L`Europe et l`externalisation. La Libye en première ligne
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L`Europe et l`externalisation. La Libye en première ligne
L’Europe et l’externalisation La Libye en première ligne Claire Rodier Le conseil des ministres chargés de l’immigration dans les vingt-cinq pays membres de l’Union européenne (dit « conseil JAI », pour Justice et Affaires intérieures) a décidé, au début du mois de juin 2005, « l’instauration d’un dialogue et d’une coopération avec la Libye sur les questions d’immigration ». Cette décision, aboutissement d’un processus engagé depuis trois ans, est l’exemple le plus emblématique du cynisme de l’Europe dans la pratique de délocalisation des contrôles qu’elle a mise en place pour protéger ses frontières sud. En affichant son intention de déléguer une partie de la tâche aux autorités libyennes, l’Union européenne entre de plein pied dans une nouvelle phase, celle de l’externalisation de sa politique d’asile et d’immigration. Après une première période de cinq ans consacrée, entre 1999 et 2004, à l’élaboration (laborieuse) d’instruments communs (directives sur l’accueil des demandeurs d’asile, sur la définition du « réfugié », sur le statut du résident étranger de longue durée…) pour gérer ces questions à l’intérieur de son territoire, l’heure est venue de s’occuper de leur « dimension externe ». Le virage a été annoncé au sommet des chefs d’État et de gouvernement réunis à La Haye en novembre 2004, à l’occasion de l’adoption d’un programme quinquennal (le « programme de La Haye ») qui met l’accent sur 47 alors chaudement soutenue par celui qui aurait dû être chargé, au sein de la Commission européenne, du portefeuille de l’immigration. 4 Une conjonction de facteurs vont faire de la Libye le premier terrain d’expérimentation de l’externalisation de la politique migratoire de l’Europe. l’association des pays tiers à la gestion des flux migratoires et propose d’évaluer « le bien-fondé, l’opportunité et la faisabilité d’un traitement commun des demandes d’asile en dehors du territoire de l’UE ». Pour être désormais officiellement à l’ordre du jour, le concept d’externalisation n’est toutefois pas nouveau : en 2003, Tony Blair proposait à ses partenaires de l’UE, au nom d’une meilleure gestion de la procédure d’asile, d’installer hors UE des transit processing centers, vers lesquels seraient renvoyés les demandeurs d’asile arrivant sur le territoire d’un des États membres afin d’y traiter leur demande. 1 L’idée, si elle n’a pas été retenue officiellement à l’époque, n’en a pas moins été largement débattue au sein des États européens, des instances de l’Union et des organisations internationales. Sans la reprendre totalement à son compte, la Commission européenne préconise la « consolidation de l’offre de protection dans la région d’origine [des potentiels réfugiés] avec un traitement des demandes de protection au plus près des besoins » en faisant appel à la coopération des États tiers. 2 De son côté, le HCR, à la recherche d’un improbable compromis entre la pression exercée par les pays européens pour échapper à leurs responsabilités et les principes d’accueil qu’il est censé incarner et défendre, s’est également laissé entraîner sur la voie dangereuse ouverte par le projet Blair. Dans le cadre du volet européen d’un programme intitulé « Convention plus », il s’est prononcé pour une délocalisation de l’examen de la demande d’asile, non pas hors de l’Union, certes, mais dans des centres de réception situés à sa nouvelle frontière extérieure, celle formée par les dix nouveaux pays de l’Europe « élargie ». Une suggestion qui, en contradiction avec sa doctrine, entérine la possibilité de faire de la détention un mode normal de gestion des demandeurs d’asile. 3 La proposition britannique a fait son chemin : relancée en 2004 par les ministres de l’Intérieur allemand et italien, elle est C’est à la fin de l’année 2002 qu’a été évoquée pour la première fois, dans les discussions des Quinze, l’idée d’un rapprochement avec la Libye autour des questions migratoires. Le Conseil européen de Séville, quelques mois auparavant, avait certes posé comme une priorité le partenariat avec les pays tiers pour la gestion des flux migratoires, insistant sur la nécessité d’y intégrer la prévention et la lutte contre l’immigration illégale et le trafic d’êtres humains. Mais avec la Libye, on partait de rien. Si, dès la fin des années 1990, l’Union européenne avait, sous la forme de « plans d’action » ciblés vers certains pays, posé les jalons de sa politique d’externalisation pour les inciter à collaborer à sa stratégie de dissuasion à l’égard des candidats à l’exil en Europe, la Libye n’en faisait pas partie. Les pays visés 5 (soit parce que gros « fournisseurs » de migrants, soit parce que pays de transit) n’étaient pour la plupart ni politiquement ni économiquement en mesure d’avoir des exigences en retour. Et lorsqu’ils l’étaient, ces travaux d’approche de l’UE s’inscrivaient dans le cadre d’un partenariat déjà engagé, notamment, pour le Maroc, avec le processus de Barcelone 6 et l’accord d’association UE-Maroc. La Libye ne répond ni à l’un ni à l’autre de ces modèles. D’une part, elle n’est pas économiquement dépendante, d’autre part elle n’entretient aucune relation contractuelle avec l’Union européenne. Même si elle a acquis en 1999 le statut d’observateur dans le processus 1 – Claire Rodier, « Dans des camps hors d’Europe : exilons les réfugiés », Vacarme, n° 24, été 2003, <http://vacarme.eu.org/article402.html> 2 – Commission européenne, « Communication sur la politique européenne d’asile et l’Agenda pour la protection », 26 mars 2003, COM(2003) 152 final, <http://europa.eu.int/comm/justice_home/doc_centre/asylum/common/ docs/com_2003_152_fr.pdf> 3 – UNHCR, document de travail « Three pronged proposals », juin 2003, <www.statewatch.org/news/2003/jul/unhcr2.pdf>. Pour une analyse détaillée du projet britannique et des discussions qu’il a entraînées, voir Sophie Huguenet, Droit de l’asile : le projet britannique d’externalisation, L’Harmattan, 2004 ; Claire Rodier, « Les camps d’étrangers, dispositif clef de la politique d’immigration et d’asile de l’Union européenne », in Pierre-Arnaud Perrouty, La mise à l’écart de l’étranger. Centres fermés et expulsions, Bruxelles, Labor, 2004. 4 – Il s’agit de Rocco Buttiglione, ancien ministre italien aux affaires européennes, qui faisait partie de l’équipe constituée par le président de la Commission européenne José Manuel Barroso avant que le Parlement européen n’oppose un veto à sa prise de fonctions en raison de ses déclarations homophobes. Interrogé sur l’opportunité de créer dans des pays tiers des camps pour les migrants et les demandeurs d’asile en route vers l’Europe, il s’était déclaré favorable à la mise en place de sortes de centres de tri pouvant « à la fois servir de soutien humanitaire et fournir des informations afin que les candidats à l’immigration puissent entrer en contact avec le monde du travail en Europe et obtenir des renseignements sur les qualifications requises » (Le Monde, 2 septembre 2004). 