N. AL NAJJAR, Lorseque la responsabilité organisationnelle
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N. AL NAJJAR, Lorseque la responsabilité organisationnelle
Lorsque la responsabilisation organisationnelle se transforme en source de perturbation : Cas de la banque Barings Maamoun Al Najjar – Chargé d’enseignement à la FGM Dans ce présent article, nous allons considérer une revue de la littérature portant sur l’importance d’assurer les besoins des salariés dans le cadre du travail en but de leur motivation. Mais surtout, l’impact de la responsabilisation en tant que besoin avancé chez les cadres d’une organisation sur la motivation de ces derniers. C’est ainsi que, dans un premier temps, nous allons évoquer quelques principales théories qui soulignent l’importance de la délégation de pouvoir aux salariés pour réussir le processus de leur motivation au travail. Dans un second temps, nous allons considérer un cas pratique, le cas de la banque Barings (banque étrangère) qui a connu sa faillite en 1995. Dans notre 3ème et dernière partie, l’analyse du cas et son rapprochement au cadre théorique va nous permettre de rédiger la conclusion de cet article : l’excès de motivation, surtout à travers la responsabilisation des cadres dirigeants d’une organisation annihile à un moment donné toutes les théories académiques et fonctionnelles existantes. Section 1 – Historique et théories du concept de la motivation mettant l’accent sur la responsabilisation des cadres de l’entreprise Au début du 20ème siècle, le concept de la « motivation organisationnelle » était quasi absent du langage commun et de celui des organisations. Les psychologues Tolman (1932) et Lewin (1936) étaient les pionniers à évoquer ce concept dans leurs travaux 1. À travers les années, le principe de la gestion managériale a beaucoup changé. La perception de l’homme au travail a évolué. L’époque de l’école classique commença à partir du milieu des années 1980 jusqu’au début du 20ème siècle. Durant cette période, les gestionnaires cherchaient à amasser des capitaux, à agrandir leurs usines… En d’autres termes, les cadres supérieurs d’une organisation étaient assoiffés aux profits, même parfois au détriment des conditions de travail de leurs employés si le cas l’exige. Nous citons parmi les auteurs de cette école : Adam Smith qui mit l’accent sur la définition des tâches et des responsabilités dans l’entreprise. Frédérick Taylor qui introduisit l’approche de l’OST (Organisation Scientifique du Travail) où il considéra les employés par nature des êtres paresseux. Pour 1 Patrice Roussel, 2000 1 cela, il proposa de donner à chaque employé une tâche spécifique et les payer en fonction du travail réalisé. De même, Henry Gantt croyait que les employés peuvent être orientés vers leur motivation à travers une rémunération fondée sur leur rendement personnel. Toutefois, au lieu de considérer la méthode de Taylor où le salaire était fonction de la quantité produite, il recommanda un système de primes. À son avis, un tel système de travail assurera à l’employé un salaire minimum fixe. Ceux qui dépassaient le quota bénéficieraient d’une prime additionnelle sur leur salaire. C’est ainsi que l’employé sera motivé à fournir un effort supplémentaire dans le but d’obtenir une récompense financière additive sur son salaire fixe. Quant à Lillian et Frank Gilbreth, ils s’intéressèrent surtout à trouver des moyens pour satisfaire au maximum les travailleurs d’une organisation. À son tour, Max Weber chercha à mobiliser les capitaux organisationnels (humains, financiers et matériels) de façon à améliorer, voire optimiser la productivité. Pour Henry Fayol, afin de réussir, un gestionnaire devra assurer cinq fonctions : prévoir (les objectifs à réaliser), organiser (le travail), commander (en exerçant un certain pouvoir sur les employés), coordonner (entre les employés) et contrôler (le travail). L’école des relations humaines vit le jour au début du 19 ème siècle. C’est à partir des années 1900 que les gestionnaires ont commencé à s’intéresser en