Bibliographie Critique : Les diasporas : miroir des États

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Bibliographie Critique : Les diasporas : miroir des États-Nations à l’heure
de la globalisation
W. Berthomière
Population-F / Volume 61 / Issue 04 / September 2006, pp 585 - 605
DOI: 10.4074/S0032466306004082, Published online: 18 February 2010
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W. Berthomière (2006). Population-F, 61, pp 585-605 doi:10.4074/S0032466306004082
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BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
Coordonnée par W. BERTHOMIÈRE
Équipe Migrinter (UMR MITI 6588 CNRS) — MSHS Poitiers
Les diasporas : miroir des États-Nations
à l’heure de la globalisation
Responsable de la rubrique Kamel KATEB
avec le concours de Dominique DIGUET
du service de la Documentation de l’Ined
Gabriel SHEFFER, Diaspora politics. At home abroad, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 290 p.
Plus qu’une simple discussion argumentée de la notion de diaspora, c’est un
véritable plaidoyer « en faveur » des populations transnationales que nous livre
Gabriel Sheffer dans ce nouveau livre, publié en anglais il y a maintenant trois ans.
Il s’agit là pour lui d’un retour sur un thème abordé 20 ans auparavant dans un
ouvrage sur les diasporas modernes où, déjà, il proposait une grille de critères permettant d’identifier le phénomène diasporique. Cet ouvrage précédent a depuis
longtemps positionné son auteur comme tenant d’un modèle ouvert et large de
diaspora.
Son entreprise actuelle vise plus particulièrement l’impact des transformations des relations internationales sur les « diasporas ethno-nationales ». De fait, il
s’inscrit pleinement dans ces réflexions qui, depuis la fin des années 1980, cherchent à analyser les « nouveaux » phénomènes de mondialisation : « les processus
simultanés de globalisation et localisation, la régionalisation, l’affaiblissement du
nationalisme, de l’État et de l’État-Nation, l’accroissement des migrations internationales, des cycles migratoires et du rôle de la religion et du fondamentalisme
dans la pérennisation et le nouvel essor des minorités ethniques et des diasporas ».
Pour étayer la validité de son concept de diaspora, l’auteur s’appuie non
seulement sur des études empiriques personnelles mais aussi sur de nombreux cas,
descriptions et observations et propose une synthèse qui permet de démontrer un
certain nombre de points. Les diasporas ethno-nationales existent depuis fort longtemps et paraissent devoir durer. Un aspect essentiel est la permanence des luttes
politiques mais aussi culturelles, économiques et sociales que ces groupes ethniques doivent mener pour conserver leur identité et leurs contacts avec le pays
d’origine. Ces identités peuvent quant à elles se transformer sans toutefois changer
de « nature ». Enfin, ces groupes survivent malgré l’hostilité des pays hôtes et
parfois des pays d’origine.
De fait cette synthèse se veut également une nouvelle tentative de clarification du concept. Elle était probablement « attendue » dans le domaine des études
sur les populations migrantes tant elle ressemble à un positionnement d’école dans
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ce débat scientifique et à une participation au droit de définir le champ d’études
délimité par le concept de diaspora, répondant en cela à d’autres tentatives plus ou
moins récentes (voir par exemple Cohen et Robin, Global Diasporas. An Introduction . Seattle, University of Washington Press, 1997 ; Van Hear et Nicholas, New
Diasporas. The Mass Exodus, Dispersal and Regrouping of Migrant Communities .
Seattle, University of Washington Press, 1998 ; etc.)
Fidèle à sa démarche, l’auteur commence par définir la diaspora en énumérant les conditions requises pour mériter cette qualification : 1) une diaspora
ethno-nationale est une formation socio-politique issue de l’émigration volontaire
ou forcée ; 2) ses membres partagent un sentiment d’appartenance à un même
groupe d’origine et résident dans un ou plusieurs pays d’accueil ; 3) ils conservent
des contacts sporadiques ou réguliers avec le pays d’origine et avec d’autres membres résidant dans d’autres pays d’accueil ; 4) elle est basée sur une somme de
décisions d’installation permanente dans les pays d’accueil mais demande l’existence et la revendication d’une identité commune, la solidarité envers les autres
membres et l’implication dans les sphères politiques, sociales, culturelles et
économiques ; 5) de plus les « diasporains » sont enserrés dans des réseaux transétatiques impliquant leurs pays d’origine et d’accueil ainsi que des acteurs internationaux. G. Sheffer précise également que le qualificatif ethno-national accolé à
diaspora sert à la distinguer d’un usage plus courant qui couvre aussi les groupes
transnationaux aux identités déterritorialisées sans loyauté envers un pays d’origine (pp. 9-10). En ce sens, la définition retenue est assez proche de celle donnée
par R. Cohen.
Dans la deuxième partie de son livre, G. Sheffer brosse un rapide tableau historique du phénomène diasporique tant pour en rappeler l’ancienneté que pour analyser par la suite les spécificités à la fois des diasporas modernes et des diasporas en
gestation. C’est contre l’idée de la diaspora vue comme phénomène moderne né des
révolutions nationales européennes et des opportunités économiques supérieures
dans les pays d’accueil que l’auteur fait remonter l’origine du phénomène aux
temps préhistoriques. Malgré la faiblesse de ses sources historiques (Bible, testaments et autres légendes) on le suit sans peine lorsqu’il conclut que les migrants
(qu’il qualifie d’ethniques ?) quittent leurs terres d’origine non seulement pour des
raisons économiques ou de persécution, mais aussi sous des contraintes et des
« processus politiques d’ordres domestiques, régionaux et internationaux ».
Cherchant à dépasser la catégorisation trop fonctionnelle et statique de
Cohen (diasporas de prolétaires, d’empire, de commerce ou d’intermédiaires)
(p. 47), il en propose une autre dans la partie 3 où, comme Cohen, il cherche à
relier définition et catégorisation.
Ainsi, selon lui, si les diasporas historiques conservent leurs caractéristiques,
les diasporas contemporaines en ont acquises d’autres, développées à partir des
nouvelles conditions politiques. Après avoir écarté quatre types de formations
transnationales non ethniques, qui ne mériteraient pas l’appellation de diaspora
(« religions mondialisées, dispersions politico-idéologiques, communautés linguistiques transnationales et culture jeune mondialisée ») il propose donc de distinguer
les diasporas suivant deux critères : leur ancienneté (historiques, récentes ou en formation) et le type de mère patrie ou de lieu d’origine (liés ou pas à un État-Nation).
Peaufinant le profil des diasporas contemporaines, il souligne le fait que les
migrants ont des décisions tactiques à prendre pour aboutir au choix entre l’assimilation et le fonctionnement en diaspora, et l’on aurait aimé un éclairage plus important – empirique – sur ces stratégies tant ce point nous paraît être crucial. Non
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seulement la décision de maintenir un lien avec la culture d’origine doit être prise
mais encore faut-il également organiser, créer des organisations « de préservation »
pour faire fonctionner une diaspora. On est en droit d’en déduire que c’est une véritable résistance à l’assimilation que la diaspora doit organiser plus que la notion
beaucoup plus vague « d’attachement » à la mère patrie ou lieu d’origine (pp. 7880). Là aussi nous aurions aimé voir plus précisément décrits les institutions et les
instruments d’une telle résistance qui doit, nous dit-on, s’opérer sur le temps long,
résister au passage des générations, relever les défis de l’éducation, etc.
Pourtant, l’on sent au fil du texte que G. Sheffer n’est pas à l’aise avec ce
thème, sur lequel il revient en commentant les « facteurs qualitatifs influençant le
phénomène diasporique ». Le « désir psychologique et la détermination » des
migrants (p. 90) à maintenir leur identité dans le pays d’accueil mériteraient une
analyse plus approfondie, tant on sait qu’existent également un désir et une détermination inverses chez d’autres migrants non « diasporains », pour qui l’adoption
de la langue et de la culture du pays d’accueil représente une stratégie certainement mieux connue et analysée par les sciences sociales. Une des pistes pour comprendre ce « besoin » identitaire pourrait d’ailleurs être les changements qu’il
mentionne dans les politiques nationales d’intégration des pays d’accueil décrites
comme plus tolérantes envers les diasporas contemporaines. Certains gouvernements de droite libérale ont adopté depuis fort longtemps un mode de gestion communautaire de l’intégration bien moins demandeur en prestations de l’État
Providence que ne le sont les politiques dispendieuses d’assimilation. De nombreuses autres pistes pour analyser ce « besoin » identitaire ont été explorées (rôle
des appareils religieux et de leurs clercs, importance des nouvelles petites bourgeoisies d’encadrement culturel, social etc., entreprenariat ethnique, rôles des
États-Nations eux-mêmes dans la création de communautés ethniques – eg. les
latinos aux États-Unis,…) et mériteraient un développement plus important dans la
synthèse que nous propose G. Sheffer. En résumé, les nouvelles diasporas sont
plus nombreuses et se multiplient rapidement comme conséquence de la révolution
des transports et des communications, et de la plus grande tolérance des pays
riches. Enfin les parcours migratoires sont devenus plus complexes.
Malgré la difficulté de la tâche, soulignée par l’auteur, G. Sheffer propose une
estimation chiffrée aussi bien documentée que possible, sous la forme de trois
tableaux reprenant sa distinction entre les diasporas historiques, les diasporas
modernes et celles en formation. Il en conclut qu’il reste bien peu d’États homogènes.
