L`Europe et l`externalisation. La Libye en première ligne

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L`Europe et l`externalisation. La Libye en première ligne
L’Europe et
l’externalisation
La Libye
en première ligne
Claire Rodier
Le conseil des ministres chargés de l’immigration dans les vingt-cinq pays
membres de l’Union européenne (dit « conseil JAI », pour Justice et
Affaires intérieures) a décidé, au début du mois de juin 2005, « l’instauration d’un dialogue et d’une coopération avec la Libye sur les questions d’immigration ». Cette décision, aboutissement d’un processus engagé depuis
trois ans, est l’exemple le plus emblématique du cynisme de l’Europe dans
la pratique de délocalisation des contrôles qu’elle a mise en place pour
protéger ses frontières sud. En affichant son intention de déléguer une partie de la tâche aux autorités libyennes, l’Union européenne entre de plein
pied dans une nouvelle phase, celle de l’externalisation de sa politique
d’asile et d’immigration. Après une première période de cinq ans consacrée, entre 1999 et 2004, à l’élaboration (laborieuse) d’instruments communs (directives sur l’accueil des demandeurs d’asile, sur la définition du
« réfugié », sur le statut du résident étranger de longue durée…) pour gérer
ces questions à l’intérieur de son territoire, l’heure est venue de s’occuper
de leur « dimension externe ».
Le virage a été annoncé au sommet des chefs d’État et de gouvernement
réunis à La Haye en novembre 2004, à l’occasion de l’adoption d’un programme quinquennal (le « programme de La Haye ») qui met l’accent sur
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alors chaudement soutenue par celui qui aurait dû être chargé, au sein de la
Commission européenne, du portefeuille de l’immigration. 4 Une conjonction de facteurs vont faire de la Libye le premier terrain d’expérimentation
de l’externalisation de la politique migratoire de l’Europe.
l’association des pays tiers à la gestion des flux migratoires et propose
d’évaluer « le bien-fondé, l’opportunité et la faisabilité d’un traitement commun des demandes d’asile en dehors du territoire de l’UE ». Pour être désormais officiellement à l’ordre du jour, le concept d’externalisation n’est toutefois pas nouveau : en 2003, Tony Blair proposait à ses partenaires de l’UE,
au nom d’une meilleure gestion de la procédure d’asile, d’installer hors UE
des transit processing centers, vers lesquels seraient renvoyés les demandeurs d’asile arrivant sur le territoire d’un des États membres afin d’y traiter leur demande. 1 L’idée, si elle n’a pas été retenue officiellement à
l’époque, n’en a pas moins été largement débattue au sein des États européens, des instances de l’Union et des organisations internationales. Sans
la reprendre totalement à son compte, la Commission européenne préconise la « consolidation de l’offre de protection dans la région d’origine [des
potentiels réfugiés] avec un traitement des demandes de protection au plus
près des besoins » en faisant appel à la coopération des États tiers. 2 De son
côté, le HCR, à la recherche d’un improbable compromis entre la pression
exercée par les pays européens pour échapper à leurs responsabilités et les
principes d’accueil qu’il est censé incarner et défendre, s’est également
laissé entraîner sur la voie dangereuse ouverte par le projet Blair. Dans le
cadre du volet européen d’un programme intitulé « Convention plus », il
s’est prononcé pour une délocalisation de l’examen de la demande d’asile,
non pas hors de l’Union, certes, mais dans des centres de réception situés
à sa nouvelle frontière extérieure, celle formée par les dix nouveaux pays de
l’Europe « élargie ». Une suggestion qui, en contradiction avec sa doctrine,
entérine la possibilité de faire de la détention un mode normal de gestion
des demandeurs d’asile. 3 La proposition britannique a fait son chemin :
relancée en 2004 par les ministres de l’Intérieur allemand et italien, elle est
C’est à la fin de l’année 2002 qu’a été évoquée pour la première fois, dans
les discussions des Quinze, l’idée d’un rapprochement avec la Libye autour
des questions migratoires. Le Conseil européen de Séville, quelques mois
auparavant, avait certes posé comme une priorité le partenariat avec les
pays tiers pour la gestion des flux migratoires, insistant sur la nécessité d’y
intégrer la prévention et la lutte contre l’immigration illégale et le trafic
d’êtres humains. Mais avec la Libye, on partait de rien. Si, dès la fin des
années 1990, l’Union européenne avait, sous la forme de « plans d’action »
ciblés vers certains pays, posé les jalons de sa politique d’externalisation
pour les inciter à collaborer à sa stratégie de dissuasion à l’égard des candidats à l’exil en Europe, la Libye n’en faisait pas partie. Les pays visés 5 (soit
parce que gros « fournisseurs » de migrants, soit parce que pays de transit)
n’étaient pour la plupart ni politiquement ni économiquement en mesure
d’avoir des exigences en retour. Et lorsqu’ils l’étaient, ces travaux d’approche de l’UE s’inscrivaient dans le cadre d’un partenariat déjà engagé,
notamment, pour le Maroc, avec le processus de Barcelone 6 et l’accord
d’association UE-Maroc. La Libye ne répond ni à l’un ni à l’autre de ces
modèles. D’une part, elle n’est pas économiquement dépendante, d’autre
part elle n’entretient aucune relation contractuelle avec l’Union européenne. Même si elle a acquis en 1999 le statut d’observateur dans le processus
1 – Claire Rodier, « Dans des camps hors d’Europe : exilons les réfugiés »,
Vacarme, n° 24, été 2003, <http://vacarme.eu.org/article402.html>
2 – Commission européenne, « Communication sur la politique européenne
d’asile et l’Agenda pour la protection », 26 mars 2003, COM(2003) 152 final,
<http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/asylum/common/
docs/com_2003_152_fr.pdf>
3 – UNHCR, document de travail « Three pronged proposals », juin 2003,
<www.statewatch.org/news/2003/jul/unhcr2.pdf>. Pour une analyse détaillée
du projet britannique et des discussions qu’il a entraînées, voir Sophie Huguenet,
Droit de l’asile : le projet britannique d’externalisation, L’Harmattan, 2004 ;
Claire Rodier, « Les camps d’étrangers, dispositif clef de la politique d’immigration
et d’asile de l’Union européenne », in Pierre-Arnaud Perrouty, La mise à l’écart
de l’étranger. Centres fermés et expulsions, Bruxelles, Labor, 2004.
4 – Il s’agit de Rocco Buttiglione, ancien ministre italien aux affaires européennes,
qui faisait partie de l’équipe constituée par le président de la Commission européenne
José Manuel Barroso avant que le Parlement européen n’oppose un veto à sa prise
de fonctions en raison de ses déclarations homophobes. Interrogé sur l’opportunité
de créer dans des pays tiers des camps pour les migrants et les demandeurs d’asile
en route vers l’Europe, il s’était déclaré favorable à la mise en place de sortes de centres
de tri pouvant « à la fois servir de soutien humanitaire et fournir des informations afin que
les candidats à l’immigration puissent entrer en contact avec le monde du travail en Europe
et obtenir des renseignements sur les qualifications requises » (Le Monde, 2 septembre 2004).
5 – Afghanistan, Albanie, Irak, Maroc, Somalie, Sri Lanka.
