Comment la biodiversité imprègne notre quotidien»

Transcription

Comment la biodiversité imprègne notre quotidien»
0 3 | 2010 MAI
pro natura magazine
Comment la biodiversité
imprègne notre quotidien
sommaire
éditorial
3
4 dossier
13 à-propos
14rendez-vous
16en bref/impressum
18 actuel
18 P
lus d’écologie, plus de revenus
20 L
a biodiversité a un prix
22 nouvelles
22 A
vec les TP jusqu’au
Florence Kupferschmid-Enderlin,
rédactrice romande
dernier kilomètre
23 H
eures de vol pour aigle royal
Infinie, vraiment ?
24 Membres Pro Natura :
fidèles malgré la crise
Dans un documentaire vu il y a
disparaissaient en Méditerranée. Et
toute la chaîne alimentaire s’en trouve
dossier
bouleversée. Il est évidemment plus
spectaculaire d’expliquer l’importance
de la sauvegarde des espèces avec
4 – 13 La biodiversité est partout
ce gros poisson qui marque les
La biodiversité n’existe pas seulement dans
esprits. Mais pas besoin de partir
les milieux naturels riches en espèces. Elle
en Méditerranée pour étudier la
est partout. Dans ce numéro, le Magazine
biodiversité.
Pro Natura présente plusieurs personnes
La biodiversité se manifeste sous de
qui vivent la biodiversité au quotidien.
Christian Flierl
quelques jours au Musée de Zoologie
à Lausanne, j’ai appris que les requins
25 régions
26 service
31 saison
33 pro natura actif
39 pro natura shop
40la dernière
multiples formes dans notre quotidien:
dans les habits en coton enfilés le
matin, dans la tartine de pain aux
céréales du petit déjeuner, dans les
tisanes, dans les jus de fruits, dans le
rendez-vous
14« Les atteintes au paysage doivent être dénoncées »
Dans son livre « Die aus-
shampoing aux orties et le dentifrice
gewechselte Landschaft » ( Le
aux herbes, dans l’eau potable qui
paysage transformé ), Klaus
coule des robinets.
C. Ewald, 69 ans, professeur
La liste pourrait s’allonger encore, à
EPF à la retraite, dresse un
l’infini. La biodiversité est partout. Tous
sombre tableau des ravages
ville. Pourtant, la variété de la faune
et de la flore, des micro-organismes,
des champignons et des biotopes
subis par le paysage suisse.
Severin Nowacki
les jours nous la côtoyons, même en
Le Bâlois en a même perdu
tout attachement au lieu qui
l’a vu grandir.
a ses limites. Nous ne pouvons
pas, impunément, nous servir des
ressources de la nature. Chaque jour,
une centaine d’espèces animales et
végétales disparaissent de notre planète;
sans faire de bruit. En Suisse, presque
actuel
20 La biodiversité a un prix
Pour mettre en évidence l’importance et
40% des espèces se trouvent sur la
l’absolue nécessité de la biodiver-
Liste rouge. Un seul exemple: l’abeille
sité, une étude de l’ONU chiffre
sauvage décline, et tout le processus
sa valeur et celle des services
de pollinisation chancelle. Rien n’est
qu’elle nous rend. Les résul-
jamais définitif.
tats le prouvent : dans un calcul
La biodiversité doit être maintenue,
complet des coûts, l’exploitation
à tout prix. Comme une pochette-
des ressources respectueuse de l’en-
cadeau, elle a encore de belles surprises
vironnement arrive en tête au point
à nous offrir. Auriez-vous imaginé,
de vue économique également.
par exemple, que des champignons
puissent être à l’origine de violons à la
sonorité extraordinaire qui rivalisent
avec les célèbres Stradivarius?
Pro Natura Magazin 2/2010
Couverture : la biodiversité est présente partout, y compris là où on ne
l’attend pas – parfois au cœur des villes. Bettina Tschander s’emploie à favoriser
l’épanouissement d’animaux et végétaux rares sur les toits de Zurich.
Photo : Christian Flierl
www.pronatura.ch
Christian Flierl
4
dossier
« La biodiversité
recèle encore un
potentiel énorme »
Grâce à des champignons lignicoles, le
mycologue Francis Schwarze confère à de
nouveaux violons une meilleure sonorité
que celle des Stradivarius d'il y a 300 ans.
La nouvelle a fait fureur dans le monde entier : l’an dernier,
Francis Schwarze cultive dans son laboratoire près
de 700 espèces de champignons – une « part infime »
de toutes celles qui existent.
devant un jury de 180 personnes, Matthew Trusler, violoniste
britannique, a joué de cinq violons différents – parmi lesquels
son propre Stradivarius d’une valeur de deux millions de dollars,
J’ai d’abord travaillé comme jardinier pendant plusieurs années,
fabriqué en 1711, et un nouveau violon, fait d’un bois spécial
puis j’ai étudié l’arboriculture dans mon pays natal, l’Angleterre.
que Francis Schwarze avait traité avec des champignons. Le
Et c’est en m’occupant des arbres que j’ai commencé à me poser
verdict du jury a été sans appel : 90 de ses membres ont jugé
des questions sur les champignons lignicoles : personne n’avait
que le violon traité aux champignons avait la meilleure sonorité,
jamais pu m’expliquer, par exemple, pourquoi un champignon
le Stradivarius arrivant en deuxième position avec 39 voix
qui peut être nuisible pour une essence est inoffensif pour une
seulement.
autre. J’ai donc voulu trouver moi-même les réponses, poussé
Francis Schwarze est professeur au Laboratoire fédéral d’essai
par une sorte de curiosité d’enfant. A Fribourg, où j’ai passé
des matériaux et de recherche (Empa), à Saint-Gall. Le magazine
mon doctorat, j’ai pu me consacrer pleinement à ces questions.
