plan social et le juge

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plan social et le juge
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CIRAC
n° 7 / 2004
Groupe d’études franco-allemand sur le contentieux du travail (Gefact) :
Le Plan social et le Juge :
Une approche comparative du pouvoir judiciaire
face au plan social en droit du travail
allemand et français
Le Gefact, groupe d’étude affilié au Centre de Recherche sur le Droit économique de
l’Université de Cergy-Pontoise, associe l’Université de Hanovre, ainsi que les Instituts
du Travail des Universités de Nancy et de Strasbourg. Il comprend des magistrats de
toutes les juridictions ayant à connaître du droit du travail, en France et en Allemagne,
ainsi que des avocats et des universitaires.
Constitué en 2000 grâce au soutien de la Fondation Hans Böckler, le Gefact a choisi de
consacrer ses travaux à deux thèmes mis à l’ordre du jour par les mutations de l’économie et de la société de nos deux pays : « la discrimination » et « la restructuration des
entreprises ». Le Gefact est partenaire associé du CIRAC depuis mars 2004.
CIRAC - Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine
Université de Cergy-Pontoise - 33, boulevard du Port - 95011 Cergy-Pontoise
www.cirac.u-cergy.fr
Groupe d’études franco-allemands sur le contentieux du travail - Gefact
Le Plan social et le Juge
Une approche comparative du pouvoir judiciaire
face au plan social en droit du travail allemand et français
Introduction
Cette étude comparative sur le rôle du juge en droit du travail est le fruit des rencontres et des
discussions du groupe franco-allemand, composé de magistrats, d’universitaires et d’avocats,
spécialistes du droit du travail dans les deux pays. L’étude s’inscrit dans un ensemble de réflexions qui ont débouché sur un premier document sur le contrôle judiciaire des causes de licenciement pour motif économique. La présente étude est particulièrement marquée par l’actualité législative dans les deux pays, puisque la réglementation des plans sociaux en France et
en Allemagne a connu des modifications récentes : en Allemagne, avec la réforme de la Loi
sur la Constitution de l’établissement (Betriebsverfassungsgesetz de 1972 modifiée par la loi
du 23 juillet 2001, appelée aussi Loi sur la Constitution interne de l’entreprise), et en France,
par la Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 dite de modernisation sociale, dont certaines dispositions ont été supprimées par la Loi n°2003-6 dite Loi Fillon ou Loi de relance de la négociation collective en matière de licenciement économique du 3 janvier 2003.
Le troisième considérant préliminaire de la Directive européenne 98/59 EG, directive concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs, s’énonce comme suit :
« Considérant que malgré l’évolution convergente, des différences subsistent entre les dispositions en vigueur dans les Etats membres en ce qui concerne les modalités et la procédure
des licenciements collectifs ainsi que les mesures susceptibles d’atténuer les conséquences de
ces licenciements pour les travailleurs ».
Si on regarde de près les mesures en France et en Allemagne qui pourraient atténuer les conséquences des licenciements collectifs pour les salariés ou même empêcher quelques licenciements et qui sont toutes résumées dans le langage quotidien sous la notion de « plan social»,
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on y constate de frappantes différences entre les deux pays – différences qui s’expliquent
essentiellement par la diversité des relations industrielles en France et en Allemagne, c’est-àdire par une configuration spécifique dans chaque pays entre syndicats employeurs, syndicats
salariés et institutions étatiques comme l’administration du travail, par exemple.
Nous nous intéressons dans cette étude au rôle que jouent les tribunaux dans chaque pays pendant l’élaboration et l’exécution de ces « plans sociaux », émanations eux aussi du pouvoir
étatique, mais indépendants et n’intervenant que sur demande. Ce rôle du juge est défini,
d’une part par les règles du droit, d’autre part, par les compétences et les attentes des acteurs
non-judiciaires, qui élaborent et appliquent ces mesures d’accompagnement des licenciements
collectifs et, en dernier lieu, par une culture spécifique dans chaque pays quant à la résolution
des conflits.
Le troisième considérant de la directive mentionnée ci-dessus évoque également un développement convergent dans les Etats membres de l’UE en ce qui concerne les mesures atténuant
les conséquences des licenciements collectifs pour les salariés ; ce développement allégué devrait avoir aussi des effets sur le rôle du juge dans chaque pays. Peut-on constater une telle
convergence entre la France et l’Allemagne ? Peut-être est-elle déjà en train de s’installer
grâce aux normes européennes que le juge national doit prendre en compte…
Nous reviendrons à cette question à la fin de notre étude, dans sa cinquième partie (V).
D’abord, dans la première partie, il convient de définir la notion juridique de « plan social» et
d’introduire d’autre termes juridiques, comme « compensation des intérêts » et « plan de sauvegarde de l’emploi » (I). Ensuite, nous décrirons les différents cadres juridiques nationaux
concernant les plans sociaux d’une part (II), et le rôle des acteurs non-judiciaires, d’autre part
(III). Dans la quatrième partie de notre étude, nous analyserons en détail les interventions possibles des juges nationaux pendant l’élaboration et la mise en œuvre des plans sociaux (IV)
avant d’entreprendre, dans la dernière partie, une synthèse et de proposer un regard vers l’avenir (V).
I Définitions
Dans le titre de notre étude et dans son introduction, nous avons employé la notion du « plan
social » dans son sens large, c’est à dire comme une notion recouvrant toutes les mesures
d’accompagnement des licenciements collectifs. Il nous semble plus précis et adéquat de ne
l’utiliser dans les analyses suivantes que dans un sens restreint, c’est à dire celui de « plan social » en droit allemand (Sozialplan). D’une part, le législateur français a abandonné cette notion et l’a remplacée par celle de « plan de sauvegarde de l’emploi », un terme que nous préférons employer quand nous évoquerons les plans sociaux en France. D’autre part, en Allemagne, on distingue deux ordres de mesures. Il y a d’un côté la «compensation des intérêts »
(Interessenausgleich) ; il s’agit d’un accord entre l’employeur et le conseil d’établissement
sur les questions suivantes : des « modifications d’établissement » (Betriebsänderungen,
c’est-à-dire des changements profonds affectant la production, et donc la structure de l’établissement), notamment des licenciements collectifs, qui entraîneront des désavantages essentiels pour les salariés, doivent-ils être réalisées et, si oui, quand et comment ? D’un autre côté,
le « plan social » (Sozialplan) est, selon le § 112 de la Loi Betriebsverfassungsgesetz
(BetrVG), un accord sur les compensations et les atténuations des désavantages pour les salariés provoqués par une « modification de l’établissement » (Betriebsänderung).