particulier aux besoins sociaux de même qu’à la motivation des salariés. Les concepts généraux de cette école peuvent être résumés par : la prépondérance économique, l’influence des éléments sociaux sur les travailleurs, la création d’un climat de travail qui incite les employés à fournir leur plein rendement et la découverte des meilleurs moyens d’apporter une motivation aux employés pour réaliser les objectifs de l’organisation. Nous citons parmi les principaux auteurs de cette école : Hugo Munsterberg qui préconisa de créer un climat de travail qui incite les employés à fournir leur plein rendement. Elton Mayo mit l’accent sur l’importance des relations entre les collègues au travail. Des relations saines assureront une meilleure intégration de l’employé dans l’organisation. Abraham Maslow démontra que l’être humain en général, là où il se trouve, a des besoins (hiérarchisés) qui sont de l’ordre de cinq : les besoins physiologiques, les besoins de sécurité de l’emploi, les besoins sociaux, les besoins d’estime et les besoins d’accomplissement notamment à travers sa responsabilisation. Douglas Mc Gregor montra à travers ses études que les employés peuvent être classés en deux catégories, les irresponsables parmi eux étant peu disposés à prendre des décisions et peu intéressés par leur travail. À l’égard de ces personnes, un gestionnaire devra agir de façon autoritaire (pas de délégation de pouvoir). Et ceux intelligents, prêts à sacrifier de leur propre temps pour l’organisation. C’est ainsi qu’un gestionnaire face à ce type de personne aura tendance à être plus démocratique en délégant le pouvoir aux responsables / cadres de l’entreprise. L’idée principale de cette école étant que la motivation des employés au travail est le résultat de la satisfaction de leurs besoins personnels, principalement en les responsabilisant. 2 Les théories qui soulignent l’importance de la responsabilisation en tant que besoin de motivation pour les salariés au travail sont nombreuses : Abraham Maslow (1950) Douglas Mc Gregor (1960) Il est reconnu par sa fameuse « théorie des besoins hiérarchisés » qui est la plus utilisée en sciences de gestion. Maslow classe les besoins d’un employé en cinq grandes catégories suivant un certain ordre de priorité. L’ordre croissant des besoins est le suivant : les besoins physiologiques (bonne rémunération…), les besoins de sécurité de l’emploi (assurance médicale, C.N.S.S, titularisation…), les besoins d’appartenance ou sociaux (bâtir de bonnes relations avec ses collègues au travail…), les besoins d’estime (promotions, titres…) et enfin, les besoins d’accomplissement de soi (responsabilisation du salariés, délégation de pouvoir et d’autorité…). Pour Maslow, un nouveau besoin chez l’employé ne peut apparaître que si le besoin du niveau immédiatement inférieur n’a pas été satisfait. Selon Mc Gregor, les employés peuvent être classés en deux catégories : ceux qui se montrent paresseux, irresponsables et inaptes à prendre des décisions au travail. Ce type d’employé ne mérite pas d’occuper un poste clé dans l’organisation et d’obtenir leur autonomie (théorie X). Seuls les employés actifs, compétents peuvent être responsabilisés. Un pouvoir leur est délégué dans ce cas (théorie Y). Ces deux modes de gestion managériale correspondent à la « théorie X et Y » de Mc Gregor. Frédéric Herzberg (1971) Les recherches conduites par Herzberg l’ont amené à élaborer sa « théorie des facteurs de motivation et d’hygiène de vie » (ou théorie bi-factorielle). Pareillement à Adelfer, Herzberg utilisa les mêmes besoins de ceux de Maslow pour construire sa théorie, mais il les a regroupés en deux groupes sous le titre de facteurs. Le facteur d’hygiène de vie englobe les besoins physiologiques, de sécurité de l’emploi et sociaux. Selon Herzberg, la satisfaction de ce facteur ne motive pas nécessairement l’employé. Par contre, l’absence de l’un des besoins qui constituent le facteur d’hygiène de vie entraine sûrement l’insatisfaction de l’employé au travail. La motivation certaine de ce dernier va être