Time a classé ce Stradivarius « biotechnologique » parmi les
à d’autres inventions spectaculaires, toujours en tirant parti de
De là à utiliser ces champignons en lutherie, le pas
est grand. Comment en avez-vous eu l’idée ?
la biodiversité.
Pour vous le raconter, je dois revenir un peu en arrière : à
meilleures inventions de l’année 2009. Francis Schwarze travaille
Fribourg, j’étudiais de près l’effet des champignons lignicoles
Pro Natura : Cueillez-vous des champignons
comestibles ?
Francis Schwarze : Je dis toujours ironiquement qu’en tant
sur la résistance des arbres au renversement et à la rupture, un
paramètre important en ville. J’étais souvent amené à déterminer
si des arbres fragilisés à la suite d’un accident de la circulation,
que mycologue, on ne devrait pas être mycophage, car cela
de blessures aux racines ou d’élagage représentaient un risque
s’apparenterait à du cannibalisme (rires). Plus sérieusement, je
pour la sécurité. A cet effet, j’effectuais des mesures de la vitesse
me méfie des champignons vénéneux et je trouve qu’il n’est pas
de propagation du son à travers le bois. Sur un arbre endommagé,
toujours facile de distinguer les différentes espèces. J’étudie avec
la mesure présentait des valeurs normales. Le carottage, par
passion les champignons lignicoles, alors que les champignons
contre, indiquait que le bois était déjà fortement décomposé.
comestibles ne m’intéressent guère. De plus, il y a peu d’espèces
Conclusion : tous les champignons ne modifiaient pas la vitesse
comestibles que j’aime vraiment manger.
de propagation du son à travers le bois. Bien des années plus
tard, j’ai rencontré un luthier qui était également physicien.
Lesquelles par exemple ?
Il m’a expliqué comment, en lutherie, on tente d’accélérer la
Les truffes. Par contre, j’ai cessé de manger des champignons de
vitesse de propagation du son par l’utilisation de vernis. Mais les
Paris ou des pleurotes. Mais je vais souvent en forêt récolter des
vernis augmentent aussi la masse vibratoire du violon, rendant
spores de champignons lignicoles, afin que nous puissions créer
celui-ci plus lourd, ce qui a un effet négatif sur la diffusion du
des cultures pures pour nos travaux de recherche.
son. J’ai alors eu comme un déclic : je connaissais l’existence
D’où vient cette passion pour ces minuscules
champignons ?
bois plus léger sans pour autant entraver la propagation des
de quelques rares espèces de champignons qui rendaient le
ondes acoustiques à travers celui-ci. Ces champignons, en outre,
Pro Natura Magazine 3/2010
Christian Flierl
dossier
s’efforce depuis des siècles de remédier à cela, mais sans succès.
En ce qui nous concerne, nous tentons de pénétrer activement
dans le bois avec des hyphes (filaments formant le mycélium),
afin que les enzymes parviennent jusqu’aux couches ligneuses
profondes pour désagréger ces membranes. Les premiers résultats
sont très prometteurs. Nous avons beaucoup d’autres idées : je
connais par exemple un champignon sous l’action duquel les
tanins se transmettent beaucoup plus rapidement au vin lors de
son entreposage. Nous avons aussi quelques idées pour améliorer
les membranes ligneuses des haut-parleurs ou des skis. Mais
quand je soumets ce genre de propositions aux fabricants, ils me
prennent souvent pour un illuminé.
La biodiversité n’existe pas seulement
dans les milieux naturels riches
en espèces. Elle est partout. Dans
ce numéro, le Magazine Pro Natura
présente plusieurs personnes qui
vivent la biodiversité au quotidien.
On estime qu’il existe sur la planète 1,2 million
d’espèces de champignons, dont 100’000 environ
sont décrites scientifiquement. Avec quel fond
travaillez-vous ?
Notre collection de cultures souches comporte à peu près 700
espèces de champignons, c’est-à-dire une part infime de ce qui
existe. Le potentiel de développement est évidemment gigantesque,
y compris dans le domaine pharmaceutique, mais nos ressources
sont limitées. L’avenir réside sans doute dans la concentration
de notre travail sur certains enzymes de champignons. Ici, la
biodiversité recèle encore un potentiel énorme: 99 % de tous les
micro-organismes de la planète n’ont pas encore été étudiés.
augmentent le facteur d’amortissement des vibrations, évitant
Et le résultat, c’est que « votre » violon a supplanté
un Stradivarius lors d’un essai à l’aveugle. Les
luthiers vous assaillent-ils depuis lors ?
Les champignons ne sont-ils pas des exemples
éclatants du « fonctionnement » de la biodiversité ?
Ils dépendent d’autres organismes, avec lesquels
ils vivent en symbiose, ou qu’ils décomposent ou
détruisent.
J’ai reçu une centaine de demandes, pas seulement de luthiers,
C’est tout à fait vrai ! Et les champignons sont des organismes
une sonorité trop aiguë.
mais aussi de solistes. Beaucoup désiraient simplement acquérir
extraordinaires et fascinants, alors que la plupart des gens les
le violon vainqueur. L’Empa aimerait créer, avec des investisseurs,
assimilent aux moisissures et à la pourriture, et répugnent à
une spin-off qui se consacrerait au traitement du bois. Mais nous
envisager leur utilisation à des fins professionnelles.
avons encore besoin de quelques années pour approfondir nos
recherches et garantir le niveau de qualité requis.
La biodiversité est-elle pour vous un gigantesque
réservoir de trésors ?
