interventions du 30 mars
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30 mars 2008 : INTERVENTIONS DU PREMIER TEMPS La résurrection est au cœur du message de Paul. Au chapitre 24 verset 15, ne lit-on pas : " J’ai cette espérance en Dieu et eux aussi la partagent qu’il y aura une résurrection des justes et des injustes", et "Pourquoi juge-t-on incroyable parmi nous que Dieu ressuscite les morts ?" (26,8). Le Christ ressuscité s’est donné à voir. Il a parlé à Paul pour qu’il témoigne de ce qu’il a vu et entendu. Le premier fruit de la rencontre entre Jésus et Paul est sa conversion : "j’ai fait enchaîner et jeter en prison des hommes et des femmes (22), j’ai apporté mon suffrage quand on les mettait à mort". Le dévoilement du péché de Paul n’entraîne pas sa condamnation mais un changement de cap. Il croyait voir, il réalise son aveuglement, qu’il va vivre physiquement, et il recouvre la vue. Sans cette rencontre que serait devenu Paul ? Aurait-il continué à répandre la condamnation et la mort ? Notre actualité est pleine de récits de meurtres, de persécutions, combats fratricides (en ce moment entre les chiites d’Irak, ou entre les palestiniens, entre tibétains et chinois). Cette résurrection des justes et des injustes ne serait-elle pas, d’abord, le refus des classements en justes et injustes, puisque notre justice ne dépend pas de nous mais de la part que nous avons eue à la résurrection du Christ, part que nous recevons, mais dont nous ne sommes pas les auteurs ? Le refus du jugement entraîne le refus de la condamnation, des uns par les autres, sans pour autant tout niveler refuser de voir les différences, voire les oppositions. Brigitte Donzel Actes 26, 16-18 : "lève-toi et tiens-toi sur tes pieds, car si tu m’as vu, c’est que je te destine à être l’auxiliaire et le témoin de ce que tu as vu et de ce que tu verras quand je t’arracherai à ce peuple et à ces nations vers lesquels je t’envoie pour leur ouvrir les yeux". Fin de parcours. Nous avons lu ce récit de l’enfance de l’Eglise, comme il y a un évangile de l’enfance : un moment où s’enracine une existence, où germe une graine sans que l’on sache comment et sans que l’on sache les fruits qu’elle donnera. Cet après-midi encore il me faut tenter de retenir une phrase et la relier à l’actualité puisque notre conviction est que la bonne nouvelle s’annonce au présent. Ce n’est pas facile. Car l’actualité, ce sont moins ces faits divers dont nous sommes abreuvés que ce qui travaille les hommes et les femmes d’aujourd’hui et que discerner cela ne va pas de soi. Que puis-je prétendre voir ou avoir vu, entendre ou avoir entendu, qui puisse ouvrir les yeux des nations ? Je me sens écrasé par l’ampleur de la tâche. Et puis m’est offert dans Le Monde du 28 mars, à l’avantveille de notre rencontre d’aujourd’hui la carte blanche de Roger-Pol Droit Ce que peut un homme seul à propos de l’action Actes, chapitres 21 à 28 du Père Desbois pour garder la mémoire de "la Shoah par balles", l’extermination par les nazis d’un million et demi de juifs, assassinés au fusil et à la mitraillette, à la lisière des villages, sous les yeux de leurs voisins terrorisés ou complices. Le Père Desbois ne fait pas de grande phrase. Il pense, parle et agit juste car, comme l’écrivait Wladimir Jankelevitch, "il ne s’agit pas d’être sublime, il suffit d’être fidèle et sérieux" . Ce que peut un homme seul, c’est ramer à contre courant, découvrir de l’insoupçonnable, défaire des pesanteurs, créer dans le flux du monde d’infimes bifurcations qui peuvent, de proche en proche, en modifier de grandes parties. Il me semble que Paul n’a rien fait d’autre que d’être fidèle et sérieux. Que nous pouvons sûrement nous aussi nous tenir sur nos pieds et devenir témoins et acteurs, comme le Père Desbois, comme tant d’autres. En tout cas c’est ce que j’ai entendu ! Michel Donzel L’un des soucis constants pour un dirigeant est celui de maintenir l’ordre dans son pays. C’est une idée préoccupante pour le succès de laquelle un chef n’hésitera pas à mettre en œuvre de grands moyens. On peut se demander quelle est la nature de cet ordre établi et entretenu : une économie bien organisée, avec des rouages bien huilés, des "savoir-faire" divers et complémentaires, une activité bienfaitrice chez les citoyens et 1 une obéissance éclairée et volontaire aux lois ? Cette vision tient la plupart du temps de l’utopie. On constate