Témoignage auprès d`étudiants à l`école de la magistrature

Transcription

Témoignage auprès d`étudiants à l`école de la magistrature
Témoignage sollicité par des étudiants de l'école de la
Magistrature de Bordeaux en vue d'un travail de fin
d'études.
"L'homme comme l'arbre, a besoin de ses racines pour tenir debout"
proverbe africain
"Le passé est une partie de nous-même,
La plus essentielle peut-être,
Qu'est ce qu'un arbre sans racine?
Qu'est ce qu'un fleuve sans sa source?
Qu'est ce qu'un peuple sans son passé?…"
Victor Hugo
Le désir unanime des membres de toutes les associations concernées par le sujet, est
l'abolition de l'accouchement sous X, et le droit d'accès à la connaissance de ses origines et de
son histoire; Que ce soit les Nés sous X, les simplement abandonnés, les adoptés, les mères
qui ont été forcées à laisser leur enfant, et même maintenant les générations de Procréation
Médicale Assistée qui sont devenues adultes et qui commencent à se mobiliser.
Les arguments avancés pour le maintien du secret sont ( en France comme au Luxembourg :
les deux seuls pays dans ce cas ) en priorité l'augmentation des infanticides, or nul n'arrive à
avancer de chiffres exacts comme preuve.
Egalement, certains pensent qu'il nous vaut mieux ignorer d'où l'on vient, plutôt que de faire
face à la "cruelle vérité" que pourrait être celle d'être né d'un viol ou d'un inceste.
Mais là encore, ceux qui ont finalement accès à leurs origines ne se trouvent pas être une
majorité dans ce cas.
Or, l'imagination humaine est fertile et inapaisable.
Et dans l'hypothèse où l'on souhaiterait oublier nos origines, notre abandon, etc., … c'est
impossible: en effet dès que nous allons chez un médecin, revient la sempiternelle question:
"quels sont vos antécédents familiaux ?": mystère.
Rappelons à ce sujet que de ce fait, nous n'avons pas accès à la prévention de certaines
maladies à laquelle nous pourrions prétendre comme les autres citoyens, qui eux connaissent
les antécédents médicaux de leurs ascendants.
Nous ne pouvons faire le deuil que de ce que l'on connaît.
Ce que nous voulons c'est, non pas comme c'est le cas aujourd'hui et la persistance de cette loi
le prouve, être traités à perpétuité comme des enfants, mais comme des enfants qui un jour
sont devenus adultes au même titre que leur mère biologique et comme des citoyens à part
entière.
En effet si notre mère qui nous a porté, qui nous a mis au monde, qui pour quelque raison que
ce soit ne nous a pas voulu ou n'a pas pu nous élever, cette femme adulte a mis au monde un
enfant.
Mais cet enfant est, lui aussi, un jour devenu adulte et sa demande d'accès au savoir, à la
connaissance de ses origines, de son histoire et du pourquoi de celle-ci, a une valeur égale à la
demande de secret de sa mère, adulte elle aussi; ce qui la rend légitime.
Aussi entre la demande d'un enfant devenu citoyen à part entière à sa majorité, avec des droits
égaux à ceux de ses concitoyens, et la demande d'une femme adulte qui a fait une erreur, que
nous ne lui reprochons pas, mais à qui nous demandons d'en assumer la responsabilité,
l'ensemble des membres des diverses associations ne comprend toujours pas qu'en France,
pays qui se dit démocratique, la reconnaissance de l'identité et le droit à l'accès de cette
identité individuelle soit le seul acte pour lequel le citoyen, en l'occurrence la mère, ne soit
pas assujetti à assumer l'entière responsabilité du dit acte.
L'accès au droit à la vérité nous concernant, ne remet absolument pas en cause:
Le fait que nous ne demandons pas à cette mère de nous aimer.
Son droit à nous abandonner.
La possibilité d'une adoption.
Mais il ne faut pas faire l'amalgame entre notre désir de savoir, qui est légitime, et de ce fait
une possible remise en question de l'amour porté aux parents adoptifs.
Nous demandons que la France applique honnêtement et dans le respect des lois votées, le
Traité Européen de la Convention des Droits de l'Enfant qu'elle a ratifié:
"Le droit pour chacun à l'accès à ses origines" ( article 7 ).
Même si, suite au tapage médiatique de ces dernières années, l'esprit du personnel
administratif s'ouvre à la communication, beaucoup trop d'entre nous sont encore confrontés à
des lenteurs administratives, mais surtout à des oppositions illégales ( dissimulations,
falsifications de documents, refus d'accès à nos dossiers malgré les lois établies depuis 1978 ),
voire même à "l'affichage d'une jouissance" de la part de certains(es) à s'octroyer, à user et
abuser de pouvoirs fictifs dans la rétention d'informations qu'ils ont obligation de nous
délivrer de par les lois en vigueur.
Connaître ses origines sert à se construire, mais n'empêche pas d'aimer ceux qui nous élèvent;
Et ce d'autant plus que le fait d'être adopté ne sera jamais un secret et que les parents adoptifs
soutiendront leurs enfants et les accompagneront dans leurs démarches de recherche: ils n'en
seront aimés que plus.
