Amour et pulsion (2)

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Amour et pulsion (2)
Amour et pulsions Myriam MORELLE-­‐HOTTON et Paul KESTEMONT La pulsion. Melissa, une productrice de cinéma de San Francisco, brûlait de tomber vraiment amoureuse. Sa carrière suivait enfin un rythme tranquille et à trente-­‐deux ans, elle était prête à passer à la phase suivante de sa vie. Elle voulait fonder une famille et avoir une relation stable avec un homme, pas une aventure de quelques mois. Un soir, Leslie, sa meilleure amie, l’appela pour lui proposer de l’accompagner dans un club de salsa. Melissa avait envie de rester chez elle à regarder la télévision, mais Leslie insista tellement qu’elle accepta. Lorsque Melissa arriva au club, Leslie était déjà installée au bar et sirotait une Margarita. Au moment où les deux jeunes femmes s’apprêtaient à gagner la piste, Melissa aperçut à l’autre bout un homme grand, brun, avec un visage viril, sur lequel elle flasha aussitôt. Elle se tourna vers Leslie pour attirer son attention sur lui, mais déjà il venait dans leur direction. Un frisson la parcourut. C’était une sensation qu’elle n’avait jamais ressentie lors des rendez-­‐vous qu’elle avait eu ces derniers mois. Cet étranger dont elle ne pouvait détacher son regard avait quelque chose de familier. « Qui est-­‐ce ? » chuchota-­‐t-­‐elle à Leslie, tandis que son cortex cérébral passait en revue les visages qu’elle avait en mémoire sans n’en reconnaître aucun. Ses circuits de l’attention déclenchèrent alors « l’alerte partenaire ». Etait-­‐il avec quelqu’un ? Elle regarda autour d’elle, à la recherche de l’une des créatures qui accompagnent généralement ce genre d’homme séduisant. Mais non, il était seul. Melissa écoutait à peine ce qu’était en train de lui raconter Leslie. Toute son attention se concentrait sur cet inconnu. Aucun détail ne lui échappait, de son jeans noir sexy à ses chaussures chic, en passant par l’absence d’alliance. Le cerveau de la jeune femme était prêt au contact. Rien d’autre ne comptait. La pulsion d’accouplement avait pris le relais. Le docteur Louann Brizendine dans son livre : « Les secrets du cerveau féminin », nous décrit ensuite la rencontre de ce couple. L’approche de Rob – le jeune homme en question – la danse de l’amour aux rythmes de la salsa, la chimie cérébrale préprogrammée dans la rencontre amoureuse, la façon dont les cerveaux sont submergés par les afflux de dopamine et de testostérone qui attisent le désir sexuel. A deux heures du matin, le club commence à se vider. Leslie est rentrée chez elle depuis longtemps. Melissa annonce qu’elle va en faire autant, mais Rob la retient. Il veut à tout prix la revoir. Melissa ne veut pas lui donner son numéro de téléphone, mais elle lui lance : « Si on me cherche sur Google, on me trouve ». La poursuite a commencé. Pour vous parler de la pulsion, du désir et de l’amour, je me suis appuyée sur le livre de Paul Verhaegen, l’amour au temps de la solitude. La pulsion a été longtemps considérée comme un instinct. Elle est plutôt un pervertissement dans le sens d’une transformation de réactions qui au départ sont instinctives en moyen pour obtenir le plaisir. (Le réflexe de succion chez le bébé au départ est instinctif, le bébé découvre le plaisir en tétant et puis va suçoter le sein par plaisir sans avoir faim. 1 La pulsion génitale comprend quatre composantes. La source : dans une zone érogène du corps. La poussée : il y a interactions des organes génitaux, des gênes et des hormones dont découlerait la poussée ou tension énergétique. Le but qui est le coït, la satisfaction d’un besoin qui ne peut être obtenue qu’en supprimant l’état d’excitation, en apaisant la tension. L’objet, ce en quoi et par quoi elle peut atteindre le but, par exemple l’autre. Le corps connaît des excitations internes qui déclenchent des besoins impérieux et amènent à une tension. Les pulsions communiquent ces besoins du corps au psychisme .Les pulsions sexuelles sont régies par le principe de plaisir qui recherche une décharge immédiate qui annule la tension. La pulsion signifie qu’on est poussé par quelque chose, issu d’un ailleurs intemporel et incontrôlable, qui se compose d’un mélange d’éros et d’agressivité. Toute manifestation pulsionnelle est chargée de violence qui exprime impuissance et défaillance. Le mari jaloux suit sa femme, la découvre avec un amant. Il tue les deux. Quelque chose d’incontrôlable se passe en lui, il dit ne plus être maître de ses actes, ne se comprend pas lui-­‐même. Le but ultime de tout être humain est la recherche du plaisir et du bonheur. Le plaisir serait le maintien de la tension au plus bas alors que le déplaisir est la tension qui augmente et qui ne peut pas s’écouler. Il y a un mythe de l'homme coupé en deux, une partie qui se suffit à lui-­‐même, une partie qui est dirigée vers l'autre. Une partie essaie tout le temps de retrouver l'autre partie coupée, dans une pulsion, dans la quête d'une pénétration, de se reconstituer comme entier (pulsion d’accouplement). D'abord il y a une attirance vers un autre qui va provoquer le trouble et donner l’envie d’établir le contact avec l’autre. Le corps est en jeu, tout se passe de corps à corps. L'écho du trouble est reçu par le corps et lorsqu’il apparaît il supprime l'impression de séparation même si l’autre n'est pas investi en tant que tel, il n’existe pas. Ce n'est pas de l'amour mais un stimulus qui conduit au trouble et à la jouissance. Il n’y a pas une pulsion globale qui pousserait les organes