Monsieurs le président, mesdames et messieurs. Je vous remercie

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Monsieurs le président, mesdames et messieurs. Je vous remercie
Pierre Collignon, directeur de la division Molenbeel-Saint-Jean de la zone
de Police Bruxelles-Ouest
Monsieurs le président, mesdames et messieurs.
Je vous remercie de me donner la possibilité de présenter
une expérience bruxelloise concrète ansi que la avantages
pour la police d’une salle de consommation à moindre risque
en la matière.
Le travail de Police a ceci de particulier qu’il englobe sous le même képi des
tâches de répression (police judiciaire) ainsi que des missions de prévention
(article 14 de la loi sur la fonction de police –LFP-) ou d’assistance aux
personnes (article 46 LFP).
Concrètement pour la matière qui nous occupe cela veut dire que le même
attention doit être portée par la police au trafic de stupéfiants, infraction pénale,
à la prévention de la commission de ces infractions par des programmes de
sensibilisation par exemple ou à l’assistance aux usagers qui se mettent en
danger par leur consommation excessive.
C’est évidemment totalement schizophrénique et cela ne va pas sans provoquer
des difficultés importantes pour le policier qui se voit confronter à des
injonctions totalement contradictoires émanant des autorités judiciaires ou
administratives.
La police va par exemple assurer le maintien de l’ordre public dans des grands
festivals de musique où tout le monde sait que l’on peut s’y procurer de la
drogue comme une Jupiler mais les missions des services de police vont se
limiter à la prévention.
Parfois cela s’agence beaucoup mieux avec par exemple la loi du 24 février
1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes,
psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à
la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes (ouf). Il s’agit
de la loi mère réglant le trafic de stupéfiants. Elle a été modifiée en 2006 pour
permettre au Bourgmestre (autorité administrative) en cas de trafic avéré, et en
concertation avec le Procureur du Roi de fermer un lieu de vente ou de livraison
de stupéfiants pour une durée maximale de 6 mois.
Cette décision (radicale) ressort des compétences de l’autorité communale en
matière de tranquillité publique (article 135 Nouvelle Loi Communale) et
s’arque boute sur le travail préalable de police judiciaire. Pour une commune
comme Molenbeek-Saint-Jean cela représente depuis 2007 la prise de 99 arrêtés
de fermeture d’établissements pour trafic de stupéfiants.
C’est dans ce contexte complexe et intéressant que se place la scène de trafic et
de consommation de drogue au carrefour du Boulevard Léopold II et de la rue
de Ribaucourt à Molenbeek-Saint-Jean.
Le trafic de drogue à Molenbeek-Saint-Jean (et donc l’action policière) tourne
autour de trois axes :
-.Le trafic de drogues « dures ».
-.La vente de drogues « douces »1, au départ de « coffee-shops » ou vendus sur
la voie publique.
-.La culture industrielle ou domestique de cannabis en plantations (22
plantations de cannabis découvertes en 2014 tout de même dont 4 de plus de
1000 plants).
Pour cette présentation nous nous intéresserons principalement à ce premier axe.
I.SITUATION
1.Le trafic de drogues dures.
C’est un phénomène extrêmement présent dans la commune, principalement
autour du centre, le long du canal de Willebroek et plus précisément autour de
l’axe Léopold II –Ribaucourt.
On va y trouver de la vente de drogues dures (j’utilise le terme même si nous en
connaissons les limites) et de produits associés. Depuis les actions policières de
2012-2013 la scène s’est déplacée vers le centre de Molenbeek-Saint-Jean et la
station de Métro Comte de Flandre.
On pourrait trouver cela curieux car c’est juste à côté d’un commissariat de
police mais les usagers n’en ont que faire. Ils ont leurs habitudes avec les forces
de l’ordre, savent comment réagir avec eux et ne les craignent pas du tout.
2.Type d’environnement.
Nous sommes en milieu urbain, en bordure du centre de Bruxelles, dans des
quartiers en évolution (rénovation urbaine) qui ont vu durant tout le siècle passé
défiler les immigrations successives que la capitale a connu. La dernière
immigration qui s’y installe est celle des roms.
Le tissu urbain est serré avec peu d’espaces verts.
Le Boulevard Léopold II est un peu une exception, une grande artère avec au
carrefour une station de métro dont la ligne relie le sud et le nord de Bruxelles.
1
Cannabis et dérivés.
3.Type de consommations.
Il s’agit principalement d’héroïne. Cela peut être également de la méthadone ou
de la cocaïne plus marginalement. Ce sont généralement des consommations
associées avec des médicaments et/ou de l’alcool.
Les usagers sont fumeurs ou injecteurs.
4.Type de consommateurs.
