103 LA POLITIQUE DE CONTROLE FISCAL AU MAROC Mohamed

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103 LA POLITIQUE DE CONTROLE FISCAL AU MAROC Mohamed
La politique de contrôle fiscal au Maroc
LA POLITIQUE DE CONTROLE FISCAL
AU MAROC
Mohamed SBIHI
Professeur à la Faculté
de Rabat-Agdal
L’adoption récente par le Maroc du livre des procédures
fiscales en 2005, qui regroupe en un document unique toutes les
règles procédurales et du livre d’assiette et de recouvrement en 2006,
qui intègre dans un seul document les règles applicables en matière
d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur
ajoutée et de droits d’enregistrement et de timbre vise à mettre en
place un système de contrôle fiscal efficient et efficace en mesure de
garantir les droits des contribuables.
Ce système de contrôle a pour objectif:
- mobiliser le maximum de ressources financières ;
- lutter contre les pratiques frauduleuses ;
- développer le civisme fiscal ;
- assurer l’équité fiscale.
Ces objectifs justifient l’étendue des prérogatives accordées à
l’administration.
Cependant l’exercice de ces prérogatives se heurte à de nombreux
obstacles d’ordre juridique et technique qui ne peuvent être surmontés
que par une mise à niveau du contrôle fiscal en vigueur.
Nous tenterons d’analyser ces questions à travers trois axes :
I – Les prérogatives de l’administration fiscale et leurs limites
II – Les contraintes du contrôle fiscal
III– La mise à niveau du contrôle fiscal et la protection des droits du
contribuable.
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I – LES PREROGATIVES DE L’ADMINISTRATION FISCALE
ET LEURS LIMITES
Le système déclaratif a pour corollaire l’attribution à
l’administration fiscale de pouvoirs de contrôle très étendus.
A ce titre l’administration procède à la vérification des déclarations
des contribuables par le biais de rapprochement et de recoupements
d’informations. Elle peut demander par écrit des renseignements, des
éclaircissements et des justifications qui amèneraient le contribuable à
porter la preuve de la réalité des allégations de l’administration.
A - Le droit de communication
L’administration fiscale est en droit de demander
communication (original ou reproduction sur support magnétique) :
- de documents de service ou documents comptables détenus par
les administrations de l'Etat, les collectivités locales, les
établissements publics et les entreprises privées (copies de
factures, décomptes, mémoires concernant les marchés de
l’Etat réglés par les comptables publics) ;
- des informations relatives aux rémunérations allouées à des
tiers, aux honoraires versés (déclaration par les tiers).
L’opposition au droit de communication est passible de
l’amende de 2000 DH sauf en matière d’impôt sur le revenu où ce
montant varie de 500 à 2000 DH et d’une astreinte de 100 DH par
jour de retard.
La Brigade de Recherche et de Recoupement (BRR) constitue
la principale entité administrative chargée de la collecte et du
recoupement systématique de tous les renseignements et de la mise en
œuvre du droit de communication auprès des tiers.
Un programme annuel de recoupement est mis en exécution
par cette Brigade. Cependant, son action reste limitée par plusieurs
facteurs:
-La taille de l’entreprise rend difficile la collecte des
renseignements auprès des clients tellement éparpillés sur l’ensemble
du territoire,
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-La formulation d’une demande écrite, pour exercer le droit de
communication, est une condition susceptible de compromettre les
résultats des recherches ;
-Le caractère restrictif des renseignements, ou documents à
communiquer, (notamment pour les professions libérales), puisque
ces renseignements se limitent à ceux qui sont en relation avec les
activités imposables des clients. Le droit de communication ne peut
porter sur la communication globale du dossier ;
-Le secret professionnel et les autres secrets protégés par la loi,
(notamment le secret des procédures engagées devant les juridictions),
limitent l’exercice du droit de communication ;
-Limitation des investigations auprès des banques aux cas « les
plus intéressants » (en particulier les fraudeurs notoires) ;
-Le droit de communication ne peut porter sur les documents
internes de l’entreprise (rapports des commissaires aux comptes,
rapports d’audit interne et externe …), il ne peut porter que sur les
livres et documents dont la tenue est rendue obligatoire par les textes.
Les réalisations des programmes de recoupement pris en
charge par la Brigade de Recherche et de Recoupement restent très
relatives. Les taux de satisfaction des demandes adressées par cette
Brigade au secteur privé dans le cadre du droit de communication ne
dépassent guère les 25% comme moyenne.
