Microsatellites, parenté et distribution libre idéale : utilisation
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Microsatellites, parenté et distribution libre idéale : utilisation
Année 2004-2005 Master de Biologie 1ère année Spécialité 3 Mémoire de stage Microsatellites, parenté et distribution libre idéale : utilisation de méthodes de génétique des populations pour le test d’un modèle d’écologie comportementale Sarah FERRY Travaux réalisés sous la tutelle de Xavier Fauvergue, Thomas Guillemaud et Cédric Tentelier Equipe Biologie des Populations en Interactions Unité Mixte de Recherche INRA-UNSA n°1112 Réponse des Organismes aux Stress Environnementaux 400, route des Chappes 06903 Sophia-Antipolis 1 RESUME Ce rapport présente le test expérimental des prédictions d’un modèle théorique d’écologie comportementale, la distribution libre idéale (Fretwell & Lucas 1970), via l’utilisation de méthodes de génétique des populations. Ce modèle formalise l’exploitation de ressources distribuées en agrégats dans l’environnement par des consommateurs en compétition pour cette ressource. Il prédit une distribution évolutivement stable en conséquence d’un comportement individuel optimal. En théorie, l’équilibre est atteint lorsque l’acquisition de la ressource est identique sur tous les agrégats. Pour tester cette prédiction, nous avons étudié un système d’insectes hôte-parasitoïde dans lequel l’hôte, le puceron Aphis nerii, constitue la ressource et le parasitoïde Lysiphlebus testaceipes, le consommateur. Pour L. testaceipes, le comportement d’exploitation de la ressource est le suivant : pondre ses œufs dans les pucerons et de ce fait produire des descendants dans les colonies que forment les pucerons. Dans ce cas, l’équilibre est atteint lorsque toutes les femelles produisent le même nombre de descendants sur toutes les colonies. La population testée est une population naturelle, échantillonnée sur haie de laurier en 2004. Le polymorphisme génétique neutre de dix marqueurs microsatellites a permis d’estimer, par une analyse génétique de parenté, les liens de filiation des descendants déposés dans chaque colonie et rétrospectivement d’estimer le succès reproducteur des femelles. Les résultats montrent qu’un équilibre est atteint mais que ce n’est pas celui prédit par l’IFD. La méthodologie toute nouvelle utilisée pour cette étude, basée sur les analyses de parenté quand les génotypes parentaux sont inconnus, doit encore être perfectionnée. Mots-clefs : IFD ; parasitoïde ; Lysiphlebus testaceipes ; marqueurs moléculaires ; analyse de parenté 2 SOMMAIRE INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE 4 1) L’évolution à travers l’écologie comportementale et la génétique des populations 4 2) Le concept de la distribution libre idéale a) Généralités b) Hypothèses c) Prédictions 6 6 7 9 3) Le modèle biologique 11 OBJECTIFS 12 MATERIELS ET METHODES 13 1) Principe général de l’étude 13 2) Echantillonnage a) Récolte des individus en population naturelle b) Emergence des parasitoïdes 15 15 15 3) Génotypage des individus a) Extraction de l’ADN b) Les réactions de polymérisation en chaîne c) Séparation et détection des fragments 16 16 16 18 4) Analyse statistique 18 RESULTATS ET DISCUSSION 22 1) Résultats a) Description de la population b) Prédiction sur l’égalité des fitness c) Prédiction sur la distribution des compétiteurs 22 22 24 27 2) Discussion 28 CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES BIBLIOGRAPHIE 31 32 3 INTRODUCTION 1) L’évolution à travers l’écologie comportementale et la génétique des populations L’évolution biologique est un processus par lequel les espèces se modifient par transformations successives. Dans le modèle darwinien, c’est la lente action de la sélection naturelle qui épluche le grand nombre de petites modifications insignifiantes qui touchent les organismes et qui dicte les changements évolutifs et les adaptations du monde vivant (Schwartz, 2002). Au cours du 20ème siècle, l’étude de l’évolution du vivant s’est scindée en deux courants de pensée distincts, avec d’un coté la théorie des jeux et l’optimalité et de l’autre la génétique des populations (Marrow et al., 1996). La théorie de l’optimisation et la théorie des jeux représentent un schéma de pensées sur lequel l’écologie comportementale se base pour étudier l’évolution. Cette discipline a pour but d’étudier le comportement animal selon une perspective adaptative, c'est-à-dire qu’elle fait l’hypothèse que les comportements réalisés résultent de la sélection naturelle. Elle utilise des modèles d’optimisation ou de théorie des jeux pour comprendre ou prédire les stratégies comportementales adoptées au sein d’une population au cours des générations et ainsi rechercher une stratégie optimale ou évolutivement stable (ESS pour evolutionarily stable strategy). Une stratégie évolutivement stable est définie par Maynard-Smith et Price (1973) comme la meilleure stratégie en terme de coût et de bénéfice adoptée par les individus d’une population, et qui de ce fait ne peut être détrônée par aucune autre stratégie. C’est un comportement idéal qui maximise le succès reproducteur des individus qui l’adoptent. L’ESS est une stratégie qui peut être sélectionnée au cours des générations car elle maximise la fitness, c'est-à-dire le succès reproducteur. Cependant des contraintes physiques, 4 développementales et génétiques (épistasie, dominance, etc.), qui ne sont pas prises en compte dans ces modèles, peuvent compromettre leur réalisation. La génétique des populations, de son coté, est une discipline permettant d’étudier l’évolution des populations à travers le prisme de leur gène. Elle se base sur deux idées principales : 1) ce sont les gènes qui déterminent les caractères phénotypiques, y compris comportementaux. La génétique des populations s’intéresse à leur évolution dans le temps et permet de faire des prédictions évolutives précises qui incorporent des détails génétiques (Roughgarden, 1996). 2) Les gènes sont les meilleurs marqueurs pour estimer les relations de parenté ou de proximité génétique entre individus (structures génétiques des populations). Leur étude permet donc d’analyser les systèmes de reproduction, les relations sociales entre individus suivant leur apparentement, etc. La génétique des populations intègre d’autres moteurs que la sélection naturelle dans son approche de l’évolution tels que les mutations, la dérive, la migration, les systèmes de reproduction, etc (Roughgarden, 1996). Lorsque la génétique des populations a pour but d’analyser la structure génétique des populations, la plupart des modèles théoriques sous-jacents font l’hypothèse qu’il n’y a pas de sélection. En pratique, les généticiens des populations travaillent avec des marqueurs moléculaires qui sont supposés na pas être soumis à la sélection naturelle (microsatellites, minisatellites, etc.). Ces deux disciplines restent bien disjointes, cependant de nouveaux concepts apparus récemment (comme la théorie du « tramway » de Hammerstein) ont vu le jour et permettent une réconciliation entre les deux courants de pensées(Marrow et al., 1996). Le thème de recherche de ce stage entre dans cette problématique. Il s’agit de faire un lien entre génétique des populations et écologie comportementale en utilisant des méthodes de génétique des populations dans le but de tester un modèle d’écologie comportementale. 