Après avoir rappelé que les spécialistes de l’étude des diasporas sont désormais unanimes sur le fait que contrairement à l’idée selon laquelle les diasporas
avaient toujours été des communautés d’exilés, elles sont le résultat tant de migrations forcées que de migrations choisies, il estime qu’il faut dépasser les explications traditionnelles de constitution des diasporas selon la distinction : facteurs
d’attraction/facteurs répulsifs. Pour dépasser ces explications, il propose un
modèle alternatif distinguant des études mettant en lumière : 1) l’impact de la globalisation (davantage de liberté et de porosité) ; 2) le système migratoire comme
réseau de pays liés par des relations ; 3) le rôle des disparités entre les pays – sorte
de modèle attraction-répulsion revisité ; 4) la transformation des conditions générales d’accueil dans les pays hôtes.
En cohérence avec son modèle explicatif, il présente le migrant des nouvelles
diasporas comme un acteur largement autonome et libre de ses choix (p. 127) et
s’insurge donc contre la « vue systémique » du migrant comme pion manipulé des
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États. Ainsi, peut-il distinguer des phases dans le développement des diasporas :
une première phase pendant laquelle le groupe décide de s’établir de manière
permanente, profitant de différents atouts, dont ceux des enclaves ethniques, une
seconde au cours de laquelle le groupe se pose des questions sur son identité et la
solidarité et doit décider de ce que l’on en fait et enfin, c’est une troisième phase au
cours de laquelle les leaders établissent des organisations.
G. Sheffer opère également une distinction importante entre les diasporas
liées à un État et les communautés diasporiques sans État. Dans ces dernières,
communautés de migrants le plus souvent exilés – eg : les Palestiniens, Sikhs,
Kurdes, etc., – les membres sont entièrement mobilisés autour de la cause de la
refondation d’un État souverain. Les échanges sont alors illégaux et/ou guerriers et
n’ont d’autre finalité que l’instauration d’un État souverain. Un bel exemple de ce
phénomène est fourni par l’éclatement de l’ex-URSS et l’apparition des nouvelles
républiques, qui a eu pour effet de changer les priorités et les orientations politiques des membres des diasporas. Moins tournés vers les affaires de leur pays d’origine, ils se réinvestissent dans leur pays d’accueil.
Dans le cas des migrants transnationaux liés à un État, G. Sheffer décrit les
différentes stratégies qui s’offrent à eux. Citant de nombreux exemples, il distingue
les stratégies d’assimilation, d’intégration, de corporatisme, de séparatisme et
d’autonomie.
Sa septième partie porte sur le travail politique, économique et culturel des
diasporas. À la décharge des diasporas, selon lui trop souvent présentées sous des
aspects négatifs, il met en avant le rôle de passeurs de ces organisations.
On a du mal à suivre l’optimisme de l’auteur dans sa huitième partie, qui
brosse le tableau d’un monde plus démocratique, moins va-t-en guerre et dans
lequel de « petites guerres ethniques » sont désormais cantonnées au niveau régional. On comprendra qu’il s’agit d’évaluer le rôle des migrants ethniques transnationaux dans la paix en général et plus particulièrement dans la stabilité régionale. Le
problème des loyautés conflictuelles (loyauté envers le pays d’accueil versus rôle
soupçonné de cheval de Troie) est évalué et cette analyse a le mérite de le soulever.
Toutefois, plus qu’à une analyse scientifique, G. Sheffer procède par description
souvent moralisante, faisant disparaître les acteurs en réifiant la notion de diaspora.
« En résumé, bien que les diasporas soient sporadiquement impliquées dans quelques conflits et confrontations, ce n’est pas inscrit dans leur nature », et de supposer
que leurs participations à ces conflits seraient moindres si le multiculturalisme était
mieux accepté, ce qui nous permettrait de réaliser qu’elles sont tout à fait capables
de s’installer comme des minorités paisibles… (p. 218).
Cet ouvrage présente l’intérêt majeur de s’attaquer au thème de la diaspora
en s’appuyant sur une bibliographie solide, une définition claire, des critères de
différenciation bien élaborés, le tout bien illustré par de nombreux exemples et
études de cas. En ce sens, l’auteur participe pleinement au débat sur l’utilisation
de la notion de diaspora et compte peser sur sa définition. Le livre apporte indéniablement de nombreux éclaircissements à qui chercherait une introduction aux
recherches sur les diasporas, même si, parfois, à trop embrasser la notion devient
synonyme de communauté ethnique ou nationale à l’étranger (Noirs-Américains
ou Latinos aux États-Unis pris comme un ensemble).
L’établissement de distinctions entre diasporas issues d’un État et diasporas
sans État d’origine est particulièrement fécond et permet à l’auteur de montrer clairement les stratégies des diasporas sans État visant à réunir les capitaux politiques,
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diplomatiques, matériels, économiques, humains etc. pour poursuivre des buts,
luttes et stratégies en rapport avec leur pays d’origine. En revanche, on regrettera
que ce type d’analyse en termes de stratégies, de pourquoi et de comment n’ait pas
été mené de manière aussi soigneuse pour les diasporas issues d’État, comme si le
libre arbitre et les explications psychologisantes étaient dans ce cas suffisantes et
que point besoin n’était de chercher stratégies, intérêts des acteurs… Pourtant, de
nombreuses pistes ont été lancées : l’auteur parle de décisions tactiques entre assimilation et fonctionnement en diaspora ; il aborde le thème du développement d’une
résistance à l’assimilation sans répondre aux questions : Qui ? Avec quels
instruments ? Au bénéfice de qui ? et balaie d’un revers de plume le migrant comme
« pion manipulé des États et/ou autres organisations » ; le rôle des religions dans la
permanence de l’affiliation est évoqué sans que l’on n’en étudie les acteurs ni les
appareils ; enfin, il note sans plus d’explication qu’il est fréquent pour des individus
ou même des groupes de sortir de la diaspora pour être assimilés dans la société
d’accueil mais qu’il est inversement quasiment impossible pour les membres de la
société d’accueil de s’intégrer à de telles communautés.
Les raisons de l’abandon de l’analyse de ces pistes sont sans doute à trouver
dans le lyrisme post-historique de l’auteur, qui voit dans les diasporas ethnonationales les précurseurs de « systèmes politiques et sociaux trans-étatiques
postmodernes » (p. 245).
Dominique MATHIEU
Michel BRUNEAU, Diasporas et espaces transnationaux, Paris, Anthropos Economica,
2004, 249 p.
L’ouvrage de Michel Bruneau s’inscrit dans un ensemble de publications en
langue française qui vise à synthétiser et à conceptualiser les recherches empiriques qui ont été réalisées au fil des quinze dernières années. Au cours de cette
période, le thème des diasporas a pris une place de choix au sein des sciences
sociales notamment avec l’importante production anglo-saxonne issue de programmes de recherche comme Transnational Communities (financé par l’ ESRC britannique). Ainsi dans la lignée des travaux précurseurs de Gabriel Sheffer, William
Safran, Robin Cohen, Georges Prévélakis, Kachig Tölölyan ou plus récemment
Steven Vertovec, Michel Bruneau a choisi de livrer un ouvrage transversal sur le
thème en privilégiant un point de vue disciplinaire, celui de la géographie.
Pour mener à bien cette synthèse, l’auteur a choisi – comme a pu le faire
Stéphane Dufoix dans un récent ouvrage sur le même thème (1) – de concentrer sa
réflexion sur la question de la définition de la notion même de diaspora puis de
décliner les concepts et thématiques qui composent la « nébuleuse » de recherches
offerte par cette notion.
L’ouvrage s’organise en un ensemble de sept chapitres qui ont pour fil
conducteur la dispersion, événement fondateur des diasporas. De proche en
proche, la dispersion mène Michel Bruneau de la question d’une nécessaire définition du phénomène observé à celles de l’appartenance et de la mémoire puis à celle
des réseaux en intégrant la dispersion comme ressource « spatiale » (comme un
capital social). Dans ces deux derniers chapitres, l’auteur termine la boucle de sa
réflexion. Il revient sur le premier chapitre conceptuel pour introduire une perspective chronologique avec l’évocation de l’émergence de la problématique transna(1)
Stéphane Dufoix, 2003, Les Diasporas , Paris : PUF (Que sais-je ?).
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tionaliste. Puis, inscrivant sa réflexion dans une problématique urbaine, il
réinvestit la question de l’appartenance – ouverte au cours du second chapitre – en
développant une approche spatialisée des objets de recherche que sont les minorités et l’ethnicité.
L’économie générale de l’ouvrage permet au public non familier du thème
de prendre connaissance d’une notion qui par bien des aspects reste avant tout
descriptive. Comme le souligne l’auteur après avoir pris le temps d’un travail de
définition approfondi, le phénomène diasporique s’offre à la recherche comme une
« notion encore incertaine ». Néanmoins, en prenant appui sur l’histoire ancienne
du mot par sa connaissance des mondes juif et grec, Michel Bruneau dresse le
parcours du mot diaspora et surtout de son sens. Il montre que cette notion judéocentrée connaît un glissement sémantique avec son inscription dans le matériau
théorique des sciences sociales et que son utilisation connaît des difficultés progressives en raison de son « succès » à la fin des années 80. Indiquant un risque de
perte de sens du fait d’une sur-utilisation du terme comme synonyme de dispersion
et d’émigration massive, l’auteur souligne néanmoins avec justesse l’enrichissement du débat autour des diasporas avec le tournant post-moderne. Prenant appui
sur les travaux de Christine Chivallon sur la diaspora noire, il souligne le rôle des
cultural studies dans la plus-value théorique que connaît le débat scientifique
– resté jusqu’alors dans une enceinte historiciste et descriptive – par l’introduction
d’une lecture fluide des identités éloignant ainsi le débat d’une tendance à l’essentialisation des groupes dits diasporiques. Couplée à l’exposé des éléments de
problématique que suggère la question des diasporas lorsqu’elle est pensée comme
miroir des changements que connaissent les États-Nations dans le contexte de
globalisation, l’analyse de Michel Bruneau permet au lecteur de mieux saisir la
diversité des lieux d’inscription de la notion de diaspora dans les problématiques
structurant les disciplines comme la sociologie, les sciences politiques et bien sûr
en géographie. Par cette notion, l’auteur parcourt l’ensemble des questionnements
qui font sens aujourd’hui dans la recherche sur le couple migration-identité.
