Dealer, un v´eritable m´etier - benjamin marconnet`s website

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Dealer, un v´eritable m´etier - benjamin marconnet`s website
SO01 - Sociologie du travail
Université de Technologie de Belfort-Montbéliard
Dealer,
un véritable métier ? Pierre-Jean Hückel, Pierre Rognon et Benjamin Marconnet
Semestre d’automne 2012
Table des matières
1 Caractéristiques de l’activité
1.1 Qui ? . . . . . . . . . . . . .
1.2 Pourquoi ? . . . . . . . . . .
1.3 Où ? . . . . . . . . . . . . .
1.4 Comment ? . . . . . . . . .
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3 Divergences avec un métier légal
3.1 Absence de réelle protection sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2 Illégalité de l’activité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3 Dangerosité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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13
13
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4 Conclusion
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2 Des
2.1
2.2
2.3
2.4
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convergences avec un véritable métier
Le salaire . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La hiérarchie . . . . . . . . . . . . . . . .
Le lieu de travail . . . . . . . . . . . . . .
Les horaires . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Introduction
Selon une estimation de 2007, le trafic de cannabis représenterait chaque année entre
746 et 832 millions d’euros pour environ 200 tonnes vendues. Début décembre 2012, le
ministre de l’Intérieur Manuel Valls 1 a évalué que celui-ci représentait désormais plus de
deux milliards d’euros par an de chiffre d’affaire. Si ces chiffres paraissent importants,
ils ne sont pas traduis par une répartition équitable de l’argent. En effet, comme dans
l’économie légale, il existe une hiérarchie autant au niveau des salaires qu’au niveau des
postes.
D’après les étude de M. Ben Lakhdar, on peut distinguer trois grandes catégories
dans la filière de distribution du cannabis :
– les semi-grossistes, en haut de la pyramide, qui seraient entre 700 et 1000 en
France, gagneraient jusqu’à 550 000 euros chaque année ;
– les fournisseurs, estimés entre 6000 et 13000, avec un salaire maximum annuel de
76000 euros ;
– enfin, les dealers de rue, représentant la majorité des personnes travaillant dans la
filière, seraient entre 58000 et 127000, et obtiendraient entre 4500 et 10000 euros
par an.
Tout au long de cette étude, nous nous intéresserons à cette dernière catégorie, dite
des « dealers de rue ». Nous tenterons de faire une comparaison entre cette activité et
un métier que nous qualifierons de normal, dans une économie légale.
Le début de l’étude sera consacrée à la situation autour de laquelle se développe
l’activité de dealer. Nous tenterons de déterminer si possible des « caractéristiques » qui
favorisent l’entrée dans l’activité. Sera abordée ensuite la convergence de l’activité avec
un métier conventionnel. Nous chercherons à montrer que certaines notions présentes
dans un métier de la sphère légale se retrouvent aussi chez les dealers de rue. Enfin,
les divergences seront mises en évidence entre cette activité illicite et une autre licite,
où nous évoquerons entre autre sa dangerosité. Enfin, nous chercherons à conclure en
répondant si oui ou non, il est possible d’utiliser l’appellation de métier en parlant de
l’activité des dealers de rue.
1. http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2012/12/06/97002-20121206FILWWW00754-valls-le-cannabis-2-mill
php
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Chapitre 1
Caractéristiques de l’activité
Cette première partie vise à cibler et à déterminer les caractéristiques récurrentes
chez les dealers de rue. Pour cela, nous chercherons à répondre, en s’appuyant sur de
nombreuses études sur le sujet, aux questions « Qui ? », « Pourquoi ? », « Où ? » et
« Comment ? ».
1.1
Qui ?
Plusieurs facteurs entrent en compte lorsque l’on étudie la population des dealers
de rue. Le premier, le plus déterminant, est l’âge. En effet, selon une étude de 2008, les
trafiquants de 18 à 25 ans sont les plus nombreux, en représentant 53% des 13154 arrestations liés au trafic de cannabis cette année là. Toujours selon cette étude, il est aussi
possible de remarquer qu’il existe une part non négligeable de mineurs impliqués dans
l’activité de dealer (presque 10% des interpellations). Pour Nacer Lalam, ces « jeunes »
sont presque exclusivement présents tout en amont ou tout en aval de la filière, c’est-àdire à la production et à la revente finale de la drogue, dans la rue.