Grâce aux actions effectuées dans le secteur on connait un peu le profil des
personnes fréquentant l’espace. La caractéristique principale c’est que l’on va en
trouver peu, à part … le type de consommation qui est commun. Les personnes
sont majoritairement des hommes, qui ont un long passé de consommation (3545ans). Ils n’ont pas de travail (quoique on a parfois des surprises …) et sont en
déficit de socialisation sédentaire.
Il y a quelques femmes (SDF, prostituées).
Les personnes sont représentatives de la population du quartier, plutôt des
marocains ou des personnes venant des pays de l’Est.
5.Type de partenaires externes.
L’environnement du carrefour Léopold II Ribaucourt est très particulier
puisqu’il est extrêmement diversifié.
On a d’une part le siège social de la plus grande banque de Belgique (KBC) qui
compte trois mille employés. D’autre part se trouve le bâtiment principal de la
communauté Wallonie-Bruxelles comptant un nombre comparable de
fonctionnaires. Il y a énormément de commerces, soit de quartier (snacks,
bouchers, fruitiers) soit de passage (superette express) en plus de trois
pharmacies.
Au milieu de tout cela, une station de métro (Ribaucourt) avec deux entrées et
une mezzanine en mi- hauteur en sous-sol.
Un local de gardiens de la paix et sa Brigade complète le tableau.
6.Criminalité connexe.
La criminalité pratiquée par les usagers fréquentant le carrefour n’est pas la
majorité des faits recensés dans le quartier par la police.
Il s’agit cependant d’une criminalité très visible puisque effectuée par des
délinquants de rue peu habiles et aisément repérables.
Il va s’agir principalement de vols à l’étalage ou avec effraction (dans les
véhicules). On pourra voir également des vols avec violence, principalement
dans les pharmacies visant à l’obtention de produits.
On va trouver enfin de manière chronique des faits extrêmement graves de
coups et blessures, de tentative de meurtre ou de meurtre. Ces évènements sont
le fait d’usagers qui se battent au couteau pour d’obscures histoires de deal pas
payé, de mauvais deal ou de produits trafiqués.
II.REPONSES
Les réponses données par la police locale à ce type de phénomène sont
classiquement :
1.Police judiciaire
Recherche et répression du trafic sur la voie publique avec interpellation des
dealers, consommateurs dealant pour leur propre consommation ou personnes en
séjour illégal.
Il est à noter que la police de Bruxelles-Ouest a fait de la lutte contre ce trafic
une priorité de son plan zonal de sécurité.
A noter que la police locale s’occupe du trafic local alors que l’on sait qu’en la
matière le trafic n’est jamais limité géographiquement aux communes ou aux
zones.
Les chiffres diffusés pour 2014 relatant l’action policière sont édifiants et
anecdotiques.
Sur la zone Ribaucourt qui nous intéresse quatre opérations spécifiques ont été
effectuées avec le contrôle de 37 personnes.
En 2014 67 kg de marijuana ont été saisis et 2kg d’héroïne. 105 PVs ont été
dressés et 78 personnes ont été mises à la disposition du Parquet de Bruxelles
(source : rapport annuel de la police de Bruxelles-Ouest.
Nous nous devons de pointer la totale inutilité de l’action répressive locale
relative à ce phénomène.
Un dealer arrêté est une aubaine pour celui qui le remplace. Un consommateur
arrêté ne stoppera sa consommation que le temps de sa privation de liberté.
On peut cependant constater un phénomène de déplacement qui peut avoir son
intérêt, même si il est compliqué à canaliser.
Paradoxalement, les policiers affectés à ces tâches ingrates puisque par essence
répétitive et pour lesquelles les réponses judicaires ne seront pas gratifiantes
(peu de mandats d’arrêts pour des enquêtes longues et fastidieuses (2304 heures
d’écoute téléphoniques pour 2014) sont souvent d’excellents fonctionnaires.
Motivés à la chasse, humains avec le gibier, ils n’ont cure de ces considérations
et effectuent le job avec sagacité. En interne la section « stups » est plutôt bien
cotée et on a aucune difficulté pour recruter des policiers pour en faire partie.
2.Police administrative
Nous l’avons vu plus haut, l’environnement de cette scène de toxicomanie est
très mixte. Le spectacle de ces personnes attendant leur dose avec force
« alcool » ou calmants n’est pas très sécurisant pour le quartier. Les travailleurs,
commerçants, habitants se plaignent auprès des autorités administratives de la
cohabitation peu ragoutante avec les personnes du site. Des commerçants qui
voient leur environnement sali par des gens se souciant peu de l’image qu’ils
peuvent donner, qui se piquent entre deux navetteurs, qui urinent sur les façades
ou qui se battent pour deux cachets de Rohypnol.