5 2) Le concept de la Distribution Libre Idéale a) Généralités Bien souvent dans la nature, les ressources (nourriture, proies, hôtes, sites de reproduction, etc.) sont distribuées de façon hétérogène. Elles forment des agrégats de qualités différentes et distants les uns des autres que l’on nomme « patchs ». L’exploitation de ces patchs de ressources par un organisme de niveau trophique supérieur (prédateur, parasite) engendre un gain (énergie calorifique, nombre de descendants, etc). Dans la perspective de maximiser ce gain, cet organisme ira sur les patchs de bonne qualité, c'est-à-dire riches en ressources. Cependant, l’exploitation simultanée d’un patch de ressources par plusieurs organismes peut engendrer une gêne mutuelle (généralement appelée interférence) qui peut alors faire diminuer le gain (Sutherland, 1983). En conséquence, le gain sur un patch dépend donc non seulement de la densité de ressources disponibles mais aussi de la densité d’organismes présents en compétition pour la ressource, si bien qu’il existe une distribution des compétiteurs à l’équilibre pour laquelle la perte liée à la densité de compétiteurs compense exactement le gain lié à la densité de ressources. Cet équilibre correspond à l’égalité des gains individuels sur chaque patch. Il représente la prédiction majeure de la Distribution Libre Idéale (IFD pour « Ideal Free Distribution »), proposée par Fretwell et Lucas en 1970. Ces derniers proposent le nom d’IFD car les compétiteurs sont supposés être à la fois idéaux (dans la mesure où ils connaissent la qualité de tous les patchs) et libres (de se déplacer entre les patchs) (Weber, 1998; Tregenza, 1996). L’IFD est quantitativement la meilleure façon de se distribuer autour de la ressource (Cézilly and Benhamou, 1996) et de ce fait, l’IFD est une stratégie évolutivement stable. En effet, tant que les gains individuels sur chaque patch ne sont pas égaux, les compétiteurs qui gagnent moins doivent se redistribuer vers les patchs sur lesquels le gain est supérieur, si bien que l’équilibre n’est atteint que lorsque les gains sont identiques sur tous les patchs. 6 L’IFD est un modèle qui peut permettre de lier l’écologie comportementale et la génétique des populations. En effet, si les compétiteurs déposent des descendants sur les patchs, alors l’IFD se traduit en une structure génétique intra-populationnelle (apparentement entre patchs et à l’intérieur des patchs) particulière. Dans ce cas, il est alors possible de connecter les stratégies comportementales liées à la dispersion des compétiteurs entre les patchs et les structures génétiques populationnelles engendrées par ces stratégies. b) Hypothèses Le modèle initial de Fretwell et Lucas (1970) est caractérisé par six hypothèses : 1) les ressources sont distribuées en patchs ; 2) les compétiteurs ont tous la même capacité à exploiter un patch et sont égaux face à la compétition (l’interférence est propre à une espèce donnée) ; 3) les compétiteurs peuvent circuler librement entre les patchs ; 4) les compétiteurs sont omniscients, i.e. ils ont une connaissance complète de l’environnement, et donc, du gain réalisable sur tous les patchs ; 5) il n’y a pas de déplétion de la ressource : elle reste constante dans le temps ; 6) le gain d’un compétiteur, dû à l’exploitation d’un patch, augmente avec la densité de ressources dans le patch et diminue avec la densité de compétiteurs présent sur le patch, donc seules ces deux variables limitent le gain (Kacelnik et al., 1992; Kennedy and Gray, 1993; Tregenza, 1996). La réponse fonctionnelle de type II permet de modéliser de manière assez réaliste cette dernière hypothèse (Kacelnik et al., 1992) (figure 1). Le gain individuel obtenu sur un patch i, W i , correspond au gain résultant du comportement d’exploitation de la ressource par un compétiteur sur le patch face à la variation de densité de ressource et de la densité de compétiteurs présents. Il peut être formalisé de la manière suivante : Wi = Q.T .Ri .C i m 1 + (Q.Ri .C i m .th) équation 1 7 où Q représente l’efficacité de recherche de la ressource (constante pour une espèce donnée, surface/temps) ; Ri est la densité de ressources disponibles sur le patch i (#/surface), Ci , la densité de compétiteurs présents sur le patch i (#/surface), m le coefficient d’interférence (constante pour une espèce donnée), T le temps total d’exploitation (temps)et th le temps de manipulation (temps) (Kacelnik et al., 1992; Sutherland, 1983). L’hypothèse d’égalité des compétiteurs 1, 2 et 3 sur un patch i se formalise ainsi : W1i = W2i = W3i équation 2 100 80 B 60 Wi A 40 20 500 400 0 3 5 300 7 9 200 11 Ci 13 15 Ri 100 17 19 0 Figure 1 Gain d’un compétiteur en fonction de la densité de compétiteurs (Ci) et de la densité de ressource (Ri). Ce graphique matérialise la réponse fonctionnelle c'est-à-dire les effets simultanés de la densité de ressource et de la densité de compétiteurs lorsque l’interférence est faible. Wi augmente lorsque Ri augmente, et diminue lorsque Ci augmente. L’équilibre représenté par la droite continue est atteint lorsque Wi ne varie plus quel que soient les valeurs de Ci et Ri. Par exemple, un compétiteur sur le patch A caractérisé par 3 compétiteurs et 170 ressources aura le même gain qu’un compétiteur sur le patch B caractérisé par 8 compétiteurs et 440 ressources. 