Bibliographie Critique : Les diasporas : miroir des États
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Bibliographie Critique : Les diasporas : miroir des États
Population-F http://www.necplus.eu/POF Additional services for Population-F: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Bibliographie Critique : Les diasporas : miroir des États-Nations à l’heure de la globalisation W. Berthomière Population-F / Volume 61 / Issue 04 / September 2006, pp 585 - 605 DOI: 10.4074/S0032466306004082, Published online: 18 February 2010 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0032466306004082 How to cite this article: W. Berthomière (2006). Population-F, 61, pp 585-605 doi:10.4074/S0032466306004082 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/POF, IP address: 78.47.27.170 on 17 Feb 2017 PopF.4_2006_Biblio.fm Page 585 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE Coordonnée par W. BERTHOMIÈRE Équipe Migrinter (UMR MITI 6588 CNRS) — MSHS Poitiers Les diasporas : miroir des États-Nations à l’heure de la globalisation Responsable de la rubrique Kamel KATEB avec le concours de Dominique DIGUET du service de la Documentation de l’Ined Gabriel SHEFFER, Diaspora politics. At home abroad, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 290 p. Plus qu’une simple discussion argumentée de la notion de diaspora, c’est un véritable plaidoyer « en faveur » des populations transnationales que nous livre Gabriel Sheffer dans ce nouveau livre, publié en anglais il y a maintenant trois ans. Il s’agit là pour lui d’un retour sur un thème abordé 20 ans auparavant dans un ouvrage sur les diasporas modernes où, déjà, il proposait une grille de critères permettant d’identifier le phénomène diasporique. Cet ouvrage précédent a depuis longtemps positionné son auteur comme tenant d’un modèle ouvert et large de diaspora. Son entreprise actuelle vise plus particulièrement l’impact des transformations des relations internationales sur les « diasporas ethno-nationales ». De fait, il s’inscrit pleinement dans ces réflexions qui, depuis la fin des années 1980, cherchent à analyser les « nouveaux » phénomènes de mondialisation : « les processus simultanés de globalisation et localisation, la régionalisation, l’affaiblissement du nationalisme, de l’État et de l’État-Nation, l’accroissement des migrations internationales, des cycles migratoires et du rôle de la religion et du fondamentalisme dans la pérennisation et le nouvel essor des minorités ethniques et des diasporas ». Pour étayer la validité de son concept de diaspora, l’auteur s’appuie non seulement sur des études empiriques personnelles mais aussi sur de nombreux cas, descriptions et observations et propose une synthèse qui permet de démontrer un certain nombre de points. Les diasporas ethno-nationales existent depuis fort longtemps et paraissent devoir durer. Un aspect essentiel est la permanence des luttes politiques mais aussi culturelles, économiques et sociales que ces groupes ethniques doivent mener pour conserver leur identité et leurs contacts avec le pays d’origine. Ces identités peuvent quant à elles se transformer sans toutefois changer de « nature ». Enfin, ces groupes survivent malgré l’hostilité des pays hôtes et parfois des pays d’origine. De fait cette synthèse se veut également une nouvelle tentative de clarification du concept. Elle était probablement « attendue » dans le domaine des études sur les populations migrantes tant elle ressemble à un positionnement d’école dans Population-F, 61(4), 2006, 585-606 PopF.4_2006_Biblio.fm Page 586 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 586 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE ce débat scientifique et à une participation au droit de définir le champ d’études délimité par le concept de diaspora, répondant en cela à d’autres tentatives plus ou moins récentes (voir par exemple Cohen et Robin, Global Diasporas. An Introduction . Seattle, University of Washington Press, 1997 ; Van Hear et Nicholas, New Diasporas. The Mass Exodus, Dispersal and Regrouping of Migrant Communities . Seattle, University of Washington Press, 1998 ; etc.) Fidèle à sa démarche, l’auteur commence par définir la diaspora en énumérant les conditions requises pour mériter cette qualification : 1) une diaspora ethno-nationale est une formation socio-politique issue de l’émigration volontaire ou forcée ; 2) ses membres partagent un sentiment d’appartenance à un même groupe d’origine et résident dans un ou plusieurs pays d’accueil ; 3) ils conservent des contacts sporadiques ou réguliers avec le pays d’origine et avec d’autres membres résidant dans d’autres pays d’accueil ; 4) elle est basée sur une somme de décisions d’installation permanente dans les pays d’accueil mais demande l’existence et la revendication d’une identité commune, la solidarité envers les autres membres et l’implication dans les sphères politiques, sociales, culturelles et économiques ; 5) de plus les « diasporains » sont enserrés dans des réseaux transétatiques impliquant leurs pays d’origine et d’accueil ainsi que des acteurs internationaux. G. Sheffer précise également que le qualificatif ethno-national accolé à diaspora sert à la distinguer d’un usage plus courant qui couvre aussi les groupes transnationaux aux identités déterritorialisées sans loyauté envers un pays d’origine (pp. 9-10). En ce sens, la définition retenue est assez proche de celle donnée par R. Cohen. Dans la deuxième partie de son livre, G. Sheffer brosse un rapide tableau historique du phénomène diasporique tant pour en rappeler l’ancienneté que pour analyser par la suite les spécificités à la fois des diasporas modernes et des diasporas en gestation. C’est contre l’idée de la diaspora vue comme phénomène moderne né des révolutions nationales européennes et des opportunités économiques supérieures dans les pays d’accueil que l’auteur fait remonter l’origine du phénomène aux temps préhistoriques. Malgré la faiblesse de ses sources historiques (Bible, testaments et autres légendes) on le suit sans peine lorsqu’il conclut que les migrants (qu’il qualifie d’ethniques ?) quittent leurs terres d’origine non seulement pour des raisons économiques ou de persécution, mais aussi sous des contraintes et des « processus politiques d’ordres domestiques, régionaux et internationaux ». Cherchant à dépasser la catégorisation trop fonctionnelle et statique de Cohen (diasporas de prolétaires, d’empire, de commerce ou d’intermédiaires) (p. 47), il en propose une autre dans la partie 3 où, comme Cohen, il cherche à relier définition et catégorisation. Ainsi, selon lui, si les diasporas historiques conservent leurs caractéristiques, les diasporas contemporaines en ont acquises d’autres, développées à partir des nouvelles conditions politiques. Après avoir écarté quatre types de formations transnationales non ethniques, qui ne mériteraient pas l’appellation de diaspora (« religions mondialisées, dispersions politico-idéologiques, communautés linguistiques transnationales et culture jeune mondialisée ») il propose donc de distinguer les diasporas suivant deux critères : leur ancienneté (historiques, récentes ou en formation) et le type de mère patrie ou de lieu d’origine (liés ou pas à un État-Nation). Peaufinant le profil des diasporas contemporaines, il souligne le fait que les migrants ont des décisions tactiques à prendre pour aboutir au choix entre l’assimilation et le fonctionnement en diaspora, et l’on aurait aimé un éclairage plus important – empirique – sur ces stratégies tant ce point nous paraît être crucial. Non PopF.4_2006_Biblio.fm Page 587 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 587 seulement la décision de maintenir un lien avec la culture d’origine doit être prise mais encore faut-il également organiser, créer des organisations « de préservation » pour faire fonctionner une diaspora. On est en droit d’en déduire que c’est une véritable résistance à l’assimilation que la diaspora doit organiser plus que la notion beaucoup plus vague « d’attachement » à la mère patrie ou lieu d’origine (pp. 7880). Là aussi nous aurions aimé voir plus précisément décrits les institutions et les instruments d’une telle résistance qui doit, nous dit-on, s’opérer sur le temps long, résister au passage des générations, relever les défis de l’éducation, etc. Pourtant, l’on sent au fil du texte que G. Sheffer n’est pas à l’aise avec ce thème, sur lequel il revient en commentant les « facteurs qualitatifs influençant le phénomène diasporique ». Le « désir psychologique et la détermination » des migrants (p. 90) à maintenir leur identité dans le pays d’accueil mériteraient une analyse plus approfondie, tant on sait qu’existent également un désir et une détermination inverses chez d’autres migrants non « diasporains », pour qui l’adoption de la langue et de la culture du pays d’accueil représente une stratégie certainement mieux connue et analysée par les sciences sociales. Une des pistes pour comprendre ce « besoin » identitaire pourrait d’ailleurs être les changements qu’il mentionne dans les politiques nationales d’intégration des pays d’accueil décrites comme plus tolérantes envers les diasporas contemporaines. Certains gouvernements de droite libérale ont adopté depuis fort longtemps un mode de gestion communautaire de l’intégration bien moins demandeur en prestations de l’État Providence que ne le sont les politiques dispendieuses d’assimilation. De nombreuses autres pistes pour analyser ce « besoin » identitaire ont été explorées (rôle des appareils religieux et de leurs clercs, importance des nouvelles petites bourgeoisies d’encadrement culturel, social etc., entreprenariat ethnique, rôles des États-Nations eux-mêmes dans la création de communautés ethniques – eg. les latinos aux États-Unis,…) et mériteraient un développement plus important dans la synthèse que nous propose G. Sheffer. En résumé, les nouvelles diasporas sont plus nombreuses et se multiplient rapidement comme conséquence de la révolution des transports et des communications, et de la plus grande