garantie à travers la satisfaction du facteur de motivation qui correspond aux besoins d’estime et d’accomplissement de soi selon Maslow. David McClelland (1961) Auteur de la « théorie de la motivation par l’accomplissement ». Selon McClelland, un employé au travail a tendance à satisfaire trois besoins : l’accomplissement par la responsabilisation, le pouvoir et l’affiliation. Comme le nom de sa théorie le souligne, McClelland focalise ses recherches sur le besoin d’accomplissement qu’il considère (avec celui du pouvoir) comme un besoin supérieur. Clay Adelfer (1969) Adelfer adopte les mêmes besoins énoncés par Maslow pour créer sa propre théorie de motivation, mais il se contente de les classer en trois groupes de besoins suivant une hiérarchie croissante : le besoin de Subsistance qui correspond aux besoins physiologiques et de sécurité de l’emploi selon Maslow, le besoin de Relation qui correspond aux besoins sociaux et le besoin de Progression qui correspond aux besoins d’estime et d’accomplissement de soi (responsabilisation). D’où, sa « théorie des besoins SRP » qui diffère de celle de Maslow uniquement par le fait qu’un salarié serait frustré dans son travail par l’insatisfaction de l’un de ses besoins. Il peut se rabattre sur le type de besoin directement inférieur, d’où la notion de régression. 3 En conclusion, toutes les théories de motivation précitées dans la partie conceptuelle de notre présent article mettent l’accent sur l’importance de la responsabilisation de l’employé dans le cadre de son travail. L’accomplissement de soi est l’un des besoins avancé chez l’employé qui optimise sa motivation au travail, influençant ainsi sa productivité et son rendement au sein de l’organisation. Ces théories reflètent le côté amélioratif de la motivation de l’employé (à travers sa responsabilisation) sur la continuité des organisations. Par contre, n’existe-t-il pas de limite à cette responsabilisation ? Dans notre seconde partie, et à travers l’analyse d’un cas réel d’une banque qui a connu sa faillite, nous allons trouver une réponse à cette question… Section 2 – Lorsque la responsabilisation devient source de perturbation Cas Barings Présentation des principaux acteurs La banque Barings, en Angleterre, est l’une des plus anciennes banques de la Cité comptant un portefeuille riche de clientèle aussi prestigieux. La famille Baring d’origine hollandaise, plus précisément Johann Baring et son fils Francis émigrent vers l’Angleterre en 1717. En 1762, Francis fonde une banque primitivement dédiée à financer le commerce de la laine. Son activité va rapidement s’ouvrir à de nombreux domaines du commerce international. Avec le temps, l’histoire de cette banque a connu une croissance significative extraordinaire, une succession de réussites professionnelles. Peu nombreuses sont les familles qui ont connu autant d’estime et de titres à cette époque. En 1995, la Fondation Barings était dirigée par deux frères de la famille Baring, Nicholas et Peter. A noter que cette fondation était l’actionnaire principal de la sixième banque d’affaires en Angleterre2. Le 6 mars 1995, après le rachat de la banque Barings par l’ING, Peter Barings et Andrew Tuckey (vice-président) démissionnent. Ils mettent ainsi fin à 233 ans de contrôle familial sur la banque. Nick Leeson, fils d’un plâtrier, jeune homme très ambitieux et motivé poursuit ses études secondaires à Watford. Plus intéressé par la littérature et l’histoire, il laisse tomber de côté les sciences mathématiques. Plus tard, il demeure employé de bureau chez Coutts & Company. Encore deux ans, il va être recruté auprès de Morgan Stanley UK en tant 2 I. Rodriguez, 1995 4 qu’assistant d’opérations, un poste qui va enrichir sa carrière professionnelle et ses connaissances dans le domaine des investissements. Attiré par la pénurie d’opérateurs sur les marchés à terme, il se dirige vers Singapour en 1990, où il se marie. Il rejoint ainsi l’équipe d’opérateurs de Barings au SMIE (Singapour International Monetory Exchange) et réalisera plus tard, des opérations sur