Thérèse Raquin - biblio

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Thérèse Raquin - biblio
Thérèse Raquin
Émile Zola
Livret pédagogique
correspondant au livre élève n°63
établi par Véronique BRÉMOND BORTOLI,
agrégée de Lettres classiques, professeur au CNED,
et
Véronique LE QUINTREC,
agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée
Sommaire – 2
SOMMAIRE
A V A N T - P R O P O S .................................................................................................... 3 T A B L E D E S C O R P U S ................................................................................................ 4 R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S ........................................................................................ 5 Bilan de première lecture (p. 276) ................................................................................................................................................................... 5 Extrait du chapitre VII (p. 52, l. 81, à p. 54, l. 148) ........................................................................................................................................... 5 ◆ Lecture analytique de l’extrait ..................................................................................................................................................... 5 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture ......................................................................................................................................... 9 Extrait du chapitre XI (p. 94, l. 274, à p. 96, l. 329) ........................................................................................................................................ 15 ◆ Lecture analytique de l’extrait ................................................................................................................................................... 15 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture ....................................................................................................................................... 18 Extrait du chapitre XXI (p. 168, l. 249, à p. 170, l. 302) .................................................................................................................................. 25 ◆ Lecture analytique de l’extrait ................................................................................................................................................... 25 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture ....................................................................................................................................... 28 Extrait du chapitre XXXII (p. 264, l. 71, à p. 265, l. 123) ................................................................................................................................. 35 ◆ Lecture analytique de l’extrait ................................................................................................................................................... 35 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture ....................................................................................................................................... 38 C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S ....................................................................... 4 3 B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E ............................................................................. 4 5 Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2015.
43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.
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Thérèse Raquin – 3
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la
fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces
lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de
textes ; analyse d’une ou deux questions préliminaires ; techniques du commentaire, de la dissertation,
de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Thérèse Raquin, en l’occurrence,
permet d’étudier certains aspects du genre romanesque au XIXe siècle, et plus particulièrement le
naturalisme, tout en s’exerçant à différents travaux d’écriture…
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une collection d’œuvres classiques,
Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite
la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine
compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et
enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe,
notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus.
• En fin d’ouvrage, le « Dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui
donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de
l’œuvre avec son époque, genres et registres de l’œuvre…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre
intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du
texte (sur fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il
se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre :
l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder, en classe, à une correction
du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Des corpus de textes (accompagnés, le plus souvent, d’un document iconographique) pour éclairer
chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse des textes (et éventuellement d’une lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant
constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de
Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupements de textes en rapport avec
un objet d’étude ou de documents complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail
efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.
Table des corpus – 4
TABLE DES CORPUS
Corpus
La femme mal mariée
dans le roman (p. 61)
Au meurtre ! (p. 100)
Remords et
hallucinations (p. 175)
La mort du héros
romanesque (p. 269)
Composition du corpus
Objet(s) d’étude
et niveau(x)
Texte A : Extrait du chapitre VII de Thérèse
Raquin d’Émile Zola (p. 52, l. 81, à p. 54, l. 148).
Texte B : Extrait du chapitre IX de Madame
Bovary de Gustave Flaubert (pp. 62-63).
Texte C : Extrait du chapitre VI de Une vie de
Guy de Maupassant (p. 64).
Texte D : Extrait de La Femme gelée d’Annie
Ernaux (pp. 65-66).
Document : Le Silence d’Odilon Redon (p. 66).
Le roman et la nouvelle au
e
XIX siècle : réalisme et
naturalisme (Seconde).
Le personnage de roman,
du XVIIe siècle à nos jours
(Première).
Texte A : Extrait du chapitre XI de Thérèse
Raquin d’Émile Zola (p. 94, l. 274, à p. 96,
l. 329).
Texte B : Extrait des Trois Mousquetaires
d’Alexandre Dumas (pp. 100-102).
Texte C : Extrait du chapitre III de Carmen de
Prosper Mérimée (pp. 103-104).
Texte D : Extrait du chapitre I de La Fée
Carabine de Daniel Pennac (pp. 104-105).
Le roman et la nouvelle au
e
XIX siècle : réalisme et
naturalisme (Seconde).
Le personnage de roman,
du XVIIe siècle à nos jours
(Première).
Texte A : Extrait du chapitre XXI de Thérèse
Raquin d’Émile Zola (p. 168, l. 249, à p. 170,
l. 302).
Texte B : Extrait de Notre-Dame de Paris de
Victor Hugo (pp. 175-177).
Texte C : Extrait d’Adrienne Mesurat de Julien
Green (pp. 178-179).
Document : Gustave Courbet, Autoportrait
(p. 179).
Le roman et la nouvelle au
e
XIX siècle : réalisme et
naturalisme (Seconde).
Le personnage de roman,
du XVIIe siècle à nos jours
(Première).
Texte A : Extrait du chapitre XXXII de Thérèse
Raquin d’Émile Zola (p. 264, l. 71, à p. 265,
l. 123).
Texte B : Extrait de Madame Bovary de
Gustave Flaubert (p. 270).
Texte C : Extrait de Quatrevingt-treize de Victor
Hugo (pp. 271-272).
Texte D : Extrait de L’Étranger d’Albert Camus
(pp. 272-274).
Le roman et la nouvelle au
e
XIX siècle : réalisme et
naturalisme (Seconde).
Le personnage de roman,
du XVIIe siècle à nos jours
(Première).
Compléments aux
travaux d’écriture destinés
aux séries technologiques
Questions préliminaires
Pourquoi les femmes, dans les textes du
corpus, s’estiment-elles mal mariées ?
Par quels moyens certaines d’entre elles
tentent-elles d’échapper à leur sort ?
Commentaire
Vous montrerez de quelle manière le
texte peint des époux diamétralement
opposés et vous étudierez la dimension
ironique de la page.
Question préliminaire
Montrez quels sont les sentiments et
réactions éprouvés par la victime dans
les quatre textes du corpus.
Commentaire
Vous montrerez comment Dumas rend
cette scène particulièrement dramatique
et comment nous est présenté le
personnage de Milady.
Question préliminaire
Quelles sont les manifestations
physiques et psychologiques de la peur
dans ces quatre documents ?
Commentaire
Vous montrerez comment Victor Hugo
décrit les hallucinations de Frollo par les
métamorphoses du décor et du
personnage d’Esméralda, puis comment
il nous présente le personnage de Frollo
et ses réactions.
Questions préliminaires
Qui meurt dans chacun des textes et
comment ? Quelles leçons le lecteur
peut-il tirer de ces dénouements ?
Commentaire
Vous analyserez comment et pourquoi le
couple passe de la haine à une forme de
réconciliation et vous vous demanderez
en quoi on peut rapprocher ce
dénouement d’une scène de théâtre.
Thérèse Raquin – 5
RÉPONSES AUX QUESTIONS
B i l a n
d e
p r e m i è r e
l e c t u r e
( p .
2 7 6 )
Thérèse est la fille du capitaine Degans, frère de Mme Raquin, et d’une femme algérienne. Elle est
née à Oran, puis, à l’âge de 2 ans, elle a été confiée à Mme Raquin par son père.
v Thérèse est la nièce de Mme Raquin et donc la cousine germaine de Camille.
w Mme Raquin est mercière.
x Les Raquin se sont établis à Vernon, puis à Paris, dans le passage du Pont-Neuf.
y Camille est employé dans l’administration des Chemins de fer d’Orléans.
U M. Michaud est un ancien commissaire de police.
V Le chat des Raquin s’appelle François ; il est tué par Laurent.
W Laurent est un ancien camarade d’école de Camille ; ils se rencontrent dans l’administration où tous
deux travaillent.
X Laurent fait de la peinture.
at Camille meurt noyé par Laurent, lors d’une promenade en barque sur la Seine, à Saint-Ouen.
ak Laurent voit le corps de Camille à la Morgue. C’est cette image du corps décomposé de sa victime
qui reviendra le hanter ensuite.
al Thérèse et Laurent semblent ne plus avoir de désir l’un pour l’autre. Mais ils sont pris tous les deux
d’hallucinations où le spectre de Camille vient les tourmenter. Ils veulent hâter alors leur mariage,
pensant ainsi se protéger de ces visions torturantes.
am Éclairé par un ami, Laurent se rend compte que tous les visages qu’il a peints reproduisent celui de
Camille, sans qu’il en ait eu ou pris conscience. Il décide donc immédiatement d’arrêter de peindre.
an Thérèse devient de plus en plus fragile psychologiquement : elle est prise de sensiblerie, de crises de
remords vis-à-vis de Mme Raquin. Elle finit par haïr Laurent et faire l’éloge de Camille devant lui
pour le blesser. Elle essaie aussi de trouver une sorte de dérivatif dans la débauche.
ao Elle est frappée d’une attaque cérébrale qui la rend paralysée et aphasique. Elle ne peut donc pas
dénoncer les meurtriers de son fils.
ap Chacun des deux veut tuer son conjoint. Quand ils s’aperçoivent de leur intention réciproque, ils
avalent le poison prévu et meurent sous les yeux de Mme Raquin.
u
( p .
E x t r a i t d u
5 2 , l . 8 1 ,
c h a p i t r e V I I
à p . 5 4 , l . 1 4 8 )
◆ Lecture analytique de l’extrait
Un monologue à l’intérieur d’un roman
Les passages narratifs se trouvent à la fois dans le récit-cadre, pris en charge par le narrateur, et dans
le récit de son passé et de sa vie avec les Raquin que fait Thérèse à Laurent au style direct : les deux
utilisent très largement l’imparfait dans ses différentes valeurs.
Dans le récit du narrateur, l’imparfait traduit la répétition de mêmes attitudes de la part de Thérèse
avec Laurent, de scènes identiques : « Parfois elle passait ses bras au cou de Laurent, elle se traînait sur sa
poitrine » (l. 81) ; « Elle pleurait, elle embrassait Laurent » (l. 92) ; ou encore « Thérèse respirait fortement,
elle serrait son amant à pleins bras » (l. 112-113), « reprenait-elle » (l. 115 – dans cet exemple, le sens
itératif du verbe redouble la valeur de l’imparfait).
Dans le récit de Thérèse, l’imparfait est un imparfait d’habitude : « Je couchais avec Camille, la nuit, je
m’éloignais de lui » (l. 85) ; « Pour plaire à ma tante, je devais boire de toutes les drogues » (l. 88-89) ; « Je
rêvais de courir les chemins » (l. 97) ; « je mordais mon oreiller » (l. 124). Il a également une valeur
u
Réponses aux questions – 6
descriptive : « Il était méchant et entêté » (l. 86-87) ; « J’avais l’air d’une bête » (l. 121). Il désigne encore
des actions de second plan dont les limites temporelles ne sont pas précises ni figées : « J’ai compris que
je lui appartenais par le sang et les instincts » (l. 100-101). Les exemples ne sont pas exhaustifs mais
montrent l’usage particulièrement riche des valeurs de l’imparfait qui est fait dans cet extrait.
v Les passages narratifs à imputer au narrateur, au nombre de cinq (l. 81-82, 92-93, 112-113, 132133 et 146), relèvent du point de vue externe : tous indiquent des attitudes ou des gestes de Thérèse
qui accompagnent son monologue. Au théâtre, ce type de précisions relèverait des didascalies. Quant
à la narration qui fait l’objet du monologue de Thérèse, elle a pour but de révéler à Laurent l’histoire
personnelle de la jeune femme, en remontant à ses origines et à son enfance, de façon qu’il
comprenne, y compris par le biais de l’hérédité (l. 100-101 : « On m’a dit que ma mère était fille d’un
chef de tribu, en Afrique […], j’ai compris que je lui appartenais par le sang et les instincts »), la personnalité
de sa maîtresse.
w On peut parler de « monologue » car seule Thérèse prend la parole, au discours direct et très
longuement. Le discours direct continue au-delà de notre extrait et n’est interrompu que par les
passages narratifs étudiés plus haut : ils correspondent, en quelque sorte, aux moments où Thérèse
reprend haleine, ce qui, du point de vue de la vitesse du récit, fait de ce passage une scène. Jamais le
personnage de Laurent n’intervient par une parole ni même par un geste. Thérèse non seulement
monopolise la parole mais encore est le sujet de tous les verbes du récit qui encadre son discours.
Laurent reste passif et sans réaction.
x Concernant le système d’énonciation, on remarque des indices de la présence du locuteur :
– Pronoms personnels de 1re personne : plus de 50 occurrences du pronom sujet « je » qui relève ici
de l’affirmation de la personnalité et même de la volonté ; un nombre non négligeable de pronoms
objets (« me », « moi ») qui montrent que Thérèse a dû subir la volonté des Raquin, qu’elle a manqué
de liberté et qu’elle a été leur chose.
– Marques de jugement : des modalités exclamatives, comme, par exemple, « Ah ! quelle jeunesse ! »
(l. 103), et des adjectifs péjoratifs (l. 86 et 142 : « odeur fade » ; l. 111 : « ignoble boutique »).
– Modalisateurs : ils sont peu nombreux ; Thérèse n’a pas beaucoup de doutes sur ce qu’elle exprime :
longtemps ressassés, les mots sortent naturellement de sa bouche et le récit de sa jeunesse gâchée
auprès des Raquin ne manque pas de fluidité. Pourtant, « je ne sais » (l. 88) et « je ne m’explique pas »
(l. 118) peuvent être considérés comme des modalisateurs pour des observations qui, malgré des
années d’introspection silencieuse, ont échappé à l’analyse de Thérèse qui se veut rationnelle, quasi
scientifique : on reconnaît, dans le raisonnement de la jeune femme, celui de Zola.
Il y a également des marques de la présence d’un destinataire :
– Des pronoms sujets « tu » que l’on trouve au début des prises de parole de Thérèse et qui ont une
fonction phatique : « si tu savais » (l. 83), « Tu ne saurais croire » (l. 115). Les pronoms « tu », « te » et
« toi », répétés trois fois de suite à la ligne 45, interviennent aussi quand il s’agit d’exprimer le
sentiment amoureux qui doit, par nature, avoir un destinataire. Laurent est aussi pris à témoin une
fois : « Quand tu m’as vue » (l. 120-121).
– Une seule apostrophe (l. 90 : « mon pauvre ami ») ; une seule modalité interrogative pour une
interrogation rhétorique des plus banales (l. 121 : « n’est-ce pas ? ») ; aucune injonction.
Finalement, dans le discours de Thérèse, Laurent est très peu présent.
y Le type de discours qui domine dans les passages au discours direct est le discours narratif, comme
vu plus haut. Ce récit est souvent à l’imparfait car il s’agit surtout du récit d’une vie faite d’habitudes
et de routine, une vie dans laquelle la rencontre avec Laurent est le premier événement, l’élément
perturbateur. On observe le déroulement chronologique du récit, parfois souligné par un connecteur
temporel (l. 108 : « plus tard »). La mise en évidence du sujet de l’action est nette : en témoigne
l’omniprésence du pronom « je ». Quelques verbes conjugués au passé composé mettent en relief les
réactions d’affirmation de soi (l. 108 : « j’ai goûté des joies profondes » ; l. 127 : « j’ai voulu fuir » ; l. 130 :
« j’ai menti ») ou, au contraire, de soumission (l. 120 : « j’ai baissé les yeux […], j’ai mené leur vie
morte ») de Thérèse face au carcan imposé par la famille Raquin. Il s’agit, pour l’héroïne, d’expliquer à
Laurent qui elle est vraiment derrière l’apparence « d’une bête […] grave, écrasée, abrutie » (l. 121-122).
Cela passe par un récit rétrospectif qui remonte aux origines et à l’enfance. Il s’agit aussi de rassurer
Laurent, si besoin était, au sujet des sentiments que sa maîtresse pourrait éprouver pour son mari : « Je
te dis tout cela pour que tu ne sois pas jaloux » (l. 142-143).
Thérèse Raquin – 7
Le rejet du mariage
U Le principal champ lexical associé à Camille est celui de la maladie : il revient à plusieurs reprises
dans l’extrait (l. 87 : « médicaments » ; l. 89 : « drogues » ; l. 105 : « râlait » ; l. 106 : « tisanes » ; l. 140 :
« souffrant » ; l. 142 : « malade »). Camille est présenté comme un moribond qui a failli entraîner sa
compagne dans la mort : « Je ne sais comment je ne suis pas morte » (l. 89), « ils m’ont étouffée » (l. 117).
Par ailleurs, on trouve aussi le lexique de l’enfance (l. 140 : « petit garçon » ; l. 142 : « enfant » ; l. 140 :
« avec lequel j’avais déjà couché à six ans ») et celui de la mollesse (l. 137 : « je sentais ses doigts s’enfoncer
dans ses membres comme dans de l’argile »). Camille est présenté comme l’antithèse de l’homme fort et
viril.
V Camille s’oppose totalement à Laurent ; il est « frêle » (l. 141), tandis que la description insiste sur la
force et la puissance que dégage le corps de Laurent : « les mains épaisses de Laurent » (l. 147) ; « ses
larges épaules, son cou énorme » (l. 147). On comprend que l’attirance physique est primordiale dans les
sentiments qu’éprouve Thérèse pour son amant : elle compense des années de violente frustration
(l. 126 : « Mon sang me brûlait et je me serais déchiré le corps »). Thérèse comme Laurent, contrairement à
Camille, sont deux êtres caractérisés par la santé, la vigueur, la force vitale.
W Les sentiments de Thérèse après son mariage sont évoqués dans la dernière partie de son discours :
au départ, elle accepte l’idée du mariage par résignation (l. 135 : « je n’ai pas protesté »), inconscience
(l. 135 : « insouciance dédaigneuse »), compassion (l. 136 : « Cet enfant me faisait pitié »), désir de
domination (Thérèse parle de Camille comme d’une chose ; l. 138 : « Je l’ai pris parce que ma tante me
l’offrait »), désir de liberté (l. 138-139 : « je comptais ne jamais me gêner pour lui »), déception et mépris
(l. 140 : « Et j’ai retrouvé dans mon mari le petit garçon souffrant avec lequel j’avais déjà couché à six ans »), et
enfin dégoût (l. 142 : « odeur fade », « répugnait »), présenté comme un sentiment incontrôlable.
Thérèse n’est alors plus sujet du verbe mais est envahie irrésistiblement par l’impression : « Une sorte de
dégoût me montait à la gorge » (l. 143-144). Tous ces sentiments sont négatifs, et la perception que
Thérèse a de Camille va même en s’aggravant. On est à l’opposé de l’amour et du désir, ce qui augure
fort mal de cette union.
X La « haine » de Thérèse est aussi (et surtout ?) dirigée contre sa « tante » (l. 88), à qui il faut obéir
pour lui « plaire » et donc endosser un rôle contre nature : celui de la petite malade, double de
Camille, puis, plus tard, celui de l’épouse quasi incestueuse (l. 138). La mère et le fils sont, de fait,
souvent désignés comme un bloc (l. 89, 94 et 115 : « ils » ou l. 110 : « on ») malfaisant qui a
dépossédé Thérèse autant en termes d’être (l. 90 : « Ils m’ont rendue laide » ; l. 116 : « ils m’ont rendue
mauvaise. Ils ont fait de moi une hypocrite et une menteuse ») que d’avoir, même s’il s’agit d’un avoir
symbolique et essentiellement d’ordre psychologique (l. 90-91 : « ils m’ont volé tout ce que j’avais ») ;
bref, de vie (l. 110 : « on m’a enterrée toute vive », l. 117 : « ils m’ont étouffée »). Mme Raquin représente
un pouvoir arbitraire et, là encore, contre nature : « ma tante grondait quand je faisais du bruit » (l. 107).
Même ce qu’ils ont fait de positif, en apparence, pour Thérèse est rejeté, retourné contre eux, ce qui
est souligné par des figures d’opposition comme l’antithèse (l. 95-96 : « Mais j’aurais préféré l’abandon à
leur hospitalité ») ou l’oxymore (l. 129 : « leur bienveillance molle et leur tendresse écœurante »). Cette
apparente bonté est dévastatrice pour la nature profonde de Thérèse dont la personnalité est à
l’antipode de celle de son cousin. Pour plaire à sa famille, Thérèse s’est livrée à une insupportable
comédie (l. 130 : « Alors j’ai menti, j’ai menti toujours » ; le mot « hypocrite », qui étymologiquement
signifie « comédien », est utilisé à la ligne 116), et, lorsque le masque se brise, c’est pour laisser la place
à la haine violente, à des « nuits de colère » (l. 123-124), « rêvant de frapper et de mordre » (l. 131).
at Les éléments qui mettent l’accent sur la sensualité de Thérèse se trouvent dans tous les passages
narratifs où les attitudes lascives de la jeune femme sont mises en évidence, notamment par un contact
physique avec son amant, dont elle a l’initiative : « elle passait ses bras au cou de Laurent, elle se traînait sur
sa poitrine » (l. 81) ; « elle embrassait Laurent » (l. 92) ; « elle serrait son amant à pleins bras » (l. 112) ;
« essuyant ses lèvres humides sur le cou de Laurent » (l. 132-133) ; « les doigts pris dans les mains épaisses de
Laurent » (l. 146-147). Dans les passages au discours direct, la sensualité de Thérèse apparaît à travers
son goût pour un contact direct avec la nature : « J’avais des besoins cuisants de grand air » (l. 96), et
surtout « je rêvais de courir les chemins, les pieds nus dans la poussière » (l. 97-98). Bien que la nature des
« joies profondes, dans la petite maison au bord de l’eau » (l. 108-109), ne soit pas évoquée, on peut penser
qu’elle est liée à une fusion avec l’élément aquatique. Thérèse est une fille des espaces ouverts qui
aurait voulu « traverser les sables » (l. 102), marcher vers le « soleil » (l. 127), tandis que les Raquin, qui
Réponses aux questions – 8
n’ont rien compris à cette sensualité, à ce désir de communion avec les éléments naturels, y étant euxmêmes étrangers, l’ont enfermée dans des espaces clos, comme celui de la chambre de Camille (l. 104)
ou de la « boutique » (l. 111).
La perte de l’identité : une héroïne tragique
Thérèse exprime sa souffrance de diverses manières :
– Physiquement : par une altération de la voix (l. 81 : « une voix encore haletante ») ou de la respiration
(l. 112 : « Thérèse respirait fortement ») ; par des sanglots (l. 92 : « Elle pleurait »), des mouvements
nerveux incontrôlables (l. 113-114 : « et ses narines minces et souples avaient de petits battements nerveux »).
– Par la parole : de manière très explicite (« si tu savais […] combien j’ai souffert ») ; lorsqu’elle évoque la
personnalité autoritaire de sa tante ou encore le caractère de Camille (l. 86-87 : « Il était méchant et
entêté »). Thérèse dit tout aussi clairement ses sentiments de rejet d’une famille et d’un mode de vie
qui ne lui correspondent pas : « J’ai encore des dégoûts et des révoltes » (l. 103) – le pluriel augmente
encore l’intensité des sentiments, tout comme la métaphore hyperbolique « on m’a enterrée toute vive »
(l. 110), ce qui l’a rendue agressive (l. 131 : « rêvant de frapper et de mordre »).