Parmi les approches développées sur ce binôme, l’auteur a pris soin de
consacrer un chapitre entier à la question des liens sociaux, déclinés aux échelles
familiale, communautaire et religieuse. À travers des exemples empruntés aux cas
grec et libanais, l’auteur souligne la rationalisation des liens sociaux inhérente aux
groupes diasporiques, la famille apparaissant alors comme la matière première des
pratiques permettant de faire de la dispersion spatiale une ressource sociale. Les
comportements matrimoniaux sous-jacents, caractérisés notamment par l’endogamie, sont également évoqués. « Réinventer le village » par l’achat d’un terrain et
la construction d’un foyer grâce à l’aide de prêts « communautaires » est aussi l’une
des facettes – bien souvent laissées dans l’ombre – des liens forgeant l’appartenance
au groupe que cet ouvrage souligne. Poursuivant son analyse des liens, Michel
Bruneau, en rappelant que l’existence de l’État-Nation est une forme d’organisation
sociale récente en Occident, aborde la question du lien communautaire comme catalyseur de la pérennité des groupes en diaspora. Par des exemples variés, l’auteur
dévoile le rôle du religieux et plus encore des églises comme le vecteur d’un renforcement du sentiment religieux et national qui vise à la cohésion sociale du groupe au
fil des générations. L’exemple des Grecs pontiques est en cela l’occasion pour
Michel Bruneau de travailler autour de la notion d’iconographie, dans la lignée de
Jean Gottman qui voyait en elle « le nœud gordien de la communauté nationale ».
L’apport scientifique majeur de cet ouvrage réside dans sa volonté affirmée
de démêler le nœud conceptuel des diasporas en déjouant le « tout diaspora »,
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promu par les médias et les diasporas elles-mêmes, par le recours systématique à
la diversité de la production scientifique et à la mise en écho des argumentations
qui y sont développées. Ainsi les exemples arménien, chinois, indien, antillais,
libanais, palestinien mais aussi tsigane replacés dans différents contextes géographiques et politiques permettent à l’auteur d’édifier un chemin de contention
resserrant l’étau conceptuel sur les diasporas. Michel Bruneau parvient donc, à
travers la pluralité des groupes étudiés, à esquisser les contours de la notion de
diaspora. Certes l’auteur peine à saisir le concept, comme nous tous, même si l’argument d’une spécificité diasporique qui résiderait dans la capacité des groupes à
se penser dans un territoire imaginé, fantasmé, retient nécessairement l’attention.
Par ses efforts pour parvenir à « verbaliser » l’expérience diasporique, l’auteur
parvient à tracer une ligne de démarcation entre espaces de diasporas et espaces
transnationaux, freinant ainsi la synonymie croissante des deux notions. Notons
que par cet exercice, Michel Bruneau tire de l’expérience transnationale – telle
qu’elle a été formulée dans la production nord-américaine – des caractéristiques
décrites sous le terme de champ migratoire international par Gildas Simon à la fin
des années soixante-dix.
En termes conceptuels, l’apport réflexif de cet ouvrage est double : primo ,
grâce à la richesse des regards portés sur l’histoire des civilisations, il nous
convainc de la surenchère théorique des travaux sur le transnationalisme ; secundo ,
il soulève la question du biais heuristique des travaux récents sur le thème. Les
analyses des phénomènes de dispersion, des rapports au territoire et des relations
sociales en dispersion ou en exil ont-elles des finalités théoriques si différentes de
celles suggérées par Thucydide ou Gerasimos Vlakhos cités en introduction ? Sans
vouloir caricaturer le propos, à la lecture de l’ouvrage, la question de l’apport
théorique des recherches sur la notion de diaspora reste posée. Comme le soulignait Alessandro Monsutti dans un récent ouvrage à propos de la recherche sur le
thème en anthropologie, il convient pour poursuivre la réflexion théorique engagée
par de nombreux auteurs, comme ici Michel Bruneau, de savoir si nous parlons de
« l’objet d’étude ou du regard ».
William BERTHOMIÈRE
Lisa ANTEBY-YEMENI, William BERTHOMIÈRE et Gabriel SHEFFER, Les diasporas :
2000 ans d’histoire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, 497 p.
Cet ouvrage collectif a pour ambition d’éclairer la notion de diaspora ; toutes
formes de migration ou de dispersion géographique d’une population gardant un
sentiment d’appartenance à une même origine constituent-elles une diaspora ? Les
contributions révèlent une réflexion approfondie sur la possibilité de couvrir par
une seule notion une pluralité de réalités humaines : des Juifs, des Grecs, des
Arméniens jusqu’aux Afro-Américains ? Les auteurs, par une démarche pluridisciplinaire, ont engagé une réflexion critique, méthodologique et théorique sur les
diasporas, leur évolution, les différentes formes qu’elles ont prises et sur leur
développement récent. Ils expriment leur volonté d’aboutir à forger un concept
relevant véritablement d’une théorie sociale explicative ( p. 15). Pour assurer sa
valeur opératoire, ils proposent de limiter son utilisation aux populations dispersées
qui maintiennent des liens objectifs ou symboliques (p. 48) par delà les frontières.
Ils mettent en garde contre trois illusions, celle de l’essence, de la communauté et
de la continuité et propose de privilégier trois dimensions processuelles (identification, différenciation, historicité) pour dépasser les cadres d’analyse statiques
(S. Dufoix).
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BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
Autre question abordée : Comment concilier la liberté des citoyens de rester
fidèles à des références historiques, des cultures et des croyances particulières
avec la légitimité du principe de la citoyenneté, qui fonde un espace public unifié,
neutre et à vocation universelle (p. 24) ? Cette question, selon Schnapper, devrait
s’avérer féconde pour analyser l’organisation politique des États nationaux à
l’heure de la mondialisation et de l’affaiblissement relatif des États-Nations. Le
dépassement de « l’idéologie géographique » et le déclin relatif des États-Nations
auraient ainsi fait passer les diasporas de potentiel « ennemi de l’intérieur » sous
la « tyrannie du national » selon le terme de Noiriel à la célébration des doubles
cultures et du transnationalisme de la post-modernité. La fidélité (au pays d’origine, au groupe originel, à la culture, à une religion minoritaire) devait rester de
l’ordre du privé, tout en s’accompagnant d’un processus d’acculturation, toute
différence étant censée disparaître dans l’espace public. La perpétuation de la
culture diasporique dans un tel contexte nécessite la mise en place d’institutions
capables d’assurer la continuité des pratiques spécifiques des membres de la
diaspora (célébrations diverses, éducation, etc.), une capacité de mobiliser leurs
spécificités et l’imaginaire qui les sous-tend.
À partir des exemples arméniens (M. Hovanessian), grecs (M. Bruneau),
juifs (S. Weil, S. Della Pergola, etc.) et palestiniens (M. K. Doraï, S. Hanafi) les
auteurs montrent que si l’existence des diasporas relève souvent d’accidents de
l’histoire il reste à expliquer pourquoi le statut de diaspora est revendiqué à un
moment donné de leur histoire, ainsi que le champ social des pratiques et des
représentations mobilisées par les acteurs diasporiques.
Les quatrième et cinquième parties de l’ouvrage sont consacrées à l’étude
des phénomènes induits par l’existence de diasporas : exil, mémoire et retour. La
création de l’État d’Israël et l’indépendance de l’Arménie après l’écroulement de
l’URSS posent aux diasporas respectives des problèmes nouveaux. Le problème du
retour des réfugiés palestiniens, une diaspora naissante « fluide et dynamique »
(Doraï) a, semble-t-il, été une entrave à la conclusion d’un accord de paix israélopalestinien. W. Berthomière analyse l’émigration des Juifs d’URSS vers Israël, un
retour qui n’en était pas et qui finalement pour beaucoup a été un détour vers les
USA ou le Canada. Cette émigration a finalement renforcé aussi la diaspora juive à
l’extérieur du pays, qui l’avait organisée pour des raisons plus géopolitiques que
religieuses. Elle a aussi contribué à refaçonner les clivages politiques en y introduisant ou renforçant une dimension ethnique et en aiguisant les clivages sociaux
dans la société israélienne.
Enfin les auteurs soulèvent un grand nombre de questions : Israël par exemple
donnerait-il naissance à des diasporas sans mémoire de retour, mais s’appuyant sur
les expériences communes de la déterritorialisation, du transnationalisme et de la
globalisation ? Existerait-il des modèles diasporiques différents du modèle classique
(dispersion forcée, origine commune revendiquée, mythification historique etc.) ?