Les raisons de la forte présence de jeunes individus peut s’expliquer par plusieurs
raisons :
– la première serait la crédulité et l’ingénuité de ceux-ci : du fait de leur jeunes
âges, ils ne mesurent pas les risques et n’ont pas véritablement conscience des
conséquences de leurs engagements et du fait d’être hors la loi ;
– une deuxième pourrait être une raison que l’on peut qualifier de logique : c’est par
ces activités (production et distribution) que l’on entre dans la filière et que l’on
peut faire ses preuves. Ce sont les places les plus basses dans la « pyramide » ;
– enfin, et surtout pour les jeunes de moins de 16 ans, ils ont un avantage conséquent qui est leur protection vis-à-vis de la justice. En effet, une interpellation
pour trafic de stupéfiants est beaucoup moins sévèrement réprimandée et les mineurs s’en sortent souvent avec seulement quelques heures de garde à vue.
Il est important de noter que l’entrée des mineurs dans le trafic de drogue est un
phénomène très récent. Celle-ci implique et entraîne très souvent une déscolarisation et
un changement important et notable dans leurs relations sociales, que ce soit avec leurs
familles ou leurs proches.
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Second facteur déterminant dans la population de dealer de rue : le sexe. Les différentes études menées ont montré que les dealers de rue sont majoritairement des
hommes. Toujours selon Nacer Lalam, cela s’explique par le fait que les « chefs » considèrent souvent les femmes comme inaptes à entrer dans le milieu. Cependant, il existe
quand même des femmes dans le monde du trafic de drogue, mais elles sont très souvent
recrutées sous la contrainte et cantonnées à des positions subordonnées (tel qu’un rôle
de « nourrice »).
1.2
Pourquoi ?
Selon une idée prédominante de l’opinion publique, les personnes impliquées dans
un trafic de drogue auraient des revenus mirobolants. Si l’étude n’était pas approfondie, nous pourrions penser que ces « travailleurs » entraient dans le milieu uniquement
par appât du gain. Cependant, comme nous l’avons abordé précédemment, la majeure
partie des dealers de rue gagne très peu d’argent. Ces personnes espèrent que cela ne
durera qu’un premier temps, et croient en leur "carrière" dans ce milieu qui les mènera
à gravir petit à petit les échelons.
L’argent n’est donc pas la seule motivation ni la plus forte. Un point non négligeable qui motive les personnes à entrer de le trafic de drogue est la socialisation qu’il
implique. En effet, une grande partie des personnes attirées par ce milieu sont dans
une détresse sociale et trouvent dans le trafic une reconnaissance, ainsi qu’une « place
psycho-sociale » qui ne leur est pas accordée dans la société. Le trafic de drogue joue
alors un rôle socialisant, comblant à la fois le vide crée par le non-emploi et le manque
de famille, souvent observé chez ces individus.
Troisième motivation, qui contrairement aux deux précédentes, serait plutôt une
contrainte : le chômage. La plupart des personnes qui entrent dans le trafic sont victimes d’une stigmatisation de leur milieu social et éprouvent des difficultés à être intégrés dans un milieu socio-professionnel. Ce chômage contribue d’autant plus a déprécier
l’image que ces personnes ont du schéma classique de la société : scolarisation, études,
puis emplois. En effet, en plus d’être confrontés eux-même au problème de manque de
travail, ils voient leur entourage, qui ont réussi à trouver une activité, rester toute leur
vie avec un salaire proche du SMIC, ou même la perdre, malgré des années d’expériences.
Certaines personnes ont une idée bien précise du pourquoi ils entrent dans le milieu
du trafic de drogue. Ces derniers ont simplement pour but de mettre un peu d’argent
de côté, n’ayant pas accès aux prêts classiques. Ils en profitent ensuite pour ouvrir un
commerce et sortent alors totalement de l’illégalité.
Enfin, il existe aussi des personnes recherchant simplement un revenu complémentaire à leur salaire habituel. Ces personnes gagnent souvent peu d’argent voire trop peu
pour subvenir à leurs besoins. Le trafic leur permet alors « d’arrondir leur fin de mois ».
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1.3
Où ?