les marchés à terme du NSA (Nikkei Stock Average) sous la surveillance des opérateurs de Barings au Japon. Ayant le sang chaud, il va travailler très dur pendant cette période et devient aussitôt une figure centrale, une référence sur les marchés des produits dérivés de Singapour. « Il semblait capable de faire bouger le marché ! Chaque jour nous le surveillons pour savoir ce qu’il faisait » a dit un opérateur qui le connaît 3. Des récompenses financières (augmentations de salaire, primes annuelles fastueuses…) et morales dédiées à Nick Leeson semblent avoir changé sa personnalité. Il décide de fuir quand il découvre plus tard le désastre qu’il a provoqué. Il fut emprisonné à Francfort après son arrêt le 2 mars 1995. Il est réclamé ensuite par la justice de Singapour. Il demande plus tard son transfert en Angleterre4. Mais le SFO (Serious Fraude Office) britannique refuse sa demande de transfert le 12 juillet car « les événements ayant conduit à la chute de la banque Barings se sont essentiellement déroulés à Singapour… »5. Le gouvernement allemand, en confirmation avec son homologue asiatique assure que les charges de Leeson ne pouvaient l’entrainer à la peine de mort, mais surtout à la peine de prison pour des années. C’est ainsi que Nick Leeson risque de rejoindre les oubliettes pour longtemps. L’histoire de Nick Leeson n’était pas unique dans le temps. Les années 1990 témoignent d’une multitude de cas similaires. En 1991, Paul Mozer qui travaillait pour Salomon Brothers, était responsable de plusieurs fraudes sur le marché des bons de trésor aux USA. Suivi par Joseph Jett, courtier de Kidder, Peabody & Company qui causa des pertes énormes provoquant ainsi la faillite de cette entreprise boursière de Wall Street. Nous citons aussi le cas de la Chemical Banking Corporation qui subit des pertes s’élevant à plus de 70 millions de dollars occultés par son opérateur du marché de devises de cette banque, Victor Gómez. Leeson n’était ni le premier, ni le dernier courtier malhonnête, puisque le 25 septembre 1995, un opérateur du même genre a été remarqué au niveau de la banque japonaise Daiwa, dans son siège localisé à New-York. Pendant une période de 10 ans presque, Toshihide Iguchi aurait pu camoufler 1,100 millions de dollars à travers environ 30,000 opérations frauduleuses6. Les marchés financiers des produits dérivés 3 I. Rodriguez, 1995 S. Ascarelli, 1995 5 M. Roche, 1995 6 R. Mantecón, 1995 4 5 La question technique et scientifique qui se pose à ce stade : Que se déroule-t-il sur ce type de marché dans lequel Nick Leeson a connu des années brillantes au départ et tragiques dernièrement qui ont mis fin à sa carrière professionnelle ? Sur les marchés financiers, s’opèrent des contrats d’options et à terme sur tous types d’actifs : matières premières, produits agricoles, indices boursiers, devises… En termes plus techniques, nous parlons de spéculation. Un contrat est un accord mutuel entre deux parties. La première (le vendeur) s’engage à vendre une quantité « x » d’un actif donné à un prix et une date bien définie, la seconde (l’acheteur) s’engage à acheter cette même quantité « x » de l’actif en question aux conditions prédéfinies. Une négociation au niveau des conditions (surtout du prix) se réalise normalement. Pour qu’un contrat prenne naissance, il n’est pas nécessaire de régler la totalité du prix d’acquisition de l’actif en question. Seul, un « margin deposit » représentant généralement 5 à 10 % du montant du contrat suffit pour qu’une opération sur les marchés financiers s’enregistre. Mais pour réduire le risque de spéculation, il faudra toujours se couvrir. « Cela signifie qu’un courtier qui vient, par exemple, de prendre une grosse position de vente de café-papier, c'est-à-dire sur un contrat à terme purement financier, peut se protéger en prenant la position inverse sur la même quantité de café-physique, c'est-à-dire sur un contrat d’achat réel de marchandises qu’il va signer avec un producteur ou un marchand. Si son choix a été bon, il fera un bénéfice car, au moment de la réalisation