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II
Les différents cadres juridiques de l’intervention du juge
– sources historiques et règlements contemporains –
En droit allemand, l’article 74 de la Loi sur les conseils d’établissement de 1920 (Betriebsrätegesetz 1920), imposait déjà à l’employeur, en cas de « modifications d’établissement », l’obligation de rechercher un consensus avec le conseil d’établissement qui représente
le personnel, sans toutefois poser d’obligation de résultat ni prévoir de sanctions juridiques.
Après la deuxième Guerre mondiale, la Loi sur la Constitution de l’établissement de 1952
(Betriebsverfassungsgesetz 1952) prévoyait, en cas de « modifications d’établissement », le
recours à un comité de conciliation dont l’avis s’imposait à l’employeur, son non-respect entraînant le paiement de dommages et intérêts. Avec la loi de 1972 (Betriebsverfassungsgesetz
1972, BetrVG), la distinction fut opérée entre la « compensation des intérêts » et le « plan
social » (voir supra I), les deux mesures étant prévues en cas de « modifications d’établissement » dès lors que ces dernières sont susceptibles d’entraîner des désavantages essentiels
pour les salariés et à condition que l’effectif de l’établissement dépasse 20 salariés. Grâce à
une modification récente de la loi, en 2001, c’est aujourd’hui l’entreprise qui est le relais de
ce seuil. Pour être considérée comme une « modification de l’établissement » pouvant déclencher les deux mesures d’accompagnement mentionnées ci-dessus, une réduction du personnel
doit atteindre une certaine ampleur (le nombre de licenciements exigé est fixé à l’art. 17 de la
Loi de protection contre les licenciements : Kündigungsschutzgesetz, KSchG).
En ce qui concerne la compensation des intérêts, il n’y a pour l’employeur que l’obligation de
la négocier sérieusement avec le conseil d’établissement. Les négociations peuvent – sur
demande – se poursuivre devant une commission d’arbitrage (Einigungsstelle) présidée par
une personne neutre (d’ailleurs souvent un juge professionnel du travail en tant que personne
privée), sans obligation de résultat. En ce qui concerne le plan social par contre, l’employeur
est obligé d’en conclure un avec le conseil d’établissement si celui-ci le demande. Le plan social doit compenser et atténuer les désavantages économiques causés aux salariés licenciés.
En cas de désaccord sur ce point, la commission d’arbitrage peut être appelée pour établir le
plan ; sa décision a alors qualité de convention collective – au contraire de la compensation
des intérêts qui n’est pas contraignante et normative et dont l’absence ou le non-respect du
côté de l’employeur n’entraîne qu’un droit de chaque salarié concerné aux indemnités et à des
dommages et intérêts (113 BetrVG).
Le plan social fixe en premier lieu le montant et la répartition des indemnités financières des
salariés licenciés. Outre la fonction d’instrument de compensation pécuniaire à la perte de
l’emploi, la jurisprudence a attribué au plan social au fil du temps des fonctions supplémentaires : celles de transition et de prévision, visant à faciliter la vie professionnelle ultérieure de
chaque salarié. En accentuant ces dernières fonctions, le législateur a peu à peu renforcé la
place du reclassement dans le plan social. Cette évolution se retrouve entre autres dans les
modifications législatives apportées à la loi sur la Constitution de l’établissement. Le § 112
alinéa 5 numéro 2a BetrVG oblige par exemple la commission d’arbitrage, en cas de plan
social, de prendre en considération les mesures de promotion de l’Office régional du travail
pour éviter le chômage et le droit de la sécurité sociale (l’Office du travail subventionne, par
exemple, des mesures de réintégration en emploi des salariés licenciés ou leur offre la possibilité de créer une société de soutien à l’emploi : dans le cadre d’un contrat de travail à durée
déterminée d’au maximum deux ans, les salariés licenciés perçoivent les allocations de
chômage partiel et sont obligés de participer à des mesures de réinsertion professionnelle –
voir § 175 s. SGB III).
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En France , les mesures d’accompagnement des licenciements collectifs ont été d’abord réunies sous la notion de « plan social », issue des accords interprofessionnels du 21 novembre
1974, puis du 20 octobre 1986, auxquels se sont ajoutées les lois du 30 décembre 1986, du 2
août 1989 et du 27 janvier 1993 ; ces textes ont posé les lignes directrices du « plan social», à
l’origine d’inspiration allemande. Mais assez tôt, le plan social français n’a plus servi comme
moyen d’indemniser la perte d’emploi ; il est devenu l’instrument privilégié de reclassement.
Les dernières modifications législatives en témoignent, notamment celles de La loi de modernisation sociale (Loi du 17 janvier 2002) qui a apporté (entre autres) une modification terminologique significative au plan social devenu « plan de sauvegarde de l’emploi ». La loi
n° 2003-6 du 3 janvier 2003, dite Loi Fillon ou Loi de relance de la négociation collective en
matière de licenciement économique, a suspendu différentes mesures de la précédente loi, notamment l’amendement dit Michelin et le recours au médiateur.