tolérance des pays riches. Enfin les parcours migratoires sont devenus plus complexes. Malgré la difficulté de la tâche, soulignée par l’auteur, G. Sheffer propose une estimation chiffrée aussi bien documentée que possible, sous la forme de trois tableaux reprenant sa distinction entre les diasporas historiques, les diasporas modernes et celles en formation. Il en conclut qu’il reste bien peu d’États homogènes. Après avoir rappelé que les spécialistes de l’étude des diasporas sont désormais unanimes sur le fait que contrairement à l’idée selon laquelle les diasporas avaient toujours été des communautés d’exilés, elles sont le résultat tant de migrations forcées que de migrations choisies, il estime qu’il faut dépasser les explications traditionnelles de constitution des diasporas selon la distinction : facteurs d’attraction/facteurs répulsifs. Pour dépasser ces explications, il propose un modèle alternatif distinguant des études mettant en lumière : 1) l’impact de la globalisation (davantage de liberté et de porosité) ; 2) le système migratoire comme réseau de pays liés par des relations ; 3) le rôle des disparités entre les pays – sorte de modèle attraction-répulsion revisité ; 4) la transformation des conditions générales d’accueil dans les pays hôtes. En cohérence avec son modèle explicatif, il présente le migrant des nouvelles diasporas comme un acteur largement autonome et libre de ses choix (p. 127) et s’insurge donc contre la « vue systémique » du migrant comme pion manipulé des PopF.4_2006_Biblio.fm Page 588 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 588 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE États. Ainsi, peut-il distinguer des phases dans le développement des diasporas : une première phase pendant laquelle le groupe décide de s’établir de manière permanente, profitant de différents atouts, dont ceux des enclaves ethniques, une seconde au cours de laquelle le groupe se pose des questions sur son identité et la solidarité et doit décider de ce que l’on en fait et enfin, c’est une troisième phase au cours de laquelle les leaders établissent des organisations. G. Sheffer opère également une distinction importante entre les diasporas liées à un État et les communautés diasporiques sans État. Dans ces dernières, communautés de migrants le plus souvent exilés – eg : les Palestiniens, Sikhs, Kurdes, etc., – les membres sont entièrement mobilisés autour de la cause de la refondation d’un État souverain. Les échanges sont alors illégaux et/ou guerriers et n’ont d’autre finalité que l’instauration d’un État souverain. Un bel exemple de ce phénomène est fourni par l’éclatement de l’ex-URSS et l’apparition des nouvelles républiques, qui a eu pour effet de changer les priorités et les orientations politiques des membres des diasporas. Moins tournés vers les affaires de leur pays d’origine, ils se réinvestissent dans leur pays d’accueil. Dans le cas des migrants transnationaux liés à un État, G. Sheffer décrit les différentes stratégies qui s’offrent à eux. Citant de nombreux exemples, il distingue les stratégies d’assimilation, d’intégration, de corporatisme, de séparatisme et d’autonomie. Sa septième partie porte sur le travail politique, économique et culturel des diasporas. À la décharge des diasporas, selon lui trop souvent présentées sous des aspects négatifs, il met en avant le rôle de passeurs de ces organisations. On a du mal à suivre l’optimisme de l’auteur dans sa huitième partie, qui brosse le tableau d’un monde plus démocratique, moins va-t-en guerre et dans lequel de « petites guerres ethniques » sont désormais cantonnées au niveau régional. On comprendra qu’il s’agit d’évaluer le rôle des migrants ethniques transnationaux dans la paix en général et plus particulièrement dans la stabilité régionale. Le problème des loyautés conflictuelles (loyauté envers le pays d’accueil versus rôle soupçonné de cheval de Troie) est évalué et cette analyse a le mérite de le soulever. Toutefois, plus qu’à une analyse scientifique, G. Sheffer procède par description souvent moralisante, faisant disparaître les acteurs en réifiant la notion de diaspora. « En résumé, bien que les diasporas soient sporadiquement impliquées dans quelques conflits et confrontations, ce n’est pas inscrit dans leur nature », et de supposer que leurs participations à ces conflits seraient moindres si le multiculturalisme était mieux accepté, ce qui nous permettrait de réaliser qu’elles sont tout à fait capables de s’installer comme des minorités paisibles… (p. 218). Cet ouvrage présente l’intérêt majeur de s’attaquer au thème de la diaspora en s’appuyant sur une bibliographie solide, une définition claire, des critères de différenciation bien élaborés, le tout bien illustré par de nombreux exemples et études de cas. En ce sens, l’auteur participe pleinement au débat sur l’utilisation de la notion de diaspora et compte peser sur sa définition. Le livre apporte indéniablement de nombreux éclaircissements à qui chercherait une introduction aux recherches sur les diasporas, même si, parfois, à trop embrasser la notion devient synonyme de communauté ethnique ou nationale à l’étranger (Noirs-Américains ou Latinos aux États-Unis pris comme un ensemble). L’établissement de distinctions entre diasporas issues d’un État et diasporas sans État d’origine est particulièrement fécond et permet à l’auteur de montrer clairement les stratégies des diasporas sans État visant à réunir les capitaux politiques, PopF.4_2006_Biblio.fm Page 589 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 589 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE diplomatiques, matériels, économiques, humains etc. pour poursuivre des buts, luttes et stratégies en rapport avec leur pays d’origine. En revanche, on regrettera que ce type d’analyse en termes de stratégies, de pourquoi et de comment n’ait pas été mené de manière aussi soigneuse pour les diasporas issues d’État, comme si le libre arbitre et les explications psychologisantes étaient dans ce cas suffisantes et que point besoin n’était de chercher stratégies, intérêts des acteurs… Pourtant, de nombreuses pistes ont été lancées : l’auteur parle de décisions tactiques entre assimilation et fonctionnement en diaspora ; il aborde le thème du développement d’une résistance à l’assimilation sans répondre aux questions : Qui ? Avec quels instruments ? Au bénéfice de qui ? et balaie d’un revers de plume le migrant comme « pion manipulé des États et/ou autres organisations » ; le rôle des religions dans la permanence de l’affiliation est évoqué sans que l’on n’en étudie les acteurs ni les appareils ; enfin, il note sans plus d’explication qu’il est fréquent pour des individus ou même des groupes de sortir de la diaspora pour être assimilés dans la société d’accueil mais qu’il est inversement quasiment impossible pour les membres de la société d’accueil de s’intégrer à de telles communautés. Les raisons de l’abandon de l’analyse de ces pistes sont sans doute à trouver dans le lyrisme post-historique de l’auteur, qui voit dans les diasporas ethnonationales les précurseurs de « systèmes politiques et sociaux trans-étatiques postmodernes » (p. 245). Dominique MATHIEU Michel BRUNEAU, Diasporas et espaces transnationaux, Paris, Anthropos Economica, 2004, 249 p. L’ouvrage de Michel Bruneau s’inscrit dans un ensemble de publications en langue française qui vise à synthétiser et à conceptualiser les recherches empiriques qui ont été réalisées au fil des quinze dernières années. Au cours de cette période, le thème des diasporas a pris une place de choix au sein des sciences sociales notamment avec l’importante production anglo-saxonne issue de programmes de recherche comme Transnational Communities (financé par l’ ESRC britannique). Ainsi dans la lignée des travaux précurseurs de Gabriel Sheffer, William Safran, Robin Cohen, Georges Prévélakis, Kachig Tölölyan ou plus récemment Steven Vertovec, Michel Bruneau a choisi de livrer un ouvrage transversal sur le thème en privilégiant un point de vue disciplinaire, celui de la géographie. Pour mener à bien cette synthèse, l’auteur a choisi – comme a pu le faire Stéphane Dufoix dans un récent ouvrage sur le même thème (1) – de concentrer sa réflexion sur la question de la définition de la notion même de diaspora puis de décliner les concepts et thématiques qui composent la « nébuleuse » de recherches offerte par cette notion. L’ouvrage s’organise en un ensemble de sept chapitres qui ont pour fil conducteur la dispersion, événement fondateur des diasporas. De proche en proche, la dispersion mène Michel Bruneau de la question d’une nécessaire définition du phénomène observé à celles de l’appartenance et de la mémoire puis à celle des réseaux en intégrant la dispersion comme ressource « spatiale » (comme un capital social). Dans ces deux derniers chapitres, l’auteur termine la boucle de sa réflexion. Il revient sur le premier chapitre conceptuel pour introduire une perspective chronologique avec l’évocation de l’émergence de la problématique transna(1) Stéphane Dufoix, 2003, Les Diasporas , Paris : PUF (Que sais-je ?). PopF.4_2006_Biblio.fm Page 590 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 590 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE tionaliste. Puis, inscrivant sa réflexion dans une problématique urbaine, il réinvestit la question de l’appartenance – ouverte au cours du second chapitre – en développant une approche spatialisée des objets de recherche que sont les minorités et l’ethnicité. L’économie générale de l’ouvrage permet au public non familier du thème de prendre connaissance d’une notion qui par bien des aspects reste avant tout descriptive. Comme le souligne l’auteur après avoir pris le temps d’un travail de définition approfondi, le phénomène diasporique s’offre à la recherche comme une « notion encore incertaine ». Néanmoins, en prenant appui sur l’histoire ancienne du mot par sa connaissance des mondes juif et grec, Michel Bruneau dresse le parcours du mot diaspora et surtout de son sens. Il montre que cette notion judéocentrée