mars 2016 - Filautrope
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mars 2016 - Filautrope
Filautrope Un fil vers l’Autre-part Lettre circulaire n°7 Mars 2016 Ces quelques pages forment la Lettre Circulaire de Frédéric Michaud & Laurence Chave. Partis en mars 2014 pour s’impliquer trois ans durant dans un projet de coopération, ils donnent régulièrement des nouvelles à leurs amis, famille et toute personne intéressée par le biais de lettres circulaires comme celle-ci et par leur site internet www.filautrope.ch. Edito Le premier trimestre 2016 a rimé pour nous à un bon changement de dynamique familiale, mais nos collègues locaux ont également eu leur part de défi. Avec la fin 2015, plusieurs projets se sont terminés ; il faut alors boucler les comptes, finaliser les rapports et préparer toutes les preuves d’activités réalisées afin de montrer patte blanche aux inspecteurs d’audit. Table des Matières Edito.................................................... 1 Coté maison........................................ 2 Coté bureau........................................ 3 La Colombie, vous avez dit?............... 4 La nouvelle année voit le début de nouveaux projets, avec l’incertitude liée aux organisations donatrices : vont-elles les approuver ? Quand les premiers financements vont-ils arriver ? Ces derniers prennent souvent du temps et bloquent les velléités d’action de toute l’équipe. Il faudra réaliser en 9 ou 10 mois ce qui était prévu sur 12. Ainsi fonctionne souvent la coopération internationale, avec de bonnes intentions mais des obstacles administratifs qu’il nous faut aussi gérer au quotidien. L’aventure continue donc, pour ce qui constitue le dernier tiers de notre engagement comme volontaires en Colombie. Une époque cruciale pour tester la durabilité de ce que nous essayons de mettre en place! Nous sommes maintenant trois à œuvrer pour un monde plus solidaire! www.filautrope.ch/fairepart Soutenir notre projet Frédéric & Laurence travaillent comme coopérants, envoyés par l’association suisse E-Changer/Comundo à la demande d’une ONG colombienne active dans les droits de la Femme (Laurence) et d’une autorité indigène (Frédéric). Si vous le souhaitez, vous pouvez soutenir cette aventure en faisant un don grâce au bulletin de versement ci-joint ou par un virement sur le compte postal d’E-Changer : CCP 17-7786-4 / IBAN CH51 0900 0000 1700 7786 4 en indiquant bien “Filautrope” dans les commentaires. Plus d’info: E-Changer – Rue St-Pierre 10, 1700 Fribourg – 058 / 854 12 40 – www.e-changer.ch Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch Côté maison Petit résumé de notre vie depuis la dernière lettre circulaire lombiennes mesurent à peine 1m60, les médecins s’attendent à devoir pratiquer une césarienne dès que le fœtus pèse plus que 3.5kg. Ceci nous a bien préoccupés avant l’accouchement. Finalement, nous avons entendu les pires histoires de violence obstétriques et d’accouchements catastrophiques... mais il paraît qu’on entend les mêmes en Suisse ! Enfin, l’accouchement L’hôpital universitaire San José est le plus important de Popayán. Nous voilà enfin avec une nouvelle personne dans notre équipe, mais nous découvrons à peine la vie à trois et vous ferons part de ces réflexions plus tard. Grossesse en Colombie C’est avec un peu de méfiance que certains membres de notre entourage ont réagi à l’annonce de notre grossesse en Colombie. Ont-ils de bons hôpitaux? Sont-ils bien qualifiés? Popayán étant tout de même le chef-lieu de son département, pas d’inquiétudes à avoir : les soins médicaux y sont tout à fait honnêtes. Cependant, nous avons pu constater certaines différences entre l’attention médicale colombienne et suisse. Le plus frappant est l’absence de centralisation des services à Popayán : les contrôles gynécologiques, les échographies, les analyses de sang et autres, les monitorings fœtaux et finalement l’accouchement, tout se fait à des endroits différents. Autant de rendez-vous à prendre... pas très pratique, comparé à la Maternité du CHUV. Les attentes en terme de poids du bébé ne sont pas les mêmes non plus : comme la plupart des Co- Frédéric rêvait d’être réveillé au milieu de la nuit, de chercher un taxi désespérément et d’arriver devant les urgences glauques de l’hôpital San José aux petites heures du matin. Néanmoins, c’est finalement lors d’un accouchement provoqué que Margot naît. L’autre surprise que nous réservait l’hôpital San José est sa gestion des visites: alors que Margot doit s’y attarder un peu en raison de petits problèmes digestifs, Laurence n’est autorisée à la voir que de 7h à 19h, Frédéric que deux fois une heure par jour, et les grands-parents à peine une demi-heure par semaine. L’une des raisons: on redoute les vols de