Quelles autres prouesses « vos » champignons
peuvent-ils accomplir ? Absolument. Mais je m’inquiète du fait que sur les 1,2 million
J’ai mis au point un produit qui décompose le bois des cercueils.
nombre disparaissent chaque jour. C’est pour moi symptomatique
Dans la plupart des cimetières, les cercueils ne se décomposent
de la faible durabilité de notre mode de vie. Un exemple tout
d’espèces de champignons existant sur la planète, un grand
plus et doivent être déterrés après 20 ans – un véritable
simple : si nos cimetières étaient entourés d’un environnement
problème. Lorsque ce produit est incorporé au bois des cercueils,
naturel et de vieux peuplements d’arbres de grande taille, des
leur décomposition est assurée.
spores de champignons tomberaient en abondance sur le sol,
où elles augmenteraient l’activité microbactérienne. Nous
A quels nouveaux développements travaillez-vous ?
n’aurions alors pas besoin d’inventer un produit qui décompose
Nous cherchons à accroître l’imprégnabilité des bois indigènes – et
les cercueils. Cela montre bien que biodiversité et durabilité sont
par là même leur durabilité. En effet, une fois sec, le bois n’absorbe
étroitement liées.
plus aucun liquide, en raison de la fermeture des membranes. On
Interview : Raphael Weber, rédacteur en chef
Pro Natura Magazine 3/2010
5
Christian Flierl
Pierre Kappler s’épanouit
dans la nature dès que le
printemps approche.
« Nous récoltons la richesse
de la biodiversité »
Une offre végétale riche et abondante ne bénéficie pas qu’à la faune, mais aussi
à notre santé ! Pierre Kappler le sait bien, lui qui, avec son équipe, cultive plus de
cinquante plantes différentes pour le fabricant de médicaments Weleda.
Aujourd’hui, c’est un « jour racines ». Ce matin, les collaborateurs
du jardin de plantes médicinales Weleda ont dans leurs mains non
les principes biodynamiques – on appelle ainsi le mode de
Les plantes médicinales Weleda sont cultivées d’après
pas la fourche à labourer et la binette, mais le couteau à légumes,
production anthroposophique, auquel se rattache le label
avec lequel ils façonnent les racines massives de bardanes
Demeter. Celui-ci implique la prise en compte des astres dans
communes entassées sur une table. « Cette plante soulage les
l’agriculture. La période idéale de plantation et le moment
troubles veineux », explique Pierre Kappler, responsable de ce
optimal pour semer, traiter ou récolter les plantes à racines, à
jardin. La bardane commune est l’une des cinquante espèces
fleurs et à feuilles dépendent des constellations. Il en va de même
de plantes médicinales qu’il cultive avec son équipe. L’éventail
pour la fabrication des différentes préparations à pulvériser
est large : petites primevères, grands onopordes acanthes, saules
sur les cultures, qui assurent la dynamisation des végétaux et
tendres, chênes durs, millepertuis, qui aime la chaleur, langue de
des sols. La mise en valeur des parties végétales utilisées (qui
cerf, qui craint le soleil, ou encore souci officinal et fraisier des
peuvent être broyées, écrasées ou coupées) constitue un autre
bois, utilisé comme remède contre l’anémie.
volet du travail de Pierre Kappler. Grâce à son approche globale,
l’anthroposophie respecte la biodiversité au sens large – une
Des plantes aux puissantes vertus
notion qui englobe non seulement la diversité des végétaux,
Parmi cette richesse végétale, Pierre Kappler a ses favoris,
animaux, champignons et bactéries, mais aussi les interactions
notamment la centaurée aux fleurs roses, car « sous son apparence
entre espèces.
fragile, elle recèle de puissantes vertus ». Ou tout simplement
La biodiversité est palpable lorsqu’on se trouve au
l’ortie, « en raison de sa vitalité et de sa force incroyables », mais
Bruderholzhof, non loin de la périphérie de Bâle : en bordure
aussi parce que toutes les parties de cette plante sont utilisables –
d’une forêt de hêtres et de chênes s’étendent des haies, prairies
des racines aux fleurs en passant par les feuilles.
sèches et arbres à haute tige, au milieu desquels chatoie le jardin
aux plantes curatives de Weleda, dans toute la magnificence de
« Notre travail consiste aussi à récolter la richesse de la
biodiversité », précise cet horticulteur de 47 ans. Et le succès
ses couleurs et la diversité de ses structures. « Quand, au début de
est au rendez-vous : sur la base de matières premières végétales,
l’été, la plupart des plantes sont en fleurs, c’est un vrai spectacle
l’entreprise Weleda, à Arlesheim (BL), fabrique une vaste gamme
pour les yeux ! »
de produits cosmétiques et thérapeutiques dont la renommée
n’est plus à faire.
RAPHAEL WEBER, rédacteur en chef du Magazine Pro Natura
Pro Natura Magazine 3/2010
Christian Flierl
« On se rend
vraiment service
à soi-même »
La biodiversité est aussi présente là où on ne
l’attend pas - parfois au cœur des villes. Sur
les toits de Zurich, Bettina Tschander crée des
oasis végétales pour des espèces rares.
« La ville de Zurich est un merveilleux biotope. Il suffit de
bien regarder. 1200 espèces végétales y sont présentes à l’état
sauvage. La flore zurichoise est ainsi deux fois plus riche que
celle de n’importe quelle région agricole du Plateau. Nous avons
également recensé dans cette ville près de 900 espèces animales,
et il arrive que des espèces disparues fassent leur réapparition,
comme récemment le petit mars changeant, un papillon menacé.