connaît un glissement sémantique avec son inscription dans le matériau théorique des sciences sociales et que son utilisation connaît des difficultés progressives en raison de son « succès » à la fin des années 80. Indiquant un risque de perte de sens du fait d’une sur-utilisation du terme comme synonyme de dispersion et d’émigration massive, l’auteur souligne néanmoins avec justesse l’enrichissement du débat autour des diasporas avec le tournant post-moderne. Prenant appui sur les travaux de Christine Chivallon sur la diaspora noire, il souligne le rôle des cultural studies dans la plus-value théorique que connaît le débat scientifique – resté jusqu’alors dans une enceinte historiciste et descriptive – par l’introduction d’une lecture fluide des identités éloignant ainsi le débat d’une tendance à l’essentialisation des groupes dits diasporiques. Couplée à l’exposé des éléments de problématique que suggère la question des diasporas lorsqu’elle est pensée comme miroir des changements que connaissent les États-Nations dans le contexte de globalisation, l’analyse de Michel Bruneau permet au lecteur de mieux saisir la diversité des lieux d’inscription de la notion de diaspora dans les problématiques structurant les disciplines comme la sociologie, les sciences politiques et bien sûr en géographie. Par cette notion, l’auteur parcourt l’ensemble des questionnements qui font sens aujourd’hui dans la recherche sur le couple migration-identité. Parmi les approches développées sur ce binôme, l’auteur a pris soin de consacrer un chapitre entier à la question des liens sociaux, déclinés aux échelles familiale, communautaire et religieuse. À travers des exemples empruntés aux cas grec et libanais, l’auteur souligne la rationalisation des liens sociaux inhérente aux groupes diasporiques, la famille apparaissant alors comme la matière première des pratiques permettant de faire de la dispersion spatiale une ressource sociale. Les comportements matrimoniaux sous-jacents, caractérisés notamment par l’endogamie, sont également évoqués. « Réinventer le village » par l’achat d’un terrain et la construction d’un foyer grâce à l’aide de prêts « communautaires » est aussi l’une des facettes – bien souvent laissées dans l’ombre – des liens forgeant l’appartenance au groupe que cet ouvrage souligne. Poursuivant son analyse des liens, Michel Bruneau, en rappelant que l’existence de l’État-Nation est une forme d’organisation sociale récente en Occident, aborde la question du lien communautaire comme catalyseur de la pérennité des groupes en diaspora. Par des exemples variés, l’auteur dévoile le rôle du religieux et plus encore des églises comme le vecteur d’un renforcement du sentiment religieux et national qui vise à la cohésion sociale du groupe au fil des générations. L’exemple des Grecs pontiques est en cela l’occasion pour Michel Bruneau de travailler autour de la notion d’iconographie, dans la lignée de Jean Gottman qui voyait en elle « le nœud gordien de la communauté nationale ». L’apport scientifique majeur de cet ouvrage réside dans sa volonté affirmée de démêler le nœud conceptuel des diasporas en déjouant le « tout diaspora », PopF.4_2006_Biblio.fm Page 591 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 591 promu par les médias et les diasporas elles-mêmes, par le recours systématique à la diversité de la production scientifique et à la mise en écho des argumentations qui y sont développées. Ainsi les exemples arménien, chinois, indien, antillais, libanais, palestinien mais aussi tsigane replacés dans différents contextes géographiques et politiques permettent à l’auteur d’édifier un chemin de contention resserrant l’étau conceptuel sur les diasporas. Michel Bruneau parvient donc, à travers la pluralité des groupes étudiés, à esquisser les contours de la notion de diaspora. Certes l’auteur peine à saisir le concept, comme nous tous, même si l’argument d’une spécificité diasporique qui résiderait dans la capacité des groupes à se penser dans un territoire imaginé, fantasmé, retient nécessairement l’attention. Par ses efforts pour parvenir à « verbaliser » l’expérience diasporique, l’auteur parvient à tracer une ligne de démarcation entre espaces de diasporas et espaces transnationaux, freinant ainsi la synonymie croissante des deux notions. Notons que par cet exercice, Michel Bruneau tire de l’expérience transnationale – telle qu’elle a été formulée dans la production nord-américaine – des caractéristiques décrites sous le terme de champ migratoire international par Gildas Simon à la fin des années soixante-dix. En termes conceptuels, l’apport réflexif de cet ouvrage est double : primo , grâce à la richesse des regards portés sur l’histoire des civilisations, il nous convainc de la surenchère théorique des travaux sur le transnationalisme ; secundo , il soulève la question du biais heuristique des travaux récents sur le thème. Les analyses des phénomènes de dispersion, des rapports au territoire et des relations sociales en dispersion ou en exil ont-elles des finalités théoriques si différentes de celles suggérées par Thucydide ou Gerasimos Vlakhos cités en introduction ? Sans vouloir caricaturer le propos, à la lecture de l’ouvrage, la question de l’apport théorique des recherches sur la notion de diaspora reste posée. Comme le soulignait Alessandro Monsutti dans un récent ouvrage à propos de la recherche sur le thème en anthropologie, il convient pour poursuivre la réflexion théorique engagée par de nombreux auteurs, comme ici Michel Bruneau, de savoir si nous parlons de « l’objet d’étude ou du regard ». William BERTHOMIÈRE Lisa ANTEBY-YEMENI, William BERTHOMIÈRE et Gabriel SHEFFER, Les diasporas : 2000 ans d’histoire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, 497 p. Cet ouvrage collectif a pour ambition d’éclairer la notion de diaspora ; toutes formes de migration ou de dispersion géographique d’une population gardant un sentiment d’appartenance à une même origine constituent-elles une diaspora ? Les contributions révèlent une réflexion approfondie sur la possibilité de couvrir par une seule notion une pluralité de réalités humaines : des Juifs, des Grecs, des Arméniens jusqu’aux Afro-Américains ? Les auteurs, par une démarche pluridisciplinaire, ont engagé une réflexion critique, méthodologique et théorique sur les diasporas, leur évolution, les différentes formes qu’elles ont prises et sur leur développement récent. Ils expriment leur volonté d’aboutir à forger un concept relevant véritablement d’une théorie sociale explicative ( p. 15). Pour assurer sa valeur opératoire, ils proposent de limiter son utilisation aux populations dispersées qui maintiennent des liens objectifs ou symboliques (p. 48) par delà les frontières. Ils mettent en garde contre trois illusions, celle de l’essence, de la communauté et de la continuité et propose de privilégier trois dimensions processuelles (identification, différenciation, historicité) pour dépasser les cadres d’analyse statiques (S. Dufoix). PopF.4_2006_Biblio.fm Page 592 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 592 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE Autre question abordée : Comment concilier la liberté des citoyens de rester fidèles à des références historiques, des cultures et des croyances particulières avec la légitimité du principe de la citoyenneté, qui fonde un espace public unifié, neutre et à vocation universelle (p. 24) ? Cette question, selon Schnapper, devrait s’avérer féconde pour analyser l’organisation politique des États nationaux à l’heure de la mondialisation et de l’affaiblissement relatif des États-Nations. Le dépassement de « l’idéologie géographique » et le déclin relatif des États-Nations auraient ainsi fait passer les diasporas de potentiel « ennemi de l’intérieur » sous la « tyrannie du national » selon le terme de Noiriel à la célébration des doubles cultures et du transnationalisme de la post-modernité. La fidélité (au pays d’origine, au groupe originel, à la culture, à une religion minoritaire) devait rester de l’ordre du privé, tout en s’accompagnant d’un processus d’acculturation, toute différence étant censée disparaître dans l’espace public. La perpétuation de la culture diasporique dans un tel contexte nécessite la mise en place d’institutions capables d’assurer la continuité des pratiques spécifiques des membres de la diaspora (célébrations diverses, éducation, etc.), une capacité de mobiliser leurs spécificités et l’imaginaire qui les sous-tend. À partir des exemples arméniens (M. Hovanessian), grecs (M. Bruneau), juifs (S. Weil, S. Della Pergola, etc.) et palestiniens (M. K. Doraï, S. Hanafi) les auteurs montrent que si l’existence des diasporas relève souvent d’accidents de l’histoire il reste à expliquer pourquoi le statut de diaspora est revendiqué à un moment donné de leur histoire, ainsi que le champ social des pratiques et des représentations mobilisées par les acteurs diasporiques. Les quatrième et cinquième parties de l’ouvrage sont consacrées à l’étude des phénomènes induits par l’existence de diasporas : exil, mémoire et retour. La création de l’État d’Israël et l’indépendance de l’Arménie après l’écroulement de l’URSS posent aux diasporas respectives des problèmes nouveaux. Le problème du retour des réfugiés palestiniens, une diaspora naissante « fluide et dynamique » (Doraï) a, semble-t-il, été une entrave à la conclusion d’un accord de paix israélopalestinien. W. Berthomière analyse l’émigration des Juifs d’URSS vers Israël, un retour qui n’en était pas et qui finalement pour beaucoup a été un détour vers les USA ou le Canada. Cette émigration a finalement renforcé aussi la diaspora juive à l’extérieur du pays, qui l’avait organisée pour des raisons plus géopolitiques que religieuses. Elle a aussi contribué à refaçonner les clivages politiques en y introduisant ou renforçant une dimension ethnique et en aiguisant les clivages sociaux dans la société israélienne. Enfin les auteurs soulèvent un grand nombre de questions : Israël par exemple donnerait-il naissance à des