5 – Afghanistan, Albanie, Irak, Maroc, Somalie, Sri Lanka. 6 – Le processus de Barcelone, initié en 1995, réunit les États membres de l’Union européenne et douze pays de la rive sud de la Méditerranée et vise à créer un espace régional de dialogue politique. ’Europe et l’externalisation la Libye, un voisin bien distant 49 de Barcelone, la Libye, bien qu’elle en ait exprimé l’intention au début de l’année 2004, ne paraît pas pressée d’y adhérer pleinement, et semble privilégier pour l’instant l’affirmation de sa position au sein de l’Union africaine. 7 Elle n’est par conséquent pas non plus membre de l’Assemblée parlementaire euroméditerranéenne, l’institution parlementaire de Barcelone créée en 2003, qui rassemble des parlementaires de dix pays méditerranéens 8 et des vingt-cinq États-membres de l’UE ainsi que des eurodéputés. La Libye qui, grâce à la rente pétrolière, est un pays de destination pour de nombreux immigrés du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne qui y trouvent à travailler, est restée pendant très longtemps politiquement isolée du monde occidental (v. infra). Les informations sur sa politique migratoire sont rares et difficiles à recouper, mais ce que l’on en sait laisse penser que les droits des migrants n’y sont pas volontiers respectés, que la détention et les expulsions collectives y sont monnaie courante, et qu’il n’y existe aucune procédure spécifique pour les réfugiés ayant besoin d’une protection internationale. Depuis quelques années, la Libye est aussi devenue un pays de transit pour un certain nombre de migrants en route pour l’Europe. C’est à ce titre qu’elle participe, avec huit autres pays riverains de la Méditerranée (Algérie, Espagne, France, Italie, Malte, Maroc, Mauritanie et Tunisie) ainsi que le Portugal, au dialogue informel « 5+5 » 9 qui a mis sur pied en septembre 2004 un groupe de travail sur la migration pour « identifier et renforcer les actions concrètes de coopération », y compris avec les pays d’Afrique sub-saharienne « gros pourvoyeurs de clandestins ». La perspective de l’élargissement de l’UE en 2004 avait incité ses responsables politiques à en anticiper les conséquences en mettant en place « un nouveau cadre pour les relations avec [les] voisins de l’est et du sud » 10, sans 7 – Voir à ce sujet le compte-rendu fait par Hélène Flautre, députée européenne et présidente de la sous-commission droits de l’homme du Parlement européen, au retour d’une mission en Libye du 17 au 20 avril 2005 , <http://pajol.eu.org/rubrique172.html>. 8 – Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Israël, Palestine, Jordanie, Liban, Syrie, Turquie. 9 – Lancé dans son principe en 1990, le dialogue « 5+5 » est destiné à promouvoir la région comme « aire de paix, de coopération, de sécurité et de stabilité ». Au menu de son premier sommet en décembre 2003 figuraient la lutte antiterroriste et l’immigration illégale, ainsi que le renforcement de la coopération politique et économique. Voir <www.iom.int/en/know/dialogue5-5/index_fr.shtml>. 10 – Communication de la Commission européenne, COM (2003) 104 final, 11 mars 2003, <http://europa.eu.int/eur-lex/lex/LexUriServ/ LexUriServ.do?uri=COM:2003:0104:FIN:FR:PDF>. ’Europe et l’externalisation oublier d’y intégrer les questions d’immigration et d’asile. La politique européenne de voisinage (PEV), lancée en mars 2003, était censée répondre à cette préoccupation, en offrant aux pays limitrophes un renforcement de la coopération politique, sécuritaire, économique et culturelle basé sur des « valeurs communes » en matière « d’état de droit, de bonne gouvernance, de respect pour les droits de l’homme, de la promotion des relations de bon voisinage et des principes de l’économie de marché et du développement durable ». La PEV doit aussi « aider l’Union à atteindre ses objectifs dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, notamment pour ce qui est de la lutte contre […] toutes les formes de trafic ainsi qu’en ce qui concerne les questions liées à l’immigration ». 11 Dans le cadre de la PEV des plans d’action sont prévus avec les pays concernés, dont la coopération sur les migrations, l’asile et les politiques en matière de visas constitue une des priorités. Au début de l’année 2005, ce programme était engagé avec Israël, la Jordanie, et l’Ukraine, et des négociations étaient ouvertes en ce sens avec la Moldavie, le Maroc, l’Autorité palestinienne et la Tunisie. La Commission européenne préconise par ailleurs une intensification de la coopération entre l’UE et l’Egypte, le Liban et trois États de la partie méridionale du Caucase – Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie. On constate que la Libye ne fait pas partie de la liste, même si la Commission n’écarte pas, à terme, de l’intégrer dans la PEV, ce qu’elle subordonne toutefois à l’acceptation par ce pays de l’intégralité de l’acquis de Barcelone. L’Union européenne ne dispose donc d’aucune base formelle pour engager avec la Libye un partenariat sur les questions migratoires. Mais la position stratégique de la Libye dans les trajectoires des migrants impliquait visiblement que l’UE passât outre cette absence totale de cadre de discussion. Depuis longtemps déjà l’Italie, l’une des principales portes d’accès en Europe pour les exilés en provenance des rives sud de la Méditerranée, réclamait l’ouverture de négociations au nom du « partage du fardeau ». 12 L’imminence de l’adhésion à l’Union européenne de Malte, autre pays particulièrement concerné par les débarquements de boat people partis des côtes libyennes, est venue renforcer la conviction qu’il fallait intervenir en amont 11 – Document d’orientation de la Commission européenne sur la politique européenne de voisinage, COM (2004) 373 final, 12 mai 2004, <http://europa.eu.int/eurlex/lex/ LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2004:0373:FIN:FR:PDF>. 12 – Le partage du fardeau, ou burden sharing, est l’élégante expression utilisée par les pays riches – et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – pour désigner la répartition de l’accueil sur leur sol de ceux qui fuient la misère ou les conflits. 