Documentaire La fin de l`immigration
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Documentaire La fin de l`immigration
WEBZINE HIVER 2013 PLURALISME CULTUREL MIGRATION DIVERSITÉ RELIGIEUSE Documentaire La fin de l’immigration entretien avec Marie Boti, réalisatrice PAR MÉLANIE GAUVIN Ce documentaire permet de mettre en lumière les conditions de travail et de vie souvent troublantes et difficiles auxquelles font face les travailleuses et travailleurs migrants temporaires. À l’aide de nombreux témoignages, le film aborde autant le processus de recrutement dans le pays d’origine, la validité des offres d’emploi, que les conditions de travail elles-mêmes. P ar des images saisissantes, nous entrons dans le quotidien de travailleuses et de travailleurs migrants temporaires ainsi que dans leurs visions et leurs aspirations à venir au Canada. En comparant la situation de ces personnes à celle de leurs propres parents arrivés au siècle dernier, les réalisateurs, Marie Boti et Malcom Guy des Productions Multi-Monde, ont levé le voile sur un monde qui nous est très proche. Leur documentaire soulève la question suivante : sommes-nous des citoyennes et des citoyens qui acceptent ou ferment les yeux sur une sous-classe de travailleuses et travailleurs ? Vivre ensemble a rencontré Marie Boti pour discuter de la réalisation de ce film documentaire. VIVRE ENSEMBLE (VE) : Votre documentaire La fin de l’immigration aborde la situation des personnes migrantes qui viennent travailler temporairement au Canada. Quel a été l’élément déclencheur de ce film? MARIE BOTI (MB) : Déjà à la fin des années 1980, la question des travailleuses domestiques provenant des Philippines était un sujet qui nous préoccupait beaucoup. Trois documentaires ont d’ailleurs été réalisés au cours des années 1990, pour lever le voile sur les cas d’abus et d’injustices dont elles étaient victimes. L’arrivée d’un nouveau programme, pour les travailleuses et travailleurs temporaires peu spécialisés, nous a donc beaucoup interpellés. D’autant plus que ce programme ne venait pas améliorer les conditions de travail, mais perpétuait le lien de servitude avec l’employeur. Deux éléments ont toutefois déclenché en nous L’auteure est un questionnement important et mené membre de à la réalisation de ce documentaire. l’équipe de l’orgaD’abord, nous avons été interpel- nisme Au bas de lés par plusieures manchettes dans les l’échelle VIVRE ENSEMBLE PAGE 1/3 HIVER 2013 médias. En Colombie-Britannique, avant la tenue V.E : La compréhension des programmes de des Jeux olympiques, une main-d’œuvre abondante travail temporaire et leur application sont était nécessaire pour l’agrandissement du métro de assez complexes. Quel travail de recherche a Vancouver. Pour arriver à combler ce besoin, le reété nécessaire de votre part pour arriver à bien cours à des travailleurs temporaires dans le secteur cerner les enjeux entourant les programmes de la construction s’est avéré temporaires de travail au CaAu Québec, pendant qu’on fernécessaire. Certains syndicats nada, particulièrement les promait une usine de transformation grammes pour les travailleuses ont toutefois repéré que le traide porc, mettant des centaines de tement salarial de ces personnes et travailleurs peu spécialisés? n’était que de 3,50 $ l’heure et travailleuses et de travailleurs à la il s’en est suivi plusieurs pourMB : Réaliser un film rue, on en agrandissait une autre suites contre les compagnies. documentaire comme La fin de en Alberta, qui avait recours à Par la suite, le cas d’une l’immigration demande souvent des travailleuses et des travailleurs usine de poisson en Ontario, près de cinq ans de travail, de la étrangers. qui faisait venir de la main préparation à la sortie du film. d’œuvre du Sri Lanka, nous a C’est un peu comme une thèse. choqués. Plusieurs travailleuses étaient victimes de On doit s’appuyer sur une solide recherche docuharcèlement sexuel et d’autres abus de l’employeur. mentaire. Nous devons fonder nos observations et De plus, elles avaient déboursé jusqu’à 10 000 $ aux trouver des personnes prêtes à témoigner de leur agences de recrutement dans leur pays d’origine situation. Ce n’est d’ailleurs pas évident de troupour n’occuper finalement qu’un emploi au salaire ver des gens qui ont le courage et la conscience de minimum. Cette situation faisait d’ailleurs ressortir mettre leur propre situation à risque pour la cause toute la question des intermédiaires de recrutement. commune. Avec La fin de l’immigration, nous nous Au Québec, pendant qu’on fermait une usine trouvions aussi au début d’un phénomène. Avec la de transformation de porc, mettant des centaines de crise de 2009, nous devions vérifier si la tendance travailleuses et de travailleurs à la rue, on en agrande faire venir des travailleuses et des travailleurs midissait une autre en Alberta, qui avait recours à des grants temporaires allait se maintenir ou si elle allait travailleuses et des travailleurs étrangers. Cette situadevenir passagère. tion laissait voir beaucoup de contradictions que Aussi, en plus de la recherche documentaire, nous avions besoin d’explorer davantage. un projet comme celui-ci implique des voyages de Parallèlement, nous sommes depuis longtemps recherche afin de rencontrer sur place des interveimpliqués sur