6 – Le processus de Barcelone, initié en 1995, réunit les États membres de l’Union
européenne et douze pays de la rive sud de la Méditerranée et vise à créer
un espace régional de dialogue politique.
’Europe et l’externalisation
la Libye, un voisin bien distant
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de Barcelone, la Libye, bien qu’elle en ait exprimé l’intention au début de
l’année 2004, ne paraît pas pressée d’y adhérer pleinement, et semble privilégier pour l’instant l’affirmation de sa position au sein de l’Union africaine. 7 Elle n’est par conséquent pas non plus membre de l’Assemblée parlementaire euroméditerranéenne, l’institution parlementaire de Barcelone
créée en 2003, qui rassemble des parlementaires de dix pays méditerranéens 8 et des vingt-cinq États-membres de l’UE ainsi que des eurodéputés.
La Libye qui, grâce à la rente pétrolière, est un pays de destination pour de
nombreux immigrés du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne qui y trouvent à travailler, est restée pendant très longtemps politiquement isolée du
monde occidental (v. infra). Les informations sur sa politique migratoire
sont rares et difficiles à recouper, mais ce que l’on en sait laisse penser que
les droits des migrants n’y sont pas volontiers respectés, que la détention
et les expulsions collectives y sont monnaie courante, et qu’il n’y existe
aucune procédure spécifique pour les réfugiés ayant besoin d’une protection internationale. Depuis quelques années, la Libye est aussi devenue un
pays de transit pour un certain nombre de migrants en route pour l’Europe.
C’est à ce titre qu’elle participe, avec huit autres pays riverains de la Méditerranée (Algérie, Espagne, France, Italie, Malte, Maroc, Mauritanie et Tunisie) ainsi que le Portugal, au dialogue informel « 5+5 » 9 qui a mis sur pied
en septembre 2004 un groupe de travail sur la migration pour « identifier et
renforcer les actions concrètes de coopération », y compris avec les pays
d’Afrique sub-saharienne « gros pourvoyeurs de clandestins ».
La perspective de l’élargissement de l’UE en 2004 avait incité ses responsables politiques à en anticiper les conséquences en mettant en place « un
nouveau cadre pour les relations avec [les] voisins de l’est et du sud » 10, sans
7 – Voir à ce sujet le compte-rendu fait par Hélène Flautre, députée européenne
et présidente de la sous-commission droits de l’homme du Parlement européen,
au retour d’une mission en Libye du 17 au 20 avril 2005 ,
<http://pajol.eu.org/rubrique172.html>.
8 – Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Israël, Palestine, Jordanie, Liban, Syrie, Turquie.
9 – Lancé dans son principe en 1990, le dialogue « 5+5 » est destiné à promouvoir
la région comme « aire de paix, de coopération, de sécurité et de stabilité ».
Au menu de son premier sommet en décembre 2003 figuraient la lutte antiterroriste
et l’immigration illégale, ainsi que le renforcement de la coopération politique
et économique. Voir <www.iom.int/en/know/dialogue5-5/index_fr.shtml>.
10 – Communication de la Commission européenne, COM (2003) 104 final, 11 mars 2003,
<http://europa.eu.int/eur-lex/lex/LexUriServ/
LexUriServ.do?uri=COM:2003:0104:FIN:FR:PDF>.
’Europe et l’externalisation
oublier d’y intégrer les questions d’immigration et d’asile. La politique
européenne de voisinage (PEV), lancée en mars 2003, était censée répondre
à cette préoccupation, en offrant aux pays limitrophes un renforcement de
la coopération politique, sécuritaire, économique et culturelle basé sur des
« valeurs communes » en matière « d’état de droit, de bonne gouvernance, de
respect pour les droits de l’homme, de la promotion des relations de bon voisinage et des principes de l’économie de marché et du développement durable ».
La PEV doit aussi « aider l’Union à atteindre ses objectifs dans le domaine de
la justice et des affaires intérieures, notamment pour ce qui est de la lutte
contre […] toutes les formes de trafic ainsi qu’en ce qui concerne les questions
liées à l’immigration ». 11 Dans le cadre de la PEV des plans d’action sont
prévus avec les pays concernés, dont la coopération sur les migrations,
l’asile et les politiques en matière de visas constitue une des priorités. Au
début de l’année 2005, ce programme était engagé avec Israël, la Jordanie,
et l’Ukraine, et des négociations étaient ouvertes en ce sens avec la Moldavie, le Maroc, l’Autorité palestinienne et la Tunisie. La Commission européenne préconise par ailleurs une intensification de la coopération entre
l’UE et l’Egypte, le Liban et trois États de la partie méridionale du Caucase –
Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie. On constate que la Libye ne fait pas partie de la liste, même si la Commission n’écarte pas, à terme, de l’intégrer
dans la PEV, ce qu’elle subordonne toutefois à l’acceptation par ce pays de
l’intégralité de l’acquis de Barcelone.
L’Union européenne ne dispose donc d’aucune base formelle pour engager
avec la Libye un partenariat sur les questions migratoires. Mais la position
stratégique de la Libye dans les trajectoires des migrants impliquait visiblement que l’UE passât outre cette absence totale de cadre de discussion.
Depuis longtemps déjà l’Italie, l’une des principales portes d’accès en Europe pour les exilés en provenance des rives sud de la Méditerranée, réclamait
l’ouverture de négociations au nom du « partage du fardeau ». 12 L’imminence de l’adhésion à l’Union européenne de Malte, autre pays particulièrement concerné par les débarquements de boat people partis des côtes
libyennes, est venue renforcer la conviction qu’il fallait intervenir en amont
11 – Document d’orientation de la Commission européenne sur la politique européenne
de voisinage, COM (2004) 373 final, 12 mai 2004, <http://europa.eu.int/eurlex/lex/
LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2004:0373:FIN:FR:PDF>.
12 – Le partage du fardeau, ou burden sharing, est l’élégante expression utilisée par les pays
riches – et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – pour désigner
la répartition de l’accueil sur leur sol de ceux qui fuient la misère ou les conflits.
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des frontières maritimes de l’Union, en trouvant les moyens d’associer la
Libye à cette stratégie. C’est ainsi qu’en avril 2003 une mission exploratoire était organisée par la Commission européenne pour évaluer la bonne
volonté des autorités libyennes à coopérer sur les questions d’immigration
illégale. Test sans doute concluant, puisqu’il fut décidé dans la foulée de
fixer le cadre d’une nouvelle mission technique de la Commission en Libye,
cette fois-ci destinée à dégager les mesures à prendre pour une coopération
entre l’UE et la Libye.
on se bouscule sous la tente de Kadhafi
Cette amorce de rapprochement sur les questions de contrôle des frontières ne peut être dissociée du contexte plus général de réchauffement des
relations entre l’Europe et un pays longtemps officiellement mis au ban de
la communauté internationale, que la levée par l’UE de l’embargo sur les
armes qui pesait depuis le milieu des années 1980 est venue sceller en
octobre 2004. La levée de l’embargo est la dernière étape d’une décision
prise par l’ONU en 2003 de mettre un terme au boycott commercial qui
frappait la Libye depuis 1988, à la suite de la reconnaissance par les autorités libyennes de leur responsabilité dans l’attentat qui, à l’époque, avait
détruit un avion de la compagnie Pan Am au-dessus de la ville écossaise de
Lockerbie, et de leur engagement à en dédommager les victimes. D’autres
gages de bonne volonté ont suivi, comme la volonté affirmée par la Libye
de démanteler son programme d’armes de destruction massive sous supervision internationale, et de régler la facture des attentats perpétrés en
1986 contre une discothèque à Berlin et en septembre 1989 contre le DC10 de la compagnie française UTA.