souvent que l’ordre n’est là qu’en surface. L’apparente sérénité, l’absence de mouvement peut cacher bien des injustices, des frustrations, des privations et des brimades. Le citoyen fait l’éloge du "Prince" mais en réalité la peur le tenaille et fait de lui un sujet obéissant et passif et qui subit son destin. De son côté, le Prince est sujet à cette même peur : celle de voir s’installer des idées nouvelles conduisant à des récriminations et au soulèvement du peuple. Moins visible sous les fastes et l’autorité, elle n’en est pas moins réelle et dérangeante. Alors le pouvoir en place va scruter les résistances, les moindres protestations et mouvements, au besoin les rassemblements ; il va interdire la liberté d’expression parce que celle-ci serait susceptible de délivrer un message contraire au sien, parce qu’elle pourrait encourager les citoyens à penser par eux-mêmes ou à réclamer une meilleure justice en ce qui concerne leurs droits. Et pour cela il faut trouver un "bouc émissaire", un homme qui va endosser la responsabilité d’une émeute possible et qu’il faut à tout prix éliminer, lui et ses disciples. Sans enquête, sans preuve, sans avoir pris conseil, en se basant sur des rumeurs, on commence par "désigner" quelqu’un, puis à faire une interprétation fallacieuse de ses paroles, enfin à en prédire les conséquences funestes imminentes. Alors la "peur" s’installe dans le pays, et la lâcheté. Alors maintenant on est capable de s’unir… mais de s’unir contre quelqu’un. Il y a convergence des idées, pensée unique; la parole auparavant libératrice, celle qui ressuscitait les corps et les âmes, celle qui installait la fraternité ou la compassion, qui appelait la ferveur et la détermination, qui conduisait chacun vers sa réalisation la plus haute, est maintenant la cause de tous les échecs et désordres. La rumeur s’accroît, la calomnie enfle et il est trop tard pour empêcher la ruée sur le fauteur de troubles. C’est ce qui arrive à Paul (Actes 21, 28) : "Voici l’homme qui prêche partout et à tout le monde contre le peuple, contre la loi et contre ce lieu …" et encore (Actes 24, 5) : "Nous avons trouvé cet homme : c’est une peste, un homme qui excite des troubles parmi les Juifs dans le monde entier, un chef de la secte des Nazaréens, et qui même a tenté de profaner le temple…" Et maintenant, après avoir traversé des siècles de vindicte populaire et pleuré les victimes de tous les complots, nous voici au Tibet où, selon l’enchaînement décrit plus haut, le Dalaî- Lama vient d’être désigné comme responsable des émeutes sanglantes, lui le non-violent ! Mais juste avant Paul, à Qui faisons nous référence je vous le demande, quel est Celui qui, assumant à l’extrême le destin de tous les condamnés, encourant le châtiment suprême, devient la figure de l’"Agneau", de l’"Innocent", du Maître de toute consolation ? Viviane Eloffe Actes 18, 9-10 : "Une nuit, dans une vision, le Seigneur dit à Paul : sois sans crainte. Continue de parler, ne te tais pas. Car je suis avec toi, et personne ne mettra sur toi la main pour te faire du mal, parce que j’ai à moi un peuple nombreux dans cette ville". Après un voyage mouvementé, avec toutes sortes d’aventures et de tempêtes - de quoi déchaîner notre imaginaire ! -, Paul arrive enfin à Rome. Toujours en liberté surveillée, il invite des notables juifs à l’écouter et à débattre, mais "au moment de se séparer ils n’étaient toujours pas d’accord entre eux". Paul leur cite alors Isaïe : "Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas ; car ce peuple a le cœur endurci" (Actes 28, 26). Le chemin du dialogue et de la confiance est décidément bien long. Au Vatican, des fils se renouent pour préparer un Forum à l’automne prochain, avec cette fois-ci des responsables musulmans ; mais le baptême solennel d’un musulman converti, à Pâques, par le pape en personne, a été vécu comme une provocation, un geste triomphaliste, d’autant plus que le nouveau baptisé, journaliste, ne ménage pas l’Islam. Et pourtant, la semaine prochaine doit avoir lieu, toujours à Rome, le premier congrès mondial sur "la miséricorde* divine". Des Juifs, des musulmans et des bouddhistes devraient participer à ce congrès. Heureux les tolérants … et encore plus les miséricordieux ! Jean et Geneviève Guyon * miséricorde : la tendresse d’une mère pour son enfant. En hébreu, la racine "raham" (utérus) a donné "rahamin" (miséricordieux). Osée attribue à Dieu "des entrailles qui frémissent" (Osée 11, 8). 