L'acteur SMAIN a dit un jour dans une émission télévisée:
"Nul ne connaît son avenir, mais en plus les enfants abandonnés ne connaissent pas leur
passé: nous sommes des enfants suspendus".
J'irais même jusqu'à dire amputés et nul n'ignore la souffrance provoquée par le membre
fantôme.
Beaucoup de parents adoptifs souhaiteraient un bébé sans histoire;
Ils doivent penser que c'est plus malléable. Mais le questionnement fait partie de l'être
humain; cela le différencie de l'animal.
Comment voulez-vous qu'une maison puisse être construite sur des fondations inexistantes et
surtout tienne dans le temps.
Nous sommes des êtres fragilisés à vie, voire brisés.
Nous ignorons d'où nous venons, qui nous sommes.
Nous ne ressemblons à personne. Tous nous nous sommes regardés dans une glace depuis tout
petit en nous demandant: "ai-je les traits de ma mère, ceux de mon père?". "Mon père sait-il
seulement que j'existe?".
En ce qui me concerne, et comme beaucoup parmi nous, je ne supporte même plus du tout de
voir mon image dans la glace, ni d'être prise en photo.
Nous développons tous plus ou moins de la culpabilité, simplement par le fait d'exister.
Le manque de confiance en soi fait partie de notre quotidien, ce qui entraîne fréquemment des
difficultés d'intégration sociale, professionnelle…, de la méfiance envers autrui.
En effet comment intéresser l'autre (dans le cas où notre mère nous a vu, et c'est mon cas
puisqu'elle m'a allaitée durant 18 jours) quand le seul fait de nous voir, après nous avoir porté,
ne suffit pas à retenir son regard et à lui donner envie de nous garder, Elle, notre propre mère:
la personne qui devrait nous chérir le plus.
Le désir d'auto agression, voire d'autolyse, n'est pas rare chez les Nés sous X: les tentatives de
suicide sont fréquentes.
Souvent nous pensons nous en sortir quand nous entamons une vie professionnelle et/ou une
vie de couple.
Mais quand notre propre enfant arrive au sein du couple, la souffrance que l'on pensait
oubliée, enfouie à jamais, refait surface et elle stigmatise et notre couple, et nos enfants voire
nos générations futures.
A ce moment de nos vies, un grand nombre d'entre nous, entre en psychothérapie ou en
analyse, pour régler nos propres difficultés et celles engendrées vis à vis de notre conjoint, de
nos enfants, de notre travail, de nos collègues, etc. …
C'est souvent à cette époque de notre vie que l'édifice mal construit s'écroule, s'effondre et si
on arrive à recoller le vase brisé, ce sera toujours un vase fragile: ceux qui s'en sortent, sont
ceux qui arrivent à mettre de l'eau dans le vase sans qu'il n'y ait de fuites.
Alors, il y a ceux qui recherchent et ne trouvent jamais: ou ils arrêtent un jour leur quête par
dépit ou obligation, car elle s'avère stérile, ou ils restent en quête jusqu'à leur dernier jour, y
consacrent toute leur énergie, s'y épuisent et ne vivent plus que pour savoir.
(Dans l'association dont je fais partie, un des adhérents a plus de 70 ans et la quête de ses
origines dure depuis plus de 40 ans).
Ensuite, il y a ceux qui un jour retrouvent une mère, un père, une fratrie ou un autre parent.
Là plusieurs facteurs entrent en jeu:
Depuis quand dure la recherche.
Si une seule des parties ou les deux souhaitaient des retrouvailles.
Les conditions de ses retrouvailles.
Souvent la mère a refait ( ou simplement fait ) sa vie, et ceux qui en font partie
ignorent tout de son passé.
Cependant elle peut être restée une mère en souffrance avec toujours au fond d'elle
l'espoir de retrouver un jour cet enfant né dans le secret.
Tous ces cas de figures font que les conditions de ces retrouvailles peuvent avoir plusieurs
facettes:
Cela peut être une joie et un soulagement des deux côtés.
Cela peut demander, de part le choc suscité, plusieurs mois, voire plusieurs années
pour que les relations s'établissent timidement mais réellement.
La mère, ou le père, peut être décédé et les liens peuvent ou non se créer avec un ou
plusieurs membres de la généalogie.
La mère, ou le père, peut reconnaître avoir mis au monde, (ou eu), un enfant et
reconnaître l'adulte comme étant celui-ci mais en rien ne vouloir avoir affaire à lui
dans l'avenir.
Dans ce cas, c'est certes un cap difficile à passer, mais en général on digère avec le
temps et peu à peu la sérénité et l'apaisement apparaissent.
Enfin (et c'est mon cas), on retrouve sa mère, elle ne nous renvoie pas, est dans
l'impossibilité de raccrocher quand on l'a au téléphone, mais de suite ou au bout d'un
laps de temps (en ce qui me concerne quatre mois), choisit le déni et refuse de
reconnaître le lien de parenté.
C'est très difficile à concevoir, à digérer; J'irais même jusqu'à dire qu'en ce qui me concerne
autant j'avais finalement intégré mon abandon à la naissance, autant je n'accepte pas ce
nouveau rejet, des années après.