Les Israéliens d’origine éthiopienne ou les Afro-Américains s’intègrent-ils dans ces
nouveaux modèles (C. Chivallon) ? Peut-on utiliser le terme de diaspora pour
désigner les migrations turques (S. Tapia), algériennes (M. Peraldi), marocaines
(A. Tarrius), cambodgiennes (I. Simon-Barouh) ? La diversité de ces situations et
leur réalité sociologique peuvent-elle être couvertes par le concept de diaspora ?
Même s’il est fortement présent dans les différentes contributions, le rôle de
l’imaginaire et des représentations aurait mérité d’être repris et développé dans la
conclusion du livre.
Kamel KATEB
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BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
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Melvin EMBER, Carol R. EMBER and Ian SKOGGARD (dir), Encyclopedia of diasporas
– Immigrant and Refugee Cultures Around the World, New York, Kluwer
Academic/Plenum Publishers, 2004, 1 242 p.
Dans le domaine des sciences humaines, le concept de diaspora forme,
depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant, un champ de recherche à part
entière. S’appliquant à l’origine à la dispersion des Juifs dans le monde, le terme
de diaspora a connu maintes évolutions, et il est difficile aujourd’hui d’en donner
une définition qui puisse satisfaire le plus grand nombre. De la nécessité, selon
certains, de ne réserver ce terme qu’à des cas de figure bien particuliers, au « tout
diasporique », tous les points de vue se rencontrent et se confrontent parfois.
Vaste sujet donc, auquel trois anthropologues américains, Melvin Ember,
Carol R. Ember et Ian Skoggard, visiblement rôdés aux travaux de longue haleine
puisqu’ils ont déjà dirigé ensemble une Encyclopedia of World Cultures (2) , se sont
attaqués avec cette encyclopédie des diasporas. Pas moins de 120 auteurs, de
nationalités très variées (même si la moitié des contributions sont faites par des
auteurs de nationalité américaine (3)) ont collaboré à cet ouvrage, entièrement rédigé
en langue anglaise. Le but de cette encyclopédie est double : apporter d’une part
une meilleure compréhension générale du phénomène en offrant un large éventail
de cas, sur une période s’étalant de ces siècles derniers à nos jours, et ce dans un
but comparatif, tout en soulignant les particularités de chaque communauté.
Comme le rappellent les auteurs dans l’introduction, cet ouvrage est destiné à
un public extrêmement large : aux voyageurs curieux comme aux professeurs ou
aux instances publiques, elle peut servir de base de référence, mais elle peut également se révéler utile aux étudiants et aux chercheurs désirant effectuer des comparaisons entre les différentes diasporas ou se concentrer sur l’étude d’un cas. De
manière générale enfin, les références bibliographiques représentent un état des
lieux de nos connaissances concernant les diasporas dans le monde à l’heure
actuelle.
L’encyclopédie est composée de deux volumes, le premier s’intitulant Overviews and Topics , le second Communities , pour un total de 1 242 pages. On trouve
dans le premier volume la liste des contributeurs, la préface, qui explique notamment l’organisation de l’encyclopédie et des articles, le sommaire, un glossaire et
les deux premières parties de l’encyclopédie. La première partie ( Diaspora Overviews ) établit une vue d’ensemble des diasporas. Les articles décrivent ici des
populations qui ont fait l’expérience de migrations forcées ou volontaires. Sont
évoquées les raisons politiques, économiques et sociales pour lesquelles les
personnes ont quitté leur pays d’origine, ainsi que de brèves descriptions de leur
vie dans les pays d’accueil. La deuxième partie ( Topics ) est organisée en thèmes
par lesquels sont abordés, toujours avec l’exemple de cas particuliers, différents
aspects de la vie des personnes en diaspora (l’art, la politique et l’identité, les
villes et les types de diasporas).
La troisième partie ( Diaspora Communities ) constitue à elle seule le second
volume de cette encyclopédie, en plus d’un index par noms et par sujets d’une
(2) Melvin Ember, Carol R. Ember et Ian Skoggard (dir.), Encyclopedia of World Cultures,
Londres, MacMillan, 2002, 424 p.
(3) Les autres pays représentés sont les suivants : Afrique du Sud, Allemagne, Angleterre,
Australie, Canada, Chine, Corée, Fidji, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Indonésie, Israël,
Japon, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Philippines, Russie, Singapour et
Taïwan.
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soixantaine de pages. À noter : ce second volume ne dispose pas de sommaire, ce
qui rend la consultation fastidieuse si on ne dispose pas également du premier
volume. Les articles de cette troisième partie, très clairs et accessibles, dressent le
portrait de plus d’une soixantaine de communautés de par le monde, en décrivant
leur vie culturelle et sociale. La lecture est rendue agréable par le choix des titres
de chapitre courts et évocateurs, qui permettent au lecteur d’aller rapidement à
l’essentiel.
Pour faciliter la comparaison entre ces différentes études de cas, les auteurs
se sont efforcés de dresser un portrait de « leur » diaspora en respectant un certain
nombre de thèmes communs à tous les articles ( Alternative Names, Location,
History, Demography, Language, Culture and Community, Economic Activities,
Cultural Variation, Relationships to Host Country, Homeland and other Diasporic
Communities et Identity ). Ce système apporte effectivement un grand confort au
lecteur souhaitant avoir une vue d’ensemble d’un thème ou étudier de manière
comparative plusieurs cas. Cela donne toutefois à ces articles « à tiroir » un aspect
quelque peu clinique, dans lesquels chaque diaspora y est décortiquée de façon à
rentrer dans des petites cases. Les références situées à la fin de chaque article fournissent heureusement une base assez complète et récente pour les lecteurs désirant
approfondir leurs recherches.
Même si l’encyclopédie se concentre particulièrement sur six diasporas
« majeures » (les diasporas africaine, chinoise, italienne, juive, coréenne et d’Asie
du Sud), la grande variété des auteurs garantit la diversité des points de vue. C’est
l’une des forces de cette encyclopédie, qui apporte ainsi au lecteur une somme
considérable d’informations et un vaste panorama de ces peuples en diaspora. Toutefois, à l’heure où la pluridisciplinarité et les échanges de points de vue sont
encouragés, force est de constater que les anthropologues se sont ici taillés la part
du lion face aux autres chercheurs en sciences sociales.
Enfin, il est surprenant que l’on ne trouve pas dans cet ouvrage pourtant
entièrement axé sur le concept de diaspora une réflexion de fond sur celui-ci.
L’accumulation d’études de cas n’est pas appuyée par une réflexion transversale
sur ce que l’on entend par l’emploi du mot « diaspora » et ne reste qu’une – certes
vaste – somme d’articles sur le sujet.
Camille RATIA
James COHEN, Spanglish America. Les enjeux de la latinisation des États-Unis, Paris,
Éditions du Félin, 2005, 256 p.
Avec Spanglish America , James Cohen s’inscrit dans le débat particulièrement vif actuellement aux États-Unis sur les significations et les enjeux de la
croissance de la population hispanophone aux États-Unis, et de la « latinisation »
qui lui est associée, définie par l’auteur comme « une transformation graduelle,
multiforme, mais en profondeur, de l’espace social, culturel, politique du pays »
(p. 28). Pour l’auteur, citoyen américain et professeur de sciences politiques en
France, la latinisation des États-Unis est « non seulement un objet de recherche,
mais aussi un objet de fascination et un objet qui [l’] engage » (p. 22), et cet engagement se traduit dès l’introduction par une prise de position vigoureuse contre les
thèses de Samuel Huntington dramatisant la menace que la latinisation des ÉtatsUnis ferait courir à la culture anglophone. Dénonçant les lectures simplistes du
phénomène, James Cohen se propose d’en mettre en lumière les véritables enjeux,
qui dépassent de beaucoup les questions linguistiques et culturelles. La thèse du
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livre est en effet que la « latinisation » offre l’occasion de clarifier les notions
complexes d’identités ethniques, de multiculturalisme, de transnationalisme, interprétées de manière contradictoire dans le débat public aux États-Unis, et pourrait
finalement être porteuse d’un nouveau « modèle de citoyenneté » (p. 18). L’auteur
précise également qu’il s’agit pour lui d’un sujet de recherche relativement neuf,
non encore accompagné d’une investigation de terrain. Visant à « mettre à plat » la
matière requise par cette recherche en construction, ce travail s’appuie sur une
grande variété des sources d’information : ouvrages de synthèse sur les grands
thèmes abordés, articles portant sur des aspects plus particuliers, culturels et politiques notamment, de la latinisation, statistiques électorales et censitaires, articles
de presse, œuvres littéraires, observations personnelles sur le traitement médiatique de la latinisation, etc.
Dans le premier chapitre de cette « exploration de la latinisation des ÉtatsUnis » (p. 24), l’auteur contredit l’idée d’un processus démographique et sociologique univoque et prévisible. L’étude des profils socio-professionnels, des comportements politiques et religieux, des sentiments d’appartenances « raciales », ou encore
de l’inégale maîtrise de l’espagnol, révèle la très grande diversité des 39 millions de
Latino-Américains. Dénonçant l’incohérence du « modèle américain d’intégration »
(p. 52), l’auteur pose la question centrale de son ouvrage : la « multiculturalité
objective » induite par la présence croissante des Latino-Américains dans le paysage
culturel, social et politique des États-Unis peut-elle contribuer à renouveler et à
rendre plus cohérents des imaginaires et des politiques qui, jusqu’à présent, participent d’un « multiculturalisme éclaté », selon la formule de Michel Wieviorka que
James Cohen reprend à son compte ?