Quand, lors d’excursions, je fais voir aux gens les nombreuses
plantes, parfois cachées, qui poussent à Zurich, ils sont souvent
stupéfaits. Comme la diversité est en danger, nous avons la
volonté de créer ici de plus en plus d’oasis vertes.
» En agriculture, on connaît depuis longtemps le principe de
la compensation écologique. Or, il s’applique aussi au milieu
bâti: si l’on prive la nature d’une certaine surface, on doit la
lui restituer ailleurs. C’est ainsi que les prescriptions de la Ville
de Zurich sur les constructions et les zones imposent depuis
1991 la végétalisation des toits plats. Quand, il y a quatre ans,
nous avons analysé des prises de vues aériennes, nous avons
constaté qu’un tiers seulement des toits plats de Zurich étaient
« Je vois quotidiennement le fruit de nos
efforts. » Bettina Tschander, 46 ans, biologiste
et responsable de projets en protection de la
nature pour Grün Stadt Zürich.
effectivement verts. Nous sommes bien décidés à en augmenter
la proportion, par des activités de conseil et des campagnes
d’information.
» Malheureusement, beaucoup de toitures végétales ne sont pas
Emue par une fleur rare
de véritables îlots biologiques. Cinq centimètres de substrat,
» Les toits plats sont des îlots vitaux dont il faut s’occuper pour
cela ne suffit pas : en été, les plantes se dessèchent et, en hiver,
aider la faune et la flore à se les approprier. Des graines peuvent
elles baignent dans l’eau. Dix centimètres sont un minimum.
germer même sur des bâtiments de 50 mètres de hauteur. En
La présence de reliefs et de bois mort est utile pour offrir des
2005, nous avons dénombré sur les toitures de Zurich 330
lieux de nidification aux abeilles sauvages. Par ailleurs, les
espèces végétales, dont 46 figurent sur la Liste rouge. Je suis
végétaux allongent la durée de vie d’un toit. Et ils améliorent
émue chaque fois que je découvre sur un toit une fleur rare –
le microclimat en retenant l’eau de pluie et en restituant une
ou inattendue, telle une orchidée sauvage. C’est le beau côté
partie de celle-ci par évaporation, ce qui a un effet rafraîchissant.
de mon travail pour Grün Stadt Zürich : je peux contempler les
Conclusion : avec une toiture verte, non seulement on fait du
fruits de nos efforts. Par exemple sur les toits de la Sihlcity : nous
bien à l’environnement, mais on se rend vraiment service à
y avons planté avec succès des épilobes à feuilles de romarin,
soi-même ! »
des anthyllides vulnéraires et des koeléries pyramidales – trois
espèces menacées d’extinction.
Pro Natura Magazine 3/2010
NICOLAS GATTLEN est journaliste à Kaisten
Christian Flierl
à l’Inventaire fédéral des prairies et pâturages secs. En plus du
magnifique lys orangé, on peut y admirer plusieurs espèces
d’orchidées. De nombreux animaux – du chamois aux papillons
– trouvent sur ces flancs de montagne un habitat privilégié.
« Le
foin
sauvage
est
une
forme
d’exploitation
particulièrement douce », explique Georges Eich. La fauche
intervenant manuellement, à la faux, elle préserve des petites
structures précieuses telles que fourmilières et arbrisseaux épars,
où lézards, sauterelles et abeilles sauvages trouvent refuge. « Les
fanages d’altitude ne doivent pas être fauchés plus d’une fois
tous les deux ans. La fréquence précise fait actuellement l’objet
d’un programme de recherche. »
Si les versants ne sont pas exploités, leur biodiversité
s’appauvrit progressivement. De plus, en moyenne montagne,
l’embroussaillement ou l’enforestation ne sont jamais très loin ;
plus haut, les plantes à fleurs et les herbacées risquent d’être
évincées par des aunes ou des arbustes nains. « L’exploitation
réduit aussi le risque de glissements de terrain et de plaques de
neige. »
Honoré par le Prix Beugger 2010
Georges Eich a déjà obtenu l’adhésion d’une bonne
cinquantaine d’agriculteurs au programme d’encouragement
des foins sauvages. Les vaches aussi en bénéficient, ce
type de fourrage étant de toute première qualité.
A travers un programme d’encouragement mené depuis 2008, le
canton d’Uri incite les agriculteurs à renouer avec la pratique
traditionnelle du foin sauvage. Ils peuvent toucher jusqu’à 3000
francs l’hectare pour l’exploitation de surfaces particulièrement
riches en espèces. « Ce programme a permis jusqu’ici de remettre
« Cela nous amène
beaucoup de touristes »
en exploitation une centaine d’hectares. Nous avons déjà pu
conclure une cinquantaine de contrats avec des agriculteurs. »
Le canton assure de la sorte aux paysans de montagne un
revenu accessoire bienvenu, et le foin ainsi récolté est de toute
première qualité. Ce programme a d’ailleurs été honoré par le
Prix Elisabeth et Oscar Beugger 2010. Doté de 50 000 francs et
Sur les fanages d’altitude uranais, la richesse en espèces est
extraordinairement grande. Georges Eich, responsable du
programme d’encouragement des foins sauvages, a toujours été
fasciné par ces versants escarpés chatoyants.
attribué tous les deux ans, ce prix, décerné par Pro Natura au
nom et à la demande de la Fondation Emanuel et Oscar Beugger,
distingue des projets de protection de la nature particulièrement
avant-gardistes en Suisse.
Pendant ses études, pour se préparer à ses examens de diplôme,
Uri est d’ailleurs à la pointe du renouveau du « Wildhaiwä ».