diasporas sans mémoire de retour, mais s’appuyant sur les expériences communes de la déterritorialisation, du transnationalisme et de la globalisation ? Existerait-il des modèles diasporiques différents du modèle classique (dispersion forcée, origine commune revendiquée, mythification historique etc.) ? Les Israéliens d’origine éthiopienne ou les Afro-Américains s’intègrent-ils dans ces nouveaux modèles (C. Chivallon) ? Peut-on utiliser le terme de diaspora pour désigner les migrations turques (S. Tapia), algériennes (M. Peraldi), marocaines (A. Tarrius), cambodgiennes (I. Simon-Barouh) ? La diversité de ces situations et leur réalité sociologique peuvent-elle être couvertes par le concept de diaspora ? Même s’il est fortement présent dans les différentes contributions, le rôle de l’imaginaire et des représentations aurait mérité d’être repris et développé dans la conclusion du livre. Kamel KATEB PopF.4_2006_Biblio.fm Page 593 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 593 Melvin EMBER, Carol R. EMBER and Ian SKOGGARD (dir), Encyclopedia of diasporas – Immigrant and Refugee Cultures Around the World, New York, Kluwer Academic/Plenum Publishers, 2004, 1 242 p. Dans le domaine des sciences humaines, le concept de diaspora forme, depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant, un champ de recherche à part entière. S’appliquant à l’origine à la dispersion des Juifs dans le monde, le terme de diaspora a connu maintes évolutions, et il est difficile aujourd’hui d’en donner une définition qui puisse satisfaire le plus grand nombre. De la nécessité, selon certains, de ne réserver ce terme qu’à des cas de figure bien particuliers, au « tout diasporique », tous les points de vue se rencontrent et se confrontent parfois. Vaste sujet donc, auquel trois anthropologues américains, Melvin Ember, Carol R. Ember et Ian Skoggard, visiblement rôdés aux travaux de longue haleine puisqu’ils ont déjà dirigé ensemble une Encyclopedia of World Cultures (2) , se sont attaqués avec cette encyclopédie des diasporas. Pas moins de 120 auteurs, de nationalités très variées (même si la moitié des contributions sont faites par des auteurs de nationalité américaine (3)) ont collaboré à cet ouvrage, entièrement rédigé en langue anglaise. Le but de cette encyclopédie est double : apporter d’une part une meilleure compréhension générale du phénomène en offrant un large éventail de cas, sur une période s’étalant de ces siècles derniers à nos jours, et ce dans un but comparatif, tout en soulignant les particularités de chaque communauté. Comme le rappellent les auteurs dans l’introduction, cet ouvrage est destiné à un public extrêmement large : aux voyageurs curieux comme aux professeurs ou aux instances publiques, elle peut servir de base de référence, mais elle peut également se révéler utile aux étudiants et aux chercheurs désirant effectuer des comparaisons entre les différentes diasporas ou se concentrer sur l’étude d’un cas. De manière générale enfin, les références bibliographiques représentent un état des lieux de nos connaissances concernant les diasporas dans le monde à l’heure actuelle. L’encyclopédie est composée de deux volumes, le premier s’intitulant Overviews and Topics , le second Communities , pour un total de 1 242 pages. On trouve dans le premier volume la liste des contributeurs, la préface, qui explique notamment l’organisation de l’encyclopédie et des articles, le sommaire, un glossaire et les deux premières parties de l’encyclopédie. La première partie ( Diaspora Overviews ) établit une vue d’ensemble des diasporas. Les articles décrivent ici des populations qui ont fait l’expérience de migrations forcées ou volontaires. Sont évoquées les raisons politiques, économiques et sociales pour lesquelles les personnes ont quitté leur pays d’origine, ainsi que de brèves descriptions de leur vie dans les pays d’accueil. La deuxième partie ( Topics ) est organisée en thèmes par lesquels sont abordés, toujours avec l’exemple de cas particuliers, différents aspects de la vie des personnes en diaspora (l’art, la politique et l’identité, les villes et les types de diasporas). La troisième partie ( Diaspora Communities ) constitue à elle seule le second volume de cette encyclopédie, en plus d’un index par noms et par sujets d’une (2) Melvin Ember, Carol R. Ember et Ian Skoggard (dir.), Encyclopedia of World Cultures, Londres, MacMillan, 2002, 424 p. (3) Les autres pays représentés sont les suivants : Afrique du Sud, Allemagne, Angleterre, Australie, Canada, Chine, Corée, Fidji, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Indonésie, Israël, Japon, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Philippines, Russie, Singapour et Taïwan. PopF.4_2006_Biblio.fm Page 594 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 594 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE soixantaine de pages. À noter : ce second volume ne dispose pas de sommaire, ce qui rend la consultation fastidieuse si on ne dispose pas également du premier volume. Les articles de cette troisième partie, très clairs et accessibles, dressent le portrait de plus d’une soixantaine de communautés de par le monde, en décrivant leur vie culturelle et sociale. La lecture est rendue agréable par le choix des titres de chapitre courts et évocateurs, qui permettent au lecteur d’aller rapidement à l’essentiel. Pour faciliter la comparaison entre ces différentes études de cas, les auteurs se sont efforcés de dresser un portrait de « leur » diaspora en respectant un certain nombre de thèmes communs à tous les articles ( Alternative Names, Location, History, Demography, Language, Culture and Community, Economic Activities, Cultural Variation, Relationships to Host Country, Homeland and other Diasporic Communities et Identity ). Ce système apporte effectivement un grand confort au lecteur souhaitant avoir une vue d’ensemble d’un thème ou étudier de manière comparative plusieurs cas. Cela donne toutefois à ces articles « à tiroir » un aspect quelque peu clinique, dans lesquels chaque diaspora y est décortiquée de façon à rentrer dans des petites cases. Les références situées à la fin de chaque article fournissent heureusement une base assez complète et récente pour les lecteurs désirant approfondir leurs recherches. Même si l’encyclopédie se concentre particulièrement sur six diasporas « majeures » (les diasporas africaine, chinoise, italienne, juive, coréenne et d’Asie du Sud), la grande variété des auteurs garantit la diversité des points de vue. C’est l’une des forces de cette encyclopédie, qui apporte ainsi au lecteur une somme considérable d’informations et un vaste panorama de ces peuples en diaspora. Toutefois, à l’heure où la pluridisciplinarité et les échanges de points de vue sont encouragés, force est de constater que les anthropologues se sont ici taillés la part du lion face aux autres chercheurs en sciences sociales. Enfin, il est surprenant que l’on ne trouve pas dans cet ouvrage pourtant entièrement axé sur le concept de diaspora une réflexion de fond sur celui-ci. L’accumulation d’études de cas n’est pas appuyée par une réflexion transversale sur ce que l’on entend par l’emploi du mot « diaspora » et ne reste qu’une – certes vaste – somme d’articles sur le sujet. Camille RATIA James COHEN, Spanglish America. Les enjeux de la latinisation des États-Unis, Paris, Éditions du Félin, 2005, 256 p. Avec Spanglish America , James Cohen s’inscrit dans le débat particulièrement vif actuellement aux États-Unis sur les significations et les enjeux de la croissance de la population hispanophone aux États-Unis, et de la « latinisation » qui lui est associée, définie par l’auteur comme « une transformation graduelle, multiforme, mais en profondeur, de l’espace social, culturel, politique du pays » (p. 28). Pour l’auteur, citoyen américain et professeur de sciences politiques en France, la latinisation des États-Unis est « non seulement un objet de recherche, mais aussi un objet de fascination et un objet qui [l’] engage » (p. 22), et cet engagement se traduit dès l’introduction par une prise de position vigoureuse contre les thèses de Samuel Huntington dramatisant la menace que la latinisation des ÉtatsUnis ferait courir à la culture anglophone. Dénonçant les lectures simplistes du phénomène, James Cohen se propose d’en mettre en lumière les véritables enjeux, qui dépassent de beaucoup les questions linguistiques et culturelles. La thèse du PopF.4_2006_Biblio.fm Page 595 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 595 livre est en effet que la « latinisation » offre l’occasion de clarifier les notions complexes d’identités ethniques, de multiculturalisme, de transnationalisme, interprétées de manière contradictoire dans le débat public aux États-Unis, et pourrait finalement être porteuse d’un nouveau « modèle de citoyenneté » (p. 18). L’auteur précise également qu’il s’agit pour lui d’un sujet de recherche relativement neuf, non encore accompagné d’une investigation de terrain. Visant à « mettre à plat » la matière requise par cette recherche en construction, ce travail s’appuie sur une grande variété des sources d’information : ouvrages de synthèse sur les grands thèmes abordés, articles portant sur des aspects plus particuliers, culturels et politiques notamment, de la latinisation, statistiques électorales et censitaires, articles de presse, œuvres littéraires, observations personnelles sur le traitement médiatique de la latinisation, etc. Dans le premier chapitre de cette « exploration de la latinisation des ÉtatsUnis » (p. 24), l’auteur contredit l’idée d’un processus démographique et sociologique univoque et prévisible. L’étude des profils socio-professionnels, des comportements politiques et religieux, des sentiments d’appartenances « raciales », ou encore de l’inégale maîtrise de l’espagnol, révèle la très grande diversité des 39 millions de Latino-Américains. Dénonçant l’incohérence du « modèle américain d’intégration » (p. 52), l’auteur pose la question centrale de son ouvrage : la « multiculturalité objective » induite