génitaux des hommes vers les organes génitaux des femmes. La pulsion ne vise pas la totalité du corps mais des parties du corps, (organes génitaux, oreille, bouche, œil) et des activités qui y sont associés, sentir, écouter, regarder, sucer, pénétrer. Elle est donc partielle, chacun de nous a ses propres variantes et chacun de nous maintient une préférence érotique non génitale. Pour la pulsion partielle l'autre n’est pas le but en soi mais le moyen d’obtenir une certaine jouissance, elle a d’abord avoir avec le corps propre et ce n’est que plus tard que le corps de l’autre entre en jeu, elle est donc autoérotique (le petit enfant dont la bouche se referme sur son pousse et qui s’endort comblé loin du monde en est le modèle originel). Dans le film, au départ ils se rencontrent pour réaliser un fantasme, elle dit bien que c’est uniquement sexuel et que cela aurait pu être quelqu’un d’autre. C'est une poussée, une source, une énergie qui émane du corps (des bords du corps, bouche, pénis, seins), qui cherche une issue, une décharge via un objet. Le désir 2 Rob avait laissé un message sur le répondeur de Melissa, mais elle attendit quelques jours avant de le rappeler. Outre la fonction de l’attente qui comme nous allons le voir permet de créer les conditions du désir, Melissa n’avait aucune intention de tomber dans les bras de Rob avant d’en savoir plus sur lui. Dans son désir de créer une relation durable, elle avait besoin de savoir de manière viscérale qu’elle pouvait lui faire confiance. Séduire et abandonner, il faut bien le reconnaître, est un grand classique masculin qui remonte aux débuts de l’espèce humaine. Les femmes ont donc appris à repérer les exagérations et les mensonges des hommes. Conséquence de cette méfiance : le cerveau féminin s’emballe beaucoup moins vite que le cerveau masculin à partir d’une simple excitation sexuelle. Et même si, dans certains cas, la femme s’emballe aussi vite, voire plus vite, elle met généralement plus de temps avant de reconnaître qu’elle est amoureuse et elle est souvent plus prudente que l’homme au début de la relation. Rob et Melissa se rencontraient maintenant régulièrement. Melissa commençait à accepter les démonstrations d’affection de Rob et à se laisser aller à son propre désir. Finalement, à la fin d’une merveilleuse journée passée dans le parc, au soleil, Melissa et Rob se retrouvèrent dans un lit pour une étreinte passionnée. L’union du couple était consommée. L'instantanéité de la pulsion s'oppose à la continuité du désir. Le désir évoque en soi l’idée de délai, cultiver le manque et en jouir. C’est la différence entre érotisme et pornographie. L’érotisme cultive le manque, on ne voit pas tout, contrairement à la pornographie. Melissa cultive le désir de Rob en ne lui donnant pas son numéro de téléphone et surtout en ne couchant pas avec lui dès le premier soir. Le désir ne veut pas être satisfait si cette satisfaction a pour effet de l’éteindre. Le désir ne vise qu’une chose, sa propre durée, de prolonger. Pendant des semaines l’enfant va regarder les catalogues des jouets de saint Nicolas, c’est cela qui est bon. Dans le film on ne saura pas quel était le fantasme, cela va provoquer notre désir de savoir. La dépression est une maladie liée au manque de désir, je ne désire plus ou on ne me désire plus. Le désir part du manque. Si un des deux part en voyage, son partenaire va davantage penser à lui parce qu’il n’est pas là, parce qu’il lui manque. La jouissance que comporte le fait de désirer est d’un autre ordre que celle qu’entraîne la satisfaction du désir (Souvent on a plus de plaisir dans l’attente que quand cela arrive). La dimension capitale du désir est l’autre. Tout désir attribue toujours un rôle à l’autre, pour ou contre, on se demande toujours ce qu’on vaut en tant que sujet pour le désir de l’autre (qu’est ce qu’il aime chez moi, il ne désire que mon corps, elle ne vient jamais vers moi).. Je ne désire pas seulement l’autre mais aussi son désir (à son origine dans le rapport mère enfant, l’enfant a besoin de voir dans le regard de la mère qu’il est quelqu’un de bien.). Mon désir passe donc par celui de l’autre, je m’identifie à ce que je pense être le désir de l’autre afin de me faire désirer par lui. Si le conjoint se tourne vers autre chose ou quelqu’un d’autre, on l’interprète comme un non désir de soi. On sera toujours tributaire du désir de l’autre, si on arrive à dire non pour sortir d’ une aliénation au désir de l’autre on va s’aliéner au désir d’un autre autre. Pour Lacan, « tout désir est désir de désir ». Le désir est donc l’opposé de la pulsion, même si la confusion est souvent présente. 3 Dans le film on voit que le désir est présent quand ils sont heureux de se retrouver, qu’ils commencent à se manquer et à ce moment ils désirent faire l’amour. Il ne s’agit plus de réaliser leur fantasme. Quand il panique au moment où elle s’engouffre dans la bouche du métro et qu’il ne la retrouve pas alors qu’il ne connaît rien d’elle. On imagine que l’enfant ayant perdu sa mère la recherchera à travers tous ses partenaires. Ce n’est vrai qu’en partie, ce que l’enfant perd, ce n’est pas sa mère mais l’union avec la mère. Cette union est une première fois rompue à la naissance et puis répétée avec l’introduction du langage. L’unité mère enfant se dissout à jamais parce que le langage s’insère entre eux, introduit un recul et une différence, le je et le tu. Ce qui reste de cette division, c’est le désir. Ce que nous désirons, c’est cette union définitivement