L`art du récit dans deux romans de Jean Giono : Regain et Le

Transcription

L`art du récit dans deux romans de Jean Giono : Regain et Le
ศิลปะการเลาเรื่องในผลงานของ ฌอง ฌิโอโน : เรอแกง และ เลอ ฮุส ซาร ซูร เลอ ตัวท
โดย
นางสาวสุพัชรี เมนะทัต
วิทยานิพนธนี้เปนสวนหนึง่ ของการศึกษาตามหลักสูตรปริญญาอักษรศาสตรมหาบัณฑิต
สาขาวิชาฝรั่งเศสศึกษา
ภาควิชาภาษาฝรั่งเศส
บัณฑิตวิทยาลัย มหาวิทยาลัยศิลปากร
ปการศึกษา 2545
ISBN 974-653-244-8
ลิขสิทธิ์ของบัณฑิตวิทยาลัย มหาวิทยาลัยศิลปากร
L’art du récit dans deux romans de Jean Giono :
Regain et Le Hussard sur le toit
Par
Supatcharee Manatat
Mémoire d’études françaises
Diplôme de Maîtrise
Département de français
Ecole des Etudes Supérieures
Université Silpakorn
2002
ISBN 974-653-244-8
K 41413011 : สาขาวิชาฝรั่งเศสศึกษา
คําสําคัญ : ฌอง ฌิโอโน / ศิลปะการเลาเรื่อง
สุพัชรี เมนะทัต : ศิลปะการเลาเรื่องในผลงานของ ฌอง ฌิโอโน : เรอแกง และ เลอ ฮุสซาร ซูร เลอ ตัวท
(L’art du récit dans deux romans de Jean Giono : Regain et le Hussard sur le toit)
อาจารยผูควบคุมวิทยานิพนธ : อ. ดร. Laurent Hennequin. 119 หนา. ISBN 974-653-244-8
จุ ด มุ ง หมายของวิ ท ยานิ พ นธ เ ล ม นี้ คื อ การศึ ก ษาศิ ล ปะการเล า เรื่ อ งในนวนิ ย ายของ ฌอง ฌิ โ อโน
เราอาจกลาวไดวาการเลาเรื่องเปนองคประกอบสําคัญที่ทําใหเรื่องราวในนวนิยายดําเนินไปได เทคนิคหรือศิลปะใน
การเลาเรื่องจึงเปนเอกลักษณเฉพาะตัวที่ชวยใหเรื่องราวนาสนใจมากขึ้น บางครั้งเรื่องราวที่นํามาผูกเปน นวนิยาย
อาจมีแกนเรื่องที่ธรรมดาสามัญ ขึ้นอยูกับวานักเขียนจะมีขีดความสามารถพอหรือไมที่จะทําใหเรื่องราวดังกลาว
มีสีสันดึงดูดใจ ฌอง ฌิโอโนเปนนักเขียนหนึ่งในไมกี่คนที่นําเสนอเรื่องราวทองถิ่นแถบแควนโปรวองซ
ลักษณะ
นวนิยายของเขาเรียบงายมีแกนเรื่องไมซับซอน หากในความเรียบงายกลับแฝงไวดวยลักษณะเฉพาะตัว อันโดดเดน
นั่นคือความสามารถในการเลาเรื่องของเขานั่นเอง
งานวิจัยฉบับนี้เลือกศึกษาเปรียบเทียบนวนิยาย 2 เรื่องที่ตีพิมพตางยุค กลาวคือ Regain และ
Le Hussard sur le toit การศึกษาแบงเปน 3 สวน ในสวนแรกกลาวถึงการวิเคราะหโครงสรางของนวนิยาย
ทั้ง 2 เรื่อง สวนที่ 2 การศึกษาตัวละคร และสวนสุดทาย วิธีการนําเสนอของผูเลา โดยมุงศึกษาความเหมือนและ
ความตางในนวนิยายทั้ง 2 เรื่อง และการใชเทคนิคที่ตางกันในการนําเสนอผลงานทั้งสองยุค เพื่อเปนขอสรุปในเรื่อง
ศิ ล ปะการเล า เรื่ อ งของนั ก เขี ย นผู นี้ การศึ ก ษาดั ง กล า วได ยึ ด หลั ก ทฤษฎี ข อง ชเวทาน โตโดร็ อ ฟ จากหนั ง สื อ
Poétique II : Qu’est-ce que le structuralisme ? และบทความเรื่อง “Les catégories du récit litteraire”
จากการศึ ก ษาพบว า ฌอง ฌิ โ อโน ยัง คงเป น นั ก เล า เรื่ อ งแบบเดิ ม ไม ว า ในยุ ค ก อ นหรื อ หลั ง สงคราม
มี เ ทคนิ ค บางอย า งเท า นั้ น ที่ พั ฒ นาขึ้ น ในยุ ค หลั ง ส ว นที่ แ ตกต า งกั น คื อ ความคิ ด และการมองโลกที่ เ ปลี่ ย นไป