8 c) Prédictions Ces hypothèses combinées avec le fait que chaque compétiteur se déplacera sur les patchs où il pourra obtenir un gain maximal, mènent à deux prédictions interdépendantes sur la distribution des compétiteurs à l’équilibre : • Prédiction sur l’égalité des gains individuels: La conséquence de la recherche de maximisation du gain par tous les compétiteurs entraîne l’égalité des gains de chaque individu 1, 2, 3, etc sur chaque patch i, j, etc de l’environnement (Kacelnik et al., 1992): W1i = W2i = W3i = .. = W1 j = W2 j équation 3 Cela implique la compensation de l’effet initial positif de la densité de ressources et de l’effet négatif de la densité de compétiteurs sur le gain (Fauvergue et al., 2005a) (cf figure 1). • Prédiction sur la distribution des compétiteurs : Lorsque les gains individuels sur chaque patch sont égaux, le développement de l’équation 1 conduit à une nouvelle équation : 1 C i = .Rim ( équation 4 représente une constante). Cette équation signifie que la densité de compétiteurs est fonction de la densité de ressources dans chaque patch et du degré d’interférence. Au niveau biologique cela se traduit par la concentration des individus sur les patchs de bonne qualité et la fuite des patchs de mauvaise qualité. Mais ce phénomène, que l’on appelle agrégation, est complètement dépendant du degré d’interférence. En effet, une faible interférence (m = 0,1) conduira à une forte agrégation des individus et une forte interférence (m = 0,9) empêchera l’agrégation des individus (figure 2). Les valeurs publiées de m varient entre 0 (pas d’interférence) et 1,13 (Sutherland, 1983) 9 Schéma A Densité de compétiteurs C ( i) 1.2E+14 1E+14 8E+13 6E+13 4E+13 2E+13 0 0 5 10 15 20 25 30 Densité de ressources (Ri ) Densité des compétiteur C ( i) Schéma B 20 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 0 5 10 15 20 25 30 Densité de ressources (Ri ) Figure 2 : Densité de compétiteurs (Ci) en fonction de la densité de ressources (Ri) lorsque l’interférence varie. Dans le cas d’une faible interférence (schéma A), les compétiteurs s’agrègent sur les patchs les plus riches en ressources, dans le cas d’une forte interférence (schéma B), les compétiteurs la densité de compétiteurs augmente avec la densité des ressources. 10 3) Le modèle biologique Le système biologique étudié est un système d’insectes hôte-parasitoïde dans lequel le parasitoïde est envisagé comme le consommateur, et l’hôte comme la ressource. Lysiphlebus testaceipes (Hymenoptera : Braconidae) est un endoparasitoïde primaire de pucerons, rencontré sur plus de 100 espèces de pucerons, elles même présentes sur un grand nombre d’espèces de plantes différentes. Un parasitoïde peut être défini comme étant « un organisme qui se développe sur (ectoparasitoïde) ou dans (endoparasitoïde) un autre organisme, son hôte, en tire sa subsistance et le tue comme résultat direct ou indirect de son développement » (Eggleton et Gaston 1990). Le parasitoïde est un parasite prothélien, i.e. c’est le stade larvaire qui consomme l’hôte, alors que l’adulte vit à l’état libre. Dans le cas des endoparasitoïdes, les femelles passent une partie de leur vie à chercher un hôte dans le but d’y introduire un ou plusieurs œufs. La plupart des parasitoïdes appartiennent à l’ordre des hyménoptères (cet ordre comprend fourmis, abeilles, guêpes etc.). Ils ont une reproduction de type haplodiploïde, certains œufs sont fécondés et donnent naissance à des femelles diploïdes alors que les œufs non fécondés donnent naissance à des mâles haploïdes par parthénogenèse. L. testaceipes est un parasitoïde solitaire ce qui signifie que seule une larve peut se développer à partir d’un hôte, même si plusieurs œufs ont été déposés dans un puceron (auquel cas il s’agit de superparasitisme). Au cours du développement larvaire, la larve du parasitoïde se nourrit dans un premier temps de l’hémolymphe de son hôte, puis progressivement, elle s’attaque à ses organes vitaux et entraîne sa mort. Environ deux semaines après la ponte, un adulte parasitoïde émerge du puceron hôte dont il ne reste plus qu’une cuticule beige, la momie. Aphis nerii (Homoptera : Aphididae), constituant la ressource dans ce système, est un puceron faisant partie du large spectre d’hôtes de L. testaceipes. C’est un ravageur de plantes ornementales, dont les Apocynaceae (pervenches, laurier rose, etc) et les Asclepiadaceae (plantes grasses), Euphorbiaceae (ricin, manioc, etc). Il est retrouvé sur de nombreuses 11 espèces végétales mais sa plante hôte principale est le laurier rose Nerium oleander. Il est cosmopolite et probablement originaire des régions méditerranéennes. Ce système d’insectes hôtes-parasitoïdes est satisfaisant pour l’étude de l’IFD dans la mesure où les traits d’histoire de vie des deux protagonistes sont en accord avec certaines des hypothèses du modèle. Notamment, la première hypothèse du modèle est vérifiée, la répartition démographique de l’hôte est typiquement agrégée en colonies discrètes assimilables à des patchs. Parmi les autres hypothèses du modèle, l’omniscience des compétiteurs n’est pas réaliste, néanmoins une population peut converger vers l’équilibre théorique à condition que les individus estiment leur environnement via l’apprentissage (Fauvergue et al., 2005a). Or L. testaceipes peut acquérir de l’information sur son environnement via des processus cognitifs (Tentelier et al., 2005). Le système hôteparasitoïde en général est enfin très intéressant car le gain mesuré chez un parasitoïde se mesure en nombre de descendants produits ce qui est mieux corrélé à la fitness directe, i.e. le succès reproducteur, que les mesures de fitness indirecte couramment utilisées dans les modèles d’IFD, comme le nombre de proies consommées par un nombre de prédateurs (Tregenza et al., 1996). OBJECTIF Cette étude vise à tester les prédictions de la distribution libre idéale en déterminant si dans une population naturelle de Lysiphlebus testaceipes la principale prédiction de ce modèle, à savoir l’équilibre de distribution correspondant à l’égalité des gains, est vérifiée. L’étude fait suite à une expérience, menée en serre sur le même parasitoïde en petite population d’élevage, et dont le but était également de déterminer un équilibre de distribution des compétiteurs en conditions expérimentales standardisées. Pour tester les prédictions de 12 l’IFD, les deux variables de l’équation de la réponse fonctionnelle, à savoir Ri, la densité de ressources disponibles et Ci, la densité de compétiteurs présents sur chaque patch, seront quantifiées à partir des données de terrain obtenues. L’estimation de Wi, le nombre de descendants produits par le parasitoïde par patch, et Ci sera rendue possible grâce à une analyse de parenté reposant sur le polymorphisme génétique neutre de marqueurs microsatellites. Cette analyse sera réalisée sur des parasitoïdes ayant émergé de momies échantillonnées sur le terrain. C’est une mesure de fitness très précise qui contraste avec l’étude menée en serre pour laquelle l’estimation de la fitness des fondatrices n’était pas précise car elle se faisait par observations directes du comportement d’attaque et déduction du nombre d’œuf déposés. La variabilité génétique associée aux microsatellites permettra de révéler les structures de parentés existantes entre les individus analysés puis d’en déduire le