perdue que nous essayons de retrouver. Nous y reviendrons. L’amour. Pour les hommes comme pour les femmes, tomber amoureux est un acte complètement irrationnel. Le cerveau devient « illogique ». Il est littéralement aveugle aux défauts de l’être cher. La volonté n’y peut rien. Grâce à l’IRM (Imagerie cérébrale), on a remarqué que les circuits cérébraux de l’amour durable ou éphémère (« effet-­‐mère » diraient les lacaniens), sont les mêmes que pour les états de faim, de soif, de délire et d’obsession. Cette fiévreuse activité cérébrale est alimentée par des hormones et des substances neurochimiques comme la dopamine, les œstrogènes, l’ocytocine et la testostérone. Les circuits cérébraux qui sont activés quand nous sommes amoureux équivalent à ceux d’un drogué en manque. L’amygdale – le circuit alerte/peur – et le cortex cingulé antérieur – le système cérébral du souci et de la pensée critique – sont mis au repos quand les circuits de l’amour fonctionnent à plein. Le résultat est comparable à celui de la prise d’ecstasy, la pilule du viol ; la méfiance habituelle vis-­‐à-­‐vis des étrangers est endormie et les circuits de l’amour sont activés. Nous pouvons donc comparer les effets de l’amour à ceux d’une drogue. Durant les six premiers mois d’une relation amoureuse, les deux amants ont un besoin physique l’un de l’autre et vivent une réelle dépendance. L’intensité de cet état est telle que les intérêts et la survie du partenaire deviennent tout aussi importants, voire plus, que les siens propres. Au début de leur relation, Melissa conservait en mémoire chaque détail de la personne de Rob. L’un comme l’autre supportait très mal la séparation. En fait, cette souffrance était due à l’arrêt des substances neurochimiques. Quand la séparation rend tout contact impossible avec l’autre, une réelle faim de la présence de l’autre s’installe. Cela ne va pas sans rappeler notre première relation d’amour où la nourriture occupe une place prépondérante, je veux parler – bien entendu – de la relation mère-­‐enfant dont il va être question bientôt. Parfois, c’est seulement cette douleur de la séparation qui nous aide à prendre conscience de l’importance de l’autre et de notre amour envers lui. Ce manque n’est donc pas seulement psychique, il est également physique. Le cerveau est quasiment en état de manque. Contrairement à la pulsion ou l’autre est le moyen pour atteindre la jouissance et est interchangeable, en amour tout gravite autour de cet autre unique et irremplaçable. Le moi propre est renié au profit de la personne aimée. Dans le film, ils disent qu’ils n’ont jamais vécu cela avec quelqu’un d’autre, l’autre est unique. Le modèle de base de l’amour est la mère et son enfant. Cette relation amoureuse est totale et exclusive, en dehors de ce lien, il n’y a rien, l’un est tout pour l’autre et vice versa. Ils ne peuvent exister séparément. Comme dans la vie intra-­‐utérine. Tout tiers est une menace. Le père ressent fort 4 cette exclusion, il a perdu sa femme qui devient mère et est hors circuit d’une relation qu’il comprend à peine. C’est durant cette relation que se développe l’exigence d’exclusivité, l’autre doit être tout pour moi et pour moi seule. Cela aura pour conséquence la jalousie à la naissance d’un petit frère ou sœur pour l’enfant. Pour la mère la jalousie par rapport à l’institutrice, la grand-­‐mère. Plus tard ce sera l’exigence d’exclusivité et de fidélité dans le couple. Cette première relation amoureuse est une relation de toute puissance, en ce sens que l’un est tout pour l’autre car l’un et l’autre comblent leurs manques mutuels. Avec la dissolution de cette unité, la toute-­‐ puissance bascule vers le pouvoir, la séparation inaugure un nouveau régime. Dorénavant la relation est animée par l’échange d’un donner et d’un recevoir et aussi la possibilité de refuser de donner et de recevoir (l’enfant peut se détourner de sa mère après une absence alors qu’il a pleuré pendant toute cette absence). C’est ici que se situe ce qui est la base de toute offre et de tout échange. Cette première relation amoureuse se joue à l’intérieur du développement dit prégénital. L’enfant apprend à maîtriser l’oral et l’anal et l’urétral selon un processus de maturation. C’est la mère qui demande à l’enfant de manger, de dormir, d’aller à la selle, de parler, d’écouter …. La mère porte ses demandes sur des parties du corps de l’enfant qui se situent à la limite entre le corps et le monde extérieur. C’est important car c’est par et à l’intérieur de cette interaction que les pulsions partielles entrent en jeu, la pulsion prenant de ce fait place entre le sujet et l’autre. Avant les pulsions fonctionnaient comme si elles étaient autonomes, selon leurs propres lois ou l’autre n’intervient pas. Désormais l’autre entre en jeu. Il en résulte que l’amour et la pulsion vont désormais se développer conjointement pendant tout le développement général de l’enfant vers l’âge adulte. L’enfant répond à la demande de l’autre, il doit faire des choix (manger ou refuser de manger) .Dans la vie amoureuse adulte, génitale, ce donner, recevoir et refuser s’expriment sur un terrain très sensible, celui de l’orgasme. Qui le donne, le refuse. Loin de contredire cette analogie de la relation mère-­‐bébé avec l’amour, les neurosciences – au contraire – lui apportent une validation supplémentaire. Dès le début de la grossesse jusqu’à l’accouchement et toute la période du maternage, le cerveau maternel subit de profonds changements hormonaux. Et cette transformation