- Annales de Toxicologie Analytique

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Ann Toxicol Anal. 2008; 20(4): 207-209
c Société Française de Toxicologie Analytique 2009
DOI: 10.1051/ata/2009022
Disponible en ligne
www.ata-journal.org
Lettre à la rédaction
Efficacité de l’emploi tardif de la N acétyl cystéine
dans l’intoxication au paracétamol
Efficacy of late administration of N acetyl cysteine in acetaminophen intoxication
Catherine Coilliot1, Thierry Coton2 , Céline Ragot3 , Dominique Carre2 , Jean-Luc Moalic3 ,
Manuela Oliver3
1
2
3
Service de Pharmacie Hospitalière, Hôpital d’Instruction des Armées Laveran, BP 60149, 13384 Marseille Cedex 13, France
Service de Gastro-entérologie, Hôpital d’Instruction des Armées Laveran, BP 60149, 13384 Marseille Cedex 13, France
Laboratoire de Biochimie, Hôpital d’Instruction des Armées Laveran, BP 60149, 13384 Marseille Cedex 13, France
Mots clés : Acetaminophen, overdosage, antidote, N acetyl cysteine
Key words: Paracétamol, surdosage, antidote, N acétyl cystéine
Reçu le 25 septembre 2008, accepté après modifications le 5 février 2009
Publication en ligne le 26 mars 2009
Le paracétamol est un des médicaments les plus utilisés dans
le monde, sa vente est libre dans la plupart des pays et la dose
maximale recommandée est de 4 g/j. L’hépatite au paracétamol est préférentiellement rencontrée chez les adolescents et
jeunes adultes sous forme isolée ou de poly-intoxication. La
majorité des décès survient pour des populations plus âgées
(plus de 40 ans) [1]. Son antidote, la N acétyl cystéine (NAC),
utilisée de façon précoce (10 premières heures) a une efficacité
remarquable.
Nous rapportons ici un cas d’intoxication aiguë grave au
paracétamol chez un alcoolique chronique traité avec succès
de cet antidote au-delà de la 10e heure.
Un homme de 42 ans était hospitalisé en urgence le 10 décembre 2003 dans le service de gastro-entérologie pour un
tableau d’hépatite aiguë : il avait été admis la veille en service de psychiatrie pour l’aggravation récente de conduites
d’alcoolisation.
Ses antécédents personnels étaient marqués par un
éthylisme ancien et une toxicomanie à la buprénorphine
(Subutex) sevrée depuis six mois. Son traitement habituel
associait de la lévopromazine (Tercian), de l’alprazolam
(Xanax), de la paroxétine (Divarius) et de l’alimémazine
(Theralene).
À l’admission, le patient était apyrétique et son examen
clinique était normal. Il n’y avait ni astérixis ni de trouble de
la conscience. Son hémodynamique était stable et il n’existait
Correspondance : Dr Thierry Coton, [email protected]
aucun signe de choc. Le bilan biologique d’entrée révélait une
macrocytose avec une thrombopénie, un cytolyse majeure avec
des ALAT et des ASAT respectivement à 60 à 450 fois la
normale, ainsi qu’une cholestase ictérique (phosphatases alcalines, gamma glutamyltransferase et bilirubine conjuguée respectivement à 1,5N, 3N, 75 µmol/L). Le taux de prothrombine
était effondré (23 %) avec un facteur V à 8 %. La fonction
rénale était normale et une rhabdomyolyse était éliminée, les
CPK étant normales. Les sérologies pour les virus des hépatites A, B, C, l’Epstein Barr virus, le cytomégalovirus et
l’herpes simplex virus étaient négatives. L’échographie notait
une hépato splénomégalie sans signe de dysmorphie hépatique
ni de dilatation des veines sus hépatiques. La vésicule était alithiasique et il n’y avait pas de dilatation des voies biliaires.