En 2003 sur un total de 4 080 demandes de renseignements
envoyées, la BRR n’a reçu que 960 réponses, soit un taux de
satisfaction 23.52%
Le tableau suivant montre les limites de l’action de
recoupement entreprise par la brigade dans le cadre de l’exercice de
son programme auprès de secteur privé.
Années
2003
Nombre de demandes
envoyées
4080
Nombre de réponses
reçues
960
2004
3384
406
23.52
10.19
2005
5585
1028
22.42
Source : rapports d’activités de la BRR - 2005
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%
La politique de contrôle fiscal au Maroc
Il semble que les secteurs d’activités qui revendiquent des
traitements de faveur sont ceux qui coopèrent le moins avec
l’administration lors de l’exercice du droit de communication, le taux
de satisfaction moyen par secteur, au titre des années 2000, 2003, est
le suivant :
-Textile
37.59 %
- Banques
32.78 %
- Hôtelleries
24.44 %
- Pétrole
16.93 %
- Minoteries
16.70 %.
B - La vérification de comptabilité
Les inspecteurs vérifient la régularité de la comptabilité et la
sincérité des écritures comptables.
Si la comptabilité est informatisée, le contrôle porte sur
l’ensemble des informations, données et traitements informatiques.
L’inspecteur ne peut rejeter la comptabilité, que s'il établit la
preuve des irrégularités suivantes:
- défaut de présentation d'une comptabilité conforme aux
dispositions législatives ;
- absence d'un ou plusieurs inventaires ;
- la dissimilation d'achats ou de ventes dont la preuve est établie
par l'administration ;
- erreurs, omissions ou inexactitudes graves et répétées
constatées dans la comptabilisation des opérations ;
- absence de pièces justificatives privant la comptabilité de toute
valeur probante ;
- non comptabilisation d'opérations effectuées par l’entreprise ;
- comptabilisation d’opérations fictives ;
Lorsque l’inspecteur constate des irrégularités, il notifie au
contribuable concerné les motifs de rejet et procède à la reconstitution
du chiffre d’affaires, d’après les éléments dont il dispose, selon une
procédure contradictoire.
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Cependant le pouvoir de vérification de comptabilité
comporte de nombreuses limites :
- Le vérificateur ne peut emporter les documents comptables
dans son bureau que sur autorisation expresse du redevable en
lui remettant un récépissé ;
- La durée de vérification, limitée à 6 mois, s’applique aux
petites et grandes entreprises, ce qui ne permet pas d’assurer
un équitable traitement et risque d’encourager la fraude
(précipitation du contrôle de données des grandes entreprises);
- Si la date du début du contrôle est connue, par le biais de l’avis
de vérification, la date de la fin du contrôle est ignorée, car
elle coïncide avec la date de la dernière intervention u
vérificateur ;
- En cas de rejet de la comptabilité, la décision doit être motivée
et les bases d’imposition sont arrêtées suivant la procédure
contradictoire.
C- L’examen de l’ensemble de la situation fiscale des
contribuables
L’examen de l’ensemble de la situation fiscale des
contribuables a été introduit par la Loi de Finances de 1993 pour faire
face aux difficultés de contrôle des déclarations des contribuables
personnes physiques, et pallier à l'insuffisance des moyens
d'informations relatifs aux reconstitutions des chiffres d’affaires des
entreprises individuelles et à l'évaluation du revenu global des
personnes physiques.
Ce contrôle a pour objet de vérifier la sincérité de la
déclaration du contribuable en confrontant le revenu global déclaré
avec les dépenses réelles et la situation fiscale de l’intéressé.
Lorsqu'il apparaît que le revenu global déclaré par le
contribuable au titre d'une période donnée ou d'après lequel il a été
imposé d'office, ne correspond pas à ses dépenses autres que
professionnelles, l'administration se base sur des indicateurs de
dépenses pour apprécier la sincérité de la déclaration et évaluer son
revenu global.
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Ces indicateurs de dépenses concernent:
-Les dépenses afférentes aux résidences ;
-Les frais de fonctionnement et d'entretien de véhicules ;
-Les loyers réels acquittés par le contribuable pour les locaux à
usage autre que professionnel ;
-Le montant annuel des remboursements des emprunts ;
-Les dépenses d'acquisition de véhicules ou d'immeubles non
destinés à usage professionnel;
-Les acquisitions de valeurs mobilières et immobilières.
Cependant, l’administration recourt peu à cette procédure, elle
demeure réticente parce qu'elle rencontre d’énormes difficultés à
disposer des informations fiables sur les éléments du train de vie du
contribuable et du patrimoine, tant que la loi sur la déclaration du
patrimoine n’a pas vu le jour.