par la présence croissante des Latino-Américains dans le paysage culturel, social et politique des États-Unis peut-elle contribuer à renouveler et à rendre plus cohérents des imaginaires et des politiques qui, jusqu’à présent, participent d’un « multiculturalisme éclaté », selon la formule de Michel Wieviorka que James Cohen reprend à son compte ? L’auteur dresse ensuite une typologie de cinq « visions politiques divergentes de la latinisation » renvoyant à autant de définitions du multiculturalisme, entre une conception ethnique et excluante, et une « réhabilitation d’un modèle civique de citoyenneté » (p. 65) (chapitre 2). James Cohen affirme son intérêt pour le « paradigme critique émergent » qui pense la société américaine comme une sorte de zone « frontière » caractérisée par des processus de métissages et d’hybridations. Le chapitre 3 est consacré au spanglish , « mélange, dans des conditions presque toujours inattendues et cocasses, des langues anglaise et espagnole » (p. 15), enjeu linguistique mais aussi et surtout politique, qui fondamentalement renvoie à la conception de la nation. Du Bilingual Education Act de 1968 aux campagnes English Only aboutissant à la fermeture monolingue actuelle, l’histoire du spanglish est celle d’un véritable conflit linguistique. Là encore James Cohen prend clairement position pour une renaissance des politiques d’éducation bilingue en invoquant une série d’arguments qui dépassent la simple question de l’égalité des chances de réussite scolaire pour des élèves hispanophones. Le chapitre 4 analyse l’histoire de l’insertion du « pouvoir latino » (p. 103) dans la sphère politique des États-Unis. Après des périodes de lutte, on assiste actuellement à une augmentation constante de la représentation politique latinoaméricaine, et à une diversification interne des comportements politiques avec notamment l’émergence d’un courant conservateur « champion des valeurs familiales » (p. 125) sur lequel s’appuient de plus en plus les Républicains. Enfin, à partir des analyses de Mike Davis sur la renaissance syndicale latino-américaine en Californie, James Cohen dresse un panorama des points de vue d’intellectuels latino-américains sur les rapports entre mouvements sociaux et politiques, et conclut le chapitre en critiquant le « messianisme mouvementiste de certains PopF.4_2006_Biblio.fm Page 596 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 596 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE courants d’analyse » (p. 144) qui restent trop focalisés sur l’action syndicale ou associative à l’échelle locale, et sur l’exemple presque exclusif de Los Angeles. Les chapitres 5 à 7, sous-ensemble relativement autonome, traitent le cas particulier des « Latinos de la Caraïbe hispanophone » (p. 145). A travers cet exemple, James Cohen cherche à prouver qu’il n’y a pas de contradiction entre la mise en œuvre de réseaux diasporiques et l’intégration à la société et à la vie politique aux États-Unis. On peut regretter la faiblesse de l’articulation entre cette étude de cas et la présentation générale de la latinisation que le livre se propose de faire, car ce qui est vrai des populations d’origine caribéenne vivant à New-York ne l’est pas forcément des Mexicains du Sud-Ouest ou des Cubains de Floride. L’auteur reconnaît d’ailleurs dès l’introduction que « (s)es origines dans le nord-est des États-Unis conditionnent (s)on traitement du sujet » (p. 23). Dans le chapitre 5, à partir des travaux de Robin Cohen et de Linda Basch, James Cohen identifie une « originalité proprement caribéenne » dans la participation culturelle et politique à la vie publique des États-Unis, fondée sur « une prédisposition historique exceptionnelle, chez les migrants caribéens, à l’hybridation des identités et à la transnationalisation des horizons de vie » (p. 159). L’exemple des artistes portoricains du barrio de NewYork illustre ainsi une « démarche consciente de métissage » (p. 152) avec notamment l’émergence d’un spanglish poétique dans les années 60. C’est donc bien « la société états-unienne (qui) semble encourager, plus que d’autres, des processus d’intégration fondés sur un certain « communautarisme » » (p. 161), en raison notamment d’un modèle socio-économique en vigueur qui offre un faible cadre d’intégration sociale et oblige à un repli sur les ressources communautaires. Les chapitres 6 et 7 sont consacrés à la République Dominicaine, Cuba et Porto Rico, pays d’émigration vers les États-Unis, pour lesquels James Cohen propose d’identifier « les origines et la diffusion du nationalisme », en reprenant le sous-titre de L’imaginaire national , ouvrage de Bénédict Anderson qui constitue la principale référence théorique de ces chapitres. L’histoire de la construction et de l’évolution des identités nationales pour chacun de ces trois pays révèle un rapport « polymorphe et cacophonique » (p. 186) à la nation, et une « extraordinaire plasticité des discours sur l’identité, la nation, la culture » (p. 186), notamment à Porto Rico caractérisé par son statut hybride d’État Libre Associé. Cette plasticité est notamment liée à une active et nombreuse diaspora aux États-Unis, qui met en œuvre des formes originales de transnationalisme et renouvelle les identités nationales. La conclusion générale précise l’intérêt du « détour » apparent par ces trois pays caribéens pour éclairer le questionnement central du livre : comment « la présence de plus en plus visible des Latinos dans la vie publique aux États-Unis pourrait, au conditionnel, remettre en question les conceptions dominantes de la citoyenneté et de l’appartenance à la collectivité nationale » (p. 199). James Cohen réaffirme d’abord la pertinence du paradigme qui pense la rencontre entre les Latino-Américains et la société américaine comme une expérience « frontalière » de métissage et d’hybridité culturelle, à l’opposé de conceptions primordialistes et réifiantes des identités ethnoraciales et culturelles. Dans ce cadre la dimension transnationale de l’expérience migratoire implique un examen critique de l’ÉtatNation, et interdit de considérer les Latinos comme des étrangers devant s’assimiler « selon une logique d’acculturation unilinéaire et à somme nulle » (p. 202). Enfin une véritable politique d’intégration implique la prise en compte du rôle fondamental et croissant des pays d’origine qui commencent à mesurer l’enjeu de leurs diasporas. Il s’agit donc de formuler des stratégies politiques concrètes et à long terme intégrant le paradigme de la « frontière ». James Cohen s’appuie sur la PopF.4_2006_Biblio.fm Page 597 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 597 pensée « post-ethnique » de l’historien David Hollinger, dont la vision civiconationale permettrait, assez paradoxalement, de donner un contenu politique réel, trop souvent occulté par les études sur le multiculturalisme, aux formes de citoyenneté originales illustrées par les Latino-Américains. Pour conclure, James Cohen insiste sur la nécessité d’identifier les « finalités » de la latinisation des États-Unis, et dans cette perspective il reprend à Anibal Quijano le concept de « colonialité » (p. 218) pour décrire une forme de domination prolongée au-delà des régimes coloniaux. Si les Latino-Américains sont un groupe subordonné dans un imaginaire états-unien qui reste colonial, l’auteur affirme qu’« il y a tout de même des raisons d’être optimiste » (p. 222) et que la latinisation des États-Unis comprend déjà les éléments d’une décolonisation en marche. Une citoyenneté « décolonisée » sur le plan politique et un métissage fécond sur le plan culturel sont ainsi les deux principaux termes du « pari » (p. 19) que ce livre se propose de justifier. Destiné à clarifier les enjeux complexes de la latinisation des États-Unis, Spanglish America se caractérise par un effort de synthèse et d’articulation de concepts et de courants de pensée variés. Cependant le caractère foisonnant de la matière abordée nuit parfois à la clarté de l’argumentation d’ensemble, dans la mesure où James Cohen met en œuvre des notions aussi diverses que l’imaginaire national, le multiculturalisme, les diasporas, la frontière, l’État, le colonialisme, mais aussi des questionnements sur le modèle américain de citoyenneté, les rapports entre mouvements sociaux et action politique, tout en décrivant une réalité sociale, urbaine, politique et culturelle complexe. Ouvrage explicitement prospectif et engagé, Spanglish America constitue une introduction stimulante au phénomène de la latinisation, qui par la richesse de ses implications théoriques dépasse la stricte question des politiques d’intégration aux États-Unis. Hadrien DUBUCS Steven J. GOLD, The Israeli Diaspora, London, Routledge, 2002, 262 p. The Israeli Diaspora : le titre de l’ouvrage de Steven J. Gold indique d’entrée de jeu que le regard est porté non sur la diaspora juive, mais sur une diaspora émergeante, construite à partir d’un État-nation, Israël. L’originalité de la réflexion réside dans ce changement d’échelle, qui correspond à un changement de nature dans la diaspora. Car, quand bien même il s’agit d’Israël, la prise en considération de l’État-Nation dans la constitution et le fonctionnement d’une diaspora positionne l’analyse à l’intersection des recherches sur la diaspora archétypale juive d’une part, des travaux sur des diasporas contemporaines liées à un État d’autre part. Le champ spécifique de la judéité est reconsidéré à la lumière d’expériences stato-nationales. Et Steven J. Gold cherche à comprendre comment le lien à un État-Nation induit (ou non) des pratiques migratoires spécifiques parmi la population juive. Dès la préface, il souligne l’ambiguïté inhérente à l’existence d’une diaspora israélienne : l’État d’Israël a été créé pour mettre fin à la dispersion juive dans le monde ; de par leur mobilité, les migrants israéliens contrecarrent donc ce principe fondateur de leur État. Plus encore, ils s’appuient sur ce dernier pour former une nouvelle diaspora : celle-ci ne repose pas seulement sur des paramètres religieux, mais aussi