2 Les guerres de religions, les"guerres saintes", les Jihad, les croisades ont toujours eu la préférence des hommes (ou femmes…) politiques. La "der de der" était dans notre imaginaire collectif optimiste, les affrontements sanglants entre les catholiques et protestants en Irlande du Nord, terminés par des accords entre les deux parties. Les gens de "bonne volonté" ont poussé un ouf de soulagement, mais avant qu’ils aient pu reprendre leur souffle, les affrontements ont repris aux quatre coins du monde, les tueries des plus en plus sanglantes et de plus en plus banalisées par leur aspect quotidien. Aujourd’hui, le nombre de victimes en Irak, en Palestine, au Liban, au Tibet, et j’oublie à dessein l’Afrique… n’impressionnent plus personne, et même les présentateurs des journaux télévisés arrondissent le nombre des morts ou des blessés à la dizaine, voire à la centaine supérieure. Le moyen le plus sûr de prendre le pouvoir ou de faire triompher sa cause (plus ou moins juste aussi juste qu’une guerre peut être juste …) est devenu l’assassinat, le plus rentable étant l’assassinatsuicide ou collectif au nom d’une religion, car là le tueur sera payé plus tard et dans un autre monde. En lisant donc les nouvelles du jour ou en regardant la télévision, ma pensée revient aux Actes des Apôtres, chapitre 23, versets 1215, et je me dis qu’en plus de 2000 ans l’homme n’a pas beaucoup évolué : "Le jour venu, certains Juifs formèrent un complot et s’engagèrent par anathème à ne rien manger ni boire avant avoir tué Paul. Plus de quarante personnes participaient à cette conjuration. Ils allèrent trouver les grands prêtres et les anciens et leur dirent : nous nous sommes engagés par un serment solennel à ne rien prendre avant d’avoir tué Paul". Lucien Hornik merveilleusement les choses, j’y ai retrouvé, certes, la tempête et la mort, mais aussi la foi et l’espérance. J’ai donc envie de vous dire : si vous ne deviez lire qu’un livre dans l’année, lisez le prix Pulitzer 2008, "La Route de Mac Carthy". C’est la fin du monde et l’île promise. La Manche en hiver lorsque le vent souffle et qu’il semble que le jour est définitivement absent est un superbe lieu de méditation. C’est là que pensant à notre rencontre je lisais les Actes des Apôtres (27,18-25) : "Le lendemain, comme nous étions toujours violemment secoués par la tempête, on jetait du fret et, le troisième jour, de leurs propres mains les matelots affalèrent le gréement. Ni le soleil ni les étoiles ne se montraient depuis plusieurs jours ; la tempête, d’une violence peu commune, demeurait dangereuse : tout espoir d’être sauvés nous échappait désormais. On n’avait plus rien mangé depuis longtemps, quand Paul, debout au milieu d’eux, leur dit : "vous voyez, mes amis, il aurait fallu suivre mon conseil, ne pas quitter la Crète et faire ainsi économie de ces dommages et de ces pertes. Mais, à présent, je vous invite à garder courage : car aucun d’entre vous n’y laissera la vie ; seul le bateau sera perdu. Cette nuit même en effet, un ange de Dieu, auquel j’appartiens et que je sers, s’est présenté à moi et m’a dit : sois sans crainte, Paul ; il faut que tu comparaisses devant l’empereur. Dieu t’accorde aussi la vie de tous tes compagnons de traversée !" L’apocalypse a eu lieu. Le monde (est-ce le monde ?) n’est que débris noircis couverts d’une cendre qui ne cesse jamais de retomber. Un père et son fils (6-7 ans ?) marchent sur ce qu’est parfois une route, poussant un caddy chargé d’objets hétéroclites dont on se demande même comment ils peuvent assurer un minimum de survie. Ce que le père ne lâche pas des yeux c’est un vieux revolver avec deux balles. A l’origine il y en avait trois, de l’une se servit leur jeune femme et mère. Ils marchent. Sur leurs gardes sans arrêt ; regard, écoute : le monde est retourné à la barbarie, les quelques survivants sont des tueurs devenus cannibales. Ils affrontent le froid éternel, la neige noire comme la poussière de charbon, le vent violent, l’inhumain, mais le père a promis que de l’autre coté de la montagne il y avait la mer bleue, le soleil, le sable chaud … Alors ils marchent. C’est une longue odyssée dépouillée à l’extrême, noyée dans l’attente. C’est la fin de notre lecture, l’espoir de soleil devant être définitivement abandonné, j’ai ouvert au hasard un autre livre, et le hasard faisant