D - La procédure de taxation d’office
La taxation d’office intervient dans les cas suivants :
- En cas de retard, ou à défaut de déclaration du résultat fiscal,
ou du revenu global, ou de non versement de la retenue à la source,
l’administration invite le contribuable par lettre à déposer ou à
compléter sa déclaration dans un délai de 30 jours.
Si le contribuable ne dépose pas sa déclaration, une deuxième
lettre recommandée lui est adressée l’informant des bases d’évaluation
retenues par l’administration sur lesquelles il sera imposé d’office.
A défaut de réponse dans 30 jours, le contribuable est taxé
d’office sur les bases évaluées par l’administration sans notification
préalable.
- En cas de déclaration incomplète ou insuffisante qui dépasse
les délais impartis le contribuable est taxé d’office.
- A défaut de présentation de documents comptables, ou en
cas de refus de communication des documents, l’administration fiscale
adresse au contribuable une lettre l’invitant à se conformer aux
obligations légales dans un délai de15 jours, à défaut de réponse, un
délai supplémentaire est accordée de 15 jours,
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La politique de contrôle fiscal au Maroc
Si le contribuable ne présente pas de documents ou de
justifications, il est imposé d’office sans notification préalable.
E – La procédure de rectification des bases d’imposition
L’administration fiscale est en droit de procéder à la
rectification des bases d’imposition, des retenues à la source au titre
de l’impôt sur le revenu, des prix ou déclarations exprimés dans les
actes et conventions.
L’inspecteur chargé de la rectification notifie au
contribuable les motifs, la nature et le montant des redressements et
l’invite à produire ses observations dans un délai de 30 jours,
Si l’inspecteur considère les observations non fondées, il
notifie à l’intéressé, dans 60 jours, les motifs de son rejet et les
nouvelles bases d’imposition qui seront définitives tant que
l’intéressé ne saisit pas la Commission locale de taxation dans 30
jours.
Les attributions larges accordées par le législateur à
l’administration fiscale pour exercer son contrôle se trouvent réduites
sur le plan pratique en raison des contraintes auxquelles elles se
heurtent
II – LES CONTRAINTES DU CONTROLE FISCAL
De nombreuses contraintes pèsent sur l’exercice du contrôle
fiscal :
Les Contraintes d’ordre juridique et institutionnel
L’expérience a montré que depuis 1990 les vérificateurs
trouvent beaucoup de difficultés pour rejeter une comptabilité non
sincère et pouvoir reconstituer le chiffre d’affaires, car d’une part, les
contribuables veillent scrupuleusement à la régularité formelle de leur
écritures comptables bien que des transactions soient faites en noir,
d’autre part, la Commission Nationale de Recours Fiscal a qualifié, à
maintes reprises, les rejets de comptabilité par les vérificateurs
comme étant illégaux au motif qu’ils ne correspondent pas aux
dispositions qui régissent le pouvoir d’appréciation de
l’administration.
Les contraintes d’ordre technique et managérial.
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Ces contraintes ont trait à l'insuffisance de la couverture en
matière de contrôle et à l’insuffisance du personnel.
En 2002, le nombre des entreprises passibles d’un contrôle sur
place s’élève à 86 908 alors que le nombre des vérificateurs ne
dépasse pas 283.
Le nombre des vérifications ne dépasse pas 1200 dossiers par
an. La moyenne des dossiers vérifiés est égale à 4 dossiers par
vérificateur en 2002.
Un tel indicateur est loin de répondre aux objectifs attendus du
contrôle fiscal dans la perspective d’atteindre un indicateur de
performance allant de 6 à 12 vérifications par agents et pouvoir
toucher annuellement 25 à 30% des entreprises.
De telles insuffisances exigent un effort d’amélioration du
système de contrôle en vigueur.
III- LA MISE A NIVEAU DU CONTROLE FISCAL ET LA
PROTECTION DES DROITS DU CONTRIBUABLE
Plusieurs considérations justifient la mise à niveau du contrôle
fiscal:
- Clarification des objectifs du contrôle ;
- Amélioration de la gouvernance fiscale en termes de
transparence, de participation et de responsabilité ;
- Ciblage du contrôle en fonction des besoins, des catégories de
contribuables (entreprises suspectes), des secteurs d'activité,
du type d’impôts et de la période d’imposition ;
- Evaluation de la politique du contrôle.
La mise à niveau du contrôle fiscal comporte plusieurs volets
ayant trait aux aspects juridique, administratif, aux outils
d’investigation et aux garanties des contribuables.