Le plan de sauvegarde de l’emploi est obligatoire dans les entreprises employant au moins 50
salariés, lorsque le nombre de licenciements est au moins égal à dix dans une même période
de 30 jours en principe (art 321-4-1 Ct). Il s’agit en fait, et aux termes de la loi, d’éviter ou de
limiter, lors d’une procédure de licenciements pour motif économique, le nombre de licenciements et de faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement est inévitable. Les arrêts
de la Cour de Cassation ont en outre affirmé que le plan social doit être établi lorsque l’employeur propose à plus de 9 salariés la modification de leur contrat de travail pour un motif
économique, ce qui est susceptible, en cas de refus, d’entraîner leur licenciement.
Dans les deux pays , on considère que les règles de la loi concernant les mesures d’accompagnement des licenciements ont un rapport aux droits sociaux fondamentaux. En France, le
plan de sauvegarde de l’emploi est une des concrétisations d’un droit fondamental constitutionnel qui est le droit à l’emploi. En Allemagne, les mesures d’accompagnement des licenciements collectifs sont des restrictions du droit de licencier. Elles se justifient à l’aune du
droit constitutionnel de la liberté professionnelle (Art 12 de la Loi fondamentale, Grundgesetz, GG) qui peut être invoqué par l’employeur, mais aussi par le salarié qui réclame le maintien de son poste de travail.
III Les rôles des acteurs non-judiciaires
Dans les deux pays, le principal acteur non-judiciaire dans l’élaboration et l’application des
mesures d’accompagnement des licenciements collectifs est l’employeur. En présentant son
projet de licenciements collectifs, c’est en fait lui qui déclenche le processus d’élaboration de
ces mesures, tandis que les salariés concernés par les licenciements agissent, en France
comme en Allemagne, individuellement plutôt, à la fin du processus, soit en réclamant l’application des mesures établies en leur faveur soit en mettant en cause ces mesures et/ou en
contestant le licenciement prononcé. En France cependant, les salariés concernés ont le droit
de réagir plus en amont : en faisant grève, ils peuvent influencer l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi, ce qui est strictement interdit aux salariés par la jurisprudence allemande.
Entre l’annonce d’un projet de licenciements collectifs, l’établissement des mesures d’accompagnement et l’exécution de celles-ci, ce sont deux autres acteurs non-judiciaires qui interviennent en France ainsi qu’en Allemagne : les représentants du personnel (III.1) et l’Administration du travail (III.2). Mais leurs rôles varient considérablement d’un pays à l’autre.
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1 – Rôle des institutions représentatives du personnel
En France , les syndicats ne disposent d’aucun droit particulier d’intervention en cas de licenciements économiques imminents ; il y a certes pour eux toujours la possibilité de négocier un
accord collectif avec l’employeur relatif aux conditions du licencie ment collectif (à ne pas
confondre avec le plan de sauvegarde de l’emploi), mais cela est très rare en pratique. En revanche, ce sont spécialement les comités d’entreprise (ou à défaut, les délégués du personnel)
qui doivent être informés et consultés par l’employeur préalablement en cas de « grands »
licenciements collectifs (de 10 salariés et plus en 30 jours dans les entreprises d’au moins 50
salariés).
Leur rôle a été progressivement renforcé, de sorte qu’ils exercent un contrôle essentiellement
en amont sur le fondement du Livre IV (information et consultation sur le projet économique
de l’entreprise) et du Livre III du Code du travail visant l’information et la consultation sur le
projet de licenciement économique.
En conséquence, le plan de sauvegarde de l’emploi doit être soumis
défaut, aux délégués du personnel) et peut faire l’objet de sa part
contre-propositions élaborées éventuellement avec l’assistance d’un
le plan de sauvegarde de l’emploi une fois établi, les représentants
être consultés sur son application (L 321-4 dernier alinéa Ct).
au comité d’entreprise (à
de suggestions, voire de
expert comptable. Enfin,
du personnel ont droit à
En Allemagne, le conseil d’établissement (Betriebsrat), s’il existe, doit être informé et consulté avant tout licenciement collectif (selon plusieurs règlements : §§ 102, 111 BetrVG et
§ 17 KSchG). Le syndicat en tant que tel n’a pas de représentation institutionnelle dans l’entreprise. Lors de licenciements collectifs projetés, le conseil d’établissement, dans les entreprises de plus du 20 salariés, peut, en sus de ses droits d’information et de consultation, réclamer une négociation sérieuse sur une compensation des intérêts (sans obligation de résultat du
côté de l’employeur) et même exiger la conclusion d’un plan social. C'est-à-dire que, au contraire de la situation française, le plan social n’est pas un acte juridique unilatéral, mais soumis à la codécision des représentants élus du personnel. A défaut d’un consensus, l’employeur
ou le conseil d’établissement peut faire appel à une commission d’arbitrage qui décide et établit le plan social.
La codécision du conseil d’établissement ne concerne juridiquement que le plan social, c’està-dire la compensation et l’atténuation des désavantages provoqués par les licenciements
collectifs, la décision de l’employeur de licencier, quant à elle, restant libre et seulement soumise à la négociation d’une compensation des intérêts, non obligatoire et non contraignante.
Toutefois, le comportement du conseil d’établissement pendant les négociations sur le plan
social (où il s’agit surtout de fixer le montant des indemnités pécuniaires) a en fait des répercussions sur la décision de licencier : l’ampleur de cette décision reste souvent en corrélation
avec la contrepartie financière, calculable pour l’employeur seulement dès le moment où le
plan social est signé.
D’autre part, le droit restreint du conseil d’établissement à la négociation sérieuse d’une compensation des intérêts (sans obligation de résultat) renforce sa position et peut influer sur la
décision de l’employeur : le conseil peut faire valoir ce droit devant une commission d’arbitrage, les licenciements ne pouvant être prononcés dès qu’il y a échec de la négociation
devant cette institution, cette procédure provoquant au moins un retard qui coûte cher à l’employeur.
