Français : Devoir commun aux classes de Première
Transcription
Français : Devoir commun aux classes de Première
Français : Devoir commun aux classes de Première ES-S (15 novembre 2010) Convaincre, persuader, délibérer. Textes Texte 1 : Voltaire, De l’horrible danger de la lecture, Nouveaux Mélanges, 1765. Texte 2 : Beaumarchais, La Folle Journée ou Le mariage de Figaro, Acte V, scène 3, 1778 Texte 3 : Michaux, Plume précédé de Lointain Intérieur, « Portrait de A. », extrait, 1938, © Gallimard. Texte 4 : Entretien accordé au journal Le Monde par l’écrivain Charles Dantzig, « Il faut lire parce que ça ne sert à rien », octobre 2010. Texte 1 DE L’HORRIBLE DANGER DE LA LECTURE Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti 1 du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction. Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis et imans de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser2 ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées. 1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. 2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine. 3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place. 4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux3, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance. 5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes. 6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence. A ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines ; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime-Porte. Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l’Occident septentrional ; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays ; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira. Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’hégire FIN DE L’HORRIBLE DANGER, ETC. Voltaire, Nouveaux Mélanges, 1765 1 Mouphti = Dignitaire religieux dans la religion islamique, interprète de la loi musulmane. 2 Anathématiser = Condamner, réprouver avec énergie, blâmer avec force une personne, un acte, une opinion, etc. 3 Spécieux = Qui séduit par de fausses apparences (de vérité, de justice, etc.) ; qui fait illusion. Devoir commun de français - Page 1 sur 4 Texte 2 [Le personnage de Figaro, dans un moment de crise personnelle, résume les événements marquants de sa vie.] Figaro, seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre : […] Las d’attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ? Je broche une comédie dans les mœurs du sérail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé... de je ne sais où se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens ? - Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant. - Mes joues creusaient, mon terme était échu : je voyais de loin arriver l’affreux recors, la plume fichée dans sa perruque : en frémissant je m’évertue. Il s’élève une question sur la nature des richesses ; et, comme il n’est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n’ayant pas un sol, j’écris sur la valeur de l’argent et sur son produit net : sitôt je vois du fond d’un fiacre baisser pour moi le pont d’un château fort, à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ? Je lui dirais... que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu’on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que, pendant ma retraite économique, il s’est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s’étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j’annonce un écrit périodique, et, croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ? je vois s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille, on me supprime, et me voilà derechef sans emploi ? […] Beaumarchais, La Folle Journée ou le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3, 1778 (joué en 1784) Texte 3 (…) Dans l’ensemble, les livres furent son expérience. * Il manquait d’attention, et même intéressé, ne remarquait pas grand-chose, comme si seulement une couche extérieure d’attention s’ouvrait en lui, mais non son « moi ». Il restait là, dodelinant. Il lisait énormément, très vite et très mal. C’était la forme que prenait l’attention chez lui. Car, tant que son fond restait indécis et mystérieux et peu palpable, son attention consistait à trouver dans un livre ce même univers fuyant et sans contours. Lisant comme il faisait, même un manuel d'arithmétique, ou du François Coppée1, devenait une nébuleuse. Et s’il se mettait à lire lentement, voulant « retenir » : néant ! C’était comme s’il regardait des pages blanches. Mais il pouvait très bien relire, du moment que ce fût vite. On conçoit cela aisément. Il formait ainsi une nouvelle, une autre nébuleuse. Et la sympathie venant du souvenir agréable le soutenait aussitôt. * Dans les livres, il cherche la révélation. Il les parcourt en flèche. Tout à coup, grand bonheur, une phrase... un incident... un je ne sais quoi, il y a là quelque chose... Alors il se met à léviter vers ce quelque chose avec le plus qu’il peut de lui-même, parfois s’y accole d’un coup comme le fer à l’aimant. Il y appelle ses autres notions : « venez, venez ». Il est là quelque temps dans les tourbillons et les serpentins et dans une clarté qui dit « c’est là ». Après quelque intervalle, toutefois, par morceaux, petit à petit, le voilà qui se détache, retombe un peu, beaucoup, mais jamais si bas que là où il était précédemment. Il a gagné quelque chose. Il s’est fait un peu supérieur à lui-même. Il a toujours pensé qu’une idée de plus n’est pas une addition. Non, un désordre ivre, une perte de sang-froid, une fusée, ensuite une ascension générale. Les livres lui ont donné quelques révélations. En voici une : les atomes. Les atomes, petits dieux. Le monde n’est pas une façade, une apparence. Il est : ils sont. Ils sont, les innombrables petits dieux, ils rayonnent. Mouvement infini, infiniment prolongé. * (…) Michaux, Plume précédé de Lointain Intérieur, « Portrait de A. », extrait, 1938, © Gallimard. 