La voie de la réintégration de la Libye au sein des nations fréquentables
avait été ouverte dès le printemps 2004, lors de la visite officielle à
Bruxelles du chef de l’État libyen, Mouammar Kadhafi, à qui un véritable
tapis rouge devait être déroulé au grand dam des organisations de défense
des droits de l’homme. Romano Prodi, alors président de la Commission
européenne mais non moins italien – on a vu que l’Italie a un intérêt très
direct à la reprise des relations avec un partenaire considéré comme incontournable pour la lutte contre l’immigration clandestine – est pour beaucoup dans cet accueil triomphal. En arrière-plan de cette réhabilitation, des
considérations sonnantes et trébuchantes entrent en ligne de compte.
Selon les experts, la Libye serait un des pays les plus attractifs dans le
domaine du pétrole. Les réserves de brut libyen – un pétrole de grande qua-
’Europe et l’externalisation
lité, aux coûts d’extraction modérés – permettraient d’envisager près de
soixante ans d’exploitation au rythme actuel, sachant que seul le quart du
sous-sol libyen est aujourd’hui couvert par des accords de prospection et
de production, ce qui place potentiellement le pays au même niveau que le
Koweit. 13 Pour exploiter cette manne, qui assure la richesse du pays
depuis les premières découvertes d’or noir à la fin des années 1950 la Libye
a toutefois besoin d’investissements lourds, que le blocus commercial en
vigueur depuis vingt ans rendait de plus en plus difficiles. La décrispation
des relations avec les pays occidentaux répond par conséquent à une
convergence d’intérêts : ceux de la Libye à qui elle donne les moyens de
développer le potentiel de son sous-sol, et ceux des investisseurs étrangers
friands de nouveaux sites à exploiter. « Nous ouvrons nos bras à tous, Africains, Asiatiques, Européens et, comme nous améliorons nos relations avec les
États-Unis, nous ouvrons nos bras aux Américains », déclarait ainsi le
ministre libyen de l’Énergie. 14 Témoin de cette nouvelle donne, la sollicitude dont Tripoli a été l’objet dès la reprise des discussions au niveau international de la part des voyageurs de commerce que sont ministres et chefs
d’État lorsqu’il s’agit d’être en bonne place dans la course aux investissements. Au mois de mars 2004, le ministre français délégué au commerce
extérieur, accompagné d’une délégation du Medef de 70 entrepreneurs, se
rendait ainsi en Libye pour tenter d’y remonter le niveau de la France en terme de parts de marché, encore très bas (6 %) par rapport à celui d’autres
pays européens, notamment l’Italie (27 %). Au même moment, dans la foulée d’une visite officielle de Tony Blair, le groupe anglo-néerlandais Shell y
négociait un accord pour remettre en route des opérations longtemps interrompues, tandis que George W. Bush, en annonçant la levée partielle des
sanctions bilatérales encore exercées par les États Unis contre Tripoli,
ouvrait la voie au retour des compagnies pétrolières américaines qui avaient
déserté la Jamahiriya libyenne dans les années 1980. 15 En octobre 2004, à
peine annoncée la décision des ministres des Affaires étrangères des VingtCinq de lever l’embargo, on s’est bousculé sous la tente où Mouammar
Kadhafi a coutume de recevoir ses hôtes : rien moins que Silvio Berlusconi,
Gerhard Schroeder et Jacques Chirac s’y sont succédé en l’espace de
quelques semaines, et en sont revenus les mains pleines.
13 – « Les entreprises françaises retournent en Libye », Les Échos, 8 mars 2004.
14 – Cité par Les Échos du 17 mai 2004.
15 – « Pétrole : les Américains dans les starting-blocks », Les Échos, 17 mai 2004.
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les migrants, instruments de négociation
Ce contexte de retrouvailles, sur les plans tant diplomatique qu’économique, ne pouvait qu’être propice au développement d’une collaboration
entre l’Union européenne et la Libye sur les questions migratoires. Depuis
plusieurs années déjà, le pays constitue la dernière étape avant l’Europe
pour de nombreux migrants en quête d’une vie meilleure ou d’une protection, notamment originaires d’Afrique sub-saharienne. S’il est difficile de
mesurer l’ampleur du phénomène – aucune donnée fiable ne permet de
vérifier les affirmations péremptoires et alarmistes du ministre de l’Intérieur
italien, Giuseppe Pisanu, selon lesquelles « plus de deux millions d’Africains
sont prêts à traverser la mer pour gagner les côtes européennes à partir de la
Libye » 16 –, il est indéniable que l’étape libyenne est devenue en quelques
années, en raison notamment du durcissement des contrôles qui rend de
plus en plus difficile le franchissement du détroit de Gibraltar, l’un des principaux points de passage de la frontière sud. Plusieurs épisodes, comme les
affaires du Cap Anamur et du Zuiderdiep 17, en ont constitué la spectaculaire démonstration au cours de l’été et de l’automne 2004. Au point de faire de l’immigration un enjeu non négligeable des négociations. Tripoli a
d’ailleurs l’habitude d’utiliser la présence de nombreux migrants qui vivent
sur son sol au gré de ses intérêts diplomatiques ou géopolitiques du
moment. Ayant fait le choix, depuis les années 1990, d’un positionnement
panafricain, et soucieuse de renforcer son assise régionale au sein du CENSAD 18, la Libye a su jouer la carte de l’attraction par des mesures incitatives destinées à faire venir dans son université des étudiants originaires
d’Afrique sub-saharienne, et cherché à faciliter l’instauration d’un espace
de circulation commun en créant une compagnie aérienne qui relie Tripoli à
plusieurs capitales chez ses voisins africains. À l’inverse, plusieurs milliers
de Palestiniens, de Soudanais ou encore de Maliens ont été victimes d’expulsions collectives au cours de la dernière décennie, faisant les frais de la
politique extérieure du colonel Kadhafi, notamment dans le cadre du conflit
israélo-arabe. 19 Les mêmes ressorts servent aujourd’hui dans le dialogue
16 – Cité par l’APS, 28 septembre 2004.
17 – Voir <http://pajol.eu.org/rubrique146.html>.
18 – Communauté regroupant les 21 États du Sahel et du Sahara, créée à l’initiative de la
Libye en 1998 pour développer la coopération économique dans la région sahélienne.
19 – Olivier Pliez, « Le bassin du lac Tchad, un espace migratoire polarisé par la Libye ? »,
Politique Africaine, n°94, juillet 2004, p. 42-58.