le terrain auprès d’organismes de nants potentiels et identifier les situations les plus défense des droits. Mon collègue Malcom Guy est aptes à illustrer notre hypothèse. La question du d’ailleurs un des membres fondateurs du Centre financement est également fondamentale et exige du des travailleuses et des travailleurs immigrants (CTI) temps pour mener à bien un tel projet. et toujours membre du conseil d’administration. Toutefois, faire un film n’est pas comme écrire Notre militance et le travail des intervenants comun livre. Un film n’est pas le meilleur moyen de faire munautaires du CTI nous permettent donc d’être passer des chiffres ou des textes de lois, c’est plutôt témoins de nombreux cas d’injustices, d’abus et un médium pour faire passer l’émotion. Nous dede discriminations. Nous avons ainsi appris qu’un vons donc choisir le focus principal qui permettra de grand nombre de personnes migrantes qui venaient faire passer cette émotion. au CTI pour obtenir du secours et de l’information sur leurs droits, se trouvaient au Québec en vertu du VE : Votre documentaire nous présente avec programme des travailleurs étrangers temporaires. éloquence plusieurs témoignages de travailAlors que nous avions cru avoir fait le tour de la leuses et de travailleurs de diverses provinces question avec trois films sur les travailleuses domescanadiennes et de membres de leur famille, tiques venues de l’étranger, nous avons réalisé qu’au mais aussi d’employeurs. Par quels moyens contraire, il fallait élargir notre perspective à tous les avez-vous réussi à rejoindre toutes ces persecteurs de l’économie et en parler comme phénosonnes et comment avez-vous réussi à les mène global au Canada ! convaincre de participer au film ? VIVRE ENSEMBLE PAGE 2/3 HIVER 2013 MB : Bien entendu, parler des émotions nous Il devrait y avoir une explosion de protestation, amène à cette question sur les témoignages ! Nous mais malheureusement plusieurs personnes voient devons trouver des personnes prêtes à s’ouvrir, à ces travailleuses et travailleurs comme une menace, raconter leur histoire devant une caméra. Nous préquand, en fait, elles sont victimes d’un système. La férons travailler avec des personnes qui sont en lien vraie menace, c’est le pouvoir que détiennent les avec des organismes sur le terentreprises, la pression que le Il faut que la population s’intéresse rain. Nous nous assurons ainsi recours à de tels programmes aux questions d’immigration en que ces personnes ont une comentraîne sur les conditions de général et de migration temporaire travail de tout le monde. préhension plus approfondie de leur situation et qu’elles ne sont en particulier. Cette réalité façonne pas seules et sans défense. Notre le profil de la population actuelle et VE : En plus de permettre une objectif est de montrer la capa- de celle qui se dessine pour le futur. prise de conscience collective, cité des êtres humains à surmoncroyez-vous que l’impact de ter les situations difficiles. Nous votre documentaire puisse améne voulons pas abonder dans le sens de la victimisaliorer la situation des personnes migrantes? tion, mais plutôt faire ressortir les capacités des êtes humais à surmonter des situations difficiles. MB : Ce film se veut un éveil à la situation que Notre façon de procéder se veut respectueuse, vivent les travailleuses et les travailleurs migrants au à la fois pour les personnes qui témoignent de leur Canada et un soutien au travail sur le terrain. Nous vécu et pour les représentants d’employeurs ou les désirons que la population s’en prenne aux bonnes compagnies que nous présentons. Nous ne mettons cibles, qu’elle réalise l’attrait d’une main-d’œuvre pas délibérément un employeur ou son témoignage captive dans un système qui vise le plus grand profit sous une lumière négative. Rien n’empêche toutefois possible moyennant les plus petites dépenses posle spectateur d’être critique! sibles, au détriment des travailleuses et travailleurs. Nous ne croyons pas que notre documentaire puisse VE : Les Productions Multi-Monde se défiaméliorer directement la situation de ces personnes, nissent par un cinéma engagé, à caractère mais nous croyons que les organismes qui œuvrent social et politique. Un des fils conducteurs du auprès d’elles sont les acteurs qui peuvent y arriver. film repose sur le parallèle que vous établissez Et c’est à la population, mieux renseignée et éclairée, avec l’immigration du début du siècle. Quel de les appuyer. message désirez-vous transmettre par l’intermédiaire de votre film? MB : Avec La fin de l’immigration, c’est la première fois que nous mettons de l’avant notre histoire personnelle. Nous faisons référence à nos origines et on s’entretient avec les parents de mon collègue Malcom pour constater la différence. Autrement, ces changements sont graduels et passent en sourdine, surtout lorsque le gouvernement évite d’en faire des débats de société. Il faut que la population s’intéresse aux questions d’immigration en général et de migration temporaire en particulier. Cette réalité façonne le profil de la population actuelle et de celle qui se dessine pour le futur. Ce texte fait partie du webzine Vivre ensemble volume 20, numéro 68, hiver 2013. Une publication du Centre justice et foi www.cjf.qc.ca VIVRE ENSEMBLE PAGE 3/3 HIVER 2013