Sois belle et tais-toi (extrait)

Transcription

Sois belle et tais-toi (extrait)
« La Ville Louvre »
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Télérama n° 2136 - 19 décembre 1990
Sois belle et tais-toi (extrait) par Alain Rémond
« …Voici, maintenant, la télévision de rêve, celle qui me ferait oublier tout ce que je
viens d'écrire : ça s'appelle La Ville Louvre, c'est un film de Nicolas Philibert, on l'a vu
sur A2. Ecoutez, sérieusement, je ne croyais pas que c'était encore possible. Une heure
d'hymne pur à l'image, à travers la célébration de l'envers du Louvre, tout ce qu'on ne
voit pas, nous, public, les réserves, les ateliers, les couloirs, les salles vides avant
l'accrochage des toiles. Filmé avec une science de la mise en scène, du cadrage, de la
lumière, un bonheur de l'oeil, une sensibilité aux objets, aux gestes, aux visages... Les
héros du film, ce sont les peintres, les plâtriers, les manoeuvres, les bricoleurs, les
accrocheurs, les conservateurs, les retapeurs, les gardiens, tout le monde. Tous les
jours, à longueur de journée, ils manipulent de la beauté, ils transportent des Titien,
des Rembrandt, ils encadrent des La Tour, ils nettoient des Rodin, à chaque instant, on
croit que ça va tomber, s'érafler, se déchirer, et ils ont une telle science, un tel méfier
au bout des doigts, c'est un ballet miraculeux, une liturgie du beau, de l'art, de la
poésie...
Et maintenant, mesdames et messieurs, l'inconcevable, l'inouï, l'invraisemblable : pas
un seul mot de commentaire, pas une seule voix off, pas une seule interview. Rien que
du son direct, naturel, si méticuleusement, si amoureusement enregistré que chaque
bruit, chaque parole est la note d'une symphonie. Ça repose, vous ne pouvez pas
savoir. Ah, tout le blabla des talk-shows, les hurlements des jeux, les fanfares des
pubs, les coups de feu des feuilletons, les scies des jingles, des bandes-annonces...
Oublié, balayé, néantisé ! Silence, on tourne. Vraiment, passionnément. Une heure de
beauté, à se laver les yeux.
Dites, les professionnels de la profession, les chefs, les sous-chefs, tout le monde:
vous le saviez, que ça pouvait être si beau, la télé? Le moins qu'on puisse dire, c'est
que vous nous l'aviez drôlement bien caché... »
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