– Cette souffrance profonde a pu se retourner contre elle-même : violence (l. 125 : « je mordais mon
oreiller pour étouffer mes cris, je me battais, je me traitais de lâche »), fugue (l. 127 : « À deux reprises, j’ai
voulu fuir, aller devant moi, au soleil ») ou désir de suicide (l. 122-123 : « je songeais à me jeter un jour dans
la Seine »).
– Les procédés qui renforcent l’expressivité et l’intensité sont utilisés : métaphores, hyperboles, pluriel
d’amplification, redoublement des termes, énumération ; il s’agit, pour Thérèse, de montrer à quel
point sa vie a été invivable.
al Les expressions qui présentent Thérèse comme une victime sont toutes celles où elle n’est pas sujet
des verbes, où elle se désigne comme la chose de ses protecteurs qui, pour elle, sont ses bourreaux :
« Ils m’ont rendue […], ils m’ont volé » (l. 89-90) ; « on m’a enterrée toute vive » (l. 110) ; « Ils ont fait de
moi » (l. 116) ; « Ils m’ont étouffée » (l. 117). La chambre de Camille est sa prison dont Mme Raquin
est le gardien : « Et je ne pouvais pas bouger, ma tante grondait quand je faisais du bruit » (l. 107). Thérèse a
dû renoncer à être elle-même et se conformer à ce qu’on attendait d’elle. Cela relève du tragique car,
dès l’enfance, Thérèse est prise dans un engrenage fatal (cf. dossier, p. 293 et, à partir de la page 308,
« Le roman et ses personnages »), qui ne relève certes pas du divin mais du milieu dans lequel elle vit
et qui va peu à peu la broyer. Toutes ses tentatives pour se révolter, s’émanciper, renouer avec ses
origines, avec son « sang » et ses « instincts » (l. 101) sont vouées à l’échec. Thérèse est matée par un
principe plus fort que ses rêves (l. 97) : le principe de réalité, qui la rend dépendante matériellement
des Raquin (l. 94-95 : « Ils m’ont élevée, ils m’ont recueillie et défendue contre la misère »).
am On a déjà répondu à cette question plus haut. La nature de Thérèse est sensuelle, en lien avec les
grands espaces et les éléments naturels, au lieu de quoi on lui a proposé un univers étriqué, et, si le
corps est bien présent dans le monde des Raquin, il s’agit du corps maladif de Camille, ce qui
correspond à l’envers de la sensualité.
an Là encore, la question a déjà été abordée précédemment. Selon Thérèse, sa personnalité s’est
métamorphosée sous la contrainte imposée par sa tante et le milieu dans lequel elle vit, qui l’ont
dépossédée d’elle-même. C’est pourquoi, dès l’enfance, elle a dû dissimuler : « Ils ont fait de moi une
hypocrite et une menteuse » (l. 116-117) ; « Alors j’ai menti, j’ai menti toujours » (l. 130). Cette attitude de
dissimulation dure la majeure partie du roman.
La dégradation subie par Thérèse est à la fois physique (l. 90 : « Ils m’ont rendue laide »), intellectuelle
(l. 109 : « j’étais déjà abêtie » ; l. 120 : « un visage morne et imbécile » ; l. 121 : « j’avais l’air d’une bête » ;
l. 128 : « Ils avaient fait de moi une brute docile ») et morale (l. 116-117 : « Ils m’ont rendue mauvaise. Ils
ont fait de moi une hypocrite et une menteuse »). Ce que les Raquin ont offert à Thérèse est donc l’envers
d’une éducation qui, étymologiquement, désigne le processus par lequel on apprend à se tenir droit.
Or, de manière significative, Thérèse, pendant toute son enfance, s’est tenue « accroupie » (l. 105),
avant l’« affaissement » (l. 123). Tous leurs efforts ont, plus ou moins consciemment, porté sur la
répression d’un caractère farouche et indépendant, au point de disposer de la jeune fille comme d’une
chose et de la faire passer, sans transition ni consentement véritable, du statut de cousine, élevée
comme une sœur, à celui d’épouse : à partir de son arrivée chez les Raquin jusqu’à la mort de
Camille, Thérèse a partagé le lit de ce dernier.
ak
Thérèse Raquin – 9
La mort est très présente dans les paroles de Thérèse, dans la mesure où elle convoque des images
de mort pour évoquer la vie chez les Raquin, dont le terrible oxymore « On m’a enterrée toute vive »
(l. 110) ; mais on trouve également, dans son discours, des images d’étouffement ou de noyade.
Thérèse se considère elle-même comme une rescapée : « Je ne sais comment je ne suis pas morte » (l. 89),
« je ne m’explique pas comment il y a encore du sang dans mes veines » (l. 118-119). En effet, on découvrira,
au fil du roman, que l’héroïne éponyme est en sursis et que bientôt la mécanique tragique se
refermera implacablement sur elle, logiquement sous les yeux de Mme Raquin qui, de commandant
en commandeur, aura programmé, involontairement au début, la mort de sa nièce.
Par ailleurs, il est intéressant de relever les nombreuses allusions au cou de Laurent dans cet extrait, ce
cou qui portera la cicatrice laissée par la morsure de Camille dans un ultime réflexe de défense, rappel
permanent du crime des amants. En outre, le verbe mordre est répété deux fois (l. 124 et 131). On
trouve donc, dans cet extrait, situé dans le premier quart du roman, un certain nombre d’indices
funèbres qui prendront leur sens rétrospectivement.
ao
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture
Examen des textes et de l’image
u Les quatre textes se situent tous au début de la vie conjugale et présentent une forme de déception.
Pour Thérèse, la chronologie n’a pas vraiment de sens car elle a toujours vécu dans une proximité
physique et sans érotisme avec Camille. Cependant, on la voit, dans l’extrait, avec son amant, qu’elle
ne tarde pas à prendre dès que l’occasion se présente. Dans le discours qu’elle tient à Laurent, le mari
apparaît comme un être maladif et peu viril. La déception est, avant tout, d’ordre sensuel.
Dans Madame Bovary, l’héroïne éponyme observe son époux au début de son mariage, mais du temps
a tout de même passé puisqu’il est noté (point de vue interne d’Emma ou omniscient ?) que Charles
« prenait avec l’âge des allures épaisses », et elle dresse une sorte de bilan de la personne qu’elle a
épousée : un médecin sans envergure, déjà embourgeoisé et sans ambition (« Il en lisait un peu après son
dîner ; mais la chaleur de l’appartement, jointe à la digestion, faisait qu’au bout de cinq minutes, il
s’endormait »). Pour Emma, ce mariage entraîne une déception par rapport à un idéal romanesque :
elle aurait voulu « pour mari un de ces hommes d’ardeurs taciturnes qui travaillent la nuit dans les livres ». Un
tel mari est également une blessure pour son orgueil : « elle aurait voulu que ce nom de Bovary […] fût
illustre […] mais Charles n’avait point d’ambition ! »
Charles et Camille sont deux êtres inoffensifs mais ridicules et aussi éloignés que possible de l’image
du prince charmant ou même de celle du séducteur (« [Charles] se passait, après manger, la langue sur les
dents […] il commençait d’engraisser »). La frustration engendrée par de tels maris conduit les jeunes
femmes à des réactions d’agressivité : Emma « avait envie de le battre » (voir plus haut pour Thérèse).
Elle déplore aussi l’absence de centre d’intérêt de son mari qu’elle compare à un objet (« les bûches »,
le « balancier de la pendule »). La déception est donc d’ordres intellectuel, affectif et – on le devine –
sensuel.
Dans Une vie, le passage se situe juste après le retour de l’idyllique voyage de noces en Corse. Jeanne,
la jeune épouse de Julien, est déçue par l’attitude de son mari qu’elle découvre sous son vrai jour :
« Ses relations avec Julien avaient changé complètement. Il semblait tout autre depuis le retour de leur voyage de
noces, comme un acteur qui a fini son rôle et reprend sa figure ordinaire. » Pour Jeanne, amoureuse de Julien,
c’est une déception sentimentale : « C’est à peine s’il s’occupait d’elle, s’il lui parlait même ; toute trace
d’amour avait subitement disparu » ; « Il était devenu un étranger pour elle » ; « ils se retrouvaient tout à coup
[…] inconnus l’un de l’autre ». Du point de vue de l’apparence, il se laisse aller, comme Charles à qui il
faut « réajuster sa cravate, par exemple » : Julien était « envahi par la négligence des gens qui n’ont plus besoin
de plaire » et « enlaidissait incroyablement ».
Dans le texte d’Annie Ernaux, la scène se situe quelque temps après le mariage puisque le premier
enfant du couple est encore bébé. On est au XXe siècle : la narratrice a choisi son mari ; cependant, le
mariage ne lui apporte pas ce qu’elle attendait car il la cantonne dans un rôle de mère et d’épouse qui
doit entrer en conflit avec son mari pour réaliser une ambition personnelle (« Farouche, je rouvre mes
bouquins ») ou se mettre à son service (« un ordre où il valait mieux aussi que la table soit mise, l’épouse
accueillante, le repos du chef, sa détente […] »). Elle déplore l’inégalité entre l’homme et la femme. D’où
une déception (« Non, pas possible d’imaginer avant le mariage un moment pareil»), une frustration qui
Réponses aux questions – 10
pèsent sur la vie affective du couple : solitude de la femme (« j’ai été seule dans le F3 ») et, peu à peu,
indifférence réciproque (« on mange sans un mot les biftecks et les spaghettis »). En vérité, c’est la narratrice
de La Femme gelée qui tire une conclusion qui s’applique aussi à toutes les jeunes mariées du corpus :
« Vingt-cinq ans. Comment avais-je pu penser que c’était ça la plénitude ? »
v Les lieux évoqués sont tous des intérieurs, ce qui renvoie au terrain de prédilection de la femme
mariée : le foyer. Ce foyer peut fonctionner comme un miroir de la dégradation des sentiments,
comme dans Une vie : « Ainsi que les vieux fauteuils du salon ternis par les temps, tout se décolorait doucement
à ses yeux, tout s’effaçait, prenait une nuance pâle et morne. » Les lieux sont également la marque du
confort bourgeois que donne la vie de famille : chez les Raquin, on habite d’abord une petite maison
bien chauffée par le feu dans la cheminée ; même confort chez les Bovary où l’on souligne « la chaleur
de l’appartement », « la lampe » et les « bûches de la cheminée », mais aussi le « balancier de la pendule » qui
rythme un temps toujours monotone. Dans La Femme gelée, le cadre familial est relativement modeste
(« F3 ») mais comprend le confort moderne tel qu’on l’entendait dans les années 1960 : salle de bains
et radio. Enfin – et c’est sans doute le point majeur –, il s’agit de lieux clos qui constituent pour la
femme, censée y demeurer, une forme de prison : Thérèse rêve du désert de ses origines, Emma de
« rivage », de « chaloupe ou vaisseau », Jeanne de son voyage de noces, tandis que la narratrice de La
Femme gelée rêve d’une évasion dans les livres et l’étude (« Je me plonge dans la phonétique française, je
psalmodie les paradigmes avec la ferveur de certaines gens qui récitent des neuvaines pour un vœu extraordinaire à
exaucer »).
w Dans tous les textes, le mariage correspond à une perte de l’identité de la femme, mais cet aspect est
plus ou moins mis en valeur : c’est flagrant pour Thérèse, qui a été totalement métamorphosée par les
Raquin au point d’apparaître comme broyée et d’avoir perdu tout élan vital (voir lecture analytique).
Pour la narratrice de La Femme gelée, c’est aussi très net : elle se retrouve réduite aux seuls rôles de
femme et de mère au foyer, ce qu’elle n’avait jamais envisagé (« Papa va travailler, maman range la
maison, berce bébé et prépare un bon repas. Dire que je croyais n’être jamais concernée par le refrain du cours
préparatoire »). Son ambition intellectuelle ne peut s’épanouir qu’au détriment de la poussière et au
risque des reproches de son mari ; c’est pourquoi la narratrice prend rapidement conscience de sa
« différence » et avoue : « Je n’ai pas tenu bien longtemps. » Ainsi le titre du roman autobiographique
prend-il tout son sens : le mariage « gèle » la possibilité d’affirmer sa personnalité de femme. Quant à
Emma, elle ne trouve pas en Charles celui qui la comprendrait, qui partagerait ses rêves de grandeur,
qu’elle ne peut mettre à exécution qu’à travers lui, ou ses rêves d’évasion. Ne trouvant pas dans son
mari le miroir qu’elle souhaiterait, elle perd elle-même son identité. Enfin, Jeanne, dans Une vie, perd
son identité parce qu’elle est ignorée de son mari : « C’est à peine s’il s’occupait d’elle, s’il lui parlait
même » ; au point qu’elle-même n’ose plus s’adresser à lui et donc s’exprimer : « Jeanne avait essayé de
lui faire quelques tendres reproches », « elle ne se hasarda plus à lui donner des conseils », « Elle avait pris son
parti de ces changements ».
x Dans les textes A et D, on trouve des récits à la 1re personne : dans l’extrait de Thérèse Raquin, il
s’agit de longs passages au style direct, tandis que l’extrait d’Annie Ernaux, entièrement écrit à la
1re personne, relève d’une forme d’autobiographie. On a pu parler parfois d’« autofiction » pour
désigner ces formes modernes autobiographiques qui ne respectent pourtant pas toutes les règles du
genre. Ces récits à la 1re personne permettent un point de vue interne, utilisé de manière tout à fait
approfondie : le lecteur (la lectrice ?) pourra comprendre de l’intérieur les personnages qui
s’expriment et, le cas échéant, s’identifier à eux.
y Dans les textes A et B, le mari est ridiculisé ; c’est un être maladif ou vieillissant, indifférent à sa
femme et peu viril. Il en va différemment des maris dans les textes C et D : ils apparaissent comme des
hommes accaparés par leur travail. Julien a pris les commandes du domaine qui appartient pourtant à
sa femme : « Il avait pris la direction de la fortune et de la maison, révisait les baux, harcelait les paysans,
diminuait les dépenses », de sorte que le lecteur, et peut-être Jeanne aussi, commence à comprendre
qu’il s’agissait d’un mariage exclusivement dicté par l’intérêt. Ce n’est pas exactement le même cas
dans La Femme gelée, mais le mari fait passer son ambition professionnelle avant sa vie familiale et
conjugale, réduisant sa femme au rôle d’adjuvant de son ascension sociale : « […] il était embringué dans
le système du travail huit heures-midi, deux heures-six heures avec rabiot même, s’accrocher à son poste, se
montrer indispensable, compétent, un “cadre de valeur” ». Aux yeux de leurs femmes, ces deux derniers
maris souffrent moins que les précédents d’un déficit de virilité ; au contraire, ils sont une caricature
Thérèse Raquin – 11
de l’homme responsable et investi qui assure la bonne marche de son foyer. Pourtant, dans tous les
textes, le résultat est le même : indifférence des maris, solitude de la femme, le mépris en plus pour
Thérèse et Emma.
U Thérèse et Jeanne éprouvent de la résignation : « Je ne sais plus pourquoi j’ai consenti à épouser Camille.
Je n’ai pas protesté », dit Thérèse, et Jeanne a « pris son parti [des] changements » qu’elle observe chez son
mari. Thérèse et Emma ont en commun le mépris et la colère et parlent de leurs époux de manière
très péjorative : Thérèse décrit un mari sans consistance physique (« Je sentais mes doigts s’enfoncer dans
ses membres comme dans de l’argile » ; « Il était aussi frêle, aussi plaintif »), tandis qu’Emma, déconcertée
par la vision de son mari assoupi, le « regard[e] en haussant les épaules » ; elle souffre d’une humiliation
subie par Charles et lui reproche son manque d’ambition dont elle a « honte ». Le mépris s’exprime
dans une phrase exclamative, rapportée au style direct, où la jeune femme met à distance son mari en
répétant une formule dédaigneuse à la 3e personne du singulier : « Quel pauvre homme ! quel pauvre
homme ! » Pour Thérèse, cela va même jusqu’au dégoût : « il avait toujours cette odeur fade d’enfant
malade qui me répugnait tant jadis […]. Une sorte de dégoût me montait à la gorge ». Si l’on considère
comme plausible que la description de Charles est faite du point de vue d’Emma, le dégoût physique
n’est pas loin non plus : « des allures épaisses », « la langue sur les dents », « un gloussement à chaque
gorgée », « il commençait d’engraisser », « la bouffissure de ses pommettes ». Les textes de Zola et de Flaubert
insistent tous deux sur la colère des jeunes femmes, qui s’exprime avec violence chez Thérèse, être
dominé par les instincts de son corps, et de manière plus discrète mais non moins profonde chez
Emma : quand Thérèse « mord » son oreiller, Emma « se mord les lèvres » ; la « haine » chez l’une n’est
que de « l’exaspération » ou de l’« agacement » chez l’autre. La narratrice de La Femme gelée, nourrie par
la lecture du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, éprouve de la révolte : « Le minimum, rien que le
minimum. Je ne me laisserai pas avoir. » Toutes ont en commun un immense sentiment de solitude qui
conduit à la tristesse : Emma « promenait sur la solitude de sa vie des yeux désespérés » ; Thérèse n’a aucun
pouvoir ni même aucune existence face au couple Raquin, mère et fils, présenté comme un bloc par
le pronom « ils », et en souffre violemment (« Oh ! si tu savais […] combien j’ai souffert »). Jeanne essaie
de comprendre l’évolution des sentiments de son mari (« Elle y songeait souvent ») et comment ils sont
passés de l’amour à l’indifférence (« presque aussi inconnus l’un à l’autre que s’ils n’avaient pas dormi côte à
côte »). Dans La Femme gelée, la narratrice mesure sa solitude lorsqu’elle contemple son reflet dans la
glace.
V Seule Jeanne n’essaie pas d’échapper à sa condition et semble accepter la situation. Emma, elle,
s’échappe par la rêverie (« cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l’horizon ») et espère
profondément quelque chose qui va changer sa vie (« Au fond de son âme […] elle attendait un
événement »). La narratrice de La Femme gelée est moins passive et se donne les moyens d’échapper à sa
condition en poursuivant ses études coûte que coûte, malgré un contexte qui ne s’y prête pas. Quant
à Thérèse, après avoir renoncé à la fugue puis au suicide, elle échappe au joug des Raquin, mère et
fils, en prenant un amant auquel elle donne rendez-vous dans la chambre conjugale, à deux pas de sa
belle-mère. Thérèse, la plus excessive, s’émancipe jusqu’au crime – mais à quel prix et pour quel
résultat !
W Dans le tableau d’Odilon Redon, on voit seulement un visage, c’est-à-dire l’expression de ce qu’il
y a de plus cérébral, de plus intime et de plus profond chez l’être humain. Le peintre nous invite à
nous intéresser à l’intériorité de la personne car, en effet, si toutes les femmes de nos extraits sont,
d’un point de vue strictement matériel, comblées, c’est en matière de sentiments et d’affection qu’elles
sont déficitaires. En outre, l’attitude du personnage évoque la soumission et l’absence de possibilité de
révolte : les yeux sont baissés et deux doigts sont posés sur les lèvres, qui interdisent toute parole,
toute protestation. Les couleurs ternes du tableau, presque sans vie, évoquent la vie morne de ces
femmes mal mariées, « enterrées vivantes » et sans perspective, tandis que la forte présence d’un cadre
circulaire enferme la femme dans une spirale étouffante de laquelle elle ne pourra pas s’échapper. Ce
visage pourrait être aussi celui du Christ : mis en rapport avec la figure de l’épouse, il ferait d’elle une
victime et assimilerait son destin à un sacrifice.
Réponses aux questions – 12
Travaux d’écriture
Question préliminaire
On peut, pour cette question, exploiter de nombreuses pistes, données dans l’examen des textes ; c’est pourquoi
nous nous contenterons de reprendre brièvement quelques points.
Les femmes des textes du corpus s’estiment mal mariées pour des raisons, au fond, assez semblables :
elles manquent d’amour et souffrent de solitude. Dans tous les cas, le mari reste ou est devenu un
étranger pour son épouse, ne serait-ce que par son indifférence. Emma, dans Madame Bovary, s’estime
mariée à quelqu’un qui n’est pas digne d’elle, trop médiocre, même professionnellement, car elle a des
rêves de grandeur ou/et d’évasion, nourris de clichés romantiques. Elle accepterait, à la limite, la
pauvreté de sa vie conjugale si celle-ci était compensée par un éclat particulier, aux yeux du monde,
de la carrière de son époux. Tout au contraire, la narratrice de La Femme gelée reproche à son mari
d’exercer un métier trop prenant, qui aspire toute son énergie et son attention au mépris de sa famille
et de sa femme. Ainsi, il ne reconnaît pas à cette dernière le droit à une carrière propre et à son
indépendance : elle doit lui être entièrement subordonnée. Jeanne, dans Une vie, ne porte pas de
jugement mais observe avec attention le brusque changement de son mari dès le retour du voyage de
noces. Quant à Thérèse, plus que mal mariée, on pourrait dire qu’elle ne s’estime pas mariée du tout
puisque son conjoint est à la fois son cousin, avec qui elle a été élevée comme avec un frère, et un
enfant à ses yeux. En outre, cet être la dégoûte ; c’est pourquoi elle prend tout naturellement un
amant, qui, représentant une virilité un peu bestiale, est diamétralement opposé au fantoche, manipulé
par sa mère, qui lui sert de mari.
Le rejet du mariage est rendu particulièrement convaincant par l’utilisation exclusive du point de vue
interne des jeunes femmes : le lecteur comprend ainsi parfaitement leur perception de la situation, et
plus encore quand elles s’expriment à la 1re personne comme dans les textes A et D ou au discours
indirect libre (texte B : « car, enfin, Charles était quelqu’un, une oreille toujours ouverte, une approbation
toujours prête ») ; l’identification fonctionne alors parfaitement. Parmi les autres procédés d’expression
utilisés pour dénoncer le mariage, on relève les champs lexicaux dépréciatifs pour décrire le mari,
comme ceux de la maladie dans le texte A et de la saleté dans le texte C – portrait qui peut aller
jusqu’à la caricature du bourgeois bêtement satisfait dans le texte B ou celle du jeune cadre
dynamique aux dents longues dans le texte D. Dans La Femme gelée, le mari s’exprime au style direct,
mais, loin de lui donner une voix respectable, son discours machiste le ridiculise et le rend détestable.
La parole peut aussi se retourner contre soi. On remarque également les hyperboles dans le texte de
Zola, qui donnent à la lutte de Thérèse pour échapper à la prison du mariage un caractère épique, et
des animalisations dans les textes B (« crinière ») et C (« tigré ») qui suggèrent que de tels hommes sont
des brutes, tandis que Camille, privé de toute vitalité, aura droit à une réification dans le texte A.
Enfin, les modalités exclamatives, dans les textes A et B, traduisent l’intensité des sentiments.
Commentaire
Flaubert donne à voir, dans ces pages, une scène de genre : la vie quotidienne des Bovary, saisie sous
quelques angles différents (la réputation de Charles, ses habitudes domestiques, une anecdote
significative, les pensées et sentiments de sa femme), permet de cerner les contours du drame qui va se
jouer dans la suite du roman.
