Phèdre, Théâtre des Célestins, Octobre 2014 C`est comme une

Transcription

Phèdre, Théâtre des Célestins, Octobre 2014 C`est comme une
Phèdre,
Théâtre des Célestins,
Octobre 2014
C’est comme une musique, un rythme à quatre temps.
Je la vis, je rougis, je pâlis à sa vue…
Triolet, hémistiche, un deux trois, sept, huit, neuf…
Au bout de mes dix doigts qui marquent les syllabes, métronome obstiné, je ne compte plus
que les triolets de croches…
Thésée a disparu, pas seulement Thésée, j’ai perdu le fil de l’histoire, le tempo m’a emporté
dans son bercement hypnotique.
Le martèlement obsessionnel sur l’accoudoir du fauteuil me prive des ravages de la passion.
Je m’extrais de cette somnolence syncopée et guette les vers les plus connus…
Pour qui sont ces serpents …
Idiot que je suis, cette allitération galvaudée n’appartient pas à Phèdre !
Aucune importance, elle se glisse si bien dans le rythme !
Et puis c’est toujours Racine !
Non, pas le chanteur, le chanteur c’est Corneille !
Qui raconte une autre tragédie, mais avec les mêmes racines d’ailleurs, si vous m’autorisez
cette facétie sémantique ! Avec toujours le bal des egos, le pouvoir, la jalousie et les haines
recuites. Parce qu’on vient de loin avec nos petits meurtres ethniques ou familiaux, avec nos
empoisonnements et nos têtes coupées…
Rien ne se crée, tout se répète. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui les machettes…
pardonnez-moi, les manchettes de la presse ne sont pas en alexandrins !
Les serpents qui sifflent c’est dans…
Le titre m’échappe. Il faut que je le retrouve, que j’aille le chercher dans les couches
nébuleuses et gauches de mon cortex cérébral…Sans m’égarer en chemin dans les
réminiscences vacillantes de mes humanités !
Approuvez ma faiblesse, et souffrez ma douleur…
Vous n’avez point ici d’ennemi que vous-même…
Triolet, hémistiche, un, deux, trois, sept, huit, neuf !
C’est rageant, j’ai ce titre de pièce sur le bout de la langue et je sais qu’il ne reviendra pas
tant que je m’obstinerai à le débusquer.
Putain de mémoire !
Il ne doit pas y avoir d’entracte. C’est dommage !
J’aurais aimé déambuler dans le foyer ou le vestibule, sous la postérité et les cartels de Lope
de Vega, Calderón ou Métastase qui est aussi… le nom d’un librettiste d’opéra !
Je me serai délecté des chuchotements libidineux de cet ancien couvent devenu théâtre depuis
plus de deux siècles, depuis… depuis 1792, quand le Roi-serrurier fut contraint de coiffer le
bonnet rouge !
J’aurais aimé prendre un café à L’étourdi.
Me jeter sur internet pour me débarrasser de ces foutus serpents !
Traquer les commentaires surtout ! J’aime ça les commentaires, et plus encore les postures !
Ça parlerait d’esthétique dépouillée, de didascalies anachroniques, peut-être même de
distanciation !
Ça invoquerait les mannes de Barrault, Vitez ou Chéreau ! Ça aurait la larme à l’œil d’avoir
vu jouer Louis Jouvet ou Sylvia Monfort !
« Mais si, bien sûr ! On peut rire d’une tragédie et renverser la table avec les conventions de
tonalité et de temps ! »
Ça déplierait ostensiblement Le Monde en col de fourrure et saucisson brioché !
On peut même rire de soi-même !
Mais il n’y a pas d’entracte !
Comme il n’y a plus de brigadier pour frapper les trois coups mythiques !
Alors pour venger la tradition bafouée, pas de formule d’appellation dans cette lettre ! Cher
qui, d’ailleurs, j’aurais été bien embêté ! Il est des courriers dans lesquels on ne se confie qu’à
soi-même !
« Cher moi » aurait été un peu égotique, non ?
Je verrai le témoin de ma flamme adultère…
Phèdre me regarde !
Ses yeux se tournent vers le public et se plantent dans les miens. Les premiers rangs de
l’orchestre sont des nasses où rôdent les fantasmes, dans la promiscuité des étoffes et des
suffocations…
Ses yeux me blâment et m’accusent, et me dardent de leurs flèches ardentes et térébrantes.
Je goûtai en tremblant ce funeste plaisir…
Phèdre est exaltée, pieds nus sous un déshabillé noir.
En caressant les cuisses fermes qu’elle enserre et rejette, la soie murmure des ardeurs à l’acmé
de la folie, des ouragans d’épées voluptueuses…
Je respire à la fois l’inceste et l’imposture…
Mais cette femme est trop jeune pour avoir un fils. Le texte n’est qu’un prétexte, le jeu des
acteurs une supercherie ! Les masques bientôt vont disparaitre…
Et ses yeux obstinément qui me pénètrent…
Et cette folie au bord de l’érection qui pousse quand mes doigts turgescents ont cessé de
marquer la mesure…
Je lui souris, je hoche la tête, ma main se tend lentement en direction de la scène…
Je me lève et l’implore : « osez me suivre. Osez accompagner ma fuite ! »
Pour sombrer aussitôt, immobile et muet.
Sidéré.
Aucun Deus ex machina de l’improvisation n’a surgi de cette bouffée délirante qui s’anéantit,
impuissante, face au souffle de Racine !
« Taisez-vous ! Abruti ! Sortez-le ! Ça suffit ! »
Triolet, Hémistiche…
Le brouhaha jusque dans le poulailler ! La torpeur sous les ors et les reflets pourpres ! Athéna
et Aristophane se figent autour du lustre monumental, La Renommée vacille quand soudain le
décor feutré s’est électrisé.
Et les acteurs rendus soudain silencieux, incrédules !
On a les tragédies qu’on mérite, ridicules…pitoyables « tragédicules » ! …
Phèdre a fait couler le poison dans ses veines brûlantes.
La fin est proche, Hippolyte est mort, Thésée dévasté et Phèdre subclaquante.
Les fureurs meurtrières des hommes et des dieux continuent de traverser l’histoire des peuples.
Andromaque !
Les serpents qui sifflent, c’est Andromaque !
Ouf !
Je vais pouvoir respirer !
Et relire Phèdre, Hippolyte au petit pied ou rêveur éconduit, soulagé, disponible désormais,
relire les tirades surtout, celles déclamées par la nuisette noire pour les déguster avec l’éternel
regret -qui peut jamais savoir ?- d’être passé à côté de l’histoire !
Relire Phèdre…
Ou revenir demain !
Jean-François DRUT

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