que le groupe se réunisse dans les locaux de l'Amicale Du Nid, le lien avec la prostitution n'est pas une condition pour y participer C- SA FREQUENTATION Depuis 2002, une cinquantaine de personnes sont en lien avec le groupe. La fréquentation par rencontre a pu fluctuer de trois à vingt personnes, avec le plus souvent un groupe de sept à dix. Nous notons la présence dans la durée d'un "noyau dur" constitué de cinq personnes. L'investissement permanent de ce dernier a, sans doute, permis le maintien d'une dynamique à des moments de fragilité. Même si, lors sa première réunion en 2002, le groupe n'était composé que de personnes trans’ qui se prostituaient, d'autres personnes sans aucun lien avec la prostitution l’ont très vite rejoint. Le fait que rien n'existait sur Toulouse, le réel besoin de rencontre et le bon fonctionnement du "bouche à oreilles" ont été des éléments déterminants. La multitude des profils a rapidement montré que la transidentité est à considérer sans lien avec la prostitution. La transidentité ne trace pas un destin particulier conduisant à la prostitution. C’est le vécu, associé aux conditions dans lesquelles se trouve la personne trans’, qui va déterminer ou pas le passage en prostitution. Cadre d’entreprise, enseignante, agent immobilier, coiffeuse, étudiante, employé du BTP, bénéficiaire du RSA dans l’errance et la toxicomanie, personnes prostituées... les milieux sociaux et professionnels sont d’une grande diversité. Cela permet une richesse dans les échanges et implique le respect et le non jugement. Avec le recul de plusieurs années de pratique, nous pouvons constater qu'un tel groupe - réunissant des personnes en lien ou pas avec la prostitution - non seulement ne pose pas de difficultés particulières mais apporte beaucoup à chacun-e en terme d'ouverture et de prévention de la prostitution. D- LE ROLE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX Dès le début du projet, nous avons considéré le support écrit comme un outil complémentaire : s'astreindre à des comptes rendus écrits de chacune des rencontres est devenu une règle. Entre deux réunions, les deux travailleurs sociaux impliqués élaborent un compte rendu de la dernière rencontre et rappellent la date retenue pour la suivante. Dans la durée, ces écrits constituent une mémoire du contenu des échanges. Ce travail a un effet régulateur : il nous permet d'échanger nos impressions et réflexions, parfois nos difficultés, d’éclaircir notre pensée, de réfléchir ensemble au sens de notre travail et ainsi, de rester engagés dans l’action. Nous mettons en forme la teneur des échanges en restant au plus près de ce qui s'est passé et de ce qui a été dit, avec une vigilance particulière pour ne blesser personne. Nous avons pour règle de ne citer aucun nom, les paroles sont retranscrites mais pas le nom de leurs auteurs. Les comptes rendus sont envoyés par courrier ou par mail à toutes les personnes trans’ dont nous avons les coordonnées. Par ce biais, nous informons les personnes qui ne participent pas régulièrement, ou pas physiquement, mais qui suivent de manière plus éloignée l'actualité du groupe. 80 Nous avons donc un rôle de retranscription de la parole mais aussi, dans le groupe, celui de l'ordonner, de faciliter son expression, de la valoriser, de la faire circuler, de favoriser l'écoute, la communication et de garantir le cadre auquel tous les membres du groupe adhèrent pour l'avoir euxmêmes défini. Il arrive que nous fassions des commentaires pour énoncer des positions soucieuses de la démocratie et de la santé du groupe. Cette fonction régulatrice se fonde sur un mandat relativement explicite des participants à notre égard. En effet, c’est le groupe lui-même qui a formulé cette demande : que les deux professionnels du service soient garants du cadre, du fonctionnement et des valeurs du groupe (respect, tolérance, bienveillance), de l’organisation des rencontres et de l’envoi des comptes rendus. De manière constante depuis son existence, le groupe exprime à certains moments l’importance que le binôme d’intervenants soit d’une part représentatif du genre féminin et masculin et, d’autre part, dégagé sur le plan personnel de la problématique transidentitaire. Ce dernier aspect est important car il permet une extériorité dans la proximité, un espace libéré dans lequel les relations peuvent évoluer à l’abri de tensions que beaucoup ont connues dans d’autres univers associatifs ou sur internet. Lors de certains échanges, nous pouvons être interpellés non à partir de notre fonction mais de notre place de femme ou d’homme. Nous y répondons, pas pour asséner des vérités mais dans un souci d’ouverture, de développement d’un questionnement. C’est là que notre fonction prend toute sa place. Notre rôle a aussi été d’établir des liens avec des professionnels de santé, du droit, des organismes administratifs. Il existe ainsi : • Un partenariat privilégié avec la CPAM pour l’accès aux droits mais aussi avec le service des relations internationales pour les questions relatives aux prises en charge à l’étranger. Ce partenariat a été facilité par la participation d’un des deux travailleurs sociaux au « Réseau d’Accès aux Droits et aux Soins » mis en place par la CPAM de Toulouse. • Un réseau de professionnels constitué à partir des retours des membres du groupe, de leurs propres expériences, en matière de santé ou de droit. Ainsi une liste de professionnels a pu être établie, elle comporte des noms de médecins généralistes, psychiatres, endocrinologues, chirurgiens, dermatologues, phoniatres, orthophonistes et des noms d’avocats. E- LES THEMES ABORDES En dehors de temps formalisés pour construire des projets particuliers, il n’y a pas d’ordre du jour pré-établi pour les réunions du groupe. Ces temps de rencontre sont nourris par ce que chaque personne amène. Les thèmes souvent abordés sont : • le processus de transformation : les différentes étapes du parcours • le suivi médical et psychothérapeutique • les interventions chirurgicales • les échanges sur l’angoisse liée à l’opération, les sentiments de crainte, d’hésitation, de doute … • la relation aux autres, l'image de soi • les relations avec la famille, le rapport aux parents, aux enfants … • le monde du travail • le changement d'état civil, de prénom • la relation amoureuse, la sexualité • le désir d’enfant, l’adoption, la projection dans un rôle de parent… • les prises en charges sécurité sociale • les échanges d'informations, d'adresses, de noms de médecins, d’avocats… • les conseils « techniques » : maquillage, voix, choix vestimentaires … 81 En dehors de ces thèmes, une large place est faite à l'expression de la parole sur le vécu personnel en terme de malaises ou de satisfactions. Le groupe se met alors en position d'écoute empathique et donne des avis, des conseils. F- REALISATIONS CONSECUTIVES AU TRAVAIL DU GROUPE Cette dynamique collective a pu déboucher sur l’élaboration de divers projets accompagnés et soutenus par les deux travailleurs sociaux impliqués dans l’action. Parallèlement aux rencontres, certaines personnes du groupe se sont mobilisées pour réaliser des actions et les animer : • élaboration du texte à intégrer au site Internet de l’Amicale du Nid Toulouse. • création d'un site Internet : www.fabulous-gonzesses.com • création d'une association au service des personnes trans’ (information, soutien, relooking) : « Atelier Expressions ». • mise en place sur Toulouse de « Trans Aide Midi-Pyrénées » : cet épisode dans la vie du groupe a été source de conflits et, à l’origine d’une scission du groupe. Les personnes impliquées dans la mise en place de cette association ont quitté le groupe pour s’orienter vers une action plus militante, ce qui n’était pas l’objet de nos rencontres. • rencontres avec d’autres associations : le CARITIG (Centre d’Aide, de Recherche et d’Information sur la Transsexualité et l’Identité de Genre), Arc-en-ciel (Association toulousaine qui informe sur les questions d’homosexualité, bisexualité et d’identité de genre). • réalisation et animation de conférences en direction des professionnels du secteur médicosocial : • Conférence du 21 juin 2005 : « Journée d’information, de réflexion et d’échange sur la transsexualité », dans les locaux de l’Amicale du Nid Toulouse, animée par des membres du groupe et les deux travailleurs sociaux, avec la participation d’un psychiatre, d’un avocat, d’un phoniatre. • Conférence du 7 juin 2007 : «Troubles de l’identité de genre, Transsexualisme et Exclusion », animée par des membres du groupe, avec l’appui de la FNARS Midi-Pyrénées, qui s’est chargée de l’organisation et de la mise à disposition d’une salle. • Journée d’Etude Régionale du 9 octobre 2008 : « Transidentité et Exclusion, enjeux et positions, une discrimination qui interroge », co-organisée avec la FNARS Midi-Pyrénées. L’objectif de ces initiatives est d’apporter au public (travailleurs sociaux essentiellement) des éléments de connaissance sur la problématique transidentitaire, sur les besoins et les attentes des personnes, afin de multiplier les espaces de parole et de proposer des accompagnements adaptés. Le groupe est en perpétuelle évolution. Il s’enrichit à chaque rencontre de nouvelles personnes et de nouvelles orientations, tout en répondant aux objectifs qu’il s’est fixé : une fonction d’entraide, de soutien, d’établissement de lien, d’information. A ce jour, le groupe définit ainsi sa fonction : • échanger avec d’autres personnes dans la même dynamique et traversées par les mêmes questions ; • éveiller l’esprit critique et la tolérance, aider à prendre conscience, se remettre en question, se méfier du jugement hâtif ; • sortir de sa solitude, offrir une rencontre conviviale ; • partager des informations pratiques, créer un réseau ; • se sentir accepté-e, en confiance, pouvoir s’habiller en fille ou en garçon ; • expérimenter une transformation, en mesurer la crédibilité ; • se confronter au regard de l’autre dans un milieu protégé ; 82 • retrouver de la chaleur humaine. Ce n’est pas une structure militante, c’est un lieu de médiation, une plateforme d’échanges libres, respectueux et dépassionnés. Chaque personne peut faire partie d’une association à l’extérieur mais parle en son nom propre dans le groupe de l’Amicale du Nid. Nous pouvons constater que le groupe joue un rôle de prévention des dégradations de situations individuelles : en participant à l’amélioration des suivis santé notamment, en favorisant la création de liens de solidarité, il soutient les démarches d’insertion et contribue à soutenir des personnes très isolées. Avec le temps, nous avons constaté une évolution du groupe mais aussi de ceux et celles qui le composent. Certains propos ont changé, ils sont plus réalistes, plus pondérés. C’est l’expression de quelque chose qui s’est apaisé. • MARSEILLE En 1996, l’Amicale du Nid 13, à la demande de la DDASS reprend le SPRS (Service de Prévention et de Réinsertion Sociale), situé dans le centre-ville de Marseille, dans le quartier de prostitution masculine. Ce nouveau service de l’Amicale du Nid 13, nommé Horizon par les personnes accueillies, est dédié à l’accueil des hommes et personnes transgenres en situation, ayant été, ou en danger de prostitution. Le terme transgenre a été choisi par les personnes accueillies et concernées lors de l’élaboration de la plaquette de présentation du service début 2000. En effet, pour elles le terme transgenre (traduction du terme anglo-saxon transgender) leur semblait le plus proche de leur réalité, regroupant les différentes problématiques identitaires que sont le transformisme, le travestisme et le transsexualisme. Cette nouvelle dénomination pouvait permettre, selon elles, d'éviter les stigmates souvent associés notamment pour le travestisme, les personnes transsexuelles (opérées ou pas) étant mieux acceptées dans notre société. En