Problématique : comment sont mises en place les conditions du drame à venir ? On verra que la
radicale opposition des personnages les mène au pire car le fossé ne va pas cesser de se creuser dans ce
couple mal assorti.
1. Charles Bovary : un homme heureux
A. Un médecin comblé
• Par sa popularité : « sa réputation était établie tout à fait », « les campagnards le chérissaient », « Il
réussissait ». C’est un médecin prudent qui ne prend aucun risque (« Craignant beaucoup de tuer son
monde ») mais ne craint pas de donner énergiquement de sa personne (« Il vous saignait les gens comme
des chevaux, et il avait pour l’extraction des dents une poigne de fer »). C’est donc un excellent médecin de
village, parfaitement efficace pour soigner les maux sans gravité. Quand il atteint ses limites, il n’hésite
pas à recueillir l’avis d’un collègue, comme celui d’un médecin d’Yvetot, quitte à être « humilié ».
Thérèse Raquin – 13
• En raison de son absence d’ambition : Charles n’a guère de motivation pour progresser. Plein de
bonne volonté, il s’est abonné à une revue spécialisée, mais sa lecture de La Ruche médicale tourne vite
court. Contrairement à sa femme, Charles se contente parfaitement de son statut de médecin de
campagne et n’hésite pas à lui raconter une anecdote qui n’est pas à son avantage.
B. Un bourgeois satisfait (ou épanoui)
• Une image de bonne santé : « Il se portait bien, il avait bonne mine. »
• Il aime jouir du confort d’un appartement bien chauffé (« la chaleur de l’appartement », « les bûches de
la cheminée ») et d’une table bien servie (« soupe », « dessert », « bouteille ») dont la « digestion » le fatigue
et la richesse « l’engraisse ». Chez lui, ses activités semblent se réduire à manger et dormir.
C. Un époux amoureux
• Il chérit sa femme pour qui il a des gestes tendres : « Il la baisa au front avec une larme. »
• Cet amour est fortifié par une méprise : Charles interprète mal les réactions d’Emma et voit des
signes de tendresse là où il n’y a que de l’agacement (« Charles en fut attendri […]. Mais elle était
exaspérée de honte, elle avait envie de le battre » ; qu’Emma veille à sa toilette « n’était pas, comme il le
croyait, pour lui ; c’était pour elle-même »). Ce quiproquo tragique permanent, s’il confirme la bonté de
Charles, confirme également une absence de finesse qui le rend tout à fait incapable de rendre sa
femme heureuse.
2. Emma Bovary : une épouse insatisfaite
A. Un regard impitoyable
• Emma porte un regard très sévère sur son mari dont elle ne supporte pas la médiocrité (« Quel pauvre
homme ! quel pauvre homme ! ») et se révèle, tout comme lui ne la comprend pas, incapable, jusqu’à son
lit de mort, de reconnaître la bonté de Charles. Il l’agace ; elle « hausse les épaules », elle est « irritée »,
« elle avait envie de le battre », elle fait preuve d’« agacement nerveux ».
• Elle méprise son absence d’ambition, loin de l’idée qu’elle se fait du mari idéal : « Que n’avait-elle, au
moins, pour mari un de ces hommes d’ardeurs taciturnes qui travaillent la nuit dans les livres. » C’est qu’elle a
toujours rêvé de reconnaissance, et les camouflets que reçoit son mari ou ses manques l’atteignent
personnellement : « Elle était exaspérée de honte. » Si elle s’efforce de lui donner une apparence un peu
soignée, « c’était pour elle-même, par expansion d’égoïsme ». Si elle ne tolère aucune faiblesse de Charles,
c’est parce qu’elles atteignent sa propre fragilité narcissique.
B. Des aspirations romantiques
• Emma, nourrie de lectures romanesques, a grandi bercée par les idéaux romantiques vulgarisés.
Comme les romantiques, elle aime à analyser ses sentiments, à leur donner la première place : c’est
elle qui éprouve de la « honte » à la place de Charles.
• Mais, au-delà de ce comportement qui peut paraître déplacé, Emma est éprise d’idéal : cet idéal peut
prendre la forme de la notoriété de son mari car elle aspire à faire partie du « grand monde ». Elle est
très soucieuse de l’image que donne l’homme qu’elle a épousé – c’est pour cela qu’elle veille à son
apparence – et plus encore, un peu plus tard dans le roman, de l’image qu’elle donnera elle-même :
elle se lancera alors dans une quête sans fin de toilettes parfaites et raffinées.
• Cet idéal peut être aussi plus noble : elle souhaiterait partager ses centres d’intérêt avec son mari ;
aussi naïfs soient-ils, du moins les croit-elle relevés (« Quelquefois aussi, elle lui parlait des choses qu’elle
avait lues, comme d’un passage d’un roman, d’une pièce nouvelle »). Mais ces tentatives ne rencontrent
aucun écho. Difficile alors de confier à Charles ses rêves d’évasion, de changement, poétiquement
évoqués par une métaphore filée maritime. Bref, Emma rêve de bonheur, de « félicités ».
C. Un profond désespoir
• Pourtant, sa vie conjugale est un calvaire duquel elle a un besoin vital de s’échapper : quand son
mari recherche le confinement près de la cheminée, elle aime « ouvrir la fenêtre pour humer l’air frais ».
Elle ne supporte plus la routine et est en attente d’un « événement » qui transformerait son existence.
• Sa solitude la pousse à parler à des animaux ou des objets : « Elle faisait bien des confidences à sa
levrette ! Elle en eût fait aux bûches de la cheminée et au balancier de la pendule. »
• À la fin de l’extrait, le champ lexical du désespoir envahit le texte et les pensées d’Emma :
« détresse », « solitude », « yeux désespérés », « angoisses », « toujours plus triste ».
Réponses aux questions – 14
3. Le regard distancié de Flaubert
A. Le mélange des registres
Même si Flaubert a pu écrire que « Madame Bovary, [c’était lui] », il se garde de prendre parti pour
l’un de ses personnages : certes, le registre plaisant est convoqué pour Charles, le registre pathétique
pour Emma, mais les deux ont leur part d’ombre et de lumière. Le registre tragique est sensible dans
les quiproquos pour Charles et dans les attentes sans cesse déçues d’Emma.
B. L’absence de recul des personnages que l’ironie renvoie dos à dos
En vérité, c’est une ironie subtile qui parcourt tout le texte et dont fait l’objet la médiocrité de
Charles (« Craignant beaucoup de tuer son monde, Charles, en effet, n’ordonnait guère que des potions
calmantes »), tout comme l’exaltation d’Emma qui est épinglée dans les longues phrases fluides et
poétiques de la fin du passage. Au bout du compte, c’est le romancier qui analyse ses personnages et
interprète leurs réactions : le jeu des points de vue interne ou omniscient est ici particulièrement
subtil.
C. Une vision pessimiste de l’être humain
Avec ces deux personnages, attachants pourtant, Flaubert donne une vision de l’homme pessimiste :
incapable de rechercher la moindre élévation pour Charles, incapable de s’adapter au réel pour
Emma ; incommunicabilité du couple. Une telle configuration, qui ne peut aller qu’en se dégradant,
augure les adultères successifs et la catastrophe finale.
Conclusion
Cet extrait permet de bien comprendre les relations de couple entretenues par Charles et Emma et de
mesurer la frustration et les rêves déçus de la jeune femme. Son mari, passant complètement à côté des
désirs qu’elle éprouve, ne peut rétablir la situation. Dès lors, la mécanique tragique du roman est
enclenchée.
Dissertation
On a pu dire qu’« il n’y a pas de littérature du bonheur ». Pensez-vous qu’un roman doive mettre en
scène au moins un personnage malheureux et pourquoi ?
Ce sujet est déjà problématisé : à la question, on peut répondre par « oui » ou par « non » ; il faut donc faire un
plan dialectique : thèse, antithèse et, si possible, synthèse, qui dépasse l’opposition entre les deux premières
parties.
1. Les raisons pour lesquelles la littérature du bonheur ne peut pas exister
A. Parce que le bonheur implique la stabilité et l’absence de doute
Un personnage qui ne douterait pas et serait dans une situation qui n’a pas besoin d’évoluer ne peut
pas devenir matière romanesque : il faut qu’il y ait une action qui permette de progresser et un
personnage qui réfléchisse un minimum au sens qu’il veut donner à sa vie. Un roman ne peut être
statique.
B. Parce que le bonheur implique la parfaite intégration du héros dans la société
Or la littérature ne peut se satisfaire de ce qui est : elle porte le regard particulier de son auteur sur le
monde, et ce regard est nécessairement critique.
C. Pourtant, il existe une littérature à l’eau de rose avec des personnages stéréotypés et des fins forcément
heureuses
Le personnage peut être malheureux, mais c’est temporaire et c’est l’effet d’un sort contraire et non
pas de remises en question, et tout finit par s’arranger. Ce type de roman qui installe le lecteur dans
une sorte de confort intellectuel est plutôt classé dans la sous-littérature. Il s’agit, certes, d’un texte
écrit mais sans ambition, sans vision du monde et l’abus de ce type de lectures (par exemple, série
Harlequin, où les romans sont écrits à la chaîne avec des critères préétablis et produits à bas prix) peut
se révéler dangereux : c’est parce que Emma Bovary s’est nourrie de ce type de lectures qu’elle n’a pu
s’accommoder à la vie ordinaire. Elle en est morte.
Thérèse Raquin – 15
2. Pourquoi, dans l’immense majorité des romans, les héros sont-ils malheureux ?
A. Par souci de réalisme
Qui traverse la vie sans jamais connaître le malheur ?
B. Par souci d’analyse psychologique
Un personnage malheureux, qui souffre ou doute, permet une analyse approfondie de sa personnalité
et de sa situation. Quel serait l’intérêt de La Princesse de Clèves si la Princesse, une fois veuve, épousait
Nemours ? Quelle serait la leçon ? À quoi le lecteur pourrait-il bien réfléchir ?
C. Par souci romanesque
Les obstacles et les difficultés sont faits pour être surmontés. C’est tout l’objet d’un roman, dont
l’intrigue va s’efforcer de résoudre les problèmes, quitte à embarquer le personnage sur de fausses
pistes.
3. Pourquoi les personnages malheureux sont-ils nécessaires ?
A. Ils sont nécessaires pour intéresser le lecteur qui va s’attacher à eux.
B. Ils sont nécessaires pour faire réfléchir le lecteur à l’une des questions fondamentales de la condition humaine :
qu’est-ce que le bonheur et comment peut-on l’atteindre ?
C. Ils sont nécessaires pour favoriser l’identification et tendre au lecteur un miroir dans lequel il pourra s’examiner,
se comparer au personnage romanesque et, au bout du compte, progresser.
En effet, la littérature du bonheur, tout au moins dans le roman qui se déroule sur une certaine durée
et qui se veut proche de la vie, est quasiment inexistante : au moins un personnage doit-il être
malheureux pour donner au roman un intérêt et un sens. En revanche, on trouvera, mais rarement
également, des poèmes lyriques qui pourront célébrer un moment privilégié et fixer un instant de
bonheur (Hugo : « Elle était déchaussée, elle était décoiffée »).
Écriture d’invention
Seront valorisées les copies des élèves qui tiendront compte de toutes les consignes et ne déformeront
pas le contenu du texte-support tout en s’interdisant d’en recopier tout ou partie. Les meilleures
copies seront celles qui auront su analyser le personnage du mari, d’après ce que le texte nous en dit,
pour que la scène décrite soit tout à fait vraisemblable.
( p .
E x t r a i t d u
9 4 , l . 2 7 4 ,
c h a p i t r e X I
à p . 9 6 , l . 3 2 9 )
◆ Lecture analytique de l’extrait
Une scène dramatisée
u Zola choisit un décor qui annonce la scène qui suit, et les deux premiers paragraphes du texte
installent une atmosphère macabre : le paysage est déjà marqué par la mort, à travers des couleurs
passées et éteintes (« rougeâtres », « brun sombre », « gris », « taches brunes et grises »). La scène se déroule
en automne, où tout annonce la mort de l’été : « vieillis », « sent la mort venir ». Cette image d’agonie
est renforcée par le moment choisi, le crépuscule, mort du jour et arrivée de « l’ombre » : là encore, les
verbes connotent la disparition qui annonce celle de Camille (« pâlissent », « s’effaçaient »). Enfin, Zola
emploie des images évoquant clairement la mort : « étoffe blanchâtre », « linceuls », « brouillard laiteux »,
« souffles plaintifs de désespérance ». Le lecteur est ainsi plongé dans un monde de spectres et de
fantômes, renforcé par l’ombre et l’humidité froide, qui suggèrent déjà la scène de la Morgue et celles
des hallucinations.
v Zola dramatise tout ce passage en jouant beaucoup sur les accélérations et les ralentissements, ainsi
que sur les temps du récit :
– Le 1er paragraphe constitue une description à part, sans personnages, et prépare l’ambiance
(cf. question précédente).
Réponses aux questions – 16
– La 2e partie (paragraphes 2 à 6) fait entrer les personnages mais demeure un moment d’attente avant
le drame : on y trouve beaucoup d’imparfaits et de verbes de perception (« regardait », « entendait »). Il
n’y a pas d’action, mais une tension très forte, palpable par les attitudes : « se taisaient », « inquiétude »,
« attendait ». Le narrateur crée ainsi un effet d’attente dramatique, en jouant avec ce que sait le lecteur
du plan de Laurent ; il insère même dans le récit des détails prémonitoires, comme la mention des
« grosses mains » inquiétantes de Laurent et surtout la phrase de Camille.
– La 3e partie marque un changement brutal avec l’adverbe « Alors » et le passage au passé simple :
c’est le déclenchement de l’action proprement dite, avec des phrases courtes en parataxe et beaucoup
de verbes de mouvement (« se leva », « prit », « se tourna », « se dressa », lutta », etc.).
Le meurtre se déroule en deux tentatives :
– 1re tentative : Laurent veut arracher Camille à la barque et lutte avec lui. Puis, à partir du cri de
Camille, l’action se focalise sur Thérèse. On retrouve, dans ce passage, le même mouvement que dans
le texte complet : un moment d’attente passive et figée (« regardait », « elle était rigide, muette ») qui
s’oppose à une action violente et brutale (« éclata », « jeta »).
– La 2e tentative voit le retour à la lutte entre Camille et Laurent, de plus en plus violente. L’action
est décrite très précisément, comme en temps réel.
– Le dernier paragraphe se déroule toujours dans l’urgence, avec une succession rapide de verbes qui
souligne, quant à elle, la maîtrise de soi de Laurent.
w Zola dramatise encore la scène en jouant des effets de contraste entre l’environnement et la
violence déchaînée dans la barque. Dans la première partie du texte, le narrateur souligne
l’atmosphère « douloureusement calme » du crépuscule où le paysage s’efface doucement dans l’ombre.
Tout paraît figé dans l’immobilité ; tout est étouffé par le brouillard, aussi bien les couleurs que les
sons. Il règne même une certaine harmonie, que l’on perçoit dans les « chants adoucis » des canotiers.
La nature et l’environnement extérieur apparaissent comme indifférents à ce qui va se passer dans ce
« petit bras, sombre et étroit ».
À cette immobilité calme s’opposent, dans la barque, les mouvements violents (« canot qui dansait et
craquait »), la lutte et les convulsions, et au silence presque plombé les cris, les râles et le « hurlement »
de Camille.
x À l’intérieur même de la barque, dans cette sorte de huis clos, on retrouve encore des oppositions
fortes entre les personnages :
– Entre l’ignorance un peu stupide de Camille et la volonté de tuer de Laurent : Camille est le seul à
parler, dans le silence pesant de ses compagnons. Il blague et plaisante, emploie un vocabulaire
familier et enjoué : « fichtre », « bouillon », « tu me chatouilles », « plaisanteries ». Au moment de la
première attaque, il « éclat[e] de rire ». Il n’a rien compris de la menace, de la tension sensible dans
l’attitude des autres : l’inquiétude, les lèvres serrées, la raideur de Thérèse. Ce contraste rend la scène
encore plus dramatique et cruelle.
– Entre la violence brutale de Laurent et la passivité de Thérèse : en Laurent, c’est la brute qui se
déchaîne, dans ces « grosses mains » de meurtrier, dans la « figure effrayante, toute convulsionnée ». Il est
tout entier dans l’action, sans que le lecteur ait jamais accès à son intériorité. Au contraire, depuis le
début de la scène, Thérèse est comme tétanisée : « raide », « immobile »… C’est l’impuissance et la
passivité qui la caractérisent, jusqu’à l’évanouissement.
Une scène d’horreur
y La violence s’observe dans les verbes de mouvement et dans les réactions des personnages : « serra »
(3 fois), « lutta », « lutte », « se cramponnant », « secouait », « arracher », « se tordit » / « figure effrayante,
toute convulsionnée », « râlait », « folle de rage et d’épouvante », « cri de souffrance », « hurlement ». La scène
est résumée dans l’expression « horrible spectacle », qui provoque « l’épouvante » (2 fois).
Le narrateur veut ainsi donner un côté paroxystique à cette scène, pour montrer l’impact qu’elle va
avoir sur le psychisme des héros, mais aussi pour marquer le lecteur par une scène digne du romanfeuilleton.
U Zola a choisi de donner au lecteur une vision précise de la scène. Les mouvements et les positions
de chacun dans la barque sont détaillés : Camille est d’abord « à plat ventre », puis se redresse sur les
genoux en se cramponnant à la barque ; Laurent, assis, se lève pour saisir Camille puis le tient à bout
de bras ; quant à Thérèse, elle s’effondre au fond de la barque. Le point de vue choisi est omniscient
Thérèse Raquin – 17
et suit successivement les différents personnages dont on connaît plus ou moins l’intériorité, ce qui
renforce encore l’impact de la scène sur le lecteur. Les jeux de regards accentuent la tension : Laurent
est vu par Camille qui découvre ses intentions dans sa « figure effrayante » ; Thérèse a les yeux « grands
ouverts, fixés sur le spectacle de la lutte ».
L’écriture naturaliste ne nous épargne aucun détail physique, comme la « voix étouffée et sifflante » de
Camille, et surtout la morsure, décrite très précisément : « avança les dents et les enfonça dans ce cou »,
« les dents de celui-ci lui emportèrent un morceau de chair ».
Tous ces procédés font vivre la scène au lecteur de façon extrêmement réaliste : il voit, il entend, il
suit les mouvements de tous les personnages quasiment en temps réel, et ne peut échapper ainsi à
l’horreur de la scène.
V Dans cette scène centrale du roman, Zola confirme la vision de ses personnages comme étant avant
tout des tempéraments.
a) Camille le faible :
– Il apparaît ici, confirmant tout le début du livre, comme une personnalité faible et passive, destinée
à être la victime. Une fois de plus, il ne comprend rien à ce qui se trame entre les deux amants. Sa
première réplique est empreinte d’une ironie tragique grinçante, qui souligne sa bêtise. Dans la lutte,
le narrateur insiste sur son infériorité face à Laurent : en position inférieure (« à genoux »), il ne peut
que « se cramponn[er] » et lutter seulement « quelques secondes » ; il se retrouve rapidement totalement
impuissant entre les mains de Laurent qui « le [tient] en l’air, ainsi qu’un enfant », et il n’est plus qu’un
objet que son meurtrier « arrach[e] » et « lanc[e] ». Cette impuissance s’observe aussi dans ses appels et
ses cris « d’une voix étouffée » et « de plus en plus sourds », qui resteront évidemment sans effet.
– Il est animé de réactions primaires : « épouvante vague », « l’instinct d’une bête qui se défend ».
L’assimilation à un animal intervient à plusieurs reprises, puisqu’il est saisi de « rage » comme un chien
et finit par mordre : à la fin du texte, il est d’ailleurs réduit à cette seule partie de son corps, « les dents
de celui-ci », qui deviennent sujet de la phrase.
b) Thérèse la nerveuse : elle est totalement dominée par sa nervosité et ne fait que subir la
situation, comme paralysée, ce que soulignent les adjectifs qui la caractérisent : « raide, immobile »,
« rigide ». Elle n’est sujet que de verbes montrant sa passivité : « attendait », « regardait », « resta ».
Sinon, c’est son corps qui la domine et devient sujet : « une effrayante contraction les tenait grands
ouverts », « la crise […] la jeta », « Ses nerfs se détendaient ». Elle finit totalement vaincue par son système
nerveux : « pâmée », « morte ». Toute conscience semble avoir disparu en elle, et elle ne réagit que par
une crise de nerfs aux appels de son mari : les « sanglots » ne sont pas causés par l’émotion ou le
remords mais apparaissent comme le simple résultat d’une réaction physiologique.
c) Laurent le sanguin :
– Le personnage est caractérisé par sa force de brute (« ses grosses mains », « ses bras vigoureux ») et une
violence presque frénétique visible sur sa « figure effrayante […], toute convulsionnée ». Lui non plus n’a
ni conscience ni même intériorité : il n’est sujet que de verbes d’action et n’éprouve aucune émotion,
si ce n’est « l’inquiétude » du début – ce qui paraît bien loin d’une quelconque réaction morale.
L’expression antithétique « figure effrayante / de son ami » nous montre bien que Laurent n’est plus
qu’une brute, inaccessible à tout sentiment humain.
– Le dernier paragraphe souligne encore l’insensibilité monstrueuse du personnage : loin de tout
remords, sans aucune réaction d’ordre psychologique, il ne pense qu’à l’efficacité de son plan et
organise minutieusement la mise en scène du faux naufrage.
W C’est surtout la réaction d’horreur qui domine dans cette scène, qui est montrée de façon brutale
par des détails essentiellement physiques. Il est difficile, pour le lecteur, de porter un jugement sur les
personnages, présentés comme des êtres sans conscience, totalement menés par des réactions primaires
et physiologiques, comme la peur, la rage, l’épouvante ou le désir de tuer. Il ne ressent pas de pitié
pour Camille, personnage un peu répugnant depuis le début du roman, dont le statut d’antihéros se
confirme dans cette scène par ses attitudes et les termes qui le désignent : « victime », « commis »,
« malheureux ». Le même phénomène se produit à l’égard de Thérèse : comment porter un jugement
ou éprouver un sentiment à l’égard d’un personnage entièrement dominé par ses nerfs ? Laurent, la
brute meurtrière, n’est jamais jugé non plus par le narrateur, qui se contente de nous le présenter en
actes ; le lecteur ne peut donc pas condamner moralement un personnage inaccessible à toute morale.
Réponses aux questions – 18
C’est justement cette froideur clinique de la scène qui en renforce l’horreur, jamais adoucie par la
présence d’un sentiment humain. Cela rejoint la volonté de Zola naturaliste de nous montrer des
tempéraments « sans âme », au-delà de toute morale.