Les motivations mentionnées précédemment se retrouvent souvent additionnées et
ont dans la plupart des cas un lien avec un environnement social particulier. Malgré
que les endroits où se sont mis en place des réseaux de trafic de drogues sont nombreux,
ils sont souvent semblables : il s’agit presque exclusivement de quartiers dits « populaires », qui correspondent à ce que l’on appelle les ZUS 1 et les ZEP 2 . De nombreuses
raisons ont favorisé et continuent encore aujourd’hui d’aider ce développement dans ces
quartiers.
La cause majeure du développement est la situation sociale. Dans ces quartiers, les
différents indicateurs sociaux sont mauvais voire très mauvais et la population s’y sent
délaissée, dans un climat de misère sociale. Ainsi, le taux de chômage y est particulièrement élevé. Les personnes ont beaucoup plus de mal à trouver un métier qu’ailleurs.
La moyenne du taux de chômage selon une étude de l’INSEE en 2007 était en effet de
17,9% dans ces quartiers contre 8,6% ailleurs, soit plus du double.
Ce problème de chômage est entretenu très tôt par l’échec scolaire, très présent dans
ces quartiers. En effet, de nombreux mineurs quittent très tôt les bancs de l’école. Le
nombre de chômeurs étant plus élevé chez les personnes les moins qualifiées, cela amplifie les difficultés à trouver un travail. Effet en cascade, le nombre de familles vivant
d’aides sociales et donc avec peu d’argent sont beaucoup plus nombreuses qu’ailleurs.
Cela engendre donc une précarité financière mais aussi une sensation d’isolement,
de non-existence dans la société. Ces facteurs présents dans ces quartiers motivent les
raisons que nous avons abordés auparavant. Une dernière raison est la facilité et la
proximité de ces trafics qui naissent souvent dans ces quartiers et qui implique un
recrutement facile comme nous allons le voir par la suite.
1.4
Comment ?
L’engagement dans le trafic de drogue fait parti d’un processus, et se fait de manière
progressive. Il faut d’abord gagner la confiance des trafiquants déjà installés, en rendant
de petits services. Ces services peuvent être par exemple participer à un approvisionnement à l’étranger, ou faire parti d’autres pratiques illégales comme le recel ou le vol.
Dans le cas des jeunes, du fait de leur déscolarisation, ils passent une bonne partie
de la journée dans l’espace public et connaissent l’environnement, les cachettes possibles pour la drogue et l’argent, etc. Il est alors intéressant pour les trafiquants de les
approcher, et ce sont eux qui proposent aux jeunes de rejoindre le trafic de drogue.
La notion d’usager-revendeur existe et est un phénomène très répandu dans le trafic de drogue : c’est en étant d’abord consommateur, en ayant déjà des relations, que
certaines personnes entrent dans l’activité. Cela leur permet de pouvoir continuer à
1. Zones Urbaines Sensibles
2. Zones d’Education Prioritaires
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consommer à moindre au coût ou d’obtenir des produits de meilleure qualité.
Mais l’entrée dans le trafic peut aussi être contrainte. Suite à des dettes liées au
trafic, ou face à des menaces, certaines personnes sont obligées de commencer l’activité
pour rembourser les trafiquants. C’est notamment le cas pour la fonction de nourrice,
dont le rôle est de mettre à disposition son appartement pour stocker de l’argent ou de
la drogue. Il peut aussi y avoir des pressions familiales ou de proches, déjà ancrés dans
le milieu, qui justifieraient un refus comme étant une trahison.
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Chapitre 2
Des convergences avec un véritable
métier
Par quelques points, nous avons abordé dans la partie précédente des notions de
recrutement et de salaire, qui sont habituellement utilisées dans le monde du travail. Il
convient donc de s’intéresser aux différents points qui peuvent rapprocher l’activité de
dealer de rue à un métier à part entière.
2.1
Le salaire
La notion primordiale qu’est le salaire dans le monde du travail mérite d’être traitée
en premier ordre. Comme nous l’avons dit dans la partie précédente, contrairement aux
croyances communes, l’argent que gagne un dealer de rue ne représente pas une somme
importante. Pour reprendre une expression utilisée par le sociologue Pierre Roche, les
dealers de rue ne ramassent que les « miettes » du bénéfice généré par le trafic de
drogues. Selon une étude de 2007, les dealers de rue ont un revenu inférieur au SMIC.