Nulle part ailleurs en Europe, ce mode d’exploitation n’est aussi
le Lucernois Georges Eich a vécu durant quelques semaines dans
répandu. « Cela nous amène beaucoup de touristes », se félicite
une cabane d’alpage sur les versants du Schächental uranais.
notre interlocuteur. Les randonneurs apprécient de pouvoir
« J’étais déjà fasciné à l’époque par ce paysage de montagne – et
contempler des prairies de montagne chatoyantes et des forêts
par le travail des faucheurs de foin sauvage », raconte-t-il. Depuis
claires, semblables à des parcs. Les câbles de transport du foin,
lors, ce biologiste, aujourd’hui âgé de 50 ans, a déménagé dans
les abris pour les faucheurs et les meules conservées sur place
le canton d’Uri, où il dirige le service cantonal d’aménagement
sont autant d’intéressants témoins de cette tradition ancestrale.
du territoire. En tant que responsable du programme cantonal
Le sentier-découverte des foins sauvages, récemment aménagé au
d’encouragement des foins sauvages, il est amené presque
pied du Rophaien – montagne de randonnée dominant Flüelen –
quotidiennement à s’occuper des versants qui faisaient son
est particulièrement apprécié. Inutile de dire que Georges Eich
bonheur quand il était étudiant.
en est un fidèle habitué.
De nombreux fanages d’altitude abritent une richesse
faunistique et floristique exceptionnelle et sont, de ce fait, inscrits
ROLF ZENKLUSEN est journaliste à Bâle
Pro Natura Magazine 3/2010
Christian Flierl
Oskar Marti a enrichi le
contenu de nos assiettes avec
sa cuisine fraîche et naturelle.
« La nature nous offre des saveurs
et des couleurs extraordinaires »
Il a mis la biodiversité dans nos assiettes, avec des fleurs sélectionnées
et des fines herbes oubliées. Oskar Marti a été le pionnier de la cuisine
naturelle. Aujourd’hui, après avoir vendu son restaurant, il met son
expérience à la disposition de ses confrères et consœurs.
C’était la fin du printemps, l’air était empli du parfum des fleurs
corps a exactement besoin de ces aliments-là au moment où ils
de tilleul. Oskar Marti venait de pêcher une truite de rivière.
sont mûrs chez nous ! » C’est si simple.
Soudain, comme si le poisson l’implorait de lui offrir une mort
Oscar Marti s’arrête un instant, pensif, esquisse un sourire
digne, il cueillit quelques fleurs de tilleul, rentra chez lui pour
et reprend : « Manger, c’est vivre. » L’intuition du bienfait des
cuire la truite au court-bouillon – un court-bouillon maison
aliments sur le corps, l’âme et l’esprit, il l’a acquise au berceau.
parfumé au tilleul. « Quel parfum extraordinaire ! », s’exclame
Sa mère cuisinait avec des amis – « Oui, elle célébrait la cuisine ! »
le cuisinier.
Et quand le petit était malade, elle lui préparait de la tisane
Nous sommes de nouveau au printemps, bien des années plus
de primevère et un œuf à la coque. C’est en s’inspirant de ce
tard, mais aujourd’hui l’air est empli d’une odeur de peinture
souvenir qu’il créa, bien des années plus tard, une soupe aux
fraîche. Oskar Marti est dans son restaurant de Münchenbuchsee,
primevères avec œuf et crème – et ce fut l’un des plats phares
sa célèbre Moospinte, qu’il a vendue. « Il est temps pour moi
de son restaurant.
de passer à autre chose », assure-t-il. Pendant 25 ans, il a tenu
cet établissement avec sa femme Ursula, en gratifiant ses hôtes
Jus de raisin aux 30 épices
d’une cuisine originale et authentique qui a fait sa réputation.
Il aurait encore beaucoup à raconter, Oskar Marti, mais le temps
Car cet homme à la barbe grise, affectueusement surnommé
presse; il doit donner ses instructions aux artisans, remplir des
« Chrüteroski » ( Oscar des herbes ), est un pionnier de la
cartons de déménagement et mettre au courant son successeur. Il
cuisine naturelle. Il a créé des mets parfumés avec des fleurs
tient tout de même à ajouter qu’il sera désormais un consultant
sélectionnées et des fines herbes oubliées, marié des pêches avec
itinérant et qu’il transmettra son expérience à ses confrères et
du basilic et des groseilles avec des roses, privilégiant toujours
consœurs qui souhaiteraient en profiter. Il précise aussi qu’il
les produits locaux et de saison. Sa cuisine était marquée du
mettra sur le marché, sous le nom d’Oskar, un jus de raisin
sceau de la biodiversité.
aromatisé avec 30 épices ; qu’il poursuivra le développement de
sa fondation pour enfants Cocolino ; qu’il … Mais stop ! C’est
Le corps a besoin de produits de saison
« Je me suis toujours demandé pourquoi les légumes et les fruits
ne poussent qu’à certaines périodes de l’année. C’est que notre
Pro Natura Magazine 3/2010
assez pour le moment. Bon vent, Chrüteroski !
REGULA TANNER est journaliste indépendante à Oberhofen, sur les
bords du lac de Thoune
Christian Flierl
Charmey a obtenu le label « Commune à papillons ».
Roxane Stooss est récompensée de l’initiative
qu’elle a prise en faveur de la biodiversité quand elle
était conseillère communale.
« Je n'aime pas les surfaces stériles »
Quand sensibilité écologique et volonté politique se rencontrent, il devient possible de mettre toutes
les chances du côté de la nature. A Charmey, Roxane Stooss en a fait l’heureuse expérience.