X Cette scène suggère clairement l’impact du meurtre sur les personnages, puisque Camille
finalement ne semble pas vraiment mourir : à aucun moment n’est prononcé le mot mort, et le
narrateur signale que le personnage revient « deux ou trois fois sur l’eau », comme il reviendra sans cesse
persécuter ses bourreaux. Bien que victime, il laisse une marque indélébile chez chacun des deux
héros. Chez Thérèse, cette marque est du domaine de l’obsession : le texte insiste sur le fait qu’elle ne
peut soustraire son regard à la scène (« Elle ne pouvait fermer les yeux ; une effrayante contraction les tenait
grands ouverts, fixés sur le spectacle horrible de la lutte »). Ce spectacle finit même par la tuer
métaphoriquement (« pâmée », « morte »), comme il la tuera pour de bon à la fin du roman. Enfin,
pour Laurent, on voit apparaître de façon insistante le thème de la morsure, qui deviendra, traitée sur
le mode presque fantastique, le signe de la vengeance de Camille.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture
Examen des textes
u Dans le texte de Dumas (texte B), le meurtrier proprement dit est celui qui est appelé « le bourreau »
ou « l’exécuteur » : ce terme insiste bien sur le fait que la mort de Milady n’est pas une simple
vengeance, mais une décision de « justice ». Ce bourreau obéit à une mission : il est commandité et
payé par les autres victimes qui agissent « en juges ». Mais, en jetant l’argent, il montre également qu’il
est partie prenante dans cette mort, puisque son frère a été une des victimes de Milady, et qu’il
accomplit son « devoir », au nom d’une morale. Enfin, une fois le meurtre accompli, il lui donne
encore une dimension plus haute en évoquant « la justice de Dieu ». La scène étant montrée d’un point
de vue externe, on ne sait rien de ses sentiments, mais il agit avec une détermination calme et
inexorable, qui semble ne laisser aucune place aux émotions. Il apparaît ainsi comme un véritable
« exécuteur » d’une justice transcendante.
Le texte de Mérimée se présente de façon fort différente, puisqu’il s’agit d’un contexte amoureux.
Don José ne peut supporter que Carmen l’abandonne, et il pense la faire céder en la menaçant de
mort (« J’aurais voulu qu’elle eût peur et me demandât grâce »). Mais Carmen est inflexible et préfère à
tout sa liberté. C’est la jalousie et la « fureur » qui vont finalement pousser José au meurtre. Il répond à
une ultime provocation de Carmen, qui, en jetant la bague, semble renier tout ce qu’elle a éprouvé
pour José et fouler aux pieds l’amour de celui-ci. Il semble presque se dédouaner de ce crime, en se
montrant comme « posséd[é] » ; c’est Carmen qui est un « démon » et amène son amant au meurtre.
Dans cette scène passionnelle racontée à la 1re personne, s’expriment des réactions et des sentiments
très forts, à travers les paroles de supplication et d’amour (« Je t’en prie » ; « Carmen ! ma Carmen ! » ;
« je lui offris tout, pourvu qu’elle voulût m’aimer encore ! ») et à travers gestes et attitudes (« Je me jetai à ses
pieds, je lui pris les mains, je les arrosai de mes larmes »). Le meurtre apparaît comme l’aboutissement
d’une tension paroxystique, à laquelle succède une retombée brutale : « Je restai anéanti une bonne heure
devant ce cadavre. »
v Dans le texte de Zola, nous avons vu (cf. les réponses aux questions, pp. 15 à 18) que Camille
conserve son statut d’antihéros, faible, victime désignée qui réagit comme une bête, en criant et
mordant. C’est l’horreur et la violence qui dominent dans le récit de sa mort.
Dans Les Trois Mousquetaires, Milady représente l’incarnation du Mal. Mais le narrateur en donne, en
ce moment ultime, une vision tragique qui ne l’abaisse jamais. Elle apparaît ici comme victime d’un
sort qui la dépasse, mais qu’elle finit par accepter, en prononçant en anglais des paroles dignes d’un
héros tragique : « I must die. » Elle conserve, dans ce moment de déréliction absolue (« Elle n’avait
autour d’elle que des ennemis ») et de défaite totale, toute sa prestance et son pouvoir de fascination :
« elle se releva d’elle-même, jeta autour d’elle un de ces regards clairs qui semblaient jaillir d’un œil de flamme ».
Après un sursaut d’instinct vital qui la fait tomber et l’oblige à l’humilité complète, elle atteint alors
une sorte de grandeur religieuse, qui semble faire de sa mort une véritable expiation : « resta dans
l’attitude où elle se trouvait, la tête inclinée et les mains jointes ».
Thérèse Raquin – 19
Dans le texte de Pennac (texte D), la victime apparaît de façon décalée et ridicule, sans cesse désignée
comme « le blondinet », terme péjoratif qui connote la bêtise, l’ignorance et l’inexpérience. Comme le
texte est présenté en focalisation interne, nous avons accès à ses pensées, ce qui ne contribue pas à
grandir le personnage ! Il apparaît comme raciste, suspectant d’emblée les deux Arabes et méprisant
leur « sabir » du haut de sa blondeur ; il se prend avec vanité pour le « sauveteur » du genre humain,
l’incarnation de la « Bonté » ; il se croit même en plein contexte de guerre froide, « force de dissuasion »
à lui tout seul. Le narrateur se moque de cette sensiblerie dégoulinante et contente d’elle : « Le
blondinet ressemblait à de l’amour fondu. » Le meurtre inattendu va, en une phrase, « éparpill[er] » toutes
ces belles envolées !
w Le texte de Pennac est en décalage avec les autres, puisqu’il présente une scène de meurtre qui fait
rire ! Tout cet extrait est fondé sur la surprise et l’inversion des rôles : c’est le policier fringant, qui se
croit doté d’une haute mission et s’apprête à « sauver la vie » d’une vieille dame, qui se fait tuer ; celleci, qui tient à peine debout sur sa plaque de verglas, est munie d’une véritable arme de guerre, aussi
vieille qu’elle, mais toujours efficace ! Le narrateur décrit d’ailleurs en détail cette arme, pour
souligner le contraste avec celle qui l’a fait sortir de son « cabas » à provisions. La vieille dame devient
une « tueuse », avec une efficacité quasi professionnelle, marquée par les phrases très courtes : « C’est
alors qu’elle se retourna. D’une pièce. Bras tendu vers lui. Comme le désignant du doigt. […] Et elle pressa sur
la détente. » Le décalage s’opère également entre la sensibilité débordante du « blondinet » et la maîtrise
glacée de la « vieille » qui repart comme si de rien n’était. Pennac s’amuse donc avec les attentes du
lecteur en créant un faux suspense : la victime désignée devient la meurtrière, le policier sauveteur la
victime, et les Arabes sur lesquels se concentrent les soupçons et le suspense n’ont strictement aucun
rôle dans l’action.
x Dans les quatre extraits, la mort même de la victime est racontée de façon rapide, en une ou deux
phrases. Mais la façon de la raconter ou le registre employé révèlent des intentions différentes.
Chez Zola, après la lutte longue et sauvage, la noyade proprement dite de Camille est rapide (il
« tomba en poussant un hurlement. Il revint deux ou trois fois sur l’eau, jetant des cris de plus en plus sourds »).
C’est presque un soulagement pour le lecteur que cette scène d’horreur se termine ! On peut
remarquer, d’autre part, que la mort du personnage n’est que suggérée, mais jamais dite clairement.
Cette ellipse peut être une façon d’annoncer le prochain retour de Camille, comme spectre
tourmentant ses meurtriers.
Chez Dumas également, le moment de la mort est précédé d’une grande tension, mais celle-ci a pour
but de solenniser la scène. La scène même est montrée d’un point de vue externe, de loin (« on vit, de
l’autre rive ») – ce qui crée automatiquement une distance. Les détails réalistes sont bien présents et
fortement évocateurs : « la lame de sa large épée », « le sifflement du cimeterre et le cri de la victime », « une
masse tronquée ». Mais le narrateur refuse l’horreur présente chez Zola : ici, pas de sang, pas de lutte…
Il choisit aussi de « dépersonnaliser » la scène : le bourreau n’est plus désigné que par ses « deux bras »,
puis son « cimeterre » ; Milady n’est pas nommée et n’apparaît que comme « la victime » puis « une
masse tronquée » (le mot cadavre n’est pas prononcé). Il met ainsi à distance le pathétique en réduisant la
présence des personnages à leurs actes, interdisant tout jugement psychologique ou moral : le
bourreau n’est que le « bras » de la Justice, et Milady est réduite à une « masse » et à un « fardeau » qui
disparaît sous l’eau.
Chez Mérimée encore, la mort de Carmen est le résultat d’une progression dramatique très forte, mais
cette fois d’ordre psychologique. Le moment même de sa mort, raconté avec rapidité, apparaît
comme une sorte de retour au calme après le drame, comme si la disparition de Carmen rendait enfin
Don José à lui-même. On trouve, ici aussi, des détails réalistes évoquant la mort : « il devint trouble »,
puis « ce cadavre ». Mais ce sont plutôt la retenue et la sobriété qui dominent dans ces phrases courtes,
sans notations psychologique : Carmen « tomba », son œil « se ferma » (verbes qui constituent
quasiment des euphémismes) ; le terme « cadavre » n’apparaît que plus loin… Comme dans le texte
précédent, le personnage du meurtrier se réduit à son arme, le couteau – même s’il est chargé ici
d’une grande valeur symbolique, représentant la fatalité qui l’a lié à Carmen et conduit à être plusieurs
fois meurtrier. Pas d’étalage pathétique non plus, même pas de cri : Carmen meurt debout, sans que
l’on puisse lui arracher un cri de souffrance…
Chez Pennac, c’est l’effet de surprise parodique qui domine au moment du meurtre. S’il est encore
l’aboutissement d’une tension, celle-ci se résout à l’inverse de ce que le lecteur attendait et provoque
ainsi le rire. Le lecteur peut rire d’autant plus librement que la mort est évoquée de façon totalement
Réponses aux questions – 20
euphémique, et même poétique : « Toutes les idées du blondinet s’éparpillèrent. Cela fit une jolie fleur dans
le ciel d’hiver. » Pas question de mort, d’horreur, de sang… Aucun apitoiement sur la victime, et aucun
jugement sur la vieille dame ! D’ailleurs, la conclusion du récit apparaît tout aussi décalée et semble
ignorer la réalité du meurtre : « Le recul lui avait d’ailleurs fait gagner un bon mètre sur le verglas » !
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Les trois premiers textes utilisent d’abord le cadre pour rendre la scène plus dramatique : ce sont des
lieux isolés, où la confrontation entre meurtrier et victime devient d’autant plus violente, comme dans
une sorte de huis clos. Chez Zola, les premiers paragraphes installent une atmosphère déjà empreinte
de mort ; chez Dumas, la scène se déroule la nuit, à la lueur de la lune.
Ces trois mêmes textes jouent aussi sur la tension dramatique : le lecteur sait d’avance que le meurtre
va avoir lieu, qu’il est inéluctable, mais ne sait pas forcément comment il va se dérouler. Le suspense
lui fait donc attendre et redouter son accomplissement. Pennac aussi joue avec cette attente, mais en
la prenant complètement à rebours puisque le danger ne vient pas de là où on l’attendait et que la
victime présumée devient la meurtrière.
Chez Zola, ce sont surtout la violence et l’horreur qui rendent la scène frappante : la lutte entre
meurtrier et victime est décrite avec force détails, et le lecteur la suit avec précision (mouvements des
personnages dans la barque, progression, cris…). La violence est accentuée par le caractère
paroxystique des personnages dominés par leur tempérament : Camille n’est plus qu’une bête, la
figure de Laurent est « convulsionnée », Thérèse est terrassée par une crise de nerfs. La scène devient
presque insoutenable pour le lecteur par l’écriture naturaliste qui en fait une description clinique, sans
aucun sentiment, rendant encore plus frappante la violence brute.
Dumas dramatise la scène en la transformant en une sorte de cérémonie sacrificielle : présence d’un
« tribunal » et d’un « bourreau », passage rituel de la rivière comme un fleuve des morts, point de vue
externe pour le moment de l’exécution qui crée une sorte de distance sacrée. La dimension religieuse
de la scène est également très marquée et contribue à la rendre plus frappante : le « tribunal » est aussi
celui qui absout, par une triple parole solennelle (« Je vous pardonne ») ; le « Ciel » est convoqué au
moment de la mort de Milady, qui d’ailleurs meurt en posture chrétienne, à genoux et les mains
jointes ; enfin, la scène s’achève sur une proclamation religieuse (« Laissez passer la justice de Dieu »).
Chez Mérimée, la tension est essentiellement psychologique – ce qui n’enlève rien à sa violence
dramatique, au contraire. Le dialogue se fait de plus en plus pressant entre les personnages jusqu’au
geste de provocation de Carmen, qui signe son arrêt de mort. Comme tout le roman, la scène se joue
sous le signe de la fatalité – ce qui la rend encore plus frappante. Carmen connaît d’avance son destin,
mais ne cédera pas : « Je te suis à la mort, oui » ; « Tu veux me tuer, je le vois bien, dit-elle ; c’est écrit ». La
stature des deux personnages contribue à la dramatisation de la scène : tous deux sont en proie à des
passions absolues (l’amour pour Don José, la liberté pour Carmen) ; leur confrontation ne peut
conduire qu’à l’irréparable puisqu’elles sont inconciliables.
Le texte de Pennac se démarque des trois premiers en jouant sur le décalage et l’effet de surprise. Le
lecteur est frappé et dérouté par les registres comique et satirique employés dans une scène a priori
dramatique. Mais c’est surtout le retournement final qui est spectaculaire avec l’inversion totale des
rôles (cf. la réponse à la question 4, p. 19).
Commentaire
Introduction
Les personnages maléfiques exercent souvent, dans les romans, une fascination particulière. C’est le
cas, dans Les Trois Mousquetaires de Dumas, de Milady, véritable incarnation du Mal. Mais l’auteur a su
donner à son héroïne une mort à la hauteur de ce qu’elle a incarné dans son récit. Nous verrons donc
comment le narrateur crée une scène à la fois dramatique et ritualisée, puis quel regard il nous invite à
porter sur ce personnage ambigu.
Thérèse Raquin – 21
1. Une scène dramatique et ritualisée
A. Le cadre choisi
a) La scène se déroule de nuit, ce qui lui donne une atmosphère assez inquiétante :
– lumière étrange : « horizon rougeâtre », « sous le reflet d’un nuage pâle qui surplombait l’eau » ;
– vision en noir et blanc, qui crée une certaine distance : « les personnages se dessinaient en noir » ;
– la lumière met en valeur certains détails signifiants : « un rayon de la lune se refléta sur la lame de sa large
épée ».
b) La rivière
– Cette rivière prend une dimension symbolique, séparant le monde des vivants de celui des morts,
comme l’Achéron, le fleuve des Enfers. Le lieu de la mort de Milady est « sur l’autre rive », connotant
ce passage de la vie à la mort.
– Les trois juges voient donc la mort de loin, comme si ce spectacle était interdit aux yeux des
vivants.
– Le bourreau devient aussi nocher infernal, comme Charon : c’est lui qui fait entrer Milady dans la
barque puis conduit celle-ci.
– L’eau devient le symbole de la mort : c’est « au plus profond de l’eau » que le bourreau jette le corps,
et l’eau « se referm[e] sur lui », engloutissant à tout jamais Milady, dont il ne reste plus aucune trace.
B. Le tribunal
Milady passe en jugement, devant ses propres victimes, ce qui ne lui laisse aucune chance.
a) Les trois juges
– Le tribunal est composé de trois juges, comme les trois juges des Enfers antiques. Mais ces juges sont
aussi les victimes (Athos) ou les proches des victimes (Winter et d’Artagnan).
– Confrontation terrible : ne sont présents que la coupable, ses juges et le bourreau. Impression de
huis clos, de piège fatal qui se referme sur elle : « I am lost. »
– Les juges dressent un acte d’accusation en prenant successivement la parole : cf. les nombreuses
énumérations des méfaits de Milady.
– Les accusations sont exprimées de façon laconique, sans épanchement, ce qui les rend encore plus
inexorables. Cette énumération de faits est incontestable et sans appel.
b) Une parole ritualisée :
– dans l’ordre de passage : c’est d’abord le personnage qui a eu le plus à souffrir de Milady qui
s’exprime ;
– dans la forme : leur réplique est encadrée de la même façon – avec une variante pour d’Artagnan –
(« Je vous pardonne » / « Mourez en paix »).
c) Différentes dimensions
– Ces juges n’agissent pas par vengeance, ni seulement à cause de leur propre souffrance, mais par une
décision « de justice » : c’est pourquoi ils payent le bourreau, pour « que l’on voie bien qu’[ils] agiss[ent]
en juges ». Cet argent semble les dégager du poids de la vengeance, pour les élever plus haut, vers une
justice transcendante.
– Ce tribunal devient, en quelque sorte, le tribunal de Dieu, car il semble avoir le pouvoir
d’absoudre, comme l’aurait fait un prêtre.
– Le bourreau, lui aussi, obéit à une mission : il est commandité et payé par les autres victimes. Il
entre dans la même logique d’une justice transcendante : en acceptant l’argent, il accepte sa mission
d’exécuteur de la justice ; mais, en le jetant, il montre également qu’il est partie prenante dans cette
mort, puisque son frère a été une des victimes de Milady, et qu’il accomplit son « devoir », au nom de
la morale qui devient même « justice de Dieu ».
Tous ces éléments suggèrent que ce tribunal et ce bourreau sont inexorables et incorruptibles,
puisqu’ils n’agissent ni par vengeance ni par rancœur, mais au nom de la « justice de Dieu ». D’ailleurs,
la coupable n’essaie même pas de se justifier ou de se défendre.
C. Une mort solennelle
a) La progression vers la mort
Le texte est construit de façon dramatique, en une succession inexorable d’étapes :
– la confrontation avec les juges et la condamnation à mort sans appel ;
– la montée dans la barque ;
Réponses aux questions – 22
– le voyage vers la mort : « le bateau s’éloigna », « le bateau glissait » ; « la coupable et l’exécuteur » y sont
seuls, dans une confrontation dramatique entre la mort et la vie ;
– l’ultime tentative de Milady qui nous replonge dans le roman d’aventures, puis la résignation ;
– l’exécution proprement dite solennisée par la formule : « Alors on vit ».
b) Une mort à distance
– La scène est montrée d’un point de vue externe, de loin (« on vit, de l’autre rive »), ce qui crée
automatiquement une distance.
– La distance et l’éclairage nocturne donnent une dimension presque fantastique à la scène :
personnages en ombres chinoises, éclairage surnaturel sur le cimeterre.
– Les détails réalistes sont bien présents et fortement évocateurs : « la lame de sa large épée », « le
sifflement du cimeterre et le cri de la victime », « une masse tronquée ». Mais pas de sang, ni de lutte… Celleci a été abandonnée juste auparavant ; quant au sang, il est sublimé dans « le manteau rouge » du
bourreau qui devient linceul.
– Le bourreau n’est plus désigné que par ses « deux bras », puis son « cimeterre » : dépersonnalisation
pour en faire seulement le « bras » de la Justice, au-dessus de tout jugement moral.
– Milady n’est pas nommée par son nom et n’apparaît que comme « la victime » puis « une masse
tronquée ». Elle est, au-delà du pathétique et de la morale également, réduite à une « masse » et à un
« fardeau » qui disparaît sous l’eau.
2. La mort d’un monstre ?
Dumas nous donne une vision très ambiguë du personnage de Milady.
A. Un personnage maléfique
• Dans tout le roman, Milady incarne le Mal ; et d’ailleurs, ici, les premiers mots d’Athos sont « le mal
que vous m’avez fait ».
• Elle est confrontée ici à quatre victimes, directes ou indirectes, qui vont en évoquer d’autres qui leur
sont proches : frère pour Winter (et le bourreau), amie pour d’Artagnan, personnage estimé (Lord
Buckingham) et piégé (Felton) pour Winter. Nous avons, en quelques lignes, le résumé de tout le mal
commis par Milady.
• Les mots employés pour qualifier ses actes sont très forts : « empoisonnement », « assassinat », « mort »,
« meurtre », « vengeances cruelles ».
• C’est la première réplique d’Athos qui est la plus impressionnante : il ne s’agit pas de mal physique,
mais moral et spirituel. Par la répétition de la formule « nom + participe passé », c’est toute la
personne d’Athos qui est anéantie, dans toutes ses dimensions : « avenir », « bonheur », « amour »,
« salut ».
• La dernière partie de cette phrase confère à Milady un pouvoir vraiment diabolique : comme le
Démon, elle est capable de compromettre le « salut » d’une âme et de la réduire au « désespoir ».
• Elle est d’ailleurs dotée, plus loin, d’un « œil de flamme », qui peut aussi évoquer l’enfer.
B. Un personnage fascinant
Mais, malgré tous ces méfaits, le personnage n’apparaît pas dégradé et garde un pouvoir de fascination.
La réplique de d’Artagnan, qui parle en dernier, redore un peu le blason de Milady (même si les fautes
commises par lui ne sont pas comparables), puisqu’il est obligé, à son tour, de se faire pardonner « une
fourberie ».
a) Un personnage tragique
Milady n’apparaît jamais comme un personnage dégradé ; au contraire, elle atteint même ici une
certaine grandeur tragique. Elle est un personnage :
– pris au piège, seul contre tous : « elle n’avait autour d’elle que des ennemis » ;
– qui reconnaît la fatalité qui l’accable, avec deux très courtes phrases en anglais (« I am lost », « I must
die ») : ces deux phrases relèvent typiquement du vocabulaire tragique (perdue, mort, devoir), et la
langue anglaise peut évoquer le drame shakespearien ;
– qui fait face à sa destinée, comme l’indique la symbolique de son attitude : « elle se releva d’ellemême ».
b) Un personnage courageux
– Jamais elle ne s’abaisse à supplier ses juges, à jouer sur le pathétique, ni même à se défendre. Au
contraire, elle leur fait face, semblant même les défier par « un de ces regards clairs qui semblaient jaillir
Thérèse Raquin – 23
d’un œil de flamme ». Cette mention montre qu’elle conserve un certain pouvoir, même lorsqu’elle est
complètement vaincue. Elle n’adopte pas, en tout cas, une attitude de coupable ou de victime.
– Elle conserve sa dignité face à la condamnation à mort, qu’elle accepte avec sang-froid : sa première
et dernière parole à ses juges est « Où vais-je mourir ? ».
– L’auteur lui conserve, aussi, jusqu’au dernier moment sa dimension d’aventurière prête à tout,
puisqu’elle tente encore de s’échapper. Mais, cette fois, celle qui s’est toujours sortie des situations les
plus dramatiques et jouée de ses ennemis a enfin trouvé un adversaire plus fort qu’elle : le Ciel.
C. Un personnage racheté ?
La fin de Milady pose évidemment la question du regard et du jugement que l’on peut poser sur le
personnage. Est-elle définitivement condamnée ou sa mort constitue-t-elle une sorte d’expiation ?
a) La dimension religieuse
– Tout le texte est empreint de religiosité, comme on l’a vu dans la parole quasiment sacramentelle
« Je vous pardonne ». Milady obtient déjà le pardon de la part des hommes. Mais la coupable ne
manifeste aucun repentir qui pourrait rendre ce pardon efficace et la sauver.
– On a vu aussi qu’elle est finalement confrontée au Ciel, qui semble la condamner aussi à mort, en
rendant vaine sa tentative de fuite : « elle comprit que le Ciel lui refusait son secours ». Mais le narrateur
emploie l’expression « idée superstitieuse », ce qui montre qu’il ne partage pas forcément
l’interprétation de Milady.
