Lettre à Michel - La Gazette du Palais

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Lettre à Michel - La Gazette du Palais
Tr i b une
LETTRE À MICHEL
© Arnaud Corpet
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J
’ai mal dormi à cause de vous Michel. Vous avez surgi du néant
pénitentiaire grâce à votre ami « Benoît » et à cet article de La Voix
du Nord intitulé « Bapaume : il reçoit sa première visite au parloir
après… 38 ans de prison » que j’ai partagé sur les réseaux le 20 août
dernier sous une lune presque pleine.
J’ai rapidement calculé : vous aviez 27 ans quand vous êtes entré en
prison. C’était en 1978. Alors j’ai recalculé pour être sûr. 27 ans...
On n’est pas sérieux quand on a 27 ans. Pas tellement plus en tout cas
qu’à 17 ans comme disait le poète.
En 1978, au moment de votre incarcération le ministre de la Justice s’appelait Alain Peyrefitte, à moins que ce ne fût Olivier Guichard. Raymond
Barre était Premier ministre. Tous ces gens illustres et puissants sont
morts depuis longtemps.
Pas vous. Pas encore.
Eric MORAIN
Avocat au barreau de Paris, associé,
On n’est pas tout à fait sérieux quand on a 27 ans...
Carbonnier Lamaze Rasle &
En 1978, Internet (qui n’existait pas, on utilisait alors un Quid...) nous
Associés
rappelle que l’Amoco Cadiz sombrait au large de la Bretagne. Depuis la
mer lui a pardonné et a connu une seconde et belle vie.
Pas vous. Pas encore.
On apprend le vol du premier Mirage 2000 ; depuis il a été remplacé par le Rafale mais ça, Michel, j’imagine que vous vous
en foutez.
La société qui vous
On n’est pas tout à fait sérieux quand on a 27 ans...
En 1978 Mesrine s’évadait et finirait mal un peu plus tard.
a sanctionné a choisi aussi
Est-ce que ça vous a aussi traversé l’esprit en 38 ans Michel ?
Oui, forcément.
de vous oublier
En 1978 le navigateur Alain Colas disparaissait en mer. Rêve-t-on encore de Manureva au bout de 38 ans Michel ? J’en doute.
En 1978 Claude François et Jacques Brel décédaient. On chante encore
leurs chansons 38 ans après, personne ne les a oubliés. Vous, si.
L’article de La Voix du Nord nous dit que vous avez pris perpétuité pour
meurtre. Que vous avez tout pris sur vous.
Peut-être pour rien. Peut-être pas. Là n’est tellement plus la question.
On peut souligner que vous avez eu chaud parce qu’en 1978 on coupait
encore des têtes. C’est le même ministre qui abolit la peine de mort qui
eût souvent des mots forts sur le sens de la peine. Quel sens y voyezvous Michel ? Non parce que évidemment les belles âmes rappelleront
que vous avez tué. Mais quelle belle âme peut vivre pendant 38 ans dans
la vengeance ? Quelle vie vit-on pendant 38 ans dans ce ressentiment ?
Certainement pas une belle vie. Peut-être pire que la vôtre en fait Michel.
Cher Michel, la société qui vous a sanctionné a choisi aussi de vous oublier. Il
n’y a pas qu’eux et je pense aussi à vos fils, à votre avocat, aux services de réinsertion, aux directeurs qui se sont succédé à Bapaume. Ça fait beaucoup.
Post scriptum :
Alors si on (on est nombreux) peut faire quelque chose pour VOUS
Pour écrire à Michel :
SORTIR DE LÀ, dites-le nous. D’une manière ou d’une autre. Et vite
parce que le temps presse. En attendant je vais essayer de vous écrire à
Michel C. (détenu depuis 1978)
Écrou n° 6556
Bapaume, j’espère que nous serons nombreux aussi à le faire.
Centre de détention
Parce qu’on n’est pas tout à fait sérieux quand on a 27 ans...
Rue de la République
Et je vous serre dans mes bras Michel.
62 450 Bapaume
Bien à vous. “ ”
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