L’auteur dresse ensuite une typologie de cinq « visions politiques divergentes
de la latinisation » renvoyant à autant de définitions du multiculturalisme, entre une
conception ethnique et excluante, et une « réhabilitation d’un modèle civique de
citoyenneté » (p. 65) (chapitre 2). James Cohen affirme son intérêt pour le
« paradigme critique émergent » qui pense la société américaine comme une sorte de
zone « frontière » caractérisée par des processus de métissages et d’hybridations.
Le chapitre 3 est consacré au spanglish , « mélange, dans des conditions
presque toujours inattendues et cocasses, des langues anglaise et espagnole »
(p. 15), enjeu linguistique mais aussi et surtout politique, qui fondamentalement
renvoie à la conception de la nation. Du Bilingual Education Act de 1968 aux campagnes English Only aboutissant à la fermeture monolingue actuelle, l’histoire du
spanglish est celle d’un véritable conflit linguistique. Là encore James Cohen
prend clairement position pour une renaissance des politiques d’éducation bilingue
en invoquant une série d’arguments qui dépassent la simple question de l’égalité
des chances de réussite scolaire pour des élèves hispanophones.
Le chapitre 4 analyse l’histoire de l’insertion du « pouvoir latino » (p. 103)
dans la sphère politique des États-Unis. Après des périodes de lutte, on assiste
actuellement à une augmentation constante de la représentation politique latinoaméricaine, et à une diversification interne des comportements politiques avec
notamment l’émergence d’un courant conservateur « champion des valeurs
familiales » (p. 125) sur lequel s’appuient de plus en plus les Républicains. Enfin,
à partir des analyses de Mike Davis sur la renaissance syndicale latino-américaine
en Californie, James Cohen dresse un panorama des points de vue d’intellectuels
latino-américains sur les rapports entre mouvements sociaux et politiques, et
conclut le chapitre en critiquant le « messianisme mouvementiste de certains
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courants d’analyse » (p. 144) qui restent trop focalisés sur l’action syndicale ou
associative à l’échelle locale, et sur l’exemple presque exclusif de Los Angeles.
Les chapitres 5 à 7, sous-ensemble relativement autonome, traitent le cas particulier des « Latinos de la Caraïbe hispanophone » (p. 145). A travers cet exemple,
James Cohen cherche à prouver qu’il n’y a pas de contradiction entre la mise en
œuvre de réseaux diasporiques et l’intégration à la société et à la vie politique aux
États-Unis. On peut regretter la faiblesse de l’articulation entre cette étude de cas et
la présentation générale de la latinisation que le livre se propose de faire, car ce qui
est vrai des populations d’origine caribéenne vivant à New-York ne l’est pas forcément des Mexicains du Sud-Ouest ou des Cubains de Floride. L’auteur reconnaît
d’ailleurs dès l’introduction que « (s)es origines dans le nord-est des États-Unis
conditionnent (s)on traitement du sujet » (p. 23). Dans le chapitre 5, à partir des
travaux de Robin Cohen et de Linda Basch, James Cohen identifie une « originalité
proprement caribéenne » dans la participation culturelle et politique à la vie publique des États-Unis, fondée sur « une prédisposition historique exceptionnelle, chez
les migrants caribéens, à l’hybridation des identités et à la transnationalisation des
horizons de vie » (p. 159). L’exemple des artistes portoricains du barrio de NewYork illustre ainsi une « démarche consciente de métissage » (p. 152) avec notamment l’émergence d’un spanglish poétique dans les années 60. C’est donc bien « la
société états-unienne (qui) semble encourager, plus que d’autres, des processus
d’intégration fondés sur un certain « communautarisme » » (p. 161), en raison
notamment d’un modèle socio-économique en vigueur qui offre un faible cadre
d’intégration sociale et oblige à un repli sur les ressources communautaires. Les
chapitres 6 et 7 sont consacrés à la République Dominicaine, Cuba et Porto Rico,
pays d’émigration vers les États-Unis, pour lesquels James Cohen propose d’identifier « les origines et la diffusion du nationalisme », en reprenant le sous-titre de
L’imaginaire national , ouvrage de Bénédict Anderson qui constitue la principale
référence théorique de ces chapitres. L’histoire de la construction et de l’évolution
des identités nationales pour chacun de ces trois pays révèle un rapport
« polymorphe et cacophonique » (p. 186) à la nation, et une « extraordinaire plasticité des discours sur l’identité, la nation, la culture » (p. 186), notamment à Porto
Rico caractérisé par son statut hybride d’État Libre Associé. Cette plasticité est
notamment liée à une active et nombreuse diaspora aux États-Unis, qui met en œuvre
des formes originales de transnationalisme et renouvelle les identités nationales.
La conclusion générale précise l’intérêt du « détour » apparent par ces trois
pays caribéens pour éclairer le questionnement central du livre : comment « la
présence de plus en plus visible des Latinos dans la vie publique aux États-Unis
pourrait, au conditionnel, remettre en question les conceptions dominantes de la
citoyenneté et de l’appartenance à la collectivité nationale » (p. 199). James Cohen
réaffirme d’abord la pertinence du paradigme qui pense la rencontre entre les
Latino-Américains et la société américaine comme une expérience « frontalière »
de métissage et d’hybridité culturelle, à l’opposé de conceptions primordialistes et
réifiantes des identités ethnoraciales et culturelles. Dans ce cadre la dimension
transnationale de l’expérience migratoire implique un examen critique de l’ÉtatNation, et interdit de considérer les Latinos comme des étrangers devant s’assimiler « selon une logique d’acculturation unilinéaire et à somme nulle » (p. 202).
Enfin une véritable politique d’intégration implique la prise en compte du rôle fondamental et croissant des pays d’origine qui commencent à mesurer l’enjeu de
leurs diasporas. Il s’agit donc de formuler des stratégies politiques concrètes et à
long terme intégrant le paradigme de la « frontière ». James Cohen s’appuie sur la
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pensée « post-ethnique » de l’historien David Hollinger, dont la vision civiconationale permettrait, assez paradoxalement, de donner un contenu politique réel,
trop souvent occulté par les études sur le multiculturalisme, aux formes de
citoyenneté originales illustrées par les Latino-Américains. Pour conclure, James
Cohen insiste sur la nécessité d’identifier les « finalités » de la latinisation des
États-Unis, et dans cette perspective il reprend à Anibal Quijano le concept de
« colonialité » (p. 218) pour décrire une forme de domination prolongée au-delà
des régimes coloniaux. Si les Latino-Américains sont un groupe subordonné dans
un imaginaire états-unien qui reste colonial, l’auteur affirme qu’« il y a tout de
même des raisons d’être optimiste » (p. 222) et que la latinisation des États-Unis
comprend déjà les éléments d’une décolonisation en marche. Une citoyenneté
« décolonisée » sur le plan politique et un métissage fécond sur le plan culturel
sont ainsi les deux principaux termes du « pari » (p. 19) que ce livre se propose de
justifier.
Destiné à clarifier les enjeux complexes de la latinisation des États-Unis,
Spanglish America se caractérise par un effort de synthèse et d’articulation de
concepts et de courants de pensée variés. Cependant le caractère foisonnant de la
matière abordée nuit parfois à la clarté de l’argumentation d’ensemble, dans la
mesure où James Cohen met en œuvre des notions aussi diverses que l’imaginaire
national, le multiculturalisme, les diasporas, la frontière, l’État, le colonialisme,
mais aussi des questionnements sur le modèle américain de citoyenneté, les
rapports entre mouvements sociaux et action politique, tout en décrivant une
réalité sociale, urbaine, politique et culturelle complexe. Ouvrage explicitement
prospectif et engagé, Spanglish America constitue une introduction stimulante au
phénomène de la latinisation, qui par la richesse de ses implications théoriques
dépasse la stricte question des politiques d’intégration aux États-Unis.
Hadrien DUBUCS
Steven J. GOLD, The Israeli Diaspora, London, Routledge, 2002, 262 p.
The Israeli Diaspora : le titre de l’ouvrage de Steven J. Gold indique d’entrée de jeu que le regard est porté non sur la diaspora juive, mais sur une diaspora
émergeante, construite à partir d’un État-nation, Israël. L’originalité de la réflexion
réside dans ce changement d’échelle, qui correspond à un changement de nature
dans la diaspora. Car, quand bien même il s’agit d’Israël, la prise en considération
de l’État-Nation dans la constitution et le fonctionnement d’une diaspora positionne l’analyse à l’intersection des recherches sur la diaspora archétypale juive
d’une part, des travaux sur des diasporas contemporaines liées à un État d’autre
part. Le champ spécifique de la judéité est reconsidéré à la lumière d’expériences
stato-nationales. Et Steven J. Gold cherche à comprendre comment le lien à un
État-Nation induit (ou non) des pratiques migratoires spécifiques parmi la population juive.
Dès la préface, il souligne l’ambiguïté inhérente à l’existence d’une diaspora
israélienne : l’État d’Israël a été créé pour mettre fin à la dispersion juive dans le
monde ; de par leur mobilité, les migrants israéliens contrecarrent donc ce principe
fondateur de leur État. Plus encore, ils s’appuient sur ce dernier pour former une
nouvelle diaspora : celle-ci ne repose pas seulement sur des paramètres religieux,
mais aussi sur le lien des migrants à Israël et sur la croyance en une identité israélienne. L’auteur cherche donc à démontrer la validité scientifique de l’idée d’une
diaspora israélienne, tout à la fois distincte de et étroitement liée à la diaspora juive.