L’instant vient enfin où le bruit de la mer traverse l’immobilité de l’espace, l’enfant ne sait rien de ce bruit, annonciateur de son rêve. Il franchit la dernière dune. La mer est là, bien là, vaste remous noir parsemé de carcasses rouillées, une neige grise tombe toujours sur une poussière de cendre, le vent de la mer rend le froid encore plus intense, si 3 possible. Alors le père se couche, il est allé au bout, comme si le rêve n’était pas pour l’enfant mais pour lui, il sait bien ce qu’il doit faire : il reste deux balles, mais c’est trop : "Je n’ai pas le courage de tenir mon enfant mort dans mes bras". "Marche, petit, gardetoi, tu sauras. Va !". L’enfant pleure mais va, il ne quitte pas le revolver ; c’est alors que de loin il voit un homme, il sait qu’il doit se cacher, "c’est un méchant, sûrement un méchant"; pourtant il n’en peut plus, il s’assoit. Il ne connaît pas la résignation : il en est atteint. - Je n’espérais plus te rattraper, dit l’homme - Vous n’allez pas me manger ?, dit l’enfant - Te manger ? - Alors vous n’êtes pas un méchant ? - Je ne sais pas, peut-être … - Avez-vous un petit garçon ? - Oui, un peu plus grand que toi et aussi une petite fille de ton âge. Viens ! Et les Actes des Apôtres conclure (verset 26) : "Courage donc mes amis. Je fais confiance à Dieu. Il en sera comme il a dit, nous devons échouer sur une île". Odile Hornik Méditant cette prédication de Paul, ses accusateurs, sa défense, les plans divers pour le tuer, et pour qu’il en réchappe, les juges qui se le refilent, je pensais à certains problèmes actuels : cette économie capitaliste et ce mondialisme, qui peuvent éloigner de la justice et de l’écologie, et ces forces de religions fondamentalistes, sources de tant de conflits (Irak, Palestine, Tibet, …). Je pensais plus particulièrement à Magdi Allam, journaliste musulman, connu par ses écrits dénonçant la violence de l’Islam (sans analyser ses valeurs de paix !) converti et se disant prêt à accepter le martyre…, baptisé par Benoît XVI la nuit de Pâques. Quel exemple pour favoriser un dialogue inter-religieux ! L’état d’esprit ne me paraît pas le même que celui de Paul… "à quand l’époque, me disait un ami au sortir de la messe de ce matin, où les chrétiens ne se considéreront pas comme supérieurs aux autres ?"… En cette dernière séance sur les Actes des Apôtres, j’ai voulu les relire en entier. Il y a un grand nombre de déclarations de foi (Pierre, Paul, …), la conversion de Paul, les divisions créées par les discours et les œuvres des disciples, enfin les tribulations de Paul. J’ai remarqué d’une part à quel point les disciples ont leur cœur ouvert à Dieu et à l’acceptation de leurs destins, et d’autre part que ce qui crée la haine, c’est épisodiquement l’argent, mais surtout l’orgueil atteint, lorsque Paul leur dit qu’ils ne sont pas capables d’accueillir la Révélation, mais les païens oui, haine qui va jusqu’à une grève de la faim d’une quarantaine d’entre eux, ou jusqu’à se déplacer jusqu’aux lieux de détention de Paul. Geneviève Jacob Qu’attendre de nos regards, de nos images ? Première image présentée presque comme un fait divers : le jeune homme défenestré, puis ressuscité par Paul (Actes 20, 712). Je mets en regard deux images d’aujourd’hui : - Ingrid Bettancourt et les appels pressants pour sa libération, et les offres de contrepartie du gouvernement Colombien, - les membres de l’Arche de Noé qui, après leur lourde condamnation au Tchad, se voient offrir leur grâce par ceux-là même qui les ont condamnés. Deuxième image : la saga de Paul poursuivi par delà les régions et les mers. Paul que l’on voit devant ses accusateurs, discourant avec eux, les regardant tels qu’ils sont, et se donnant à voir tel qu’il est : disciple du Ressuscité, sans rien renier de sa culture, de son passé. Paul vulnérable (Ac 20, 22-23). Paul dans la situation "banale" de l’être humain, qui sait où il va, où il veut aller, mais ne sait pas ce qui lui adviendra, sinon les souffrances et la mort : "Je vais à Jérusalem sans savoir ce qui m’y adviendra, sinon que, de ville en ville, l’Esprit Saint m’avertit que chaînes et tribulations m’attendent." Images des hommes d’aujourd’hui, ballottés par les évènements (imprévus et catastrophes). Quelle confiance, quelle fidélité bâtir, au delà de nos images passagères et fugaces offertes par les medias ? Qu’attendre aujourd’hui de nos regards et des images que nous donnons