Je connais une seule chose: apprendre à regarder
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Je connais une seule chose: apprendre à regarder
ACTUALITÉSOCIALE | ROMANDIE No 3 7 _ M A R S – A V R I L 2 0 1 2 Je connais une seule chose: apprendre à regarder Texte: Olivier Taramarcaz, coordinateur romand Formation et Culture, Pro Senectute De l’efficacité à la diversité créatrice Un principe fondamental de la vie associative consiste à produire du vivant. Sommes-nous en mesure dès lors de concevoir la diversité comme fondement d’une action de formation? C’est bien une vision culturelle de la formation qu’il s’agit d’explorer et d’inventer. Pour construire une société interagissante, et mettre en œuvre une démocratie cognitive, ce qui compte, c’est moins d’être efficace que d’interroger les limites de la logique d’efficacité. Au plan collectif, les spécialisations, si elles ne sont pas pensées en fonction d’un monde commun, s’organisent par cloisonnements réciproques, par corporatismes. Les cloisonnements dans les modalités communicationnelles sont aussi le reflet de cloisonnements institutionnels. Les institutions sont souvent organisées selon des critères d’âge, de sexe, de problématiques isolées. Cette organisation rationnelle du découpage de la sphère sociale peut contribuer à réduire le projet même d’intégration sociale. Des devantures à l’aventure de la vie La catégorisation des individus et la catégorisation des espaces participent à la construction de rapports sociaux que nous interrogeons peu. Nous assistons depuis une, voire deux décennies, à de nouveaux phénomènes de société nécessitant une réflexion et des actions croisées, notamment autour de la question du lien social, des solidarités de proximiPro Senectute Suisse édite chaque année un programme d’une centaine de formations courtes (1 à 6 jours) dans les trois régions linguistiques, dont 30 en Suisse latine. 1000 participant-e-s suivent une ou plusieurs formations dans l’un des 3 champs: 1. Gérontologie: problématiques, enjeux, défis; 2. Parcours de vie et relations entre générations; 3. Méthodologie. Les formations contribuent à nourrir des projets (création d’un groupe de parole; directives anticipées; action intergénérationnelle). Le secteur Formation et Culture organise aussi des journées spécialisées, des événements (festival de films «visages»), publie des ouvrages thématiques («Généraction»). té, des relations intergénérationnelles et interculturelles, de l’habitat, de la vie de quartier, de l’environnement, de la bio diversité. La formation continue contribue à transformer les représentations sociales, à agir comme un levier sur une vision plurielle de l’action sociale. Espace d’interpellation réciproque Je conçois la formation continue, comme un lieu de déplacement du regard, des savoirs, des références. C’est dans l’intersubjectivité que nous apprenons à communiquer. Est-ce que nous sommes en mesure de développer des partenariats d’apprentissage pour nourrir nos engagements mutuels? Qu’est-ce que notre communauté d’engagement social, culturel, sanitaire produit comme leviers d’intégration sociale? Quels sont les domaines dans lesquels nous innovons, inaugurant de nouveaux espaces pour faire société? S’engager dans une réflexion sortant des catégorisations sociales, c’est en quelque sorte s’autoriser un espace d’interpellation réciproque. Le croisement des questionnements entre les domaines, tel que nous l’envisageons dans la formation continue, place d’entrée le débat sur un autre plan que celui de la spécialisation, à un autre niveau que celui du savoir, et dans un autre ordre que celui du pouvoir. Parcourir les temps de la vie Le programme de formation de Pro Senectute Suisse propose différentes clés d’entrée dans ce champ: l’action sociale communautaire invite à reconsidérer son rôle d’acteur, d’habitant, de citoyen; le culturel introduit d’autres référentiels, par le théâtre, les arts plastiques, la danse, le cinéma, comme vecteurs d’un potentiel de transformation, comme levier et comme ferment de création d’autres manières d’être au monde. Je propose à titre d’exemple un espace de croisement des mondes, par l’organisation du festival de films intergénération «visages». Cinq festivals organisés à ce jour ont permis de découvrir 200 films de 40 pays, la plupart du temps des réalisations peu connues parce que non diffusées dans les cinémas. Le festival «visages» offre la possibilité d’un côtoiement intergénérationnel. Il constitue un lieu de débat ouvert tant aux professionnel-le-s qu’au grand public. Il permet de problématiser des thématiques généralement abordées dans un cadre spécialisé, en privilégiant une expression sensible ouverte à tout un chacun. Se préserver des niches temporelles Apprendre ensemble en croisant les regards, à partir de l’expérience d’acteurs issus tant des milieux de l’enfance, de la jeunesse, de la migration, du handicap, de la vieillesse, de la culture, voilà un défi pour les acteurs sociaux. Un appel à tricoter des savoirs interstitiels, à développer une compétence bilingue. Travailler dans le champ de la réalité sociale implique de se préserver des niches temporelles. A se donner le temps du questionnement dans une approche multidimensionnelle, l’on prend bien sûr le risque de déplacer les bornes de son savoir; le risque aussi d’apprendre à regarder, d’envisager de manière plus différenciée son rapport au monde. A ne pas s’arrêter l’on prend d’autres risques, comme celui de ne pas voir ce que l’on sait et fait et, de ne pas savoir ce que l’on voit et fait. En d’autres termes, le risque de la reproduction du même au même. Dès lors, se former, une manière de prendre prise sur sa propre vie, d’en redéfinir les orientations, de lui donner une forme, où cohabitent le désir et le projet. Partager les savoirs et les expériences, c’est peut-être le meilleur chemin pour réduire les espaces sans désir. Le désir redonne place au projet, dans la mesure où un projet est relié à l’expression des individus et des collectivités. | Contact Olivier Taramarcaz, Pro Senectute Suisse, rue du Simplon 23, 1800 Vevey, e-mail: [email protected] 3