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Et ce à partir d’enquêtes qualitatives menée pendant une dizaine d’années dans les
principales destinations des Israéliens (États-Unis, Canada, Grande-Bretagne,
France, Afrique du Sud et Australie).
Dans l’introduction, l’auteur démontre comment les migrants israéliens se
trouvent en porte-à-faux avec les idéaux sionistes fondateurs d’Israël. Leur émigration leur vaut, jusqu’au milieu des années 1980, d’être condamnés par les autorités israéliennes, par leurs compatriotes et par les Juifs de la diaspora.
Les Israéliens migrent jeunes, en famille avec enfants ; ils ont un niveau de
formation supérieur à la moyenne tant en Israël que dans leur pays d’arrivée. Les
ressortissants d’origine ashkénaze prédominent, et les Israéliens s’installent dans
des pays occidentaux où leur préexistent d’importants groupes juifs. Mais pourquoi ces Israéliens jeunes et qualifiés partent-ils ? C’est ce sur quoi se penche le
second chapitre de l’ouvrage, qui passe en revue les causalités de la migration
israélienne à travers le prisme de divers modèles théoriques. L’auteur plaide finalement pour une lecture en termes de réseaux, mais une lecture multi-scalaire qui
permette d’appréhender « la riche fabrique des affiliations et liens qui donnent
forme aux migrations » (p. 58). Fort de cet acquis, S. Gold examine les principales
facettes de la diaspora israélienne.
Le chapitre trois est consacré à l’organisation économique des Israéliens en
diaspora. La configuration décrite est nuancée. Les migrants israéliens parviennent
en général à leurs fins en matière d’économie, et ce grâce essentiellement au haut
degré de coopération intra-ethnique. Toutefois, cette coopération suscite des tensions car elle limite les possibilités de sortie du groupe. Par ailleurs, les activités
économiques poussent de nombreux Israéliens à collaborer avec des Juifs des pays
d’installation ; en résultent des interactions qui tout à la fois maintiennent et transforment les collectivités juives locales. Le fort degré d’ethnicisation de l’économie
israélienne à l’étranger souligne à nouveau l’ambivalence de cette migration. Tout
en étant provoquée par la volonté d’une réussite économique et professionnelle
difficile à atteindre en Israël, elle reste fortement insérée dans des réseaux nationaux, ethniques et religieux dans les pays d’immigration.
Le fort attachement des Israéliens à leur société de départ transparaît également dans les relations familiales et de genre entre migrants (chapitre 4). S. Gold
démontre que ces relations sont déterminantes pour leur insertion dans les sociétés
d’arrivée. Mais, dans le même temps, elles sont à l’origine de nombreux retours en
Israël. Le positionnement des migrants entre deux sociétés (ou plus) repose avant
tout sur l’implication des femmes, qui n’hésitent pas à sacrifier leur carrière professionnelle pour s’investir dans des activités communautaires, maintenir des relations fortes avec le pays d’origine, et ainsi, fournir aux autres membres de la
famille un tissu relationnel sur lequel ils peuvent s’appuyer.
Les modalités complexes de l’organisation communautaire sont analysées
plus avant (chapitre 5). Les relations les plus fortes existent entre des groupes
israéliens partageant des caractéristiques religieuses ou ethniques propres. De la
distance subsiste toutefois avec d’autres collectivités israéliennes migrantes, ainsi
qu’avec les Juifs des États d’accueil, et ce bien que les choses évoluent dans le
sens d’une meilleure acceptation. Au final, selon Gold, les migrants israéliens
semblent rester en marge des sociétés d’accueil et des collectivités juives locales,
tout en cultivant un désir de retour en Israël.
De là découle une analyse des négociations identitaires, nationales et ethniques à l’œuvre parmi les migrants israéliens (chapitre 6). L’auteur affirme que les
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conceptions du peuple ( peoplehood ) divergent chez les migrants israéliens et les
Juifs de la diaspora, car ils vivent dans des contextes culturels et nationaux différents. La nationalité semble être l’élément identitaire le plus fort chez les migrants
israéliens. Par conséquent, l’identité israélienne se distingue de l’être juif en diaspora. S. Gold en veut pour preuve le fait que les migrants israéliens juifs entretiennent des relations étroites avec les migrants israéliens non juifs.
L’ouvrage se termine par une analyse du retour en Israël des migrants israéliens. Cela ne va pas sans poser de difficultés, tant au plan relationnel que de la
réinsertion économique. À tel point que certains migrants de retour parlent d’une
« boîte de pandore » (p. 230) : une fois la migration expérimentée, ils éprouvent
de grandes difficultés à retrouver un mode de vie plus sédentaire. Ainsi, cette
réflexion montre que le lien à l’État d’Israël offre aux migrants la possibilité d’un
retour. C’est somme toute à l’horizon de ce retour éventuel que se structure la diaspora israélienne, bien distincte de la diaspora juive.
La lecture de l’ouvrage de Steven J. Gold provoque plusieurs réflexions.
L’auteur annonce une analyse d’une diaspora définie par sa provenance
d’Israël et les liens qu’elle maintient avec cet État. Pourtant, l’analyse porte sur les
migrants israéliens juifs. Les ressortissants israéliens non juifs sont mentionnés à
quelques reprises seulement, à propos des origines ethniques ou nationales des
migrants d’abord, à propos des négociations identitaires ensuite. L’auteur ne va
pas plus avant dans l’examen de ces interactions entre migrants israéliens de
confession différente. Le propos de S. Gold porte donc sur la diaspora juive israélienne.
Le thème du retour en Israël apparaît dès les premières pages comme un élément structurant de la configuration diasporique israélienne. Toutefois, seule la
conclusion aborde réellement cette question, qui est pourtant un élément majeur de
différenciation des deux diasporas juive et israélienne. Par ailleurs, le retour n’est
abordé que dans son sens premier, c’est-à-dire comme la réinstallation durable
dans le pays de départ. Or, l’ aliyah en Israël est considérée comme constituant
elle-même un « retour », vers un territoire mythique et mythifié ; « retour » parfois
qualifié de « migration ethnique » (4) . La migration israélienne est par conséquent
l’occasion d’une mise en abîme de l’expérience diasporique juive : l’ aliyah vers la
Terre sainte doit désormais être reconsidérée à la lumière de diverses formes de
réinstallation, plus ou moins durables, plus ou moins complètes, de ressortissants
israéliens ayant, précisément, quitté un temps cette Terre sainte.
Bénédicte MICHALON
Bhikhu PAREKH, Gurharpal SINGH et Steven VERTOVEC, dir., Culture and Economy in
the Indian Diaspora, Londres, Routledge, 2003, 240 p.
La diaspora indienne est ancienne. Dès 1830, la puissance coloniale britannique, en manque de main-d’œuvre dans les plantations de son empire, mettait sur
pied l’ indentured system (littéralement, système de contrat/d’engagement), déplaçant des travailleurs indiens vers les îles du Pacifique et des Caraïbes et l’Afrique
de l’Est. Ces migrations de travail ont débouché sur l’établissement durable de
populations d’origine indienne dans des pays aussi différents que Fidji, Trinidad,
(4) Rogers Brubaker (1998), « Migrations of ethnic unmixing in the « New Europe » »,
International Migration Review, vol. 32, n˚ 4, p. 1 047-1 065.
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le Kenya ou l’Afrique du Sud. Après l’indépendance de l’Inde en 1947, les flux
migratoires indiens ont changé de direction, les ouvriers se tournant vers l’ancienne puissance coloniale, la Grande-Bretagne, ainsi que vers les pays du Golfe,
tandis que les travailleurs qualifiés étaient attirés par les pays d’immigration
comme les États-Unis, le Canada ou l’Australie. Toutes les régions indiennes,
toutes les castes, toutes les religions, tous les types d’activités, de l’agriculture à
l’informatique, sont représentés dans cette diaspora, qui compterait 17 millions de
personnes. C’est ce phénomène complexe et multiforme qu’analyse ce livre, qui
résulte d’une conférence organisée à Delhi en 2000 et qui réunit des contributions
sur l’Île Maurice, l’Afrique du Sud, la Malaisie, le Sri Lanka, les pays du Golfe,
Trinidad, l’Australie, les États-Unis, le Canada et le Royaume Uni.
En introduction, Gurharpal Singh pose la question de la définition de cette
diaspora. En quoi est-il fondé de rassembler ainsi les populations d’origine
indienne de par le monde ? La diaspora indienne ne correspond pas à la définition
classique de la diaspora comme population dispersée partageant le mythe d’un
retour vers un centre plus ou moins imaginaire. Un autre critère est la religion : la
majorité des Indiens de la diaspora sont hindous et voient la Mother India comme
la source et le centre spirituel de leur religion, mais ce n’est pas le cas
des Musulmans et des Sikhs. On peut également mentionner l’appartenance de
caste, qui perdure dans l’émigration et fonde les liens entre membres d’une même
caste au sein de la diaspora ; mais ce serait ignorer les bouleversements qui affectent la hiérarchie des castes à l’étranger. Pour Singh, le critère le moins contestable, mais aussi le plus subjectif et le plus difficile à définir et à mesurer, est
l’imaginaire collectif des Indiens de la diaspora, leurs liens symboliques avec
l’Inde, qu’ils soient réactifs ou primordiaux.
