aie pitié de ta fille - Affaire Chahidi Alaoui

Transcription

aie pitié de ta fille - Affaire Chahidi Alaoui
INTERVIEW
A RRÊT
DOUNIA ET LA VIE
Par Taïeb CHADI
Dounia, Soumaya, Mehdi et
Sajida sont trop petits pour
comprendre tous les mots
pompeux et souvent assassins. Ils ne peuvent et ne
veulent rien savoir. Sinon, retrouver leur cadre naturel. Ce
cadre est forcément auprès
de leurs mamans. N’est-ce
pas Dounia ?
28
Belén Tapia Gasca, la mère de Dounia, une fille enlevée par
son père marocain depuis plus de deux ans
“AIE PITIÉ
DE TA FILLE”
Propos recueillis par Taïeb CHADI
ounia Alaoui Chahidi est portée disparue depuis plus de deux ans. Cette fillette de 5 ans,
est le fruit du couple Belén Tapia Gasca et
Abdelilah Alaoui Chahidi. Une citoyenne espagnole et un citoyen marocain. Un docteur en
Beaux-arts et un architecte. Leur couple a éclaté
au bout de trois ans. Résultat. C’est Dounia qui paie
la facture. Elle a été enlevée à Saragosse le 20
avril par son père. Rapt parental. Le calvaire.
Le père est introuvable. Dounia aussi. La maman ne lâche pas prise. Elle a droit à la garde. Elle
veut sa fille. Ce n’est pas évident.
Le plus dur, c’est cet insoutenable sentiment de
ne pas connaître le sort de l’enfant. Est-elle encore vivante, bien portante, convenablement soignée, scolarisée…? La pauvre maman n’en sait
rien. Malgré le concours de toutes les autorités
compétentes, espagnoles et marocaines, Belén
n’arrive pas à défricher la moindre piste pour retrouver sa petite. Ahurissant !
Le temps passe. Belén a de plus en plus peur.
Mais, elle puise dans sa panique le courage de faire face à toute l’ampleur du drame. Une mère courage. Elle panse ses blessures. Elle s’accroche à
la dernière lueur qui lui donne l’espoir de redécouvrir le sourire pur de Dounia.
Pour l’amour de sa fille, Belén agit.
Après plus de deux ans de lutte pour tenter de
récupérer sa petite, la pauvre maman ne sait plus
à quel saint se vouer. Sa souffrance, son expérience, Belén Tapia Gasca a décidé de les mettre
au service de l’association européenne pour la récupération des enfants enlevés de leur pays. Elle
en est la présidente. Avec une dizaine de femmes,
dans son cas, elle milite pour sa cause. Elle défend
également leurs causes.
Pas plus tard que jeudi 18 novembre, Belén a
tenu une conférence de presse à Madrid, à laquelle
ont assisté les grands médias espagnols. Elle a réitéré son seul et unique vœu: Retrouver Dounia.
Belén ne semble pas prête à plier. Son désir de
revoir sa fille est plus fort que tout.
L'histoire de Belén Tapia Gasca met une fois
de plus en évidence la difficulté de résoudre les problèmes de rapts parentaux dans les couples mixtes.
D’ailleurs comme Belén, il y a Sultana
Kouhmane. Une belgo-marocaine de 29 ans qui
attend, depuis 4 ans, le retour de Soumaya, Mehdi
et Sajida, ses enfants enlevés à Bruxelles par leur
père marocain, Mohamed Saghir.
Dans ces drames, Dounia, Soumaya, Mehdi et
Sajida sont les véritables victimes.
Victimes d’un égoïsme nourri par un sentiment
parental aveugle et destructeur. Victimes de cet
éclatement, à fort prix, des couples mixtes. Victimes
de cette fausse différence dite culturelle et religieuse.
Dounia, Soumaya, Mehdi et Sajida sont trop petits pour comprendre tous ces mots pompeux et souvent assassins. Ils ne peuvent et ne veulent rien
savoir. Sinon, retrouver leur cadre naturel. Ce cadre
est forcément auprès de leurs mamans. N’est-ce
pas Dounia ? Elle dit oui, avec le sourire.
Désarmant.❏
© DR
D
• La petite Dounia Alaoui Chahidi.