à voir ? Qu’attendre par exemple de l’image forte que serait le boycott des jeux Olympiques ? Une image ponctuelle aussitôt oubliée si tout rentre dans l’ordre ? Un satisfecit pour nos civilisations occidentales - et la fierté de pouvoir dire : "nous, on a vu, nous, on a montré du doigt" ? Ou encore induire et conforter une prise de conscience 4 "démocratique" du peuple de Chine ? N’induirons-nous pas plutôt une attitude de fermeture et d’incompréhension - et nous risquons d’apparaître comme les éternels "donneurs de leçons" de l’"impérialisme occidental" ? Dans les images que nous promouvons, comment aller vers un regard de compréhension ? Ce qui présuppose d’écouter autant que regarder … Gérard Jacob Lorsque je lis les passages retenus pour aujourd’hui des Actes des apôtres, je continue à être frappé par l’intransigeance de la loi juive et de ses représentants, dont y compris les apôtres, qui ont fait partie et intériorisé les préceptes. On l’avait vu à propos des aliments et de la circoncision qui les avait divisés. Ici c’est beaucoup plus grave puisque il s’agit de l’arrestation de Paul par les juifs du temple de Jérusalem, pour blasphème, hérésie ... Je suis encore frappé par la ténacité de la haine de ces juifs, qui va s’exercer pendant les deux ans de captivité de Paul à Césarée, et tenter de profiter du changement de gouverneur romain pour obtenir enfin sa condamnation. Et je voudrais comparer cet acharnement à celui que subissent actuellement nos frères chrétiens dispersés en terres de culture musulmane : même si des composantes politiques peuvent l’expliquer en partie, la loi religieuse est d’abord invoquée pour interdire de culte, mettre en prison, expulser, enlever ou tuer des familles et des populations présentes et intégrées dans ces pays depuis fort longtemps. Je veux en particulier parler de l’archevêque chaldéen de Mossoul, Monseigneur Paulos Rahho, enlevé avec ses gardes du corps et retrouvé mort et enterré quinze jours plus tard, alors qu’il incitait les membres de sa communauté à ne pas s’exiler au Kurdistan irakien voisin, irakien aussi mais moins hostile aux chrétiens, et prenait bien soin de se tenir éloigné des querelles politiques. Son enlèvement ne faisait qu’allonger la liste des prêtres (plus de 20) enlevés en Irak depuis cinq ans pour des raisons religieuses autant parfois que de sordide rançon. Je veux aussi parler des prêtres emprisonnés en Algérie au prétexte d’avoir célébré un culte alors que la nouvelle loi en restreint encore les lieux possibles. En reprenant le parallèle avec Paul, on y voit que la communauté des chrétiens de Césarée a certainement apporté son soutien, son réconfort et son aide à Paul durant sa captivité. En comparaison, où est l’aide de nos communautés d’occident, où est leur, et notre, protestation face à ces mauvais traitements ? Certes Régis Debray a réuni tout un colloque sur le sujet, Pax Christi a organisé des "Pâques avec les chrétiens d’Orient" sur l’initiative de l’évêque de Troyes, mais récemment, Jacques Julliard, dans le Nouvel Obs (un paradoxe !) s’étonnait de nos silences d’occidentaux. Dans nos mentalités "bien élevées", il semble qu’il soit plus facile de se mobiliser pour défendre des membres d’autres communautés (juives ou musulmanes par exemple) que de défendre les nôtres propres ! Comme dit Jacques Julliard, avons-nous à ce point honte de nos origines que cette persécution dont sont victimes les chrétiens dans une bonne trentaine de pays dans le monde, nous laisse indifférents ? Paul, lui, à temps et à contretemps, devant les juifs, puis devant les plus hautes autorités romaines locales, n’arrêtait pas de plaider sa cause, de se justifier et de témoigner. Et nous ? Henri Juilliard Les derniers chapitres des Actes sont consacrés à l’arrestation de Paul, à ses comparutions devant les autorités juives et romaines et à son dernier voyage. A plusieurs reprises dans ces chapitres Paul s’affirme comme témoin de Jésus Christ devant les juifs et les païens, dit sa foi à Jésus Christ fondée sur ses rencontres avec Lui. Et le comportement de Paul est résumé dans les versets 28,30 et 31 : Paul "recevait tous ceux qui venaient le trouver proclamant le Règne de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ avec une entière assurance et sans entraves". Qu’en est-il dans le monde contemporain ? Combien de chrétiens sont empêchés de témoigner de leur foi en