51 des frontières maritimes de l’Union, en trouvant les moyens d’associer la Libye à cette stratégie. C’est ainsi qu’en avril 2003 une mission exploratoire était organisée par la Commission européenne pour évaluer la bonne volonté des autorités libyennes à coopérer sur les questions d’immigration illégale. Test sans doute concluant, puisqu’il fut décidé dans la foulée de fixer le cadre d’une nouvelle mission technique de la Commission en Libye, cette fois-ci destinée à dégager les mesures à prendre pour une coopération entre l’UE et la Libye. on se bouscule sous la tente de Kadhafi Cette amorce de rapprochement sur les questions de contrôle des frontières ne peut être dissociée du contexte plus général de réchauffement des relations entre l’Europe et un pays longtemps officiellement mis au ban de la communauté internationale, que la levée par l’UE de l’embargo sur les armes qui pesait depuis le milieu des années 1980 est venue sceller en octobre 2004. La levée de l’embargo est la dernière étape d’une décision prise par l’ONU en 2003 de mettre un terme au boycott commercial qui frappait la Libye depuis 1988, à la suite de la reconnaissance par les autorités libyennes de leur responsabilité dans l’attentat qui, à l’époque, avait détruit un avion de la compagnie Pan Am au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie, et de leur engagement à en dédommager les victimes. D’autres gages de bonne volonté ont suivi, comme la volonté affirmée par la Libye de démanteler son programme d’armes de destruction massive sous supervision internationale, et de régler la facture des attentats perpétrés en 1986 contre une discothèque à Berlin et en septembre 1989 contre le DC10 de la compagnie française UTA. La voie de la réintégration de la Libye au sein des nations fréquentables avait été ouverte dès le printemps 2004, lors de la visite officielle à Bruxelles du chef de l’État libyen, Mouammar Kadhafi, à qui un véritable tapis rouge devait être déroulé au grand dam des organisations de défense des droits de l’homme. Romano Prodi, alors président de la Commission européenne mais non moins italien – on a vu que l’Italie a un intérêt très direct à la reprise des relations avec un partenaire considéré comme incontournable pour la lutte contre l’immigration clandestine – est pour beaucoup dans cet accueil triomphal. En arrière-plan de cette réhabilitation, des considérations sonnantes et trébuchantes entrent en ligne de compte. Selon les experts, la Libye serait un des pays les plus attractifs dans le domaine du pétrole. Les réserves de brut libyen – un pétrole de grande qua- ’Europe et l’externalisation lité, aux coûts d’extraction modérés – permettraient d’envisager près de soixante ans d’exploitation au rythme actuel, sachant que seul le quart du sous-sol libyen est aujourd’hui couvert par des accords de prospection et de production, ce qui place potentiellement le pays au même niveau que le Koweit. 13 Pour exploiter cette manne, qui assure la richesse du pays depuis les premières découvertes d’or noir à la fin des années 1950 la Libye a toutefois besoin d’investissements lourds, que le blocus commercial en vigueur depuis vingt ans rendait de plus en plus difficiles. La décrispation des relations avec les pays occidentaux répond par conséquent à une convergence d’intérêts : ceux de la Libye à qui elle donne les moyens de développer le potentiel de son sous-sol, et ceux des investisseurs étrangers friands de nouveaux sites à exploiter. « Nous ouvrons nos bras à tous, Africains, Asiatiques, Européens et, comme nous améliorons nos relations avec les États-Unis, nous ouvrons nos bras aux Américains », déclarait ainsi le ministre libyen de l’Énergie. 14 Témoin de cette nouvelle donne, la sollicitude dont Tripoli a été l’objet dès la reprise des discussions au niveau international de la part des voyageurs de commerce que sont ministres et chefs d’État lorsqu’il s’agit d’être en bonne place dans la course aux investissements. Au mois de mars 2004, le ministre français délégué au commerce extérieur, accompagné d’une délégation du Medef de 70 entrepreneurs, se rendait ainsi en Libye pour tenter d’y remonter le niveau de la France en terme de parts de marché, encore très bas (6 %) par rapport à celui d’autres pays européens, notamment l’Italie (27 %). Au même moment, dans la foulée d’une visite officielle de Tony Blair, le groupe anglo-néerlandais Shell y négociait un accord pour remettre en route des opérations longtemps interrompues, tandis que George W. Bush, en annonçant la levée partielle des sanctions bilatérales encore exercées par les États Unis contre Tripoli, ouvrait la voie au retour des compagnies pétrolières américaines qui avaient déserté la Jamahiriya libyenne dans les années 1980. 15 En octobre 2004, à peine annoncée la décision des ministres des Affaires étrangères des VingtCinq de lever l’embargo, on s’est bousculé sous la tente où Mouammar Kadhafi a coutume de recevoir ses hôtes : rien moins que Silvio Berlusconi, Gerhard Schroeder et Jacques Chirac s’y sont succédé en l’espace de quelques semaines, et en sont revenus les mains pleines. 13 – « Les entreprises françaises retournent en Libye », Les Échos, 8 mars 2004. 14 – Cité par Les Échos du 17 mai 2004. 15 – « Pétrole : les Américains dans les starting-blocks », Les Échos, 17 mai 2004. 53 les migrants, instruments de négociation Ce contexte de retrouvailles, sur les plans tant diplomatique qu’économique, ne pouvait qu’être propice au développement d’une collaboration entre l’Union européenne et la Libye sur les questions migratoires. Depuis plusieurs années déjà, le pays constitue la dernière étape avant l’Europe pour de nombreux migrants en quête d’une vie meilleure ou d’une protection, notamment originaires d’Afrique sub-saharienne. S’il est difficile de mesurer l’ampleur du phénomène – aucune donnée fiable ne permet de vérifier les affirmations péremptoires et alarmistes du ministre de l’Intérieur italien, Giuseppe Pisanu, selon lesquelles « plus de deux millions d’Africains sont prêts à traverser la mer pour gagner les côtes européennes à partir de la Libye » 16 –, il est indéniable que l’étape libyenne est devenue en quelques années, en raison notamment du durcissement des contrôles qui rend de plus en plus difficile le franchissement du détroit de Gibraltar, l’un des principaux points de passage de la frontière sud. Plusieurs épisodes, comme les affaires du Cap Anamur et du Zuiderdiep 17, en ont constitué la spectaculaire démonstration au cours de l’été et de l’automne 2004. Au point de faire de l’immigration un enjeu non négligeable des négociations. Tripoli a d’ailleurs l’habitude d’utiliser la présence de nombreux migrants qui vivent sur son sol au gré de ses intérêts diplomatiques ou géopolitiques du moment. Ayant fait le choix, depuis les années 1990, d’un positionnement panafricain, et soucieuse de renforcer son assise régionale au sein du CENSAD 18, la Libye a su jouer la carte de l’attraction par des mesures incitatives destinées à faire venir dans son université des étudiants originaires d’Afrique sub-saharienne, et cherché à faciliter l’instauration d’un espace de circulation commun en créant une compagnie aérienne qui relie Tripoli à plusieurs capitales chez ses voisins africains. À l’inverse, plusieurs milliers de Palestiniens, de Soudanais ou encore de Maliens ont été victimes d’expulsions collectives au cours de la dernière décennie, faisant les frais de la politique extérieure du colonel Kadhafi, notamment dans le cadre du conflit israélo-arabe. 19 Les mêmes ressorts servent aujourd’hui dans le dialogue 16 – Cité par l’APS, 28 septembre 2004. 17 – Voir <http://pajol.eu.org/rubrique146.html>. 