sur le lien des migrants à Israël et sur la croyance en une identité israélienne. L’auteur cherche donc à démontrer la validité scientifique de l’idée d’une diaspora israélienne, tout à la fois distincte de et étroitement liée à la diaspora juive. PopF.4_2006_Biblio.fm Page 598 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 598 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE Et ce à partir d’enquêtes qualitatives menée pendant une dizaine d’années dans les principales destinations des Israéliens (États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, France, Afrique du Sud et Australie). Dans l’introduction, l’auteur démontre comment les migrants israéliens se trouvent en porte-à-faux avec les idéaux sionistes fondateurs d’Israël. Leur émigration leur vaut, jusqu’au milieu des années 1980, d’être condamnés par les autorités israéliennes, par leurs compatriotes et par les Juifs de la diaspora. Les Israéliens migrent jeunes, en famille avec enfants ; ils ont un niveau de formation supérieur à la moyenne tant en Israël que dans leur pays d’arrivée. Les ressortissants d’origine ashkénaze prédominent, et les Israéliens s’installent dans des pays occidentaux où leur préexistent d’importants groupes juifs. Mais pourquoi ces Israéliens jeunes et qualifiés partent-ils ? C’est ce sur quoi se penche le second chapitre de l’ouvrage, qui passe en revue les causalités de la migration israélienne à travers le prisme de divers modèles théoriques. L’auteur plaide finalement pour une lecture en termes de réseaux, mais une lecture multi-scalaire qui permette d’appréhender « la riche fabrique des affiliations et liens qui donnent forme aux migrations » (p. 58). Fort de cet acquis, S. Gold examine les principales facettes de la diaspora israélienne. Le chapitre trois est consacré à l’organisation économique des Israéliens en diaspora. La configuration décrite est nuancée. Les migrants israéliens parviennent en général à leurs fins en matière d’économie, et ce grâce essentiellement au haut degré de coopération intra-ethnique. Toutefois, cette coopération suscite des tensions car elle limite les possibilités de sortie du groupe. Par ailleurs, les activités économiques poussent de nombreux Israéliens à collaborer avec des Juifs des pays d’installation ; en résultent des interactions qui tout à la fois maintiennent et transforment les collectivités juives locales. Le fort degré d’ethnicisation de l’économie israélienne à l’étranger souligne à nouveau l’ambivalence de cette migration. Tout en étant provoquée par la volonté d’une réussite économique et professionnelle difficile à atteindre en Israël, elle reste fortement insérée dans des réseaux nationaux, ethniques et religieux dans les pays d’immigration. Le fort attachement des Israéliens à leur société de départ transparaît également dans les relations familiales et de genre entre migrants (chapitre 4). S. Gold démontre que ces relations sont déterminantes pour leur insertion dans les sociétés d’arrivée. Mais, dans le même temps, elles sont à l’origine de nombreux retours en Israël. Le positionnement des migrants entre deux sociétés (ou plus) repose avant tout sur l’implication des femmes, qui n’hésitent pas à sacrifier leur carrière professionnelle pour s’investir dans des activités communautaires, maintenir des relations fortes avec le pays d’origine, et ainsi, fournir aux autres membres de la famille un tissu relationnel sur lequel ils peuvent s’appuyer. Les modalités complexes de l’organisation communautaire sont analysées plus avant (chapitre 5). Les relations les plus fortes existent entre des groupes israéliens partageant des caractéristiques religieuses ou ethniques propres. De la distance subsiste toutefois avec d’autres collectivités israéliennes migrantes, ainsi qu’avec les Juifs des États d’accueil, et ce bien que les choses évoluent dans le sens d’une meilleure acceptation. Au final, selon Gold, les migrants israéliens semblent rester en marge des sociétés d’accueil et des collectivités juives locales, tout en cultivant un désir de retour en Israël. De là découle une analyse des négociations identitaires, nationales et ethniques à l’œuvre parmi les migrants israéliens (chapitre 6). L’auteur affirme que les PopF.4_2006_Biblio.fm Page 599 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 599 conceptions du peuple ( peoplehood ) divergent chez les migrants israéliens et les Juifs de la diaspora, car ils vivent dans des contextes culturels et nationaux différents. La nationalité semble être l’élément identitaire le plus fort chez les migrants israéliens. Par conséquent, l’identité israélienne se distingue de l’être juif en diaspora. S. Gold en veut pour preuve le fait que les migrants israéliens juifs entretiennent des relations étroites avec les migrants israéliens non juifs. L’ouvrage se termine par une analyse du retour en Israël des migrants israéliens. Cela ne va pas sans poser de difficultés, tant au plan relationnel que de la réinsertion économique. À tel point que certains migrants de retour parlent d’une « boîte de pandore » (p. 230) : une fois la migration expérimentée, ils éprouvent de grandes difficultés à retrouver un mode de vie plus sédentaire. Ainsi, cette réflexion montre que le lien à l’État d’Israël offre aux migrants la possibilité d’un retour. C’est somme toute à l’horizon de ce retour éventuel que se structure la diaspora israélienne, bien distincte de la diaspora juive. La lecture de l’ouvrage de Steven J. Gold provoque plusieurs réflexions. L’auteur annonce une analyse d’une diaspora définie par sa provenance d’Israël et les liens qu’elle maintient avec cet État. Pourtant, l’analyse porte sur les migrants israéliens juifs. Les ressortissants israéliens non juifs sont mentionnés à quelques reprises seulement, à propos des origines ethniques ou nationales des migrants d’abord, à propos des négociations identitaires ensuite. L’auteur ne va pas plus avant dans l’examen de ces interactions entre migrants israéliens de confession différente. Le propos de S. Gold porte donc sur la diaspora juive israélienne. Le thème du retour en Israël apparaît dès les premières pages comme un élément structurant de la configuration diasporique israélienne. Toutefois, seule la conclusion aborde réellement cette question, qui est pourtant un élément majeur de différenciation des deux diasporas juive et israélienne. Par ailleurs, le retour n’est abordé que dans son sens premier, c’est-à-dire comme la réinstallation durable dans le pays de départ. Or, l’ aliyah en Israël est considérée comme constituant elle-même un « retour », vers un territoire mythique et mythifié ; « retour » parfois qualifié de « migration ethnique » (4) . La migration israélienne est par conséquent l’occasion d’une mise en abîme de l’expérience diasporique juive : l’ aliyah vers la Terre sainte doit désormais être reconsidérée à la lumière de diverses formes de réinstallation, plus ou moins durables, plus ou moins complètes, de ressortissants israéliens ayant, précisément, quitté un temps cette Terre sainte. Bénédicte MICHALON Bhikhu PAREKH, Gurharpal SINGH et Steven VERTOVEC, dir., Culture and Economy in the Indian Diaspora, Londres, Routledge, 2003, 240 p. La diaspora indienne est ancienne. Dès 1830, la puissance coloniale britannique, en manque de main-d’œuvre dans les plantations de son empire, mettait sur pied l’ indentured system (littéralement, système de contrat/d’engagement), déplaçant des travailleurs indiens vers les îles du Pacifique et des Caraïbes et l’Afrique de l’Est. Ces migrations de travail ont débouché sur l’établissement durable de populations d’origine indienne dans des pays aussi différents que Fidji, Trinidad, (4) Rogers Brubaker (1998), « Migrations of ethnic unmixing in the « New Europe » », International Migration Review, vol. 32, n˚ 4, p. 1 047-1 065. PopF.4_2006_Biblio.fm Page 600 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 600 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE le Kenya ou l’Afrique du Sud. Après l’indépendance de l’Inde en 1947, les flux migratoires indiens ont changé de direction, les ouvriers se tournant vers l’ancienne puissance coloniale, la Grande-Bretagne, ainsi que vers les pays du Golfe, tandis que les travailleurs qualifiés étaient attirés par les pays d’immigration comme les États-Unis, le Canada ou l’Australie. Toutes les régions indiennes, toutes les castes, toutes les religions, tous les types d’activités, de l’agriculture à l’informatique, sont représentés dans cette diaspora, qui compterait 17 millions de personnes. C’est ce phénomène complexe et multiforme qu’analyse ce livre, qui résulte d’une conférence organisée à Delhi en 2000 et qui réunit des contributions sur l’Île Maurice, l’Afrique du Sud, la Malaisie, le Sri Lanka, les pays du Golfe, Trinidad, l’Australie, les États-Unis, le Canada et le Royaume Uni. En introduction, Gurharpal Singh pose la question de la définition de cette diaspora. En quoi est-il fondé de rassembler ainsi les populations d’origine indienne de par le monde ? La diaspora indienne ne correspond pas à la définition classique de la diaspora comme population dispersée partageant le mythe d’un retour vers un centre plus ou moins imaginaire. Un autre critère est la religion : la majorité des Indiens de la diaspora sont hindous et voient la Mother India comme la source et le centre spirituel de leur religion, mais ce n’est pas le cas des Musulmans et des Sikhs. On peut également mentionner l’appartenance de caste, qui perdure dans l’émigration et fonde les liens entre membres d’une même caste au sein de la diaspora ; mais ce serait ignorer les bouleversements qui affectent la hiérarchie des castes à l’étranger. Pour Singh, le critère le moins contestable, mais aussi le plus subjectif et le plus difficile à définir et à mesurer, est l’imaginaire collectif des Indiens de la diaspora, leurs liens symboliques avec l’Inde, qu’ils soient réactifs ou primordiaux. Comme le titre l’indique, les dynamiques culturelles et économiques qui affectent la diaspora indienne constituent le fil