อีกประการหนึ่ง ฌอง ฌิโอโน มีเอกลักษณเฉพาะตัวในการเลาเรื่อง กลาวคือเขาสามารถนํ าแกนเรื่องแบบเดิม
มาเปลี่ยนแปลงเพื่อเลาเรื่องในแบบของเขาซึ่งทําใหเรื่องราวนาสนใจมากขึ้น
ภาควิชาภาษาฝรั่งเศส
บัณฑิตวิทยาลัย มหาวิทยาลัยศิลปากร
ลายมือชื่อนักศึกษา………………………………………..
ลายมือชื่ออาจารยผูควบคุมวิทยานิพนธ………………………………………….
ง
ปการศึกษา 2545
K 41413011 : Majeur Etudes Françaises
Mots Clés : Jean Giono / narration, roman.
Supatcharee Manatat : L’art du récit dans deux romans de
Jean Giono : Regain et
Le Hussard sur le toit. Directeur du mémoire : Dr. Laurent Hennequin. 119 pp. ISBN 974-653-244-8
La technique narrative ou l’art du récit est une composante importante pour le déroulement d’un
récit. Parfois le thème est simple mais l’auteur peut faire appel à l’art du récit pour attirer l’attention de son
lecteur. Jean Giono est un des romanciers régionalistes qui crée des romans dont les thèmes sont simples.
Malgré cette simplicité, il fait preuve d’originalité par son talent pour raconter.
L’objectif de cette recherche est d’étudier l’art du récit dans les deux romans de Jean Giono.
Elle porte sur une étude comparative de deux romans de deux périodes différentes : Regain et Le Hussard
sur le toit. Cette étude est divisée en 3 parties : la structure du récit, les acteurs du récit et les modes de
présentation du narrateur. Elle est basée sur la théorie d’analyse du récit de Tzvetan Todorov définie dans :
Poétique II : Qu’est-ce que le structualisme ? et Les catégories du récit littéraire.
Le résultat de cette étude montre que l’art du récit de Giono dans les romans étudiés reste
identique malgré la différence de période (avant et après la Grande Guerre), contrairement à sa pensée et à
sa vision du monde. Cette étude montre aussi que Giono est un écrivain unique en son genre : il rend son
récit plus intéressant en créant une œuvre typique à partir de thème traditionnel.
Département de Français Ecole des Etudes Supérieures, Université Silpakorn Année Universitaire2002
Signature de l’étudiant…………………………..
Signature du directeur de mémoire……………………………
จ
Remerciements
Qu’il me soit d’exprimer ici mes remerciements les plus sincères et
ma reconnaissance la plus profonde à Dr. Laurent Hennequin, mon directeur
de mémoire, dont les conseils, la clairvoyance, la patience et les
encouragements ont permis à ce mémoire de voir le jour. Un grand merci à
Mademoiselle Areerat Pinthong pour son aide et sa sympathie. Je tiens
également à exprimer ma gratitude à tous les professeurs du Département de
français, qui m’ont nourrie de leurs connaissances.