ou « débouclage », il aura la possibilité d’acheter du café-physique à un prix inférieur à celui du marché et il le revendra immédiatement. Par contre, si son choix se révèle mauvais, il peut espérer que la spéculation n’influencera pas autant le marché du café-physique que celui du cafépapier et qu’il compensera ainsi une partie de ses pertes »7. Pour comprendre encore les opérations qui se déroulent sur les marchés financiers, définissons les deux positions « long » et « short » ? C’est à travers la définition de ces deux mots que les graves erreurs de Nick Leeson seront plus faciles à comprendre. Pour un spéculateur, avoir la position « long » consiste à faire le pari que le prix de quelque chose va augmenter. La position inverse dite « short » consiste à faire le pari que le prix de quelque chose va diminuer. Lorsque cette chose est un produit commercialisable, les spéculateurs vont l’acheter ou le vendre. En bourse, on appelle souvent « la prise de bénéfice » le passage d’une position « long » à une position « short ». Le marché des produits dérivés étaient l’un des marchés le plus exploitable jusqu’en 1994. Fin 1994, selon la revue Swaps Monitor, l’ensemble de l’encours des produits dérivés s’élevait a 40,000 milliards de dollars 8. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 1993, les engagements hors-bilan de Bankers Trust étaient de 1923 milliards de dollars pour des 7 8 Gérard Verna, 1996 P. Manière, 1995 6 fonds propres de 4.5 et ceux de JP Morgan de 1731 pour 9.99. Avec le développement des produits dérivés, les marchés financiers ont peut-être commencé à creuser le trou dans lequel ils tomberont. La banque Barings n’était pas la première grande institution à être prise par le piège. L’année 1994 est témoin d’une multitude d’histoires similaires. Parmi ces institutions, nous citons : Metallgesellschaft qui affirme avoir perdu prés de 1 milliard de dollars sur ses opérations de produits dérivés (janvier 1994), le fonds d’investissement Askin Capital Management avec un portefeuille de 2 milliards de dollars est liquidé après d’énormes pertes successives sur des positions couvertes par des garanties hypothécaires (mars 1994), Procter & Gamble révèle une perte de 175 millions de dollars (avril 1994), le Compté d’Orange dans la banlieue de Los Angeles fait faillite suite à une perte de 1.5 milliards de dollars sur la variation des taux d’intérêt (décembre 1994). Et encore… Merton Miller, prix Nobel d’économie de l’Université de Chicago affirme que : « Les produits dérivés ont contribué à rendre ce monde plus sûr et non pas plus risqué ». Le cas Barings contredit cette affirmation. Le monde s’est montré plus affamé, plus cupide sur les marchés financiers des produits dérivés. Un monde est qualifié de « sûr » quand un risque est surmonté grâce à la conscience ou à l’éthique professionnelle. Nous pouvons ainsi paraphraser Miller en considérant que : « Les produits dérivés ont contribué à rendre ce monde plus sûr et non pas plus risqué et à la base de cette sûreté se trouve une conscience professionnelle ». Les erreurs de Nick Leeson Le 23 février 1995, après sa fuite, les erreurs de Nick Leeson ont été aperçues à travers deux séries de contrats : une position « long » pour un montant total d’environ 7 milliards de dollars en dérivés sur des valeurs japonaises à rendement variable, mais surtout, une position « short » pour environ 20 milliards de dollars en dérivés sur des taux d’intérêts eux-mêmes conditionnés par l’évolution de l’indice Nikkei. Cela indique que Nick Leeson est sorti de sa mission, celle d’arbitrer les cours boursiers entre Singapour et le Japon, et se lança dans la pure spéculation. Son pari est que l’indice Nikkei va s’apprécier, ce qui entrainera la baisse des taux d’intérêts. Mais Nick Leeson ne pouvait formellement pas prévoir la catastrophe de Kobé et ses effets financiers. Convaincu que le marché va se corriger assez vite, il prend plus de positions pour dissimuler les premières pertes. Contrairement aux règles du jeu d’arbitrage, Nick Leeson va investir