Effets et conséquences PRODUIT

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Effets et conséquences PRODUIT
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PRODUIT
Depuis quelques années, par vagues, la presse française parle régulièrement de la méthamphétamine (ice,
crystal, crank…) et de son éventuelle arrivée dans l’hexagone. Divers articles, sous couvert d’informer, ont
pu susciter une curiosité voire un effet d’appel, notamment dans les milieux festifs. En dépit de leur ton
alarmiste, la méthamphétamine ne semble pas pour l’instant être apparue en France.
L’amphétamine, dont les effets durent 4 à 8 heures, est un
mélange de deux composants jumeaux : lévogyre et dextrogyre 1, qui ont chacun des actions ciblées sur des neuromédiateurs du cerveau. Le premier possède un
Bibliographie
Grinspoon & Hedbloom,
effet essentiellement “physique” et “nerveux”,
“The speed culture”, Harvard University
c’est-à-dire qu’il agit sur la vigilance et la
Press, 1975, Cambridge (USA)
Bulletin des narcotiques de l’Unodc
capacité d’action. Le composant dextrogyre
(un luxe de détails dans les archives
entraîne plutôt euphorie et confiance en soi. Il
de l’ONU sur les drogues jusqu’aux
années 1930)
est possible, par des procédés chimiques, d’en
www.unodc.org/unodc/en/bulletin/
modifier la structure et de renforcer les effets
Verbeke R et Malinowski B, “Composés
amphétaminiques et sexualité”,
euphorisants de façon ciblée.
in Psychotropes, vol. 1, n 1, 1983
Les fameux “Crystal”, “Ice” ou “Shabu” qu’on
Inaba DS & Cohen WE, “Excitants,
calmants, hallucinogènes”, éd. Piccin, trouve respectivement aux États-Unis, à Hawaï,
Padoue (Italie), 1977
au Japon et aux Philippines, sont des chlorhyVarenne G, L’abus des Drogues,
drates de dexméthamphétamine dont les effets
éd. Dessart, 1971, Paris
Pieper W, “Nazis on speed”,
euphorisants, qui durent de 12 à 24 heures,
éd. Rauschkunde (Allemagne), 1989
“Drug Identification Bible 2004/2005”, sont très sensiblement potentialisés par raple manuel des agents de le DEA
port à l’amphétamine et même à la méthampour identifier les drogues.
phétamine, dont les effets durent entre 8 et
www.drugidbible.com
Dr Nukes, “Wizzology”, éd. Lifeline,
15 heures. Crystal et Ice peuvent être ingérées,
Manchester (G-B)
injectées ou fumées, mais sniffer cette drogue
Richard D, Senon J-L, Valeur M,
“Dictionnaire des drogues et des
est extrêmement douloureux pour les sinus. Le
dépendances”, Larousse, 2004, Paris
sulfate de méthamphétamine, qui se présente
Têtu, le magazine des gays et
des lesbiennes, n 95, décembre 2004
généralement sous forme de poudre (non
o
o
www.crystalneon.org
www.erowid.org
fumable), est plutôt produit dans les pays de l’Est, mais
on en trouve aussi en Amérique du Nord.
Effets et conséquences
Les dérivés des amphétamines sont les drogues qui
induisent la tolérance la plus forte et la plus rapide. La
dose “thérapeutique” est de 10 mg, et une dose “de
défonce” pour un néophyte ne dépasse pas 20-30 mg. Les
usagers qui injectent ou fument recherchent surtout le
“flash”, bref mais très intense, et celui-ci nécessite
chaque fois une dose supérieure.
Les principales conséquences possibles liées à l’abus
sont l’apparition d’une pharmacopsychose à type de
paranoïa aiguë, des troubles de l’humeur et du comportement, un épuisement général, une anorexie avec pour
troubles corollaires des problèmes dentaires, métaboliques, cardiaques (troubles du rythme) et vasculaires
(hypertension artérielle, infarctus). Les grands abuseurs
peuvent souffrir de problèmes cognitifs et/ou psychiatriques graves. La compulsion induite pourrait favoriser
les relations sexuelles non protégées, notamment dans
certains milieux gays anglo-saxons. Cette communauté
s’est d’ailleurs fortement mobilisée aux États-Unis pour
organiser des actions de prévention 2.