Cependant, on peut remarquer que les études parlent toutes d’un revenu annuel, voire
d’un taux de salaire horaire qui sont tous des termes employés dans le monde du travail
légal. Ces notions impliquent une rémunération régulière et on peut donc parler réellement de salaire pour les dealers de rue. Il est par contre difficile de savoir comment
et à quels intervalles sont versés les salaires. Il est logique que les salaires sont donnés
de main à main en espèces du fait de l’illégalité du trafic. Cependant, il semble que
l’argent est souvent donné à la journée pour les plus jeunes qui dépannent mais on ne
sait pas comment sont rémunérés ceux qui trafiquent de manière régulière.
Mais peut-on vraiment parler de salaire, si celui-ci est inférieur au SMIC, qui est
pour rappel le salaire minimum en dessous duquel aucun salarié ne peut être payé ?
Cependant, il est important de relativiser et de préciser que le deal n’est pas forcément le seul moyen de revenu pour un trafiquant. Le deal de rue n’étant pas un métier
légal, il est tout à fait possible de toucher en parallèle à l’activité de dealer une allocation
chômage (dans le cas où le trafiquant a eu un vrai emploi durant les mois précédents)
ou le RSA. Le Revenu de Solidarité Active est une aide financière du gouvernement,
qui est versé aux personnes n’exerçant pas d’activité professionnelle, ou n’ayant pas de
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revenus suffisants pour vivre.
Même si cela est très difficile a évalué, il pourrait être intéressant de tenter de déterminer ce que pourrait réellement gagner un trafiquant. En prenant pour barème le
« RSA socle » (donc sans revenu d’activité) de novembre 2012, un dealer de rue faisant
parti du « haut du panier » en gagnant 10000 euros par an (soit 830 euros par mois),
sans enfant, pourrait au final toucher grâce au RSA chaque mois environ 475 euros, et
donc gagner jusqu’à 15700 euros (1308 euros par mois). Il n’est donc pas inimaginable
de penser qu’en effectuant une activité à mi-temps à coté de celle de dealer, qu’elle soit
légale ou « au noir », que les trafiquants puissent obtenir des revenus « corrects ».
En effet, le SMIC s’élève depuis juillet 2012 à 1118,36 euros brut par mois (pour
35 heures de travail). Si l’on considère que celui-ci est suffisant pour vivre, alors, il est
possible de dire qu’un dealer de rue touche l’équivalent d’un « vrai » salaire par mois,
qui lui permet de vivre.
2.2
La hiérarchie
Ben Lakhdar, dans son étude de 2007 sur le trafic de cannabis en France, a pu
déterminer différents emplois dans le trafic de drogue : les semi-grossistes qui seraient
aux commandes, les fournisseurs et puis les dealers de rue.
En comparant plusieurs études sur le sujet, françaises mais aussi réalisées dans
d’autres pays, il est possible de tenter d’aborder ce que pourrait être une version simplifiée de l’organisation d’un trafic local :
Le haut de l’organisation est composée du ou des "patrons". Ils ont comme responsabilité de définir les stratégies à long terme de l’organisation et de maintenir de bonnes
relations avec les fournisseurs et les autres « bandes » de la région. Parmi ces "patrons",
certains ont aussi le rôle de chapeauter le recrutement de nouveaux dealers, de punir
les personnes de l’organisation qui ne respectent pas les ordres donnés, et parfois même
d’agir comme lien avec la population locale.
Il est aussi possible de trouver un « homme de main » qui est là pour protéger la
sécurité des membres de l’organisation, un « trésorier » qui gère l’argent du groupe, un
ou des « fournisseurs » qui transporte et réapprovisionne la drogue dans l’organisation,
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des « coupeurs » et des « nourrices », qui stockent la drogue.
Tout en bas de l’organisation, comme déjà vu au cours de l’étude, on trouve les
dealers de rue, appelé « charbonneur », qui, comme leur nom l’indique, sont ceux qui
sont dans la rue et qui réalisent directement les échanges avec les clients. Les usagersrevendeurs, catégorie un peu spéciale, pourrait être considérée au même niveau que les
dealers de rue, à la différence qu’ils ne travaillent pas directement pour l’organisation.
Ils s’arrangent généralement avec elle pour obtenir une protection et une de quoi fournir
leurs clients, en échange d’argent.
