Dionysies 2016 Mardi 5 avril, Université Paris

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Dionysies 2016 Mardi 5 avril, Université Paris
Dionysies 2016
Mardi 5 avril, Université Paris-Sorbonne, Centre Clignancourt, salle R01
14h-18h : Table-ronde Musique et théâtre : noter et interpréter
Philippe Brunet, Introduction
Hugues Badet, Interpréter et jouer l'Ion de Platon
Diomède Gariazo Lechini, Acteur et personnage dans la comédie et la tragédie grecques
antiques
François Cam et Gilles de Rosny, La notation musicale grecque, propositions pour de
nouvelles écritures antiques
Fantine Cavé-Radet : Noter les pas, noter les gestes ?
Emmanuel Lascoux, Le melos logôdes du vers tragique et sa notation
Maël Bailly, Jouer la musique dans la compagnie Démodocos
17h45 Christine Hunzinger, avec les étudiants de l'UFR de Grec, lecture : Errances et migrations
dans l'Antiquité et le théâtre d'Eschyle
19h Les Suppliantes d'Eschyle, mise en scène de Ph. Brunet, traduction de Ph. Brunet et A. Münch,
musique F. Cam, chorégraphie F. Cavé-Radet, lumières E. Pelladeau : Maël Bailly, Daniel Rasson,
Gilles de Rosny, David Suzanne et Juan Rodriguez ; Chœur des Suppliantes : Fantine Cavé-Radet,
et au pupitre : Chloé Batigne, Avital Cohen, Violette Hu (qanoun), Esther Lourdelet, Susie
Vusbaumer.
Création Démodocos 2016.
Intervenants à la journée du 5 avril 2016
Philippe Brunet, helléniste, métricien et metteur en scène du Théâtre Démodocos, est professeur à
l'université de Rouen, et prépare avec G. Boussard, Y. Migoubert, et A. Münch l'édition Démodocos
d'Eschyle.
Hugues Badet, comédien, professeur de théâtre, présente depuis 4 ans des dialogues de Platon aux
Dionysies. Il joue actuellement dans La Musica de M. Duras (ms A. Vassiliev) à la Comédie
Française.
Diomède Gariazo Lechini, uruguayen, est en doctorat à l'université Paris-Sorbonne. Il joue cette
année dans Lysistrata.
François Cam, compositeur du Théâtre Démodocos, enseigne à l'université de Franche-Comté, et
achève un travail doctoral sur le « Mélos dans la musique grecque antique ».
Gilles de Rosny, auteur de logiciels de scansion sur homeros.fr, développe une réflexion sur la
musique grecque et les textes des théoriciens antiques. Joue dans plusieurs spectacles de la
compagnie Démodocos, dont les Suppliantes.
Fantine Cavé-Radet, doctorante, comédienne et musicienne, intervient en tant qu'interprètechorégraphe des danses dans les Suppliantes. Elle en a aussi réalisé les costumes et les masques.
Emmanuel Lascoux, helléniste et pianiste, professeur de lettres classiques, auteur d'une thèse sur
l'accentuation chez Homère interrogeant le rapport du chant vocal et du rythme métrique. Intervient
avec G. Boussard dans le récital Lucrèce à Sète.
Maël Bailly, étudiant en musicologie, est comédien et musicien dans la troupe depuis 2014 (Œdipe
roi, Sept contre Thèbes, Lysistrata, Suppliantes).
Christine Hunzinger, helléniste, maître de conférences de grec ancien à l'université Paris-Sorbonne,
passionnée de littérature grecque. A participé à la création de Démodocos en 1995 avec Ph. Brunet.
Présente chaque année des lectures aux Dionysies avec des étudiants de l'UFR de grec.
Autres intervenants dans les Suppliantes :
Eric Pelladeau, régisseur lumières, et bâtisseur des tréteaux de la compagnie, a la tâche difficile de
concevoir des lumières dans les espaces très particuliers, non équipés, où sera présentée la pièce des
Suppliantes aux Dionysies 2016.
Daniel Rasson, depuis 2007, intervient comme comédien et choreute dans la plupart des spectacles
de la compagnie Démodocos. Il fête sa 10e année dans Antigone.