nombre de fondatrices par patch (Ci) et le nombre de descendants produits par fondatrice et par patch (Wi). La densité de ressources sur chaque patch (Ri) sera estimée en comptant le nombre de pucerons et de momies sur chaque colonie. Ces paramètres de reproduction pourront ainsi être comparés aux prédictions théoriques de la distribution libre idéale (équations 3 et 4). MATERIELS ET METHODES 1) Principe général de l’étude Une population naturelle de L. testaceipes est échantillonnée. Les momies de pucerons sont récupérées dans le but d’attendre l’émergence des parasitoïdes. L’ADN de chaque parasitoïde ayant émergé d’une momie est ensuite extrait pour effectuer une analyse génétique suivie de tests de parenté. Cette analyse est rendue possible grâce à l’utilisation de neuf 13 marqueurs microsatellites supposés hypervariables, développés et testés précédemment par l’équipe BPI (Fauvergue et al., 2005b). Les marqueurs microsatellites sont des portions particulières de l’ADN génomique, ou loci, qui présentent des répétitions en tandem de 2 à 6 nucléotides. La variabilité inter-individuelle recherchée est la variabilité du nombre de répétitions en tandem. Il s’agit donc d’évaluer un polymorphisme de taille aux loci microsatellites. L’intérêt d’utiliser des microsatellites plutôt que d’autres marqueurs moléculaires pour l’analyse génétique de parenté est multiple, car les microsatellites présentent la plupart des caractéristiques d’un « bon » marqueur génétique (Blouin, 2003; Jarne and Lagoda, 1996; Queller et al., 1993). Dans un premier temps, ils sont très polymorphes et donc très résolutifs pour les analyses de diversité génétique. Cette caractéristique leur est conférée par un taux de mutation élevé (10-3 à 10-5 mutations par locus et par génération) (Jarne and Lagoda, 1996). Ensuite, ils ont l’avantage d’être spécifiques, c'est-à-dire d’être utilisables dans une seule ou quelques espèces proches, ce qui permet de limiter les contaminations par d’autres organismes. En effet, les zones flanquantes d’ADN qui les encadrent et qui servent à l’hybridation des amorces lors des réactions de polymérisation en chaîne (PCR) sont souvent conservées aux niveaux spécifiques et variables aux niveaux interspécifiques. D’autre part, ce sont des marqueurs codominants : les deux allèles d’un hétérozygote sont détectables, ce qui rend les individus homozygotes et hétérozygotes distinguables. Enfin, ces marqueurs sont insensibles aux effets du milieu, indépendants du stade ou de l’organe analysés, et sont supposés évolutivement neutres. En effet, les mutations des loci microsatellites n’ont théoriquement aucun effet phénotypique, à l’opposé des marqueurs enzymatiques, longtemps utilisés en génétique des populations (Jarne and Lagoda, 1996). La parenté des parasitoïdes analysés sera calculée à partir de leur génotype multilocus, et il s’agira de reconstituer les fratries selon une méthode de partitionnement de la diversité génétique par maximum de vraisemblance. 14 2) Echantillonnage a) Récolte des individus en population naturelle Les individus on été récoltés sur une haie de laurier rose à Juan-les-Pins (Alpes Maritimes, France) en 2004. L’échantillonnage a été effectué sur 20 plantes à raison d’une plante tous les 5 mètres, et donc sur une longueur totale de haie de 100 mètres. Dix colonies de pucerons ont été collectées par plante. En général, les pucerons sont concentrés sur les apex, et une colonie correspond à un agrégat de pucerons sur un apex. Les apex portant les colonies ont été coupés et ramenés au laboratoire. Pour chaque colonie, les momies ont été comptées, numérotées et isolées dans des tubes à hémolyse en verre. Les colonies ont ensuite été placées individuellement dans des sacs de congélation à -20°C en attendant que les pucerons soient comptés (au cours du stage). b) Émergence des parasitoïdes Chaque parasitoïde ayant émergé a été conservé dans un microtube (1,5 ml) contenant de l’alcool à 70%. Ces insectes ont été identifiés au moyen d’une clé de détermination portant sur la morphologie de l’insecte d’après les figures de P.Stary (forme des nervures alaires, du premier segment abdominal, valve de l’ovipositeur, etc.). La détermination des insectes permettra par la suite de prendre en compte le nombre de parasitoïdes secondaires dans les analyses. Ces parasitoïdes parasitent les larves de parasitoïdes primaires, comme L. testaceipes. 15 3) Génotypage des individus a) Extraction de l’ADN L’ADN d’un organisme eucaryote peut être extrait en déstabilisant les deux principales barrières qui le protégent (membrane cellulaire et membrane nucléaire). Cette déstabilisation est rendue possible grâce à l’utilisation de produits actifs tels que les protéinases et le chelex. L’extraction choisie a lieu selon une méthode au chelex modifiée (Estoup et al., 1996).Quatre vingt quinze parasitoïdes sont retirés de leur tube de conservation au moyen d’un pinceau fin, séchés et placés dans un puit d’une microplaque à PCR suivant un plan préétabli, le dernier puit servant toujours de témoin négatif. Neuf [l de protéinase K (10 mg/ml) sont déposés dans chacun des 95 puits. Les individus sont alors écrasés au moyen d’un pilon en plastique, puis 160[l de chelex 10% sont ajoutés à chacun des 95 puits. La plaque subit un cycle de chauffage, réalisé dans un thermocycleur (Mastercycle, Eppendorf), comprenant deux étapes : l’une à 55°C pendant 60 minutes et l’autre à 100°C durant 20 minutes. b) Les réactions de polymérisation en chaîne La réaction de polymérisation en chaîne va permettre d’isoler et d’amplifier en grand nombre chacun des loci microsatellites d’intérêt. La spécificité de l’amplification d’un microsatellite est déterminée par l’hybridation de deux amorces oligonucléotidiques correspondants à une portion de chacune des deux régions flanquantes du locus. Grâce à une technique particulière de PCR, la PCR multiplexée, plusieurs loci microsatellites peuvent être amplifiés simultanément lors d’une réaction unique. La réalisation de cette technique a nécessité une mise au point de la réaction portant sur le choix des loci multiplexés, les concentrations des amorces et de l’ADN, et la température d’hybridation. Pour chaque locus, l’amorce sens est couplée à un fluorochrome, ce qui permet de détecter les loci microsatellites 16 après migration dans un polymère de séquenceur automatique. A l’issue des étapes de mise au point des réactions, nous avons établi le protocole suivant a été déterminé : Les dix microsatellites utilisés sont répartis en deux groupes afin de réaliser deux réactions de PCR multiplexée : une PCR en duplexe (2 loci microsatellites), l’autre en octoplexe (8 loci microsatellites). Pour