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Un peu d’histoire
La chimie allemande a élaboré la synthèse de l’amphétamine, issue de l’éphédra, plante stimulante, dans l’entredeux guerres. Les Américains la commercialisent en 1937
sous le nom de Benzédrine, préconisée pour des indications allant du rhume, à l’asthme, la fatigue, la dépression, la narcolepsie ou l’obésité… Elle restera en vente
libre jusqu’en 1959 sous forme d’inhalateurs contenant
250 mg d’amphétamine.
En 1938, les Allemands commercialisent la méthamphétamine, dont les effets sont sensiblement plus puissants
et durent plus longtemps, sous le nom de Pervitin®. Les
Anglo-Saxons la baptisent Méthédrine®. Ce puissant stimulant rencontre un succès considérable durant la
deuxième guerre mondiale, particulièrement chez les
pilotes de chasse, dans les commandos et durant les
marches forcées du Blitzkrieg. Il procure ce que les
Japonais appellent senyuku, ou “énergie guerrière”, en
décuplant l’endurance et l’agressivité, souvent au prix
d’états confusionnels et autres troubles.
Abus, dérives
et passages à l’injection
Le Japon de l’après-guerre est touché par une terrible
vague de consommation de méthamphétamine. Après
Hiroshima et la défaite, les consommateurs se chiffrent
par millions… La moitié des meurtres à Tokyo lui sont
alors attribués. Une répression très sévère vient péniblement à bout du problème à la fin des années 1950.
En Grande-Bretagne, les “speed” “boostent” considérablement les cultures urbaines telles que celle des Mods
dans les années 1960. En France, Tonédron®, Maxiton® et
autres puissantes amphétamines sont prescrites, parfois
généreusement, jusque dans les années 1960. Puis,
devant les abus, dérives et passages à l’injection, partout, les conditions de délivrance seront de plus en plus
limitées.
1 Dextro signifie vers la droite
et Levo vers la gauche.
2 voir www.amphetazine.org
et www.crystalneon.org
3 La fabrication présentant des risques
d’explosion et de pollution importants,
ce délit est assimilé à la fabrication d’armes
de destruction massive et peut valoir
la prison à vie. De nombreuses campagnes
incitent les Américains à la délation.
4 Sintes : Système d’identification national
des toxiques et substances. Dispositif
de l’OFDT (Observatoire français des drogues
et toxicomanies) qui consiste à collecter
des échantillons de drogues (aux effets
inhabituels par exemple) et à les faire
analyser en vue de l’identification
et du dosage des composants.
Le cas américain
Aux États-Unis, 31 millions de prescriptions
d’amphétamines sont rédigées en 1967. En
1972, 12 milliards de doses sont légalement
vendues par l’industrie pharmaceutique.
L’injection de Méthédrine devient un problème
de santé publique, et sa diffusion est limitée
aux hôpitaux. Mais la demande est telle que de
nombreux gangs (notamment de motards) se
lancent dans sa fabrication. Rien de plus
simple : tous les ingrédients sont en vente libre.
De leur côté, des milliers de jeunes s’improvisent chimistes et découvrent que la fabrication
de méthamphétamine et dexméthamphétamine (encore
plus forte) est plus facile que celle d’amphétamine. Le
phénomène perdurera malgré un accès de plus en plus
réglementé aux ingrédients et une répression féroce 3. Le
prix du gramme, vendu entre 100 et 300 dollars, suscite
bien des vocations.
Depuis près d’une demi-siècle, divers groupes sociaux
américains ont été tour à tour concernés de façon marquée par l’usage de “meth”, “crank”, “crystal meth” et
autres “snot” : gangs, chauffeurs routiers, hippies, marginaux divers, musiciens, clubbeurs, jeunes gays…
Mais les problèmes liés aux abus augmentent depuis
une quinzaine d’années. Longtemps confinée aux populations rurales du Sud, la consommation s’est diffusée
dans les villes, touchant les classes moyennes et divers
milieux festifs. Les chiffres américains pour l’année
2003 : 16 366 laboratoires clandestins démantelés, près
de 18 000 hospitalisations en urgence parlent d’euxmêmes.
Et la France ?
