Pour que vive la France - Reseau
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Pour que vive la France - Reseau
En cy cl o p é d ie d e l’h o n n ê te h o mme orilèges – documents – extraits – abrégés – recension – critique – fragments – florilèges – documents – doc «L’espérance est un risque à courir». Georges Bernanos “Pour que vive la France” de Marine Le Pen par Danièle Masson Le livre de Marine Le Pen est un événement, et une surprise. Présidente du FN, elle ne se résume pas au FN, qu’elle risque même de déstabiliser. Aux références nationales de son père, elle préfère l’éclectisme, mais un éclectisme qui puise largement à gauche, de Marx à Jaurès, de Mendès à Marchais, de Michéa à Gauchet. Conviction intime ou prix à payer pour une « réconciliation et reconstruction nationale » dont son livre est le manifeste ? C’est en tout cas un constat qui s’impose au lecteur. Nos maux et leurs remèdes Marine Le Pen n’accorde pas de place, dans son livre du moins, aux « points non négociables » évoqués par Benoît XVI – respect de la vie depuis la conception jusqu’à la mort, reconnaissance de la famille, droit des parents d’éduquer leurs enfants – mais elle pratique, sans le nommer bien sûr, le « politique d’abord » de Maurras : « Quand Syracuse est prise, Archimède est égorgé, et tant pis pour le théorème ». Les points non négociables ne se dé- fendent pas d’eux-mêmes, ils ont besoin du rempart politique. « Nous en sommes arrivés, écrivait Tite-Live, à ne souffrir ni nos maux, ni leurs remèdes ». Marine Le Pen au contraire se montre volontariste. Son titre, d’apparence banale – Pour que vive la France – se démarque, par le but désigné et visé, des analyses des « conséquences inéluctables » de la crise, et l’exergue de Bernanos – « l’espérance est un risque à courir » donne le ton. D’ailleurs, et c’est le grand mérite de son livre, la crise n’est pas pour elle tombée du ciel ni jaillie de l’enfer, elle est le fruit de mauvais choix politiques. Seule parmi les candidats déclarés, elle nomme les maux et propose des remèdes qui ne s’attaquent seulement aux conséquences des maux mais à leurs causes, et qui consistent à sortir de la mondialisation effrénée et à redonner à l’État ses droits régaliens, dont le droit de création monétaire. L’analyse des maux occupe les deux tiers du livre, mais après tout l’on peut estimer qu’un problème bien posé est à moitié résolu. Classement > 2Lc19 version 1.0 • 04/ 2012 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 1/4 De « l’empire du moindre mal » à la « chienlit mondialiste » Elle s’inspire largement du philosophe Jean Claude Michéa (1) et de l’économiste Maurice Allais (2) qu’elle cite, et peut-être d’Hervé Juvin (3), auteur d’un remarquable et terrible Renversement du monde, qu’elle ne cite pas. Jean-Claude Michéa explique le libéralisme par ce qu’il appelle « l’empire du moindre mal » : tenant compte de la nature foncièrement amorale de l’homme, dont le critère est l’intérêt personnel, le libéralisme est un mécanisme à double engrenage : chacun a intérêt à obéir à l’État de droit ; l’égoïsme est ainsi la vraie source de toutes les vertus publiques. Pessimiste sur la nature humaine et optimiste concernant les vertus harmonisatrices du laisser-faire, la culture libérale suppose un homme monade, qui ne songe qu’à soi, et nomade : la mobilité perpétuelle, selon Michéa, est au centre de toutes les théories du libéralisme. C’est aussi le mot d’ordre de la directive Bolkenstein : « la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des hommes ». bres, a été détournée de sa fonction… elle est devenue un moyen de la finance, grâce à la complicité de l’État prédateur, en rupture avec la nation et l’intérêt du grand nombre ». Le marché n’est plus que « le masque du dessaisissement du politique », avec la complicité du politique : « Tout a été fait pour préserver le couple morganatique de l’État et du marché, et l’union des élites autour du dessaisissement par le marché ». Si bien que « la liberté accordée aux États de s’endetter pour peser sur les revenus et l’activité… est à l’opposé du libéralisme qui assure l’autonomie des citoyens… L’endettement public est une anesthésie d’abord, une drogue dure ensuite, qui aliène les