Il existe aussi les guetteurs, généralement l’activité par lesquels les personnes entrent
dans le trafic, dont le rôle est tout simplement de surveiller et d’avertir les dealers lors
de l’arrivée de la police. Ce rôle de guetteur peut se mêler à celui de « rabatteur », qui
gèrent et font attendre les clients.
En montrant l’existence de postes bien spécifiques, avec la présence d’une hiérarchie, il est possible de dire que la structure d’une organisation de trafic de drogue locale
ressemble à celle d’une entreprise légale. Il est même possible de parler d’évolution
de carrière dans cette structure : les personnes entrent en tant que guetteur, puis deviennent « charbonneur », et si la possibilité se présente, peuvent même espérer finir
« patron ». Les dealers de rue, comme des ouvriers dans une usine, doivent bien obéir
à des ordres et respecter l’autorité de leurs supérieurs.
2.3
Le lieu de travail
Par définition, l’activité de dealer « de rue » se déroule dehors, devant des points
précis qui peuvent être des immeubles, ou sur des parkings. Les autres membres de la
structure, comme les guetteurs ou les hommes de main, sont positionnés aux alentours.
Ce lieu ne change pas (sauf en cas de problèmes), et les clients viennent se procurer ce
dont ils ont besoin.
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« En bas de chez moi », dessin d’un enfant de 9 ans qui vit à La Castellane, un
quartier marseillais
Cependant, certains ont mis en place des structures plus « évoluées ». ActuRevue,
site d’information, en se plongeant dans le commerce de la drogue en région parisienne 1 ,
y a interviewé des personnes mêlées au trafic et a pu montrer l’existence de véritables
« lieux de commerces ». Pour se procurer de la drogue, l’acheteur doit tout d’abord
passer une grille, où sont positionnés des guetteurs qui sont chargés de prévenir l’arrivée de la police. Un « jeune » informe ensuite de l’endroit exact où se déroule l’échange
(« dans des halls d’immeubles, généralement dans le local à poubelle »). Ces locaux sont
aménagés et des trous ont été fait dans les murs, de telle sorte que l’on ne puisse presque
pas voir le dealer. ActuRevue explique que les dealers qui sont dans ces structures essayent, comme dans un véritable magasin, de fidéliser leurs clients, en promettant qu’il
y n’y aura jamais de pénurie, en restant disponible à tout moment de la journée et en
assurant leur sécurité.
Autre méthode, la vente directe est aussi employée. Le site a rencontré deux dealers
repentis qui s’étaient séparé les rôles : un s’occupait de trouvait des grossistes et l’autre
allait revendre la drogue dans des cafés « chics » sur Paris. La livraison à domicile
existe aussi et marche quasiment de la même manière qu’un service de livraison classique. L’avantage principal de cette méthode est la réduction considérable des risques
de se faire prendre par la police, autant pour les dealers que pour les acheteurs.
2.4
Les horaires
Dans des exemples de procédures établies par la police de Marseille en 2008, deux
personnes interpellées abordent en parlant de leur activité de dealer une notion d’ho1. http://blogs.mediapart.fr/blog/acturevue/150611/vendeur-de-drogue-comment-ca-marche
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raire : « Je descends vers 11h30 à côté de l’alimentation. . . [. . .] Tout ce que je sais, c’est
qu’il (un autre dealer) arrive vers 18h, il prend la relève et il me remplace. ».
Cette notion d’horaire est aussi évoquée dans l’émission « Pourquoi les dealers
vivent-ils chez leur maman ? » de France Culture, diffusée le 19 décembre 2012 : « l’organisation est bien rodée, les horaires de travail sont fixes : de 11h à 18h pour le premier
shift, puis de 18h à minuit pour la deuxième équipe ». Il est expliqué qu’il est rare que
des dealers travaillent toujours de la semaine.
12
Chapitre 3
Divergences avec un métier légal
Cette section, étudiant les différences entre l’activité de dealer et un « vrai » métier,
est scindée en deux parties : tout d’abord, nous parlons de la physionomie d’un travail
dans la sphère légale, et des aspects qui n’existent pas dans l’activité de dealer. Puis nous
nous attacherons à montrer l’illégalité et la dangerosité, qui sont des caractéristiques
de l’activité.