chaque individu, la PCR duplexe est réalisée dans un volume final de10[l contenant : 2 [M de chacune des quatre amorces spécifiques des loci 5158 et 5c4 (Fauvergue et al., 2005b); 1 [l d’ADN extrait au chelex, 5 [l de tampon (QUIAGEN Multiplex PCR Kit) contenant la Taq polymérase et 3 [l d’eau osmosée. L’amplification est réalisée dans un thermocycleur (TETRADE MJ Research Inc) selon le programme suivant : une étape d’activation de la Taq polymerase à 95°C pendant 15 minutes suivie d’une série d’étapes réalisées 30 fois comprenant la dénaturation de l’ADN durant 30 secondes à 94°C puis l’hybridation des amorces pendant 1 minute à 56°C et la polymérisation pendant 1 minute à 72°C. Enfin une dernière étape à 60°C pendant 30 minutes sert à l’élongation finale. La PCR octoplexe a lieu dans 10 [l de volume final contenant 2 [M de chacune des amorces spécifiques des 8 loci microsatellites 6f4, 1158, 6b12, 5a12, H02, 5e1, 1b6, f10 (Fauvergue et al., 2005b), 1 [l d’extraction chelex, 5 [l de tampon (QUIAGEN Multiplex PCR Kit) et 3 [l d’eau osmosée. L’amplification a été réalisée dans le même thermocycleur que précédemment et selon le programme suivant : une étape d’activation de la Taq polymerase à 95°C pendant 15 minutes suivie d’une série d’étapes réalisées 24 fois comprenant la dénaturation de l’ADN durant 30 secondes à 94°C puis l’hybridation des amorces pendant 1 minute à 52°C et la polymérisation pendant 1 minute à 72°C. Enfin une dernière étape à 60°C pendant 30 minutes sert à l’élongation finale. 17 c) Séparation et détection des fragments La séparation et la détection des microsatellites amplifiés se fait par une électrophorèse capillaire réalisée sur un séquenceur automatique (ABI 3100 Genetic Analyzer). Les fragments amplifiés sont injectés dans des capillaires de 36 cm remplis d’un polymère qui sous l’influence d’un champ électrique, va séparer les fragments d’ADN. La taille de ces fragments est déterminée par leur vitesse de migration dans les capillaires. Les résultats bruts sont interprétés à l’aide du logiciel STRAND 2.2.241 (Acid Nucleic Analysis Software, http://www.vgl.ucdavis.edu/informatics/STRand/) qui identifie la taille des allèles de chaque locus microsatellite par comparaison à la vitesse de migration d’un marqueur de taille. Dans le cas des femelles, i.e. des diploïdes, le génotype à un locus donné est obtenu en combinant la taille de chacun des allèles à ce locus. Un individu est au final caractérisé par dix génotypes aux dix loci microsatellites. 4) Analyse statistique Une des hypothèses pour calculer une parenté stipule que la population parentale doit être à l’équilibre d’Hardy-Weinberg, de façon à pouvoir déduire la fréquence des génotypes à partir de la fréquence des allèles. Cet équilibre est normalement atteint lorsque la population considérée est de grande taille, qu’il n’y a pas ou peu de migration entre cette population et d’autres populations, que la reproduction se fait sans choix du partenaire sexuel et que les allèles considérés ne sont pas soumis à la sélection. L’hypothèse de l’équilibre de HardyWeinberg est testé à l’aide d’un test exact (Rousset and Raymond 1995) effectué avec le logiciel GENEPOP ver. 1.2 (Raymond (http://wbiomed.curtin.edu.au/genepop/). 18 and Rousset, 1995) Le logiciel COLONY 1.2 (Wang, 2004) permet d’estimer l’apparentement des individus au sein d’une population à partir de leur génotype multilocus. Il permet notamment de déterminer quels individus sont frères et sœurs dans une population dont le génotype des parents est inconnu (figure 4). 7 individus sur le patch i : Maximisation de L Individus 2, 3 et 4 apparentés 5 familles sur ce patch i : u, v, x, y et z Wu = 3 Wv = 1 Wx = 1 Wy = 1 Wz = 1 Figure 4 : Exemple de profils génétiques multilocus de 7 individus présents sur un même patch i. Chaque trait correspond à un allèle. Les différents loci microsatellites sont représentés par les différentes couleurs. Sur cette représentation, 7 individus ont été typés à chacun des dix loci. Une fois ces profils multilocus transférés dans COLONY, celui-ci détermine les familles les plus probables en fonction du génotype multilocus de chaque individu. L’analyse a regroupé ces individus en 5 familles et seuls les individus 2, 3 et 4 sont apparentés. Au final on sait que 5 fondatrices (Ci = 5) sont passées sur ce patch et quatre d’entre elles n’ont déposé qu’un seul descendant et une autre en a déposé trois. La détermination du degré d’apparentement entre deux individus repose sur l’idée suivante : la probabilité de partager 0, 1 ou 2 allèles identiques par descendance (i.e. d’allèles qui descendent d’un même ancêtre commun) dépend du degré d’apparentement. Par exemple, 19 deux pleines sœurs d’une espèce haplo-diploïde partagent au moins un allèle à chaque locus. A partir des fréquences allèliques à chaque locus, il est possible de calculer la probabilité que deux individus possèdent les génotypes G1 et G2 sachant leur degré d’apparentement R (parent-enfant, frère-sœur, 1ers cousins, etc) : P(G1; G 2 R ) = P0 .K 0 + P1 .K 1 + P2 .K 2 Les Pi représentent la probabilité que les deux individus aient les génotypes G1 et G2 s’ils ont i allèles identiques par descendance et les coefficients d’apparentement Ki représentent la probabilité que deux individus avec un certain degré d ‘apparentement partagent i allèles identiques par descendance (Blouin, 2003). Ce type de calcul de probabilité peut être étendu à des groupes contenants plus de deux individus et à plusieurs de ces groupes. On calcule alors la vraisemblance d’un échantillon sachant une configuration d’apparentement (e.g. nombre de fratries et composition des fratries) particulière Afin de déterminer la configuration d’apparentement d’un échantillon la plus probable, il s’agira de maximiser la vraisemblance de l’échantillon analysé (Wang, 2004). Le logiciel utilisé pour calculer l’apparentement des individus est construit sur la base de ce raisonnement. COLONY est un logiciel adapté aux espèces haplodiploïdes telle que L. testaceipes. Il détermine, grâce à un algorithme de maximisation de la vraisemblance, la configuration d’apparentement d’une population (nombre et composition des groupes frères-sœurs) la plus probable étant donné les génotypes multilocus des individus analysés. En premier lieu, chacun des n individus de la population échantillonnée forme une famille et la vraisemblance L de cette configuration est calculée. Le principe repose sur le déplacement au hasard des individus d’une famille à une autre (avec diminution possible du nombre de familles) et sur le calcul de la vraisemblance correspondante. L’opération est renouvelée jusqu’à ce que la permutation des individus