Jésus Christ ? Je pense notamment aux chrétiens d’Irak condamnés à l’exil et même martyrs pour certains. Combien de chrétiens n’ont pas l’assurance de Paul et n’en continuent pas moins à témoigner de l’amour pour leurs frères ? Je pense en particulier aux confessions bouleversantes de Mère Teresa qui a vécu pendant quarante ans dans le doute tout en 5 continuant son œuvre dans les bidonvilles du Caire comme avant elle Thérèse de l’enfant Jésus dans son couvent. Et si je me livre à l’introspection, je me demande si et quand j’ai été témoin, si j’ai su dire ma foi en Jésus Christ et si j’ai été capable de le faire avec assurance ? Alain Lockhart Paul sait qu’il risque sa vie en annonçant Jésus-Christ, mais qu’il a le devoir de le faire comme le lui demande le Seigneur "Je t’ai destiné à être serviteur et témoin de la vision où tu viens de Me voir ainsi que des visions où Je t’apparaîtrais encore" (Actes 26,16). Il dit de lui-même quelques versets plus loin dans le même chapitre "Fort de la protection de Dieu jusqu’à ce jour, je continue donc à rendre témoignage devant petits et grands" (Actes 26,22). Après l’assassinat ces jours-ci de Mgr. Rahho, archevêque chaldéen de Mossoul, Mgr. Casmoussa, archevêque syrien catholique de cette même ville a le courage de dire : "En janvier 2005, j’ai moimême été enlevé, puis relâché. Je relis aujourd’hui mon expérience à la lumière de ce martyre. Je le sais, je peux être repris à chaque instant. Pourtant, il me faut continuer ma mission, je n’ai pas le droit de me décourager ! Nous avons des responsabilités pastorales, nous devons continuer à témoigner pour encourager le peuple et lui donner des raisons de vivre". Anne-Marie Lockhardt Actes 22, 24-29 : (à Jérusalem), Le tribun militaire ordonna de le faire entrer (Paul) dans la forteresse et de le fouetter pour le faire parler, afin de savoir pour quel motif on criait ainsi contre lui. Comme on l’attachait avec des lanières, Paul dit au centurion qui était là : vous est-il permis de fouetter un citoyen romain qui n’est pas condamné ?... Ceux qui devaient le faire parler s’éloignèrent, et le tribun prit peur, comprenant que c’était bien un citoyen romain qu’il avait fait lier. Palestine aujourd’hui : C’est le même pays sous une autre occupation avec des occupants protégés par leur citoyenneté et des occupés sans droits reconnus et que l’on peut soumettre à la torture. Je lis en ce moment le livre de Sari Nusseibeh qui vient de paraître “Il était un pays, une vie en Palestine”. L’auteur, professeur à l’université palestinienne de Bir Zeit, est très attaché à la non violence et s’efforce de la promouvoir. Le même jour où je relisais le récit de l’arrestation de Paul dans les Actes, je lisais ceci dans son livre : “Les récits sadiques dignes de l’Archipel du Goulag que mes étudiants me rapportaient des interrogatoires me stupéfiaient plus encore que le reste. J’entendis parler de chocs électriques aux organes génitaux, de bastonnades à coups de matraques ou d’attaques par des chiens - lorsque les israéliens ne secouaient pas les prisonniers par les revers de leurs vestes jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance… Ils me décrivirent en détail les poux, les rats, la nourriture rance, les murs tachés d’excréments, les douches glacées… un étudiant me confia avoir été cloué dans un cercueil des jours durant.” Fred Lucas Actes 28, 25-27. Avant qu'ils ne se séparent, en désaccord les uns avec les autres, Paul eut un seul propos : Le Souffle saint a bien parlé à vos pères par Isaïe le prophète, avec ces mots : "va vers ce peuple et dis-lui : Vous écouterez de vos oreilles, vous ne comprendrez pas. Vous regarderez de vos yeux, vous ne verrez pas. Car ce peuple a le coeur endurci. Ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouché les yeux pour ne pas voir de leurs yeux, ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur coeur, ne pas se tourner vers Dieu MAIS JE LES GUERIRAI!" En fermant les yeux, je vois Paul venir vers moi et me dire :" Il me semble que ton Eglise, comme la mienne il y a bien longtemps, est devenue sourde et aveugle". Il a mille fois raison.... Quelques évènements récents le prouvent : courant 2007 a eu lieu à Paris, à l'initiative de l'Oeuvre d'Orient, un colloque sur les chrétiens d'Orient, grave sujet qui nous interpelle tous, y compris la "hiérarchie". Les évêques de France y avaient été invités. Ils n'ont