J'ai retrouvé ma mère en juillet 2000, (étant née sous X, j'ai eu beaucoup de chance face à un
dossier vide, j'ai eu aussi de l'aide de certains administratifs et pour cela je leur en serai
éternellement reconnaissante et surtout j'ai fait preuve d'une grande opiniâtreté. Une grande
détermination peut parfois donner des ailes, des idées et de l'ingéniosité: j'ai vraiment retrouvé
une aiguille dans une botte de foin.
A ce jour ma mère est décédée en janvier 2004; Je lui ai envoyé plusieurs lettres, des cartes de
vœux et d'anniversaires auxquelles elle n'a jamais répondues, je l'ai eue deux fois au téléphone
pendant environ une heure et à chaque fois c'est moi qui ai raccroché et je l'ai revue alors
qu'elle était hospitalisée en novembre 2003: elle avait toute sa tête et je l'ai rencontrée en
présence de son fils (mon demi-frère).Elle ne m'a adressé la parole que lorsque nous avons été
seules et jusqu'au bout elle n'a pas nié, mais n'a pas reconnu être ma mère.
Cependant malgré cela, je maintiens que seule la vérité apporte la sérénité et l'apaisement
et que ce n'est qu'en la connaissant que l'on peut commencer à se construire.
Aujourd'hui j'entretiens des relations étroites (bien que nous vivions à plus de 600 km l'un de
l'autre) avec ce demi-frère et il y a environ un mois nous avons reçu la confirmation par une
recherche ADN de notre lien de parenté: nous avons bien la même mère.
Lui, a accepté cet état de fait comme s'il l'avait toujours su (de suite il a pensé que c'était sa
mère qui lui avait menti toute sa vie), c'est extraordinaire.
Il faut souligner au passage qu'en France, cette recherche par l'ADN, n'est possible qu'en
passant par un avocat, uniquement avec l'accord d'un juge.
Dans mon cas, ma mère refusant et moi née sous X, cette analyse aurait été refusée.
De plus en France c'est très coûteux (environ 1200 €) et dans la majorité des cas impossible.
Et, bien que mon frère et moi ayant été d'accord, cela ne rentrait pas dans le cadre légal
français; On est obligé de passer par des laboratoires étrangers et à titre indicatif suivant
l'analyse, le coût varie de 300 à 600€ .
Même si tous les problèmes ne sont pas réglés (manque de confiance en soi, sentiment de
culpabilité, difficulté à une certaine sociabilité …)
RIEN NE VAUT LE SAVOIR ET LA CONNAISSANCE DE SES ORIGINES.
C'est seulement au prix de cette VERITE et ce QUELLE QU'ELLE SOIT que l'ON PEUT
SE CONSTRUIRE.
Enfin si nous avons toujours autant de mal à nous faire entendre de nos législateurs, c'est
qu'en plus d'être considérés éternellement comme des enfants dans notre demande, en
revanche les gens en général comprennent mal qu'à nos âges (30, 40 ans …)et jusqu'à notre
dernier souffle nous puissions être à ce point accroché à notre mère, avoir ce besoin furieux de
connaître nos origines.
Dans mon cas personnel, une assistante sociale (la première qui m'a montré mon dossier, et
j'ai su 5 ans plus tard qu'elle m'avait menti sur plus de la moitié des informations:
pourquoi?…), donc cette femme m'a dit: "c'est bien que vous pleuriez, cela veut dire que vous
ressentez quelque chose, mais à 38 ans on a passé l'âge de rechercher sa mère, c'est ridicule,
vous avez vraiment besoin de vous faire soigner".
J'exerce le métier d'infirmière en gastro-entérologie.
Je voudrais juste finir sur un exemple qui m'a frappé car je l'ai finalement trouvé très proche
de mon histoire et de celle de tous ceux dans mon cas.
"Une patiente qui avait subi une gastrectomie totale (suppression de l'estomac) et qui était à
jeun depuis environ quinze jours (donc ni boire, ni manger, seulement nourrie par perfusion),
m'a dit lorsqu'elle a pu boire à nouveau son premier verre d'eau: "avant je buvais de l'eau sans
faire attention, mais tant qu'on en n'a pas été privée, on ne se rend pas compte de
l'importance que peut avoir cette eau: elle est vitale".
Et je me suis dit que celui qui a toujours connu ses parents, ses origines, trouvait cela aussi
naturel que de respirer ou de boire un verre d'eau: il le fait sans y penser, automatiquement,
naturellement.
Tandis que celui ou celle qui a été porté 9 mois par sa mère, puis en est séparé à la naissance
se sentira à jeun jusqu'aux retrouvailles, ou tout au moins jusqu'à la connaissance de la vérité,
et ne sera apaisé qu'à ce moment là.
Les tourments s'apaisent avec la vérité; La sérénité ne vient qu'avec la connaissance de ses
racines, de son histoire et la construction individuelle n'est possible qu'à partir de là, car ON
NE PEUT FAIRE LE DEUIL QUE DE CE QUE L'ON CONNAIT.
Juillet 2004 - Marie-Pierre D.

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