’Europe et l’externalisation
avec l’Europe. Le ministre libyen des Affaires étrangères, Abdelrahmane
Chalgham, parle d’« invasion » pour désigner les immigrés africains en
Libye, et exprime sa crainte que des « terroristes » ne soient infiltrés parmi
les clandestins. 20 Une façon, en reprenant la rhétorique de ses partenaires,
de peser sur les Européens afin d’obtenir plus vite aide logistique et reconnaissance politique. Un an plus tard le « chef suprême » Kadhafi lui-même
complétait le propos, en invitant de façon pressante l’Union européenne à
aider le Maroc et la Libye, par une assistance financière et la fourniture
d’équipements. 21
chantages en cascade
La technique s’est révélée efficace : c’est en ouvrant, ponctuellement, le
robinet de l’immigration vers l’île de Lampedusa, située à l’extrême sud de
l’Italie, à quelques encablures seulement des côtes africaines, que la Libye a
su rallier l’Italie à sa cause et faire de Silvio Berlusconi son meilleur avocat
face aux résistances de quelques États membres de l’UE. 22 Au terme d’un
premier accord opérationnel conclu en 2003 entre les deux pays, l’Italie
s’était engagée à fournir à la Libye un soutien pour la formation de policiers
libyens, le financement d’un programme de charters pour renvoyer depuis
la Libye les migrants en situation irrégulière vers leur pays d’origine, une
assistance au sauvetage en mer et le financement de la construction au
nord du pays d’un camp pour migrants « en conformité avec le respect des
droits de l’homme ». 23 Mais cet accord est resté quasiment lettre morte, les
autorités libyennes considérant que les contreparties à leur collaboration
étaient bien maigres : c’est que l’embargo encore en vigueur empêchait la
livraison des hélicoptères équipés de viseurs à infra-rouge, vedettes, radars
et autres instruments sophistiqués à usage civil et militaire. Les « lâchers »
de migrants sur les côtes italiennes ont repris de plus belle. Répercutant le
chantage libyen sur ses partenaires de l’UE, le ministre italien de l’Intérieur
20 – La Stampa, 9 août 2004, <www.meltingpot.org/articolo3956.html>.
21 – Jamahiriya news agency (agence de presse libyenne), 1 er septembre 2004.
22 – Eric Joszef, « Berlusconi, porte-parole européen de Kadhafi. Le chef de
gouvernement italien demande à l’UE la levée des sanctions contre la Libye »,
Libération, 22 septembre 2004, <www.cestim.it/articoli news e visti dagli altri/
visti dagli altri22settembre04.htm>.
23 – Ces informations sur le contenu des négociations bilatérales entre l’Italie
et la Libye sont tirées du rapport de la mission technique de la Commission
européenne en Libye (28 novembre-6 décembre 2004).
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en est venu, à la fin de l’été 2004, à menacer de rompre unilatéralement le
blocus si les négociations n’avançaient pas. La levée de l’embargo a permis
la reprise et la concrétisation des négociations bilatérales : dès l’automne
suivant, des patrouilles mixtes italo-libyennes navales, aériennes et terrestres étaient mises en place pour surveiller les 2 000 kilomètres de côtes
libyennes, et les 4 000 kilomètres de frontières qui séparent la Libye de ses
voisins. Et le financement par l’Italie de la construction de trois centres
d’accueil pour un total de 1 000 places, dans lesquels les autorités
libyennes pourraient regrouper les migrants en provenance d’Afrique centrale, était sérieusement envisagé. 24
la Libye, coûte que coûte ?
Le passage de cette entente à caractère bilatéral à la prise en compte, par
l’UE dans son ensemble, des conditions posées par les autorités libyennes
pour collaborer activement à sa politique de dissuasion des migrants n’allait
pas de soi, tant étaient nombreux les obstacles et les mises en garde. C’est
à la Commission européenne qu’est revenue la tâche de transformer l’essai.
Dans ce contexte a été organisée la deuxième mission qu’elle a conduite en
Libye, à la fin du mois de novembre 2004. Son objectif était double : d’une
part, rassembler les éléments nécessaires pour une connaissance approfondie des questions liées au phénomène migratoire en Libye ; d’autre part,
identifier les principales mesures à prendre pour une coopération équilibrée
entre l’UE et la Libye sur ces thèmes. La lecture du rapport réalisé à la suite
de cette visite technique, que la Commission n’a pas voulu rendre public 25,
laisse apparaître clairement que la réalisation du second objectif n’est pas
subordonné aux résultats obtenus dans le cadre du premier. Autrement dit,
peu importe qu’au terme de sa mission, la délégation conclue que les autorités libyennes n’ont pas vraiment joué le jeu, notamment en se dérobant à
certains des rendez-vous prévus ; que les quelques camps de détention visités ont de toute évidence été « préparés » avant son arrivée afin de les présenter sous leur meilleur jour ; que, même dans ces conditions, les violations des droits de l’homme y sont flagrantes ; qu’elle n’a pu obtenir aucune
information ni donnée concrète quant aux procédures régissant les expulsions d’étrangers, dont elle a seulement appris qu’elles sont généralement
24 – Salvatore Aloïse, « Rome veut faire de la Libye un gendarme contre les clandestins »,
Le Monde, 25 août 2004.
25 – Le rapport a néanmoins été mis en ligne :
<www.statewatch.org/news/2005/jun/01eu-libya.htm>.
’Europe et l’externalisation
collectives et se déroulent vers les pays d’origine sans examen de la situation personnelle de chaque détenu. Peu importe que le pays, qui considère
qu’il n’accueille que des migrants économiques qui viennent en Libye pour
gagner de l’argent et rentrer ensuite chez eux, n’ait pas l’intention d’introduire une politique de distinction légale et formelle entre les demandeurs
d’asile et les migrants économiques de peur de créer un « appel d’air », alors
même que dans ses visites de camps la mission a rencontré des personnes
en quête de protection internationale, voire déjà reconnues réfugiées par le
HCR dans d’autres pays. Peu importe que la Libye ne soit pas signataire de
la convention de Genève sur les réfugiés, qu’il n’y ait aucun accord de
coopération entre la Libye et le HCR, que le bureau du HCR à Tripoli n’ait
aucun statut officiel, et que par conséquent aucune protection internationale des réfugiés ne soit assurée dans le pays (même si, précise toutefois le
rapport de la commission technique pour rassurer le lecteur, la constitution
libyenne prévoit que l’extradition des réfugiés est interdite). 26 Rappelons
néanmoins que rien de cela n’avait empêché la Libye de présider en 2003 la
commission des Droits de l’homme de l’ONU… 27
avertissements
Peu importent de tels détails, puisque ce qu’ont retenu les ministres de
l’immigration des Vingt-Cinq de cette première approche, c’est l’intérêt de
« continuer sur la voie de la coopération, d’une intensification de la coopération avec la Libye ». 28 Il n’a pourtant pas manqué d’avertissements pour
tenter de retarder cette décision. Le HCR, bien placé pour parler puisqu’il
est engagé depuis la fin de l’année 2004 dans un programme, financé par la
Commission européenne, destiné à préparer le « renforcement des mécanismes de protection » dans les pays d’Afrique du nord y compris la Libye,
a rappelé à la présidence de l’Union que la Libye ne peut être considérée
comme un pays sûr pour les demandeurs d’asile. 29 Amnesty international,
26 – Toutes les informations reprises dans ce développement sont tirées du rapport
de mission de la commission technique conduite par la Commission européenne
en Libye fin 2004, voir note 25.