Dans les deux pays , la saisine des tribunaux fait partie des interventions possibles pour les représentants du personnel concernant l’élaboration des mesures d’accompagnent des licencie5
ments collectifs – intervention qui peut, enfin, influencer le contenu de ces mesures : soit, par
exemple, en Allemagne, un conseil d’établissement demande aux tribunaux de prononcer
l’ajournement des licenciements envisagés jusqu’à la fin des négociations sur une compensation des intérêts, soit, en France, un comité d’entreprise revendique la nullité de la procédure
de licenciement ou du plan de sauvegarde de l’emploi. De plus, les prises de position et les
avis des représentants du personnel peuvent avoir des répercussion sur les contentieux individuels concernant des licenciements après leur notification. Souvent – d’une manière explicite
ou non – le juge les prend en compte à l’appui de sa décision.
2 – Rôle de l’administration
Bien qu’en France, l’autorisation administrative de licenciement économique ait été supprimée par la loi du 30 décembre 1986 au profit d’une procédure de contrôle judiciaire, l’administration du travail reste active dans le déroulement des procédures de licenciements, et en
particulier en cas de grands licenciements pour motif économique. En effet, dans ce dernier
cas, elle doit être informée et joue un rôle non négligeable dans le contrôle de la régularité de
la procédure de consultation, de la présentation du plan de sauvegarde de l’emploi et de son
contenu, d’autant plus que des subventions sont susceptibles d’être accordées. L’administration peut établir un constat de carence dans les 8 jours qui suivent sa première présentation ;
elle peut également proposer des mesures d’amélioration du plan social (art. L 321-7 Ct).
Le devoir d’information de l’employeur, établi déjà dans un règlement sur les fermetures
d’entreprises de 1923, repris dans la Loi de protection contre les licenciements de 1951 et renforcé par le droit européen (voir art. 2 de la Directive 98/59/CE), existe également en Alle magne (articles 17 et suivants de la Loi de protection contre des licenciements). Selon l’article 17 de la loi, l’employeur doit informer l’Arbeitsamt, à savoir l’agence pour l’emploi, de
sa volonté de licencier et doit lui communiquer les motifs des licenciements, le nombre et la
catégorie des travailleurs licenciés, le nombre et la catégorie des salariés de l’entreprise, le
délai prévu pour les licenciements, les critères retenus pour calculer les indemnités de licenciement, ainsi que la copie du document qu’il aura fait parvenir au comité d’établissement.
De plus, le droit allemand attribue dans l’article 112 al.2 BetrVG à l’administration du travail
une fonction de médiateur sur demande de l’employeur ou du comité d’établissement en cas
d’échec des négociations sur une compensation des intérêts ou sur un plan social. Une telle
médiation n’est toutefois que rarement utilisée en pratique. Par contre, le rôle de l’administration du travail pendant l’élaboration d’un plan social est devenu ces derniers temps plus
important, grâce à la possibilité d’attribuer des subventions au cas où le plan social en cause
prévoit des mesures de formation ou de transfert de l’emploi, ce qui rapproche la situation
allemande de la situation française.
IV
Le rôle du juge dans l’élaboration et la mise en œuvre des
mesures accompagnant des licenciements collectifs
Les interventions des juges en France et en Allemagne concernant les mesures d’accompagnement des licenciements collectifs se concentrent sur des aspects différents : soit elles font respecter l’obligation de mise en œuvre (IV 1), soit elles garantissent une procédure équilibrée
d’élaboration de ces mesures (IV 2), soit encore elles exercent un contrôle du contenu des mesures prises (IV 3), soit enfin elles assurent une exécution correcte des mesures prévues (IV 4).
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1 – Faire respecter l’obligation de mise en œuvre des mesures
Les juges, en France ainsi qu’en Allemagne, sont assez souvent confrontés à la question de
savoir s’il y a – ou s’il y avait – l’obligation de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement des licenciements. En France, l’employeur refuse d’établir un plan de sauvegarde de
l’emploi, en Allemagne, l’employeur ne négocie pas une compensation des intérêts ou un plan
social, tous les deux arguant de la non-existence des conditions nécessaires (nombre de licenciements, seuil d’effectif, etc.) pour mettre en place des mesures d’accompagnement. On peut
constater que la jurisprudence dans les deux pays tend à retenir, dans le doute, les conditions
d’une telle obligation, en assimilant par exemple les départs « volontaires » aux licenciements
ou en incluant certaines catégories de salariés dans le total des effectifs pour atteindre le seuil
d’application.
De même, les juges dans les deux pays empêchent que les licenciements collectifs soient notifiés sans que l’employeur se soit acquitté de ses obligations de mettre en place (en France) ou
de négocier (en Allemagne) des mesures d’accompagnement des licenciements projetés.
Ainsi, la jurisprudence dans les deux pays donne aux représentants des salariés (toutefois, en
Allemagne, pas aux syndicats) la possibilité de demander en référé la suspension de la procédure de licenciements : elle ne doit pas se poursuivre avant que l’employeur (en France) ait
rempli son obligation (éventuellement contestée par celui-ci) d’établir un plan de sauvegarde
de l’emploi ou avant que l’employeur (en Allemagne) ait sérieusement négocié une compensation des intérêts – au pire, pour lui, dans le cadre d’un comité d’arbitrage. Par contre, négocier et conclure un plan social n’est pas une condition préalable du licenciement en Allemagne.
En ce qui concerne le salarié individuel, celui-ci ne peut invoquer devant les tribunaux le nonrespect des obligations de l’employeur que dans le cadre d’un procès qu’il intente après la
notification du licenciement. Ici, les sanctions civiles contre l’employeur défaillant sont assez
différentes en Allemagne et en France. Tandis qu’en France, le salarié – au lieu de demander
des dommages et intérêts – peut réclamer sa réintégration en évoquant la nullité du licenciement résultant de l’absence du plan de sauvegarde de l’emploi, en Allemagne, le salarié ne
peut demander que des indemnités et des dommages et intérêts si l’employeur n’a pas négocié
sérieusement une compensation des intérêts (§ 113 al. 3 BetrVG).