Susie Vusbaumer, professeur de lettres classiques, a participé aux grandes aventures de la troupe,
notamment tourangelles (1998-2001) : Orestie 1998, Orphée 2000, Perses 2001, Bacchantes 2013,
Sept contre Thèbes 2014, et Suppliantes 2016. Est Ismène dans Antigone.
Violette Hu, voix d'Athéna dans les Euménides, chœur scénique dans les Choéphores, a participé à
la plupart des créations musicales et théâtrales de la compagnie ces dernières années.
David Suzanne, musicien et comédien, est en études théâtrales à Paris 3. Est arrivé en 2014 pour
jouer dans Œdipe roi, a poursuivi dans Lysistrata en 2015 et dans les Suppliantes.
Juan Rodriguez, étudiant Erasmus, et Chloé Batigne, Esther Lourdelet, Avital Cohen, étudiantes de
Lettres Classiques à Paris-Sorbonne, participent en 2015-16 à l'atelier Chœur et théâtre antiques de
l'université Paris-Sorbonne.
Note d'intention sur les Suppliantes
par Philippe Brunet
Note préalable au travail de répétition :
Dans le répertoire tragique, c'est la pièce la plus proche d'un modèle où l'on a longtemps cru voir la
tragédie archaïque dans son principe. Le Chœur y joue le personnage principal. C'est lui qui arrive
et crée l'événement. Son arrivée est massive, puisque les cinquante filles de Danaos débarquent
avec leur père. Elles viennent d'Afrique, et ont franchi la Méditerranée, fuyant leurs cousins
violents, les Egyptiades. Elles ont vécu la fatigue, la soif et la faim du voyage. Elles n'aspirent qu'à
être recueillies, hébergées. Pourquoi venir à Argos ?
C'est là que dans la pièce d'Eschyle, le prétexte dramatique est emprunté à la longue mémoire des
Grecs, une mémoire qui a oublié ses origines africaines, pour imaginer que les filles de Danaos
seraient issues de la fille d'Inachos et des amours de Zeus.
Toute ressemblance avec les migrants actuels est purement fortuite.
Les migrants offrent l'envers d'une forme de colonisation. Les accueillir, c'est s'exposer à l'Autre. A
la culture de l'Autre. On ne peut les laisser au pied du mur, à l'extérieur de la cité.
Ces Suppliantes sont devant le mur.
Les vêtements encore mouillés par les embruns, elles viennent de s'échouer. Dans leurs cheveux,
elles ont des bijoux forgés par les nomades du désert. Leurs yeux sont maquillés à la mode
égyptienne. Leur peau est noire. Elles portent leurs instruments, tambour et simsimyya, cette lyre
encore utilisée de nos jours à Port Saïd, et leur balluchon de voyage. Elles ont laissé tout le reste làbas. Leurs mères, leurs amies, le confort d'une vie au bord du Nil. Les récoltes faciles sur cette terre
féconde.
Elles se rêvent grecques, et se raccrochent à une généalogie argienne, dont Iô, la fille du dieu fleuve
Inachos, après avoir été aimée par Zeus, a connu l'errance et les fureur d'Héra, avant d'échouer sur
les rives du Nil et d'être enfin délivrée par le toucher, ou l'effleurement, de Zeus, et de donner
naissance à Epaphos.
Invention athénienne, récupération d'une ancienne colonisation du Péloponnèse par les Egyptiens
du IIe millénaire ? il semble que les Grecs du Ve siècle aient voulu rendre acceptable cette origine
africaine, un peu barbare, en tout cas assez peu hellénique, de leur cité d'Argos…
Note sur la mise en scène quelques jours avant la création :
Pour ce spectacle, la traduction a été faite pour moitié par Aymeric Münch, pour moitié par moi
quand la décision a été prise de se lancer dans l'aventure. Le temps très court (de janvier à mars), les
répétitions, régulières mais brèves au commencement, ont imposé ensuite un entraînement plus
exigeant et plus d'une fois l'aventure a failli tourner court.