27 – Selon le délégué de la FIDH à l’ONU, lors du vote, « les pays de l’UE se sont abstenus
afin de ne pas heurter les pays africains ». La Libye n’a jamais accepté sur son sol la
présence des rapporteurs de ladite Commission, avant, pendant et après sa présidence.
28 – Communiqué de la présidence luxembourgeoise de l’UE, 14 avril 2005.
29 – Lettre de Raymond Hall, directeur du bureau Europe du HCR, au président en exercice
du conseil des ministres JLS de l’UE, 7 avril 2005.
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qui y a effectué une mission au début de l’année 2004, a confirmé qu’il
n’existe en Libye aucune garantie concernant les droits des réfugiés, et a
fait part de sa préoccupation « quant aux mécanismes de coopération ad hoc
qui pourraient se développer avec la Libye au sujet de l’immigration illégale,
sans les garde-fous nécessaires au niveau des droits humains », ajoutant que
« si l’Union européenne en vient à s’engager avec la Libye, le dialogue et la
coopération au niveau européen devront au minimum comprendre une clause
de conditionnalité très claire au niveau des droits humains ». 30 De son côté,
le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il condamne
fermement les renvois de migrants pratiqués à plusieurs reprises en 2004 et
2005 par les autorités italiennes vers la Libye, estimant que ce pays pratique « l’arrestation arbitraire, la détention et l’expulsion » et se disant « préoccupé par le traitement et les conditions de vie déplorables des personnes
détenues dans les camps en Libye et les récents rapatriements massifs d’étrangers de la Libye vers leur pays d’origine dans des conditions qui n’assurent ni
leur dignité ni leur survie ». 31 Au même moment, plus de vingt ONG qui
défendent, dans différents pays d’Europe et au Maroc, les droits des
migrants et des demandeurs d’asile, demandaient aux États membres de
l’Union européenne « de surseoir à toute décision de coopération européenne
et bilatérale en matière d’immigration avec la Libye », ajoutant que « la ratification et la mise en œuvre des conventions internationales garantissant la protection des droits humains telles que la convention de Genève […] sont un
préalable indispensable ». 32 ECRE, un regroupement d’ONG des vingt-cinq
États membres spécialisées dans la défense des réfugiés et des demandeurs
d’asile, constatant que le rapport de mission de la Commission lui-même
montre à quel point la Libye est éloignée des standards minimaux en matière de protection des réfugiés, pose la même exigence quant à la signature
par le pays de la convention de Genève. 33
Sourde à ces mises en garde, l’Union européenne a donc décidé en juin
2005 de s’engager dans une « stratégie à long terme » avec Tripoli pour lut30 – Amnesty international, bureau européen, « Immigration cooperation with Libya :
the human rights perspective », 12 avril 2005,
<www.amnesty-eu.org/static/documents/2005/JHA_Libya_april12.pdf>.
31 – Résolution du Parlement européen sur Lampedusa, 14 avril 2005,
<www.vertsderoubaix.org/article.php3?id_article=268>.
32 – « L’UE s’apprête à négocier avec la Libye sur les questions migratoires », 14 avril 2005,
voir <www.gisti.org/doc/actions/2005/italie/com2005-04-13fr.html>.
33 – ECRE (European council on refugees and exiles), « Lettre ouverte à la présidence de l’UE »,
1er juin 2005, <www.ecre.org/positions/Libya.doc>.
’Europe et l’externalisation
ter contre l’immigration illégale depuis les côtes libyennes vers les siennes.
Arguant de la « crainte » des Européens de voir, l’été venant 34, une recrudescence des transports d’illégaux en Méditerranée, un représentant de la
Commission européenne a expliqué qu’il fallait « prévenir et empêcher l’émigration clandestine à partir du territoire libyen ». 35 Dans un premier temps,
une enveloppe de deux millions d’euros devrait être débloquée par la Commission européenne pour soutenir des opérations spécifiques afin de faire
face aux situations d’urgence provoquées par l’immigration illégale en
Méditerranée. Le principe d’une formation par l’UE de garde-frontières et de
policiers libyens, qui pourront être associés dans des patrouilles européennes en mer, a aussi été adopté, ainsi que la mise sur pied d’un groupe
de travail chargé de mettre au point un « plan d’action conjoint pour le sauvetage en mer » d’embarcations transportant des immigrés clandestins. Et
si, selon le commissaire européen chargé des questions d’asile et d’immigration, « la Libye a promis l’adoption au Parlement d’une nouvelle législation
exhaustive en matière d’asile », on a quelques raisons d’être perplexe.
D’abord du fait des postulats sur lesquels s’appuie ce programme : on s’apprête à mettre en œuvre des interceptions maritimes (et des sauvetages)
d’« illégaux » pour « empêcher l’émigration clandestine » 36, faisant abstraction de l’hypothèse où des demandeurs d’asile se trouveraient à bord des
embarcations capturées. Quelles mesures sont prévues si c’est le cas, quels
dispositifs spécifiques ? Ensuite à cause du calendrier présenté : si l’urgence
concerne la surveillance de la Méditerranée, et si les considérations relatives au respect des droits de l’homme, notamment la mise en place d’un
système libyen d’asile relèvent de « la stratégie à long terme », quelles procédures seront appliqués aux « illégaux » capturés en mer en attendant
l’aboutissement du « long processus » qui s’engage ? Seront-ils refoulés vers
la Libye, pays de provenance ? Pour y être soumis à quelle législation ?
Quelles garanties qu’ils seront traités correctement, qu’ils ne seront pas
détenus abusivement, qu’ils ne subiront pas des expulsions collectives,
vers des destinations dangereuses pour eux ?
34 – En raison des conditions météorologiques plus favorables, les traversées de boat people
sont plus nombreuses à partir du mois d’avril, jusqu’à l’approche de l’hiver.
35 – Jonathan Faull, responsable de la Direction générale « Liberté, justice et sécurité » de
la Commission européenne, de retour d’une réunion technique à Tripoli fin juin 2005.
36 – On notera au passage que la formule « émigration clandestine » est contraire
au principe posé par la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 13.2)
selon lequel « toute personne a le droit de quitter librement tout pays, y compris le sien,
et de revenir dans son pays ».
59
Sans doute ces questions ne recevront-elles jamais réponse, tant il est clair
que la protection des migrants et des réfugiés n’est, en dépit des clauses de
style et des apitoiements officiels sur les « drames humains » causés par les
déplacements d’exilés vers l’Europe, qu’une donnée très accessoire dans le
programme de coopération que l’Union européenne veut à tout prix mettre
en œuvre avec la Libye. On a vu que tout, à ce jour, militait pour que des
préalables soient posés à cette coopération : tant l’état actuel des relations
contractuelles entre les deux parties (inexistantes) que le sort qui, de façon
notoire, y est réservé aux étrangers. À travers l’exemple caricatural de la
Libye, l’Europe fournit une excellente illustration ce qu’elle entend par
« dimension externe de la politique d’asile et d’immigration », quels que
soient les pays, à l’est ou au sud, visés par cette politique. L’« urgence »,
c’est que les migrants n’arrivent pas sur son sol, qu’ils soient contenus en
amont de ses frontières, ou admis après avoir été « filtrés » dans des camps
selon les besoins des économies européennes (ce qu’en France on appelle
« l’immigration choisie »). Le reste – enfermement dans des camps, harcèlement, maltraitance, regroupements forcés, violation du principe de nonrefoulement et du droit d’asile –, tout cela relève des dégâts collatéraux
qu’on traitera dans le « long terme ». Ou jamais.