18 – Communauté regroupant les 21 États du Sahel et du Sahara, créée à l’initiative de la Libye en 1998 pour développer la coopération économique dans la région sahélienne. 19 – Olivier Pliez, « Le bassin du lac Tchad, un espace migratoire polarisé par la Libye ? », Politique Africaine, n°94, juillet 2004, p. 42-58. ’Europe et l’externalisation avec l’Europe. Le ministre libyen des Affaires étrangères, Abdelrahmane Chalgham, parle d’« invasion » pour désigner les immigrés africains en Libye, et exprime sa crainte que des « terroristes » ne soient infiltrés parmi les clandestins. 20 Une façon, en reprenant la rhétorique de ses partenaires, de peser sur les Européens afin d’obtenir plus vite aide logistique et reconnaissance politique. Un an plus tard le « chef suprême » Kadhafi lui-même complétait le propos, en invitant de façon pressante l’Union européenne à aider le Maroc et la Libye, par une assistance financière et la fourniture d’équipements. 21 chantages en cascade La technique s’est révélée efficace : c’est en ouvrant, ponctuellement, le robinet de l’immigration vers l’île de Lampedusa, située à l’extrême sud de l’Italie, à quelques encablures seulement des côtes africaines, que la Libye a su rallier l’Italie à sa cause et faire de Silvio Berlusconi son meilleur avocat face aux résistances de quelques États membres de l’UE. 22 Au terme d’un premier accord opérationnel conclu en 2003 entre les deux pays, l’Italie s’était engagée à fournir à la Libye un soutien pour la formation de policiers libyens, le financement d’un programme de charters pour renvoyer depuis la Libye les migrants en situation irrégulière vers leur pays d’origine, une assistance au sauvetage en mer et le financement de la construction au nord du pays d’un camp pour migrants « en conformité avec le respect des droits de l’homme ». 23 Mais cet accord est resté quasiment lettre morte, les autorités libyennes considérant que les contreparties à leur collaboration étaient bien maigres : c’est que l’embargo encore en vigueur empêchait la livraison des hélicoptères équipés de viseurs à infra-rouge, vedettes, radars et autres instruments sophistiqués à usage civil et militaire. Les « lâchers » de migrants sur les côtes italiennes ont repris de plus belle. Répercutant le chantage libyen sur ses partenaires de l’UE, le ministre italien de l’Intérieur 20 – La Stampa, 9 août 2004, <www.meltingpot.org/articolo3956.html>. 21 – Jamahiriya news agency (agence de presse libyenne), 1 er septembre 2004. 22 – Eric Joszef, « Berlusconi, porte-parole européen de Kadhafi. Le chef de gouvernement italien demande à l’UE la levée des sanctions contre la Libye », Libération, 22 septembre 2004, <www.cestim.it/articoli news e visti dagli altri/ visti dagli altri22settembre04.htm>. 23 – Ces informations sur le contenu des négociations bilatérales entre l’Italie et la Libye sont tirées du rapport de la mission technique de la Commission européenne en Libye (28 novembre-6 décembre 2004). 55 en est venu, à la fin de l’été 2004, à menacer de rompre unilatéralement le blocus si les négociations n’avançaient pas. La levée de l’embargo a permis la reprise et la concrétisation des négociations bilatérales : dès l’automne suivant, des patrouilles mixtes italo-libyennes navales, aériennes et terrestres étaient mises en place pour surveiller les 2 000 kilomètres de côtes libyennes, et les 4 000 kilomètres de frontières qui séparent la Libye de ses voisins. Et le financement par l’Italie de la construction de trois centres d’accueil pour un total de 1 000 places, dans lesquels les autorités libyennes pourraient regrouper les migrants en provenance d’Afrique centrale, était sérieusement envisagé. 24 la Libye, coûte que coûte ? Le passage de cette entente à caractère bilatéral à la prise en compte, par l’UE dans son ensemble, des conditions posées par les autorités libyennes pour collaborer activement à sa politique de dissuasion des migrants n’allait pas de soi, tant étaient nombreux les obstacles et les mises en garde. C’est à la Commission européenne qu’est revenue la tâche de transformer l’essai. Dans ce contexte a été organisée la deuxième mission qu’elle a conduite en Libye, à la fin du mois de novembre 2004. Son objectif était double : d’une part, rassembler les éléments nécessaires pour une connaissance approfondie des questions liées au phénomène migratoire en Libye ; d’autre part, identifier les principales mesures à prendre pour une coopération équilibrée entre l’UE et la Libye sur ces thèmes. La lecture du rapport réalisé à la suite de cette visite technique, que la Commission n’a pas voulu rendre public 25, laisse apparaître clairement que la réalisation du second objectif n’est pas subordonné aux résultats obtenus dans le cadre du premier. Autrement dit, peu importe qu’au terme de sa mission, la délégation conclue que les autorités libyennes n’ont pas vraiment joué le jeu, notamment en se dérobant à certains des rendez-vous prévus ; que les quelques camps de détention visités ont de toute évidence été « préparés » avant son arrivée afin de les présenter sous leur meilleur jour ; que, même dans ces conditions, les violations des droits de l’homme y sont flagrantes ; qu’elle n’a pu obtenir aucune information ni donnée concrète quant aux procédures régissant les expulsions d’étrangers, dont elle a seulement appris qu’elles sont généralement 24 – Salvatore Aloïse, « Rome veut faire de la Libye un gendarme contre les clandestins », Le Monde, 25 août 2004. 25 – Le rapport a néanmoins été mis en ligne : <www.statewatch.org/news/2005/jun/01eu-libya.htm>. ’Europe et l’externalisation collectives et se déroulent vers les pays d’origine sans examen de la situation personnelle de chaque détenu. Peu importe que le pays, qui considère qu’il n’accueille que des migrants économiques qui viennent en Libye pour gagner de l’argent et rentrer ensuite chez eux, n’ait pas l’intention d’introduire une politique de distinction légale et formelle entre les demandeurs d’asile et les migrants économiques de peur de créer un « appel d’air », alors même que dans ses visites de camps la mission a rencontré des personnes en quête de protection internationale, voire déjà reconnues réfugiées par le HCR dans d’autres pays. Peu importe que la Libye ne soit pas signataire de la convention de Genève sur les réfugiés, qu’il n’y ait aucun accord de coopération entre la Libye et le HCR, que le bureau du HCR à Tripoli n’ait aucun statut officiel, et que par conséquent aucune protection internationale des réfugiés ne soit assurée dans le pays (même si, précise toutefois le rapport de la commission technique pour rassurer le lecteur, la constitution libyenne prévoit que l’extradition des réfugiés est interdite). 26 Rappelons néanmoins que rien de cela n’avait empêché la Libye de présider en 2003 la commission des Droits de l’homme de l’ONU… 27 avertissements Peu importent de tels détails, puisque ce qu’ont retenu les ministres de l’immigration des Vingt-Cinq de cette première approche, c’est l’intérêt de « continuer sur la voie de la coopération, d’une intensification de la coopération avec la Libye ». 