adoptant ce terme, nous avons souhaité respecter leur parole et les connaissances issues de leur vécu. Durant 14 ans, l’approche et la rencontre avec ce public se sont faites sans formation préalable des travailleurs sociaux. Le postulat premier a toujours été la prise en compte de la personne comme un sujet avant tout, avant même sa problématique identitaire. Si l’état civil des personnes est une réalité administrative à laquelle nous ne pouvons déroger dans les démarches, nous avons toujours été attentifs et vigilants à employer les prénoms souhaités par les personnes et à nous adresser à elles dans le genre revendiqué. Cette attention apparaissait encore plus importante sur les temps d’accueil collectif, où les personnes veulent être nommées par le prénom choisi. Ainsi, on peut dire que nous avons créé et développé une “boîte à outils” au fil du temps en apprenant à nous connaître réciproquement. De plus, des travailleurs sociaux détachés par la DASS sont restés en poste à Horizon : ils ont pu faire lien entre les personnes transgenres et nous, et nous faire bénéficier de leur expérience. Accompagnés par des psychanalystes lors de séances d’analyse des pratiques, les travailleurs sociaux de l’Amicale du Nid ont peu à peu adaptés leurs techniques d’intervention en direction des personnes transgenres. Par ailleurs, une assistante sociale de la DASS, adhérente à l’association AAT (aide aux personnes transsexuelles) a pu nous apporter nombre d’articles à lire sur cette question et nous initier aux problématiques particulières. Au-delà de l’accueil et de l’écoute des personnes en questionnement identitaire dans le cadre de 83 l’accompagnement social global que nous leur proposons, nous avons été amenés à les accompagner dans leurs démarches administratives et/ou médicales pour les personnes en parcours de conversion de genre, dans leurs suivis post-opératoires, leurs relations familiales, etc. Cette construction empirique nous a permis d’interroger nos modalités d’intervention pour ensuite les adapter au mieux aux demandes et aux besoins spécifiques de ces personnes. Au sein de l’Amicale du Nid 13, l’accueil de ce public était nouveau et a pu parfois nous mettre en difficulté, notamment en ce qui concerne les questions d’orientation tant en interne qu’en externe. Cela a nécessité de travailler à partir des représentations des salariés des services partenaires afin de déconstruire l'imaginaire de la "cage aux folles" qui reste très prégnant. Nous aussi mis en réflexion le fait qu’à force de côtoyer ces personnes, nous ne relevions plus les extravagances de certaines. Il est vrai que souvent l’inconnu peut se révéler inquiétant alors que la connaissance favorise la déconstruction des représentations. D’autre part, des actions telles que le travail de rue, effectué en commun avec les deux équipes (Relais/Horizon) ont favorisé les interactions le public prostitué et, de fait, la rencontre avec les personnes en questionnement identitaire. La participation de certains salariés à des colloques ou à des journées d’étude, comme celles proposées par l’équipe de Toulouse sur la transsexualité, a permis de développer des connaissances techniques (juridiques, médicales...). Ces informations réactualisées ont enrichi et étayé nos savoirsfaire. Ce service a déménagé en juillet 2010 pour être unifié à l’autre service qui accueillait les femmes. Après consultation des personnes accueillies et une décision par vote, ce service unifié a pris le nom d’Orion. Afin de favoriser ce changement institutionnel, dans les trois services existants (Bossuet, Relais, Horizon), les équipes éducatives ont accompagné l’accueil des personnes transidentitaire auprès des publics déjà reçus, par le biais de réunions de préparation à l’unification du Relais et d’Horizon, de CVS (Conseils de Vie Sociale) et de sorties socio-culturelles proposées à l’ensemble des personnes accueillies. L’unification des deux services favorise la transmission aux collègues de l’ex-Relais de nos connaissances sur l’approche du public en questionnement identitaire. Dans ce contexte, la mise en place de l’action recherche sur la transidentité vient à point nourrir un débat en interne pour accueillir au mieux les personnes et continuer à les accompagner au regard de leurs besoins et de leurs projets. Cette action recherche nous a permis de faire un état des lieux des actions existantes et de celles à développer, dans l'objectif d'optimiser nos propres connaissances mais aussi d'orienter et accompagner au mieux les personnes. 84 ACCOMPAGNER DES PERSONNES TRANSIDENTITAIRES A L'AMICALE DU NID 85 En introduction à cette dernière partie, il nous semble essentiel de rappeler qu'il ne faut pas créer d'amalgame entre transidentité et prostitution. Nous l'avons vu, cette recherche-action a nécessité l'élaboration de définitions et d’un référentiel communs, mais elle a posé d’emblée d'autres questions : • Parle-t-on, au sein de ce groupe, de transidentité uniquement dans le cadre d’une activité prostitutionnelle ou hors prostitution ? • Existe-t-il une spécificité dans l'accueil des personnes prostituées trans' ? • Y aurait-il des difficultés spécifiques ou supplémentaires pour les personnes quand elles sont trans' ? Notre partage d'expériences a mis à jour l'existence de pratiques différentes selon les territoires, qui peuvent être issues de ou générer des questionnements très variés. Deux services par exemple ont mis en place des groupes d'échanges initialement constitués de personnes présentant une problématique transidentitaire et prostitutionnelle, mais, au fil du temps ces groupes se sont ouverts à des personnes transidentitaires hors problématique prostitutionnelle. De façon générale, nous constatons cependant deux modes d'entrée en relation avec les travailleurs sociaux : soit les personnes mettent en avant prioritairement la prostitution, soit prioritairement la transidentité. On peut alors rencontrer