du cerveau peut affecter les circuits de la plus carriériste des femmes et modifier sa perception, sa pensée, ses priorités. Tout au long de la grossesse, son cerveau est imprégné par les neurohormones que produisent le fœtus et le placenta. Phénomène encore plus étrange, ces modifications hormonales existent également chez la mère adoptive et chez la mère qui désire ardemment un enfant. Cette base biologique modifie donc la réalité pour toutes les femmes, même si, bien sûr, la réaction de chacune varie selon son état psychologique et son histoire personnelle. De nombreuses mères parlent d’amour fou lorsqu’il s’agit de leur enfant. D’ailleurs, sur une image IRM, l’amour maternel ressemble beaucoup à l’amour tout court. Dans les deux formes d’amour, la libération de dopamine (hormone du plaisir) et d’ocytocine (hormone du lien) crée le lien en désactivant les émotions négatives et le jugement et en activant les circuits du plaisir qui produisent l’attachement et un sentiment de joie. Dans une perspective évolutionniste, il fallait – en effet – que cette expérience de la maternité soit agréable pour garantir la survie de l’espèce. Souvent cet amour, tout comme l’allaitement, va interférer avec le désir pour le partenaire, voire le remplacer. « Les amoureux sont seuls au monde », et dans ce cas, les amoureux sont la mère et l’enfant. Le père – quant à lui – du centre de l’univers de sa partenaire est devenu un satellite sur orbite. Il gravite autour de l’univers fermé de la mère et son bébé. Beaucoup de pères le vivent très mal, même s’ils n’en sont pas toujours conscients. Conséquence, ce sera souvent à ce moment qu’ils s’engageront dans une relation divergente qui révoltera tout le monde. 5 Dans son article « La passion selon la maternité », Julia Kristeva fait également de la maternité le prototype de la relation amoureuse. Selon elle, la femme enceinte « (…) est surtout à l’écoute de son corps et de ce non-­‐encore-­‐autre qui germe en elle, et qui sera un nouvel « objet », puis, avec un peu de chance, un « sujet », et qui est d’ores et déjà une cible d’amour, parfois de haine, souvent les deux à la fois ». D’après le biologiste Jean-­‐Didier Vincent dans « Qu’est-­‐ce que l’homme ? », le visage de la mère instruit/module le cerveau du bébé. Kristeva – quant à elle – dirait : la passion maternelle module, dans certaines limites, le futur sujet. Mais, qu’est-­‐ce que cette passion maternelle ? Et quel est le statut de l’objet, c’est-­‐à-­‐dire de l’enfant dans ce cas-­‐ci, pour la mère ? S’agit-­‐il d’un « objet » au sens d’un sujet séparé de l’objet, un « objet » à connaître, à respecter dans sa différence ? « Aucune femme enceinte, aucune mère – nous dit Kristeva – ne possède cet altruisme, cette distance obsessionnelle, c’est-­‐à-­‐dire philosophique ». S’agit-­‐il, au contraire, d’un déni de l’autre, d’une incapacité chez la mère de tenir compte d’une existence séparée de la sienne et qui ne ferait que s’accaparer son enfant ? On reconnaît là, la mère folle, la mère psychotisante, mais aussi la mère phallique. Pour Kristeva, le miracle a souvent lieu car cette alchimie parvient malgré tout à se réaliser. La maternité est une passion au sens où les émotions d’attachement et d’agressivité grâce à la conscience réfléchie – ce qui nous distingue de l’animal – se transforment en amour (« avec son corrélat de haine plus ou moins atténuée »). Ainsi, selon Kristeva, c’est dans cette expérience de la maternité que la passion prend son aspect le plus humain, c’est-­‐à-­‐dire le plus éloigné de son fondement biologique, même si celui-­‐ci ne cesse jamais de l’accompagner (les fameuses pulsions d’attachement et d’agressivité). On connaît la suite, à cette première étape de la passion tournée au-­‐dedans succédera la passion de la mère pour le nouveau sujet que sera son enfant, à condition qu’il/elle cesse d’être son double à elle et que la mère « s’en détache » pour lui permettre de devenir un être autonome. « Si nous sommes capables d’amour dans nos liens érotiques d’adultes, c’est que nous gardons et reconduisons cette passion inaugurale ». Mais cette passion n’a rien d’un amour idyllique car elle souffrira un grand nombre de ratages, de conflits, de rendez-­‐vous manqués tout au long du processus. De la fusion narcissique à un pseudo-­‐objet, en passant par des moments de grande conflictualité pour aboutir dans le meilleur des cas à une défusion génératrice d’un espace de pensée personnelle, ce processus nous permettra enfin de vivre pour nous-­‐mêmes. Il faudrait, mais le temps manque, encore parler du rôle du père, du langage et du temps dans ce processus de dé passionnément de la mère qui permet à l’infans (celui qui ne parle pas) de se construire grâce au langage précisément, un espace psychique personnel. La mère n’est pas toujours présente, elle n’est plus ce qu’elle était avant la division. Quand l’enfant découvre que la mère n’est pas toujours à la hauteur, l’enfant va se tourner vers le père et va aussi découvrir qu’il n’est pas un héros qui a réponse à tout. L’enfant découvre alors aussi ses propres défaillances et que malgré tous ses efforts il ne comblera jamais le désir de sa mère, ce qui vaut aussi pour elle, elle non plus ne vivra plus cette plénitude de jadis. L’enfant se sentira coupable et 6 insuffisant, il ne peut plus combler sa mère. L’effondrement de la toute-­‐puissance maternelle et le manque qui en résulte déclenchent la recherche de quelque chose d’extérieur à cette relation à deux qui pourrait