– Toujours est-il que Milady meurt dans une position « chrétienne » : à genoux, « la tête inclinée et les
mains jointes ». Est-ce un repentir in extremis de sa part ?
– Le récit de sa mort est fait avec une telle distance que celle-ci interdit le jugement moral : il n’y a ni
dégradation ni condamnation explicite du personnage.
Le narrateur semble choisir de laisser en suspens cette question de l’expiation et du rachat du
personnage…
b) Une disparition
– La fin du texte semble proposer plutôt une disparition complète du personnage.
– Milady n’est plus nommée et devient « la victime », « une masse tronquée », « le corps », « le fardeau »,
puis « le cadavre ».
– Les dernières lignes, toujours en focalisation externe, montrent, de façon extrêmement froide et
factuelle, ce que devient le corps de la coupable exécutée : succession de verbes d’action, détails précis
(comme « le noua par les quatre coins »). Milady n’est plus que matière inerte, réifiée, que l’on manipule
comme un objet. Le personnage a totalement disparu.
– Les deux dernières lignes retrouvent la solennité du début : l’ultime proclamation du bourreau
semble renvoyer le jugement définitif, celui de l’âme, à un autre tribunal, celui de Dieu. Quant au
« cadavre », qui représente tout le mal terrestre commis, il subit un effacement total, comme s’il fallait
oublier ses monstruosités : on peut remarquer qu’à la disparition et à la désintégration « au plus profond
de l’eau » s’ajoute l’image du couvercle de la tombe « qui se referm[e] sur lui ».
Conclusion
Nous avons vu comment Dumas, par différents procédés romanesques, donne à la mort de Milady
une dimension digne de son héroïne. Celle-ci conserve jusqu’au bout son pouvoir de fascination,
mais surtout son ambiguïté qui la fait échapper à tout manichéisme. C’est souvent le cas des grands
héros du Mal, comme Valmont, par exemple, qui, lui aussi, meurt victime de ses propres fautes, mais
sans perdre son « aura » ni son mystère.
Dissertation
Introduction
Les romans, surtout depuis le XIXe siècle avec l’avènement du réalisme, comportent souvent des
scènes violentes. On peut donc se demander quel est l’intérêt, pour un romancier, de proposer ce
type de scènes à son lecteur. Nous verrons que cet intérêt se situe sur différents plans : dramatique,
psychologique et philosophique.
1. Créer une tension dramatique
Les scènes violentes contribuent évidemment à susciter l’intérêt et la curiosité du lecteur.
Réponses aux questions – 24
A. Développer le suspense
• La scène violente peut être annoncée et redoutée : c’est le cas du meurtre de Camille dans Thérèse
Raquin ou de l’exécution de Milady chez Dumas.
• Elle est souvent l’aboutissement d’une tension croissante, comme le meurtre de Carmen,
conséquence de la dégradation du couple et des infidélités de l’héroïne.
• Quand elle a lieu, le lecteur se demande si le personnage va s’en sortir et comment : cf. les scènes de
duel (Manon Lescaut de Prévost…) ou de guerre (Le Feu de Barbusse…).
• Elle crée une tension concernant ses conséquences :
– Les coupables vont-ils être punis ? Cf. Thérèse Raquin…
– Quel mécanisme de vengeance va se mettre en place ? Cf. Le Comte de Monte-Cristo de Dumas…
– Quelles vont être les conséquences psychologique ? Cf. L’Étranger de Camus, le personnage de
Tchen dans La Condition humaine de Malraux…
B. Jouer avec l’émotion
La scène violente crée, chez le lecteur, une émotion forte, renforcée par des procédés littéraires
comme les effets de contraste, les images, l’emploi de tonalités (fantastique, tragique, pathétique…) :
– l’horreur et le dégoût (Zola) ;
– la peur (cf. les scènes de guerre) ;
– la fascination malsaine (Les Bienveillantes de Littell).
C. Impliquer le lecteur
• La scène violente oblige souvent le lecteur à réagir, à prendre parti pour le personnage.
• Grâce au point de vue utilisé, le romancier peut proposer une certaine vision du personnage qui
suscite l’intérêt du lecteur :
– une certaine pitié pour Milady ou pour Don José poussé au meurtre par sa passion ;
– de l’admiration pour Vautrin lors de son arrestation dans Le Père Goriot de Balzac ;
– du dégoût pour les meurtriers comme pour la victime dans Thérèse Raquin ;
– et même du rire dans le cas du détournement parodique de La Fée Carabine, où l’on se moque de la
victime.
2. Mieux connaître les personnages
La scène de violence confronte les personnages à des situations extrêmes qui révèlent certaines facettes
d’eux-mêmes, comme une sorte de catalyseur.
A. Une forme de bestialité
La situation extrême fait craquer le vernis social, l’éducation, les inhibitions, et peut mettre le
personnage à nu :
– révélation des pulsions de meurtre chez Laurent et Thérèse, ou de « la bête humaine » dans le roman
de Zola ;
– le meurtre, déclencheur aussi chez Tchen (La Condition humaine de Malraux) d’une spirale de mort
qui l’entraîne jusqu’au suicide ;
– lâcheté cruelle des villageois dans Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, qui commencent par
tuer les animaux de l’Anderer.
B. Une métamorphose du personnage
• Vautrin, lors de son arrestation, se métamorphose en « volcan », en personnage vraiment héroïque,
qui défie une société médiocre. On retrouve le même phénomène avec la transformation du gamin
Gavroche en héros de la barricade dans Les Misérables de Victor Hugo.
• Les personnages peuvent être grandis par le tragique d’une lutte violente contre une fatalité qui les
écrase : c’est le cas de Carmen et de Don José, ou de Jean Valjean dans Les Misérables.
• La violence peut montrer jusqu’où le personnage peut aller, autant dans le bien que dans le mal :
Quasimodo/Frollo dans Notre-Dame de Paris.
C. Le jugement du narrateur
La scène de violence permet au narrateur d’exprimer, de façon directe ou indirecte, un jugement sur
le personnage :
– admiration marquée du narrateur pour Gauvain lors de son exécution, mais aussi pour le courage de
Lantenac dans la prise du donjon (Quatrevingt-treize de Victor Hugo) ;
– grandeur tragique de Carmen, qui ne cède jamais mais reste fidèle à son désir absolu de liberté ;
Thérèse Raquin – 25
– mort abjecte de Camille ;
– mort risible et discréditée de Vanini chez Pennac.
3. Intérêts philosophique et symbolique
A. Dénoncer
Les scènes de violence permettent souvent de dénoncer les causes mêmes de cette violence :
– Hugo dénonce l’injustice sociale et le dysfonctionnement de la société, à travers les scènes très dures
du Dernier Jour d’un condamné.
– Voyage au bout de la nuit de Céline montre l’horreur de la guerre, de la colonisation, du libéralisme
capitaliste, à travers des scènes très violentes.
– Candide de Voltaire dénonce, avec une cruauté ironique, tous les maux politiques et sociaux de son
époque : la guerre, l’esclavage, le fanatisme…
– Thérèse Desqueyroux de Mauriac met en scène la violence psychologique d’une société sclérosée et
hypocrite.
B. Interrogation sur l’homme et la nature humaine
La violence questionne la présence du mal en l’homme :
– Zola, dans Thérèse Raquin ou La Bête humaine, dévoile les pulsions morbides de ses personnages et
s’interroge sur la fatalité héréditaire.
– Les romans sur les camps de concentration ou la Shoah (Le Dernier des Justes de Schwarz-Bart, La
mort est mon métier de Merle…) posent une interrogation radicale sur la capacité de l’homme à
commettre un mal radical. Ils peuvent montrer aussi sa capacité à faire le bien, dans des actes de
courage, de générosité, de sacrifice…
– Certains récits, jouant particulièrement sur l’esthétique de l’écriture, montrent l’ambiguïté du mal, à
la fois odieux et attirant. C’est le cas du récit « Le Bonheur dans le crime » figurant dans Les
Diaboliques de Barbey d’Aurevilly, ou des Liaisons dangereuses de Laclos, où le lecteur, parfois
transformé en « voyeur » de scènes perverses (le viol de Cécile par Valmont, par exemple), est fasciné
par la beauté, l’intelligence ou la « virtuosité » des personnages mauvais….
Conclusion
On comprend que les scènes violentes puissent faire partie de l’arsenal de séduction d’une œuvre
romanesque… Mais, si ces scènes ne sont pas gratuites, elles servent le sens de l’œuvre, en permettant
de mieux connaître les personnages et de porter aussi dénonciations et interrogations de l’auteur. À
notre époque, la même question de la représentation de la violence se pose à propos du cinéma,
rendue encore plus percutante par la force fascinante des images.
Écriture d’invention
On valorisera les copies des élèves qui auront tenu compte des consignes d’écriture, en particulier
ceux qui auront su manier le discours indirect libre et utiliser tous les renseignements donnés par le
texte de Zola.
( p .
E x t r a i t d u c h a p i t r e X X I
1 6 8 , l . 2 4 9 , à p . 1 7 0 , l . 3 0 2 )
◆ Lecture analytique de l’extrait
Un récit naturaliste
u On reconnaît, dans ce passage, la précision de l’écriture naturaliste, qui va ancrer l’hallucination
dans une étude clinique :
– précision dans la topographie de la pièce : « revenant de la fenêtre au lit », « entre la cheminée et l’armoire
à glace » ;
– précision dans les déplacements des personnages (la scène se lit en temps réel) : « il se tournait,
revenant […] », « vint se serrer contre lui », « poussait la jeune femme », « il s’approcha du tableau », « recula »,
« il reprit sa marche » ;
Réponses aux questions – 26
– précision dans les jeux de regards : « il vit Camille », « il distingua le cadre », « se dérober aux regards du
noyé », « le portrait eut un regard », « le portrait le regardait », « jeter un coup d’œil », « il apercevait toujours les
regards » ;
– précision dans la description du portrait (cf. les réponses aux questions 5 et 6).
Cette précision fait que le spectateur peut suivre exactement la scène, la visualiser facilement comme
au cinéma : elle a ainsi un impact beaucoup plus fort sur lui.
v Le point de vue très largement dominant dans ce texte est le point de vue interne de Laurent. On
s’en aperçoit par les verbes de sensation dont il est le sujet : « vit » (2 fois), « apercevait » (2 fois),
« distingua », « sentant ». Le lecteur a accès à son intériorité, ses pensées, ses réactions : « hésitait »,
« l’étonnait », « l’épouvantaient »… C’est donc son interprétation qui domine, comme le montre, dès le
début de l’extrait, le verbe « crut » (repris plus loin : « croyant »).
Ce choix permet encore d’accentuer l’impact de la scène sur le lecteur, qui la vit de l’intérieur avec le
personnage et subit son traumatisme.
Mais le point de vue interne clairement affirmé (« crut ») montre bien au lecteur qu’il s’agit d’une
hallucination et non d’un phénomène surnaturel. On ne trouve pas, ici, l’hésitation propre au
fantastique entre interprétation rationnelle et interprétation surnaturelle. Le lecteur sait qu’il ne quitte
jamais la réalité et que tout se passe dans l’esprit « détraqué » de Laurent. C’est donc aussi, pour Zola,
le moyen de proposer une analyse très fine de l’hallucination, vue de l’intérieur de l’esprit qui la
génère et la subit.
w Les termes désignant la peur sont variés et multiples : « peur » (2 fois), « épouvante » (polyptote),
« trouble », « l’effroi », « terreur ».
Zola, conformément à la théorie naturaliste, nous en montre les manifestations physiques avec
beaucoup de détails : « cloué sur le tapis », « défaillant », « râle », « voix terrifiée », « dont les cheveux se
dressaient », « haletant », « frisson », « trembler ». Tous ces termes évoquent des réactions violentes, qui
font même penser à la mort (« défaillant », « râle »). Ils nous montrent des personnages totalement
dominés par leur système nerveux, incapables de se maîtriser : pour Zola, pas besoin de conscience,
de remords… La physiologie suffit à torturer les personnages. D’ailleurs, les derniers mots de l’extrait
– « fou de terreur et de désespoir » – annoncent déjà la progression du « détraquement » des personnages,
qui les mènera de la peur à la folie, puis au désir de mort.
x L’hallucination n’est évidemment pas un phénomène surnaturel pour Zola, et le narrateur précise,
pour le lecteur, certains détails matériels et réalistes qui vont en favoriser la naissance :
– l’obscurité de la pièce et le fait que le tableau soit « dans un coin plein d’ombre » ; cette notation est
d’ailleurs reprise plusieurs fois (« le coin d’ombre », « au fond de l’ombre »). Cette obscurité empêche de
distinguer nettement les contours du tableau, en particulier le cadre : « il distingua le cadre » / « le cadre
disparaissait » ;
– la facture même du tableau : il est peint « sur un fond noir », ce qui, dans l’obscurité, fait encore
ressortir « les deux yeux blancs » du visage de Camille et peut donner à Laurent l’impression qu’ils le
regardent (« il y avait surtout les deux yeux blancs » ; « il ne voyait plus que les deux yeux blancs qui se
fixaient sur lui, longuement »).
Enfin, dès la première vision du portrait, au chapitre VI, le narrateur en avait souligné l’aspect
macabre, qui annonçait déjà le meurtre à venir : « Le portrait était ignoble, d’un gris sale, avec de larges
plaques violacées. Laurent ne pouvait employer les couleurs les plus éclatantes sans les rendre ternes et boueuses ; il
avait, malgré lui, exagéré les teintes blafardes de son modèle, et le visage de Camille ressemblait à la face verdâtre
d’un noyé. » Dans l’esprit tourmenté et terrifié de Laurent se produit évidemment d’autant plus
facilement l’amalgame entre le portrait et le visage de Camille à la Morgue : « La face de sa victime était
verdâtre et convulsionnée, telle qu’il l’avait aperçue sur une dalle de la Morgue » ; « les deux yeux blancs flottant
dans les orbites molles et jaunâtres, qui lui rappelaient exactement les yeux pourris du noyé de la Morgue ».
Les conditions matérielles sont donc réunies pour provoquer l’hallucination chez les deux héros.
Les mécanismes de l’hallucination
L’hallucination joue sur la perception du portrait de Camille par Laurent : celui-ci croit voir
Camille alors que ce n’est qu’un tableau. Nous allons d’abord relever tous les termes désignant le
portrait dans sa réalité matérielle : « peinture », « toile » (3 fois), « tableau », « œuvre », « cadre » (2 fois).
On trouve également le vocabulaire de la facture picturale : « la peinture que tu as faite » ; « figure
y
Thérèse Raquin – 27
peinte » ; « il avait lui-même dessiné ces traits heurtés, étalé ces teintes sales » ; « mal bâti » ; « fond noir ».
Enfin, beaucoup de verbes font du tableau un simple objet : « prendre », « décrocher » (4 fois),
« tournerons » ; on peut y associer le mot « clou ». Nous voyons donc que ce vocabulaire est très
fourni, montrant la lutte des personnages : pour se libérer de l’hallucination, ils se raccrochent
désespérément au fait que ce portrait n’est qu’un objet, et rien d’autre, qu’il suffit de « décrocher »
pour qu’il perde tout pouvoir.
U L’hallucination vient du fait que le tableau perd sa réalité matérielle pour devenir Camille luimême. C’est ce qui se passe dès le début de l’extrait : « il vit Camille », « il apercevait le visage sinistre de
Camille ». Le visage du tableau se confond, pour lui, avec celui de Camille vu à la Morgue : « La face
de sa victime était verdâtre et convulsionnée, telle qu’il l’avait aperçue sur une dalle de la Morgue » ; « les deux
yeux blancs flottant dans les orbites molles et jaunâtres, qui lui rappelaient exactement les yeux pourris du noyé de
la Morgue ». Finalement, le portrait prend vie et devient véritablement le spectre animé de Camille
doué de vie et de perception : les héros parlent bas « comme si la figure peinte de son ancien mari eût pu
l’entendre » ; « se dérober aux regards du noyé » ; « le portrait eut un regard si écrasant » ; « le portrait le
regardait, le suivait des yeux » ; « les regards ternes et morts du noyé ». À la fin, l’assimilation devient totale :
« Camille était là, dans un coin, le guettant, assistant à sa nuit de noces, les examinant. » On assiste donc à
une sorte de résurrection du personnage qui prend de plus en plus de place dans l’esprit de Laurent et
de présence dans la chambre.
V Le personnage de Camille est désigné par les termes suivants : « sa victime », « noyé de la Morgue »,
« noyé » (2 fois). On voit donc clairement, ici, que c’est la vision du cadavre de la Morgue qui obsède
Laurent et est à l’origine de l’hallucination. Il est d’ailleurs intéressant de se reporter au passage où
Laurent voit le corps de Camille (chap. XIII) : « Il resta immobile, pendant cinq grandes minutes, perdu
dans une contemplation inconsciente, gravant malgré lui au fond de sa mémoire toutes les lignes horribles, toutes
les couleurs sales du tableau qu’il avait sous les yeux. » Le narrateur souligne, déjà ici, le mécanisme de
l’obsession : « contemplation inconsciente », « gravant malgré lui au fond de sa mémoire ». Le traumatisme
enfoui ressurgit dans notre extrait, en dehors de tout mouvement de conscience, de tout remords, et
suscite l’hallucination. On peut remarquer, d’ailleurs, beaucoup de termes communs entre la vision de
la Morgue et celle du tableau, ce qui montre bien le parallèle mis en place par le narrateur : « Camille
le regardait », « sales », « boueuse », « jaunâtre », « le globe blafard des yeux », « grimaçait », « ignoble ».
W L’hallucination commence brusquement (« Tout à coup ») et s’empare immédiatement de Laurent
(« défaillant »), puis, par contagion, de Thérèse, « gagnée par l’épouvante ».
À partir du dialogue (« C’est son portrait ») jusqu’à « il se calma peu à peu », Thérèse essaie de rassurer
Laurent en lui donnant une interprétation rationnelle de la vision qu’il a eue.
De « Va le décrocher » à « Ta tante le décrochera demain », nous assistons à une « lutte » entre le portrait et
les deux personnages : si cette vision de Camille n’est qu’un tableau, il suffit de le décrocher (le terme
apparaît 3 fois dans cette partie). Mais la peur (2 fois) et le tableau sont plus forts et ont raison de la
volonté des héros : « Non, je ne puis pas » / « Non, […] nous ne pouvons pas ». Dans la dernière phrase
du paragraphe, Laurent est « vaincu ».
Le dernier paragraphe confirme la défaite de Laurent, impuissant devant la présence grandissante et
écrasante de Camille, qui va le rendre « fou de terreur et de désespoir ».
X Nous pouvons observer d’abord la défaite de Thérèse : elle est contaminée par « l’épouvante » de
son mari, au point de se mettre à parler tout bas et d’être prise de « frisson » comme lui. Elle dit peu
de choses, mais, dans ses paroles, on relève 4 fois « Non », ce qui révèle son incapacité viscérale à
affronter le tableau… À la fin, elle abandonne complètement la lutte en « s’échapp[ant] ».
Chez Laurent, on observe une opposition entre la raison et l’hallucination qui s’empare de lui. La
raison voudrait qu’il ne voie dans ce visage de Camille qu’une « peinture », qu’une « toile », mais elle
n’a que peu de poids face à son inconscient : « hésitait à reconnaître la toile » ; « Dans son trouble, il
oubliait qu’il avait lui-même dessiné » ; « croyant que Thérèse mentait pour le rassurer ». Il a beau essayer de
se persuader (« Bien sûr, c’est son portrait ») ou de se rassurer par la vision du cadre (« il distingua le cadre,
il se calma peu à peu »), le regard du tableau l’obsède et lui fait perdre toute raison : « le cadre
disparaissait, il ne voyait plus que les deux yeux blancs qui se fixaient sur lui, longuement ».
Sa défaite se marque également par sa lâcheté : lui qui se distinguait par sa force de brute et son
assurance se montre ici « défaillant », « haletant », « trembl[ant] ». Ce n’est pas sans raison qu’il est
nommé à plusieurs reprises, dans l’extrait, « le meurtrier » : quel contraste avec celui qui a conçu et
Réponses aux questions – 28
exécuté de sang-froid le meurtre de Camille ! Maintenant, « lâche et humble », il se cache derrière
Thérèse, après l’avoir suppliée, et reconnaît son impuissance et sa propre lâcheté.
Enfin, nous assistons, dans cet extrait, à une nouvelle lutte entre Camille et Laurent, qui peut évoquer
celle du crime. À partir de la seconde partie du texte, il s’agit d’une lutte de regards : ce sont les yeux
de Camille qui terrifient Laurent et exercent une sorte de domination sur lui. Dès que le meurtrier est
sous le regard de sa victime, il est écrasé et vaincu ; pour l’emporter sur lui, il voudrait d’abord
décrocher le tableau, puis au moins le retourner, enfin simplement « se dérober aux regards du noyé ». La
lutte physique des regards a vraiment lieu à l’avant-dernier paragraphe, quand Laurent cherche à
retrouver son « audace » : ils se croisent et se mesurent véritablement, voulant « lutter de fixité ».
Cette fois, la défaite de Laurent est totale et s’observe dans son attitude physique : « recula, accablé » ;
« baissant la tête ». Camille triomphe et s’empare du dernier paragraphe, devenant sujet d’une
accumulation de verbes de perception : « regardait », « suivait des yeux », « guettant », « assistant »,
« examinant ». Il n’est plus question de « portrait » dans la dernière phrase, mais c’est bien Camille qui
« [est] là », comme s’il avait effacé la scène du meurtre et tous les efforts des héros pour parvenir à leur
« nuit de noces ».
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture
Examen des textes et de l’image
u Dans le texte de Zola, c’est le portrait de Camille qui est déformé par l’hallucination : il prend
d’abord le visage du cadavre à la Morgue, puis finit par s’animer pour devenir Camille lui-même,
dont le regard poursuit son meurtrier. À la fin de l’extrait, « Camille [est] là » (cf. la réponse à la
question 9, p. 27).
Dans le texte de Victor Hugo, le décor qui entoure Frollo subit des métamorphoses au gré de ses
hallucinations, favorisées par la nuit et l’éclairage de la lune. Ainsi, les fenêtres en ogives, teintées de
violet par la lumière lunaire, deviennent « des mitres d’évêques damnés », puis « un cercle de visages pâles
qui le regard[e]nt ». Puis l’hallucination touche tous les sens de Frollo : « il lui sembla que l’église aussi
s’ébranlait, remuait, s’animait, vivait ». L’édifice tout entier devient « une sorte d’éléphant prodigieux qui
soufflait et marchait avec ses piliers pour pieds, ses deux tours pour trompes et l’immense drap noir pour
caparaçon » : on voit bien, ici, comment fonctionne l’hallucination qui transforme chaque élément du
décor selon un schéma délirant mais cohérent avec lui-même. Puis, à minuit, alors que sa lampe est
éteinte et que l’heure lui fait penser à Esméralda, il voit passer la jeune fille et sa chèvre et les prend
pour des spectres ; sa vision est déformée par sa terreur et le fait qu’il ne comprenne pas ce qui s’est
passé : il croit apercevoir « une ombre, une blancheur, une forme », une « chèvre surnaturelle ». Toute sa
perception est encore faussée : il pense que la bohémienne est « morte » ; son vêtement lui fait penser à
un fantôme, d’autant plus qu’il distingue « la lune à travers sa robe blanche » ; et elle lui paraît « plus
grande que lorsqu’elle vivait ». Enfin, l’hallucination se fait auditive, lorsque la phrase lue dans la Bible
devient « dans son oreille une voix qui riait et qui répétait », comme une voix diabolique. Ses
hallucinations plongent Frollo dans un monde « d’apocalypse visible, palpable, effrayante », avec un
tribunal de damnés, des animaux monstrueux, des spectres et des voix sataniques.
v Dans le texte de Zola, c’est le portrait qui prend vie et s’anime, en particulier par son regard. Ce
portrait devient sujet de verbes de perception : « le portrait le regardait, le suivait des yeux » ; « le portrait
eut un regard si écrasant ». Enfin, il devient le personnage lui-même, ressuscitant le noyé, qui persécute
ses meurtriers : « le guettant, assistant à sa nuit de noces, les examinant, Thérèse et lui ».