plusieurs types de situation : • soit le transvestisme est vécu comme un « outil » d’une activité de prostitution ; • soit la personne souhaite aborder uniquement son activité de prostitution, sans demander d'accompagnement par rapport à sa transidentité ; • soit la personne demande de l'aide d'abord par rapport à son questionnement identitaire, la prostitution étant vécue comme une source de revenus pour lui permettre de faire sa transition; • soit la personne souhaite parler de sa transidentité et ne désire pas, dans un premier temps, aborder la question de sa prostitution ; • soit la personne vit dans une ambivalence assumée et pose l'intégralité de ces questionnements. Face à la difficulté pour une personne en transition de trouver un emploi, la prostitution peut être un moyen de survie. A noter que pendant cette période de transformation, la personne est rarement disponible pour réfléchir à son insertion professionnelle. Cela est parfois renforcé par l'inscription dans le groupe de pairs, que la personne ne veut pas quitter. Un parcours prostitutionnel peut aussi influencer ou troubler la question de la transidentité. La prostitution semble en effet intervenir dans les deux sens : • comme accélérateur de transition, en étant censé amener l’argent pour les opérations ou permettre une forme de normalisation sexuée ; • comme limitation de la transition, afin de conserver le sexe utile à l’activité prostitutionnelle. Comment, donc, accompagner ces personnes en tant que travailleur social ? 86 I. ELARGIR SON REGARD : A TRANSITIONS MULTIPLES ACCOMPAGNEMENTS DIVERSIFIES Le travailleur social peut craindre que les choix de la personne transidentitaire ne soient pas fondés, du fait de l'engagement à vie qu'ils génèrent. Mais toute problématique de vie est particulière et tout être humain a son propre cheminement et travail sur soi à faire. Quand ça vient interférer avec cette problématique identitaire, ça peut être très violent. On polarise toujours sur les éléments physiques irréversibles et on mélange plusieurs niveaux. Si la personne est sûre d'elle, on ne la fera pas changer d'avis, indépendamment de la question de la transformation physique. Mais cette dimension irréversible ne doit pas être confondue avec toute la réflexion et le travail sur soi qui est à faire, à un moment ou un autre, que ce soit avant, pendant ou après la transformation physique. Ce n'est pas la transformation physique en soi qui doit être source d'inquiétudes, parce que si elle doit être, elle sera. La difficulté pour le travailleur social est alors d'accompagner la personne sans induire ce qu'elle fera. Il peut y arriver en mettant à disposition de la personne ce qui est utile à ses prises de décision. Cela implique une posture éducative qui n'anticipe pas et attend que la personne pose des questions afin d'élaborer à partir de celles-ci. A- ACCOMPAGNEMENTS INDIVIDUALISES 1. L'accueil Le temps de l'accueil est délicat, pour toutes les personnes accueillies. Pour les personnes transidentaires il nous semble important d'être vigilant à différents points. Entrer en relation avec les personnes transidentitaires nous interroge. En effet, il est étrange de recevoir une personne, homme ou femme, dont nous savons que le sexe biologique est différent du genre qu'elle présente, dont nous entendons parfois l'ambigüité dans la voix et même dans le discours. Quand la personne arrive, elle peut être vêtue au féminin avec une barbe, une voix très grave ; parfois, on rencontre une personne en situation de prostitution, dans la rue très féminine avec sa perruque et ses vêtements, et elle se présente ensuite au service en garçon, sans qu'on la reconnaisse. Le travailleur social doit faire avec ces situations qui ne vont pas de soi, qui font parfois vivre des sentiments compliqués face à des apparences physiques ambigues, des prénoms qui changent, etc. Les personnes nous plongent alors dans le trouble au point que nous confondons parfois le il et le elle. Afin de contribuer à leur mieux être il est indiqué de communiquer en s'appuyant sur le genre et l'identité d'adoption. Ainsi, l'une des premières questions à poser serait : "Comment vous appelez-vous ?". La personne peut avoir un prénom masculin, un prénom féminin et un prénom pour la prostitution. On lui demande alors : "Quel prénom préférez-vous que j'utilise ?" Certaines personnes alternent la façon de se présenter et donc de prénom, notamment quand elles se travestissent pour la prostitution et vivent le reste du temps dans leur genre d'origine. Le travailleur social s'adaptera au cas par cas en fonction de la façon dont la personne se présente. 2. Les entretiens individuels Par la suite, les entretiens sont un espace d'expression et d'élaboration de son parcours transidentitaire : en début de transition, c'est souvent l'un des seuls espaces où la personne peut librement en parler et se vêtir sans choquer. Le travailleur social se montre à l'écoute et informe autant que possible la personne en fonction des 87 étapes de sa transition. Il a un rôle de médiateur et de facilitateur dans les liens à tisser avec les professionnels et institutions que la personne transidentitaire sera amenée à rencontrer au cours de son cheminement. Le travailleur social doit permettre à la personne une réflexion sur ce qu'elle vit et la façon dont elle projette sa transition. En fonction des préoccupations de la personne, il explorera avec elle comment elle envisage ses coming-out, la prise d'hormones, etc. ACCOMPAGNER LA REFLEXION Il n'y a pas de recette. Il est nécessaire de prendre la personne avec ce qu'elle amène dans la relation. Il est utile de garder à l'esprit que, quoi qu'il en soit, la personne est majeure et qu'elle a, fondamentalement, les ressources en elle qui vont lui permettre de se prendre en charge. Toute la question est de savoir jusqu'où donner des éléments permettant à la personne de se prendre ellemême en main. En