L’ensemble de ces données permettait de retenir d’emblée le diagnostic d’hépatite aiguë sévère sans signe d’encéphalopathie hépatique. La présence d’une paracétamolémie à
29 mg/L mesurée plus de 24 h après l’admission en l’absence
d’administration à l’hôpital, était le seul élément d’orientation étiologique et de gravité. Le patient avouait a posteriori
la prise d’une quantité importante de Codoliprane (paracétamol et codéine) les 8 et 9 décembre 2003, avec absorption
respectivement de 6,4 et 12,8 g de paracétamol. Un traitement
par la N acétyl cystéine était débuté le 10 décembre 2003 à la
24e heure d’hospitalisation (150 mg/kg en une heure suivis de
150 mg/kg sur 20 h) soit 48 h après le début de l’intoxication.
L’évolution était favorable avec une normalisation du TP en
Article publié par EDP Sciences
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C. Coilliot et coll.
Fig. 1. Évolution des transaminases et du TP en fonction du temps.
96 h et diminution significative des transaminases (figure 1)
qui se normalisaient totalement en un mois. Le diagnostic
d’hépatite aiguë sévère au paracétamol d’évolution favorable
après administration tardive de NAC chez un éthylique chronique était finalement retenu.
La toxicité hépatique du paracétamol est bien connue en
particulier chez le buveur chronique excessif [2]. Lors d’une
intoxication massive, le glutathion est consommé. Lorsque
70 % de la réserve en glutathion est épuisée, le N acétyl parabenzo quinone imine (NAPQI) s’accumule, conduisant à une
nécrose des cellules hépatiques à prédominance centrolobulaire. La toxicité est dose dépendante. Classiquement, la dose
toxique du paracétamol varie selon les auteurs entre 3 et 15 g
chez l’adulte et 80 à 100 mg/kg chez l’enfant [3] et chez le
buveur excessif des doses thérapeutiques (3,5 g) peuvent être
hépatotoxiques [4]. Plus récemment, un consensus européen
propose une dose toxique de 8 g chez l’adulte, de 200 mg/kg
chez le nourrisson, de 150 mg/kg chez l’enfant de moins de
6 ans et de 100 mg/kg au-delà de 6 ans. La responsabilité
du paracétamol dans notre cas d’hépatite a été retenue sur les
données de l’interrogatoire, le profil de la cytolyse (ASAT >
ALAT) et après élimination des causes usuelles d’hépatites aiguës (virus A, B, C, CMV, herpès) (la recherche d’hépatite E
n’était pas systématique en 2003 en l’absence de séjour outremer), d’une insuffisance cardiaque droite, d’un état de choc et
après réception des résultats de la paracétamolémie, la notion
d’ingestion massive reconnue a posteriori par le patient certes
polymédiqué (rôle aggravant possible de la codéine) et l’évolution rapidement favorable après administration de l’antidote.
La recherche de toxique de type opiacés n’a pas été réalisée
puisque l’interrogatoire seul retrouvait la notion de prise de
codéine.
L’intoxication était biologiquement sévère chez notre patient qui présentait un TP à 23 %, un facteur V à 8 % et une
paracétamolémie de 29 mg/L plus de 24 h après la dernière
prise. En effet, le TP et surtout le taux de facteur V ont une
bonne valeur prédictive : un facteur V inférieur à 10 % est
associé à une évolution défavorable avec une sensibilité de
95 %3 . Enfin, la concentration toxique habituelle en paracétamol est de 200 mg/L à la quatrième heure et de 30 mg/L à la
quinzième heure. La présence d’une acidose (pH < 7.3), une
créatininémie supérieure à 300 µmol/L sont aussi des facteurs
péjoratifs [3]. L’âge, une atteinte hépatique chronique (virale),
l’alcoolisme chronique, un long délai de prise en charge sont
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des facteurs aggravants indépendants. Ce dernier facteur est
certainement le plus important car il conditionne la précocité
de mise en œuvre du traitement antagoniste. Ces deux derniers
facteurs péjoratifs étaient présents chez notre patient. Hay préconise que tout patient présentant une insuffisance hépatocellulaire aiguë doit recevoir précocement de la N acétyl cystéine
(NAC) si une intoxication au paracétamol est suspectée, sans
tenir compte du délai entre l’hospitalisation et l’ingestion [5],
ce qui a été réalisé dans notre cas. Le délai médian est de 53 h
(extrêmes : 36–80 h) dans la série de Keays [6]. En effet, la
NAC permet de pallier le déficit en glutathion et donc d’assurer une détoxification correcte. Son utilisation, théoriquement fonction du délai écoulé depuis l’ingestion et de la cinétique de la paracétamolémie (normogramme de Rumack et
Matthew) [7, 8] est actuellement de plus en plus systématique
en milieu hépatologique devant toute hépatite aiguë inexpliquée [4]. Son efficacité serait optimale dans les 8 premières
heures en particulier en l’absence de cytolyse. Au delà de 24 h
comme dans notre observation, la NAC ne permet plus de prévenir l’atteinte hépatique mais des études ont montré qu’elle
permet de limiter la gravité de l’intoxication [3, 8, 9].