entre famille ne permette plus d’augmenter la vraisemblance de la 20 configuration. De cette manière, COLONY détermine le nombre de familles composant une population d’individus ainsi que leur composition. Les familles ainsi déterminées sont ensuite replacées dans les patchs auxquels les individus appartiennent. Il est ainsi possible de déterminer combien de familles sont présentes sur les patchs (Ci) et de déterminer combien de descendants par famille sont présents dans chacun des patchs (Wi). Dans le but de renforcer la robustesse des résultats produits par COLONY et de baisser le taux d’erreur dans la composition des familles, la population échantillonnée sur la haie a été découpée en 15 sous populations d’une cinquantaine d’individus (Wang, 2004). En effet, la fiabilité de l’analyse dépend du nombre d’individus inclus. L’analyse statistique des données (Wi, Ci, et Ri) va servir à tester les prédictions du modèle d’IFD c'est-à-dire à déterminer si les résultats obtenus s’écartent significativement des résultats attendus en théorie, et dans quelle mesure. Le principe est d’ajuster un modèle statistique aux données obtenues pour tester les effets des différentes variables considérées (dans notre analyse, les variables considérées sont Wi, Ci et Ri). Le modèle ajusté pour ce traitement statistique est un modèle linéaire généralisé (GLM). Il est ajusté aux données en estimant les paramètres )i : Wi = 0 + 1 Ri + 2 Ci + équation 5 i *i correspondant aux résidus, c'est-à-dire à la variabilité aléatoire. Le modèle linéaire généralisé permet de faire des régressions linéaires multiples lorsque la distribution des données ne suit pas les hypothèses standard de normalité et d’homoscédasticité. Les données de comptage (momies, pucerons, etc) utilisées ici suivent une distribution de Poisson et avec une telle distribution, la variance est liée à la moyenne par une relation d’égalité. Le but de cette analyse statistique est de tester l’hypothèse nulle c'est-àdire, 1 = 2 = 0 (ou W=)0+*i). A l’IFD, l’hypothèse nulle ne devrait pas être rejetée quand on 21 teste l’égalité des fitness quelle que soient les densités d’hôtes et de compétiteurs. En revanche, l'hypothèse nulle d'indépendance entre densité de compétiteurs et densité d’hôtes devrait être rejetée à cause de l’agrégation des compétiteurs. Pour cela, on utilise un calcul de rapport de vraisemblance qui teste la significativité des paramètres estimés. Le principe est de comparer la vraisemblance du modèle avec le paramètre ( Wi = 0 + 1 Ri + vraisemblance d’un modèle emboîté sans ce paramètre considéré (e.g. Wi = 0 2 + Ci + 2 i ) à la Ci + i ) . Si la vraisemblance du modèle considéré est significativement plus grande que celle du modèle emboîté, alors le paramètre (ici )1) est considéré comme significatif ( 0) et la variable associée à ce paramètre (ici Ri) a un effet. Ces analyses sont réalisées avec la procédure Proc Genmod dans le logiciel statistique SAS (SAS Institute Inc., 1999) RESULTATS ET DISCUSSION 1) Résultats a) Description de la population D’un point de vue purement descriptif, l’échantillonnage sur la haie donne les résultats suivants : 116 485 pucerons ont été comptés, et 3 075 momies ont été récoltées et isolées. sur un total de 214 patchs. L’émergence des parasitoïdes s’est déroulée sur une vingtaine de jours. Au total, 1381 individus ont émergés dont 884 ont été identifiés comme Lysiphlebus testaceipes et 497 comme autre que L. testaceipes (parasitoïde secondaire ou espèces indéterminées). Pour environ deux tiers des momies il n’y a donc pas eu d’émergence d’individus viables. Les raisons peuvent être diverses, comme une mauvaise manipulation des momies lors de leur isolement, le passage d’un prédateur, etc. D’autres part, une fois sur trois, c’est un hyperparasitoïde qui émerge d’une momie, révélant une forte pression d’hyperparasitisme sur L. testaceipes. 22 Les 884 individus L. testaceipes ayant émergés ont été génotypés aux dix loci mais le génotypage a échoué pour 40 d’entres eux (4,5 % de l’ensemble). L’analyse de parenté a donc été réalisée sur 844 individus. La lecture des génotypes s’est révélée fastidieuse à deux loci qui ont été supprimés des analyses ultérieures. Le polymorphisme de chaque locus ainsi que les fréquences allèliques correspondantes sont reportées dans le tableau 1. Les résultats révèlent une faible variabilité génétique due à la surreprésentation d’un allèle par locus. En effet, la plupart des loci sont faiblement polymorphes (entre 2 et 6 allèles), leur hétérozygotie est très faible et les allèles ne sont pas équifréquents (la fréquence de certains allèles masque en partie celles des autres). De plus, l’analyse de GENEPOP montre que la population n’est pas à l’équilibre de Hardy-Weinberg : le Fis, qui mesure l’écart à Hardy-Weinberg, est significativement supérieur à zéro à chaque locus, signifiant un déséquilibre par rapport à Hardy-Weinberg. Tableau 1. Variabilité génétique de chaque locus (le Fis représente l’écart à l’équilibre d’Hardy-Weinberg, p la probabilité de se tromper en rejetant H0 (Fis=0) en se trompant de 5% et l’hétérozygotie de Nei indique le taux d’hétérozygotie à caque locus) Fréquence allèliques Locus 1158 Allèle 1 Allèle 2 Locus 1b6 Allèle 1 Allèle 2 Allèle 3 Allèle 4 Locus 5a12 Allèle 1 Allèle 2 Allèle 3 Allèle 4 Locus 5c4 Allèle 1 Allèle 2 Allèle 3 Allèle 4 Allèle 5 Fis p hétérozygotie 0,12 0,01 0,11 0,04 0,00 0,43 0,16 0,00 0,51 0,56 0,00 0,02 0,05 0,95 0,00 0,73 0,24 0,03 0,54 0,00 0,44 0,02 0,00 0,00 0,99 0,00 0,00 23 Allèle 6 Locus 5e1 Allèle 1 Allèle 2 6b12 Allèle 1 Allèle 2 Allèle 3 Allèle 4 Allèle 5 Allèle 6 Locus 6f4 Allèle 1 Allèle 2 Allèle 3 Allèle 4 Allèle 5 Locus H02 Allèle 1 Allèle 2 Allèle 3 Allèle 4 Allèle 5 0,00 0,16 0,02 0,04 0,19 0,00 0,16 0,01 0,09 0,60 0,12 0,00 0,43 0,98 0,02 0,02 0,00 0,92 0,00 0,01 0,05 0,00 0,18 0,29 0,00 0,53 0,70 0,02 0,04 0,00 0,24 Tableau 1, suite Pour tester les prédictions du modèle, les informations écologiques (nombre d’hôtes, nombre de momies, nombre de fondatrices, nombre de descendants L. testaceipes et nombre d’hyperparasitoïdes) de 168 patchs ont été prises en compte, les patchs éliminés de l’analyse ne présentant pas toutes les informations nécessaires. Cela amène les résultats de comptage à 95 482 pucerons, 2 784 momies, 819 L. testaceipes et 418 hyperparasitoïdes. b) Prédictions sur l’égalité des fitness La densité d’hôtes par patch n’a pas d’effet significatif sur la fitness des fondatrices ( = 0,0001; 2 = 2,22; p = 0,1364 ). Ceci signifie que les fondatrices déposent le même nombre de descendants quel que soit le nombre de pucerons par patch. La figure 5 présente les résultats obtenus pour les tailles des portées des fondatrices ( Wi ) en fonction de la densité de pucerons par patch ( Ri ). 