voici un exemple : La fondation suisse Agnodice, aux objectifs équivalents à ceux du GEsT, reçoit un appel au secours d'une personne de vingt-trois ans, handicapée, vivant dans un petit village des Hautes-Alpes. La fondation transfère sa demande au GEsT dont l'un des membres prend contact avec la jeune mtf. La communication se fait par mail uniquement, parce que la personne vit chez ses parents, et ceux-ci sont engagés dans une congrégation religieuse plus ou moins apparentée à une secte, qui interdit le téléphone portable et les caméras, rendant également impossible la discussion via une webcam. Après plusieurs échanges, une conversation audio sur Skype est programmée. La personne exprime dans la conversation son désarroi car elle ne réussit pas à faire son coming-out auprès de ses parents. La personne du GEsT lui demande : - "A votre avis, qu'est-ce qui pourrait faire que ça change ?" - "Ce serait le rêve si vous pouviez venir et parler à mes parents", répond-elle. - "Ok, imaginons que je vienne, comment cela se passerait-il selon vous ?" La jeune mtf commence alors à imaginer la situation, réfléchissant aux scénarii possibles. Du coup elle prend conscience qu'elle aurait un travail préparatoire à faire auprès de ses parents pour annoncer la présence de la personne du GEsT et qu'elle ferait elle-même son coming-out. Elle a alors convenu que le plus simple était qu'elle se débrouille seule, ce qu'elle a réussi à faire. Accompagner la personne dans sa réflexion c'est l'aider à s'interroger : "Je veux être une femme, mais quelle femme ?" ; "Je veux être un homme mais quel homme ?" Dès le début de l'accompagnement les échanges peuvent se faire autour de cette question : "Quelle femme/homme voulez-vous être ?". Il est possible d'utiliser des photographies de magazines par exemple, qui serviront de support à la parole à partir de l'apparence physique et de ce que la personne fantasme en terme de transformation. 3. La santé • Les médecins : À son arrivée, la personne transidentitaire n'a pas forcément un médecin traitant ou se demande quel est le médecin le plus qualifié pour accompagner sa transition. Nous l'avons vu, le médecin généraliste a un rôle central pour permettre l'accès à l'Ald. Cependant, trop peu de médecins sont sensibilisés à la question et le travailleur social peut jouer ici un rôle actif 88 de médiation. Il s'agit alors de rencontrer un ou plusieurs généralistes pour leur parler de la transidentité et leur fournir les éléments servant à remplir un dossier d'Ald. Une notice a été élaborée pour faciliter ce travail (cf annexe). Dans chaque service de l'Amicale du Nid, une liste de médecins identifiés sera mise à disposition des travailleurs sociaux. Cette liste peut être constituée à partir : • des démarches faites par les travailleurs sociaux pour élargir le réseau de médecins sensibilisés ; • des retours positifs des personnes transidentitaires concernant leurs médecins. De la même façon, une liste peut être établie concernant d'autres professionnels de santé conseillés par les personnes transidentitaires : dermatologue, gynécologue, endocrinologue, chirurgien, psychiatre, psychothérapeute... Pour les personnes transidentitaires atteintes de pathologies de longue durée (VIH, hépatites, IST...), il est également possible de développer des liens privilégiés avec un service hospitalier, qui suivra la personne dans sa globalité, lui évitant ainsi de multiplier des examens dans divers lieux avec le risque de se confronter sans cesse à des situations discriminantes du fait de sa transidentité27. La sécurité sociale : Chaque service établit des relations privilégiées avec la CPAM28, ce qui peut permettre à la personne transidentitaire de faire ses démarches seules ensuite, en l'orientant vers la personne ressource repérée. Quand ce partenariat n'est pas établi ou s’avère difficile à établir, alors le travailleur social peut accompagner la personne pour sa demande de CMU ou d'AME ou encore pour négocier le changement de numéro de sécurité sociale et son prénom (1 ou 2). 4. L'insertion professionnelle : Nous l'avons vu, pendant la transition, certaines personnes sont dans l'incapacité d'investir un projet d'insertion. Il est indispensable de respecter le rythme de la personne. Cependant, il est préférable, dans la mesure du possible, d'anticiper la préparation du parcours d'insertion en permettant à la personne de se projeter à travers une évaluation de ses compétences, une formation à la langue, une étape de redynamisation... C'est une période où la personne peut notamment être accompagnée pour réfléchir à ses représentations liées aux métiers dits féminins ou masculins. Quand la personne peut mener de front sa transition et son insertion professionnelle, ou à l'issue de son parcours, des accompagnements spécifiques peuvent se prévoir. Dans certains services de l’Amicale du Nid, un-e salarié-e est chargé-e d'insertion professionnelle. Quand ça n'est pas le cas, il est possible de prendre contact avec des référents externes : Pole Emploi pour le droit commun, PLIE (Plan Local pour l'Insertion et l'Emploi) ou d’autres dispositifs d’accompagnement à l’emploi. Dans tous les cas, le travailleur social leur donnera des éléments en amont pour une meilleure compréhension et un accueil adapté à la personne. Nous avons un rôle d’information et de médiation. Le travailleur social aidera également la personne transidentitaire à adapter sa tenue et son apparence physique en fonction du projet d'insertion : quand les tenues risquent d'être perçues trop provocantes, proposer des décolletés et un maquillage plus sobres par exemple. 