pas jugé utile de se déplacer ... En ce début 2008 une grande opération œcuménique "Pâques avec les chrétiens d'Irak" est lancée. Le 12 Février, l'écrivain Jean d' Ormesson lit, à l'église Saint-Eustache, un appel à la solidarité. Le dimanche des Rameaux, toujours à SaintEustache a lieu une messe télévisée pour et avec les chrétiens d'Irak. Les paroisses et les communautés chrétiennes sont invitées à vivre les célébrations de la semaine sainte dans une communion avec leurs frères chrétiens d'Irak. 6 Silence radio du côté de l'archevêché de Paris ... Dans notre doyenné, depuis 10 ans, nous avons célébré le Vendredi Saint avec nos frères protestants. Il se trouve que depuis deux ans, le doyenné s'est agrandi de trois paroisses dont l'adhésion à l'œcuménisme est loin de faire l'unanimité. En janvier pourtant, à l'occasion de la semaine de l'unité des chrétiens, une célébration œcuménique a eu lieu dans une de ces paroisses, très belle célébration, public nombreux, remerciements émus du curé du lieu. Mais pour le Vendredi Saint, chacun restera chez soi ... Évidemment, la décision a été prise entre "curés" sans concertation, ni avec le groupe œcuménique, ni avec les conseils pastoraux. A une paroissienne qui lui a écrit, l'évêque a répondu qu'il y avait eu en janvier dans le diocèse 18 célébrations oecuméniques et que ça suffisait ! Le groupe oecuménique a demandé aux curés de le rencontrer ; pour l'instant pas de réponse à cette demande ... Comment rester optimiste? Il me semble entendre Paul murmurer : "la dernière phrase d' Isaïe ne contient-elle pas une note d'espérance? JE LES GUERIRAI..." C'est vrai. Alors basta! l'ambiance morose. En avant! Tous ensemble nous pouvons changer le monde. Gaby Lucas Y a-t-il quelque chose de changé dans le monde oriental depuis près de vingt siècles ? Le petit noyau des "chrétiens d’Irak" ne fait-il pas penser aux premières communautés "chrétiennes" de Syrie ? "Les tensions communautaires à Kirkouk s'intensifient de jour en jour. Dans cette ville pétrolière du nord de l'Irak où Kurdes, Arabes sunnites et chiites, Turkmènes se divisent sous la pression des extrémistes, les 12 000 chrétiens semblent perdus et oubliés. Tous les habitants sont victimes d'attentats et d'enlèvements. Cependant, comme les groupes terroristes sont islamistes, les chrétiens sont la cible de tous. Plus de 50 % ont déjà quitté la ville." "Nous avons confiance en Dieu", affirme Mgr Georges Casmoussa, archevêque syrien-catholique de Mossoul, nous nous efforçons de faire entendre sur cette terre la parole du Christ, depuis le Ier siècle. … Nous ne céderons pas à ceux qui nous terrorisent et qui nous chassent." (reportage de Laurent Larcher, envoyé spécial de la Fédération Française de la Presse Catholique, accompagnant la délégation catholique française à la rencontre des chrétiens d’Irak). "Dans le débat qui divise aujourd'hui les chrétiens irakiens faut-il partir ou rester ? Mgr Rahho, prêtre ordonné en 1965, avait, lui, choisi de rester. Non seulement pour ne pas céder aux pressions des terroristes mais aussi pour maintenir la présence de l'Église. Pour ne pas abandonner, enfin, les chrétiens demeurés sur place. Choix exigeant : la moitié des chrétiens de Mossoul ont à ce jour quitté la ville et, depuis 2003, plus de 20 prêtres ont été enlevés. Lors de leur rencontre du 13 février, Mgr Rahho avait ensuite conduit Mgr Stenger devant une tombe, dans la sacristie de l'église de Karemles, celle du P. Rajhid Ganni, enlevé à Mossoul et égorgé en juin 2007 : "Il est mort en martyr" avait dit Mgr Rahho à Mgr Stenger. C'est pour notre communauté une grande perte mais aussi un grand témoignage. Abuna Rajhidnous encourage à rester sur cette terre chrétienne depuis le Ier siècle de notre ère". Bouleversé par l'annonce de sa mort, Mgr Stenger pouvait donc confier : "En disant ces paroles, je sentais que Mgr Rahho parlait également de lui... qu'il était prêt à offrir sa vie pour ses convictions, pour sa foi." (Laurent Larcher, La Croix, 14 mars 2008). De même, imaginons-nous à Jérusalem à notre époque : un homme, un peu exalté ("j’étais fanatique pour Dieu", Actes 22, 3, "j’étais tellement enragé contre eux que je les poursuivais jusque dans les villes hors des frontières" (Actes 26, 11), comme peuvent l’être les Juifs intégristes, mais bon orateur, tient à tout prix à convaincre ses voisins musulmans de la vérité de sa religion : il