24 Taille des portées des fondatrices par patch (Wi) 10 8 6 4 2 0 0 1000 2000 3000 4000 Densité de pucerons par patch(Ri) Figure 5 Taille des portées des fondatrices en fonction du nombre d’hôte par patch. Les cercles correspondent aux valeurs des variables Wi et Ci estimées via l’analyse génétique pour chaque patch considéré. La courbe d’équation Wˆ = e représente l’espérance issue de l’ajustement du modèle statistique sur les données. Il n’y a pas d’effet significatif de la densité d’hôtes sur la taille des portées des fondatrices par patch. ( 0 , 2616 + 0 , 0001R ) Les cercles correspondants aux données sont assez dispersés sur le graphique, cela montre une variabilité importante entre les patchs. Toutefois le coefficient de dispersion est inférieur à 1, ce qui suggère une dispersion des données inférieure à celle attendue sous une distribution Poissonienne. La taille des portées est plus souvent égale à 1 que ce que l’on attendrait, elle est donc peu variable. En moyenne, il y a 1,3 descendant par fondatrice et par patch pour 443 pucerons par patch (entre 25 et 3 836). Pour vérifier l’absence d’effet de la densité d’hôtes sur la taille des portées des fondatrices, une analyse de corrélation sur les rangs de Spearman entre Wi et Ri a été réalisée. Cette analyse confirme l’absence de corrélation entre Wi et Ri ( r = 0,13147; p = 0,0894 ). La taille des portées des fondatrices par patch est affectée positivement à la densité de fondatrices par patch ( = 0,0566; 2 = 138,32; p 0,0001 ). Ceci signifie que les fondatrices déposent plus de descendants sur les patchs les plus fréquentés. La figure 6 présente les 25 résultats obtenus pour les tailles des portées des fondatrices ( Wi ) en fonction de leur densité Taille des portées des fondatrices par patch (Wi) par patch ( Ci ). 10 8 6 4 2 0 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 Densité de fondatrices par patch (Ci) Figure 6 Taille des portées des fondatrices en fonction de leur densité par patch. Les valeurs de Ci et Wi obtenues sur chaque patch sont représentées par les cercles. Le diamètre des cercles est proportionnel à la représente l’espérance issue de quantité de valeurs superposées. La courbe d’équation Wˆ = e l’ajustement du modèle statistique sur les données. Il y a un effet positif du nombre de fondatrices sur la fitness par patch. ( 0 , 0359 + 0 , 0542 C ) En moyenne, il y a 3 fondatrices par patch (le nombre de fondatrices par patch pour l’analyse est compris entre 1 et 17). De la même manière que pour la figure 5, la densité de descendants par patch a un caractère peu variable du fait que la variabilité observée est inférieure à la variabilité sous la distribution de poisson. La courbe d’ajustement montre que lorsque la densité de fondatrices par patch augmente, le nombre de descendants d’une fondatrice double, elle passe à peu près de 1 à 2. Pour vérifier l’absence d’effet de la densité de fondatrices sur la taille des portées des fondatrices, une analyse de corrélation sur les rangs de Spearman entre Wi et Ci a été réalisée. Cette analyse confirme la présence d’une corrélation entre Wi et Ci ( r = 0,58113; p 0,0001 ). 26 c) Prédiction numérique La densité d’hôtes a un effet positif sur la densité de fondatrices par patch (_= 0,0002 ; `²= 5,96 ; p= 0,0146). Il y a une légère agrégation des fondatrices sur les patchs les plus riches en hôtes, ce qui est en accord qualitatif avec les prédictions de l’IFD. La figure 7 montre les Densité de fondatrices par patch (Ci) résultats obtenus pour la densité de fondatrices (Ci) en fonction de la densité d’hôtes (Ri). 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 0 1000 2000 3000 4000 Densité d'hôtes par patch (Ri) Figure 7 Densité de fondatrices en fonction de la densité d’hôtes par patch. Ce graphique rend compte du phénomène d’agrégation des fondatrices sur les patchs les plus riches en hôtes. Les cercles correspondent aux i représente le valeurs des deux variables sur chaque patch considéré. La courbe d’équation Cˆ = e modèle théorique ajusté (moyenne : trait continu; intervalle de confiance à 95% : trait pointillé). Il y a ici un effet positif du nombre d’hôtes sur le nombre de fondatrices. (1,1214 + 0 , 0002 R ) En moyenne il y a 3 fondatrices pour 443 pucerons par patch (les valeurs minimales et maximales de nombre d’hôtes et de nombre de fondatrices sont les mêmes que celles écrites précédemment). L’agrégation des fondatrices signifie que la distribution démographique de L. testaceipes est dépendante de la densité d’hôtes. Une analyse de corrélation réalisée entre Ci et Ri montre également une relation positive significative entre ces 2 variables ( r = 0,31744; p 0,0001 ). 27 2) Discussion Le but de notre étude était de tester un modèle d’écologie comportementale à l’aide de méthodes propres à la génétique des populations. Ce modèle, la distribution libre idéale proposée par Fretwell & Lucas en 1970, a été testé sur une population naturelle d’un parasitoïde de pucerons, Lysiphlebus testaceipes, dont les caractéristiques biologiques sont en accord avec certaines hypothèses du modèle (Fauvergue et al., 2005a). Dans la présente étude, la distribution observée ne semble pas être celle de l’IFD. On constate une faible variabilité génétique dans la population. Ceci est un sérieux problème pour la reconstitution des familles dans l’analyse de parenté car cette reconstruction n’est réalisable que si des différences génétiques importantes existent entres individus de façon à pouvoir les assigner à des familles différentes. Cette faible variabilité génétique peut s’expliquer par le fait que la population de L. testaceipes a été fondée par un faible nombre d’individus (effet de fondation). A cause de cette faible variabilité génétique, COLONY risque de déterminer non pas une mais plusieurs configurations d’apparentement avec la même probabilité. Autrement dit, par manque de variabilité génétique, la distribution des vraisemblances risque d’être plate (la vraisemblance varie peu en fonction des différentes configurations) et la reconstitution des familles sera différente à chaque nouvelle analyse. De plus, si peu de femelles sont à l’origine de la population analysée, tous les descendants des générations suivantes risquent d’être apparentés. De ce fait, une des hypothèses de l’analyse de parenté, l’équilibre d’Hardy-Weinberg dans la population parentale des échantillons analysés, risque d’être violée. Le nombre de générations écoulées entre l’arrivée des parents fondateurs et les descendants typés est inconnu mais est probablement inférieur à 5. Ces deux évènements (faible variabilité génétique et apparentement des parents) risquent de produire des erreurs importantes dans l’analyse de parenté. Les résultats sont donc à prendre ; avec précautions. 