III-Pour l`amour de la merde

Transcription

III-Pour l`amour de la merde
Nouvelle de Maxime
Pour l’amour de la merde
A Guillaume, pour l’amour de l’art
« -Si t’écris de la merde, tu seras lu par tous les gens qui passent plus de quelques minutes
dans les chiottes !
- Ça fait bien la moitié de l’humanité, ça ! Je vais être mondialement connu !
- Tant qu’à faire chier tes lecteurs, mon p’tit, mieux vaut être lu dans les chiottes qu’étudié
dans les classes ! »
Discussion entre l’auteur et son agent littéraire
« J’ai quand même du mal à écrire de la merde… »
Victor Hugo
« Est-ce un caca déguisé en humain ou un humain déguisé en caca ? »
Réflexion des auteurs un soir après la guerre
Note de l’éditeur
En ces temps de détresse culturelle, il nous a paru indispensable de publier la présente œuvre
afin de témoigner du caractère multiple, voire déroutant, du discours créatif contemporain –
et ce malgré son caractère érotique, voire franchement pornographique. Le présent texte sera
donc marqué du sceau de l’interdiction au public non averti en plus de celui de la censure,
qui concerne certains des passages les plus obscènes.
Extrait d’un manuscrit sur support papier toilette (épaisseur triple, parfum pêche). Début du
XXIème siècle, auteur anonyme (et qui tient à le rester !).
(le début manque)
A peine les flics avaient tenté une première fois de nous serrer que ces deux enculés de
Fernand et de Karl me lâchaient sans prévenir. Je ne devais plus entendre parler d’eux.
Mes deux acolytes étaient restés jusqu’à présent sans tâche. Mais je sentais bien que
mon nouveau statut d’icône de la jeunesse dorée et de représentant de la rebellion aux
autorités établies et autres valeurs morales les rendaient jaloux. Ils finissaient par s’attribuer la
paternité à part égale de mon génial exploit ecclésiaclaste – et je dis non ! Cette horribissilime
idée ne pouvait être que mienne ; jamais un savant dévoyé et son igoresque serviteur
n’auraient pu l’avoir, et encore moins avoir le courage de l’exécuter !
Tout changea fort heureusement à l’arrivée des forces de police (montées sur motocrottes) dans notre repaire : mes deux complices s’enfuirent. Je filai aussi, mais pour d’autres
raisons : il fallait continuer la lutte.
Et me voilà à nouveau tout seul… Tel semblait être mon destin.
Chapitre XCI
Ma vie amoureuse prend un tournant
On était déjà à l’époque où les prédictions paranoïaques d’obscurs écrivains de
science-fiction gavés de drogues se réalisaient : l’Amérique devenait facho, les megacorps
prenaient le pas sur les démocraties désorganisées ; en bref, le fatras humain s’en allait, tel
l’ordure, à vau-l’eau du caniveau… J’avais échoué dans une petite ville française déshéritée
(pénible euphémisme !)…
Mais même dans l’ordure il existe des trésors de beauté ravagés par le temps, foulés
par les pattes à coussinets crasseux des chats de gouttières, agglutinés aux déchets
inidentifiables des bouches d’égoûts… Je me tenais méditatif en observant la rue du coin d’un
trottoir lorsque je la vis passer.
Ou plutôt, tomber.
Elle était tombée, virevoltante, gracile dans sa faiblesse, gracieuse dans sa chute
involontaire et catastrophique…
Sa peau brune veinée de blond fit battre mes germes si fort que je ne pus que rester là,
interdit, à contempler sa forme couchée dans le caniveau, abandonnée au regard indifférent
des passants, trop occupés à poursuivre leur route. Je sus alors que ma vie amoureuse,
jusqu’alors primitive et embryonnaire, allait connaître son apogée aussi soudaine
qu’éblouissante. Je me décidai enfin à aller à sa rencontre en me laissant glisser jusqu’à elle
au long du filet d’eau dans la rigole, selon un mode de déplacement qui m’était maintenant
habituel1 ; je vins ainsi à elle, petite feuille toute abîmée tombée du haut d’un arbre, arrachée à
sa vie, à sa source de sève, offerte à moi par le hasard.
Chapitre XCII
Nos nuits de passion
(Chapitre censuré)
Chapitre XCIII
L’épreuve du temps
Avec le temps vint inexorablement la lassitude et les disputes ; notre couple se
décomposait peu à peu, au rythme même de notre propre décadence naturelle… Ma femmefeuille prenait de l’âge, brunissait, se trouait… Quand à moi, je redevenais poussière, ayant
été nourriture il y a longtemps : le cycle de la vie se perpétuait…
Le soir de notre séparation fut aussi celui de sa mort. Elle ne protesta pas lorsque je me
laissai entraîner jusque dans le sombre royaume des égoûts, la quittant définitivement pour un
avenir sombre : la réincarnation-recyclage-traitement des déchets dans l’usine la plus proche.
En partant, je vis son pauvre squelette se ployer, débarrassé de sa fine chair ambrée ;
elle mourut sans un soupir en laissant sur Terre le noyau décharné de son corps de dentelle.
La feuille d’automne avait volé, s’était posée, s’était consumée puis décomposée, et la voilà
qui s’en allait nourrir les vers et les insectes qui l’attendaient tapis sous terre…
L’épreuve du temps est la pire : elle use les corps et les âmes, émousse les sens et les
chairs. J’en étais tout autant victime que ma douce foliacée disparue ; me voilà qui m’en allait
vers l’ombre, en philosophe, sans avoir finalement vécu quoi que ce soit qui eût pu demeurer
en ce monde ; mes aventures ne m’avaient guère fait grandir : la mort allait en marquer le
terme. Ma rébellion anticléricale, mon anathème sacrilège, demeurerait un temps dans les
mémoires, mais serait perdu avec la tradition, avec la civilisation des hommes qui m’avait
engendré. Mon destin est-il donc de disparaître sans plus de résultat qu’une mort certaine,
privation de mes biens et des miens, disparition de mes œuvres, jusqu’à ce témoignage sur
papier-cul lancé au hasard des courants ; sans plus de résultats qu’une décomposition totale
vers le néant ?
Nanti de cette interrogation insoluble2on raconte que Léon Létron, pour la première
fois, se mit à pleurer.
Et ses mémoires s’arrêtent là.
1
2
3
Voir le premier épisode (NdE).
Y compris par du Desktop©, pour déboucher vos canalisations bouchées les plus coriaces (NdS3)
NdS : Note du Sponsor.