28 Il n’a pourtant pas manqué d’avertissements pour tenter de retarder cette décision. Le HCR, bien placé pour parler puisqu’il est engagé depuis la fin de l’année 2004 dans un programme, financé par la Commission européenne, destiné à préparer le « renforcement des mécanismes de protection » dans les pays d’Afrique du nord y compris la Libye, a rappelé à la présidence de l’Union que la Libye ne peut être considérée comme un pays sûr pour les demandeurs d’asile. 29 Amnesty international, 26 – Toutes les informations reprises dans ce développement sont tirées du rapport de mission de la commission technique conduite par la Commission européenne en Libye fin 2004, voir note 25. 27 – Selon le délégué de la FIDH à l’ONU, lors du vote, « les pays de l’UE se sont abstenus afin de ne pas heurter les pays africains ». La Libye n’a jamais accepté sur son sol la présence des rapporteurs de ladite Commission, avant, pendant et après sa présidence. 28 – Communiqué de la présidence luxembourgeoise de l’UE, 14 avril 2005. 29 – Lettre de Raymond Hall, directeur du bureau Europe du HCR, au président en exercice du conseil des ministres JLS de l’UE, 7 avril 2005. 57 qui y a effectué une mission au début de l’année 2004, a confirmé qu’il n’existe en Libye aucune garantie concernant les droits des réfugiés, et a fait part de sa préoccupation « quant aux mécanismes de coopération ad hoc qui pourraient se développer avec la Libye au sujet de l’immigration illégale, sans les garde-fous nécessaires au niveau des droits humains », ajoutant que « si l’Union européenne en vient à s’engager avec la Libye, le dialogue et la coopération au niveau européen devront au minimum comprendre une clause de conditionnalité très claire au niveau des droits humains ». 30 De son côté, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il condamne fermement les renvois de migrants pratiqués à plusieurs reprises en 2004 et 2005 par les autorités italiennes vers la Libye, estimant que ce pays pratique « l’arrestation arbitraire, la détention et l’expulsion » et se disant « préoccupé par le traitement et les conditions de vie déplorables des personnes détenues dans les camps en Libye et les récents rapatriements massifs d’étrangers de la Libye vers leur pays d’origine dans des conditions qui n’assurent ni leur dignité ni leur survie ». 31 Au même moment, plus de vingt ONG qui défendent, dans différents pays d’Europe et au Maroc, les droits des migrants et des demandeurs d’asile, demandaient aux États membres de l’Union européenne « de surseoir à toute décision de coopération européenne et bilatérale en matière d’immigration avec la Libye », ajoutant que « la ratification et la mise en œuvre des conventions internationales garantissant la protection des droits humains telles que la convention de Genève […] sont un préalable indispensable ». 32 ECRE, un regroupement d’ONG des vingt-cinq États membres spécialisées dans la défense des réfugiés et des demandeurs d’asile, constatant que le rapport de mission de la Commission lui-même montre à quel point la Libye est éloignée des standards minimaux en matière de protection des réfugiés, pose la même exigence quant à la signature par le pays de la convention de Genève. 33 Sourde à ces mises en garde, l’Union européenne a donc décidé en juin 2005 de s’engager dans une « stratégie à long terme » avec Tripoli pour lut30 – Amnesty international, bureau européen, « Immigration cooperation with Libya : the human rights perspective », 12 avril 2005, <www.amnesty-eu.org/static/documents/2005/JHA_Libya_april12.pdf>. 31 – Résolution du Parlement européen sur Lampedusa, 14 avril 2005, <www.vertsderoubaix.org/article.php3?id_article=268>. 32 – « L’UE s’apprête à négocier avec la Libye sur les questions migratoires », 14 avril 2005, voir <www.gisti.org/doc/actions/2005/italie/com2005-04-13fr.html>. 33 – ECRE (European council on refugees and exiles), « Lettre ouverte à la présidence de l’UE », 1er juin 2005, <www.ecre.org/positions/Libya.doc>. ’Europe et l’externalisation ter contre l’immigration illégale depuis les côtes libyennes vers les siennes. Arguant de la « crainte » des Européens de voir, l’été venant 34, une recrudescence des transports d’illégaux en Méditerranée, un représentant de la Commission européenne a expliqué qu’il fallait « prévenir et empêcher l’émigration clandestine à partir du territoire libyen ». 35 Dans un premier temps, une enveloppe de deux millions d’euros devrait être débloquée par la Commission européenne pour soutenir des opérations spécifiques afin de faire face aux situations d’urgence provoquées par l’immigration illégale en Méditerranée. Le principe d’une formation par l’UE de garde-frontières et de policiers libyens, qui pourront être associés dans des patrouilles européennes en mer, a aussi été adopté, ainsi que la mise sur pied d’un groupe de travail chargé de mettre au point un « plan d’action conjoint pour le sauvetage en mer » d’embarcations transportant des immigrés clandestins. Et si, selon le commissaire européen chargé des questions d’asile et d’immigration, « la Libye a promis l’adoption au Parlement d’une nouvelle législation exhaustive en matière d’asile », on a quelques raisons d’être perplexe. D’abord du fait des postulats sur lesquels s’appuie ce programme : on s’apprête à mettre en œuvre des interceptions maritimes (et des sauvetages) d’« illégaux » pour « empêcher l’émigration clandestine » 36, faisant abstraction de l’hypothèse où des demandeurs d’asile se trouveraient à bord des embarcations capturées. Quelles mesures sont prévues si c’est le cas, quels dispositifs spécifiques ? Ensuite à cause du calendrier présenté : si l’urgence concerne la surveillance de la Méditerranée, et si les considérations relatives au respect des droits de l’homme, notamment la mise en place d’un système libyen d’asile relèvent de « la stratégie à long terme », quelles procédures seront appliqués aux « illégaux » capturés en mer en attendant l’aboutissement du « long processus » qui s’engage ? Seront-ils refoulés vers la Libye, pays de provenance ? Pour y être soumis à quelle législation ? Quelles garanties qu’ils seront traités correctement, qu’ils ne seront pas détenus abusivement, qu’ils ne subiront pas des expulsions collectives, vers des destinations dangereuses pour eux ? 34 – En raison des conditions météorologiques plus favorables, les traversées de boat people sont plus nombreuses à partir du mois d’avril, jusqu’à l’approche de l’hiver. 35 – Jonathan Faull, responsable de la Direction générale « Liberté, justice et sécurité » de la Commission européenne, de retour d’une réunion technique à Tripoli fin juin 2005. 36 – On notera au passage que la formule « émigration clandestine » est contraire au principe posé par la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 13.2) selon lequel « toute personne a le droit de quitter librement tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». 