27 28 Cf le Centre Europe à Paris par exemple, dans la partie état des lieux et ressources par territoire. Ibid. 89 5. Droits et administration : • La préfecture : Ici, les partenariats privilégiés sont compliqués à mettre en place. Pour les personnes étrangères transidentitaires dont la situation nécessite des démarches en préfecture, un accompagnement systématique est conseillé, afin d'assurer un rôle de médiation et de rassurer la personne dans sa crainte d'être rejetée du fait du décalage entre son apparence physique et ses papiers d'identité. • L'avocat : Les avocats pratiquent des tarifs divers. Afin d'éviter les abus, il est utile là aussi d'établir une liste d'avocats accessibles financièrement, qui acceptent l'aide juridictionnelle sans demander de complément. Cette liste peut être constituée à partir des témoignages des personnes mais il est également possible de prendre contact avec le RAVAD (Réseau d'Assistance aux Victimes d'Agressions et de Discriminations) ou la Commission Nationale de Médiation (ancienne Halde) selon les secteurs (cf ressources par territoires). Pour une modification du prénom d'usage, le travailleur social peut également orienter la personne vers un notaire en vue de produire un acte de notoriété qui établira que le prénom d'usage de A. est B. (Pierre dit Martine ou Estelle dite Laurent par exemple). Ce document notarié permettra de faire modifier le prénom sur les cartes de transport, les chéquiers, etc. mais aussi, selon les préfectures, d'indiquer le prénom d'usage sur les papiers d'identité. 6. Internet : Afin d'aider la personne à chercher des informations sur les différentes possibilités de transition, le travailleur social peut lui proposer un temps d'exploration de forums ou sites sur Internet29. B- ACCUEIL ET ACCOMPAGNEMENT COLLECTIF L'expérience de certains services30 montre tout l'intérêt de proposer un temps collectif pour les personnes concernées par la transidentité, lieu de parole ou groupe d’échange sans vocation thérapeutique. Créer cet espace dans un service aux préoccupations plus large que la transidentité garantit un cadre sécurisant31 permettant l’émergence de la parole et garantissant le respect de celle-ci. Au sein de ce groupe les personnes transidentitaires peuvent alors trouver des réponses que le travailleur social n'a pas forcément, repérer des interlocuteurs fiables dans les administrations, le secteur médical ou juridique, etc., grâce à la mutualisation des expériences individuelles. Cela offre également la possibilité aux personnes de sortir de leur isolement grâce aux liens noués avec d’autres partageant des vécus proches. D'ailleurs, si les travailleurs sociaux sont les garants du cadre bienveillant des rencontres, la parole échangée entre pairs aura souvent un impact et une crédibilité plus forte que celle du travailleur social, permettant aux personnes de clarifier ce qu'elles vivent et veulent vivre. Par ailleurs, la régularité du groupe, qui s'inscrit dans le temps comme un repère stable, est la bienvenue quand la transition peut déstabiliser les repères familiaux ou amicaux. 29 Cf la liste de sites proposés dans la partie Ressources pratiques. Comme les expériences de Toulouse et Montpellier dans la partie précédente Etat des lieux des territoires. 31 Une charte, sorte de règlement intérieur du groupe, peut être rédigée par les travailleurs sociaux. 30 90 Enfin, face au problème conséquent d'absence de suivi médical post-opératoire, le groupe est aussi un espace où peuvent s'échanger des conseils pour apprivoiser ce corps transformé et apprendre de nouvelles façons d'en prendre soin. Il nous semble que la mise en place de groupes d'échanges exprime une volonté associative d’informer et d'accompagner au mieux les personnes accueillies dans le respect de leur choix, en les acceptant là où elles en sont dans leur parcours. Si le groupe est prévu pour des personnes accueillies par l'Amicale du Nid et donc en situation de prostitution, il peut s'ouvrir au cours du temps à des personnes concernées uniquement par la transidentité. Cette ouverture présente un double intérêt : • les personnes participantes ont la possibilité de réaliser que la transidentité ne rime pas forcément avec la prostitution. • l’échange d’informations fiables et le partage d’expériences deviennent en eux-mêmes une démarche de prévention dans la mesure où cela permet à la personne de faire des choix éclairés en toute connaissance de cause. Une approche par le biais du collectif complète ainsi de façon très avantageuse tout le travail d'accueil et d'accompagnement individualisés réalisés par ailleurs. III. LES RESSOURCES PRATIQUES A- AU NIVEAU NATIONAL Lors de l'accompagnement d'une personne en questionnement sur son identité de genre, il est possible de lui proposer de consulter avec elle des sites internet ou blogs. Cela peut lui permettre de mieux comprendre ce qu'elle vit, de s'interroger sur ce qu'elle souhaite vraiment et peut-être aussi de prendre des décisions. 1. Sites d'informations Le site du GEsT : http://transidentite.fr/ ; sur ce site vous trouverez notamment le rapport de la HAS et une lecture critique de celui-ci, ainsi qu'une bibliographie francophone plus détaillée que celle proposée à la fin de ce document. Transsexualite : http://www.transsexualite.com/ : ce portail d'information dresse un inventaire des principaux sites d'information, des regroupements et associations traitant de la transidentité. ODT : http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/ : l'observatoire des transidentités a été mis en ligne fin 2010. Il publie des articles mensuels traitant des questions transidentitaires écrits par des universitaires, des acteurs-actrices de terrain et des associations. Transidentité : http://syndromedebenjamin.free.fr/ : ce site est animé par Tom Reucher, ftm, psychologue clinicien et militant depuis de nombreuses années. Il propose une grande variété d'articles, témoignages et références théoriques sur la transidentité. Les fabulous gonzesses : http://www.fabulous-gonzesses.com/ : forum d'échanges destinés à "rassembler des personnes transgenres ou non". FTM Info : http://ftm-transsexuel.info/ : comme son nom l'indique, ce site est spécialisé ftm et 91 passe en revue l'ensemble des incontournables du parcours de transition. Il propose également un forum de discussion. Trans mecs & mecs : http://www.ftmvariations.org/gay/ : site d'informations et de visibilité pour les hommes et garçons trans/FTM gay, bi, autre, attirés affectivement et sexuellement par les hommes (trans ou non) et vice versa. Il a pour but de leur donner une visibilité en français, et de permettre la diffusion en français d'articles anglophones. 