tente de gravir les marches qui montent au temple ; les gardes l’arrêtent. La foule, composée de musulmans pèlerins, ameutée comme à chaque fois qu’il y a une arrestation, crient : "voici l’homme qui prêche partout contre le peuple, contre la Loi et contre le Lieu Saint. Maintenant il est venu profaner le Lieu Saint …" (Actes 21, 28). Il n’est pas question, à proprement parler, de racisme dans les derniers chapitres des Actes, mais, à coup sûr, d’intransigeance et de non acceptation de la différence : les païens sont considérés comme des ennemis par les Juifs, ce qui entraîne l’arrestation de Paul : "Le Seigneur m’a dit : Pars, je t’envoie au loin, vers les païens ! 7 Jusqu’à cette phrase, on avait écouté Paul. Mais alors ils se mirent à crier : Débarrassez le monde de cet individu, il n’a pas le droit de vivre !" (Actes 22, 2122). Mais, lors de la belle matinée de Pâques, une lumière "a jailli du tombeau" en écoutant l’émission Kriss Crumble à midi : L'UNE JUIVE L'AUTRE ARABE, Isabelle Wekstein-Steg, avocate d'affaires, et Souad Belhaddad, journaliste écrivain, en plus d'exercer leurs professions, vont depuis deux ans dans les collèges et lycées de banlieue mettre les jeunes face à leur propres contradictions et combattre leurs préjugés en jouant sur les stéréotypes. Ainsi découvrent-ils qu'ils peuvent être à la fois victimes du racisme, et auteurs ! Enseignants et élèves en redemandent au point qu'elles créent une association "LE VERBE ET LA LOI" avec l'idée de faire des émules. ([email protected]). Thérèse Masson J’écoute une émission à la radio ; les tabous : la sexualité et le handicap mental, comment faire l’accompagnement à la vie affective et sexuelle des handicapés mentaux vivant en institution. Une belle histoire est racontée. C’est le médecin directeur du foyer de vie lillois "Altitude", José Pagerie, qui raconte l’histoire de Louis, 45 ans, enfant placé, adolescent fugueur, séjournant en institution et en hôpital psychiatrique en alternance, avant d’arriver au foyer d’Halluin pour apprendre à vivre seul, en appartement. Il s’échappe de temps en temps, vient à Paris, se clochardise. Incapable de faire le chemin de retour, quand il est au bout du rouleau, il montre l’adresse du foyer qu’il a dans son porte clé. Après un long travail, le directeur arrive à lui faire dire pourquoi il part : il veut voir les femmes, il veut aller chez "les femmes bordel", comme il dit. Le directeur décide de l’accompagner personnellement, ils vont à Paris, trouvent des femmes, mais il se fait rejeter à plusieurs reprises du fait de son apparence, de son langage, du peu d’argent qu’il a. Le directeur insiste. Et une fois, ça marche, une femme s’adresse à Louis directement et pas au directeur. Elle lui demande comment il s’appelle, il répond, la transaction se fait avec le médecin directeur qui est chargé de dire de combien d’argent dispose Louis pour payer et Louis et la femme repartent ensemble. Le directeur attend dans un bistrot à coté, il avoue qu’il a eu peur pour Louis "comme si c’était son enfant qu’il amenait pour la première fois à la maternelle". Ils reviennent 40 minutes après, la main dans la main. La femme dit que comme maîtresse elle peut assurer que ça s’est bien passé. Louis est content et dira plus tard : Tu vois, maintenant je suis un grand, un adulte ! Depuis 5 ans, Louis va voir cette femme, qui n’est plus un "femme bordel", qui est devenue sa femme, Louis ne s’échappe plus, il reste très discret au sein du foyer sur ses voyages à Paris. Le médecin directeur dit : "Il faut aller au bout des choses. A 40 ans un homme est formaté, mais il peut avoir une autre vie, s’il a la force de se relever. C’est cette femme, qui l’a fait grandir, en s’adressant à lui directement et en lui demandant son prénom, elle lui a rappelé sa condition, sa vocation humaine à se tenir debout". Dans le troisième récit sur la vocation de Paul, chapitre 26, verset 16, il n’est plus question de "lumière aveuglante" ni de perte et recouvrement de la vue, comme dans les deux récits antérieurs. L’emphase est mis sur la mission, mais avant de la lui confier, le Seigneur donne un ordre, très fort, à Paul : "Mais relève-toi et tiens-toi debout", conditions indispensables, se tenir debout dans la dignité, être éveillé pour accomplir la mission qui va lui être confiée, aller ouvrir les yeux et les oreilles des peuples des nations. Maria-Elvira Pecqueur 8