1 François Coppée, 1842-1908, poète. Sa poésie cherche à exprimer le quotidien, dans un langage très simple, très ordinaire. Devoir commun de français - Page 2 sur 4 Texte 4 [Extrait d’un entretien de Charles Dantzig, écrivain, romancier, avec Josyane Savigneau, journaliste] Beaucoup de parents déplorent que leurs enfants ne lisent pas. Qu’avez-vous à leur dire ? Il faut organiser la tentation. Ces gens veulent que leurs enfants lisent dans l’idée que lire, c’est bien, c’est moral. Or ce n’est ni bien ni moral. Lorsqu’on le dit aux enfants, cela les révulse légitimement. Si j’en avais, je mettrais des portes grillagées dans le bas de ma bibliothèque, j’y rangerais les bons livres et je cacherais la clé en les laissant voir où je la mets. C’est comme cela que j’ai lu Baudelaire et Verlaine à 10 ou 11 ans. On m’avait dit : « C’est la bibliothèque de ton père, tu ne dois pas y aller. » Une allure d’interdit donne plus de goût aux choses. Votre livre, pour lequel vous venez d’obtenir le Prix Jean Giono, s’appelle Pourquoi lire ? (Grasset, 250 p., 19 euros), et vous donnez beaucoup de réponses. Mais s’il fallait en donner une seule... D’une certaine façon, il faut lire parce que ça ne sert à rien. Je parle de la lecture de littérature. On la lit, me semble-t-il, à cause de son absence de vocation utilitaire. Un livre, c’est comme une sculpture, il faut le lire en tournant autour, en le considérant comme un objet, sans chercher à y apprendre quelque chose. La force de la littérature, c’est sa faiblesse. Pendant que les gens sérieux emploient leur temps à des choses pratiques, construire des tanks, devenir investisseurs, le lecteur reste tout seul et tout petit avec son livre. Mais il y trouve les choses de l’esprit, qui lui communiquent une force incroyable. La véritable fonction de la littérature est de nous maintenir en vie dans un monde brutal. Vous affirmez que lire est beaucoup plus intéressant que se distraire. Désormais tout le monde pense l’inverse. On vit dans un monde de distraction généralisée. Or, moi, les choses faites pour me distraire m’ennuient. Les films comiques me semblent sinistres. Les livres destinés à m’éduquer me révoltent. Je me méfie de tout ce qui a une intention. Un roman n’a pas d’intention. Il n’est fait que pour être ce qu’il est. En matière de lecture, on est aujourd’hui en plein scoutisme. […] « Lire, ce n’est pas bien »... En effet, sinon je ne le ferais pas ! Nous sommes infectés de morale. Quand j’étais adolescent, je n’aurais jamais pensé vivre dans un temps comme celui où je vis aujourd’hui. Cette rentrée, on a pu lire dans un grand journal, Le Journal du dimanche, un entretien avec un romancier sérieux, Philippe Forest, qui dit : « Le roman doit être du côté du bien. » Que, en 2010, un écrivain puisse proclamer une chose pareille est le signe d’une régression extraordinaire. Le roman n’est ni du côté du bien ni du côté du mal. Il est ailleurs. Une sculpture de Michel-Ange n’est ni du côté du bien ni du côté du mal. Ce propos révèle la contamination de nos cerveaux par le moralisme triomphant. « Lire pour devenir écrivain »... Il y a une forme de monstruosité chez les grands lecteurs, qui fait que leur évolution naturelle, quand ils sont adolescents, serait de devenir écrivains pour entrer dans le royaume des fées qu’est la littérature. Les grands lecteurs sont souvent des écrivains rentrés, les écrivains sortis sont toujours de grands lecteurs. Je ne crois pas qu’un bon écrivain puisse n’avoir rien lu. C’est une idée très présomptueuse. Un écrivain, ce n’est pas un jaillissement génial venu de nulle part, c’est quelque chose de successif, de délicat et de très chinois. La fin de votre livre est pessimiste : « Ne lisant plus, l’humanité sera ramenée à l’état naturel, parmi les animaux »... Il y a un danger, mais le danger éveille l’attention. Celui qui nous menace, c’est moins le Net et les nouvelles technologies que le miel de la fausse gentillesse destinée à rendre la littérature anodine. La séparation du monde qu’opère le lecteur est très violente pour les esprits pratiques. La lecture n’est pas si aimée qu’on le croit. N’oublions pas que les lecteurs sont très minoritaires dans la société. Pensez-vous, comme Philip Roth, que bientôt il y aura plus d’écrivains que de lecteurs et que presque plus personne ne sait vraiment lire de la fiction ? La littérature n’existe pas si elle n’est pas lue. Lire n’est pas nécessairement facile, et bien qu’on vive dans un monde qui vénère l’effort, le seul qui ne soit pas toléré est celui qu’on doit éventuellement faire pour lire de la littérature. Roth a raison de dire que le sens de la fiction s’est appauvri : on ne croit plus qu’au témoignage. La fiction est considérée comme du mensonge. On parle de la « vraie vie » comme si la vie dans les livres était fausse. La fiction est indispensable parce qu’elle montre ce qui est caché. La fiction, c’est ce qui soulève le tapis alors que la bienséance voudrait qu’on se contente d’en admirer les motifs. C’est en cela que la littérature et la lecture restent des actes de contestation. Article paru dans l’édition du 16.10.2010 du journal Le Monde Devoir commun de français - Page 3 sur 4 Après avoir lu attentivement les quatre textes de ce corpus, vous répondrez aux questions suivantes. Questions (4 points) 1°) Quelles visions du livre et de la lecture proposent ces quatre textes ? (2 points) 2°) Vous montrerez quels sont, dans ces quatre textes, les moyens utilisés pour persuader. (2 points) Ecriture (16 points) Vous traiterez, au choix, un seul des deux sujets suivants. Commentaire de texte littéraire. Vous commenterez le texte 1, de Voltaire. Vous pourrez par exemple montrer d’une part que ce texte constitue une parodie comique d’un texte de loi, dans une fiction éloignée de la réalité de Voltaire, et d’autre part qu’il est une dénonciation virulente et polémique de l’intolérance et du fanatisme. Ecriture d’invention. Vous répondrez à la déclaration de l’écrivain Charles Dantzig, dans une lettre ouverte de registre polémique, afin de défendre le droit à considérer la lecture comme utile aux lecteurs. Devoir commun de français - Page 4 sur 4