2. Blogs De nombreux blogs sont en ligne témoignant des transitions de leurs auteurs. Nous vous laissons partir à leur découverte en suivant les liens proposés d'un blog à l'autre. Pour débuter, vous pouvez lire le blog d'un ftm : Deviens ce que tu es http://lerevecommence.blogspot.com/ ou d'une mtf : Ester de Paris http://pagesperso-orange.fr/ester/. 3. Associations • Le mouvement français pour le planning familial : Depuis son congrès de mai 2009, le mouvement a inscrit la transidentité dans ses missions. Si ce n'est pas déjà le cas sur votre territoire, envisager un partenariat avec le planning familial peut permettre de créer un autre espace de ressource pour les personnes transidentitaires que vous accompagnez en leur ouvrant notamment l'accès à des lieux d'écoute ou de soins (IST, gynécologie, etc.) privilégiés. http://www.planning-familial.org/ • Le RAVAD Le RAVAD est une association qui comporte de nombreux juristes et qui assiste les victimes d'agressions et de discriminations, en particulier les agressions en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. C'est un acteur du monde associatif LGBT (Lesbien, Gai, Bi et Trans). www.ravad.org • L'Autre Cercle La Fédération L'Autre Cercle regroupe onze associations régionales et compte près de six cents membres, issus de l'entreprise, de la fonction publique (nationale, territoriale et hospitalière) et des professions libérales. Ils ont comme point commun l'appartenance à la communauté homosexuelle et transsexuelle. C'est un réseau solidaire qui, à travers ses activités, fait des propositions concrètes au monde politique, syndical et aux employeurs. www.autrecercle.org • Les Centres LGBT Dans plusieurs villes de France et notamment à Paris se sont mis en place des centres LGBT qui offrent de la documentation, des permanences et de l'écoute (www.centrelgbtparis.org, ou taper "centre lgbt" sur un moteur de recherche pour trouver le centre le plus proche). • Associations de lutte contre le sida travaillant sur les questions trans' : - Act Up-Paris : www.actupparis.org - Arcat : www.arcat-sida.org - Le CRIPS : www.lecrips.net 92 • Associations d'autosupport pour les usager-e-s de produits : - Asud : www.asud.org B- LES SPECIFICITES TERRITORIALES Chaque territoire s'appuie sur les ressources locales à sa disposition : médecins, associations... Nous listons ici l'ensemble de ces ressources par territoire, sachant que chaque service tient à disposition les coordonnées des professionnels concernés. • Toulouse A partir de l’expérience des membres du groupe d'échange et de leurs retours positifs, nous avons établi une liste de professionnels : • du secteur judiciaire : avocats. • du secteur médical : médecins généralistes, dermatologues, endocrinologues, psychiatres, phoniatre, orthophoniste, chirurgien plastique. • esthétique : coiffure, conseil en image. Nous nous appuyons également sur diverses associations : • GEsT : www.transidentite.fr 06 28 77 06 29 • Arc-en-ciel : www.aectoulouse.fr [email protected]. • ABC (Association Beaumont Continental) : [email protected] 06 70 54 20 69 • Mutatis Mutandis (Bordeaux) : www.mutatismutandis.info/ 09 79 59 78 48 Nous avons par ailleurs établi des liens privilégiés avec la CPAM de la Haute-Garonne. En ce qui concerne l’insertion professionnelle, nous avons mis en place un partenariat avec un référent PLIE (Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi). Pour l’hébergement, nous faisons appel aux CHRS (Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) de Toulouse. • Montpellier Grâce au groupe d’échange et à la présence du GEsT, l'Amicale du Nid a accès à un petit réseau de professionnels de santé sensibilisés à l’accueil de personnes trans’. Ce réseau comprend : • un dermatologue ; • une gynécologue ; • une association de psychologues cliniciens ; • des permanences d'accueil individuel au planning familial ; • un psychiatre ; • deux endocrinologues. • Paris Etant donné l’augmentation du nombre de personnes transidentitaires sur ce territoire, le service s’emploie à trouver des réponses adaptées et à élargir le champs de connaissance de la question trans'. 93 A ainsi été mis en place un partenariat avec divers hôpitaux : Hôpital Ambroise Paré : création d’un pass santé pour permettre l’accès aux soins aux personnes malades avant qu’elles ne puissent bénéficier de l’AME (carence de 3 mois) ; Hôpital Bichat : un accueil est aménagé par une équipe sensibilisée et connaissant les personnes transidentitaires, avec la prise en charge au titre de l'ALD ; Hôpital Saint Louis : étude Pro-santé ; • Le centre Moulin Joly de la Croix Rouge a signé une convention avec l’Amicale du Nid 75 pour l'accueil des personnes transidentitaires. Il est également possible de solliciter : Le CMP15, qui propose des suivis avec une psychologue et / ou un psychiatre ; • Altaïr : association partenaire ayant créé un SEA (service d’écoute et d’accueil) réservé aux personnes ayant des questionnements d’identité de genre ; • Le 115 parisien : propose une chambre d’hôtel gérée par l’ADN75 pour des personnes transidentitaires. Dans ce partenariat, un accès individualisé tenant compte de la particularité identitaire des personnes est possible pour les lits « médicalisés » ; • Sécurité sociale : permanence hebdomadaire au sein de l’établissement ADN75 avec un intervenant sensibilisé à la question. • Marseille Nous déclinons ici le réseau existant, celui à développer et les axes de réflexion à travailler en