En France par contre, en dehors de quelques très rares
saisies de méthamphétamine en transit, cette drogue
est toujours invisible. Des articles sensationnalistes
parus dans la presse française ont pourtant provoqué un
engouement significatif pour le crystal. Dans le cadre de
Trend, des observateurs ont témoigné de quelques escroqueries suscitées par la demande dans le milieu gay et
festif. Ainsi certains ont acheté du gros sel de cuisine,
du sucre candi, du sel d’alun (autant de substances qui
ressemblent au crystal)… à 300 ou 400 euros le
gramme.
En cherchant un peu, on tombe facilement sur de jeunes
clubbeurs gays qui ont vu l’homme qui a vu l’homme qui
a vu l’homme qui aurait de graves problèmes avec ce
fameux crystal. Dans la plupart des cas, il s’agit de
mythomanie. Seuls quelques happy fews en ont
consommé, et ce, généralement aux États-Unis. Des rares
“teuffeurs” et “travellers” ont pu en goûter lors de
périples en République tchèque et en ont peut-être rapporté un échantillon pour leurs proches.
Dans le cadre de Sintes 4, quelques échantillons présentés comme de la méthamphétamine ont été collectés
auprès de “teuffeurs” français. Il s’agissait toujours
d’une simple poudre d’amphétamine, mais plus dosée (à
45 %-50 %, celle consommée habituellement titrant
entre 5 % et 10 % de principe actif). Rappelons que
selon le dernier rapport Trend, la disponibilité des
amphétamines sur le marché clandestin est en baisse en
France.
1
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Fantasmes et manipulations
Depuis plus d’un siècle les États-Unis ont souvent, de façon manichéenne, su mobiliser un consensus populaire autour des
drogues pour stigmatiser divers groupes sociaux. Au XIXe siècle les blanchisseurs chinois furent accusés de corrompre les
jeunes filles blanches au moyen de l’opium. En réalité, travaillant beaucoup pour pas cher, ils indisposaient les syndicats
et divers lobbies. Au début du XXe siècle ce furent les “negros” qu’on accusa de violer les blanches, sous l’influence de la
cocaïne qui les faisait se sentir invulnérables aux balles. Ensuite le cannabis, totalement inconnu en dehors de quelques
Chicanos, fut diabolisé afin d’occuper les policiers démobilisés par la fin de la prohibition. Ce fut ensuite le tour de
l’héroïne, du crack et enfin de la méthamphétamine. Chaque fois, à l’analyse, on s’aperçoit que les dangers furent
exagérés et que les mesures et communications spectaculaires ont eu pour effet paradoxal de faire une formidable publicité à ces drogues.
Par ailleurs certains médias, communautaires ou autres, ont, en décrivant cette drogue comme pouvant potentialiser les
orgasmes “au centuple”, sans doute plus fait pour sa promotion qu’une armée de dealers. L’idée d’un lien entre une
activité sexuelle débridée et la méthamphétamine est assez récente, alors que cette drogue existe depuis des décennies.
De nombreuses études montrent que la chute des inhibitions provoquée par ce stimulant peut induire des effets sur la
sexualité. Mais cela se traduit souvent par de l’auto-érotisme où une fantasmagorie passive. Par ailleurs, certains usagers
ont une activité mentale si intense qu’il leur est impossible de se concentrer pour mener à bien un acte sexuel. Le Viagra®,
il est vrai, peut permettre aux hommes d’y remédier. Cependant, les usagers admettent en général que l’abus entraîne
rapidement des troubles, parfois durables, de l’érection. - J. K.
Un contexte peu propice
Aux États-Unis, où le cumul de deux emplois (1416 heures par jour) est fréquent, l’usage de stimulants,
même clandestin, a été souvent toléré tant qu’il était utilitaire et sous contrôle. Par ailleurs, le crack, consommé
de façon importante jusqu’au début des années 1990, a
sans doute contribué à “faire le lit” du crystal meth. Il
existe outre-Atlantique une certaine “tradition” du challenge pour le bricolage chimique. Des groupes marginaux
comme les gangs de motards ont développé une activité
de fabrication et de diffusion dans une pure logique capitalistique pour répondre à la demande. Dans ce pays où
les réglementations sont mal vues et l’industrie pharmaceutique toute puissante, il fut longtemps possible pour
un particulier d’acheter des précurseurs tels que la
pseudo-éphédrine dans les gros drugstores.