combler le manque. C’est là que le père intervient Chez le garçon : il va chercher chez le père une réponse au manque de la mère. Son organe génital petit recèle la promesse qu’un jour lui aussi deviendra grand et fort avec le risque de ne pas y arriver. L’angoisse de ne pas répondre à la norme établie par ce père terriblement grand produit un double effet, que l’homme doit se faire valoir à tout prix et qu’il développe un surmoi hypersévère (culpabilité qui découle de l’angoisse face à ce père géant avec lequel il est entré en compétition). L’homme est phallocentrique et partisan d’autorité. Chez la fille, l’objet d’amour doit changer de sexe. Chez l’homme, il ne fera qu’échanger une femme pour une autre et occupera au bout d’un temps la même place qu’il occupait pour sa mère. La fille doit échanger son premier amour la mère contre le père. Il reste du premier amour une identification à la mère pour être aimée du père de la même façon que la mère. Ce glissement d’objet fera que la fille accordera donc plus d’importance à la relation et au lien en soi. Elle liera facilement des amitiés avec des filles. Le lien amoureux naturel originel va se perdre parce un interdit pèse sur lui, interdit que l’on retrouve partout, dans toutes les cultures sous la forme de l’interdit de l’inceste, interdit qui vise le lien symbiotique entre mère et enfant. La mère doit lâcher et l’enfant doit abandonner le lien symbiotique. Ce que garçon ou fille désirent, c’est cette première union avec le premier objet d’amour, la mère et ce que chaque culture prohibe, c’est ce repli sur soi avec ce premier autre, la mère Ce qui importe c’est qu’il y ait une structure tierce, le père qui lui fasse quitter ce rapport originel. C’est cela que l’enfant doit abandonner pour le reconquérir dans un ailleurs. Comme l’ombre de l’inceste plane, un interdit inconscient repose sur le corps du partenaire. On ne goûter le sexe que lorsqu’on est suffisamment éloigné de la mère. Si l’on veut jouir à l’intérieur du couple amoureux, il faut vaincre l’interdit de l’inceste. L’alliance de l’amour et de la pulsion n’est pas évidente puisque la pulsion est autoérotique, partielle et axée sur la jouissance tandis que l’amour est tourné vers l’autre et surtout vers son désir. Il est total. Comment peuvent-­‐ ils se rejoindre ? On sait que c’est très difficile et que cela échoue de manière significative. Il y a clivage entre amour et pulsion. Pour l’homme entre la femme madone, pur objet de tendresse et la putain, celle qui trahit en couchant avec le père. Pour la femme le clivage existe mais comme pôles d’identification, elle comme mère avec culpabilité vis-­‐à-­‐vis des enfants et elle comme femme (beaucoup de femmes retrouvent leur sexualité après le départ des enfants) L’échec du couplage de l’amour et de la pulsion signifie que l’homme reste fils dépendant de la femme et la femme, mère. L’homme fait tout pour sa femme (mère) et voudra à tout prix la satisfaire pour se convaincre du fait qu’il satisfait (la faire jouir à tout prix). La femme,se plaindra qu’elle a un enfant supplémentaire. L’amour et la pulsion n’ont pas les mêmes besoins, chaque sujet est divisé entre désir et jouissance. 7 L’amour, ce serait de permettre à la pulsion et au désir de cohabiter. Au bout de quelques mois (6 à 8 mois en général), le lien amoureux du début perd de son intensité. Que se passe-­‐t-­‐il d’un point de vue neurochimique ? Comment le sentiment d’urgence du « J’ai besoin de lui ou d’elle à chaque minute de la journée » se transforme-­‐t-­‐il en quelque chose du genre « Oh, c’est toi, chéri, déjà de retour ? ». En réalité, le flux de dopamine diminue petit à petit dans le cerveau. Les circuits de la récompense/du plaisir et les circuits de la faim/du besoin irrésistible s’éteignent, tandis que les circuits de l’attachement et du lien chauffent. Certaines personnes angoissent lorsqu’elles découvrent que le ravissement du début de leur relation s’estompe. Lorsque Melissa vint consulter le docteur Brizendine, elle raconta que pendant les cinq premiers mois ils faisaient l’amour chaque jour et que c’était merveilleux. Ils vivaient dans l’attente de se retrouver. Mais, maintenant, ils vivaient ensemble, étaient pris par leurs métiers respectifs et envisageaient de se marier et fonder une famille. Mais leur relation ne la faisait plus « vibrer » comme avant. Le sexe ne l’intéressait plus comme avant et cela l’inquiétait. Qu’est-­‐ce qui n’allait pas chez elle ? Rob était-­‐il vraiment l’homme de sa vie ? Était-­‐elle normale ? Beaucoup de personnes comme Melissa se posent ce genre de questions. Mais, selon de nombreux scientifiques, le « réseau de l’attachement » est un système cérébral à part qui remplace l’extase et l’euphorie des premiers moments de la relation. Le système d’attachement et de formation du couple libère régulièrement un supplément d’ocytocine, l’hormone du lien. Il ne s’agit donc pas de considérer que le lien est devenu plus tiède, mais qu’il a simplement évolué vers une nouvelle phase plus appropriée au long terme. Nous allons maintenant illustrer la difficulté de faire cohabiter l’amour, la pulsion et le désir par un cas clinique. Pour ce faire, je suis partie du livre de Catherine Blanc « la sexualité des femmes n’est pas celle des magazines. Elle y relate des séances de thérapies où les femmes parlent de leur sexualité. J’ai choisi une patiente qui pouvait illustrer mon exposé, le fantasme féminin. Je vais vous parler de Aurélie qui amène en thérapie une problématique que beaucoup de femmes rencontrent, la difficulté de conjuguer amour désir et pulsion. Aurélie a 40 ans, elle est journaliste dans la presse écrite. Elle arrive à la séance tendue en ayant beaucoup de choses à dire à sa thérapeute, dont les deux derniers rêves qui ont suivi sa dernière séance de thérapie. Dans le premier, elle gravit une montagne avec peine. Quand elle arrive au sommet, le sol se dérobe sous ses pieds, elle dévale l’autre versant et sombre dans les sables mouvants. Lorsqu‘elle touche le fond, elle donne une forte impulsion qui la fait remonter, les bras en premier, brandissant des dessous féminins en dentelle. 