conducteur de l’ouvrage, avec une insistance sur les conséquences de la mondialisation. Économiquement, les flux de migrants qualifiés induits par la mondialisation ont bouleversé l’émigration indienne, longtemps cantonnée à des statuts relativement peu élevés. Cela a insufflé un dynamisme nouveau à la diaspora : avec la libéralisation, depuis 1991, de l’économie indienne, les Indiens de l’étranger ( Non-Resident Indians – NRIs) sont par exemple intervenus dans le développement de leur pays, obtenant de la part du gouvernement un statut facilitant leurs investissements en Inde et compensant, jusqu’à un certain stade, l’interdiction de la double nationalité. Le chapitre consacré aux États-Unis relate cependant les tensions entre ces élites expatriées et leurs compatriotes restés au pays, les premiers étant perçus comme arrogants et américanisés par les seconds. Les migrants qualifiés ne sont pas les seuls à assurer la vitalité économique de la diaspora : avec 10 milliards de dollars annuels, l’Inde est le pays au monde qui reçoit le plus de transferts de fonds de ses émigrés, en particulier des pays du Golfe. Culturellement, la métaphore du banyan tree de Rabindranath Tagore (reprise dans un ouvrage classique de Hugh Tinker) soulignait la capacité de la culture indienne à créer de nouvelles souches à partir de son « tronc »principal. Mais la distance entre centre et périphéries a contribué à une immobilisation des coutumes : tandis que les pratiques religieuses ou culturelles évoluaient en Inde, elles se figeaient dans la diaspora, au sein de laquelle les descendants d’Indiens répétaient les mêmes rituels en en perdant progressivement le sens et la compréhension. Fascinant pour les sciences sociales, cet isolement a été parfois douloureusement ressenti : V. S. Naipaul, un Indien de Trinidad, a décrit cette solitude, ce PopF.4_2006_Biblio.fm Page 601 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 601 sentiment d’avoir été comme abandonné par l’histoire. Mais depuis les années 80, la mondialisation a facilité la réactualisation de ces liens, renouvelant l’intérêt des descendants d’Indiens pour la culture de leur pays d’origine. Le chapitre sur l’Afrique du Sud montre comment, dans la région de Natal, les Indiens recommencent à apprendre le tamil, se réapproprient le sens de leurs pratiques religieuses et indianisent leur identité sans pour autant remettre en question leur appartenance à l’Afrique du Sud. On assiste également à une créativité artistique des Indiens de la diaspora, centrée sur leur rapport à l’Inde ; le chapitre sur le Canada souligne l’importance de la littérature des Indiens dans ce pays. Il faut finalement mentionner la mondialisation des pratiques de consommation indiennes, qu’il s’agisse de nourriture ou de films « bollywoodiens » ; ces derniers, depuis longtemps populaires dans le monde arabe ou en Afrique, commencent à trouver un public en Occident. Si les auteurs s’attachent à mettre en évidence les liens entre l’Inde et sa diaspora, ils parlent peu de ceux, pourtant tout aussi importants dans la dynamique des diasporas, qui existent entre communautés indiennes. Les pratiques de circulation sont pourtant anciennes, les descendants d’Indiens ayant par exemple migré de Fidji vers l’Australie ou de l’Afrique de l’Est vers la Grande-Bretagne, tandis qu’aujourd’hui, comme l’évoque le chapitre consacré à l’Australie, les migrants qualifiés voient souvent ce pays comme une étape sur la route des États-Unis. Plusieurs auteurs reprennent la notion de « deux-fois migrant » ( twice-migrant ) proposée par Parminder Bhachu, sans pour autant l’intégrer dans leur analyse des dynamiques contemporaines de la diaspora indienne. Une caractéristique de la diaspora indienne est l’ancrage local des communautés ; si certaines, comme dans le Golfe, vivent aux marges de la société, la plupart se sont profondément enracinées dans leur pays d’accueil, au point parfois d’y devenir majoritaires, comme à Maurice ou les descendants d’Indiens sont démographiquement et politiquement dominants. De cet ancrage et de l’ancienneté des mouvements migratoires découlent l’hétérogénéité de cette diaspora : qu’y a-t-il de commun entre des informaticiens récemment installés au Canada, les travailleurs non-qualifiés des pays du Golfe, ou les descendants de la quatrième ou cinquième génération des indentured workers en Malaisie ? Plusieurs auteurs parlent ainsi d’une multitude de diasporas indiennes que seule réunit leur origine géographique, tout en soulignant que cette pluralité de diasporas ne fait que refléter l’extrême diversité de la société indienne. Cet ouvrage jette par ailleurs un éclairage sur les différentes connotations sociales et politiques de la notion de diaspora : en fonction du contexte, l’appartenance à une diaspora peut être tantôt valorisée, tantôt stigmatisée. Les chapitres sur Trinidad et surtout sur Maurice évoquent l’image idyllique des sociétés créoles ou l’appartenance de chacun à une diaspora (indienne, africaine ou européenne) coexiste dans une harmonie toute insulaire. Ces nations « post-ethniques »sont souvent perçues comme un idéal pour les sociétés contemporaines, elles-mêmes en voie de créolisation du fait de la mondialisation et des flux migratoires. De même, dans les sociétés occidentales (en particulier anglo-saxonnes), les revendications diasporiques des populations d’origine immigrée participent d’une affirmation identitaire valorisante qui est compatible avec la cohésion sociale et l’adhésion à la société d’accueil. À l’inverse, au Sri Lanka, le conflit entre descendants d’Indiens (d’origine tamil) et Cingalais s’inscrit dans un contexte de construction nationale récente et tendue, qui rend l’appartenance à une diaspora suspecte ; les membres de minorités sont menacés d’un accès inégal à la citoyenneté et aux droits et doivent témoigner de leur attachement à la nation. En d’autres termes, si, PopF.4_2006_Biblio.fm Page 602 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 602 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE en Asie comme en Occident, les sociétés deviennent de plus en plus pluriculturelles, le sens donné à l’appartenance à une diaspora dépend du contexte national et des fondements plus ou moins assurés de l’État-Nation. Il est sans doute vain de poser la question du bien-fondé du concept de diaspora pour aborder les populations d’origine indienne hors de l’Inde. À l’instar de beaucoup d’autres populations immigrées rebaptisées diasporas ces dernières années, celles-ci n’ont que peu à voir avec la définition classique de la diaspora juive, et ce livre n’échappe pas au dilemme fondateur des études sur les diasporas. On peut simplement regretter que, si l’introduction traite frontalement de cette question, la plupart des chapitres font peu de cas de ce cadre conceptuel. La problématique d’ensemble de l’ouvrage n’est donc pas totalement évidente, et les liens entre culture et économie dans la diaspora, tels qu’annoncés dans le titre, demeurent relativement flous. Il est finalement regrettable que deux des « auteurs » de ce livre (Bhikhu Parekh et Steven Vertovec) n’ont joué de rôle qu’organisationnel : étant donné l’importance de leurs travaux, on peut déplorer leur absence. Ces remarques n’ôtent cependant rien à l’intérêt de ce livre, qui offre un excellent panorama d’un sujet en tout point fascinant. Antoine PÉCOUD Christine CHIVALLON, La diaspora noire des Amériques. Expériences et théories à partir de la Caraïbe, Paris, CNRS Éditions, 2004, 258 p. Le recours amplifié au concept de diaspora dans la recherche sur les phénomènes identitaires invite l’auteure à s’interroger à la fois sur la variabilité de son sens – l’usage postmoderne divergeant sensiblement de l’acception classique – et sur la pertinence de son emploi à propos du monde noir des Amériques. Dans cette optique, l’ouvrage relève le défi posé par la question de l’unité d’un monde afroaméricain marqué dans les faits par une grande diversité culturelle, à partir notamment d’une réflexion sur ses fondements historiques et sociaux. Plutôt que d’enfermer l’analyse dans une option théorique unique et quoique le positionnement adopté se réclame clairement du principe d’objectivation, l’ouvrage se réfère à la pluralité des thèses relatives à l’identité des peuples américains issus de la traite et de l’esclavage, de celle de la continuité, d’inspiration afrocentriste, à celles de la créolisation et de l’aliénation. Ce choix justifie la place centrale conférée au concept de diaspora, dont l’intérêt réside « dans cette manière qu’elle (la diaspora) a de condenser toutes les alternatives possibles de la construction identitaire alors qu’elle se destine paradoxalement à délimiter une ‘unité’ » puisque « les divergences sur le concept sont l’écho d’autant de manières de concevoir, au sein de cette formation culturelle des Amériques noires, les identités qui s’y sont forgées » (p. 34). La mise en relation permanente des productions culturelles noires américaines avec les modèles théoriques qui tentent de les expliquer, et l’interprétation de leur diversité comme une caractéristique constitutive de leur expérience singulière apparaissent comme les fils conducteurs d’une progression structurée en trois temps. La première partie replace logiquement la diaspora noire des Amériques dans le contexte historique de sa genèse, celui de la traite transatlantique présentée comme l’événement conférant une unité historique fondatrice aux sociétés en question ; mais aussi celui des conditions inhumaines de la plantation esclavagiste auxquelles les individus tentent de répondre par des stratégies de recomposition mêlant assimilation et résistance. Au-delà des ruptures historiques majeures trou- PopF.4_2006_Biblio.fm Page 603 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 603 vant leurs traductions dans les réagencements sociaux post-abolitionnistes et les migrations contemporaines massives vers le nord, l’accent est porté sur les continuités révélées tant par la « captivité » des sociétés de la Caraïbe et la fragmentation