59 Sans doute ces questions ne recevront-elles jamais réponse, tant il est clair que la protection des migrants et des réfugiés n’est, en dépit des clauses de style et des apitoiements officiels sur les « drames humains » causés par les déplacements d’exilés vers l’Europe, qu’une donnée très accessoire dans le programme de coopération que l’Union européenne veut à tout prix mettre en œuvre avec la Libye. On a vu que tout, à ce jour, militait pour que des préalables soient posés à cette coopération : tant l’état actuel des relations contractuelles entre les deux parties (inexistantes) que le sort qui, de façon notoire, y est réservé aux étrangers. À travers l’exemple caricatural de la Libye, l’Europe fournit une excellente illustration ce qu’elle entend par « dimension externe de la politique d’asile et d’immigration », quels que soient les pays, à l’est ou au sud, visés par cette politique. L’« urgence », c’est que les migrants n’arrivent pas sur son sol, qu’ils soient contenus en amont de ses frontières, ou admis après avoir été « filtrés » dans des camps selon les besoins des économies européennes (ce qu’en France on appelle « l’immigration choisie »). Le reste – enfermement dans des camps, harcèlement, maltraitance, regroupements forcés, violation du principe de nonrefoulement et du droit d’asile –, tout cela relève des dégâts collatéraux qu’on traitera dans le « long terme ». Ou jamais. Claire Rodier est juriste, GISTI, réseau Migreurop ’Europe et l’externalisation sur la dimension europe-maghreb Ali BENSAÂD, « Voyage au bout de la peur avec les clandestins du Sahel », Manière de voir, n° 62 (« Histoire(s) d’immigration »), mars 2002 Emmanuel BLANCHARD & Claire RODIER, « Malte. Un laboratoire pour enterrer le droit d’asile », Plein droit, n° 65-66 (« Étrangers en Europe, étrangers à l’Europe »), juillet 2005 Emmanuel BLANCHARD & Claire RODIER, « Les étrangers dans la constitution européenne : faire sortir l’UE du non-droit ? », Mouvements, n° 37, janvier 2005 Daphné BOUTEILLET-PAQUET , « Un droit d’asile qui s’effrite », Plein droit, n° 57 (« Une Europe du rejet »), juin 2003, <www.gisti.org/doc/plein-droit/57/asile.html> Violaine CARRÈRE, « Une histoire de petits renoncements successifs. 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Sept jours plus tard, le 26 février 2005, la marine algérienne a recueilli 28 survivants, 37 personnes sont mortes de soif ou par noyade. Dans la nuit du 28 au 29 septembre 2005, un groupe de 500 migrants, pour la plupart sub-sahariens, ont tenté de pénétrer dans l’enclave espagnole de Ceuta, sur le territoire marocain. Au moins 5 ont été tués, les blessés sont très nombreux. Le gouvernement Zapatero envoie l’armée (au moins 500 hommes), le gouvernement marocain la police, pour faire face à la « violence » des « clandestins ». Le 3 octobre, 650 sub-sahariens tentent d’entrer dans Melilla. Munis d’échelles artisanales, ils ont escaladé la double barrière métallique qui vient d’être réhaussée de 3 à 6 mètres. Lançant des pierres sur les gardes civils espagnols, 350 d’entre eux sont parvenus à pénétrer dans l’enclave, césame vers l’Europe. 135 migrants ont été blessés dans l’assaut, dont 5 grièvement, ainsi que 7 agents espagnols. pour plus d’infos sur la situation au Maroc : <www.migreurop.org>. ’Europe et l’externalisation au large de l’UE Cap Anamur, cap au pire : l’Europe contre l’asile se fait sous nos yeux Le 11 juillet 2004, le Cap Anamur, bateau d’une ONG allemande, est autorisé « pour raisons humanitaires » à entrer dans le port de Porto Empedocle (Sicile) : soit 20 jours après avoir sauvé les 37 passagers (36 Soudanais du Darfour et 1 Ethiopien) d’un bateau pneumatique en perdition dans les eaux internationales entre la Libye et l’île de Lampedusa. Les autorités italiennes lui interdisaient leurs eaux territoriales depuis le 1er juillet. Les réfugiés sont transférés pour identification au CPT d’Agrigente et risquent l’expulsion ; le capitaine, l’officier en second et le président de l’ONG sont arrêtés pour avoir « favorisé l’immigration illégale » (art 12 de la loi Bossi-Fini). Le bateau est mis sous séquestre. La police fait courir le bruit que les réfugiés sont ghanéens et non pas soudanais, allégation immédiatement démentie par plusieurs religieux présents à bord, et non moins immédiatement reprise par la télévision italienne et certains médias européens, qui s’étaient jusque là désintéressés de l’affaire. Roberto Castelli, ministre de la Justice, déclare, dans une paranoïa nationaliste somme toute en accord avec l’air du temps, qu’il est facile de feindre l’urgence pour tester la capacité de résistance des pays européens. Par ce refoulement aux frontières maritimes, l’Italie a bafoué ses obligations internationales (violation du principe de non-refoulement selon lequel quiconque se présente à une frontière a droit de présenter une demande d’asile). Elle a aussi tordu dans son sens le règlement Dublin II : afin de déterminer l’État compétent pour l’examen de la demande d’asile, il aurait d’abord fallu que la demande ait été déposée dans un État de l’UE. Et, dans cet État – l’Italie –, le Parlement doit adopter une loi sur l’asile qui n’est donc pas en vigueur. Il a ainsi délégué à la police l’admission à la procédure d’asile des réfugiés contraints à l’immigration clandestine. L’Italie s’est ensuite livré à un obscène jeu de « patate chaude » avec l’Allemagne et Malte (où le Cap Anamur s’était arrêté), chacun se renvoyant la responsabilité, tandis que des vies étaient en péril et que la Convention de Genève, la Charte de Nice et la Constitution italienne étaient niées. C’est tout juste si ces trois États membres de l’UE, avec le silence complice des institutions européennes, ont consenti à évoquer l’« urgence humanitaire », tout 63 en précisant qu’il leur était impossible d’y répondre sous peine d’instaurer un « dangereux précédent qui ouvrirait la voie à de nombreux abus ». C’est dire assez que, dans cette gestion policière qu’est devenue la politique d’asile, les hommes et les femmes n’existent pas. Le HCR, l’ONU et le Vatican s’étant tardivement émus, l’accostage fut finalement autorisé en Sicile, ce qui permit à l’Allemagne de se retirer du jeu en rejetant toute responsabilité sur l’Italie. Le gouvernement italien utilise maintenant la doxa européenne, assimilant à la criminalité organisée le fait de sauver des vies en mer, et considérant les réfugiés comme des terroristes potentiels. En Italie, les associations, les activistes, la société civile, ont lancé des appels, informé, mobilisé, proposé la création de commissions ad hoc, et préparent un recours auprès la Cour européenne des droits de l’homme. C’est cette mobilisation et les droits des réfugiés et migrants que les associations et militants européens doivent soutenir et relayer, en dénonçant une politique qui