Claire Rodier est juriste, GISTI, réseau Migreurop
’Europe et l’externalisation
sur la dimension europe-maghreb
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Emmanuel BLANCHARD & Claire RODIER, « Malte. Un laboratoire pour enterrer le droit d’asile »,
Plein droit, n° 65-66 (« Étrangers en Europe, étrangers à l’Europe »), juillet 2005
Emmanuel BLANCHARD & Claire RODIER, « Les étrangers dans la constitution européenne :
faire sortir l’UE du non-droit ? », Mouvements, n° 37, janvier 2005
Daphné BOUTEILLET-PAQUET , « Un droit d’asile qui s’effrite », Plein droit, n° 57 (« Une Europe
du rejet »), juin 2003, <www.gisti.org/doc/plein-droit/57/asile.html>
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d’asile en Europe », Multitudes, n° 19 (dossier « Migrations en Europe : les frontières de
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Dossier « Europe-Méditerranée-Afrique »,
<http://terra.rezo.net/rubrique.php?3id_rubrique=51>
et de nombreux textes sur <www.migreurop.org>
Du Maroc à l’Espagne
Pour ne pas se faire détecter
par le Système Intégré de
Vigilance Electronique (SIVE)
dans le détroit de Gibraltar,
65 Marocains ont quitté
Al Hoceima en direction
d’Almeria. Sept jours plus
tard, le 26 février 2005,
la marine algérienne a
recueilli 28 survivants,
37 personnes sont mortes
de soif ou par noyade.
Dans la nuit du 28 au 29
septembre 2005, un groupe
de 500 migrants, pour la
plupart sub-sahariens, ont
tenté de pénétrer dans l’enclave espagnole de Ceuta,
sur le territoire marocain.
Au moins 5 ont été tués, les
blessés sont très nombreux.
Le gouvernement Zapatero
envoie l’armée (au moins
500 hommes), le gouvernement marocain la police,
pour faire face à la « violence »
des « clandestins ».
Le 3 octobre, 650 sub-sahariens tentent d’entrer dans
Melilla. Munis d’échelles
artisanales, ils ont escaladé
la double barrière métallique
qui vient d’être réhaussée
de 3 à 6 mètres. Lançant
des pierres sur les gardes
civils espagnols, 350 d’entre
eux sont parvenus à pénétrer
dans l’enclave, césame vers
l’Europe. 135 migrants ont
été blessés dans l’assaut,
dont 5 grièvement, ainsi
que 7 agents espagnols.
pour plus d’infos
sur la situation au Maroc :
<www.migreurop.org>.
’Europe et l’externalisation
au large de l’UE
Cap Anamur, cap au pire :
l’Europe contre l’asile
se fait sous nos yeux
Le 11 juillet 2004, le Cap
Anamur, bateau d’une ONG
allemande, est autorisé
« pour raisons humanitaires »
à entrer dans le port de Porto
Empedocle (Sicile) : soit
20 jours après avoir sauvé les
37 passagers (36 Soudanais
du Darfour et 1 Ethiopien)
d’un bateau pneumatique
en perdition dans les eaux
internationales entre la Libye
et l’île de Lampedusa.
Les autorités italiennes lui
interdisaient leurs eaux territoriales depuis le 1er juillet.
Les réfugiés sont transférés
pour identification au CPT
d’Agrigente et risquent
l’expulsion ; le capitaine,
l’officier en second et le président de l’ONG sont arrêtés
pour avoir « favorisé l’immigration illégale » (art 12
de la loi Bossi-Fini). Le bateau
est mis sous séquestre.
La police fait courir le bruit
que les réfugiés sont ghanéens et non pas soudanais,
allégation immédiatement
démentie par plusieurs
religieux présents à bord,
et non moins immédiatement
reprise par la télévision italienne et certains médias européens, qui s’étaient jusque
là désintéressés de l’affaire.
Roberto Castelli, ministre
de la Justice, déclare, dans
une paranoïa nationaliste
somme toute en accord avec
l’air du temps, qu’il est facile
de feindre l’urgence pour
tester la capacité de résistance des pays européens.
Par ce refoulement aux frontières maritimes, l’Italie
a bafoué ses obligations
internationales (violation
du principe de non-refoulement selon lequel quiconque
se présente à une frontière
a droit de présenter une
demande d’asile). Elle a aussi
tordu dans son sens le règlement Dublin II : afin de déterminer l’État compétent pour
l’examen de la demande
d’asile, il aurait d’abord fallu
que la demande ait été déposée dans un État de l’UE.
Et, dans cet État – l’Italie –,
le Parlement doit adopter
une loi sur l’asile qui n’est
donc pas en vigueur. Il a ainsi
délégué à la police l’admission à la procédure d’asile
des réfugiés contraints
à l’immigration clandestine.
L’Italie s’est ensuite livré
à un obscène jeu de « patate
chaude » avec l’Allemagne
et Malte (où le Cap Anamur
s’était arrêté), chacun se renvoyant la responsabilité,
tandis que des vies étaient
en péril et que la Convention
de Genève, la Charte de Nice
et la Constitution italienne
étaient niées. C’est tout juste
si ces trois États membres de
l’UE, avec le silence complice
des institutions européennes,
ont consenti à évoquer
l’« urgence humanitaire », tout
63
en précisant qu’il leur était
impossible d’y répondre sous
peine d’instaurer un « dangereux précédent qui ouvrirait
la voie à de nombreux abus ».
C’est dire assez que, dans
cette gestion policière qu’est
devenue la politique d’asile,
les hommes et les femmes
n’existent pas. Le HCR,
l’ONU et le Vatican s’étant
tardivement émus, l’accostage fut finalement autorisé en
Sicile, ce qui permit à l’Allemagne de se retirer du jeu en
rejetant toute responsabilité
sur l’Italie.
Le gouvernement italien utilise maintenant la doxa européenne, assimilant à la criminalité organisée le fait de
sauver des vies en mer, et
considérant les réfugiés comme des terroristes potentiels.
En Italie, les associations,
les activistes, la société civile,
ont lancé des appels, informé, mobilisé, proposé la
création de commissions ad
hoc, et préparent un recours
auprès la Cour européenne
des droits de l’homme.
C’est cette mobilisation
et les droits des réfugiés et
migrants que les associations
et militants européens
doivent soutenir et relayer,
en dénonçant une politique
qui transforme les frontières
de l’UE en cimetières.
Act Up-Paris, CIMADE, Collectif de soutien des exilés,
Fasti, Gisti, LCR, Ligue des
droits de l’homme, MRAP,
Syndicat de la magistrature,
Union syndicale G10
(16 juillet 2004).
’Europe et l’externalisation
Italie : mobilisations contre les CPT
Centro di Permananza
Temporanea ?
Les CPT, créés en 1998 sous
la gauche et optimisés par
la loi Bossi-Fini (2004), équivalents français des centres
de rétention, sont une vingtaine (2005), dont une grande partie en Sicile et dans
les Pouilles. Une dizaine
de centres sont en projet.