Comme le titre l’indique, les dynamiques culturelles et économiques qui
affectent la diaspora indienne constituent le fil conducteur de l’ouvrage, avec une
insistance sur les conséquences de la mondialisation. Économiquement, les flux de
migrants qualifiés induits par la mondialisation ont bouleversé l’émigration
indienne, longtemps cantonnée à des statuts relativement peu élevés. Cela a insufflé un dynamisme nouveau à la diaspora : avec la libéralisation, depuis 1991, de
l’économie indienne, les Indiens de l’étranger ( Non-Resident Indians – NRIs) sont
par exemple intervenus dans le développement de leur pays, obtenant de la part du
gouvernement un statut facilitant leurs investissements en Inde et compensant,
jusqu’à un certain stade, l’interdiction de la double nationalité. Le chapitre consacré aux États-Unis relate cependant les tensions entre ces élites expatriées et leurs
compatriotes restés au pays, les premiers étant perçus comme arrogants et américanisés par les seconds. Les migrants qualifiés ne sont pas les seuls à assurer la vitalité économique de la diaspora : avec 10 milliards de dollars annuels, l’Inde est le
pays au monde qui reçoit le plus de transferts de fonds de ses émigrés, en particulier des pays du Golfe.
Culturellement, la métaphore du banyan tree de Rabindranath Tagore
(reprise dans un ouvrage classique de Hugh Tinker) soulignait la capacité de la
culture indienne à créer de nouvelles souches à partir de son « tronc »principal.
Mais la distance entre centre et périphéries a contribué à une immobilisation des
coutumes : tandis que les pratiques religieuses ou culturelles évoluaient en Inde,
elles se figeaient dans la diaspora, au sein de laquelle les descendants d’Indiens
répétaient les mêmes rituels en en perdant progressivement le sens et la compréhension. Fascinant pour les sciences sociales, cet isolement a été parfois douloureusement ressenti : V. S. Naipaul, un Indien de Trinidad, a décrit cette solitude, ce
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sentiment d’avoir été comme abandonné par l’histoire. Mais depuis les années 80,
la mondialisation a facilité la réactualisation de ces liens, renouvelant l’intérêt des
descendants d’Indiens pour la culture de leur pays d’origine. Le chapitre sur
l’Afrique du Sud montre comment, dans la région de Natal, les Indiens recommencent à apprendre le tamil, se réapproprient le sens de leurs pratiques religieuses et
indianisent leur identité sans pour autant remettre en question leur appartenance à
l’Afrique du Sud. On assiste également à une créativité artistique des Indiens de la
diaspora, centrée sur leur rapport à l’Inde ; le chapitre sur le Canada souligne l’importance de la littérature des Indiens dans ce pays. Il faut finalement mentionner la
mondialisation des pratiques de consommation indiennes, qu’il s’agisse de nourriture ou de films « bollywoodiens » ; ces derniers, depuis longtemps populaires
dans le monde arabe ou en Afrique, commencent à trouver un public en Occident.
Si les auteurs s’attachent à mettre en évidence les liens entre l’Inde et sa
diaspora, ils parlent peu de ceux, pourtant tout aussi importants dans la dynamique
des diasporas, qui existent entre communautés indiennes. Les pratiques de circulation sont pourtant anciennes, les descendants d’Indiens ayant par exemple migré
de Fidji vers l’Australie ou de l’Afrique de l’Est vers la Grande-Bretagne, tandis
qu’aujourd’hui, comme l’évoque le chapitre consacré à l’Australie, les migrants
qualifiés voient souvent ce pays comme une étape sur la route des États-Unis.
Plusieurs auteurs reprennent la notion de « deux-fois migrant » ( twice-migrant )
proposée par Parminder Bhachu, sans pour autant l’intégrer dans leur analyse des
dynamiques contemporaines de la diaspora indienne.
Une caractéristique de la diaspora indienne est l’ancrage local des
communautés ; si certaines, comme dans le Golfe, vivent aux marges de la société,
la plupart se sont profondément enracinées dans leur pays d’accueil, au point
parfois d’y devenir majoritaires, comme à Maurice ou les descendants d’Indiens
sont démographiquement et politiquement dominants. De cet ancrage et de l’ancienneté des mouvements migratoires découlent l’hétérogénéité de cette diaspora :
qu’y a-t-il de commun entre des informaticiens récemment installés au Canada, les
travailleurs non-qualifiés des pays du Golfe, ou les descendants de la quatrième ou
cinquième génération des indentured workers en Malaisie ? Plusieurs auteurs
parlent ainsi d’une multitude de diasporas indiennes que seule réunit leur origine
géographique, tout en soulignant que cette pluralité de diasporas ne fait que refléter l’extrême diversité de la société indienne.
Cet ouvrage jette par ailleurs un éclairage sur les différentes connotations
sociales et politiques de la notion de diaspora : en fonction du contexte, l’appartenance à une diaspora peut être tantôt valorisée, tantôt stigmatisée. Les chapitres
sur Trinidad et surtout sur Maurice évoquent l’image idyllique des sociétés créoles
ou l’appartenance de chacun à une diaspora (indienne, africaine ou européenne)
coexiste dans une harmonie toute insulaire. Ces nations « post-ethniques »sont
souvent perçues comme un idéal pour les sociétés contemporaines, elles-mêmes en
voie de créolisation du fait de la mondialisation et des flux migratoires. De même,
dans les sociétés occidentales (en particulier anglo-saxonnes), les revendications
diasporiques des populations d’origine immigrée participent d’une affirmation
identitaire valorisante qui est compatible avec la cohésion sociale et l’adhésion
à la société d’accueil. À l’inverse, au Sri Lanka, le conflit entre descendants
d’Indiens (d’origine tamil) et Cingalais s’inscrit dans un contexte de construction
nationale récente et tendue, qui rend l’appartenance à une diaspora suspecte ; les
membres de minorités sont menacés d’un accès inégal à la citoyenneté et aux
droits et doivent témoigner de leur attachement à la nation. En d’autres termes, si,
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en Asie comme en Occident, les sociétés deviennent de plus en plus pluriculturelles, le sens donné à l’appartenance à une diaspora dépend du contexte national
et des fondements plus ou moins assurés de l’État-Nation.
Il est sans doute vain de poser la question du bien-fondé du concept de diaspora pour aborder les populations d’origine indienne hors de l’Inde. À l’instar de
beaucoup d’autres populations immigrées rebaptisées diasporas ces dernières
années, celles-ci n’ont que peu à voir avec la définition classique de la diaspora
juive, et ce livre n’échappe pas au dilemme fondateur des études sur les diasporas.
On peut simplement regretter que, si l’introduction traite frontalement de cette question, la plupart des chapitres font peu de cas de ce cadre conceptuel. La problématique d’ensemble de l’ouvrage n’est donc pas totalement évidente, et les liens entre
culture et économie dans la diaspora, tels qu’annoncés dans le titre, demeurent relativement flous. Il est finalement regrettable que deux des « auteurs » de ce livre
(Bhikhu Parekh et Steven Vertovec) n’ont joué de rôle qu’organisationnel : étant
donné l’importance de leurs travaux, on peut déplorer leur absence. Ces remarques
n’ôtent cependant rien à l’intérêt de ce livre, qui offre un excellent panorama d’un
sujet en tout point fascinant.
Antoine PÉCOUD
Christine CHIVALLON, La diaspora noire des Amériques. Expériences et théories à
partir de la Caraïbe, Paris, CNRS Éditions, 2004, 258 p.
Le recours amplifié au concept de diaspora dans la recherche sur les phénomènes identitaires invite l’auteure à s’interroger à la fois sur la variabilité de son
sens – l’usage postmoderne divergeant sensiblement de l’acception classique – et
sur la pertinence de son emploi à propos du monde noir des Amériques. Dans cette
optique, l’ouvrage relève le défi posé par la question de l’unité d’un monde afroaméricain marqué dans les faits par une grande diversité culturelle, à partir notamment d’une réflexion sur ses fondements historiques et sociaux.
Plutôt que d’enfermer l’analyse dans une option théorique unique et quoique
le positionnement adopté se réclame clairement du principe d’objectivation,
l’ouvrage se réfère à la pluralité des thèses relatives à l’identité des peuples américains issus de la traite et de l’esclavage, de celle de la continuité, d’inspiration
afrocentriste, à celles de la créolisation et de l’aliénation. Ce choix justifie la place
centrale conférée au concept de diaspora, dont l’intérêt réside « dans cette manière
qu’elle (la diaspora) a de condenser toutes les alternatives possibles de la construction identitaire alors qu’elle se destine paradoxalement à délimiter une ‘unité’ »
puisque « les divergences sur le concept sont l’écho d’autant de manières de
concevoir, au sein de cette formation culturelle des Amériques noires, les identités
qui s’y sont forgées » (p. 34).
La mise en relation permanente des productions culturelles noires américaines avec les modèles théoriques qui tentent de les expliquer, et l’interprétation de
leur diversité comme une caractéristique constitutive de leur expérience singulière
apparaissent comme les fils conducteurs d’une progression structurée en trois
temps. La première partie replace logiquement la diaspora noire des Amériques
dans le contexte historique de sa genèse, celui de la traite transatlantique présentée
comme l’événement conférant une unité historique fondatrice aux sociétés en
question ; mais aussi celui des conditions inhumaines de la plantation esclavagiste
auxquelles les individus tentent de répondre par des stratégies de recomposition
mêlant assimilation et résistance. Au-delà des ruptures historiques majeures trou-
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vant leurs traductions dans les réagencements sociaux post-abolitionnistes et les
migrations contemporaines massives vers le nord, l’accent est porté sur les continuités révélées tant par la « captivité » des sociétés de la Caraïbe et la fragmentation géopolitique et culturelle consécutive de cette région que par la reproduction
du clivage « racial » hérité de l’esclavage dans les espaces de l’immigration
antillaise contemporaine.