sociétés comme les individus ». Ces citations ne se trouvent pas dans Pour que vive la France, mais elles éclairent la cohérence de son propos et permettent de rassembler, car tout est lié, les éléments du puzzle qui le constituent. L’élément économique : la libéralisation mondiale des échanges entraîne délocalisations, destruction des emplois, de l’industrie, de l’agriculture, de la croissance et remplace les communautés solidaires des peuples par une plèbe et des ploutocrates sans patrie. Selon Maurice Allais, « au nom d’un pseudolibéralisme, et par la multiplication des déréglementations, s’installe peu à peu une espèce de chienlit mondialiste laissez-fairiste » ; « cette évolution s’est produite sous l’influence des sociétés américaines multinationales puis, à leur suite, des sociétés multinationales du monde entier… Elles disposent d’énormes moyens financiers, et elles ont échappé à tout contrôle. Elles exercent de fait un pouvoir politique exorbitant ». L’élément financier : la financiarisation de l’économie, avec sa scène inaugurale, la loi du 3 janvier 1973, dite “Giscard – Pompidou„, qui interdit au Trésor Public d’emprunter à la Banque Centrale à taux d’intérêt faible et le pousse à emprunter à taux d’intérêt élevé sur le marché international des capitaux, multiplie la dette publique avec des intérêts impossibles à rembourser. Quant à Hervé Juvin, qui distingue un bon et un mauvais libéralisme, il estime que « l’institution du marché, essentielle à des sociétés li- L’élément européen : l’organisation européenne de Bruxelles – « avant-garde du mondialisme » – dessaisit les nations de leur sou- Classement > 2Lc19 version 1.0 • 04/ 2012 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 2/4 veraineté : Jacques Delors, « icône de la gauche », et de quelques évêques, annonçait en 1988 que « dans dix ans, 80 % de la législation économique, peut-être fiscale et sociale, applicable dans les Etats-membres, sera d’origine communautaire ». Nous y sommes, en passant allègrement par la ratification, en 2008, par voie parlementaire, d’un traité constitutionnel cosmétiquement modifié, qui avait été, en 2005, rejeté par une majorité de Français. L’élément humain, enfin : le « renversement du monde » implique un homme nouveau. Il s’opère par l’immigration, « point ultime du libre-échange généralisé », qui permet d’abord, par une sorte de « délocalisation domestique », de peser à la baisse sur les salaires, et par le multiculturalisme et le « métissage institutionnalisé », de déraciner et culpabiliser les Français. Comme disait Michéa, le bien c’est le nomadisme, le mal c’est l’enracinement, l’ennemi c’est « le barbare, le gentil, le goy, le gadjo, le toubab, le Gaulois ». Il s’opère aussi par l’école, qui prétend libérer l’élève de tout héritage intellectuel et spirituel pour en faire un consommateur décérébré, livré pieds et poings liés au système marchand. Marine Le Pen s’inspire de L’enseignement de l’ignorance de Jean-Claude Michéa, elle aurait pu songer aussi à La fabrique du crétin de Jean-Paul Brighelli. Maitriser son destin L’analyse de la situation est claire et convaincante. Les solutions proposées le sont moins. Marine Le Pen propose, d’abord, la restauration de l’État, « fer de lance du redressement », et multiplie ses fonctions : régalien, protecteur, solidaire, stratège, influent, solide. Dans la mesure où elle le lie étroitement à la nation – « le marché s’est attaqué aux Etats-nations, qui veulent limiter la guerre internationale de tous contre tous » – et voit les Etats-nations « comme cadres de résistance à la volonté du système », et dans l’État le seul moyen de « sortir de l’idéologie mortifère du libreéchange », on la suit volontiers. Mais il y a dans son propos des germes d’étatisme empruntés à une gauche extrême, à un socialisme dont elle semble se rapprocher, en opposition avec la nouvelle gauche ralliée au libéralisme et qui a fait sauter les anciens clivages. Cette gauche-là, « ces forces politiques-là », elle souhaite, écrit-elle, qu’elles aient « leur place dans un grand mouvement d’unité nationale que j’appelle de tous mes vœux ». Bien plus, elle exempte le marxisme – léninisme, responsable de la plus longue et plus terrible oppression du