A- La mise à niveau du dispositif juridique: l’extension du
champ d’application du droit de communication
La législation actuelle ne limite plus l’exercice du droit de
communication aux personnes « passibles des impôts directs », mais à
toute personne exerçant une activité passible des impôts, droit et
taxes ».
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Toutefois, cette formulation risque d’exclure du droit de
communication, certaines personnes qu’il convient de soumettre à
cette obligation, il s’agit notamment:
- des personnes exonérées de façon permanente des impôts ;
- des associations à but non lucratif ;
- des coopératives et de leurs unions;
- des représentations diplomatiques et consulaires étrangères
sises au Maroc.
Le droit de communication doit être d’une portée générale et
s’étendre à toutes personnes susceptibles de détenir des
renseignements.
Le droit de communication doit s’étendre également aux actes
et aux documents jusque là exclus, notamment:
- des rapports des commissaires aux comptes ;
- des rapports de gestion du conseil d’administration ou du
directoire des sociétés ;
- des éléments de suivi de la comptabilité matière ;
- des éléments de la comptabilité analytique ;
- des manuels de procédures comptables
- toute pièce interne de l’entreprise susceptible de mettre en
évidence des pratiques frauduleuses.
Pour permettre aux services de contrôle de disposer
d’informations et de renseignements, il convient de «contraindre» les
différents acteurs à coopérer avec le fisc en généralisant les sanctions
en cas de refus de communication aux administrations de l’Etat et aux
collectivités locales.
B- La mise à niveau de la gestion administrative
L’amélioration du contrôle est conditionnée par la pertinence
du choix des contribuables à programmer pour vérification, ainsi que
par le recours aux techniques et méthodes qu’offrent les nouvelles
technologies d’information et de communication.
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C - La mise en place de nouveaux outils d’investigation
- la généralisation du droit de visite et de saisie.
Le droit de visite appliqué uniquement en matière des droits de
douane et d’impôt des patentes, doit être étendu aux autres impôts.
L’exercice de ce droit doit être subordonné au consentement
expresse de la personne occupant les lieux.
- l’institution du droit de constatation.
Le droit de constatation, qui diffère du contrôle fiscal, lequel n’est
effectué qu’après avis notifié à l’entreprise, est susceptible de garantir
l’efficacité du contrôle.
C’est une procédure d’intervention inopinée que le projet de
loi de finances 2007 veut introduire en s’inspirant du droit d’enquête
en France
Le fisc peut débarquer à tout moment sans avis dans une
entreprise afin de s’assurer que les règles de facturation et de tenue de
la comptabilité sont scrupuleusement respectées
- le développement de relations contractuelles
La démarche contractuelle en matière d’échange et de
communication de renseignements entre l’administration fiscale et les
autres personnes publiques ou privées permet de lutter contre la fraude
d’élargir l’assiette, et d’améliorer le recouvrement.
D - L’amélioration des garanties du contribuable
Le système actuel comporte de nombreuses garanties.
L’administration engage un débat contradictoire avec le contribuable
en envoyant des notifications en deux temps. Ces notifications
mentionnent les motifs, la nature et les montants des redressements
envisagés.
Si le fisc est amené à rejeter une comptabilité, il doit
nécessairement exposer les causes du rejet.
Cependant pour compléter l’arsenal juridique en matière de
garanties du contribuable, de nouvelles mesures s’imposent, à savoir:
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-
-
-
-
-
La fixation d’un délai pour l’envoi de la notification
d’imposition après le contrôle. Dans le système en vigueur
aucune disposition ne fixe ce délai (notification valable pour 4
ans).
La fixation de la date de clôture du contrôle pour éviter tout
dépassement de durée légale par l’administration.
L’avis de vérification doit contenir des informations sur le
mode de déroulement du contrôle, sur sa durée et ses
conséquences, ainsi que sur les droits que le contribuable doit
faire prévaloir au cours de cette phase pour le préparer au
débat contradictoire. Cet avis ne doit pas être réduit à « un avis
de passage ».
La législation doit préciser la période au cours de laquelle le
droit de communication peut être exercé pour éviter de le faire
coïncider avec celle de la conservation de documents
comptables (10 ans).
L’urgence de l’institution de la déclaration du patrimoine pour
assurer
l’équité du traitement fiscal et protéger les
contribuables contre les abus de l’administration. (projet en
cours de discussion au parlement)
La pénalisation de la fraude fiscale doit être entourée de
garanties.
En conclusion, on peut nous demander si les objectifs
recherchés à travers le contrôle fiscal ont-ils été atteints avec une
fraude fiscale qui s’élève à 26% des recettes émises en matière de
TVA et de 42% de recettes en matière d’impôts sur les bénéfices (IGR
et I’S).
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