Alors qu’elle était conseillère communale en charge de l’énergie
soutenue sans retenue pour cette certification et ont accepté de
et de l’environnement, Roxane Stooss a réussi à faire obtenir à sa
jouer le jeu », se réjouit-elle.
commune de Charmey le label « Communes à papillons » attestant
de la qualité des mesures d’entretien et de la valeur écologique
Montrer l’exemple
des espaces verts – conditions favorables aux papillons, mais
Dans un cadre naturel aussi magnifique que la région de la
aussi à la faune et à la flore en général. « J’ai toujours eu de
Gruyère, il n’est pas facile de faire prendre conscience aux
la peine à voir de grandes surfaces vertes stériles, sans fleurs.
habitants des déséquilibres qui existent et des menaces qui
Cela me heurte en tant que responsable politique, mais aussi
pèsent sur la biodiversité. « Je me suis souvent entendu dire
en tant qu’être humain. L’idée de favoriser la biodiversité avec
que tout allait bien, qu’il suffisait de regarder autour de soi cette
des mesures simples m’est tout de suite apparue comme une
belle nature. Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. »
évidence », explique Roxane Stooss.
Une prairie à papillons au-dessus du mur de l’église, quelques
plates-bandes aménagées aux abords des bâtiments scolaires, les
Une région déjà sensibilisée
aménagements des ronds-points aux entrées de la petite cité :
La commune de Charmey s’est tournée depuis longtemps vers
les mesures ne paraissent pas forcément spectaculaires. Elles
le tourisme doux. Elle fait d’ailleurs partie du projet de Parc
doivent avant tout servir de détonateur pour des actions de
naturel régional Gruyère-Pays-d’Enhaut. Dans ce cadre, un
plus grande envergure. « Je suis convaincue que si le politique
réseau écologique a été mis en place par les agriculteurs de la
montre l’exemple, les citoyens se sentent plus concernés et
vallée. Depuis plus de dix ans, cette commune s’est aussi lancée
se mobilisent davantage pour agir à titre personnel, dans leur
dans les énergies renouvelables avec l’installation, notamment,
jardin par exemple », précise Roxane Stooss. Elle qui se plaît
d’un chauffage à bois communal; cet automne, elle essaiera
à nous parler de son jardin justement ­– de sa haie indigène,
d’ailleurs d’obtenir le label « Cité de l’énergie ».
de ses talus fauchés une fois l’an, de ses herbes folles – et de
Même si Roxane Stooss avançait donc en terrain conquis, du
sa consommation de produits bio locaux se réjouit de voir les
moins sensibilisé, elle ne pensait tout de même pas rencontrer si
résultats concrets des mesures mises en place à Charmey. Ou
peu de résistance de la part de ses collègues. « J’ai été surprise
quand la nature – la biodiversité – reprend vite le dessus …
de voir l’engouement des personnes concernées par le projet :
élus politiques, employés communaux, population, tous m’ont
FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN est rédactrice romande du
Magazine Pro Natura
Pro Natura Magazine 3/2010
Christian Flierl
« Le sol doit être
en mouvement »
La Ville de Bâle produit la moitié de son eau
potable par percolation d’eau du Rhin dans un
sol forestier. Le biologiste Daniel Rüetschi le
sait mieux que quiconque : cela n’est possible
que grâce à la présence d’une grande variété
d’espèces dans ce sol.
« Une telle filtration n’est réalisable que dans un écosystème
particulièrement riche en espèces, tel ce site alluvial. » Daniel
Rüetschi contemple avec fascination la portion de forêt inondée
des Langen Erlen, près de Bâle. « Ici, les plantes doivent
supporter de se trouver 10 jours sous l’eau. Ensuite l’endroit
est de nouveau sec durant 20 jours », explique ce biologiste et
« Ici, les plantes doivent supporter de se trouver
dix jours sous l’eau. » Daniel Rüetschi, au cœur de
la gigantesque station d’épuration des eaux des
Langen Erlen, près de Bâle.
géographe. Depuis des dizaines d’années, c’est par réalimentation
artificielle de la nappe phréatique dans les Langen Erlen que la
Ville de Bâle produit la moitié de son eau potable. A cet effet,
des secteurs boisés sont noyés périodiquement pendant dix
jours avec de l’eau du Rhin préfiltrée. Ce processus d’épuration
permet d’obtenir une eau potable de qualité irréprochable; le sol
alluvial fonctionne comme un filtre autonettoyant.
Importance de l’ombrage …
Le soleil printanier perce timidement les frondaisons ; cette
portion de forêt inondée est jonchée de feuilles et de bois mort.
Daniel Rüetschi souligne l’importance des arbres et arbustes
ainsi que de la végétation alluviale, qui ombragent le site. Sans
eux, l’eau deviendrait trop chaude en été et cela provoquerait
une prolifération de germes pathogènes et d’algues qui
compromettrait sa potabilité.
de terre », précise notre interlocuteur. Cette faune évolue dans
« C’est principalement dans les couches non saturées, entre
le sol en formant constamment, avec les racines des végétaux,
deux et quatre mètres de profondeur, qu’intervient le processus
de nouveaux pores par lesquels l’eau s’infiltre. Les lombrics
d’épuration », explique Daniel Rüetschi. En étudiant, pour sa
survivent bien aux phases d’inondation, alors que les petits
thèse de doctorat, les mécanismes de purification de l’eau dans
mammifères vont trouver refuge au sec quand l’eau arrive.