géopolitique et culturelle consécutive de cette région que par la reproduction du clivage « racial » hérité de l’esclavage dans les espaces de l’immigration antillaise contemporaine. Dans un deuxième temps, l’auteure expose les diverses théories explicatives de la genèse de l’univers culturel noir des Amériques : la thèse de la continuité par rapport à une Afrique dont les héritages auraient été conservés ; celle de la créolisation qui, en contradiction avec la position précédente, défend l’idée d’un modèle « hybride » donnant naissance à une nouvelle culture ; et celle de l’aliénation qui prend appui sur l’expérience des Antilles françaises, et selon laquelle l’ordre colonial esclavagiste puis républicain aurait empêché l’expression de « l’opposition fondatrice de ces sociétés » (p. 130). Elle met ensuite en lumière leur cohérence concernant l’étude de la famille antillaise, qui se prête à de multiples interprétations. La mise en exergue de la pertinence de ces trois théories pourtant antithétiques dans l’analyse d’un même objet vise à montrer la multiplicité des interprétations possibles – parfois contradictoires – à propos de l’univers culturel afro-américain. Menée préalablement à partir d’un objet d’étude empirique, cette démonstration est ensuite prolongée par la mise en relation de chacune des trois thèses précédentes avec le concept de diaspora. Les trois conceptualisations différentes qui en résultent appellent à la prudence quant à toute tentative d’interprétation des sociétés américaines issues de la plantation à partir d’un unique modèle d’identité et d’une conception figée et normative de la diaspora. Dans cet esprit, l’auteure propose une autre voie de compréhension s’incarnant dans l’idée d’une « communauté a-centrée », c’est-à-dire d’une « construction sociale particulière qui serait constituée par un ensemble d’orientations collectives non hiérarchisées, une culture plurielle dépourvue de centralité dans la manière qu’elle a de signifier les appartenances » (p. 163). La dernière partie se consacre précisément à l’argumentation de cette proposition, en articulant les divers repères théoriques et expériences présentés précédemment. Les idéologies revendiquant le retour (réel ou symbolique) à la terre ancestrale que sont le panafricanisme et le « nationalisme noir » sont d’abord présentées, en attirant l’attention sur les limites de leur pertinence dans la mesure où elles ne s’imposent pas comme des références centrales pour l’ensemble de la « diaspora ». L’idée de communauté a-centrée est ensuite explicitée à l’aide de multiples exemples concrets : les fonctionnements communautaires antillais complexes à Bristol et Brooklyn, la dynamique religieuse pluraliste en Jamaïque et dans les communautés antillaises immigrées, et le décalage entre les systèmes politiques caraïbéens et les processus d’identification des populations elles-mêmes. Ces expériences observées dans divers espaces et différents domaines de la vie sociale antillaise tendent toutes à montrer l’absence d’un modèle identitaire unique et stable offrant une grille de lecture commune, du fait de la fluidité et de la démultiplication culturelle et organisationnelle de sociétés antillaises qui ne peuvent se conformer à une centralité normative. L’une des faiblesses de l’argumentation réside peut être dans une lecture parfois trop ethnique des réalités sociales et identitaires antillaises – inhérente à l’idée de « diaspora noire » –, le problème étant de légitimer la limite là où n’existent que des gradients. On peut également regretter l’absence de réflexion autour de l’expérience des Antilles hispanophones, qui rassemblent 60 % de la population de PopF.4_2006_Biblio.fm Page 604 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 604 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE la Caraïbe et dont l’héritage africain est considérable. Néanmoins, l’ouverture scientifique remarquable de l’auteure lui permet d’atteindre son objectif initial d’apporter une vision synthétique et contradictoire des différents positionnements théoriques relatifs aux identités caraïbéennes. Le principal intérêt de l’ouvrage réside en définitive dans le va-et-vient permanent entre une (des) réalité (s) empirique (s) révélant la complexité du monde afro-américain et un concept de diaspora invitant à une diversité d’interprétations et dont les incertitudes sont singulièrement utilisées pour mieux comprendre ce que nous enseigne l’expérience diasporique noire américaine. C’est en fait à un nouveau regard sur l’idée de diaspora que nous invite Christine Chivallon. Mais l’ouvrage a également le mérite de mettre en lumière la nécessité de développer de manière ambitieuse la recherche sur les dynamiques sociales, identitaires et spatiales de la Caraïbe, dont la portée en termes de connaissances empiriques, de réflexion théorique voire épistémologique dépasse largement le cadre antillais – un enjeu scientifique encore difficilement appréhendé par la recherche française. Cédric AUDEBERT Julianne HAMMER, Palestinians Born In Exile : Diaspora And The Search For A Homeland, University of Texas Press, 2005, 304 p. À travers l’expérience de jeunes Palestiniens nés en exil et venus s’installer en Palestine à la suite des accords d’Oslo (1993), l’auteur pose la question de l’émergence d’une diaspora palestinienne en s’interrogeant sur l’articulation entre être réfugié, exilé et membre d’une diaspora. Alors que la question de la diaspora palestinienne a souvent été posée à partir des communautés en exil autour de réflexions sur la mémoire, Julianne Hammer s’intéresse elle aux liens entre les exilés et « le pays de leurs rêves », pour reprendre le titre de son troisième chapitre. C’est donc dans ce rapport entre l’extérieur et l’intérieur, ou plutôt dans la perception que ces jeunes Palestiniens nés à l’étranger ont de la Palestine post-Oslo, que réside l’originalité de l’approche développée dans cet ouvrage. Depuis 1993, une centaine de milliers de Palestiniens se sont installés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, la majeure partie dans le cadre de leurs activités au service de l’Autorité palestinienne nouvellement créée. D’autres sont arrivés dans le cadre de programmes de réunification familiale, suite à leur expulsion du Koweït en 1991 ou bien, parce que détenteurs de passeports étrangers, ils ont décidé de venir s’installer dans les territoires palestiniens. C’est auprès d’une partie de cette dernière catégorie – les jeunes adultes nés hors de Palestine âgés de 16 à 35 ans – que Julianne Hammer a réalisé ses entretiens sur leur expérience du « retour », ce terme étant à prendre au sens symbolique, puisque nés hors de Palestine, il s’agit pour eux d’une migration vers le pays d’où est originaire au moins un de leurs parents. Composé de réfugiés venus d’Amérique du nord ou d’Europe, le groupe s’est construit depuis son exil une image de la Palestine qui diffère fortement de celle que se sont forgés leurs homologues qui ont vécu dans les camps au Moyen-Orient. Cet ouvrage se propose de répondre à deux interrogations principales. Les Palestiniens forment-ils une diaspora, au regard des théories récentes sur la formation des diasporas modernes ? Si le rôle joué par le mythe du pays d’origine est central, comme cela a été développé dans de nombreuses études sur les diasporas contemporaines, comment se construit cette Palestine imaginée et comment se développent les images de la Palestine comme patrie d’origine au sein de ce groupe de jeunes Palestiniens nés à l’étranger ? PopF.4_2006_Biblio.fm Page 605 Lundi, 13. novembre 2006 1:47 13 BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE 605 Après un rapide rappel de l’exode des Palestiniens en 1948 et 1967 et un bref exposé sur la question des réfugiés, l’auteur brosse un tableau des migrations palestiniennes en montrant qu’outre les exodes, les migrations palestiniennes se sont également développées pour des motifs économiques ou politiques. L’émigration de Palestine vers les pays arabes voisins ou vers les pays occidentaux s’est traduite par une installation durable des migrants, où se côtoient une minorité de riches Palestiniens et une large population défavorisée, la question du retour (sous forme de désir, de rêve ou d’illusion) demeurant présente à différents degrés. Le chapitre 2 est consacré au développement de l’identité nationale palestinienne, facteur indispensable à la compréhension de la formation de la diaspora palestinienne : s’appuyant sur une revue de la littérature produite sur le sujet, il est ponctué d’extraits d’entretiens menés par l’auteure. Les entretiens sont d’ailleurs présents dans l’ensemble de l’ouvrage et font parvenir au lecteur, au-delà du témoignage, une véritable image de la question de l’exil, de la diaspora et du rapport à la Palestine telle qu’elle est perçue par les jeunes Palestiniens euxmêmes. La place singulière qu’occupe la Palestine dans la définition de la diaspora est ensuite traitée dans le chapitre 3. Avant d’analyser le processus de retour des jeunes Palestiniens qu’elle étudie dans le chapitre 5, l’auteur brosse un tableau général du retour des Palestiniens dans les territoires depuis 1993, dans lequel s’inscrit celui du groupe auquel elle s’intéresse. Elle montre dans le chapitre 6 comment cette expérience migratoire participe à une réécriture de différentes facettes de l’identité – politique, culturelle et religieuse – de ces jeunes Palestiniens confrontés au décalage entre la Palestine telle qu’ils l’ont construite dans l’exil et celle où ils se sont installés. Les projets d’avenir bâtis par ces migrants de retour s’inscrivent dans une double dynamique d’intégration à la société d’accueil en Palestine et de participation à des pratiques transnationales, qui sont abordées dans le chapitre 7. En conclusion c’est la question du « retour », ou de la découverte d’une nouvelle patrie qui est posée, avec pour corollaire la place qu’occupe la Palestine en tant que pays d’origine, dans l’architecture de la diaspora palestinienne. Mohamed Kamel DORAÏ