•Maroc Hebdo International:
Cela fait plus de deux ans que
votre fille Dounia a disparu.
Vous n’avez plus de nouvelles
d’elle depuis ce temps ?
-Belén Tapia Gasca: La dernière fois que j’ai vu Dounia,
c’était le 20 avril 1997 à
Saragosse. Depuis ce jour où elle est partie avec son père
Abdelilah Alaoui Chahidi, je
n’ai pas pu avoir la moindre information sur son devenir. Je ne
sais même pas si elle est encore en vie ou elle est morte. C’est
cruel, comme sentiment. J’ai été
voir la famille de Abdelilah à
Casablanca, en vain. Ils disent
qu’ils n’en ont pas la moindre
idée.
-J’ai un jugement pour avoir la
garde de Dounia. J’ ai frappé à
toutes les portes en Espagne et
au Maroc. J’ai contacté et j’ai
exposé mon dossier à toutes les
autorités espagnoles et marocaines directement ou indirectement concernées par ce dossier. J’ai explicité mon histoire
à toutes les organisations non
gouvernementales en Europe et
au Royaume du Maroc. J’ai avisé l’opinion publique à travers
les médias et par le biais des
marches de protestation avec
d’autres mamans qui ont le même problème. Et je pense que
tout ce que j’ai entamé reste insuffisant. Car, je suis prête à faire tout pour pouvoir revoir ma
fille. Je conçois mal la vie sans
• Il n’y a donc pas de pistes pour elle. Depuis 941 jours, j’ai cessuivre les traces de Dounia ? sé d’exister comme femme.
- Aucune piste. Personne n’a pu Depuis je vis uniquement comme une mère.
confirmer l’avoir vue.
-C’est vrai, l’idée de sa mort me
décourage, m’écrase et me torture depuis déjà une année. C’est
horrible comme sentiment. Je
fais tout pour chasser cette idée
noire de ma tête. De toutes mes
forces, je prie Dieu pour qu’Il
puisse me donner la force, toute la force, pour venir au bout
de cette idée destructrice. Mais,
je consacrerai toute ma vie pour
revoir le sourire de ma fille. Pour
pouvoir la caresser, comme
avant.
•Pourquoi, Abdelilah a disparu
ainsi avec Dounia ?
-Abdelilah n’était jamais un bon
mari ni un bon père.
Abdelilah n’a pas enlevé
Dounia parce que la justice espagnole puis son homologue marocaine m’ont donné le droit à
sa garde. Son mobile n’est pas le
sentiment paternel. C’est faux.
La preuve, c’est qu’il a délaissé
• Qu’est ce que vous avez fait •Pensez-vous que Dounia est Sara, sa fille de 9 ans qui contestait même sa légitimité, fruit de
pour pouvoir la retrouver ?
toujours en vie ?
Maroc Hebdo International n° 394 - Du 19 au 25 Nov. 99
INTERVIEW
• Tu ne crois donc plus dans la démarche légale que tu as entreprise ?
-Je suis agréablement surprise par le
soutien que j’ai reçu au Maroc. La
police, la justice et certaines ONG
marocaines m’ont été d’un grand
atout. Franchement, je n’imaginais
pas que j’aurais des aides pareilles.
Mais, avec le temps, qui est passé et qui passe encore, je commence
à croire que le mieux c’est de retrouver Dounia. Et je répète, je suis
prête à faire n’importe quoi pour la récupérer. Je retirerai toutes mes
plaintes, j’abandonnerai tous les jugements en ma faveur, si Abdelilah
me rend Dounia. Car, dans cette histoire, ce n’est ni moi ni Abdelilah qui
comptent le plus. L’important dans
ce drame, c’est Dounia qui est la grande victime. Vous imaginez, une fillette de 5 ans en cavale depuis plus de
2 ans avec son père qui vit clandestinement quelque part dans la nature.
C’est inhumain, de faire vivre et subir à une gosse, qui n’a rien commis
de mal sinon d’être le fruit d’un
couple en rupture, des conditions de
vie forcément précaires.
• On dit que Abdelilah est un homme aisé. Il a des biens en Espagne.
Donc il a de quoi s’offrir une vie
clandestine de bonne qualité ?