transforme les frontières de l’UE en cimetières. Act Up-Paris, CIMADE, Collectif de soutien des exilés, Fasti, Gisti, LCR, Ligue des droits de l’homme, MRAP, Syndicat de la magistrature, Union syndicale G10 (16 juillet 2004). ’Europe et l’externalisation Italie : mobilisations contre les CPT Centro di Permananza Temporanea ? Les CPT, créés en 1998 sous la gauche et optimisés par la loi Bossi-Fini (2004), équivalents français des centres de rétention, sont une vingtaine (2005), dont une grande partie en Sicile et dans les Pouilles. Une dizaine de centres sont en projet. Les luttes contre les CPT sont nombreuses et se renforcent. En 2005, les nombreuses révoltes et évasions de migrants, parfois facilitées par l’extérieur et la libération d’autres, montrent que des résultats concrets peuvent être obtenus par la mobilisation. Même 14 présidents de région (sur 20) ont réclamé en juin la fermeture des CPT ! Des initiatives prévues à l’automne 2005 (actions contre les CPT et les ONG qui les gèrent, manifestations contre l’ouverture de deux CPT à Bari et vers Gorizia, manifestation nationale en novembre contre la loi Bossi-Fini) sont conçues comme un agenda national, impliquant les mouvements de migrants et les mouve ments sociaux. de janvier à août 2005, 61 charters ont été organisés pour déporter d’Italie 4137 personnes (dont 1920 Roumains). Appelons un lager un lager Définir comme lager les CPT, « centres de séjour temporaire et d’assistance » pour immigrés en attente d’expulsion – centres introduits en Italie en 1998 par le gouvernement de gauche avec la loi Turco-Napolitano, en conformité avec les accords de Schengen – n’est pas de l’emphase rhétorique, comme le pensent aussi au fond de nombreuses personnes qui utilisent cette formulation. Il s’agit d’une définition rigoureuse. Avant de devenir des centres d’extermination méthodiques, les lagers nazis ont été des camps de concentration dans lesquels vivaient reclus les individus que la police considérait, même en l’absence de conduite pénalement répréhensible, comme dangereux pour la sécurité de l’État. Cette mesure préventive – définie « détention protectrice » (Schutzhaft) – consistait à priver certains citoyens de tous leurs droits civils et politiques. Qu’ils fussent réfugiés, juifs, Roms, homosexuels ou opposants politiques, il revenait à la police, après des mois ou des années, de décider quoi en faire. Ainsi, les lagers n’étaient pas des prisons dans lesquelles on arrivait à la suite d’une condamnation pour quelque délit (dans sa définition totalitaire plus ou moins aberrante), et ne constituaient pas une extension de droit pénal. Il s’agis sait de camps où la légalité était légalement suspendue. La définition d’un lager ne dépend ni du nombre d’internés ni de celui d’assassinés, mais bien de sa nature poli tique et juridique. Les immigrés finissent aujourd’hui en centres de rétention indépendamment d’un éventuel délit, sans aucune procédure pénale : leur internement, à la discrétion du préfet, est une simple mesure de police. Exactement comme c’était le cas en 1940 sous le régime de Vichy, lorsque le préfet pouvait enfermer les individus « dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique » ou « les étrangers en surnombre par rapport à l’économie nationale ». On peut aussi se référer à la détention administrative dans l’Algérie française, à l’Afrique du Sud de l’apartheid, aux ghettos actuels créés par l’État d’Israël pour les palestiniens ou aux différents Guantanamo à travers le monde. […] De ce point de vue, l’introduction de la loi Bossi-Fini n’en a pas modifié la substance mais a seulement aggravé une situation déjà existante. La loi BossiFini a circonscrit l’octroi d’un permis de séjour à la durée exacte du contrat de travail, a doublé les limites de séjour dans les lagers (de 30 à 60 jours) et a transformé la clandestinité en délit – dans la mesure où celui qui viole un décret d’expulsion peut être incarcéré –, alors qu’il s’agissait auparavant d’une violation administrative passible d’une amende. Les nouveaux centres de rétention sont construits dans différentes régions afin de rendre plus efficace la machine à expulser. Une telle machine a besoin pour fonctionner du concours de nom breuses structures publiques et privées (de la Croix-Rouge qui gère les lagers aux firmes qui fournissent les services, des compagnies aériennes qui déportent les clandestins aux aéroports qui organisent les « zones d’attente », en passant par les associations caritatives qui collaborent avec la police). Il s’agit, au sens historique du mot, de collabos qui s’enrichissent des rafles, de la captivité et des déportations. Aux côtés des militaires et de la police travaillent des centaines d’organisations non-gouvernementales qui se gardent bien de dénoncer les causes des désastres dans lesquels elles interviennent. Il suffit de penser que l’ensemble des ONG représentent la septième puissance économique mondiale. Toutes ces responsabilités sont bien visibles et bien attaquables. Des actions contre les centres de rétention (comme c’est arrivé il y a quelques années en Belgique lorsqu’une manifestation s’est conclue par la libération de quelques clandestins) à celles contre les « zones d’attente » (comme en France aux dépens de la chaîne d’hôtels Ibis qui fournit des chambres à la police) ou pour empêcher les vols de l’infamie (à Francfort, un sabotage de câbles à fibres optiques avait mis hors d’usage, il y a quelques années, tous les ordinateurs d’un aéroport pendant plusieurs jours), il y a mille pratiques qui peuvent être réalisées contre les expulsions. L’hostilité contre les « centres de séjour temporaire » est un premier pas. [Extraits de Tempi di guerra, n°1, janvier 2004, journal turinois contre les CPT, traduit dans Cette Semaine, n°87, février 2004 <http://cettesemaine.free.fr>] un printemps turinois début avril 2005 : grève de la faim au CPT de Milan. 14 avril : apparition d’inscriptions et banderoles à Turin en solidarité avec les immigrés en lutte et contre les CPT. Diffusion d’informations sur des marchés. 16 avril : l’eurodéputé de la Ligue Borghezio se plaint de recevoir continuellement canulars téléphoniques et menaces nocturnes. 18 avril : accrochage d’une banderole en solidarité avec les luttes à Milan pendant le marathon de Turin 22 avril : distribution de tracts dans les trams contre la colla- 65 boration de la Gtt, société qui gère les transports urbains, avec l’État en matière d’expulsions. À l’apparition de 2 contrôleurs, les perturbateurs les précèdent et avertissent bruyamment les passagers. Quelques étrangers sans billet réussissent à s’enfuir. 1er mai : grève de la faim des retenus du CPT du Cours Brunelleschi (Turin) – interrompue le lendemain. Ce CPT est un des plus « productifs » d’Italie : sa capacité d’accueil est de seulement 70 personnes, mais, malgré les ratissages continuels en ville, il n’est jamais plein vue la rapidité des expulsions. 