28 Tous les résultats obtenus ne semblent pas en accord avec les prédictions théoriques de l’IFD : les fondatrices (Ci) s’agrègent en fonction de la densité d’hôtes par patch (Ri) et leur fitness (taille des portées) (Wi) ne dépend pas de la densité d’hôtes (ce qui est en accord avec l’IFD), mais la taille des portées par fondatrices et par patch augmente avec la densité de fondatrices (ce qui est en désaccord avec l’IFD). Dans ce modèle, caractérisé par deux prédictions, l’équilibre est atteint uniquement si toutes les prédictions sont vérifiées. Les prédictions n’étant pas toutes vérifiées on peut dire que l’équilibre d’IFD n’est pas atteint. Il y a plus de femelles sur les patchs sur lesquels il y a plus de pucerons, et de la même manière, les femelles déposent plus de descendants lorsqu’elles sont plus nombreuses. De ce fait les femelles devraient déposer plus de descendants par patch lorsque il y a plus de pucerons par patch. Or ce n’est pas le cas. Toutefois, il est fort probable que ce dernier résultat soit dû à un biais de l’analyse de parenté. En effet dans le cas où peu de familles sont reconstruites par COLONY, ces familles auront tendance à être de grande taille. Si on veut répartir ce nombre de familles trouvées dans des patchs de ressources de tailles variables, on risque de créer un biais statistique artéfactuel entre le nombre de familles par patch (Ci) et la taille des portées par fondatrices par patch (Wi). En effet, les « petits patchs » (contenant peu de descendants, typiquement un) contiendront peu de familles (typiquement une) et descendants (typiquement un). En revanche, les « grands patchs » (contenant de nombreux descendants) contiendront plus de familles et plusieurs descendants par famille. Si la relation découverte entre Wi et Ci est bien due à un biais d’analyse, les résultats de cette étude ont plutôt tendance à confirmer les prédictions de l’IFD (l’agrégation des fondatrices en fonction de la densité d’hôtes et l’absence des effets de la densité de fondatrices par patch et de la densité d’hôtes par patch sur la taille des portées par patch). Toutefois, la fitness individuelle moyenne trouvée par patch est très faible (Wi = 1). Ce résultat ne peut être affecté par le biais car COLONY a tendance a surestimer le nombre de 29 descendants par famille (Wi = 1 ne peut en effet pas être une surestimation de la taille des portées). Ce résultat est particulièrement intéressant. En effet, il parait surprenant qu’avec un nombre moyen d’hôtes par patch de 443 il y ait aussi peu de descendants par fondatrices. L’IFD fait l’hypothèse que le comportement d’exploitation est optimal (car il maximise la fitness des fondatrices) et que c’est la densité de ressources qui limite le gain. Or, le ratio du nombre moyen de momies sur le nombre moyen d’hôtes par patch (0,03) indique que le nombre d’hôtes n’est pas ici le facteur limitant la fitness. Une des hypothèses principales de l’IFD est donc violée. La distribution réalisée n’est donc probablement pas la distribution libre idéale. Cette faible fitness par patch traduit une grande dispersion de chaque fondatrice dans la haie. Une forte pression de prédation pourrait expliquer ces résultats. La pression d’hyperparasitisme observée est très importante. Elle pourrait donc expliquer l’apparente dispersion de L. testaceipes. De plus, en étudiant le nombre d’hyperparasitoïdes en fonction de la densité de momies et de la densité de pucerons, on constate qu’il y a une forte corrélation avec les momies ( r = 0,73721; p 0,0001 ) mais aucune avec la densité des pucerons ( r = 0,06627; p = 0,3934 ). Ceci signifie que la distribution des hyperparasitoïdes suit celle des parasitoïdes et non celle des pucerons. De ce fait, une femelle parasitoïde qui veut éviter l’hyperparasitisme de ses descendants, aura intérêt à éviter les patchs sur lesquels il y a des momies qui risquent d’attirer les hyperparasitoïdes, et donc à ne pas trop s’agréger. Elle aura égalementi intérêt à ne pas trop déposer de descendants par patch pour qu’il n’y ait pas trop de momies. Dans ces conditions, le fort hyperparasitisme subit par les femelles va les contraindre à disperser leurs descendants. Une autre hypothèse pourrait être avancée. Des fourmis ont été observées sur la haie lors de la période de reproduction de L. testaceipes. Se nourrissant du miellat produit par les pucerons, elles protègent les colonies de toute attaque de prédateurs (X. Fauvergue communication. personnelle.). Cette barrière de protection autour 30 des pucerons et fort gênante pour les fondatrices expliquerait la faible fitness observée sur chaque patch. CONCLUSION ET PERSPECTIVES Cette étude utilise une analyse génétique d’apparentement pour tester un modèle d’écologie comportementale. La faible variabilité génétique associée à la population échantillonnée affecte fortement la méthode permettant le calcul de l’apparentement des individus. Cette faible variabilité observée est probablement due à un effet fondateur important. Si tel est le cas, il ne sera pas possible de déterminer la composition exacte des familles la constituant, même en augmentant le nombre de loci microsatellites. Il paraît donc urgent d’analyser d’autres populations de Lysiphlebus testaceipes pour vérifier si cette faible variabilité est une caractéristique biologique de l’espèce ou un cas isolé. Toutefois, dans cette étude, les biais d’analyse ne semblent pas affecter le résultat biologique d’une forte dispersion des parasitoïdes dans la haie. Les raisons de cette forte dispersion sont actuellement inconnues mais des observations préliminaires sur le terrain, notamment sur la prédation et l’hyperparasitisme qui a lieu sur L. testaceipes, pourraient expliquer en partie les résultats observés. Des études complémentaires sur la prédation et l'hyperparasitisme sont donc nécessaires à la poursuite de ce travail. 31 BIBLIOGRAPHIE Blouin, M. S. (2003). DNA-based methods for pedigree reconstruction and kinship analysis in natural populations. Trends in Ecology and Evolution 18, 503-511. Cézilly, F., and Benhamou, S. (1996). Les stratégies optimales d'approvisionnement. Terre Vie 51, 43-86. Estoup, A., Largiadèr, C. R., Perrot, E., and Chourrout, D. (1996). Rapid one-tube extraction for reliable PCR detection of fish polymorphic markers and transgenes. Molecular Marine Biology and Biotechnology 5, 295-298. Fauvergue, X., Boll, R., Rochat, J., Wajnberg, E., Bernstein, C., and Lapchin, L. (2005a). 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