2 . Garantir une procédure équilibrée d’élaboration
Quant à l’élaboration des mesures d’accompagnement des licenciements collectifs, une distinction essentielle existe entre le droit allemand et le droit français. Elle réside dans le fait
que le droit français envisage le plan de sauvegarde de l’emploi comme un acte unilatéral de
l’employeur à destination collective, alors qu’en Allemagne, il s’agit d’actes collectifs
négociés.
En France , même si l’employeur reste seul responsable du contenu du plan de sauvegarde de
l’emploi qu’il établit, les règles procédurales d’information (de l’administration de travail –
L 321-7 Ct) et de consultation (du comité d’entreprise – L 321-4-1 Ct) aménagent une concertation entre les différents acteurs pour aboutir à une conciliation des intérêts. Du côté salarié,
on attache beaucoup d’attention à ce que ces règles soient bien respectées.
Au civil, un non-respect des règles de la procédure peut entraîner soit la suspension du processus de licenciement, prononcée sur demande du comité d’entreprise ou d’un syndicat
représentatif par le TGI, soit le versement d’une indemnité au salarié licencié, imposé à
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l’employeur par le Conseil de prud’hommes. Par contre il n’entraîne pas la nullité des licenciements, ce qui fonderait un droit à la réintégration.
La sanction judiciaire du non-respect de la procédure de consultation des représentants du personnel peut être aussi pénale, quand un délit d’entrave aux fonctions d’élus du personnel est
établi.
En Allemagne, l’élaboration des mesures d’accompagnement des licenciements collectifs est
moins formalisée. Elle est soumise aux négociations entre l’employeur et le conseil d’établissement.
Le juge – à condition qu’il soit saisi – peut intervenir en tant que garant du bon déroulement
de ces négociations, notamment en assurant le respect de l’équilibre entre les parties à la
négociation. Ainsi, le juge peut faire respecter l’obligation d’information pesant sur l’employeur, notamment celle de fournir les documents contenant les chiffres d’affaires de l’établissement. De même, surtout sur décision judiciaire en référé, un expert comptable peut être
désigné pour participer aux délibérations du comité d’arbitrage.
Si les négociations sur la compensation des intérêts et sur le plan social échouent, c’est l’arbitrage qui s’impose. Si l’employeur et le conseil d’établissement ne se mettent pas d’accord sur
l’installation et la composition du comité d’arbitrage (surtout sur la personne du président
« neutre »), le tribunal du travail en décide sur demande.
Dans le cadre d’un litige individuel intenté par le salarié licencié, un non-respect des
obligations d’information soit de l’administration de travail soit du conseil d’établissement ne
donne pas droit à des dommages et intérêts, mais peut entraîner la nullité du licenciement, par
conséquence la réintégration comme seule sanction.
En Allemagne, le juge pénal n’intervient presque jamais dans le processus d’élaboration des
mesures d’accompagnement des licenciements collectifs, même si le § 121 BetrVG prévoit
une contravention en cas de manque d’information du conseil d’établissement selon le § 111
BetrVG.
3 – Entreprendre un contrôle du contenu des mesures
Le contrôle judiciaire du contenu des mesures d’accompagnement des licenciements collectifs
s’effectue dans des contextes différents en France (3.1) et en Allemagne (3.2).
3.1 – Il faut se rappeler (voir III) qu’en France, il existe sur le contenu du plan de sauvegarde
de l’emploi, d’une part un contrôle de l’administration du travail à qui le plan doit être communiqué et qui peut dresser, en cas d’insuffisance, un constat de carence, et, d’autre part,
celui exercé, en raison de son rôle consultatif, par le comité d’entreprise qui peut s’exprimer
sur son éventuelle insuffisance et saisir le juge pour la faire constater.
– Le constat d’insuffisance de ce plan peut déboucher sur deux types de conséquences :
il peut d’abord conduire à une remise en cause de la procédure de licenciement collectif,
consistant à la mettre à néant en l’annulant pour cause d’insuffisance du plan ;
il peut ensuite conduire à une remise en cause des licenciements individuels qui en sont la
suite en faisant perdre à ces licenciements leur validité, puisqu’un licenciement non précédé par un plan de sauvegarde de l’emploi suffisant est un licenciement nul.
– Le juge peut être saisi, aux fins de contrôle du plan, soit par des institutions représentatives
qui ont un intérêt à le faire déclarer insuffisant, telles le comité d’entreprise qui doit être
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informé et consulté ou un syndicat porteur de l’intérêt collectif des salariés, soit par un
salarié individuellement, qui a un intérêt certain et un droit propre à faire juger nul le
licenciement à son égard faute de plan préalable, suffisant.
– Les modèles procéduraux à suivre sont divers. Le juge peut statuer soit comme juge du
fond, après débats approfondis, soit comme juge des référés, après débats accélérés dont il
ressort ou non une insuffisance de plan tellement évidente qu’elle constitue un trouble manifestement illicite.
Les paramètres et l’intensité du contrôle judiciaire du plan ont pour guide les dispositions de
l’article L 321-4-1 Ct qui fixe d’abord les buts du plan : éviter les licenciements ou en limiter le
nombre et faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourraient être évité. La
poursuite de ces buts met à la charge de l’employeur une « obligation de moyens renforcée ».
En contrôlant ainsi le contenu du plan, la jurisprudence paraît s’articuler autour d’une triple sauvegarde : celle de l’explicatif (a), celle du concret (b) et celle du raisonnable (c).
a – Le plan doit renseigner clairement sur les licenciements envisagés car cela est nécessaire à
l’appréciation des mesures d’accompagnement. Il doit rendre le « train » de licenciement
lisible et il doit expliquer son importance.
La lisibilité du processus de licenciement oblige à énoncer au comité d’entreprise le nombre
des licenciements et à donner des indications suffisantes sur les emplois concernés. Cela
oblige, si le nombre de licenciements envisagés varie, à informer de nouveau le comité. L’ampleur du sinistre doit être précisée pour que puissent être appréciés ou critiqués les remèdes.