La traduction métrique des chants du Chœur est quasiment interprétée dans son intégralité. Ce qui
est exceptionnel en soi. Quelques strophes sont chantées en grec dans la composition de F. Cam qui
poursuit avec maîtrise sa réinvention de l'art musical des Grecs. Mais que ce soit en français ou en
grec, toutes les strophes sont dansées sur le même pas.
Un dispositif d'alternance et de dissociation entre voix et chœur scénique fait varier la langue, mais
la danse-gestique est toujours là, cette expression seconde du texte, comme incluse dans le texte.
La danse est enfouie mais assez clairement lisible dans le texte métrique.
La prosodie métrique enfouie dans la langue française devient plastique, rythme, mouvement,
forme.
La possibilité de faire vivre le chant grec est très exaltante, mais non moins la possibilité de danser
les strophes traduites et de rentrer par là même dans l'interprétation orchestique des valeurs
chorales, tour à tour dramatiques et réactives, mythologiques et mémorielles.
Danser le parcours errant d'Iô dans l'alternance des strophes et des antistrophes, dans toute la
métrique des vers, dans le jeu des pas et des gestes : c'est l'honneur et la lourde tâche qui incombent
à Fantine Cavé-Radet avec la complicité du pupitre.
La voix grecque a été destinée à incarner paradoxalement la voix étrangère.
Toutefois, Danaos et ses filles se parlent entre eux en français. L'altérité linguistique se révèle en
présence du Roi.
Un personnage a été créé, l'Interprète : il traduit consécutivement le texte grec des Danaïdes en
français, et traduit en gestes les réponses en français du Roi, avec lequel il incarne une sorte de duo
parfois proche de la marionnette. La pantomime, la gestuelle, évoluent aussi vers la statuaire. Ce
travail est encore en germe. Il prendra tout son sens avec le développement de la scénographie.
La scénographie est encore à créer dans une étape ultérieure du travail. Une première proposition de
costumes et de masques a été faite par Fantine Cavé-Radet.
La pièce, première de la trilogie tragique des Danaïdes, a révélé sa magie dans la physique
expérimentale du jeu. Le refus du mariage forcé rend la voix féminine étonnamment archaïque et
actuelle à la fois ; le motif politique, refus d'une décision autocratique du Roi Pélasgos au profit
d'une consultation parlementaire, rend toute la cité co-responsable des actes, dans une solidarité qui
inclut le public de la pièce. C'est pourquoi le Chœur remercie le Public.
Cette solidarité politique de toute la cité s'exprime dans le rapport aux dieux, ces dieux qui sont
communs aux Egyptiens et aux Grecs, puisqu'ils viennent pour la plupart d'Egypte, comme le
rappellera Hérodote. Le rapport aux dieux est constant dans la mise en scène. Tout ce théâtre, tout
l'espace, est porté, exprimé par ce rapport.
Un romancier italien a, paraît-il, adapté l'Iliade en supprimant les dieux. Il faut bien être
contemporain. Les dieux en rient encore.
Ce fragment de la trilogie, même s'il n'en constitue qu'un premier volet, laisse présager beaucoup de
la suite. La présence très violente des cousins Egyptiades, même par l'entremise de simples
Emissaires, est déjà patente dans l'exodos.
Les bordées d'injures que les Danaïdes lancent aux mâles égyptiens, les chants et déclamations
vigoureuses et angoissées que les deux groupes s'échangent (nous nous sommes fondés sur un texte
grec établi par Anne-Iris Muňoz) enclenchent cette opposition féminin-masculin très primitive.
Il faut voir les Suppliantes comme l'Agamemnon dans l'Orestie. La première cime, la plus raide, la
plus abrupte. Le moment de l'arrivée. Tout se joue sur cette bordure.
A la fin, on voudrait respirer et vivre la joie de l'hospitalité reçue, mais on retient son souffle.
On peut sourire avec Danaos, figure complexe et rouée, négociateur habile et matois, dont
l'ambiguïté est bien servie par Daniel Rasson. En invitant ses filles à la décence et à la modestie, il
expose en fait leur beauté virginale à la violence du désir.

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