la totalité de ses moyens financiers pour acquérir de nouveaux contrats au lieu de couvrir le risque des contrats conclus par des contrats inverses. Selon lui, et durant un entretien avec la chaîne de télévision britannique BBC 1 : « Beaucoup d’opérateurs du marché des 9 E. Leser, 1995 7 dérivés, quand le marché se retourne, doublent leur mise. Ce n’est pas sensé mais cela se fait »10. Le 28 février 1995, Eddie George, gouverneur de la Banque d’Angleterre, dans une déclaration contradictoire à celle de Nick Leeson, annonce les pertes de la Barings qui s’élèvent à plus de 265 millions de livres et que chaque nouvelle diminution de l’indice Nikkei de un point provoquera 70 millions de livres de pertes additionnelles. Les pertes totales exactes resteront inconnues jusqu'à la fin du « débouclage » de tous les contrats. Elles atteindront rapidement un niveau suffisant pour entraîner la faillite de la banque Barings. N’y a-t-il pas des systèmes de contrôle afin d’éviter de telles fraudes ? En effet, deux ensembles de contrôles sont censés protéger les banques : Les contrôles internes En application au cas Barings, sa direction londonienne qui généralement alimentait et empruntait des sommes d’argent à ses filiales devait être au courant de la façon dont cet argent est investi. Peut-être, Nick Leeson cachait-il la vérité de ses placements sur les marchés financiers des produits dérivés. Dans ce cas, nous pouvons douter du manque de curiosité de la part des dirigeants vis-à-vis du risque des investissements réalisés par Leeson. Le manque d’organisation résultant des fusions de services auprès de la Barings Securities à la suite de la démission du directeur, Christopher Heath, en mars 1994 semblait être une justification du comportement malhonnête de Nick Leeson. Par ailleurs, selon le Wall Street Journal, un sondage interne réalisé en juillet 1994 avait blâmé l’absence de surveillance de l’antenne de Singapour11. En mars 1995, les autorités financières de Singapour se précipitent pour annoncer que la Barings était avertie depuis 3 ans de l’excessive délégation offerte à Nick Leeson. C’est ainsi que nous pouvons mettre en cause la désorganisation interne de la Barings, renforçant la position de Nick Leeson et favorisant son comportement déloyal envers son employeur. Ce dernier était à la fois responsable du « front office » (responsable opérationnel), et responsable du « back office » (responsable de l’analyse des risques opérationnels). Une question se pose dans ce cas : Comment se fait-il qu’une même personne qui va prendre les décisions d’achat-vente sur les marchés financiers va s’auto évaluer (voire s’autocontrôler) ? Nick Leeson a converti ses logiciels informatiques pour rendre visible uniquement une partie des transactions, l’autre partie reste cachée dans un compte secret. Consciente qu’elle possédait un responsable doué qui enregistrait des gains très importants pour la banque, la direction londonienne rejetait les plaintes de toute personne n’ayant pas accès aux logiciels utilisés par Leeson qui normalement doivent être accessibles aux autres opérateurs et à la direction elle-même. 10 11 M. Taylor, 1995 M. Roche, 1995 8 D’après Nick Leeson à la BBC : « Mes supérieurs ne comprenaient pas le fonctionnement de base des marchés à terme ou à option, et ils n’étaient pas disposés à me poser des questions ». David Marshall, analyste de l’IBCA, une agence de qualification de dette basée à Londres affirme : « Une claire séparation entre les opérateurs et ceux qui tiennent les comptes est absolument indispensable. Et, bien sûr, il manque des personnes compétentes pour évaluer et gérer le risque »12. Les contrôles externes D’une part, la déclaration des pertes subies par chaque établissement ou filiale d’une même institution aux organismes de contrôle doit se faire de façon périodique, pourquoi pas de façon journalière. C’est ainsi que les pertes de chaque établissement seront limitées aux pertes de la journée. D’autre part, il est à éviter de consolider les bilans des filiales d’une même institution