3.1
Absence de réelle protection sociale
En ne considérant qu’une personne n’exerce que l’activité de dealer, elle ne peut
pas avoir accès à une vraie protection sociale. La protection sociale répertorie tous les
mécanismes aidant les personnes à faire face à des problèmes économiques suite à des
« risques sociaux », qui peuvent être un accident, une maladie, le chômage, etc. Ces
aides peuvent être des versements d’argent, comme pour les pensions de retraites et les
remboursements de soins de santé, mais aussi un accès à ensemble de services (hôpitaux,
crèches) gratuitement ou à prix réduit.
Lorsqu’un dealer tombe malade ou est victime d’un accident, il ne peut pas aller
travailler. Cet absentéisme n’est pas remboursé par la caisse d’Assurance Maladie, et
est traduit par une perte d’argent directe pour le trafiquant. Dans le cas où il se ferait
« virer » de son poste, il ne toucherait pas d’indemnités chômage. Les congés payés
pour partir en vacances, ou un congé parental pour s’occuper de son enfant n’existent
pas non plus.
Cependant, comme vu dans la partie précédente, dans le cas où l’on n’exerce pas
d’activité professionnelle, il est tout de même possible en France, depuis 1978, de toucher
les « minima sociaux », qui est une aide visant à garantir « un revenu minimal à une
personne en situation de précarité ».
3.2
Illégalité de l’activité
Comme le précise Sylvie Mottes dans son étude, il est intéressant de noter que les
lois relatives au trafic de stupéfiants se trouvent dans le livre titre « Des crimes et délits
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contre les personnes », dans le titre deuxième du code pénal intitulé « Des atteintes à la
personne humaine », qui suit le titre premier « Des crimes contre l’humanité et contre
l’espèce humaine ». Ce choix, d’avoir placé ces lois proche de celles de « crimes contre
l’humanité », dénote une réelle volonté de punir le deal de drogue, et de montrer que
c’est presque une pratique « épouvantable ».
En tout, il est possible de trouver neuf articles, tous inscrits ou modifiés très récemment (l’article 222-34, le plus vieux, date de septembre 2000). En s’intéressant à ceux
relatifs aux dealer de rue, il est possible d’en dégager deux :
– Article 222-37 : « Le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou
l’emploi illicites de stupéfiants sont punis de dix ans d’emprisonnement et de
7500000 euros d’amende. »
– Article 222-39 : « La cession ou l’offre illicites de stupéfiants à une personne en
vue de sa consommation personnelle sont punies de cinq ans d’emprisonnement et
de 75000 euros d’amende. La peine d’emprisonnement est portée à dix ans lorsque
les stupéfiants sont offerts ou cédés, dans les conditions définies à l’alinéa précédent, à des mineurs ou dans des établissements d’enseignement ou d’éducation
ou dans les locaux de l’administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des
élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces
établissements ou locaux. »
L’article 222-37 vise le trafic « organisé », où il y a par exemple des guetteurs, et
lorsqu’il y a détention d’argent liquide, de marchandises et de carnets de comptes. L’article 222-39, quand à lui, en est une version plus atténuée, en précisant la notion de
« consommation personnelle ». En revanche, la loi est bien plus sévère lorsque le dealer
cède des drogues à des mineurs, dans la rue ou dans des établissements scolaires.
Cependant, dans les faits réels, le montant demandé et la durée des incarcérations
n’est jamais vraiment respecté : par exemple, dans le cas d’une affaire de trafic de
drogue « organisé » à Pau 1 , jugée en septembre 2012, le tribunal a demandé :
– 4 ans de prison et 30 000 euros d’amende au « patron » ;
– 5 ans de prison et 10 000 euros pour un revendeur/« chimiste » ;
– 2 ans (dont 8 mois avec sursis) de prison et 5 000 euros pour un second revendeur ;
– 18 mois (dont 9 et 12 avec sursis) de prison pour les « nourrices ».
Ces peines, qui sont donc bien loin des 10 ans et 7 500 000 euros d’amende prévus
par la loi, sont quand même bien réelles, et font partis des risques liés à l’activité de
dealer.