L’importance des licenciements doit être expliquée au regard de ce qui permet ou non de les
éviter, et qui concerne les capacités de reclassement de l’entreprise ou du groupe auquel elle
appartient. Ainsi, le plan doit préciser le nombre et la nature des postes de reclassement éventuellement offerts, en donnant toute précision sur leur contenu aux fins d’appréciation de leur
aptitude à servir de cadre à un reclassement.
b – Les arrêts de la Cour de Cassation reprennent les qualitatifs de « concrètes » et « précises » pour caractériser les mesures que doit contenir le plan. Ces qualificatifs s’appliquent
d’une part aux mesures de reclassement et, d’autre part, aux autres mesures.
Le reclassement doit dépasser la simple velléité, et les mesures tendant seulement à faciliter la
recherche d’emploi des salariés ne sont pas suffisantes. Elles doivent témoigner, au moyen
d’indications précises, d’une vraie recherche de reclassement de la part de l’entreprise.
Les autres mesures concernent essentiellement les aides à la formation présumées favorables à
une adaptation à de nouveaux emplois et la réduction de la durée du travail présumée propice
à la préservation de certains emplois.
c – En sauvegardant le « raisonnable », il s’agit de prendre en compte les moyens de l’employeur sans exigences excessives et d’assurer un minimum d’équité entre salariés.
La prise en compte des moyens de l’entreprise se fait en considération de son importance ou
de celle du groupe, ou encore de l’unité économique et sociale à laquelle elle appartient. Ces
deux notions sont mentionnées au dernier alinéa de l’article L 321-4-1 Ct dans sa rédaction
découlant de la loi du 17 janvier 2002.
S’agissant de la garantie de l’égalité entre salariés concernés, le plan doit se garder de toutes
mesures discriminatoires entre les personnes dont le licenciement est envisagé.
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3.2 – En Allemagne , le contexte du contrôle judiciaire du contenu des mesures d’accompagnement des licenciements collectifs, de même que le but du contrôle, ses paramètres et son
intensité sont assez différents.
D’abord, il y a pratiquement absence d’un contrôle de la part de l’administration de travail,
sauf s’il y a la volonté du côté des deux partenaires sociaux de l’établissement de stipuler dans
le plan social des dispositions prévoyant le reclassement et le transfert d’emploi et de toucher
pour cette raison des subventions étatiques. Ensuite, il y a une association forte de la représentation du personnel à l’élaboration des mesures d’accompagnement des licenciements :
pour établir une compensation des intérêts et un plan social, il faut rechercher le consensus du
conseil d’établissement. Si c’est le cas, le contrôle judiciaire du contenu des mesures convenues se restreint par respect des prérogatives des partenaires sociaux : seule la conformité des
accords avec la loi peut être mise en cause, notamment la conformité avec le principe de
l’égalité de traitement.
Ces contentieux à l’égard du contenu d’une compensation des intérêts sont rares ; il faut que
l’employeur y négocie, mais sans obligation de résultat ; une fois établie, la compensation des
intérêts ne crée ni d’effet normatif ni d’obligation contractuelle. Seulement au cas où l’employeur ne respecte pas son engagement dans une compensation des intérêts sans motif grave,
le salarié peut réclamer devant le juge des indemnités et des dommages et intérêts (voir III).
Les plans sociaux, par contre, suscitent plus souvent des litiges. Ces mesures ont les effets
juridiques d’un accord collectif, et – prévoyant en première ligne des bénéfices pécuniaires
pour les salariés – ils comprennent assez souvent des règles d’exclusion comme les suivantes :
– pas d’indemnité pour les salariés qui n’ont pas accepté un poste alternatif raisonnable ;
– pas d’indemnité pour les salariés qui ont procédé à une rupture amiable de leur contrat de
travail ;
– pas d’indemnité pour les salariés qui peuvent immédiatement toucher des prestations de
retraite ;
– le plan social est mis en vigueur rétroactivement, les salariés ayant quitté l’entreprise avant
la date fixée ne bénéficient pas de l’indemnité, même dans le cas d’un licenciement pour
cause économique.
Dans tous ces cas, le juge va examiner – sur demande du salarié exclu – si son exclusion est
conforme au principe de l’égalité de traitement. Mais il lui faut tenir compte d’une marge
d’appréciation dont disposent les partenaires sociaux au niveau de l’entreprise, à savoir l’employeur et le conseil d’établissement, ou – à défaut d’un consensus – du comité d’arbitrage.
Ceux-ci peuvent apprécier librement ce qu’ils veulent régler, c'est-à-dire quels désavantages
pour quel groupe de salariés devraient être compensés, et de quelle manière. Le principe
d’égalité de traitement interdit seulement l’exclusion des salariés ou des groupes de salariés
de certains bénéfices, sans raisons objectives, et de façon arbitraire.
Le juge va ainsi forger une décision en respectant la latitude d’appréciation des partenaires
internes dans l’entreprise. Sa réticence résulte du fait que le plan social est un accord négocié
entre deux parties qui se trouvent, en considération du droit à la cogestion, au même niveau.
Au cas où un plan social est imposé par décision du comité d’arbitrage, le contrôle judiciaire
peut s’étendre à l’équité des dispositions. Le comité d’arbitrage doit tenir compte de la situation sociale des salariés concernés par les licenciements ainsi que de la faisabilité économique
pour l’établissement. Pour ce faire, la loi prévoit un catalogue de paramètres sociaux et économiques à prendre en compte lors des délibérations du comité d’arbitrage sur le contenu du
plan social (§ 112 al.5 BetrVG).
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Dans ce cadre, le juge peut être saisi pour contrôler si ces paramètres ont été suffisamment
respectés – si non, il y aurait annulation du plan social. L’employeur peut par exemple faire
valoir un excès de pouvoir du comité d’arbitrage concernant le volume financier du plan
social, c’est à dire la somme totale des indemnités (qui peut quelquefois atteindre des millions
d’euros). Il peut y avoir eu excès de pouvoir du comité d’arbitrage si celui-ci n’a pas respecté
la situation et les possibilités économiques de l’entreprise. C’est pourquoi les juges vont examiner les faits (voire les chiffres d’affaires) et les principes que le comité d’arbitrage a pris
pour base de sa décision. Mais les juges ne vont pas remplacer l’appréciation du comité par
leurs propres estimations. C’est une des raisons pour lesquelles l’annulation d’une décision du
comité d’arbitrage est assez rare.