Les luttes contre les CPT
sont nombreuses et se renforcent. En 2005, les nombreuses révoltes et évasions
de migrants, parfois facilitées
par l’extérieur et la libération
d’autres, montrent que des
résultats concrets peuvent
être obtenus par la mobilisation. Même 14 présidents de
région (sur 20) ont réclamé
en juin la fermeture des CPT !
Des initiatives prévues à
l’automne 2005 (actions
contre les CPT et les ONG
qui les gèrent, manifestations contre l’ouverture de
deux CPT à Bari et vers
Gorizia, manifestation nationale en novembre contre la
loi Bossi-Fini) sont conçues
comme un agenda national,
impliquant les mouvements
de migrants et les mouve ments sociaux.
de janvier à août 2005,
61 charters ont été
organisés pour déporter
d’Italie 4137 personnes
(dont 1920 Roumains).
Appelons un lager un lager
Définir comme lager les CPT,
« centres de séjour temporaire et d’assistance » pour
immigrés en attente d’expulsion – centres introduits
en Italie en 1998 par le gouvernement de gauche avec
la loi Turco-Napolitano, en
conformité avec les accords
de Schengen – n’est pas
de l’emphase rhétorique,
comme le pensent aussi
au fond de nombreuses
personnes qui utilisent cette
formulation. Il s’agit d’une
définition rigoureuse. Avant
de devenir des centres d’extermination méthodiques,
les lagers nazis ont été des
camps de concentration dans
lesquels vivaient reclus les
individus que la police considérait, même en l’absence
de conduite pénalement
répréhensible, comme dangereux pour la sécurité de
l’État. Cette mesure préventive – définie « détention
protectrice » (Schutzhaft) –
consistait à priver certains
citoyens de tous leurs droits
civils et politiques. Qu’ils
fussent réfugiés, juifs, Roms,
homosexuels ou opposants
politiques, il revenait à la
police, après des mois ou
des années, de décider quoi
en faire. Ainsi, les lagers
n’étaient pas des prisons
dans lesquelles on arrivait
à la suite d’une condamnation pour quelque délit (dans
sa définition totalitaire plus
ou moins aberrante), et ne
constituaient pas une extension de droit pénal. Il s’agis sait de camps où la légalité
était légalement suspendue.
La définition d’un lager ne
dépend ni du nombre d’internés ni de celui d’assassinés,
mais bien de sa nature poli tique et juridique.
Les immigrés finissent
aujourd’hui en centres de
rétention indépendamment
d’un éventuel délit, sans
aucune procédure pénale :
leur internement, à la discrétion du préfet, est une simple
mesure de police. Exactement
comme c’était le cas en 1940
sous le régime de Vichy,
lorsque le préfet pouvait
enfermer les individus
« dangereux pour la défense
nationale ou la sécurité
publique » ou « les étrangers en
surnombre par rapport à l’économie nationale ». On peut
aussi se référer à la détention
administrative dans l’Algérie
française, à l’Afrique du Sud
de l’apartheid, aux ghettos
actuels créés par l’État
d’Israël pour les palestiniens
ou aux différents Guantanamo à travers le monde.
[…] De ce point de vue,
l’introduction de la loi
Bossi-Fini n’en a pas modifié
la substance mais a seulement aggravé une situation
déjà existante. La loi BossiFini a circonscrit l’octroi
d’un permis de séjour à
la durée exacte du contrat
de travail, a doublé les limites
de séjour dans les lagers (de
30 à 60 jours) et a transformé la clandestinité en délit –
dans la mesure où celui qui
viole un décret d’expulsion
peut être incarcéré –, alors
qu’il s’agissait auparavant
d’une violation administrative
passible d’une amende.
Les nouveaux centres de
rétention sont construits
dans différentes régions afin
de rendre plus efficace la
machine à expulser. Une telle
machine a besoin pour fonctionner du concours de nom breuses structures publiques
et privées (de la Croix-Rouge
qui gère les lagers aux firmes
qui fournissent les services,
des compagnies aériennes
qui déportent les clandestins
aux aéroports qui organisent
les « zones d’attente », en
passant par les associations
caritatives qui collaborent
avec la police). Il s’agit,
au sens historique du mot,
de collabos qui s’enrichissent
des rafles, de la captivité
et des déportations. Aux
côtés des militaires et de
la police travaillent des
centaines d’organisations
non-gouvernementales qui
se gardent bien de dénoncer
les causes des désastres
dans lesquels elles interviennent. Il suffit de penser que
l’ensemble des ONG représentent la septième puissance économique mondiale.
Toutes ces responsabilités
sont bien visibles et bien
attaquables. Des actions
contre les centres de rétention (comme c’est arrivé
il y a quelques années en
Belgique lorsqu’une manifestation s’est conclue par la
libération de quelques clandestins) à celles contre les
« zones d’attente » (comme
en France aux dépens de la
chaîne d’hôtels Ibis qui fournit des chambres à la police)
ou pour empêcher les vols
de l’infamie (à Francfort, un
sabotage de câbles à fibres
optiques avait mis hors
d’usage, il y a quelques
années, tous les ordinateurs
d’un aéroport pendant plusieurs jours), il y a mille pratiques qui peuvent être réalisées contre les expulsions.
L’hostilité contre les « centres
de séjour temporaire » est
un premier pas.
[Extraits de Tempi di guerra,
n°1, janvier 2004, journal
turinois contre les CPT,
traduit dans Cette Semaine,
n°87, février 2004
<http://cettesemaine.free.fr>]
un printemps turinois
début avril 2005 : grève de
la faim au CPT de Milan.
14 avril : apparition d’inscriptions et banderoles à Turin en
solidarité avec les immigrés
en lutte et contre les CPT.
Diffusion d’informations
sur des marchés.
16 avril : l’eurodéputé de
la Ligue Borghezio se plaint
de recevoir continuellement
canulars téléphoniques et
menaces nocturnes.
18 avril : accrochage d’une
banderole en solidarité avec
les luttes à Milan pendant
le marathon de Turin
22 avril : distribution de tracts
dans les trams contre la colla-
65
boration de la Gtt, société qui
gère les transports urbains,
avec l’État en matière d’expulsions. À l’apparition de 2
contrôleurs, les perturbateurs
les précèdent et avertissent
bruyamment les passagers.
Quelques étrangers sans
billet réussissent à s’enfuir.
1er mai : grève de la faim
des retenus du CPT du Cours
Brunelleschi (Turin) – interrompue le lendemain. Ce CPT
est un des plus « productifs »
d’Italie : sa capacité d’accueil
est de seulement 70 personnes, mais, malgré les
ratissages continuels en ville,
il n’est jamais plein vue la
rapidité des expulsions.
3 mai : actions de perturbation de contrôles, diffusion
de tracts contre la Gtt.
7 mai : Aoste, arrestation
de 2 personnes (pour affichage contre la Croix-Rouge).
10 mai : à l’aube, irruption
des forces de l’ordre sur un
campement Rom. Arrestation
d’une vingtaine de personnes,
14 seront expulsées. Soir,
mort par noyade d’un Sénégalais qui tentait d’echapper
à un contrôle de police.