3.3
Dangerosité
Autre caractéristique de l’activité de dealer que l’on ne retrouve pas dans un vrai
métier, ou pas sous cette forme, est la dangerosité. Un danger qui ne vient pas des forces
1. http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2012/09/19/trafic-de-drogue-des-peines-allant-jusqu-a-51098062.php
14
de l’ordre et de la peur de se faire arrêter, mais bien des autres bandes de dealer et du
phénomène appelé par les médias « guerre des gangs ».
De par son illégalité, il n’existe pas de « droits » et de lois dans le trafic de drogue
(pas de prud’hommes, de droit de la concurrence, etc.), et il n’est donc pas possible
de passer un tribunal pour régler les conflits. Pour s’assurer que les dettes soient bien
payées, que les contrats seront bien assurés, mais surtout pour obtenir de nouveaux
espaces de ventes (des « droits de propriété »), les bandes organisées de trafic de drogue
n’hésitent pas à avoir recourt à la violence. Et très souvent, pour ne pas avoir à faire à
une vraie « guerre de gang », ils ne s’attaquent pas aux « chefs », et cherchent seulement
à les impressionner en s’en prenant aux personnes directement à leur portée : les dealers
qui travaillent dans la rue.
Les chiffres du nombre d’agressions liés au trafic étant impossible à avoir, un dealer portant très rarement plainte après s’être fait attaqué par un concurrent, il peut
cependant être intéressant de voir le nombre de meurtres (qui eux sont bien visibles)
que la police qualifie de « règlement de compte entre malfaiteurs ». D’après l’ONDPR 2 ,
en 2008, celle-ci a répertorié 126 homicides dans cette catégorie, en France. Ils ne sont
pas tous liés au trafic de stupéfiants, mais ils permettent de montrer une violence très
présente à l’intérieur du milieu criminel.
Très présente dans l’actualité, la ville de Marseille est un endroit où ces règlements
de compte sont importants et où les exemples ne manquent pas. Thierry Colombié a
d’ailleurs répertorié sur son site web 3 une liste de tous les homicides entre criminels
dans la ville et ses environs. Au total, 24 meurtres en 2012 (16 en 2011). Les manières
de faire se ressemblent très souvent : les agresseurs arrivent en voiture près de la ou
des victimes, les empêchent de s’échapper, tirent une « rafale de kalachnikov » et si la
victime était dans une voiture, le feu est mis à celle-ci avant de s’enfuir.
2. Observatoire national de délinquance et des réponses pénales
3. http://www.thierry-colombie.fr/news.php?item.39.7
15
Chapitre 4
Conclusion
En établissant qu’il existait une notion de salaire, de hiérarchie et de possible évolution de « carrière » et des lieux de travail définis avec des « heures d’ouverture », nous
avons pu montrer qu’il était possible de rapprocher l’activité de dealer avec celle d’un
métier de la sphère légale.
Cependant, en s’appuyant sur des exemples, nous avons pu nous apercevoir qu’à
cause de l’absence de protection sociale, et donc entre autres d’assurance maladie et
d’assurance chômage, mais surtout du caractère illégal de l’activité et de sa grande
dangerosité, l’activité de dealer est assez de pouvoir être comparé à celle d’un « vrai »
métier.
Il est possible de terminer notre étude par une citation de Steven Levitt, auteur de
Freakonomics : « It turns out, petty crime’s a terrible way to make a living. »
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Bibliographies et sources
Livres
Levitt, Steven et Dubner, Stephen. Freakonomics, publié par William Morrow,
2005.
Études
Levitt, Steven et Venkatesh, Sudhir Alladi. An economic analysis of a drug
selling gang’s finance, publié par l’université de Chicago, 2000.
Ouvrage collectif. L’intervention sociale à l’épreuve des trafics de drogues, publié
lors des Ateliers Professionnels des 6 et 7 mai 2010 à Marseille.
Sites Internet
Qu’est-ce que la protection sociale ? Disponible sur vie-publique.fr.
La liste des règlements de compte à Marseille et sa région - 2011 et 2012. Disponible
sur thierry-colombie.fr.
A Marseille, les petits voyous ne font plus dans l’amateurisme. Disponible sur marianne.
net.
Marseille : dans la cité des enfants perdus. Disponible sur axellederusse.com.
Confessions d’un ex-dealer. Disponible sur letelegramme.com.
Vendeur de drogue, comment ça marche ? Disponible sur blogs.mediapart.fr.
« La drogue c’est mon métier ». Disponible sur ladepeche.fr.
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