4 – Assurer l’exécution des mesures
Dans les deux pays, les juges sont également impliqués dans l’exécution des mesures d’accompagnement des licenciements collectifs.
En France , c’est d’abord le comité d’entreprise qui peut faire appel à des experts ou mettre
en place une commission de suivi du plan. La Loi de modernisation sociale a également aménagé des modalités particulières pour le suivi du plan (art. L 321-4 dernier alinéa Ct), prévoyant pour l’essentiel une consultation « régulière et approfondie » du comité d’entreprise et
une association de l’administration de travail.
Le juge intervient dès le moment où un salarié concerné évoque le non-respect du plan de sauvegarde de l’emploi devant les tribunaux, notamment une violation de l’obligation de le reclasser. En ce cas, le juge peut prononcer l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
et fixer le montant de l’indemnité à verser au salarié concerné.
Enfin, le plan de sauvegarde de l’emploi, en tant qu’engagement unilatéral de l’employeur,
peut être source de responsabilité pour ce dernier, s’il ne respecte pas les obligations souscrites au bénéfice des salariés licenciés. Ainsi, lorsqu’il prévoit en faveur des salariés des
avantages financiers (indemnités, primes, etc.), l’employeur est tenu à une obligation de renseignement et d’information (sur les questions d’exonération d’impôts ou de cotisations sociales, par exemple), ce qui engagera sa responsabilité civile si les renseignements fournis
sont incomplets ou erronés. De même, lorsque l’employeur s’engage dans le plan à aider, conseiller ou assister le salarié dont le contrat est rompu pour lui permettre de s’établir à son
compte dans l’exercice d’une nouvelle activité professionnelle après son départ de l’entreprise, il sera tenu de réparer en tout ou partie le préjudice causé au salarié par suite d’une
négligence ou d’une carence dans la mise en œuvre des concours promis, dès lors que ce manquement aura contribué aux difficultés ensuite rencontrées dans ce reclassement extérieur.
En Allemagne , le plan social se déroule et prend fin selon les modalités fixées par l’accord
d’établissement. Les plans sociaux sont généralement d’une durée déterminée pour pouvoir
tenir compte des changements dans la situation économique. Le plan social ne peut être
dénoncé que s’il existe une raison importante (« wichtiger Grund ») et que les salariés licenciés n’ont pas encore bénéficié de mesures du plan social. Il peut en principe être modifié par
un nouvel accord d’établissement.
Souvent, une commission paritaire (employeur/salarié) est installée pour poursuivre l’exécution d’un plan social et pour régler d’éventuelles divergences d’opinion. Le juge intervient si
de tels différends d’interprétation ne sont pas surmontables, notamment concernant des questions sur le champ d’application du plan social ou sur le montant d’une indemnité individuelle. Le plan social en tant qu’accord d’établissement permet au salarié en cause de faire
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valoir directement ses droits. Ainsi, le salarié peut aussitôt exiger devant le juge le paiement
de l'indemnité en se référant soit au texte du plan soit au principe d’égalité.
Mais la non-exécution du plan social ne met pas en cause la validité des licenciements prononcés entre-temps.
V
Synthèse et regard vers l’avenir
C’est autour de trois points charnières que nous considérons comme les plus significatifs dans
cette comparaison que nous résumerons nos réflexions en proposant quelques regards sur les
évolutions possibles dans l’avenir.
1 – Moment et intensité du contrôle judiciaire en France et en Allemagne
En Allemagne ainsi qu’en France, les mesures à établir en vue d’accompagner des licenciements collectifs pour motif économique se présentent comme des contrepoids à la faculté de
licencier. Elles obligent l’employeur, s’il veut exercer sa faculté de licencier, d’une part à se
prêter à une procédure préalable garantissant un débat avec possibilités de remise en cause de
sa décision et, d’autre part, à imaginer et accorder des moyens qui pourraient atténuer ou compenser cette décision.
Dans les deux pays, le rôle des juges qui surveillent l’exécution de cette obligation ne se restreint pas aux contentieux individuels intentés par chaque salarié après la notification des
licenciements ; le juge peut déjà intervenir en amont, sur demande de la représentation du personnel, pour éventuellement arrêter le processus de licenciement. En assurant cette fonction,
le juge se retrouve au centre de la régulation des rapports sociaux collectifs, souvent tendus et
sensibles ; la tâche du juge est délicate par ses implications et particulièrement exigeante en ce
qui concerne ses capacités (savoir économique, comptable …).
Cependant, ces ressemblances relatives au pouvoir du juge en France et en Allemagne ne
doivent pas faire oublier un certain nombre de différences. En amont des notifications des
licenciements collectifs, le juge allemand assure seulement le déroulement correct et équilibré
des négociations ; même après la notification des licenciements, un contrôle judiciaire du
contenu du résultat de ces négociations se restreint à l’application du principe d’égalité, sauf
en cas de décision prise par un comité d’arbitrage où s’inscrivent davantage de paramètres.
C’est le respect de l’autonomie des partenaires sociaux dans l’établissement et dans l’entreprise qui fait reculer le contrôle judiciaire en Allemagne.
Le rôle du juge français dans le processus des licenciements collectifs semble, par rapport à
son homologue allemand, plus important : il intervient dès l’amont – et non pas seulement en
aval dans le cadre d’un contentieux individuel quand il s’agit de trancher la question de savoir
si le licenciement n’a pas d’effet en raison d’un plan de sauvegarde de l’emploi insuffisant – ;
mais il examine aussi en amont si le plan est cohérent, concret et précis et s’il correspond aux
moyens d’entreprise.