équipe. Le réseau existant : • Association de santé communautaire en direction des personnes prostituées Autres Regards. Ce partenariat s’est notamment étoffé lors de la mise en place du dispositif Equal-Parade de 2004 à 2007. Cette association a mis en place un livret de genre et a tenté de créer une association spécifique dans l’accueil des personnes prostituées trans’ (Cathléia). Cette association a assuré des permanences à l’Hôpital Sainte Marguerite pendant plusieurs années. • Association Amicale du Nid au plan national. • Hôpital Sainte Marguerite (unité fonctionnelle de sexologie et de dysphorie de genre). • AAT (association d’aide aux transsexuels). Réseau à développer : • Axe santé : Planning familial, Instituts de formation en soins infirmiers, CIDIST, CODES, CRIPS, Dispensaires, Médecins généralistes, Médecins gynécologues, Réseau Santé Marseille Sud et Nord (VIH, toxicomanies), CPCAM, PMI, Médecine du travail. • Axe socioprofessionnel : Ecoles de travailleurs sociaux (IRTS, IMF), Coordinateurs sociaux des commissariats, Pôle Emploi, Pôles insertion, Cité des Métiers, Lieux accueil RSA, DIRECTE (ex DDTEFP), MDPH, CAF. Axe de réflexion à travailler en équipe : La transparentalité. 94 CONCLUSION 95 A travers cette recherche-action qui s'achève, nous avons pu approfondir nos connaissances et notre réflexion sur la question transidentitaire. Ce travail aura également permis l'élaboration de ce document, qui devrait servir de support et outil à nos pratiques. Chaque territoire concerné aura à organiser une restitution en interne auprès des membres des différentes équipes. Mais le travail à l’Amicale du Nid ne s’arrête pas au moment où s’achève cette recherche action. Il y a nécessité de poursuivre le travail engagé, de « mutualiser » les savoirs et expériences entre les territoires par des rencontres régulières, etc. En ce sens, l’idée de la mise en place d’une commission nationale sur la question est émise. Peut-être aussi que ces travaux pourront conduire à la création de nouveaux groupes d'échanges ou de toutes autres propositions innovantes, dans une dynamique de modélisation des pratiques. Un positionnement politique de la part du conseil d'administration de l'association sera nécessaire concernant le vocabulaire à utiliser et la mise en œuvre de référentiels d'action communs. Quelles sont les perspectives pour l'accompagnement social de personnes transidentitaires, afin que soient abordées ces questions de façon plus globale, autrement qu’au travers d’une approche morcelée, sériée (axe de la transformation sociale ou du parcours médical ou des changements de papiers, etc. ) ? Dans le cadre de la loi 2002, il nous semble pertinent voire nécessaire que les personnes transidentitaires soient associées à des groupes de travail, tel que celui de cette recherche-action, visant à améliorer l’accompagnement qui leur est proposé. Par ailleurs, nous avons démontré que le rôle du médecin généraliste est primordial (dans la mise en œuvre du parcours médical présenté pour le dossier d'ALD par exemple). En effet, la qualité de l’accueil et de l’information dispensés lors de cette étape est déterminante pour orienter les personnes. Comment, donc, créer un maillage pour informer les médecins généralistes sur ce sujet ? Comment, ensuite, élargir ce maillage auprès des réseaux de santé concernés par l’accueil de personnes transidentitaires? Un important et essentiel travail d’information reste à faire auprès du grand public, et au delà, la sensibilisation et la formation des professionnels des domaines médical, psychologique et social. Le niveau de connaissance sur cette question doit être approfondi. Une mission de veille, tant sur les questions juridiques que les questions relatives à la santé, doit se structurer. La transidentité reste un sujet complexe, très singulier. Elle déborde nos pratiques, interroge nos normes, valeurs, croyances, représentations relatives aux notions de sexe et de genre... bouscule nos repères, nos codes sociaux. La transidentité n’est pas un choix. Elle s’impose à la personne comme une évidence, quelle qu’en soit la cause. Il ne s’agit ni de dramatiser, ni de banaliser, tout comme ce qui concerne la question de la prostitution, mais bien de prendre en compte les personnes et leurs situations particulières, sans les stigmatiser ni les discriminer. Rappelons qu’il n’existe pas une transidentité, mais des transidentités. Tout individu est en mouvement. Nous espérons que cette question qui émerge dans notre société fasse évoluer les mentalités, à l’instar des avancées que nous avons constatées en ce qui concerne d’autres sujets tels que l'homosexualité, le racisme, les familles monoparentales, etc. Une perception différente au fil du temps, plus de tolérance, une reconnaissance sur le plan 96 législatif et une nécessaire vigilance concernant les risques de discrimination, sont à attendre. L’Amicale du Nid a un rôle, une mission à accomplir en ce sens, à la fois pour rendre plus visibles et plus compréhensibles ces questions, mais également participer à leur conceptualisation. Nous devons continuer à adapter et faire évoluer nos pratiques, ainsi qu'à les formaliser pour les transmettre au plus grand nombre, à améliorer la qualité de l’accueil et de l’accompagnement des personnes transidentitaires, en prenant encore mieux en compte leurs besoins. Nous avons toutes et tous à gagner d’une société plus égalitaire, d’une société qui reconnaisse l’Autre et sa différence, sa singularité, qui intègre la pluralité des sexes et des genres à la diversité humaine. 97 ANNEXES 1. Lettre de l’Amicale du Nid Toulouse invitant à la constitution d’un groupe d’échange sur la transidentité (avril 2002) 2. Notice à l’intention des médecins traitants pour demande d’ALD 98 99 100 BIBLIOGRAPHIE 101 - BOURCIER Marie-Hélène. "Technotesto : biopolitiques des masculinités tr(s)anshommes. 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