3 mai : actions de perturbation de contrôles, diffusion de tracts contre la Gtt. 7 mai : Aoste, arrestation de 2 personnes (pour affichage contre la Croix-Rouge). 10 mai : à l’aube, irruption des forces de l’ordre sur un campement Rom. Arrestation d’une vingtaine de personnes, 14 seront expulsées. Soir, mort par noyade d’un Sénégalais qui tentait d’echapper à un contrôle de police. 11 mai : soir, mort par balle d’un autre Sénégalais lors d’un contrôle de police. 12 mai : perquisition de 3 maisons de compagnons. Arrestations à Lecce. 13 mai : action-information devant le siège de la Gtt. 14 mai : matin, informations au marché de la Porta Palazzo sur les 2 Sénégalais tués par la police. Après-midi, ’Europe et l’externalisation rassemblement puis manif. 16 mai : après-midi, assemblée de rue, discussion sur les moyens de se défendre dans les quartiers contre les violences policières 18 mai : quartier San Salvario, apparition d’inscriptions et affiches contre les expulsions et la terreur policière. Les journaux parlent de dommages au siège de la Chronique de Turin, le quotidien du racisme turinois ainsi qu’à celui de la Ligue du Nord. 19 mai : dans la nuit, révolte des retenus du CPT du Cours Burnelleschi qui enflamment les matelas et s’attaquent au bâtiment. Nombreux actes d’auto-mutilation. Une grève de la faim est entamée. Fin de matinée, ses informations arrivent à Radio Black Out. Depuis quelques jours, un ami de la radio est retenu au centre. Dès lors, cette antenne sera essentielle aux mobilisations à l’intérieur comme à l’extérieur : un rendez-vous est pris pour l’après-midi. À 18h, 150 personnes se rassemblent devant le CPT. À l’intérieur, les retenus cognent sur les barreaux. Dehors, on répond en cognant sur poteaux et feux de signalisation. Quelqu’un accroche une banderole sur le mur d’enceinte, les retenus escaladent les grilles et hurlent. Une députée communiste entre et sort appelant tout le monde au calme. À l’intérieur, elle est ignorée, dehors, on explique qu’elle ne représente personne et qu’il n’y a aucune raison de rester calme. Quelques uns ouvrent, avec des masses, un trou dans le mur du CPT. Après avoir hésité, la police charge mais est repoussée. Les manifestants se dispersent, une partie part en manif vers l’arrêt de tram voisin. Arrestation de quelques compagnons. 20 mai : 68 retenus sur 70 sont en grève de la faim, beaucoup font aussi la grève de la soif. La police investit des lieux militants. 21 mai : à l’aube, nouvelle révolte des détenus du Cours Bruneslleschi pour empêcher une expulsion, beaucoup menacent de se suicider, certains ingèrent des piles et du verre. Un clandestin s’entaille l’abdomen. Il doit être recousu en urgence sur place : la Croix-Rouge et la police décident de le relâcher. Après-midi, nouveau rassemblement devant le CPT. Les retenus montent sur le toit, la communication est intense. Les histoires de nombreux retenus filtrent et on s’aperçoit que c’est souvent la Croix-Rouge qui empêche les libérations de ceux qui auraient le droit de sortir. 23 mai : les immigrés, épuisés, interrompent la grève de la faim. La police est postée en permanence devant l’entrée. Soir, assemblée à la mémoire des 2 Sénégalais tués par la police et pour continuer la discussion sur la façon de se défendre face à la terreur policière. 25 mai : à l’aube, la police réveille 7 Marocains retenus pour les expulser. La nouvelle arrive vite dans les maisons de camarades, suivie immédiatement de policiers. Perquisition de 10 habitations. La police confisque 1500 tracts sur la Gtt. Formellement, la perquisition marque le début d’une enquête sur un colis piégé remis le matin précédent à des policiers municipaux. Après-midi, rassemblement en centre ville. Au nord de la ville, la police encercle des maisons où des étrangers habitent. Un Nigérien se réfugie sur la corniche, tombe et meurt. Affrontement entre des Nigériens du quartier et la police. 26 mai : après-midi, rassemblement de diverses organisations de gauche contre les violences policières. Envoi d’une délégation. Soir, débat « la ville et les prisons » (env. 80 personnes). 27 mai : matin, organisation d’une manif devant le consulat du Maroc, coresponsable avec l’État italien des expulsions de Marocains puis mouvement jusqu’au lieu où, l’année précédente, une Marocaine était morte alors qu’elle tentait de fuire un contrôle. Après-midi, rassemblement à la mémoire du Nigérien tué. Atmosphère très tendue. Toute la journée, tractage contre les violences policières. 28 mai : rassemblement Porta Palazzo (seule une organisation antiraciste brandit ses logos). La police est présente en masse mais ne se montre pas. Le cortège rassemble bientôt 1 000 personnes. La tension monte : personne ne supporte les uniformes. Après un peu de flou et à cause du blocage par la police de la rue menant au commissariat, le cortège poursuit vers la gare où les voies sont occupées. 1er juin : reprise de la grève de la faim par les retenus, initiative vite abandonnée. 5 juin : arrivée au centre de 12 clandestins. Les ratissages sont continus. 8 juin : reprise des rafles dans les autobus. Irruption de compagnons lors d’une réunion officielle sur les projets de requalification urbaine. Banderoles et tracts rappellent les meurtres d’immigrés. Peu avant, des ouvriers licenciés avaient invectivé le maire, peu après, ce sera le tour d’habitants indignés des projets d’urbanisme. 9 juin : expulsion de 5 personnes. La machine à expulser reprend son rythme de croisière. Sur un marché, un stand de la Chronique de Turin est bousculé. Après-midi, rassemblement devant le CPT. 15 juin : « les habituels inconnus », selon les journaux, sabotent une centaine de parcmètres gérés par la Gtt et affichent un « faux parfait » dans lequel l’entreprise annonce une journée de parking gratuit... etc., etc. [source : Borderzero] été 2005, « camping antiraciste » en Sicile : 31 juillet : évasion de 40 migrants du CPT de Porto Empedocle (environ 200 retenus). Une délégation d’activistes avait pu pénétrer dans le bâtiment et informer les migrants de leurs droits. Après l’évasion, action autonome des migrants, les autorités n’ont plus autorisé les activistes à revenir. 1er août : assemblée devant le CPT de Raguse (unique centre pour femmes d’Italie, toutes les migrantes y sont transférées). Des activistes ont pu parler avec les migrantes à travers les grilles, puis ont pénétré en force dans une cour, y sont restés plusieurs heures et ont obtenu qu’une délégation puisse inspecter le centre. Libération de 6 personnes. 2 août : blocus par près de 80 activistes à Porto Empedocle. Pendant les échauffourées avec la police, 14 migrants ont réussi à briser les vitres des bus et à s’échapper... etc., etc. quelques sites italiens : <www.tmcrew.org/border0/>, <www.digilander.libero.it/tempidiguerra/>, <www.carta.org/campagne/diritti/cpt/index.htm>, <http://www.meltingpot.org/archivio3.html>, <http://italy.indymedia.org>, <www.ecologiasociale.org>, en français, voir <www.migreurop.org/rubrique124.html> 67