Mais la jurisprudence française refuse pour l’instant d’aller plus loin : un contrôle en amont
du caractère économique de la cause des licenciements envisagés dans le plan contesté est exclu ; il est réservé aux contentieux individuels en aval. Ainsi, on se demande s’il y a un gardefou suffisant contre des plans qui poursuivent des fins purement gestionnaires en exagérant
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par exemple le nombre des licenciements prétendument nécessaires ou en facilitant des
restructurations sans cause économique. En Allemagne, c’est en fait le montant des indemnités, fixé par la codécision obligatoire de l’employeur et du conseil d’établissement dans le
cadre du plan social, qui amène l’employeur assez souvent à restreindre son projet de licenciements collectifs.
Les divergences évoquées démontrent que la question du moment et de l’intensité du contrôle
judiciaire des mesures d’accompagnement des licenciements collectifs devrait être résolue
différemment dans chaque pays en tenant compte du système spécifique des relations professionnelles. Tant que la question n’est pas réglée clairement par le législateur national, il est de
l’office du juge de décider quand, de quelle façon et avec quels paramètres il intervient pour
faire valoir et rendre effectif des mesures d’accompagnement. Celles-ci ne devraient pas seulement garantir un déroulement paisible des licenciements collectifs et servir d’instrument de
gestion et de légitimation des décisions de l’employeur, mais avant tout effectuer – comme
prévu dans le deuxième considérant de la Directive 98/59/EC – une protection des salariés et
un certain « rééquilibrage » de l’inégalité présumée du rapport du travail.
2 – La revalorisation du rôle des représentants du personnel et son impact sur le rôle du juge
La tendance à revaloriser le rôle des représentants du personnel dans le processus d’établissement des mesures d’accompagnement des licenciements collectifs est nettement visible dans
les deux pays et correspond ainsi aux intentions de la Directive 98/59/EC. Cette tendance implique un recul du contrôle judiciaire plus ou moins important et parfois expressément reconnu : les mesures qui ont été approuvées par la représentation du personnel prétendent être
suffisamment équilibrées et protectrices pour les salariés. Cette appréciation (douteuse) peut
se manifester déjà dans la loi – au titre d’une présomption par exemple. Ainsi, un projet de
réforme de loi en Allemagne entend établir encore une fois (comme sous le gouvernement
Kohl) une règle selon laquelle la désignation nominative de certains salariés à licencier collectivement dans un accord de compensation des intérêts entraîne la présomption simple qu’il y
avait des raisons économiques suffisantes pour chaque licenciement et que l’ordre de licenciement a été respecté. Une telle présomption allégerait le contrôle judiciaire dans le cadre des
contentieux individuels.
De même, dans le modèle français donnant au comité d’entreprise un rôle de concertationcontestation dans le processus d’établissement des mesures d’accompagnement des licenciements collectifs, se pose la question d’une prédominance des actions de la représentation du
personnel sur les actions individuelles des salariés concernés : un plan de sauvegarde de l’emploi approuvé dans son contenu soit par l’institution représentative soit par le tribunal dans le
cadre d’un litige collectif à l’initiative de cette institution, doit-il rester exposé à une critique
émanant, après la notification du licenciement, d’un salarié licencié ?
La réponse à de telles questions impliquerait une option de fond, d’une part sur la nature et
sur les pouvoirs de la représentation des salariés, d’autre part, sur le pouvoir du juge et la
portée d’un contrôle judiciaire.
3 – Le juge face aux exigences du marché de travail
Le reclassement interne et externe est le contenu essentiel du plan de sauvegarde de l’emploi
en France. En assurant l’établissement et l’exécution d’un plan suffisant, les juges français
agissent d’une façon indirecte aussi dans l’intérêt de l’Etat qui entend empêcher un accroissement du chômage.
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Cet aspect du rôle du juge reste pour l’instant secondaire au sein des tâches du juge du travail
allemand, dans le cadre des licenciements collectifs. Parfois, en assurant l’exécution d’un plan
social, il a à décider si les modifications d’un contrat de travail, prévues dans un plan social,
sont acceptables ou non pour un salarié, avec la conséquence éventuelle qu’un refus du salarié
entraîne la perte des indemnités . Mais en principe, le juge allemand (sauf en cas de contrôle
d’un plan social issu d’un comité d’arbitrage) n’a pas à vérifier si une compensation des intérêts ou/et un plan social prévoit suffisamment de mesures de reclassement.
Il est vrai que – à ce point on peut constater une convergence des lois dans les deux pays –
quelques réformes du droit du travail et du droit de la sécurité sociale en Allemagne ont renforcé l’idée de reclassement. Mais ces reformes n’ont pas conduit à une préférence d’un
« plan social de transfert » (c’est à dire de reclassement externe) en Allemagne. Plusieurs dis positions assurent (encore ?) la mission classique du plan social d’être un moyen d’indemnisation des ruptures des contrats de travail, indemnisations qui ne sont pas prévues par ailleurs
dans la loi de protection contre les licenciements en Allemagne. Et, dans la pratique, la
plupart des plans sociaux se concentrent sur la question de l’indemnisation des salariés licenciés. Apparemment, ces salariés – et avec eux, leurs représentants élus – se méfient des perspectives données par un plan social en tant qu’instrument de reclassement : les mesures de
reclassement pourraient s’étaler sur quelques mois ou même plus, et leurs résultats ne
semblent pas être assez sûrs, tandis qu’une indemnité peut être touchée immédiatement sans
empêcher les salariés de chercher un nouvel emploi de leur propre chef.
Eu égard à la crise économique, à l’accroissement du chômage et à la pénurie des finances
publiques, un autre renforcement du principe de reclassement sur le champ des compensations
des intérêts et des plans sociaux est bien probable en Allemagne. Une telle évolution peut
avoir comme résultat, entre autres, une extension du contrôle judiciaire, semblable à celui
existant en France. Mais elle risque de se heurter aux attitudes et aux attentes des salariés décrites au-dessus, et de restreindre l’autonomie des partenaires sociaux dans l’entreprise.
Septembre 2003
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