les Langen Erlen, il a observé que l’eau s’infiltrait à une vitesse
de un à deux mètres par jour à travers les différentes strates
comme sa poche. « J’ai grandi dans la région ; ici, c’était mon
du sol alluvial, pendant que des bactéries décomposaient les
terrain de jeux », raconte ce Bâlois de 39 ans, codirecteur d’un
Les forêts des Langen Erlen, Daniel Rüetschi les connaît
substances organiques nocives – par exemple des résidus de
bureau d’études en environnement. Depuis son enfance, il est
pesticides et de médicaments – parvenant dans le Rhin avec les
fasciné par ce paysage alluvial, qui a été façonné jusqu’à la fin
eaux usées.
du XIXe siècle par les hautes et basses eaux de la Wiese, et qui
est resté relativement proche de l’état naturel malgré la mise sous
… et d’un sol dynamique
terre de cette rivière. « Dans les zones inondées, de nombreux
Pour que le sol puisse faire son office de filtre autonettoyant,
organismes travaillent de concert, formant un écosystème quasi
il faut qu’il soit en mouvement et qu’il y ait une importante
naturel. » Autrement dit : une biodiversité préservée garantit une
diversité des espèces. « Les animaux fouisseurs y contribuent,
eau potable propre.
notamment les mulots sylvestres et diverses espèces de vers
ROLF ZENKLUSEN est journaliste à Bâle
Pro Natura Magazine 3/2010
dossier
Christian Flierl
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« La nature est
notre pharmacie »
Elle a appris la nature comme elle a appris à marcher,
déclare Germaine Cousin. Cette Valaisanne de 84 ans
s'est donnée pour mission, sa vie durant, de transmettre
ses vastes connaissances des plantes.
« Chaque plante a un nom, et
chacune, ou presque, une vertu.
Un vrai miracle. » Germaine Cousin
possède une profonde confiance en
la richesse de la nature.
Pro Natura : Germaine Cousin, d’où vient cette
passion pour les plantes bienfaisantes ?
Germaine Cousin : De ma mère et de mon grand-père. Ce
sont eux qui m’ont enseigné les vertus de chaque plante qui
nous entoure et que l’on trouve au bord des chemins. Je pense
à ces petites fleurs violettes qui n’ont l’air de rien sur les talus,
revenions jamais à la maison les mains vides. Nous avons appris
par exemple : c’est de la sarriette des montagnes. Un régal sur
la nature comme nous avons appris à marcher. La nature est riche
la langue ! Quant aux jeunes bourgeons de sapin, ils ont le goût
et généreuse; il faut apprendre à la connaître, à l’apprivoiser et à
du citron. Pour le savoir, il faut goûter, évidemment.
en tirer les bienfaits. A 12 ans, j’ai été victime d’un grave accident
La nature a donc toujours fait partie de votre
quotidien ?
pas d’enfant. Mais ma maman m’a dit qu’entre le Bon Dieu et elle,
Enfant, je gardais les vaches à l’alpage avec mes frères et sœurs.
les remèdes de la terre et m’a massée pendant deux ans avec du
de luge; on pensait que je resterais paralysée et que je n’aurais
Les pâturages environnants servaient de pharmacie. Ainsi, nous ne
ils pouvaient faire des miracles. Elle m’a appliqué chaque jour
millepertuis (pour regonfler les coussinets entre les vertèbres), de
la teinture d’arnica (en guise d’anti-inflammatoire), et de l’huile
Pro Natura : un engagement pour
la biodiversité de 101 ans
Pro Natura s’engage pour la biodiversité depuis plus d’un siècle, bien avant
que le concept même n’existe. Et elle continuera de le faire puisque la
Suisse ne réussira pas à stopper le recul de la biodiversité comme elle
s’était engagée à le faire d’ici à 2010.
Avec sa campagne « Biodiversité – la vie, ma vie », Pro Natura demande :
• Que la Confédération élabore et mette en œuvre une stratégie efficace
pour la biodiversité ;
• Que la Confédération et les cantons investissent davantage d’argent
dans la préservation et la mise en réseau des biotopes ;
• Que la Confédération et les cantons fassent progresser la protection
des eaux et permettent aux fleuves et aux rivières de s’écouler plus
naturellement ;
• Que la Suisse réduise de 30 % les émissions de gaz à effet de serre
d’ici à 2020 ;
• Que l’être humain tienne compte de la biodiversité dans toutes ses
activités.
Pro Natura encourage elle-même la biodiversité :
• Nous nous investissons pour que la Confédération et les cantons
prennent leurs responsabilités à l’égard de la biodiversité.
• Nous agrandissons nos réserves naturelles pour protéger des espèces
et des habitats naturels.
• Nous revitalisons des rivières et améliorons le régime hydrologique
des marais.
• Nous encourageons spécifiquement certaines espèces végétales et
animales menacées.
• Nous montrons aux enfants et aux jeunes pourquoi la biodiversité est
importante pour l’être humain et comment ils peuvent contribuer à sa
sauvegarde.
d’astragale pois chiche (pour éviter les escarres). A 84 ans, je
marche encore et je suis grand-mère …
Le monde a changé et la médecine a évolué. N’avezvous jamais cru aux médicaments ?
Je ne suis pas contre les médicaments, mais contre l’abus de
médicaments. A l’époque, il est vrai que consulter le médecin
voulait dire rejoindre Sion à pied ou à dos de mulet par des
chemins escarpés. On faisait donc plutôt avec les moyens du
bord: la sage-femme connaissait les remèdes pour les humains,
un paysan du village ceux pour les animaux. Les plantes ont su
me soulager et me soigner : elles m’ont donné une confiance qui
ne m’a jamais quittée.
Aujourd’hui, le retour au naturel est à la mode. Cela
vous dérange-t-il ?
Non, je pense que l’on revient toujours à l’essentiel. Les gens
comprennent petit à petit que la santé, c’est l’affaire de chacun
d’entre nous. Il faut se prendre en main, faire de la prévention.