11 mai : soir, mort par balle
d’un autre Sénégalais lors
d’un contrôle de police.
12 mai : perquisition de 3
maisons de compagnons.
Arrestations à Lecce.
13 mai : action-information
devant le siège de la Gtt.
14 mai : matin, informations
au marché de la Porta Palazzo
sur les 2 Sénégalais tués par
la police. Après-midi,
’Europe et l’externalisation
rassemblement puis manif.
16 mai : après-midi, assemblée de rue, discussion sur
les moyens de se défendre
dans les quartiers contre
les violences policières
18 mai : quartier San Salvario,
apparition d’inscriptions et
affiches contre les expulsions
et la terreur policière. Les
journaux parlent de dommages au siège de la Chronique de Turin, le quotidien
du racisme turinois ainsi qu’à
celui de la Ligue du Nord.
19 mai : dans la nuit, révolte
des retenus du CPT du Cours
Burnelleschi qui enflamment
les matelas et s’attaquent
au bâtiment. Nombreux actes
d’auto-mutilation. Une grève
de la faim est entamée. Fin
de matinée, ses informations
arrivent à Radio Black Out.
Depuis quelques jours,
un ami de la radio est retenu
au centre. Dès lors, cette
antenne sera essentielle
aux mobilisations à l’intérieur
comme à l’extérieur : un
rendez-vous est pris pour
l’après-midi. À 18h, 150 personnes se rassemblent devant
le CPT. À l’intérieur, les retenus cognent sur les barreaux.
Dehors, on répond en cognant sur poteaux et feux
de signalisation. Quelqu’un
accroche une banderole sur
le mur d’enceinte, les retenus
escaladent les grilles et hurlent. Une députée communiste entre et sort appelant
tout le monde au calme.
À l’intérieur, elle est ignorée,
dehors, on explique qu’elle ne
représente personne et qu’il
n’y a aucune raison de rester
calme. Quelques uns ouvrent,
avec des masses, un trou
dans le mur du CPT. Après
avoir hésité, la police charge
mais est repoussée. Les manifestants se dispersent, une
partie part en manif vers l’arrêt de tram voisin. Arrestation
de quelques compagnons.
20 mai : 68 retenus sur 70
sont en grève de la faim,
beaucoup font aussi la grève
de la soif. La police investit
des lieux militants.
21 mai : à l’aube, nouvelle
révolte des détenus du Cours
Bruneslleschi pour empêcher
une expulsion, beaucoup
menacent de se suicider, certains ingèrent des piles et du
verre. Un clandestin s’entaille
l’abdomen. Il doit être recousu en urgence sur place :
la Croix-Rouge et la police
décident de le relâcher.
Après-midi, nouveau rassemblement devant le CPT. Les
retenus montent sur le toit,
la communication est intense. Les histoires de nombreux
retenus filtrent et on s’aperçoit que c’est souvent
la Croix-Rouge qui empêche
les libérations de ceux qui
auraient le droit de sortir.
23 mai : les immigrés, épuisés, interrompent la grève
de la faim. La police est postée en permanence devant
l’entrée. Soir, assemblée à
la mémoire des 2 Sénégalais
tués par la police et pour
continuer la discussion sur
la façon de se défendre face à
la terreur policière.
25 mai : à l’aube, la police
réveille 7 Marocains retenus
pour les expulser. La nouvelle
arrive vite dans les maisons
de camarades, suivie immédiatement de policiers. Perquisition de 10 habitations.
La police confisque 1500
tracts sur la Gtt. Formellement, la perquisition marque
le début d’une enquête sur
un colis piégé remis le matin
précédent à des policiers
municipaux. Après-midi, rassemblement en centre ville.
Au nord de la ville, la police
encercle des maisons où des
étrangers habitent. Un Nigérien se réfugie sur la corniche,
tombe et meurt. Affrontement entre des Nigériens du
quartier et la police.
26 mai : après-midi, rassemblement de diverses organisations de gauche contre
les violences policières. Envoi
d’une délégation. Soir, débat
« la ville et les prisons » (env.
80 personnes).
27 mai : matin, organisation
d’une manif devant le consulat du Maroc, coresponsable
avec l’État italien des expulsions de Marocains puis mouvement jusqu’au lieu où, l’année précédente, une Marocaine était morte alors qu’elle
tentait de fuire un contrôle.
Après-midi, rassemblement à
la mémoire du Nigérien tué.
Atmosphère très tendue.
Toute la journée, tractage
contre les violences policières.
28 mai : rassemblement Porta
Palazzo (seule une organisation antiraciste brandit ses
logos). La police est présente
en masse mais ne se montre
pas. Le cortège rassemble
bientôt 1 000 personnes. La
tension monte : personne ne
supporte les uniformes. Après
un peu de flou et à cause du
blocage par la police de la rue
menant au commissariat, le
cortège poursuit vers la gare
où les voies sont occupées.
1er juin : reprise de la grève
de la faim par les retenus, initiative vite abandonnée.
5 juin : arrivée au centre
de 12 clandestins. Les ratissages sont continus.
8 juin : reprise des rafles dans
les autobus. Irruption de
compagnons lors d’une
réunion officielle sur les projets de requalification urbaine.
Banderoles et tracts rappellent les meurtres d’immigrés.
Peu avant, des ouvriers licenciés avaient invectivé le
maire, peu après, ce sera le
tour d’habitants indignés
des projets d’urbanisme.
9 juin : expulsion de 5 personnes. La machine à expulser reprend son rythme de
croisière. Sur un marché, un
stand de la Chronique de Turin
est bousculé. Après-midi,
rassemblement devant le CPT.
15 juin : « les habituels inconnus », selon les journaux,
sabotent une centaine
de parcmètres gérés par la Gtt
et affichent un « faux parfait »
dans lequel l’entreprise
annonce une journée de
parking gratuit... etc., etc.
[source : Borderzero]
été 2005, « camping
antiraciste » en Sicile :
31 juillet : évasion de 40
migrants du CPT de Porto
Empedocle (environ 200
retenus). Une délégation
d’activistes avait pu pénétrer
dans le bâtiment et informer
les migrants de leurs droits.
Après l’évasion, action
autonome des migrants,
les autorités n’ont plus autorisé les activistes à revenir.
1er août : assemblée devant
le CPT de Raguse (unique
centre pour femmes d’Italie,
toutes les migrantes y sont
transférées). Des activistes
ont pu parler avec les
migrantes à travers les grilles,
puis ont pénétré en force
dans une cour, y sont restés
plusieurs heures et ont obtenu qu’une délégation puisse
inspecter le centre. Libération
de 6 personnes.
2 août : blocus par près
de 80 activistes à Porto
Empedocle. Pendant les
échauffourées avec la police,
14 migrants ont réussi à
briser les vitres des bus
et à s’échapper... etc., etc.
quelques sites italiens : <www.tmcrew.org/border0/>,
<www.digilander.libero.it/tempidiguerra/>,
<www.carta.org/campagne/diritti/cpt/index.htm>,
<http://www.meltingpot.org/archivio3.html>,
<http://italy.indymedia.org>, <www.ecologiasociale.org>,
en français, voir <www.migreurop.org/rubrique124.html>
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