Des jeunes du quartier sont fâchés de l’image que les toxicomanes peuvent
donner de leur lieu de vie. Ils s’en prennent à eux, les agressent ou les violentent
parfois. Nous avons eu plusieurs affaires où certains jeunes veulent faire leur
« police », fâchés du manque de réaction des autorités.
-La police dans ce cas, en partenariat avec les gardiens de la paix, peut faire de
la présence dissuasive sur ce lieu. C’est une des options qui avait été retenue.
Tous les jours, pendant la tranche horaire la plus problématique, entre seize et
dix-huit heures, deux policiers stationnaient sur les quatre coins du carrefour en
proposant plus de paisibilité par leur présence rassurante : fini les bagarres et
moins d’incivilités pendant cette période; plus de deal non plus.
Ce modèle qui permet de restaurer l’ordre a cependant ses limites.
-Il ne peut être permanent.
-Il induit un phénomène de déplacement après quelques semaines vers d’autres
quartiers (qui commencent alors à se plaindre des mêmes maux).
-Il prévoit une présence policière mais pas d’action policière (si le policier
contrôle un usager il va quasi automatiquement devoir le ramener au
commissariat car celui-ci est souvent recherché. Nous sommes ici avec une
population qui répond rarement aux convocations).
-Jusqu’en 2012, en partenariat avec Transit, nous avons fait des actions de
contrôle des usagers et une proposition d’orientation vers les services psychosociaux.
IV.PERSPECTIVES
La police de Bruxelles-Ouest se rend compte de l’ampleur du phénomène et
constate son incapacité à l’éradiquer ou même à le freiner. Tout au plus
parvient-on avec les moyens classiques à en orienter certaines conséquences.
C’est insuffisant.
Depuis 2007, à l’initiative d’une habitante du quartier, conseillère communale,
la police participe à un groupe de travail qui a pour objectif de faire évoluer
positivement la situation sur le carrefour Léopold II / Ribaucourt 2.
L’originalité du groupe de travail « Ribaupôle » est qu’il prône une approche
intégrée prenant en compte les différents aspects de la problématique. L’accent
est mis sur le travail sur le carrefour, avec les toxicomanes, pour augmenter la
tranquillité des habitants et des commerçants, prenant en compte les notions de
sécurité et de santé publique.
V.La salle de consommation à moindre risque.
En 2011, voyant que nous ne pouvons qu’atténuer très légèrement les nuisances
liées au phénomène le groupe de travail « Ribaupôle » s’est intéressé à la SCMR
comme une alternative à la gestion des nuisances.
2
Le groupe de travail est composé de travailleurs sociaux, habitants, gardiens de la paix, policiers, tous acteurs à
différents titres sur l’endroit.
Avec l’autorité administrative nous avons visité l’expérience liégoise et pu
échanger avec nos collègues policiers.
Nous voyons dans ce type de réponse des avantages non négligeables pour la
police.
-La scène est confinée (à condition que la salle soit située dans un endroit
adéquat).
-La consommation est encadrée, elle ne se passe plus sur la voie publique.
Evidemment il ne faudrait pas (et c’est une crainte importante de l’autorité
administrative) que la SCMR soit un produit d’appel et qu’au lieu de limiter la
consommation en un lieu elle génère une augmentation du nombre d’usagers en
un lieu.
A cet égard avec l’autonomie des communes bruxelloises l’effet nimby joue à
plein (ce que l’on ne connaît pas à Liège). Même quand une commune est
d’accord pour imaginer les conditions de possibilité de l’ouverture d’un tel
espace, elle est très frileuse à passer pour la localité qui accueille les
toxicomanes.
L’expérience liégoise était très particulière et nous avions convenu en son temps
avec l’autorité administrative que ce n’était absolument pas adapté à ce que nous
attendions d’une SCMR.
Si en matière de police administrative les avantages sont nombreux en matière
de police judiciaire d’autres questions se posent et nous n’avons aucune maîtrise
dessus.
Les poursuites, l’opportunité des poursuites pénales est une compétence
exclusive du Procureur du Roi. Si ce dernier ne donne pas son aval pour une
expérience de ce type rien ne peut se faire.
Nous n’avons pas la moindre idée de ce que serait la position du Parquet de
Bruxelles si une telle proposition venait sur la table.
La question est éminemment sensible et nous constatons pour travailler dedans
depuis plusieurs années que la rationalité ou les éléments objectifs ont peu de
poids face aux croyances et préjugés en la matière.
Je vous remercie,
Pierre Collignon,
Directeur de la division Molenbeek-Saint-Jean de la zone de Police Bruxelles-Ouest
28 avril 2015 dans le cadre de la 3ième rencontre sur les salles de consommation à moindre
risque / Regards croisés en Région de Bruxelles-Capitale

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