XXème siècle, de toute faute : « L’internationalisme de Marx ne consiste pas en une détestation des nations mais en une coordination internationale de luttes menées par les classes populaires dans leur cadre national ». Et donc, Marx et De Gaulle, même combat. Car elle voit en De Gaulle « l’icône de l’indépendance nationale », et lui sait gré – lui qui a bradé l’Algérie et le Sahara – d’avoir réalisé une « politique d’indépendance énergétique ». Marine Le Pen, pour évoquer la toute puissance des marchés, file la métaphore religieuse : « l’économie du diable », le « culte du veau d’or », ont suscité le « marché, troisième personne de la trinité libérale », dont les deux autres sont l’ordre naturel et le libre jeu des intérêts, « le Saint-Esprit : la main invisible », étant lui-même régulateur, et promesse du Classement > 2Lc19 version 1.0 • 04/ 2012 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 3/4 « meilleur ordre social possible ». Soit. Mais lorsqu’elle attaque « l’idéologie dominante du mondialisme sur laquelle s’appuie le pouvoir absolu des financiers et des banquiers », elle use d’une analogie anachronique – et très marxiste – avec l’Église catholique : « c’est l’Église catholique qui fournissait le cadre métaphysique et idéologique sur lequel (la monarchie d’Ancien Régime) s’appuyait ». C’est donc à l’Église que s’attaquèrent ses pourfendeurs, puisqu’elle « lui servait de caution idéologique ». Marine Le Pen se définit comme une « catholique du parvis ». Elle a exprimé, oralement, sa défense des racines chrétiennes de l’Europe. Mais elle est, par ailleurs, victime de cette Éducation nationale dont elle dénonce les dérives, quand elle réduit la France à un « corpus chrétien laïcisé par le Siècle des Lumières », et se félicite qu’à la France, « mère des arts, des armes et des lois », ait succédé le triptyque Liberté, égalité, fraternité. Il n’est pas sûr que cette trinité-là soit préférable à la trinité libérale. Sans doute Marine Le Pen doit-elle l’inspiration gaulliste de son livre à Paul Marie Couteaux, et l’inspiration « Aufklarung » et marxiste à Bertrand Dutheil de la Rochère, qui fut le fondateur, avec Jean Pierre Chevènement, du Mouvement des Citoyens, et qui pratique le traitement indifférencié des religions, critiquant également le discours de Latran et l’islam, les religions étant, selon lui, à « respecter, mais dans la sphère privée ». Certains (« Jean Vérité », pseudonyme d’un ancien parlementaire qui n’a pas l’audace de dire son nom) lui ont reproché d’écrire « un livre néomarxiste ». D’autres (l’interlocuteur de Finkielkraut dans Réplique du 17 mars) ont évoqué « un ancien discours réintégré », dans la dénonciation d’un « complot mondialiste fait par des apatrides ». C’est lui faire un mauvais procès. Qu’elle cite Marx et ne cite pas Maurras ne la rend ni marxiste, ni maurrassienne. S’il fallait vraiment caractériser son texte – ce qui est réducteur – on le dirait plutôt gaullo-chevènementiste. Ce qui est sûr, c’est qu’elle veut une alliance large et assume tous les héritages, avec un certain panache : « De la France, moi je prends tout, des Gaulois aux céfrans qui veulent devenir français à part entière, de la monarchie à la République, de la colonisation à la décolonisation, des cathédrales à la loi de laïcité de 1905 ». Pourquoi pas ? Assumer tout l’héritage, animé par le discernement et « le dur désir d’être soi », selon l’expression d’Hervé Juvin, est sans doute le meilleur moyen de lutter contre « la dictature de l’Europe, la dictature des minorités, la dictature du malheur » (Figaro Magazine du 17 mars, entretien avec Marine Le Pen). À condition de ne pas se soumettre aux idéologies mortifères qui ont renié l’héritage, et de refuser tous les tabous de la pensée correcte. C’est cela aussi, reprendre la maîtrise de son destin. Danièle Masson Notes : (1) Jean-Claude Michéa : L’empire du moindre mal, essai sur la civilisation libérale, Climats, 2007. (2) Maurice Allais : La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance, éd. Clément Juglar, 1999. (3) Hervé Juvin : Le renversement du monde, politique de la crise, Gallimard, 2010. Classement > 2Lc19 version 1.0 • 04/ 2012 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 4/4