lors de la déclaration. Les bilans à présenter aux organismes de contrôle doivent être suffisamment représentatifs non seulement des résultats généraux de l’institution, mais aussi, ces derniers doivent refléter les résultats de chaque filiale séparément. A ce qu’il paraît, dans le cas Barings, les autorités de Singapour se contentaient des déclarations falsifiées de Nick Leeson et étaient dépourvues du minimum de curiosité qui doit exister nécessairement et normalement chez le contrôleur. L’analyse du rapport de la Banque d’Angleterre Après la faillite de Barings, la Banque d’Angleterre a établi un rapport dans lequel elle s’est permise de faire porter le blâme de ce qui s’est passé non seulement à Nick Leeson, mais pareillement à la direction londonienne de la banque. Mais quelles ont été ses responsabilités à cet égard ? N’est-elle pas coupable dans cette affaire ? Elle ne l’est pas à son avis, mais la Banque d’Angleterre a contribué à la faillite de Barings et ce de façon indirecte. Comment ? A la suite des événements, nous nous sommes rendu compte qu’ « un haut fonctionnaire de la Banque d’Angleterre, Christopher Thomson, a décidé d’accorder à Barings une exemption d’un an à la règle interdisant d’utiliser plus de 25% du capital pour certaines opérations »13. Pourquoi n’a t-il pas prit des précautions pour éviter les risques d’une telle décision sur l’activité et la continuité de la banque ? Pourquoi ne s’est-il pas déplacé sur les lieux, à quelques kilomètres de son bureau, pour contrôler le bon fonctionnement des affaires de Barings vu la décision exceptionnelle qu’il avait pris à l’égard de cette banque ? Généralement et évidemment, nous acceptons de blâmer les autres et nous oublions facilement nos erreurs ou même nous les cachons. Le rapport de la Banque d’Angleterre se borne à parler d’une erreur d’appréciation de sa 12 13 Gérard Verna, 1996 Gérard Verna, 1996 9 part. D’après le Wall Street Journal le 27 septembre 1995 : « De nombreux analystes se montrent sceptiques sur la possibilité pour ces courtiers marrons d’accumuler des pertes aussi énormes sans que personne ne s’en aperçoive. Ils soupçonnent que ceux-ci sont les victimes expiatoires que l’on sacrifie pour sauver les responsables d’une supervision insuffisante et de fautes de gestion »14. Nick Leeson déclare dans un entretien avec la BBC 1 : « Les fonctionnaires de la banque centrale manquent de rudiments fondamentaux nécessaires à la compréhension des activités qu’ils sont censés surveiller… ! »15. Il ajoute : « La banque centrale a très mal géré la situation. Implicitement, elle a annoncé à tout le monde qu’il allait se produire un très grand ordre de vente. Ceci fut la cause de la chute de 1,000 à 1,200 points du marché quelques jours après »16. Selon Nick Leeson, la Banque d’Angleterre a contribué à faire grimper les pertes de 325 millions à plus de 800 millions, rendant ainsi la faillite de la banque Barings incontournable. Ce dernier ajouta que le rôle primordial de la Banque d’Angleterre est de sauvegarder les intérêts du public plutôt que ceux des spéculateurs imprudents. Un autre point important à souligner n’est autre que l’application de la règle de consolidation qui permet à une maison-mère de cumuler ses gains et pertes avec ceux de ses filiales vis-à-vis des organismes de contrôle. En application au cas Barings, les sommes énormes demandées par Nick Leeson et transférées de Baring Brothers à Baring Securities puis à Baring Futures à Singapour sont passées inaperçues. Dans un tel régime, le contrôle des sommes d’argents transférées, des pertes subies par une grande institution demeurent presque impossible. Section 3 – Conclusion La motivation d’un responsable ne peut-elle pas aboutir à de tels dérapages ? La responsabilisation et la délégation du pouvoir aux cadres d’une organisation ne risque-telle pas d’être nuisible pour sa continuité ? La majorité, voir la totalité des théories du contenu motivationnel citées dans notre cadre conceptuel et celles non citées rayonnent aux lecteurs l’importance de l’assurance