Chez Hugo, la cathédrale aussi devient un être vivant, un animal monstrueux capable de se mouvoir
(« s’ébranlait, remuait, s’animait, vivait »). Là aussi, un personnage présumé mort reprend vie et revient
tourmenter le responsable de son décès sous forme de spectre. Comme le héros ne comprend pas la
situation, ce qu’il voit lui paraît de l’ordre du « surnaturel ». Enfin, la lecture biblique semble aussi
empreinte de surnaturel, puisque le livre est ouvert sur une phrase qui va se réaliser peu de temps
après ; d’ailleurs, cette phrase retentira distinctement à l’oreille de Frollo, comme prononcée par une
voix diabolique qui se moque de lui.
w L’extrait d’Adrienne Mesurat est écrit en focalisation interne, et le narrateur emploie souvent le
discours indirect libre qui fait plonger le lecteur directement dans la pensée du personnage. Son
Thérèse Raquin – 29
angoisse est ainsi rendue par toutes ses questions sans réponses : « Alors que ferait-elle ? », « Que faisaitelle ainsi ? Qu’attendait-elle ? ». Ces questions montrent bien qu’elle ne comprend plus ce qui se passe
en elle et qu’elle ne contrôle plus ce qu’elle fait. La présence des verbes modalisateurs, comme « il lui
sembla », « elle eut l’impression », « elle croyait », suggère qu’elle est dominée par son imagination qui « se
[libère] avec une sorte de fureur » et provoque en elle de l’angoisse. Les tournures verbales passives ou
qui placent le personnage en COD contribuent à exprimer la dépossession d’elle-même :
« l’oppressait », « l’avaient prise », « elle fut pénétrée », « un cri s’échappa », « la surprenait ».
On la voit osciller, à travers le discours indirect libre, entre raison et délire, comme dans la phrase
suivante où la question brutale qu’elle se pose semble un sursaut de sa raison : « Elle pouvait la jeter à la
tête d’un agresseur. À la tête de qui ? » L’emploi répété du verbe aller exprimant le futur proche rend
compte aussi de son angoisse de ce qui peut passer et qui échappe totalement à son contrôle : « elle
allait peut-être tomber dans le délire » ; « La lampe allait s’éteindre et elle allait se trouver seule dans l’obscurité.
Elle allait prendre froid, attraper une pneumonie. Elle allait devenir folle ». Cette accumulation traduit le
vertige de ses pensées, où se mêlent encore le rationnel et le délirant.
La succession de phrases longues et brèves, avec des adverbes comme « tout d’un coup »,
« brusquement », « tout à coup », montre la lutte et le tumulte à l’intérieur du personnage : tantôt
Adrienne tente de réagir, tantôt elle se laisse submerger par son angoisse.
x Dans le texte de Victor Hugo, on assiste à une défaite progressive du héros : ses hallucinations
touchent d’abord le monde extérieur, la cathédrale, puis s’emparent de lui quand il se sent rejeté de
Dieu en ne trouvant pas, dans la Bible, la consolation qu’il y attendait. Quand il se met à « song[er] à
celle qui était morte dans le jour », la culpabilité le fait s’effondrer littéralement : il ne maîtrise plus ni son
corps (« Ses genoux se dérobèrent sous lui ») ni son esprit (« il lui semblait que sa tête était devenue une des
cheminées de l’enfer »). Puis, à la vision du « spectre », l’angoisse s’empare de tout son être : « il se sentait
de pierre » ; « il était glacé » ; « hagard, les cheveux tout droits ». Sa défaite est totale à la fin du texte,
quand il est, en quelque sorte, devenu « spectre lui-même » et déjà damné, puisqu’il entend à ses oreilles
le rire du Diable.
Le texte de Julien Green montre bien également la progression de l’angoisse et la défaite du
personnage, d’abord dans les termes employés : on passe de la « terreur » et de la « peur » à « une
épouvante sans nom », « un ignoble effroi d’elle-même ». Au début du texte, Adrienne peut encore
« dominer la terreur qui mont[e] en elle », mais, peu à peu, « sa force diminu[e] », et, à la fin, elle est
« pénétrée d’une épouvante » qu’elle ne contrôle plus et qui l’amène à réagir « malgré elle ». Sa peur a
d’ailleurs évolué et ne concerne plus l’extérieur, un « agresseur » ou « quelque chose qui rôdait autour
d’elle » ; à la fin, c’est de ce qu’il y a au fond d’elle-même qu’elle a peur, de la folie qui la guette, de
« ses pensées où elle croyait deviner les symptômes de la démence ». Comme Frollo, elle sent la folie et la
mort s’emparer d’elle, alors qu’elle est encore vivante : « Qui l’empêcherait, par exemple, de se jeter par la
fenêtre ? »
Cette défaite se marque aussi dans l’espace. Dans les premières lignes, elle peut sortir de son lit et
courir à la fenêtre ; puis elle se sent « traquée dans ce coin de la chambre » et avoue son impuissance :
« qu’elle ne pourrait plus regagner son lit », « Jamais elle ne pourrait franchir l’espace qui l’en séparait ».
y Ce tableau est impressionnant par le visage en plein centre et ses yeux exorbités qui regardent
fixement le spectateur. L’éclairage très blanc, qui vient en oblique de l’angle gauche du tableau,
accentue les contrastes : le visage reste dans l’ombre, ce qui fait ressortir encore davantage le blanc des
yeux. La lumière accentue la crispation des mains dans la chevelure noire. Le visage paraît écrasé,
enfermé à la fois dans le cadre du tableau et dans les lignes créées par ses bras, comme si le personnage
était prisonnier de sa propre terreur. Enfin, le fait qu’il regarde de face le spectateur donne à celui-ci
l’impression troublante que c’est lui qui provoque cette terreur !
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Dans ces quatre documents, la peur s’empare des personnages, exprimée à travers des termes très forts
dans les trois textes (mais surtout les textes 1 et 3) : « peur », « effroi », « épouvante », « terreur ». Cette
peur vient de phénomènes qu’ils ne contrôlent pas et qui, pour eux, peuvent s’apparenter à du
surnaturel. Les trois textes ainsi que le tableau de Courbet en décrivent les manifestations physiques et
psychologiques de façon précise.
Réponses aux questions – 30
Physiquement d’abord, le personnage est tétanisé, réduit quasiment à l’impuissance : Laurent reste
« cloué sur le tapis, défaillant » ; Frollo « s’affaiss[e] » puis se sent « de pierre » ; Adrienne sent qu’elle ne
peut plus bouger, « traquée dans ce coin de la chambre ». Laurent tremble et Frollo tressaille. Ils ne se
contrôlent plus et laissent échapper des sons malgré eux : Laurent « râle » et Adrienne se met à crier.
Laurent et Frollo ont les cheveux qui se hérissent (« dont les cheveux se dressaient » / « les cheveux tout
droits »), et le personnage de Courbet a les mains crispées dans sa chevelure.
Frollo et Adrienne ont des sortes d’hallucinations auditives, puisque l’un entend des voix et des rires
et l’autre des « bourdonnements ».
Sur le plan mental, les personnages sont en proie à des hallucinations ou des obsessions, car leur
imagination suscite des visions liées à leurs actes : Frollo et Laurent croient voir le spectre de l’être
qu’ils ont tué. Ils ne contrôlent plus du tout le fonctionnement de leur esprit, envahi de terreur :
Frollo « sentait passer et se dégorger dans son cerveau tant de fumées monstrueuses » ; chez Adrienne,
l’« imagination se libérait avec une sorte de fureur ». Tous les deux se sentent, d’ailleurs, en proie à la
« fièvre », qui fait délirer leur esprit. Le personnage de Courbet, avec ses yeux exorbités, semble aussi
possédé par une vision terrifiante.
Les trois personnages ont l’impression d’être menacés, traqués : Laurent est poursuivi par le regard de
Camille qui « [est] là, dans un coin, le guettant, assistant à sa nuit de noces, les examinant » ; Frollo se sent
au centre d’un « cercle de visages pâles qui le regard[ent] » ; Adrienne ressent « l’horreur de quelque chose qui
rôd[e] autour d’elle, le sentiment d’être guettée ».
Face à cette peur d’une présence hostile, les personnages cherchent une aide extérieure, quelle qu’elle
soit, qui se révélera totalement illusoire : Laurent se cache derrière Thérèse ; Frollo cherche « quelque
consolation ou quelque encouragement » dans la Bible ; Adrienne court « à la fenêtre dans l’espoir qu’elle
verrait passer quelqu’un ». Contre l’épouvante qui s’empare d’eux ou la vision qui les terrifie, Laurent et
Adrienne tentent de résister : Laurent veut soutenir le regard du tableau, et Adrienne mobilise « toute
sa force pour dominer la terreur qui mont[e] en elle ». Mais les trois personnages sont vaincus par le
sentiment qui les écrase et finissent par reculer (Laurent et Frollo) ou appeler au secours (Adrienne).
Ils ressentent tous une présence plus ou moins forte de la mort : Frollo et Laurent sont confrontés au
spectre d’un mort, et Laurent est hanté par la vision du cadavre décomposé. Frollo et Adrienne ont
l’impression d’être près de la mort : « si elle l’eût fait, il serait mort de terreur » ; « se croyant spectre luimême » / « Qui l’empêcherait, par exemple, de se jeter par la fenêtre ? ».
Enfin, la terreur des personnages confine à la folie – terme que l’on retrouve dans les trois textes.
C’est chez Adrienne que la peur de la folie est la plus forte, car elle en est consciente et la redoute
(avec raison d’ailleurs puisque la folie finira par la vaincre à la fin du roman) : « Elle allait devenir folle »,
« ses pensées où elle croyait deviner les symptômes de la démence ».
Commentaire
Introduction
Les romanciers tentent souvent de peindre les mouvements obscurs de l’esprit qui échappent au
contrôle de la raison ou de la volonté. C’est le cas de Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris à travers
le personnage de Claude Frollo, prêtre possédé d’une passion coupable pour la bohémienne
Esméralda. Comme celle-ci refuse son amour, il l’a fait condamner pour sorcellerie. Persuadé qu’elle a
été exécutée, Frollo erre dans Paris puis revient le soir dans la cathédrale en proie à de terrifiantes
hallucinations. Nous verrons comment, dans ce texte, le narrateur rend compte du mécanisme de
l’hallucination et nous plonge en même temps dans les tréfonds d’une âme torturée par la culpabilité.
1. Peinture de l’hallucination
A. Les circonstances
a) La nuit
– La scène se passe de nuit, à la lumière de la lune, éclairage propice aux déformations de la réalité :
« les couleurs douteuses de la nuit ».
– En outre, tout est déjà marqué par la mort : l’éclairage donne au décor la même couleur que « sur la
face des morts », et toute la cathédrale est drapée de noir.
– L’heure symbolique de minuit (heure du crime, heure des revenants) est fortement marquée dans le
texte : « l’horloge éleva sa voix grêle et fêlée. Minuit sonna » ; « au dernier bêlement de l’horloge ».
Thérèse Raquin – 31
– Enfin, même la lampe de Frollo s’éteint et l’obscurité devient encore plus pesante : « ombre »,
« sombre », « voûte obscure ».
b) Le personnage
– Frollo est depuis 12 h (l’heure présumée de l’exécution d’Esméralda) dans une sorte d’état second
qualifié de « fièvre ou folie » (le titre du chapitre est « Fièvre »).
– Il n’a plus l’usage de sa raison, embrumée par le délire, comme le montre l’image très forte : « Il
sentait passer et se dégorger dans son cerveau tant de fumées monstrueuses, qu’il lui semblait que sa tête était
devenue une des cheminées de l’enfer. »
– Tout le texte est présenté d’un point de vue interne, ce qui justifie les visions délirantes que le
personnage va projeter sur la réalité : cf. les verbes de perception (« apercevant », « aperçut », « vit
paraître », « regarder », « vit », « entendit / entendait [son souffle / une voix] ») et les verbes modalisateurs
(« crut voir », « crut », « il lui sembla », « il lui semblait », « elle lui parut », « se croyant »).
Le texte épouse donc la vision limitée et enfiévrée du personnage.
B. Métamorphoses
a) Le décor de la cathédrale
Le début du texte est une magnifique description du mécanisme de l’hallucination, qui part des
éléments réels pour les transformer. Nous allons observer comment s’opère cette transformation de la
réalité :
– La première phrase du texte est très longue, avec un enchâssement de relatives (« dont les vitraux […]
dont on ne retrouve […] ») : elle pose ainsi l’ampleur et la majesté du décor de la cathédrale, plongée
dans l’obscurité, qui prend un caractère imposant et même écrasant.
– Le personnage voit le décor (« apercevant les blêmes pointes d’ogives ») puis le transforme (« crut voir »).
L’hallucination part de la forme des ogives pour les changer en « mitres d’évêques » – vision suscitée
aussi par la couleur violette (« espèce de violet, de blanc et de bleu ») des vitraux éclairés. La lueur blanche
de la lune rend tout le décor « blême » et évoque ainsi la « face des morts » – d’où cette apparition
d’« évêques damnés » (renforcée par les draperies noires) et de « visages pâles ».
– Dans le deuxième paragraphe, c’est tout le bâtiment qui se métamorphose, au rythme de la course
éperdue de Frollo. Cette fois, c’est la phrase évoquant la réalité qui est très courte, et la
métamorphose annoncée par « il lui sembla » se développe dans une phrase longue et complexe,
insistant sur l’immensité de la vision : « grosse », « énorme », « large », « gigantesque », « prodigieux »,
« immense ». Là encore, chaque élément du décor se transforme en obéissant à la logique du délire de
Frollo : « ses piliers pour pieds, ses deux tours pour trompes et l’immense drap noir pour caparaçon ». Comme
dans un accès de fièvre, le personnage perd ses repères spatiaux et voit tout le décor bouger, comme
le montre le grand nombre de verbes de mouvement : « s’ébranlait, remuait, s’animait, vivait » ;
« battait » ; « soufflait et marchait ».
b) Esméralda :
– L’apparition de la jeune fille a lieu précisément au moment où la lampe de Frollo s’est éteinte et où
sonnent les douze coups de minuit, ce qui rend le moment à la fois solennel et inquiétant, en tout cas
propice à l’irruption du surnaturel.
– Le point de vue interne met en valeur cette apparition : comme dans une sorte de travelling, la
vision de Frollo se précise au fur et à mesure de l’avancée d’Esméralda (« il vit paraître, à l’angle opposé
de la tour, une ombre, une blancheur, une forme, une femme »). Puis on passe d’« une femme » à « cette
femme », puis à « C’était elle ».
– Frollo ne sait rien de ce qui s’est passé avec Quasimodo. Dans son esprit enfiévré, Esméralda ne peut
être qu’un spectre, et il interprète dans ce sens tous les détails qu’il voit : Esméralda lui semble être
passée au-delà de la mort, puisqu’elle est « pâle », « sombre », « libre », donc « morte ». De même, la
petite chèvre ne peut être que « surnaturelle ». Notez les phrases très courtes et très simples (succession
de verbes être + attribut) qui marquent à la fois la stupéfaction du prêtre et la sorte d’évidence qui
s’impose à lui.
Le vêtement blanc (un vêtement de novice que lui a donné Quasimodo) avec le voile sur la tête
semble évoquer une sorte de sainte, ainsi que son attitude (« en regardant le ciel »).
– Avec la terreur qui s’empare de lui, la métamorphose d’Esméralda se confirme, à travers une vision
déformée de la réalité : « Elle lui parut plus grande que lorsqu’elle vivait. » Il a même l’impression de voir
un esprit sans réalité corporelle (« il vit la lune à travers sa robe blanche ») et finit par employer le terme
« spectre ».
Réponses aux questions – 32
– C’est aussi la phrase biblique qu’il a lue qui lui semble prémonitoire et l’amène à prendre Esméralda
pour un fantôme, puisque les trois éléments de la phrase viennent de se réaliser : « Un esprit passa
devant ma face, et j’entendis un petit souffle, et le poil de ma chair se hérissa. » Le narrateur reprend, en effet,
les expressions mêmes du texte biblique : « Elle arriva en effet devant la porte de l’escalier, […] regarda
fixement dans l’ombre, mais sans paraître y voir le prêtre, et passa ; […] il entendit son souffle. […] les cheveux
tout droits ».
2. Un personnage torturé
Si l’hallucination se développe si facilement chez Frollo, c’est qu’il s’agit, avant tout, d’un personnage
torturé : un prêtre brûlant d’un amour coupable pour une bohémienne accusée de sorcellerie et qu’il
pense avoir envoyée lui-même à la mort.
A. Le souvenir d’Esméralda
• Les draperies noires de la cathédrale rappellent à Frollo l’épisode de « l’amende honorable » de la
condamnée, avant qu’elle soit emmenée au supplice.
• Tout lui fait penser à elle :
– la phrase de Job avec le mot « esprit » : « songeant à celle qui était morte » ;
– l’heure de minuit : « Minuit sonna. Le prêtre pensa à midi. C’étaient les douze heures qui revenaient. –
Oh ! se dit-il tout bas, elle doit être froide à présent ! ».
On voit bien, ici, qu’il est obsédé par la pensée de la mort d’Esméralda. C’est d’ailleurs à ce momentlà qu’apparaît la jeune fille, comme si la vision surgissait de son esprit même.
B. La culpabilité
Frollo se sent coupable à la fois de sa passion pour la bohémienne et de la mort de celle-ci. Ses
hallucinations portent la marque de cette culpabilité :
– Les « mitres d’évêques damnés » et le « cercle de visages pâles qui le regardaient » peuvent évoquer, pour
lui, le jugement d’Esméralda (où il était présent), mais aussi son propre jugement comme prêtre
coupable et damné.
– La cathédrale qui s’anime comme pour l’écraser représente, de la même façon, l’organisme
monstrueux qui a condamné la bohémienne et l’Église qui va le condamner lui aussi.
– La vision qui l’obsède est celle d’Esméralda conduite au supplice : « plus de corde au cou, plus de mains
attachées ».
C. Le châtiment
Dans ce texte, Frollo semble éprouver déjà le châtiment de la damnation :
– Il est persécuté par ses propres hallucinations qui le terrifient et semblent déjà un avant-goût du
Jugement dernier et de l’enfer, « une sorte d’apocalypse visible, palpable, effrayante ».
– Il se sent rejeté par Dieu, dans la phrase qu’il lit dans la Bible : au lieu d’y « trouver quelque consolation
ou quelque encouragement », c’est le Diable qu’il trouve dans l’image du serpent (« piquer par le bâton qu’il
a ramassé ») ou la comparaison « sa tête était devenue une des cheminées de l’enfer ».
– À partir de ce moment, le personnage n’a plus ni soutien ni espoir et s’enfonce dans la terreur et la
damnation : le « souffle » évoqué par la phrase a, en effet, éteint sa lampe.
– C’est par sa victime désormais qu’il est persécuté : elle apparaît comme une sainte environnée de
blanc, qui marche vers lui, le domine et semble le juger du regard (« regarda fixement »). Lui, au
contraire, est marqué par les ténèbres : sa lampe est éteinte ; il se réfugie « dans l’ombre », « sous la voûte
obscure de l’escalier ».
– Sa défaite est totale, soulignée par l’inversion des rôles : c’est sa victime qui a maintenant le pouvoir
de vie et de mort sur lui. On trouve de nombreuses images de mort : il se sent déjà « de pierre »,
comme s’il était un gisant ; « glacé » ; « si elle l’eût fait, il serait mort de terreur ». Il ne peut que reculer
devant elle.
– La dernière phrase semble figurer sa descente en enfer : « les degrés en spirale », la « lampe éteinte »,
« se croyant spectre lui-même ».
– La voix qu’il entend rire dans son oreille s’apparente à celle de Satan qui se moque de ce prêtre
coupable dont l’âme lui appartient déjà. La phrase biblique répétée semble, en effet, prendre une
résonance diabolique en décrivant exactement l’hallucination qui torture le personnage.
Thérèse Raquin – 33
Conclusion
Victor Hugo a su nous montrer ici, de manière magistrale, les délires d’un esprit coupable et enfiévré :
par le point de vue interne, il nous plonge au fond de l’âme de son personnage, tout en usant de
procédés à la fois romanesques et poétiques pour suggérer ses hallucinations. Les romanciers du
XXe siècle voudront aller encore plus loin dans la peinture de l’intériorité des personnages, en tentant
de saisir des flux de conscience, comme Nathalie Sarraute avec ses « tropismes ».
Dissertation
Introduction
Le personnage constitue, la plupart du temps, le pivot de l’œuvre romanesque : le lecteur suit sa
destinée, entre dans sa conscience, épouse ses sentiments… Nous pouvons nous demander quel plaisir
prend alors ce lecteur à connaître et partager les émotions des personnages. Ce plaisir peut être
d’abord de l’ordre du divertissement ou de l’évasion ; mais il touche également au domaine
psychologique et rejoint le plaisir intellectuel de l’analyse.
1. Plaisir du divertissement
A. Vivre d’autres expériences
a) Sortir de soi-même
Changer de sexe, d’époque, de milieu… C’est ce qui explique le plaisir particulier de lire des romans
étrangers ou des siècles précédents : on entre dans une civilisation ou dans une époque de l’intérieur,
mieux que par un ouvrage ethnologique ou historique.
La lecture d’un roman étranger peut « dépayser » autant qu’un documentaire ! Cf. les romans de
García-Márquez (Colombie), de Jørn Riel (qui se passent au Groenland), de l’écrivain antillais Patrick
Chamoiseau (Texaco…)…
b) Vivre des expériences inédites, que l’on n’aura jamais l’occasion de vivre
Attrait de l’inattendu, d’aventures rocambolesques (romans d’aventures, romans d’Alexandre
Dumas…).
B. Vivre des émotions fortes
a) Le lecteur partage avec le personnage des situations extrêmes qui n’ont pas cours dans la vie
ordinaire et qui lui font éprouver des émotions fortes : passion amoureuse, folie (cf. Adrienne Mesurat,
texte C), haine et vengeance (Le Comte de Monte-Cristo de Dumas)…
b) Le lecteur peut ainsi dépasser ses inhibitions : cf. les scènes à la Morgue dans Thérèse Raquin où il
éprouve le dégoût mêlé de fascination de Laurent ; cf. le « voyeurisme » ou la complicité avec les
libertins dans Les Liaisons dangereuses de Laclos.