8 Le second rêve, le lendemain, elle est dans un yacht où un homme est aux commandes sur le pont extérieur. Une femme qui était allongée à l’arrière vient le rejoindre, lui passe les mains dans le cou, l’embrasse et lui caresse le bras. L’homme est déséquilibré, tombe à la mer et se fait aspirer par l’hélice qui le broie. Qu’est-­‐ce qu’avait retenu Aurélie de la séance précédente. Elle a parlé de son inquiétude face à son absence de désir par rapport à son mari et le pourquoi de ce manque de désir ? Peut-­‐ être le fait de s’être engagé rapidement dans la relation et la venue d’un enfant en sont la cause. Elle sait qu’elle aime son mari, le seul dont elle soit tombée amoureuse mais n’a jamais été en contact avec son désir sexuel sauf les premières semaines. Elle est tombée rapidement enceinte et elle a décidé de garder le bébé parce qu’elle aimait Manu. Quand elle fait l’amour avec Manu elle n’a pas de désir mais elle arrive à jouir et aime cela. Avant Manu elle est restée 2 ans avec un homme pour qui elle avait un désir (pulsion) fou, intense et violent. Elle avait tout le temps envie et elle vivait le plaisir comme une énergie puissante dans son ventre. Elle ne se souvient pas de son prénom. Elle ne se souvient pas du prénom de l’homme qu’elle a désiré et elle aime l’homme qu’elle ne désire pas. Elle l’a quitté parce que le sexe était le seul lien comme si sexe et amour ne pouvait cohabiter (clivage entre tendresse et sexualité). Dans sa famille on n’a jamais parlé de sexualité et elle l’a découverte à quinze ans avec un homme plus âgé, dans la trentaine qui la trouvait très excitante et débordante de sensualité. Après elle refait toujours le même schéma avec des hommes plus âgés qui la valorisaient sur ses appas. Que va chercher Aurélie chez ses hommes plus âgés ? Aurélie explique qu’avec ces hommes, elle ne devait prendre aucune initiative, que c’était eux qui orchestraient, qu’elle devait simplement suivre, et ne pas prendre de responsabilité. Elle ne devait pas s’impliquer, elle ne devait pas nécessairement les aimer, en fait ce n’était pas de sa faute si elle désirait. Pour beaucoup de femmes faire l’amour équivaut à une transgression de l’interdit maternel. Avec Richard, elle n’était pas encombrée par son regard, elle était l’objet de ses fantasmes et lui était pour elle une découverte. Aucun lien sentimental n’encombrait la relation. Cela se passait seulement au niveau pulsionnel, de l’attirance, du trouble, de la satisfaction d’une pulsion. Pour beaucoup de femmes les sentiments posent de réels interdits, inhibent le vécu sexuel. Aurélie se souvient de souvenirs d’enfance ou elle poussait le voisin et lui faisait faire des bêtises, d’un garçon qu’elle embrasse dans les buissons et qui s’étouffe, de son chien qu’elle adorait et qu’elle nourrissait et qui tombé malade est mort. De disputes avec son frère qu’elle provoquait et où c’était son frère qui se faisait punir. Tous ces exemples qui montrent une partie active, dangereuse ou sadique contre le masculin qui semble dégager une culpabilité due à son état de fille. Si elle sort glorieuse de son rêve en brandissant des dessous féminins qui la révèle plus féminine que jamais, l’homme objet du désir féminin passe de sa vie à trépas. On peut voir dans ce rêve, l’angoisse inconsciente féminine d’un vagin fantasmé castrateur qui broie, blesse soumet étouffe empoisonne et puni. C’est ce qu’Aurélie exprime au travers de ses souvenirs. Elle s’interdirait donc de désirer par peur de faire mal, tiraillée entre l’envie d’exprimer la jouissance de sa pleine puissance (elle brandit les sous-­‐ vêtements) et la culpabilité de ce qui pourrait faire violence à l’autre (l’homme est broyé). La souffrance comme le résultat de l’agressivité de la pulsion sexuelle. On trouve cela souvent aussi chez les hommes. Il y a confusion entre agressivité et violence. Cela provoquera la peur d’abîmer le corps de la femme, l’impuissance ou l’éjaculation précoce. 9 Cela nous montre combien dans l’inconscient humain la sexualité flirte avec l’agressivité et serait donc dangereuse pour l’amour. Au moment de l’éveil de la pulsion orale, le nourrisson acquiert le moyen de son autonomie vis-­‐à-­‐vis de sa mère. Après, la poussée des dents s’accompagne d’une pulsion sadique, pour faire preuve de sa pulsion de vie de mâcher, de mordre la vie à pleine dents. La pulsion anale, autre manifestation d’autonomie donne de nouveau à l’enfant le sentiment d’une violence faite à la mère, privée de son rôle de soins. (Je t’emmerde exprime l’agression projetée).Le petit garçon à la naissance du petit frère fait pipi partout et caca à côté de son petit pot. Aurélie voyait donc son sexe, son pouvoir d’attraction comme coupable et violent. Elan dangereux sur lequel il fallait garder un contrôle en allant chercher une puissance plus grande, un homme plus mature afin que ses désirs ne la rende pas