-Abdelilah n’a jamais un boulot
stable à Saragosse. Je ne vois pas
comment il peut être un homme qui
a des biens ou un propriétaire de quoi
que ce soit. Partout, Abdelilah cumulait des dettes. Avant que je le rencontre, c’était un mari qui vivait au
détriment de sa femme, une enseignante universitaire, qui a toujours
géré et financé de bout en bout leur
vie conjugale. Malgré, cette prise en
charge totale, Abdelilah était un mari ingrat et violent. Il malmenait et
battait sa première femme qui a fini
par faire appel à la justice. Il est poursuivi pour cela et pour d’autres affaires en justice par certains de ces
créditeurs. Pendant notre vie de
couple, c’était moi qui l’hébergeait
et l’entretenait. Même ses voyages
au Maroc et les cadeaux pour sa famille, c’était moi qui les payait. Je
faisais tout ce qui pouvait le rendre
heureux. Financièrement, Abdelilah
était un homme sur la dèche. Je vois
mal comment il peut, par ses propres
moyens, mener une vie, prouver qu’il
est un homme aisé.
• Pourquoi vous avez accepté d’associer votre vie avec un homme
que vous qualifiez de "violent" ?
- Au début, il s’est présenté comme
une victime de sa femme. Il m’a fait
comprendre qu’elle l’a mis dehors
après avoir perdu son emploi.
J’avoue que Abdelilah est un grand
acteur. Parce qu’il a joué le rôle de
la victime d’une manière très brillante. Son scénario était bien ficelé. Je
ne pouvais pas ne pas le croire. Mes
premiers sentiments étaient donc de
pitié pour un homme en détresse. J’ai
essayé de l’aider à s’en sortir, mais
je suis tombée dans son piège. Mon
cœur a cédé. Nous avons décidé de
vivre ensemble sous le même toit. Il
m’a alors embarqué dans son bateau
fait de mensonge et d’escroquerie.
Malheureusement, je ne me suis
rendu compte de ses supercheries
qu’après la naissance de Dounia. Il
m’est devenu très difficile de mettre
fin à cette liaison.
• Comment êtes-vous arrivés à la situation de l’enlèvement de
Dounia?
- Mes mésaventures ont commencé
un an avant l’enlèvement de Dounia
par Abdelilah, le 20 avril 1997.
Lorsque j’ai décidé de ne plus lui
donner de l’argent, Abdelilah est devenu furieux. Il avait pris l’habitude
de mener un train de vie facile. Il a
commencé par les insultes et les menaces. Puis il est passé à l’acte. Il me
battait violemment. Il a essayé même une fois de me tuer. D’ailleurs, les
certificats médicaux et les PV de la
police à Saragosse en témoignent.
J’ai commencé à avoir peur de lui.
Abdelilah l’humain, le sensible, l’affectueux s’est métamorphosé en un
homme en rage, imprévisible, agressif et impitoyable. Un homme dangereux. C’est là où il a commencé à
me menacer d’enlever Dounia. J’ai
déposé plusieurs plaintes auprès du juge de Saragosse qui a lancé un mandat interdisant Abdelilah Alaoui
Chahidi de quitter le territoire espagnol en compagnie de sa fille Dounia.
Malgré ce mandat, il a réussi à sortir
avec elle de l’Espagne.
© Ph. MHI
son mariage avec une autre femme à
Saragosse. D’ailleurs, il n’a jamais
demandé auprès d’elle. Et il a été, à
cause de cela, condamné à un an de
prison avec sursis.
Et s’il a enlevé Dounia, c’était
pour avoir de l’argent dont il avait
besoin pour ouvrir une école de
langue espagnole au Maroc. Et quand
j’ai refusé, il s’est arrangé pour ramener la fille à Casablanca d’où il
m’a téléphoné, une semaine après le
rapt, pour réclamer une rançon de
700 milles dirhams contre la reprise
de Dounia. Sincèrement, je regrette
de n’avoir pas répondu favorablement à sa demande. Aujourd’hui, je
suis prête à payer n’importe quel prix
pour avoir ma fille.