2. S’attacher au personnage
A. Identification
• La connaissance intime du personnage favorise l’attachement et la sympathie du lecteur qui vibre
aux mêmes émotions : c’est le cas des romans psychologiques, depuis La Princesse de Clèves jusqu’à
Mauriac, Green, etc.
• Même les personnages négatifs (cf. Frollo dans le texte B) peuvent éveiller l’intérêt du lecteur quand
il pénètre dans leur conscience et vibre avec eux.
• Le lecteur ressent le plaisir d’une complicité avec le personnage ; il peut réagir face à lui comme s’il
était une véritable personne !
B. Dramatisation
Le fait de partager les sentiments et les émotions des personnages accentue l’intérêt dramatique. Le
lecteur ressent la peur, l’espoir, l’attente ; sa curiosité est tenue en haleine, et le suspense est ainsi
renforcé :
– le lecteur d’Adrienne Mesurat de Green redoute, avec l’héroïne, la montée de la folie ;
– il épouse la peur de Jean Valjean face à Javert et à sa perspective d’être repris (Les Misérables) ;
– il vit de l’intérieur la lutte de Gervaise pour sortir de la misère (L’Assommoir de Zola).
Réponses aux questions – 34
C. Compréhension du personnage
• Avoir accès à l’intériorité du personnage (monologue intérieur, discours indirect libre…) donne au
lecteur le plaisir de la compréhension psychologique : il peut ainsi comprendre ses mobiles, voir son
évolution.
• Cf. les romans d’apprentissage où le lecteur suit la progression du héros, aussi bien sur les plans social
que psychologique : Le Père Goriot de Balzac, Le Rouge et le Noir de Stendhal…
• Le personnage acquiert ainsi, aux yeux du lecteur, une sorte de transparence qui satisfait pleinement
sa curiosité et redouble son intérêt pour le personnage en question.
3. Favoriser une analyse
Partager les émotions du personnage procure aussi un plaisir d’ordre intellectuel.
A. Analyse des comportements
L’accès à l’intériorité du personnage permet de mieux comprendre l’analyse que propose l’auteur :
– le personnage donne un côté concret et existentiel aux thèses de Zola, car le lecteur les voit « en
actes » et les vit de l’intérieur avec ledit personnage (la folie meurtrière de Jacques dans La Bête
humaine, l’avilissement alcoolique de Gervaise dans L’Assommoir…) ;
– le discours indirect libre rend sensible l’analyse clinique de l’ennui dans Madame Bovary et permet de
saisir ses composantes et ses mécanismes psychologiques.
B. Compréhension de soi-même
L’identification provoque un retour sur soi-même. Le lecteur peut se voir comme dans un miroir et
mieux se comprendre (cf. l’analyse de la jalousie dans La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette ou
Un amour de Swann de Proust) ou mettre des mots sur l’ineffable (détérioration de l’équilibre
psychique d’Adrienne Mesurat, passions cachées et destructrices dans La Pitié dangereuse de Stefan
Zweig)…
C. Regard sur le monde
Le fait de vivre les événements de l’intérieur permet au lecteur d’adopter le point de vue des
personnages d’une manière sensible. Ainsi, il peut partager la vision du monde de l’auteur :
– le lecteur ressent l’inégalité et l’injustice sociale à travers la révolte ou le désespoir des personnages
de Zola ;
– Sartre nous fait vivre l’absurde avec Roquentin dans La Nausée, et Camus la solidarité contre le mal
dans La Peste.
Conclusion
La proximité avec les personnages est donc bien l’un des ressorts principaux du genre romanesque, car
elle procure au lecteur un plaisir particulier aussi bien sur les plans psychologique qu’intellectuel.
Mais, à partir du XXe siècle, les romanciers (comme ceux qui se rattachent au courant du Nouveau
Roman, ou Giono dans Un roi sans divertissement...) choisissent souvent de priver le lecteur de tout
accès à l’intimité du personnage : ils favorisent ainsi une autre lecture qui oblige à l’interprétation, à la
reconstruction ou à la remise en question, procurant un plaisir d’un nouveau genre, plus intellectuel.
Écriture d’invention
Seront valorisés les élèves qui auront su rendre compte avec finesse des différents sentiments du
personnage et varier les types de discours. Ils devront aussi faire preuve d’inventivité pour imaginer les
hallucinations qui s’emparent du personnage et les peindre avec une certaine poésie comme Hugo.
Thérèse Raquin – 35
( p .
E x t r a i t d u c h a p i t r e X X X I I
2 6 4 , l . 7 1 , à p . 2 6 5 , l . 1 2 3 )
Cet extrait faisant l’objet à la fois d’une lecture analytique
et d’un commentaire de texte, nous avons décidé d’organiser
les réponses aux questions (indiquées en rouge gras entre parenthèses)
sous la forme d’un plan très détaillé.
◆ Lecture analytique de l’extrait
Intérêt du texte : ce texte constitue l’explicit du roman ; la mort des personnages principaux lui
donne un caractère exemplaire (caractéristique d’une fin) et moral ; l’intrigue est définitivement
terminée et justice est faite.
Problématique : comment le suicide du couple est-il mis en scène ?
Annonce des axes :
1. Du projet de meurtre au suicide conjoint : la trajectoire finale du couple.
2. Une scène théâtralisée.
1. Du projet de meurtre au suicide conjoint : la trajectoire finale du couple
A. Une culpabilité insupportable
• Thérèse et son amant Laurent, devenu son mari, ont tué Camille, le premier époux de la jeune
femme. Mais, depuis ce meurtre, leur vie est devenue insupportable : Laurent, qui est aussi peintre, ne
peint plus que le visage de sa victime, lui semble-t-il ; le fantôme du mort vient hanter leur nuit ; les
disputes entre les conjoints se multiplient jusqu’aux coups. La situation n’est plus tenable. C’est
pourquoi chacun, de son côté, nourrit le projet de tuer l’autre et d’éliminer le témoin du crime.
• Plusieurs éléments, dans les premières lignes, annoncent une rupture avec une situation devenue
intenable : « ce soir-là » (l. 75) (un autre connecteur temporel confirme la rupture : « À ce moment »,
l. 91) s’oppose à « Avant de coucher Mme Raquin, ils avaient l’habitude de » (l. 1). À l’agitation qui règne
habituellement dans l’appartement à l’heure du coucher s’oppose un moment d’accalmie (l. 75 : « ils
s’assirent un instant »). En outre, les deux amants semblent dans un état peu ordinaire (l. 76 : « les yeux
vagues, les lèvres pâles » ; l. 78 : « qui semblait sortir en sursaut d’un rêve » ; l. 80 : « en frissonnant, comme si
elle avait eu grand froid »), ce dont ils vont se rendre compte eux-mêmes (l. 91-92 : « cette sensation
étrange qui prévient de l’approche d’un danger »). (question 1)
• Laurent et Thérèse portent sur leur crime un jugement très péjoratif, et ces marques de jugement
très négatives expliquent cette volonté d’en finir (question 2) :
– vocabulaire de l’horreur pour qualifier leurs impressions : « pitié et horreur » (l. 100), « écœurés »
(l. 110) ;
– métaphore péjorative : « vie de boue » (l. 107) ; la boue est associée à ce qui est sale, y compris sur un
plan moral ;
– adverbes intensifs : « Au souvenir du passé, ils se sentirent tellement las et écœurés d’eux-mêmes » (l. 109110).
• Nous connaissons leurs sentiments par le point de vue interne qui est omniprésent : « Il leur
sembla » (l. 105), « Ils se sentirent » (l. 109), « ils éprouvèrent » (l. 110), « Ils comprenaient » (l. 97), « en
retrouvant sa propre pensée » (l. 98). (question 2)
B. D’étranges retrouvailles
• Tout le texte met en évidence l’union sans faille des époux (question 3) :
– ils sont toujours désignés au pluriel et sujets des mêmes verbes (« Ils », « Thérèse et Laurent éclatèrent
en sanglots ») ;
– les verbes pronominaux utilisés peuvent avoir un caractère réciproque (l. 93 : « Ils se regardèrent » ;
l. 95 : « ils s’examinèrent ») ;
– des verbes et des adverbes insistent sur cette réciprocité (l. 99 : « mutuellement » ; l. 111 : «
échangèrent ») ;
– c’est encore renforcé par une figure de style : le chiasme, ici redoublé (l. 93-95 : « Thérèse [A] vit le
flacon [C] dans les mains de Laurent [B], et Laurent [B] aperçut l’éclair blanc du couteau [C] qui luisait entre les
plis de la jupe de Thérèse [A] »).
Réponses aux questions – 36
Cela montre que leurs projets et leurs comportements sont parfaitement similaires et réciproques,
voire synchrones. Ils demeurent unis jusque dans la mort : « la bouche […] sur le cou de son mari »
(l. 116). Tous ces indices ne donnent aux personnages qu’une existence en tant que couple.
• De la haine à l’apaisement (questions 4 et 5)
Premier signe de l’évolution du couple qui en était venu à se haïr, l’emploi du mot « complice » (l. 99).
Le pardon et la purification s’opèrent par les larmes : « éclatèrent en sanglots » (l. 103), « Ils pleurèrent sans
parler » (l. 106). C’est comme une carapace qui se fissure : « les brisa » (l. 104). À partir de là, ils
retrouvent des sentiments : ce ne sont plus des monstres, mais ils renaissent à une sorte d’innocence
(l. 105 : « faibles comme des enfants »). Cela les amène à éprouver enfin des sentiments positifs (« quelque
chose de doux et d’attendri s’éveillait dans leur poitrine ») qui aboutissent au pardon : « regard de
remerciement » (l. 112). De quoi se remercient-ils ? D’avoir eu la même idée de meurtre réciproque qui
va finalement les libérer car ils ont besoin de se réhabiliter à leurs propres yeux (l. 108 : « s’ils étaient
assez lâches pour vivre »).
Cette libération, c’est la mort, envisagée comme la fin des souffrances : « un besoin immense de repos, de
néant » (l. 110-111) ; « trouvant enfin une consolation dans la mort » (l. 115) (étrange statut du point de
vue post mortem).
• Un mariage symbolique (question 6) : l’échange du verre aux lignes 113-114 rappelle
l’échange des alliances (« Thérèse prit le verre, le vida à moitié et le tendit à Laurent qui l’acheva d’un trait »),
tandis que leur chute constitue un simulacre d’acte sexuel (l. 114 : « Ils tombèrent l’un sur l’autre » ;
l. 116 : « La bouche de la jeune femme alla heurter […] sur le cou de son mari » ; l. 119 « tordus, vautrés »).
Mais, si cette mort est apaisement et union, elle est aussi, à nouveau, transgression car la scène
d’intimité macabre se passe sous les yeux de Mme Raquin. (question 10)
C. Déterminisme physique et fatalité (question 7)
Chez Zola, les hommes sont déterminés par les pulsions de leur corps qui sont à l’origine de la fatalité
qui semble peser sur eux.
• Une prémonition analysée par le romancier omniscient : « À ce moment, cette sensation étrange qui
prévient de l’approche d’un danger » (l. 91-92).
• L’instinct : Zola a prétendu avoir peint deux bêtes livrées à leur tempérament, et l’on voit, en
effet, qu’ils ont une sorte de sixième sens presque animal qui les prévient du danger et leur fait faire
« un mouvement instinctif » (l. 93). Mme Raquin semble posséder le même flair (l. 101 : « Madame
Raquin, sentant que le dénouement était proche ») et n’échappe pas non plus à ce côté prédateur et
monstrueux qui caractérise beaucoup de personnages zoliens (l. 122-123 : « ne pouvant se rassasier les
yeux »). (question 10)
• Mort brutale, comme un jugement de Dieu (l. 115 : « foudroyés »), qu’annonçaient « l’éclair blanc
du couteau » (l. 94) et « ce fut un éclair » (l. 114). Traditionnellement, la foudre est la manifestation de la
puissance divine. (question 8)
• Une coïncidence significative : « alla heurter sur le cou de son mari la cicatrice qu’avaient laissée les
dents de Camille » (l. 117). Le rappel du crime est inscrit de manière indélébile dans la chair du
meurtrier et réactivé au moment de sa propre mort, faisant apparaître clairement le lien entre le crime
et le suicide. À partir du moment où ils ont tué, Thérèse et Laurent ne peuvent pas échapper à la
mort. (question 9)
2. Une scène théâtralisée
A. La montée de la tension dramatique.
• Un climat inquiétant est créé assez rapidement : « sensation étrange » (l. 91), « danger » (l. 92). Le
texte insiste sur ce point : c’est une scène muette, par nécessité pour la vieille Mme Raquin, « roide
et muette » (l. 122), et par stupeur et terreur pour les époux (l. 96 : « muets et froids » ; l. 107 : « sans
parler »). Ce silence ajoute à l’étrangeté et à l’intensité dramatique de la scène. (question 11)
• La mort est annoncée, et l’on sent le « dénouement » inéluctable : « danger » (l. 92), « couteau »
(l. 94), « froids » (l. 96) et « glacé » (l. 108), qui connotent la mort, sont autant d’indices significatifs.
• Les actions s’enchaînent de manière mécanique, comme si les époux étaient menés fatalement
à la mort. Cet effet est rendu par la mise en œuvre d’une chronologie précise – « À ce moment »
(l. 91), « pendant quelques secondes » (l. 96), « proche » (l. 101) « Et brusquement » (l. 103), « Alors »
(l. 109), « un dernier regard » (l. 111), « enfin » (l. 115), « toute la nuit » (l. 128) –, tandis qu’à la fin du
texte le temps semble se dilater – « pendant près de onze heures, jusqu’au lendemain vers midi » (l. 120-
Thérèse Raquin – 37
121) –, à la mesure de la longueur de l’attente pour le témoin. Tous ces indicateurs temporels
rythment le texte et accroissent la tension dramatique. (question 12)
On a ici l’écriture d’un paroxysme qui se donne à lire explicitement avec « une crise suprême » (l. 104)
et l’adverbe d’intensité « tellement » (l. 109). (question 13)
B. L’intertextualité (question 14)
Le passage comporte au moins trois éléments d’intertextualité théâtrale, simples à repérer :
• La tragédie antique
Zola y fait souvent référence dans son œuvre car il trouve des points communs entre la tragédie
antique et le naturalisme, comme la fatalité ou des comportements monstrueux. Ici, l’expression « ils
se firent pitié et horreur » (l. 100) est celle exactement utilisée par Aristote dans la Poétique pour évoquer
l’effet que le spectacle tragique doit provoquer sur les spectateurs. En proie à ces forts sentiments, ils
doivent réaliser la catharsis de leurs passions (c’est-à-dire se délivrer de leurs mauvais instincts en les
voyant joués sur scène). Ici, Laurent et Thérèse, par la prise de conscience du crime commis et de
celui qu’ils s’apprêtaient à commettre, déclenchent l’un pour l’autre un procédé de catharsis.
• La fin de Roméo et Juliette de Shakespeare
Il y a d’abord le rôle des objets, extrêmement importants puisque c’est par eux que les deux époux
élucident la situation (l. 97 : « ils comprenaient »). Ces objets – le « flacon » (l. 84), « la carafe » (l. 81, 85
et 93) et le « verre » (l. 72, 83, 85 et 113 ; l. 112 : « le verre de poison »), d’une part, et « le couteau »
(l. 88 et 112) mis en valeur par son reflet menaçant (l. 94 : « l’éclair blanc »), d’autre part – sont
exactement les mêmes que ceux que Roméo et Juliette utilisent pour se suicider : croyant Juliette
morte dans son tombeau (alors qu’elle n’est qu’artificiellement endormie), Roméo avale une fiole de
poison. Juliette, se réveillant et voyant Roméo mort, se poignarde avec la dague de son bien-aimé.
Comme ici (l. 115 : « Ils tombèrent l’un sur l’autre »), leurs cadavres sont enchevêtrés. On peut
s’interroger sur le sens de cette référence à Roméo et Juliette qui reste tout de même le grand mythe
amoureux. Le convoquer ici, serait-ce une manière de réhabiliter le couple maudit et lui accorder une
sorte de pardon puisqu’ils sont capables d’éprouver de la culpabilité jusqu’à en mourir et ont donc
une conscience ? En outre, le fait qu’ils aient eu les mêmes pensées puis qu’ils se pardonnent
mutuellement (l. 104 : « les jeta dans les bras l’un de l’autre » ; l. 112 : « ils échangèrent un dernier regard, un
regard de remerciement ») valide, malgré tout, la force de leur amour. (question 5)
• La statue du Commandeur dans Dom Juan
Ce rôle est joué par Mme Raquin mère, « roide et muette » (l. 122), dont l’immobilité évoque celle de
la pierre ; comme la statue du Commandeur, image de Dieu, elle sait tout et voit tout : « les regardait
avec des yeux fixes et aigus » (l. 102), « contempla » (l. 122), « regards lourds » (l. 123). Son triomphe est
symbolisé par la place des corps qui sont « à ses pieds » (l. 122) et par le verbe « écrasant » (l. 123). De
plus, comme le libertin, les époux ont été foudroyés. (question 10)
C. Jeux de scène et spectacle
Dans cet explicit, il y a une place importante laissée à :
– La gestuelle et l’expression du corps : « en frissonnant » (l. 79) ; « fit tourner la tête » (l. 92) ;
« éclatèrent en sanglots » (l. 103) ; « les jeta dans les bras l’un de l’autre » (l. 104) ; « Ils pleurèrent » (l. 106) ;
« Thérèse prit le verre, le vida à moitié et le tendit à Laurent qui l’acheva d’un trait » (l. 114). Les notations
sont extrêmement précises : « Ils tombèrent l’un sur l’autre » (l. 115). Même dans la mort, leurs postures
sont indiquées : « tordus, vautrés » (l. 119). (question 15)
– L’expression des visages : « les yeux vagues, les lèvres pâles » (l. 76) ; « Chacun d’eux resta glacé »
(l. 98) ; « leur visage bouleversé » (l. 11). (question 15)
– Le jeu des regards qui est double. (question 16)
Laurent et Thérèse se regardent : « ils se regardèrent » (l. 93) ; « Thérèse vit le flacon » (l. 93) ; « aperçut »
(l. 94) ; « Ils s’examinèrent » (l. 95) ; « Ils échangèrent un dernier regard, un regard de remerciement » (l. 111112).
Et Mme Raquin les regarde : ce sens est particulièrement important pour cette vieille infirme qui est
devenue aphasique. Regarder est, pour elle, non seulement une façon de percevoir la réalité mais
aussi de s’exprimer (l. 102 : « Madame Raquin […] les regardait avec des yeux fixes et aigus »), et
notamment de juger (l. 122-123 : « les contempla […] ne pouvant se rassasier les yeux, les écrasant de
regards lourds »). (question 17)
L’éclairage est même précisé, ajoutant à l’atmosphère inquiétante : « éclairés de lueurs jaunâtres par les
clartés de la lampe que l’abat-jour jetait sur eux » (l. 120). (question 18)
Réponses aux questions – 38
Toutes ces indications fonctionnent comme autant de didascalies qui rendraient aisée la mise en
scène de cet explicit (ce que Zola a d’ailleurs lui-même fait en 1873).
Conclusion
• Un explicit qui ferme le roman définitivement par la mort des personnages.
• Une démonstration naturaliste : on n’échappe pas à l’instinct sexuel ou/et mortifère.
• Mise en scène théâtrale de cette scène.
• On voit d’autres couples criminels dans Les Rougon-Macquart, comme dans La Terre où Buteau et
Lise tuent le père grabataire sur son lit dans un acharnement qui a aussi quelque chose de sexuel.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture
Examen des textes
u Dans le texte de Zola (texte A), deux personnages meurent ensemble : ils voulaient s’entretuer, ils
finissent par se suicider ensemble. Ce double suicide est très vertueux puisqu’il inscrit les époux qui se
haïssaient dans la lignée des amoureux passionnés qui partagent tout, y compris la mort. En outre, leur
mort réhabilite partiellement les apprentis assassins, pas assez immoraux pour connaître le bonheur
dans le crime qui était pourtant à leur portée.
Dans le texte de Flaubert (texte B), si le dénouement fait bien le récit de la mort d’un personnage, il
ne s’agit cependant pas de l’héroïne éponyme, dont le suicide a eu lieu quelques pages auparavant.
Ainsi, le pauvre Charles, le médiocre médecin, le mari trompé, a l’honneur de la dernière page du
roman ; mais c’est pour mourir aussi médiocrement qu’il a vécu : une mort ratée (sa fille croit d’abord
qu’il joue) pour une vie ratée, et l’autopsie confirme le vide du personnage qui meurt sans symptôme
ni raison (« M. Canivet […] l’ouvrit et ne trouva rien »).
Dans le texte de Victor Hugo (texte C), deux hommes meurent simultanément : le condamné, qui a
trahi son camp par générosité et gratitude envers son oncle, meurt guillotiné, contre l’avis de tous ; le
chef du camp républicain, dont Gauvain est pourtant le protégé, refuse sa grâce par devoir mais il se
suicide simultanément, incapable de survivre à un acte qu’il a ordonné contre ce que lui dictait son
cœur : « au moment où la tête de Gauvain tombait dans le panier, Cimourdain se traversait le cœur d’une
balle ». Ces deux morts résultent, au fond, chacune d’un dilemme : Gauvain a écouté son cœur en
sauvant son oncle mais accepte la mort qu’il reconnaît comme une juste punition, et Cimourdain
écoute la raison car il doit donner l’exemple mais, par son suicide, c’est le cœur qui a le dernier mot.
Au bout du compte, les deux personnages qui paraissaient opposés par les événements se rejoignent
dans une héroïque intégrité.
Dans le texte de Camus (texte D), la mort de Meursault, figure d’antihéros, se passe en hors-champ,
pourrait-on dire : le texte s’arrête juste avant son exécution. Cette condamnation à mort vient
sanctionner non pas une trahison politique, comme dans le texte précédent, mais un crime de droit
commun : Meursault a tué un Arabe sur une plage en Algérie sans raison véritable. Cette mort illustre
l’absurdité du parcours du personnage à qui on reproche aussi une attitude peu conventionnelle à
l’enterrement de sa mère : il apparaît définitivement comme un « étranger », celui qui n’a pas su vivre
comme et avec les autres ; il réalise ainsi le destin écrit dans son nom et meurt comme un sot.
v Le dénouement de Madame Bovary se différencie des autres, d’abord parce que ce n’est pas le
personnage principal qui meurt : Emma est déjà morte d’un suicide particulièrement long et
douloureux, entourée des siens. La mort de Charles est comme un ricochet de celle de sa femme :
une mort rapide, sans raison, dans la solitude. C’est pourquoi – et c’est une autre différence – la mort
de Charles est la seule qui, dans le corpus, soit banale : les autres meurent par suicide ou guillotiné,
parfois de façon héroïque et ensemble. Par son absence de spectaculaire, la mort de Charles s’oppose à
celles hors du commun des autres textes.
w Dans l’extrait de Thérèse Raquin, le registre dominant est le registre tragique car les époux ne
peuvent échapper à la mort à laquelle ils se sont destinés eux-mêmes en tuant Camille. La coïncidence
de leur projet de meurtre sur leur conjoint montre bien qu’ils ne pouvaient se soustraire à cette fin. La
présence rigide et muette de Mme Raquin, qui voit enfin sa vengeance s’accomplir, accentue encore
le tragique de la situation : elle est l’image d’un Dieu cruel qui punit ceux qui l’ont trahi.