plus ogresse (c’est lui qui décide). Auprès de son mari, Aurélie redoute que fasse irruption au sein d’une relation équilibrée, responsable, forte et solide une violence non maîtrisée. A bonne distance du lien amoureux, les ébats extraconjugaux libèrent les pulsions, cette lutte de pouvoir qui exprime des fantasmes dominant dominé dont est pétrie la sexualité. L’autre n’est que l’objet de mes pulsions sexuelles. Aurélie a pu mettre des mots sur ses pulsions sexuelles et faire tomber le masque effrayant de la violence quand il ne s’agit que de liberté. Il y avait une confusion entre la peur de l’émergence des pulsions agressives qui risquent de détruire et de son désir, élan vers l’autre qui donne du plaisir. Comprendre notre sexualité, nos comportements va nous permettre, une fois libéré de nos angoisses, d’accéder au meilleur de nous-­‐mêmes. On ne s’autorise le désir et la jouissance que dans la mesure où l’on accepte de rompre avec les grandes protections de l’enfance et de l’adolescence c’est-­‐à-­‐dire les figures parentales car désirer c’est être actif et jouir c’est accepter de l’être. La petite fille reste vis-­‐à-­‐vis de son sexe, longtemps dans la sensation et non dans la perception comme le garçon puisque le lieu de son sexe n’est pas visible ni nommé. Le lieu de son plaisir, puisqu’elle ne le voit pas n’est pas limité à son point d’ancrage et en même temps que sa sexualité s’ouvre à son imaginaire, tout son corps est investi de sensations, c’est pour cela qu’elle a besoin de caresses et de préliminaires et qu’elle peut jouir ailleurs qu’au niveau de son sexe. Comme perception de son sexe, elle a un vide, un creux souvent interprété en terme de faille de blessure et se sent encore plus si le silence par rapport à son sexe a été fort. Beaucoup de jeunes filles ne connaissent rien de leur sexe. Les appréhensions liées au sexe trouvent leur origine au début de la vie. Ce creux les renvoie aux stades pulsionnels oral (bouche sein), anal (bâton fécal, anus) auquel à succéder une séparation (sevrage propreté). Elle perçoit le creux de son sexe comme une bouche (vaginale) qui risque de mordre ou couper en rondelle. L’apparition des dents comme la propreté sont liées à une pulsion sadique de séparation. Plus tard, la bouche génitale (le vagin) pourrait être capable de mordre le sexe de l’homme.. Celles qui auront grandi dans ces angoisses non résolues devront au moment des premières découvertes sexuelles parcourir ce chemin vers elles-­‐ mêmes sinon cela peut entraîner la crainte d’être castratrice et d’abimer le sexe de l’homme et dès lors la femme fera l’économie de ce vers quoi la pousse son désir. Les pulsions qu’elles perçoivent comme dangereuses puisque castratrices, elles vont les étouffer plutôt que d’étouffer l’autre, se les interdire et se refuser la jouissance. 10 Comment est perçue une femme désirante ? Peut-­‐ être encore trop souvent comme une mangeuse d’homme ou même une salope ou une pute. La sexualité intrigue, interpelle, bouleverse, emporte même dans l’orgasme et c’est pour cette raison qu’elle fait peur. La plus grande peur ne serait-­‐ elle pas la peur de se perdre dans la jouissance, de perdre son identité, de mourir si elle s’abandonne ? Sexe, stress, cerveaux masculin et féminin. Contrairement à ce que nous venons d’entendre à propos de la sexualité féminine, le stress chez un homme a plutôt pour effet de stimuler les circuits de l’amour. Les femmes – quant à elles – vont repousser les avances de leur partenaire lorsqu’elles sont stressées. C’est peut-­‐être dû au cortisol, l’hormone du stress, qui, en bloquant l’action de l’ocytocine dans leur cerveau, supprime toute envie de sexe et de contact physique. Sexuellement, chez la femme, l’excitation monte au moment où son cerveau, à l’inverse, se met en veille. Pour que les impulsions parviennent aux centres du plaisir et déclenchent l’orgasme, il faut que l’amygdale, centre de la peur et de l’anxiété, ait été préalablement désactivée. Auparavant, nous dit le docteur Brizendine, toute évocation à la dernière minute d’un souci – à propos des enfants, du travail, du dîner à préparer – peut interrompre la progression vers l’orgasme. La nécessité de cette étape neurologique supplémentaire peut expliquer pourquoi la femme a besoin de trois à dix fois plus de temps que l’homme pour parvenir à l’orgasme. Que dire alors des situations traumatisantes qui viennent interférer lors du rapport sexuel, comme nous venons de le voir dans le cas d’Aurélie ? Caroline, une patiente que je reçois depuis quelques mois, me dit qu’elle a connu une relation sexuelle très satisfaisante avec Jean, un ancien amant. Mais, me dit-­‐elle, il n’y avait pas d’amour dans cette relation. Par contre, aujourd’hui, avec Thierry, son compagnon, elle vit le grand amour. Cependant, avec quelques réticences et un peu de gêne, elle me dit que Thierry lui fait penser énormément à son père qu’elle a terriblement aimé, mais qui a abusé d’elle vers l’âge de dix ans. Le sentiment qu’elle éprouve en me parlant de son père est une profonde tristesse. La tristesse de ne pas avoir pu se laisser aller dans les bras de son père en confiance. Tout cet amour refréné, elle a conscience de le donner aujourd’hui à Thierry en qui elle a toute confiance. Par contre, sexuellement, avec Thierry, elle n’arrive pas à la jouissance. Elle reste « au bord de l’orgasme ». Je lui propose l’interprétation suivante : « jouir avec Thierry pourrait signifier dans son inconscient, jouir avec son père, ce qui doit certainement