des besoins des salariés dans le but de stimuler leur comportement au travail et de les motiver. Cette motivation « positive » envers l’organisation a pour but non seulement de fidéliser les cadres et les salariés les plus qualifiés à cette dernière, mais à augmenter leur 14 Sapsford J., N. Shirouzo, T. O’brien & M. Sesit, 1995 Gérard Verna, 1996 16 Gérard Verna, 1996 15 10 rendement et performance dans leur fonction. Cependant, n’existe-t-il pas un seuil à partir duquel, l’excès de motivation, provenant surtout de la responsabilisation des cadres, pourrait être source de perturbation pour l’organisation ? Comment freiner le comportement personnel indépendamment de l’éthique de certains responsables dans leur travail ? Dans le cadre de la Barings, nous sommes nécessairement face à un problème autant éthique que technique. La responsabilité n’a pas été confiée à la bonne personne ou encore, la responsabilisation n’a pas été accompagnée par un contrôle qui pouvait bien maîtriser ou même éviter la faillite de la banque Barings. Il est fort important et de façon régulière descendre dans la hiérarchie dans le but de trouver un responsable qui agi illégalement. Il est tout à fait normal que le secteur bancaire définisse de nouvelles règles de fonctionnement interne, de recrutement de ses dirigeants et de contrôles externes garantissant la sécurité des investissements aux clients d’une part, et la croissance des activités aux actionnaires d’une autre part. Finalement, la motivation des salariés d’une organisation est fonction primordiale du département des ressources humaines orientant les salariés vers la performance au travail. Les auteurs qui ont été porteur de nouvelles idées et concepts à travers leur théorie de motivation dans le domaine de la gestion entrepreneuriale se sont limités à la théorie. Lorsque les choses passent à une phase plus avancée, voire à l’application, ces théories reflètent certaines lacunes. Parmi ces lacunes, nous avons pu prouver à travers l’analyse du cas de la banque Barings que l’excès de motivation et de la responsabilisation en l’absence du contrôle continu de son application peut aboutir à de graves conséquences au niveau de la continuité de l’activité de l’institution, voire même sa faillite. Il est fort recommandé alors d’associer cette responsabilisation du cadre à la surveillance du comportement personnel de ce dernier qui doit normalement utiliser son pouvoir qui lui a été confié pour le succès de l’institution. Maintenant que nous nous sommes mis d’accord sur le fait que la motivation d’un salarié à travers sa responsabilisation surtout a une limite (un seuil) au delà duquel, son usage peut nuire au fonctionnement d’une organisation, les questions qui se posent à ce niveau sont : Quel est ce seuil ? Comment est-il fixé ? Par qui ? 11 Bibliographie : Patrice Roussel : « La motivation au travail - concept et théories », Les notes du Lirhe n°326, octobre 2000 Gérard Verna : « Produits dérivés et banques à la dérive, interrogations éthiques sur le cas Barings », 1996 I. Rodriguez : « La caída de Baring’s, el último banco de sangre azul », Diario 16, 05/03/1995 S. Ascarelli : « German Court clears Leeson extradition », The Wall Street Journal Europe, 05/10/1995 M. Roche : « Londres tire avec flegme les conséquences de la faillite de la Barings », Le Monde, 14/07/1995 B. Sterns : « Le « golden Boy » Nick Leeson a été arrêté à Francfort », Le Monde, 04/03/1995 R. Mantecón : « Un operador hace perder 136.000 milliones al banco nipón Daiwa en Nuera York », El País, 27/09/95 P. Manière : « La dérive des dérivés », Le Point, 04/03/1995 E. Leser : « Les marchés dérivés à nouveau sur la sellette », Le Monde, 28/02/1995 M. Taylor : « The true lesson of Barings », Knight-Ridder Financial News, 12/09/1995 M. Roche : « Les dirigeants de la banque Barings ont soutenu les placements du courtier Nick Leeson », Le Monde, 04/03/1995 Sapsford J., N. Shirouzo, T. O’brien & M. Sesit : « Se descubre otro « rogue trader » en Daiwa » traduit et reproduit par Cincodías, 28/09/1995 12