29
• Belén Tapia Gasca.
ai demandé de mettre fin à notre relation. Nous ne pouvions plus vivre
sous le même toit. Je l’ai invité alors
d’aller vivre ailleurs et avec ses
propres moyens.
Cela dit, il a toujours bénéficié de
son droit de visiter sa fille. Il passait
régulièrement la journée de dimanche
avec Dounia.
• Comment Abdelilah a-t-il pu enlever Dounia ?
- Dimanche, 20 avril 1997, l’occasion
était propice à Abdelilah pour mettre
en œuvre son plan. Ce jour-là, où il
faisait un temps pluvieux, Abdelilah
m’a dit qu’il allait l’emmener au
grand parc couvert de la ville. Et il
devait la ramener à 8 heures du soir.
À 10 heures, Abdelilah et Dounia
n’ont pas donné signe de vie. J’ai
commencé alors à m’inquiéter. À 11
heures, ils n’étaient pas toujours de
• Comment il a pu sortir avec un retour. J’ai décidé alors d’alerter la
mandat pareil ?
police sur la disparition de Dounia.
-Après sa fuite, et quand j’ai com- Depuis cette heure, ma vie est devemencé à fouiner dans le passé de nue un véritable cauchemar. Malgré
Abdelilah, plusieurs personnes es- le choc, je n’ai pas baissé les bras. J’ai
pagnoles et marocaines à Saragosse frappé à toutes les portes pour poum’ont révélé qu’il était un informa- voir récupérer ma fille. J’ai joint
teur de la police. Je pense qu’il doit toutes les organisations gouverneavoir des complices. En tout cas, dif- mentales et non gouvernementales,
férents témoignages s’accordent pour marocaines et espagnoles, suscepdire que Abdelilah est un homme tibles de me donner un coup de main.
louche.
• Dounia a disparu le 20 avril 1997,
• Si vous aviez à décrire Abdelilah,
alors que vous vous n’êtes déplavous le feriez comment ?
cée au Maroc que le 11 août de la
- Il existe un rapport rédigé par Maria
même année. Pourquoi avoir atJosé Col, psychologue auprès du tritendu 4 mois ?
bunal de Saragosse, qui définit - Je ne pouvais pas venir au Maroc
Abdelilah comme un psychopathe. aussitôt. Car Abdelilah me menaçait,
D’ailleurs, lorsque j’ai commencé à dans chaque appel téléphonique, de
découvrir sa vraie personnalité, je lui mort si jamais je mettrais les pieds à
Casablanca. Cela ne veut pas dire
que j’ai croisé les bras et je me suis
contenté de me lamenter sur mon sort
et celui de ma fille. Au contraire, au
cours de ces quatre mois, j’ai entamé
toutes les démarches nécessaires auprès de la police et la justice espagnoles. Puis j’ai fait la même chose
auprès des responsables des ministères de l’Intérieur et de l’Extérieur de
mon pays qui ont demandé et obtenu, après un certain temps, l’accord
de collaboration de leurs homologues
marocains dans cette affaire.
• Avez-vous un message particulier
à lancer, à travers MHI, à
Abdelilah et à Dounia ?
- À Abdelilah, je dis que je suis prête à abandonner toutes les poursuites
judiciaires, à oublier toutes mes souffrances et panser toutes mes blessures, pourvue que tu rendes ma fille.
Je t’en prie Abdelilah, au nom de
belles choses que nous avons partagées ensemble, aie pitié de ta fille et
de moi. Tu sais très bien que ni moi
ni Dounia ne méritons cela.
À Dounia, je rappelle, tu sais combien je t’aime ma chérie. Et je sais
combien tu m’aimes en retour. Ma
maman ne te laissera pas tomber ma
petite.
Ta maison, ta chambre, ton lit, tes
nounous, aussi ton petit chien, t’attendent. Je sais qu’ils doivent te manquer. Sois sûre qu’eux aussi, tu leur
manques. Je suis sûre que nous pourrons aller ensemble au parc. Et tu auras droit à deux sucettes au lieu d’une
seule. N’aie pas peur mon ange, le
bon Dieu ne laissera jamais tomber
une jolie petite avec un si angélique
sourire.❏
Maroc Hebdo International n° 394 - Du 19 au 25 Nov. 99

Documents pareils