bébés! Mais tout finit bien, pour bien commencer, à la maison cette fois. Des vacances très... calmes En Colombie comme en Suisse les vacances de Noël sont l’occasion d’une pause. Dans la plupart des associations, c’est quatre semaines voire plus de vacances. Les indigènes eux donnent généralement moins de deux semaines. Evidemment, pour nous, ce n’est pas le moment idéal pour prendre un congé. Il reste un mois avant l’accouchement de Laurence et s’aventurer des les coins perdus de Colombie est peu recommandé. Nous partons néanmoins deux jours pour faire du tourisme local. Première destination, Buga, une petite ville assiégée par le tourisme religieux. Des files de gens piétinent devant la cathédrale dans l’espoir de voir réaliser un miracle. Le soir, une serveuse refuse de servir une bière à Laurence... Elle qui croyait que juste une fois en neuf mois elle pouvait faire une exception. Le lendemain, cap sur un lac de barrage très touristique. Mais arcathédrale de Buga attire beaucoup de touristes corivés sur place, l’on déchante vite. Impossible de se baigner, les at- La lombiens, venus chercher un miracle. tractions sont en fait surtout des jet-skis et autres sports bruyants et chers. Vite vite, on retourne à Popayán. Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch Côté bureau Les avancées de nos projets professionnels, au service du renforcement d’organisations citoyennes. Nouveau projet, nouvelles collègues La famille COMUNITAR s’est également agrandie, avec une dizaine de nouvelles collaboratrices. Leur présence est due au début d’un nouveau projet qui va nous occuper durant un an et demi. Mandatées par le gouvernement du Cauca, nous sommes maintenant actives dans la promotion des Droits sexuels et reproductifs, parallèlement à la prévention de la violence faite aux femmes. L’objectif est de réduire le nombre de grossesses chez les adolescentes. Les chiffres au niveau national sont en effet assez alarmants : • 1 sur 5 des filles entre 15 et 19 ans est déjà mère ou a été enceinte • 64% d’entre elles ne souhaitaient pas cette grossesse, du moins à ce moment-là • 7000 bébés naissent chaque année de mères qui ont entre 10 et 14 ans • 84% des pères de ces 7000 bébés avaient plus de 20 ans au moment de la conception • 24% des adolescentes qui abandonnent leur scolarité l’ont fait parce qu’elles sont tombées enceintes. Ce mandat officiel est une belle reconnaissance des compétences de COMUNITAR dans le domaine. Il implique cependant un nombre d’activités impressionnant: ateliers avec des élèves, des professeurs, des parents, des professionnels de la santé et de la justice; campagnes médiatiques de sensibilisation; évènements grand public pour dé-tabouiser le sujet, etc… Mes nouvelles collègues sont très occupées ! Les bonnes pratiques s’installent En ce qui me concerne, j’ai surtout été impliquée dans l’accueil de ces dernières, avec entre autre la création Laurence s’est impliquée dans une campagne de sensibilisation. de leur profil informatique et l’introduction à notre système de gestion de l’information. Mon travail d’instauration de bonnes pratiques dans ce domaine a enfin montré ses fruits : j’ai pu encadrer les nouvelles dès leur arrivée en leur présentant des manières de faire déjà partiellement rodées, et à présent ce sont elles qui remettent à l’ordre les plus anciennes de l’équipe lorsque celles-ci perdent des documents ou n’utilisent pas les bons formats. Reconnaissance officielle L’arrivée de 2016 a vu récompensés les efforts de longue haleine menés par COMUNITAR dans le domaine de l’accès des femmes au monde politique. Le gouverneur du Cauca nouvellement élu a en effet nommé 10 femmes sur 18 membres de son cabinet, et surtout a engagé l’une des directrices de COMUNITAR comme Secrétaire de Gouvernement. Cela correspond au poste le plus élevé juste après celui du gouverneur. Ironie du sort, la Secrétaire de Gouvernement est entre autre responsable des relations avec les forces de l’ordre, elle qui prône le pacifisme et la démilitarisation depuis des décennies… Frédéric reprend pied au plancher L’un des mandats de Frédéric au CRIC est la création de matériel pédagogique. Comme le CRIC prévoit beaucoup de formations sur des nouvelles possibilités offertes aux indigènes pour toucher de l’argent de l’État, il s’est proposé pour rédiger une brochure détaillant les étapes à suivre. Ce travail est plus difficile, et par conséquent plus intéressant, que ce que Frédéric a l’habitude de faire en Colombie. Il faut se plonger dans des textes de loi pour extraire les parties les plus importantes. Et comme personne n’a encore montré l’exemple sur comment toucher ces fonds, certains points restent très abstraits. Après un mois de janvier plongé là-dedans, la brochure est prête... Il ne reste plus qu’à savoir ce que les indigènes vont comprendre des explications d’un Suisse. Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch La Colombie, vous avez dit? Mabel Lara vous parle de la réintégration d’anciens combattants à la vie civile Le processus de paix entre les FARCs et le gouvernement colombien touche à sa fin ; prévu d’ici mars si tout se passe bien, cet accord devrait être la suite logique de la baisse de violence du conflit constatée ces dernières années. Bien que beaucoup considèrent qu’il s’agit d’un pas en avant, les critiques ne manquent pas. L’un des points qui fait le plus peur aux populations rurales porte sur la réinsertion sociale des guérilleros. Le retour à la vie civile de ces personnes pose en effet un ensemble de défis. D’une part, ils sont perçus comme habitués à la violence et peu capables de s’intégrer dans une communauté. D’autre part, les communautés ont peur de l’arrivée de nouveaux leaders – les anciens gradés des FARCs – qui n’ont pas les manières de fonctionner des autorités en place mais qui pourraient néanmoins prendre beaucoup de place et de pouvoir. Ce n’est pas la première fois que des groupes armés se réintègrent à la population civile. Mabel Lara, qui connaît bien ces questions, évoque un processus similaire dans les années 90 (retranscription un peu libre puisque l’interview total a duré presque une heure). Peux-tu te présenter en quelques phrases ? Je m’appelle Mabel, je suis communicatrice sociale. Je suis née à Popayán. En 2008, j’ai fini un master en développement communautaire à Cali. J’ai ensuite appuyé différents processus indigènes dont le CRIC. Actuellement, je travaille à promouvoir les archives audio-visuelles de la fondation Sol y Tierra, l’association formée par les anciens combattants du mouvement armé Quintin Lamé. Peux-tu nous en dire plus sur le mouvement Quintin Lamé ? Ce mouvement armé surgit dans les années 70, dans un contexte de lutte pour la terre entre les indigènes et les grands propriétaires. Alors que d’autres mouvements visant à renverser le pouvoir existent à cette époque, le groupe Quintin Lamé cherche surtout à protéger les indigènes des grands propriétaires. Néanmoins, ce groupe est proche d’autres mouvements beaucoup plus importants comme le M-19, l’ELN et les FARCs. C’est d’ailleurs ces autres guérillas qui fournissent armes et formations militaires au mouvement Quintin Lamé. Néanmoins, le mouvement décide de se démobiliser à la fin des années 80. Pourquoi ? Dans le milieu des années 80, le groupe s’affaiblit et va donc suivre le M-19 qui a aussi entrepris un processus de négociation avec le gouvernement. La reddition d’armes du mouvement M-19 va amener à la nouvelle constitution de 1991, qui est l’un des points négociés avec le gouvernement. Cette constitution est très progressiste, notamment en matière de droit des indigènes. Cela a été rendu possible entre autre grâce au mouvement Quintin Lamé et à sa démobilisation. Qu’advient-il alors des anciens soldats ? D’une part, au niveau politique, l’accès des indigènes aux chambres parlementaires est garanti par un système de quota. On peut aussi noter que beaucoup d’anciens leaders du mouvement armé sont maintenant des leaders sociaux, notamment au sein du CRIC. Au niveau plus personnel, des projets productifs visant à réinsérer les combattants à la vie de paysans sont mis en place : c’est l’un des buts de la fondation Sol y Tierra. D’autres combattants se déplacent dans un quartier de Popayán prévu à cet effet. Quels sont les parallèles que l’on peut faire avec la prochaine démobilisation des FARCs ? Le mode de réinsertion des FARCs va être très différent, entre autre parce qu’ils sont beaucoup plus nombreux. Néanmoins, il est presque certain que des mécanismes de représentation politique seront trouvés. Bien que les processus de démobilisation de ces groupes se soient bien passés, l’on peut craindre que ce ne soit pas le cas avec les FARCs. En effet, différents indicateurs montrent que l’on sera plus proche de la démobilisation des paramilitaires (ndt. en 2006) que du M-19 ou du Quintin Lamé. Or la réinsertion des paramilitaires ne s’est pas très bien passée. A cette époque, des civils avaient été payés pour prétendre être des paramilitaires afin de laisser le champ libre à des vrais paramilitaires qui ne se sont pas démobilisés. D’autre part, cela a mené à beaucoup de conflits sociaux, notamment lorsque des paramilitaires ont reçu des maisons dans des quartiers où vivaient des victimes de ces derniers. C’est pourquoi le processus de réconciliation entre les civils et les FARCs est vital à l’heure actuelle. Mais pardonner est difficile, et il est impossible de savoir si les uns comme les autres y parviendront.