Les maladies, on les laisse au médecin. Nous avons tout à
disposition pour faire des cataplasmes, des tisanes, des sirops,
des alcoolats, des élixirs et des pommades. Je le répète souvent :
une alimentation équilibrée, une vie harmonieuse et les secrets
de Mère Nature sont les clés de l’équilibre et de la sagesse.
Vous aimez la nature, mais aussi la transmission du
savoir, non ?
Tout à fait. Ce que l’on a reçu, il faut le transmettre. C’est
comme cela d’ailleurs que tout a commencé pour moi dans les
Pro Natura Magazine 3/2010
dossier
13
Susanne Schenker
à-propos
Beat Jans, chef de la division Politique
et affaires internationales
Adieu coucou,
on t’aimait bien!
Mes filles connaissent le chant du coucou mâle. Elles aiment aussi
les chansons populaires dans lesquelles le coucou prend congé
années septante. De retour dans mon Valais natal, j’ai entrepris
de l’hiver. Malheureusement, elles n’ont jamais entendu chanter
de recueillir auprès des anciens les recettes traditionnelles et
un vrai coucou. Ce messager du printemps, jadis omniprésent, a
populaires de prévention pour qu’elles ne tombent pas dans
presque disparu de nos régions. Dans quelques années, c’est de
l’oubli. Même si je connaissais les plantes, j’avais de grosses
nous tous qu’il aura pris congé, et pour de bon. A l’instar du
lacunes. En parcourant le Val d’Hérens, j’ai rencontré de
rossignol, de la chouette chevêche et d’une trentaine d’espèces de
nombreuses personnes âgées qui m’ont spontanément confié
papillons indigènes.
leurs connaissances. Véronique germandrée, vipérine, ortie,
Le tout dernier coucou s’éteindra sans faire de bruit. Encore une
millepertuis, sauge officinale, la liste est longue : chaque plante
expérience dont nos enfants seront définitivement privés. Quand
a un nom, et chacune, ou presque, une vertu. Un vrai miracle.
une espèce disparaît, elle le fait silencieusement, furtivement. C’est
sans doute pour cela que la biodiversité est à peine mentionnée
Vous semblez solide comme un roc. D’où tirez-vous
cette belle énergie ?
Certes, le Conseil fédéral travaille à une stratégie sur la biodiversité.
Je suis en harmonie avec les éléments qui m’entourent, et je l’ai
Mais le danger est grand que gouvernement et parlement négligent
dans l’agenda politique.
toujours été. Un jour que je passais à côté d’un vieux mélèze
d’envisager des mesures efficaces et un financement suffisant
magnifique, j’ai eu le sentiment qu’il « m’appelait ». Il est
pour la concrétiser. Au lieu d’annoncer une dotation budgétaire
devenu « mon » arbre. Depuis, c’est auprès de lui que je viens
qui permette, au minimum, de satisfaire au mandat fédéral de
me ressourcer. Je lui demande la permission, je le prends dans
protection des biotopes d’importance nationale, le Conseil fédéral
mes bras, je m’imagine descendre dans la terre au bout de ses
a fait connaître son tout nouveau paquet d’économies. Les coupes
racines. Je capte ensuite l’énergie d’en haut avec ses branches
prévues n’épargnent pas la biodiversité. Les intérêts économiques à
et je la fais circuler. Ainsi, mes batteries sont rechargées.
court terme et les réductions d’impôts ont la priorité, ces temps-ci.
Nous devons donc impérativement nous mobiliser. La disparition
Outre les livres que vous écrivez, vous êtes très
demandée pour transmettre vos connaissances.
Quels sont vos projets ?
Des choix politiques résolus doivent être faits pour préserver
Je continue de faire des ateliers dans mon mayen Méritzo,
choix soient motivés par des considérations économiques – la
perché à 1630 mètres d’altitude au-dessus de Saint-Martin. De
biodiversité étant la principale ressource de l’avenir – ou, plus
mai à septembre, je transmets aux visiteurs les recettes santé
fondamentalement, par un profond respect de la création et de
d’espèces ne doit pas être acceptée comme une donnée immuable.
la diversité des êtres vivants et des milieux naturels. Que ces
de nos grands-mères et la cuisine végétarienne aux plantes
son infinie beauté, il existe mille raisons d’accorder une haute
sauvages. A fin mars, cette année, la Fondation Germaine
importante à la protection de la biodiversité.
Cousin a été constituée. Dans un premier temps, nous avons
Moritz Leuenberger l’a déclaré dernièrement: «A une époque où
pour objectif de créer un jardin botanique du Val d’Hérens
la pensée économique s’étend à quasiment tous les domaines,
avec toutes les plantes et fleurs que l’on trouve dans notre
l’environnement doit pouvoir compter sur des personnes qui se
belle vallée. Il y a des plantes qui disparaissent, comme la
mobilisent pour lui et sur une organisation comme Pro Natura.»
maroube ; j’aimerais que nous puissions la sauver. Ensuite, nous
L’ancien conseiller Alphons Egli l’a exprimé encore plus clairement
projetons un centre de santé où l’on prodiguerait les remèdes
il y a de cela plusieurs années: «Dieu merci, Pro Natura existe
de la nature et où l’on perpétuerait les gestes ancestraux. La
encore, pour de temps à autre revendiquer ce que la nature ne
transmission …j’y reviens toujours !
Interview : Florence Kupferschmid-Enderlin, rédactrice romande du Magazine Pro Natura
Pro Natura Magazine 3/2010
peut revendiquer elle-même.» Et Pro Natura va revendiquer. Car
la biodiversité mérite mieux qu’une simple note marginale sur
l’agenda des parlementaires !

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