Dans un deuxième temps, l’auteure expose les diverses théories explicatives
de la genèse de l’univers culturel noir des Amériques : la thèse de la continuité par
rapport à une Afrique dont les héritages auraient été conservés ; celle de la créolisation qui, en contradiction avec la position précédente, défend l’idée d’un modèle
« hybride » donnant naissance à une nouvelle culture ; et celle de l’aliénation qui
prend appui sur l’expérience des Antilles françaises, et selon laquelle l’ordre colonial esclavagiste puis républicain aurait empêché l’expression de « l’opposition
fondatrice de ces sociétés » (p. 130). Elle met ensuite en lumière leur cohérence
concernant l’étude de la famille antillaise, qui se prête à de multiples interprétations. La mise en exergue de la pertinence de ces trois théories pourtant antithétiques dans l’analyse d’un même objet vise à montrer la multiplicité des
interprétations possibles – parfois contradictoires – à propos de l’univers culturel
afro-américain. Menée préalablement à partir d’un objet d’étude empirique, cette
démonstration est ensuite prolongée par la mise en relation de chacune des trois
thèses précédentes avec le concept de diaspora. Les trois conceptualisations différentes qui en résultent appellent à la prudence quant à toute tentative d’interprétation des sociétés américaines issues de la plantation à partir d’un unique modèle
d’identité et d’une conception figée et normative de la diaspora.
Dans cet esprit, l’auteure propose une autre voie de compréhension s’incarnant dans l’idée d’une « communauté a-centrée », c’est-à-dire d’une
« construction sociale particulière qui serait constituée par un ensemble d’orientations collectives non hiérarchisées, une culture plurielle dépourvue de centralité
dans la manière qu’elle a de signifier les appartenances » (p. 163). La dernière partie se consacre précisément à l’argumentation de cette proposition, en articulant
les divers repères théoriques et expériences présentés précédemment. Les idéologies revendiquant le retour (réel ou symbolique) à la terre ancestrale que sont le
panafricanisme et le « nationalisme noir » sont d’abord présentées, en attirant l’attention sur les limites de leur pertinence dans la mesure où elles ne s’imposent pas
comme des références centrales pour l’ensemble de la « diaspora ». L’idée de communauté a-centrée est ensuite explicitée à l’aide de multiples exemples concrets :
les fonctionnements communautaires antillais complexes à Bristol et Brooklyn, la
dynamique religieuse pluraliste en Jamaïque et dans les communautés antillaises
immigrées, et le décalage entre les systèmes politiques caraïbéens et les processus
d’identification des populations elles-mêmes. Ces expériences observées dans
divers espaces et différents domaines de la vie sociale antillaise tendent toutes à
montrer l’absence d’un modèle identitaire unique et stable offrant une grille de
lecture commune, du fait de la fluidité et de la démultiplication culturelle et organisationnelle de sociétés antillaises qui ne peuvent se conformer à une centralité
normative.
L’une des faiblesses de l’argumentation réside peut être dans une lecture
parfois trop ethnique des réalités sociales et identitaires antillaises – inhérente à
l’idée de « diaspora noire » –, le problème étant de légitimer la limite là où n’existent que des gradients. On peut également regretter l’absence de réflexion autour de
l’expérience des Antilles hispanophones, qui rassemblent 60 % de la population de
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la Caraïbe et dont l’héritage africain est considérable. Néanmoins, l’ouverture
scientifique remarquable de l’auteure lui permet d’atteindre son objectif initial
d’apporter une vision synthétique et contradictoire des différents positionnements
théoriques relatifs aux identités caraïbéennes. Le principal intérêt de l’ouvrage
réside en définitive dans le va-et-vient permanent entre une (des) réalité (s) empirique (s) révélant la complexité du monde afro-américain et un concept de diaspora
invitant à une diversité d’interprétations et dont les incertitudes sont singulièrement
utilisées pour mieux comprendre ce que nous enseigne l’expérience diasporique
noire américaine. C’est en fait à un nouveau regard sur l’idée de diaspora que nous
invite Christine Chivallon. Mais l’ouvrage a également le mérite de mettre en
lumière la nécessité de développer de manière ambitieuse la recherche sur les
dynamiques sociales, identitaires et spatiales de la Caraïbe, dont la portée en termes
de connaissances empiriques, de réflexion théorique voire épistémologique dépasse
largement le cadre antillais – un enjeu scientifique encore difficilement appréhendé
par la recherche française.
Cédric AUDEBERT
Julianne HAMMER, Palestinians Born In Exile : Diaspora And The Search For A
Homeland, University of Texas Press, 2005, 304 p.
À travers l’expérience de jeunes Palestiniens nés en exil et venus s’installer
en Palestine à la suite des accords d’Oslo (1993), l’auteur pose la question de
l’émergence d’une diaspora palestinienne en s’interrogeant sur l’articulation entre
être réfugié, exilé et membre d’une diaspora. Alors que la question de la diaspora
palestinienne a souvent été posée à partir des communautés en exil autour de
réflexions sur la mémoire, Julianne Hammer s’intéresse elle aux liens entre les
exilés et « le pays de leurs rêves », pour reprendre le titre de son troisième chapitre.
C’est donc dans ce rapport entre l’extérieur et l’intérieur, ou plutôt dans la perception que ces jeunes Palestiniens nés à l’étranger ont de la Palestine post-Oslo, que
réside l’originalité de l’approche développée dans cet ouvrage.
Depuis 1993, une centaine de milliers de Palestiniens se sont installés en
Cisjordanie et dans la bande de Gaza, la majeure partie dans le cadre de leurs
activités au service de l’Autorité palestinienne nouvellement créée. D’autres sont
arrivés dans le cadre de programmes de réunification familiale, suite à leur expulsion du Koweït en 1991 ou bien, parce que détenteurs de passeports étrangers, ils
ont décidé de venir s’installer dans les territoires palestiniens. C’est auprès d’une
partie de cette dernière catégorie – les jeunes adultes nés hors de Palestine âgés de
16 à 35 ans – que Julianne Hammer a réalisé ses entretiens sur leur expérience du
« retour », ce terme étant à prendre au sens symbolique, puisque nés hors de Palestine, il s’agit pour eux d’une migration vers le pays d’où est originaire au moins un
de leurs parents. Composé de réfugiés venus d’Amérique du nord ou d’Europe, le
groupe s’est construit depuis son exil une image de la Palestine qui diffère fortement de celle que se sont forgés leurs homologues qui ont vécu dans les camps au
Moyen-Orient.
Cet ouvrage se propose de répondre à deux interrogations principales. Les
Palestiniens forment-ils une diaspora, au regard des théories récentes sur la formation des diasporas modernes ? Si le rôle joué par le mythe du pays d’origine est
central, comme cela a été développé dans de nombreuses études sur les diasporas
contemporaines, comment se construit cette Palestine imaginée et comment se
développent les images de la Palestine comme patrie d’origine au sein de ce
groupe de jeunes Palestiniens nés à l’étranger ?
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Après un rapide rappel de l’exode des Palestiniens en 1948 et 1967 et un
bref exposé sur la question des réfugiés, l’auteur brosse un tableau des migrations
palestiniennes en montrant qu’outre les exodes, les migrations palestiniennes se
sont également développées pour des motifs économiques ou politiques. L’émigration de Palestine vers les pays arabes voisins ou vers les pays occidentaux s’est
traduite par une installation durable des migrants, où se côtoient une minorité de
riches Palestiniens et une large population défavorisée, la question du retour (sous
forme de désir, de rêve ou d’illusion) demeurant présente à différents degrés.
Le chapitre 2 est consacré au développement de l’identité nationale palestinienne, facteur indispensable à la compréhension de la formation de la diaspora
palestinienne : s’appuyant sur une revue de la littérature produite sur le sujet, il est
ponctué d’extraits d’entretiens menés par l’auteure. Les entretiens sont d’ailleurs
présents dans l’ensemble de l’ouvrage et font parvenir au lecteur, au-delà du
témoignage, une véritable image de la question de l’exil, de la diaspora et du
rapport à la Palestine telle qu’elle est perçue par les jeunes Palestiniens euxmêmes. La place singulière qu’occupe la Palestine dans la définition de la diaspora
est ensuite traitée dans le chapitre 3. Avant d’analyser le processus de retour des
jeunes Palestiniens qu’elle étudie dans le chapitre 5, l’auteur brosse un tableau
général du retour des Palestiniens dans les territoires depuis 1993, dans lequel
s’inscrit celui du groupe auquel elle s’intéresse. Elle montre dans le chapitre 6
comment cette expérience migratoire participe à une réécriture de différentes
facettes de l’identité – politique, culturelle et religieuse – de ces jeunes Palestiniens confrontés au décalage entre la Palestine telle qu’ils l’ont construite dans
l’exil et celle où ils se sont installés. Les projets d’avenir bâtis par ces migrants de
retour s’inscrivent dans une double dynamique d’intégration à la société d’accueil
en Palestine et de participation à des pratiques transnationales, qui sont abordées
dans le chapitre 7. En conclusion c’est la question du « retour », ou de la découverte d’une nouvelle patrie qui est posée, avec pour corollaire la place qu’occupe
la Palestine en tant que pays d’origine, dans l’architecture de la diaspora palestinienne.
Mohamed Kamel DORAÏ

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