Thérèse Raquin – 39
L’extrait de Quatrevingt-treize appartient au registre épique : tout dit la grandeur. Les personnages
principaux sont héroïques, le condamné est idéalisé, presque divinisé (« Il ressemblait à une vision.
Jamais il n’avait apparu plus beau » ; « son œil héroïque et souverain faisait songer à un archange »). Le texte
dit explicitement cette dimension épique : « l’échafaud » est « un sommet » ; la scène va être illuminée
de manière quasi surnaturelle : « le soleil l’enveloppant le mettait dans une gloire ». Elle est si poignante
qu’elle brise les cœurs les plus endurcis : « le cœur de ces gens de guerre éclata. On entendit cette chose
énorme, le sanglot d’une armée ». Le grandissement épique est particulièrement sensible dans la dernière
phrase de l’extrait qui joue sur la métaphore, l’antithèse et le parallélisme : « Et ces deux âmes, sœurs
tragiques, s’envolèrent ensemble, l’ombre de l’une mêlée à la lumière de l’autre. » Difficile de faire plus
éloquent. Le dénouement de Flaubert est dominé par le registre ironique, notamment dans les
dernières lignes consacrées à Homais. Enfin, la narration des pensées de Meursault est profondément
lyrique : on note l’omniprésence des marques de la 1re personne, les répétitions expressives (« Rien,
rien » ; « Là-bas, là-bas aussi » ; « Personne, personne »), des métaphores (« un souffle obscur remontait vers
moi à travers des années qui n’étaient pas encore venues »), un oxymore (« la tendre indifférence du monde »),
etc. La prose presque poétique de ce dénouement contraste avec l’écriture sèche de l’ensemble du
roman.
x La fonction commune de tous ces dénouements est de clore l’intrigue par la mort d’un ou de
plusieurs personnages. Cependant, il y a des nuances. Dans le dénouement, la mort, en général, est
celle du héros : de Thérèse et de Gauvain ; mais, dans ces deux cas, leur mort est redoublée par celle,
simultanée, d’un autre personnage, Laurent ou Cimourdain, avec lequel il forme un couple
indissociable, qu’il soit amoureux ou idéologique. Dans l’extrait de Madame Bovary, le décalage, à la
fois dans la chronologie et dans le traitement romanesque, entre les morts des deux époux souligne le
caractère parodique de ce dénouement qui met en évidence le fossé qu’il y a toujours eu entre Emma
et Charles. La mort d’Emma, dans son horreur, est grandiose et jouit de tout le traitement
romanesque que l’on doit à une héroïne ; c’est une scène au sens narratologique du terme, tandis que
la mort de Charles est comme une faible réplique, à peine un soubresaut, relatée sur le mode du
sommaire. Quant à la mort du narrateur de L’Étranger, elle a forcément lieu après la dernière ligne
puisqu’il s’agit d’une narration à la 1re personne : c’est donc la réflexion du personnage, que
l’imminence de la mort a libérée, qui clôt le roman et lui évite de mourir en suivant le programme
inscrit dans son nom. Tous ces dénouements constituent autant de variantes du topos romanesque que
constitue la mort du personnage.
y Les dénouements produisent tous un effet de surprise car, en même temps qu’ils mettent en scène
une mort attendue, ils jouent sur un renversement. Charles, le médecin médiocre et pantouflard,
devient, contre toute attente, l’incarnation de cet amant romantique que sa femme, Emma, a toujours
attendu : il meurt, « [en tenant] dans ses mains une longue mèche de cheveux noirs ». La mort de Gauvain
est longuement mise en scène, avec un effet de suspense : on attend en vain, avec les assistants, la
grâce de la bouche de Cimourdain. Ainsi, quand le « couteau » tombe, croit-on, le temps de points de
suspension, que le roman est fini : le suicide de Cimourdain qui suit immédiatement l’exécution est
totalement inattendu et invite le lecteur à réévaluer l’attitude précédente de l’inflexible républicain.
Dans L’Étranger, le flot lyrique des pensées de Meursault vient compenser à lui seul un roman complet
où l’attitude indéchiffrable du protagoniste permet de le désigner comme « l’étranger ». Enfin, dans
Thérèse Raquin, alors que, depuis le meurtre de Camille, la distance entre les deux amants assassins ne
cesse de croître jusqu’au projet de se tuer l’un l’autre, la découverte de cette ultime pulsion commune
les rassemble et la mort les réunit là où le mariage avait échoué. Cette mort renoue un instant avec le
début des amours du couple.
U Dans Madame Bovary, la vision du monde est extrêmement pessimiste : Charles ne comprend sa
femme que trop tard et meurt, comme un fantoche dérisoire, sur le banc où elle a tant rêvé d’amour.
Leur fille, la petite Berthe, perd non seulement ses parents mais aussi le bénéfice de leur ascension
sociale puisqu’elle se retrouve ouvrière « dans une filature de coton ». Enfin, c’est le triomphe des
imbéciles et de la bonne conscience bourgeoise avec le sacre d’Homais qui reçoit « la croix
d’honneur ». Zola, dans Thérèse Raquin, intègre, in extremis, une forme de morale : les époux n’ont pu
profiter de leur crime, et leur échec se solde d’une manière macabre qui venge Camille et également
sa mère, laquelle, en les dardant de son regard, les juge et les condamne. Le dénouement du roman de
Victor Hugo traduit un idéal : deux hommes font preuve d’une droiture, d’une dignité et d’un
courage poussés à l’extrême, jusqu’à la mort librement acceptée, comme seule issue honorable :
Réponses aux questions – 40
Gauvain se laisse « lier » non sans avoir eu l’élégance de saluer Cimourdain, dont il comprend
l’inflexibilité. Le suicide de ce dernier rachète, par un mouvement du cœur, l’inhumanité d’une
décision prise par devoir. Un tel idéalisme donne lieu à un déferlement épique et lyrique, grandiose
pour tout dire, qui est la marque de cet épilogue : « son œil, héroïque et souverain, faisait songer à un
archange » ; « et des lions qui auraient entendu cela eussent été émus ou effrayés, car les larmes des soldats sont
terribles » ; ou encore la dernière phrase qui est un sommet du genre : « Et ces deux âmes, sœurs
tragiques, s’envolèrent ensemble, l’ombre de l’une mêlée à la lumière de l’autre. » Dans l’univers d’Hugo,
l’héroïsme va de soi. C’est dans L’Étranger que la vision du monde que laisse percevoir le dénouement
est la plus complexe. Plus la mort approche, plus le condamné se libère : par la colère d’abord, puis
par une communion totalement apaisée avec l’univers. Il s’agit d’une réconciliation universelle avec la
nature, avec le souvenir des ses proches, avec lui-même : « je m’ouvrais pour la première fois à la tendre
indifférence du monde ». La mort brise la solitude, et le narrateur peut exister enfin d’une « vie
unanime », quand bien même la communion avec ses semblables passerait-elle par « des cris de haine ».
V Aucun de ces dénouements ne se solde par une fin ouverte, ce qui est assez logique puisqu’ils
mettent en scène la mort. Celle-ci ne sera un nouveau départ pour personne : Mme Raquin est
vengée mais est vieille, paralysée et condamnée à la solitude absolue et – on peut l’imaginer – à la
misère d’un mouroir. La situation triomphale d’Homais verrouille totalement la vie du village puisque
« trois médecins se sont succédé » après Charles, en vain. Quant à la petite Berthe, qualifiée de « laide »
par sa mère à la naissance et confiée sans scrupules à une nourrice, elle semble condamnée à
poursuivre sans espoir une vie besogneuse et misérable. Meursault meurt seul et sans descendance ;
certes, il se réconcilie avec le monde, mais cette réconciliation est nécessairement d’une extrême
brièveté. La guillotine est un couperet final.
Dans le roman de Victor Hugo, c’est un peu différent car, par leur conduite exemplaire, Gauvain et
Cimourdain donnent une leçon d’idéalisme républicain et humain dont on peut penser qu’elle
portera ses fruits.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Le premier point commun entre les textes est qu’ils appartiennent tous au récit. Cependant, ces récits
s’effectuent selon des modalités différentes : celui de Camus est le seul à être écrit, comme l’ensemble
du roman, à la 1re personne ; en outre, comme il s’agit essentiellement du récit des émotions
intérieures du personnage, celui-ci se confond parfois avec le discours, notamment par l’emploi de
questions rhétoriques.
Du point de vue de la vitesse du récit, dans Thérèse Raquin et Quatrevingt-treize, nous avons des scènes,
c’est-à-dire que l’alternance de dialogue et de narration donne l’impression que le déroulement des
faits se passe en temps réel.
Le dénouement de Madame Bovary est fait sur le mode du sommaire ; le découpage en paragraphes
très brefs donne l’impression d’un inventaire dressé par un greffier.
Le temps semble se dilater dans le dénouement de L’Étranger, ce que confirme une utilisation assez
large de l’imparfait dans le dernier paragraphe. Si, dans ce roman, le point de vue est interne, il n’en
va pas de même dans les autres extraits, où ce ne sont pas les victimes qui analysent leur propre mort,
à l’exception de Thérèse et Laurent ; le point de vue est ainsi, le plus souvent, un mélange de points
de vue externe et omniscient, comme dans Madame Bovary ou dans Quatrevingt-treize : au fond, les
deux ne sont pas si différents et mettent à distance des personnages qui n’appartiennent déjà plus à ce
monde.
Il est ensuite possible de créer d’autres paragraphes avec les réponses aux questions 3 à 6.
Commentaire
Voir corrigé, page 35.
Thérèse Raquin – 41
Dissertation
Introduction
Loin d’être une pure convention, le dénouement d’un roman, nécessaire protocole de clôture d’une
histoire qu’il faut bien finir, est riche d’enseignements. Faire mourir un ou plusieurs personnages ne
saurait se réduire à s’en débarrasser de la manière la plus commode qui soit. C’est pourquoi il convient
de s’interroger sur le sens à donner à cette mort et sur les moyens de la rendre rentable d’un point de
vue littéraire tout en examinant les alternatives possibles.
1. Pourquoi un personnage de roman doit-il mourir ?
A. Parce qu’un roman est souvent l’histoire d’une vie
On remarque le grand nombre de personnages éponymes avec Manon Lescaut, Le Père Goriot, Madame
Bovary, Thérèse Raquin, etc. Ces titres impliquent que le roman va coïncider avec le récit de la vie
d’un personnage ; il s’achève ainsi tout naturellement avec sa mort.
B. Parce que c’est un moment fort qui permet de jouer sur des effets et de montrer la virtuosité de l’écrivain
Cette fin est aussi logique, commode, que d’une grande rentabilité littéraire. Si le procédé
d’identification a bien fonctionné pendant le roman, la mort du protagoniste coïncide avec un
moment d’émotion fort pour le lecteur, et le romancier peut jouer sur divers effets : réalisme clinique
de la mort de Madame Bovary ; idéalisation préromantique de la mort de Manon Lescaut ou tout à
fait romantique dans le cas d’Atala ; apothéose lyrique du dénouement de Quatrevingt-treize. D’une
manière plus simple, elle peut révéler un effet de surprise comme dans les textes de notre corpus.
C. Parce que c’est l’occasion de montrer une vision du monde
C’est particulièrement vrai dans L’Étranger, qui célèbre une réconciliation universelle de l’homme et
du monde, mais aussi dans Le Père Goriot de Balzac, où l’enterrement du vieillard souligne l’égoïsme
de ses filles ingrates, le préjugé social et la cupidité du clergé, tandis que Flaubert constate la
généralisation de l’échec, sauf pour la bêtise qui triomphe : la bêtise humaine étant incarnée par
Homais (patronyme qui ressemble beaucoup à homme), le pessimisme de Flaubert est radical.
2. Comment doit-il mourir ?
A. Le choix d’une mort banale
Le romancier peut aussi choisir de ne tirer aucun effet de la mort du personnage, ce qui est une autre
manière de transmettre une vision du monde. La mort est le terme naturel de la vie : Mme de Rênal
meurt en quelques lignes tout comme Charles Bovary – des morts qui ont à peine l’apparence de la
mort mais qui sont cependant prématurées et disent le chagrin qu’entraîne le décès de la personne
aimée à laquelle ces deux personnages ne peuvent survivre. Dans La Curée de Zola, Renée meurt
d’une méningite dans l’indifférence générale. On pourrait penser que ce type de mort du personnage
est particulièrement adapté au roman réaliste ou naturaliste.
B. Le choix d’une mort spectaculaire
Pourtant, il n’en est rien. Chez Zola, on meurt assassiné (La Bête humaine), on se suicide (double
suicide dans Thérèse Raquin). L’échafaud est également un moyen très employé qui permet de faire
d’une pierre deux coups : tuer le héros et poser le problème de la justice, voire de la peine de mort
comme chez Camus (Julien Sorel, Gauvain, Meursault, autant de décapités…). Parfois, l’assassinat fait
l’objet d’une mise en scène très esthétique comme dans L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, où l’abbé
Jéhoël de La Croix-Jugan est tué d’une balle alors qu’il montre l’hostie lors de la première messe qu’il
est autorisé à donner (la messe de Pâques), après une longue interruption.
C. Dans certains cas, il s’agit d’une mort symbolique
Si le personnage ne meurt pas physiquement, son sort peut aussi s’apparenter à une mort symbolique,
notamment quand il choisit de partir, comme la princesse de Clèves qui se réfugie dans une vie pieuse
loin de la Cour. Le départ est une forme de mort mais l’enfermement aussi : Thérèse Desqueyroux ne
meurt pas, mais sa vie, après son procès, est celle d’une prisonnière, autorisée à ne sortir de la maison
familiale que lors de la messe dominicale afin de préserver les apparences. La mort peut donc être une
mort sociale et même conduire à la destruction de la personnalité.
Réponses aux questions – 42
3. D’autres moyens de clore un roman
A. La vie continue
On ne peut pas vraiment parler de « fin ouverte » dans ce cas, car les personnages dont l’existence a
été racontée et analysée sur des années ont fait la démonstration qu’il est fort peu probable qu’ils
changent : la fin fige alors le personnage dans un type de vie dont le lecteur sait qu’il le poursuivra
jusqu’à la mort. C’est le cas de Jeanne dans Une vie, qui accepte une vie modeste dans laquelle elle
trouve un équilibre en compagnie de sa servante, et autrefois rivale malgré elle, Rosalie. L’exemple de
Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale est encore plus frappant, tandis que pour Georges Du
Roy s’ouvre un avenir glorieux dans Bel-Ami. Il va de soi que, dans le cadre du roman
autobiographique, comme La Femme gelée d’Annie Ernaux, la vie du personnage continue comme
celle de l’écrivain.
B. Les constructions cycliques
Dans certains romans, la fin est une manière de renouer avec le début : dans Regain de Giono, un
village rural qui a failli disparaître renaît. Dans les contes, la fin est souvent un retour à l’équilibre
initial ; de même dans Candide, où le final rassemble les personnages du récit et notamment ceux du
début pour former, ailleurs, une nouvelle petite société qui fait contrepoint à celle du château au
chapitre premier. Dans À rebours, le personnage unique du roman d’Huysmans a bien des velléités de
départ, mais ce désir s’arrêtera à la gare du Nord et Des Esseintes reviendra dans sa maison-musée de
Fontenay-aux-Roses. Plutôt que de parler d’« une structure cyclique » pour ce roman, du reste, il
vaudrait mieux dire que celui-ci fait du sur-place.
C. Les fins ouvertes
La notion d’« œuvre ouverte » a été théorisée par Umberto Eco au XXe siècle. Le principe est de
confier au lecteur le choix d’imaginer la fin ; il faut, pour cela, que celle-ci soit riche d’ambiguïtés
pour être parfaitement polysémique. C’est l’expérience que tente Italo Calvino dans Si par une nuit
d’hiver un voyageur, où il propose au lecteur des fragments de romans à compléter à sa guise.
Conclusion
Des alternatives à la mort du personnage pour clore un roman existent mais soit correspondent à une
mort symbolique, soit laissent le lecteur sur sa faim, alors qu’il attend dans le dénouement
l’accomplissement d’une trajectoire, d’ultimes émotions et surtout une voie pour interroger sa propre
vie.
Écriture d’invention
Il s’agit, dans cette écriture d’invention, de réutiliser les analyses dégagées par l’examen des textes
proposés et de faire un choix parmi les différentes possibilités à la fois de contenu (mort glorieuse /
mort banale et, dans les deux cas, sous quelle forme) et d’écriture (point de vue, vitesse du récit,
registre, etc.), afin de créer un texte à la fois original et cohérent qui débouche sur une vision du
monde.
Plus l’élève sera précis dans ses choix, plus il parviendra à l’illusion romanesque.
Thérèse Raquin – 43
COMPLÉMENTS
A U X
L E C T U R E S
D
’IMAGES
◆ Affiche du film américain In Secret (2013) de Charlie Stratton (p. 8)
Travaux proposés
1. Retrouvez, dans l’affiche, les éléments tirés du roman de Zola.
On retrouve, dans cette affiche, les personnages principaux du roman : Mme Raquin, placée en haut à droite sur
un fond assez sombre, ainsi que le couple formé par Thérèse et Laurent au centre. Le meurtre de Camille est
simplement évoqué par la barque vide dans le coin inférieur de l’affiche.
2. Quelle idée du film donne cette affiche ? Quels sont les éléments mis en valeur ?
L’affiche souligne la sensualité de la relation entre Thérèse et Laurent par l’image du baiser placée au centre.
Mme Raquin semble jouer un rôle assez important, au vu de sa position en haut de l’affiche et de sa physionomie
fermée et presque menaçante.
Le titre choisi, In Secret, ainsi que la phrase mise en exergue semblent annoncer un film policier ou une sorte de
thriller. Le contraste entre l’ombre et la lumière sur l’affiche reflète aussi l’opposition entre secret et vérité.
◆ Affiche du film Thérèse Raquin de Marcel Carné (p. 266)
Marcel Carné a pris le parti de situer l’histoire dans les années 1950 et de modifier assez profondément
le roman de Zola. Ainsi Camille meurt-il projeté d’un train et ne revient pas sous forme de spectre
mais d’un jeune maître chanteur qui a vu le meurtre et va persécuter les amants.
L’affiche met aussi l’accent sur le couple des héros mais en leur donnant une dimension beaucoup plus
tragique qu’érotique, puisqu’ils sont côte à côte, le visage marqué par l’angoisse. Le personnage de
Mme Raquin a disparu ; en revanche, Camille occupe le premier plan, silhouette (d’un rouge violent
sur l’affiche) du corps qui tombe du train ; il paraît menacer le couple par sa taille et ses bras qui
risquent de se resserrer sur eux. À part cette silhouette, toute l’affiche est extrêmement sombre,
accentuant l’impression de tragique. Celle-ci est encore renforcée par la locomotive lancée à toute
vitesse dans l’angle droit, illustrant peut-être le destin qui emporte et broie les trois personnages.
◆ Le cauchemar de Thérèse, gravure sur bois d’Horace Castelli (p. 174)
L’auteur
Horace Castelli (1825-1889) est un graveur sur bois qui a travaillé principalement pour la
Bibliothèque rose illustrée. Il est connu, en particulier, pour ses illustrations des romans de la comtesse
de Ségur.
L’œuvre
Il s’agit d’une gravure de « publicité » proposant l’œuvre de Zola en plusieurs livraisons. L’artiste a
choisi une scène saisissante du roman, jouant sur l’horreur et le fantastique. C’est le versant populaire
et noir du roman qui est privilégié ici, sans doute pour toucher davantage le public adepte des
« feuilletons ».
Cette gravure illustre très fidèlement une phrase du roman : « au milieu des secousses de l’insomnie, elle
avait vu se dresser le noyé ; elle s’était, comme Laurent, tordue dans le désir et dans l’épouvante » (chap. XVIII,
p. 140). On voit, en effet, le cadavre de Camille se dresser devant Thérèse, couvert d’algues ; la jeune
femme apparaît pulpeuse et sensuelle : on dirait un personnage de Boucher – avec le jeu sur les
oreillers moelleux, les tissus et tentures, la nudité plus ou moins dévoilée –, mais traité de façon
« noire » ! Thérèse évoque à la fois le désir, par sa posture et son déshabillé, et l’épouvante, par son
regard et ses mains crispées dans ses cheveux et sur l’oreiller.
Travaux proposés
1. Observez et commentez les contrastes qui structurent la gravure.
On trouve un premier contraste entre la lumière crue sur Thérèse, la vivante, et l’ombre qui enveloppe le cadavre
de Camille, revenant du monde des morts.
Compléments aux lectures d’images – 44
L’opposition entre vie et mort se retrouve aussi dans le corps de Thérèse, très charnu, souple et sensuel, et celui de
Camille, squelettique, rigidifié par la mort et répugnant. Le lit de la jeune femme dégage une impression de
chaleur, par le désordre du corps et des draps, alors que le corps de Camille est glacé par les eaux de la noyade.
Un autre contraste se ressent à l’intérieur même du personnage de Thérèse : le décor du lit, son physique et sa
posture évoquent l’amour (cf. la comparaison avec Boucher), alors que son visage et ses mains expriment l’horreur
et l’épouvante.
2. Comment est représentée l’hallucination ?
Le regard de Thérèse est mis en valeur dans la gravure par sa place et son intensité (yeux exorbités, soulignés par
le contraste entre le blanc et le noir de la prunelle) : ceci suggère que la scène retranscrit ce qu’elle voit. Le graveur
opère un contraste entre le réalisme du décor et du personnage qui voit et le fantastique de la vision : le corps de
Camille sort de l’eau et flotte en apesanteur dans la pièce ; il est à la fois cadavre et vivant puisque son regard
paraît croiser celui de la jeune femme ; enfin, l’eau envahit le décor réaliste, au point que le drap de Thérèse y
baigne, semblant se transformer en linceul qui va entraîner l’héroïne dans cette eau mortelle.
3. À partir de cette gravure, développez la scène en deux pages, en décrivant d’abord l’apparition du
cadavre aux yeux hallucinés de Thérèse (en focalisation interne), puis le dialogue entre les deux
personnages.
Thérèse Raquin – 45
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
◆ Bibliographie
– Colette Becker, Les Apprentissages de Zola, coll. « Écrivains », PUF, 1993.
– C. Bertrand-Jennings, L’Éros et la Femme chez Zola, Klincksieck, 1977.
– Henri Mitterand, « Une anthropologie mythique : le système des personnages dans Thérèse Raquin et
Germinal », dans Le Discours du roman, PUF, 1980.
– Bernard Rickert, « Thérèse Raquin : observations sur la structure dramatique du roman », Les Cahiers
naturalistes, n° 55, 1981.
◆ Sitographie
– Sophie Ménard : Les Créances du roman : le revenant dans « Thérèse Raquin » de Zola,
https://uottawa.scholarsportal.info.