Trois schémas de traitement sont proposés :
1) Celui de Prescott [10] qui a été utilisé dans notre observation, consiste en l’administration intraveineuse (IV) d’une
dose de charge initiale de 150 mg/kg sur 15 min (60 min
recommandées à l’heure actuelle) puis 50 mg/kg sur 4 h et
enfin 100 mg/kg sur 16 h, soit une dose totale de 300 mg/kg
sur 21 h. Il est proposé actuellement de poursuivre ce protocole par une perfusion de 200 mg /kg sur 24 h en cas
d’hypertransaminasémie même en l’absence de paracétamolémie détectable.
2) Celui de Smilkstein [11] administre une dose de charge initiale IV de 140 mg/kg puis 70 mg/kg toutes les 4 h à répéter
12 fois, soit une dose totale de 980 mg/kg sur 48 h.
3) Enfin celui de Rumack [12] propose l’ingestion d’une
dose initiale de charge de 140 mg/kg par voie orale puis
70 mg/kg toutes les 4 h à répéter 17 fois, soit une dose totale de 1330 mg/kg sur 68 h. Des durées de traitement plus
brèves (20 à 48 h) ont été proposées récemment [13].
Si la voie orale est utilisée, l’emploi des ampoules injectables
est plus adapté aux posologies recommandées. La voie orale
n’est pas utilisable si le patient a reçu du charbon activé qui
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empêche l’absorption digestive de l’antidote ou si le patient
présente des troubles de la conscience.
Ces trois schémas sont d’une efficacité équivalente si le
traitement est instauré durant les 10 premières heures. Dans
le cas où le traitement est instauré après la dixième heure,
le schéma de Prescott fournit de moins bons résultats que les
deux autres. En cas d’insuffisance hépatocellulaire, il convient
de prolonger le traitement détoxifiant [14]. Dans l’étude de
Louvet, où elle est employée systématiquement quelque soit le
délai de prise en charge, la NAC est poursuivie jusqu’à l’obtention d’un TP supérieur à 50 % [4]. Dans notre observation qui
date de 2003, le protocole de Prescott a été appliqué à la lettre
en dehors de la durée de l’administration de la dose initialement qui comme il est recommandé actuellement a été réalisée
sur 60 min.
Les études actuelles incitent à la prudence lors de l’utilisation du paracétamol à dose thérapeutique chez l’alcoolique
et semblent indiquer une plus grande sévérité en cas de surdosage. Dans notre cas, l’intoxication est grave. En effet, la paracétamolémie mesurée au mieux à la 24e heure est de 29 mg/L
et donc supérieure à 30 mg/L à la 15e heure si on se réfère au
diagramme de Rumack et Matthew.
Des études expérimentales chez l’animal ont montré que
l’administration aiguë de codéine entraîne une diminution des
taux de glutathion dans les hépatocytes de rats et de souris [15, 16].
La déplétion en glutathion résultant du métabolisme de la
codéine a aussi certainement contribué à aggraver, chez ce patient alcoolique, le pronostic de l’intoxication au paracétamol.
Cette observation illustre :
1) l’intérêt d’un traitement même tardif (au-delà de la
10e heure) par la NAC, au cours d’une insuffisance hépatique aiguë dont l’origine ou une participation médicamenteuse doit toujours être évoquée [17] ;
2) la majoration de la gravité d’une intoxication au paracétamol chez les éthyliques chroniques ;
3) le rôle aggravant possible de la codéine dans la cytolyse et
l’insuffisance hépatocellulaire.
C. Coilliot et coll.
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