Dans les pays de l’Est, les simples usagers bricolent
sommairement leurs drogues, impossibles à trouver sur
les marchés légal et illégal. En Asie du Sud-Est, les
amphétamines ont longtemps été en vente libre pour
aider à supporter des charges de travail importantes et
consommées de façon familière, mais contrô5 Anorexigènes : médicaments coupe-faim
lée, depuis l’après-guerre. Partout, diverses
prescrits dans le cadre de certains cas
d’obésité importante. mafias internationales ont pris le relais.
La seule épidémie “d’amphétaminomanie” française a duré un peu plus de
deux décennies (jusqu’aux années 1970) et fut exclusivement alimentée par des prescriptions médicales. Il
n’existe actuellement plus d’amphétamines dans notre
pharmacopée, et les rares médicaments stimulants comme
ceux visant au traitement du trouble de l’hyperactivité/déficit de l’attention (type Ritaline®), à celui de la narcolepsie
et quelques anorexigènes 5 sont très sévèrement réglementés et réservés aux seules prescriptions hospitalières.
Les risques d’apparition d’un problème grave de crystal
meth paraissent assez limités pour l’instant dans l’hexagone, la France n’ayant pas les “bases” historiques,
structurelles et culturelles pouvant servir de ferment au
développement d’un tel marché, ni la culture de l’excès
liée à ce type de produit.
Prévention ou pyromanie ?
Toutefois, les risques ne sont pas complètement inexistants.
Des groupes mafieux pourraient s’organiser et pratiquer un
dumping sur la cocaïne par exemple, pour favoriser la diffusion puis la demande. Les différentes arnaques observées
depuis quelques temps font état d’un certain potentiel de
demande. Il est certain que les médias sensationnalistes y
contribuent. Des organismes de prévention et de réduction
des risques veulent à tout prix communiquer, en insistant
sur les aspects sexuels et les effets spectaculaires de cette
drogue qu’on ne trouve jamais en France. N’agissent-ils pas
un peu comme des pompiers pyromanes?
JIMMY KEMPFER
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Une influence
sur le comportement
sexuel ?
Une équipe américaine a examiné l’association entre
usage de méthamphétamine et prise de risques sexuels
lors de rencontres entre usagers de drogue par voie
1 Methamphetamine use and risky sexual intraveineuse hétérosexuels 1. 855 usagers de
behaviors during heterosexual encounters
Zule WA et al. drogue par voie intraveineuse ont été inclus
Sexual Transmitted Diseases, dans l’étude, menée dans l’État de Caroline du
2007, 34, 9, 689-94
Nord entre juillet 2003 et janvier 2006. L’usage
de méthamphétamine a été rapporté dans 7 % des 1 213
“rencontres”. Il était associé avec une augmentation des
relations anales (odds ratio [OR] 2,41), des relations
vaginales et anales (OR 2,41) et des relations sexuelles
avec un nouveau partenaire (OR 1,98). La prise de
méthamphétamine par les deux personnes était significativement associée avec des rapports non protégés avec
de nouveaux partenaires (OR 5,20) et des relations
anales non protégées (OR 4,63).
Même s’ils concèdent que le faible nombre de cas étudiés
doit amener à une certaine prudence dans la prise en
compte des résultats de l’étude, les auteurs estiment que
l’usage de méthamphétamine augmente la prise de
risque sexuel lors de rencontres hétérosexuelles, particulièrement lorsque les deux partenaires l’utilisent. Selon
eux, l’étude ne peut néanmoins confirmer un lien de
cause à effet entre l’usage du produit (et son effet désinhibiteur) et le fait d’avoir une relation sexuelle avec un
nouveau partenaire, déjà suggéré dans d’autres études.
Reste à savoir en effet si c’est bien l’effet désinhibant du
produit qui est en cause, ou la simple mise en évidence
d’une population prenant plus de risques ? - P. P.
Image issue d’
une campagn
e de préventio
par le “Crysta
n menée en 20
l Meth Workin
05 à New York
g Group”.
“La méthamphétamine c’est quoi ?”
est une brochure éditée en 2006
par le Crips, disponible sur
www.lecrips-idf.net/brochures.
On y trouve des informations sur les
modes d’administration du produit,
ses effets à court et à moyen terme,
ainsi que la conduite à tenir en cas
de malaise.