la bloquer étant donné l’abus dont elle a été victime ». Caroline me dit qu’en effet, elle ne peut s’empêcher de penser à son père lorsqu’elle vit une étreinte amoureuse avec Thierry et que cela la bloque certainement. Le cas de Caroline est loin d’être le seul. Une étude importante américaine a montré que quatre filles sur dix ont eu une expérience sexuelle perturbante durant leur enfance. Cette expérience va continuer à occuper leur cerveau au cours des relations sexuelles de leur vie d’adulte. L’incapacité à atteindre l’orgasme est l’un des symptômes les plus courants. Rien d’étonnant non plus que la colère envers le partenaire soit l’une des causes les plus fréquentes des problèmes sexuels chez la femme. Cette colère peut, comme nous venons de le voir être mise en lien avec certaines expériences perturbantes dans l’histoire personnelle ou avec des conflits plus actuels avec leur partenaire. Alors que les hommes sont souvent partisans d’une « réconciliation sur l’oreiller », les femmes ont généralement besoin de se réconcilier avant de faire l’amour. Cela peut s’expliquer en partie par le 11 fait que pour l’homme, faire l’amour lui permet d’évacuer ses tensions alors que pour la femme, les tensions doivent être évacuées avant afin de ne pas encombrer leur cerveau. Quelques jours de vacances se révèlent souvent aphrodisiaques pour la femme. Chez l’homme comme chez la femme, c’est la testostérone, l’androgène que l’on appelle parfois à tort « hormone mâle », qui va déclencher le désir sexuel. Il s’agit en fait d’une hormone de la sexualité et de l’agressivité, que les deux sexes possèdent abondamment. Elle est produite par les testicules, les ovaires et les surrénales. C’est le carburant chimique qui alimente le moteur sexuel du cerveau. Quand elle est en quantité suffisante, la testostérone emballe l’hypothalamus, ce qui fait naître des impressions érotiques, des fantasmes sexuels et des sensations physiques dans les zones érogènes. Le processus est le même chez les deux sexes. Il existe toutefois une énorme différence dans la quantité de testostérone disponible pour « exciter » le cerveau : les hommes en possèdent de dix à cent fois plus que les femmes ! Mais cela n’est pas tout ! Chez les hommes, les centres sexuels cérébraux font à peu près le double de ceux de la femme. Or, la taille joue un rôle important dans la façon dont l’un et l’autre considèrent et pratiquent le sexe. Les hommes, et je ne vous apprends rien, l’ont plus en tête que les femmes. Ils doivent éjaculer souvent, sinon ils éprouvent une tension dans leurs gonades et leur prostate. Louann Brizendine propose une métaphore intéressante. « Si pour traiter les émotions – nous dit-­‐elle – les femmes disposent d’une véritable autoroute et les hommes d’une simple route départementale, c’est l’inverse quand il s’agit de gérer le trafic des pensées sexuelles : les hommes possèdent un aéroport gigantesque et les femmes un petit aérodrome ». A chacun sa spécialité ! Or, ces modifications structurelles sont très précoces. Elles commencent dès la huitième semaine de la grossesse, quand sous l’action de la testostérone les centres du sexe situés sous l’hypothalamus du fœtus mâle vont se développer. Ainsi, ce que les femmes ne comprennent généralement pas sur la signification du sexe chez un homme, c’est que le cerveau de l’homme interprète l’absence de désir sexuel de la femme envers lui comme « Elle ne m’aime plus ». Alors que du côté féminin, le schéma est le même quand il s’agit de communication verbale. Quand l’homme cesse de parler ou de répondre à son affection, la femme pense qu’il lui en veut, qu’elle a fait quelque chose de mal ou qu’il ne l’aime plus. Elle s’affole, s’imagine qu’il va la quitter, voire qu’il a une maîtresse. Pour lacan il n’y a que l’amour qui puisse coupler pulsions et désir. Conclusion. Encore faudrait-­‐ il d’abord comprendre que notre première préoccupation est d’abord d’être aimé plutôt que d’aimer. Aimer est un exercice difficile qui se construit aussi dans la décision d’être avec l’autre et dans l’acceptation de ce qu’il est. L’homme et la femme comme nous venons de le montrer dans nos exposés ont des codes différents. Par exemple la sexualité de l’homme davantage pulsionnelle est essentiellement centrée sur la recherche du plaisir orgasmique alors que celle de la femme est plus un moyen d’être dans la relation, de la garder ou de la récupérer. Pour que la relation ait une chance de durer ne faudrait-­‐ il pas d’abord apprendre à décoder l’autre plutôt que de lui imposer notre propre code. 12 Ce que nous constatons dans la clinique du couple c’est que l’homme et la femme se cherchent d’abord généralement pour leurs différences, ils n’ont de cesse d’attendre par la suite que l’autre leur ressemble. Il n’y a pas d’école de l’amour, à chaque couple d’inventer la sienne. Le couple, qu’il soit hétéro, homo, paxé, marié, séparé ou avec famille recomposée reste malgré tout un remède à la solitude et il semblerait que nous n’avons encore rien inventé de mieux. Bibliographie : L’amour au temps de la solitude. Paul Verhaeghe. Editions DENOËL médiations, Paris , 2000 La sexualité des femmes n’est pas celle des magazines. Catherine Blanc. Pocket Evolution. Les secrets du cerveau féminin. Dr Louann Brizendine. Le livre de poche ; 2006 La sexualité des gens heureux. Pascal de Sutter. Edition des Arènes, Paris, 2009 La haine et le pardon. Julia Kristeva. Editions Fayard, Paris, 2005 13 

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