Un grand merci aussi à mes nombreux amis, surtout à toute ma
famille qui m’ont soutenue moralement tout au long du travail.
ฉ
TABLE DES MATIERES
Chapitre
Page
Résumé en thaï……………………………………………………………...
Résumé en français…………………………………………………………
Remerciements……………………………………………………………..
Table des matières………………………………………………………….
ง
จ
ฉ
ช
Introduction………………………………………………………………... 1
Chapitre I : La structure du récit…………………………………………... 4
A. Regain…………………………………………………………… 5
a. L’analyse structurale………………………………………… 5
b. Le schéma détaillé…………………………………………… 7
c. L’ordre narratif et l’ordre événementiel…………………….. 10
d. La situation initiale et la situation finale…………………….. 17
B. Le Hussard sur le toit…………………………………………… 19
a. L’analyse structurale………………………………………… 19
b. Le schéma détaillé…………………………………………… 21
c. L’ordre narratif et l’ordre événementiel……………………... 25
d. La situation initiale et la situation finale…………………….. 30
C. L’analyse comparative…………………………………………... 32
Chapitre II : Les acteurs du récit…………………………………………... 36
A. Regain…………………………………………………………… 36
a. Les acteurs humains…………………………………………. 36
1. Le couple…………………………………………………. 36
1.1 Panturle………………………………………………. 37
1.1.1 L’avatar de Pan………………………………… 37
1.1.2 Les comparaisons végétales dans le portrait…… 37
1.1.3 L’homme sauvage et l’homme social………….. 39
ช
Chapitre
Page
1.2 Arsule………………………………………………… 43
1.2.1 Une femme humiliée…………………………... 43
1.2.2 Une femme soumise…………………………… 44
1.2.3 Une femme au foyer…………………………… 46
1.2.4 La porteuse de vie……………………………… 47
1.3 Le couple : Panturle et Arsule………………………... 48
2. Les figurants……………………………………………… 49
2.1 La Mamèche………………………………………….. 49
2.1.1 L’image d’une bête……………………………… 49
2.1.2 La sorcière………………………………………. 50
2.2 Gaubert : le don du travail……………………………. 51
2.3 Gédémus : le profiteur………………………………... 53
b. Les acteurs non-humains…………………………………….. 54
1. Le village…………………………………………………. 54
2. Les quatre éléments………………………………………. 55
2.1 Le vent………………………………………………... 56
2.2 La terre……………………………………………….. 58
2.3 L’eau…………………………………………………. 60
2.4 Le feu………………………………………………… 61
B. Le Hussard sur le toit……………………………………………. 62
a. Les acteurs humains…………………………………………. 62
1. Le couple…………………………………………………. 62
1.1 Angelo………………………………………………... 62
1.1.1 Le chevalier……………………………………. 62
1.1.1.1 Le chevalier errant……………………... 62
1.1.1.2 Le chevalier servant……………………. 65
1.1.2 Le soldat………………………………………... 65
1.1.2.1 L’honneur………………………………. 65
1.1.2.2 Le courage……………………………… 66
1.2 Pauline………………………………………………... 67
1.2.1 La femme avec des attaches……………………. 67
1.2.2 La femme courageuse………………………….. 68
ซ
Chapitre
1.2.3 Le changement dans la vie d’Angelo…………... 71
Page
1.3 Le couple : Angelo et Pauline………………………... 72
2. Les figurants……………………………………………… 72
2.1 Ceux qui agissent…………………………………….. 73
2.1.1 Le petit Français……………………………….. 73
2.1.2 La nonne……………………………………….. 74
2.1.3 Giuseppe……………………………………….. 75
2.2 Ceux qui soumettent : Les bourgeois de Manosque…. 75
b. Les acteurs non-humains…………………………………….. 76
1. Le choléra et le mal………………………………………. 76
2. L’air et la chaleur………………………………………… 77
3. Les oiseaux………………………………………………. 77
C. L’analyse comparative………………………………………….. 78
Chapitre III : Les modes de présentation du narrateur……………………. 81
A. Le regard et la perspective………………………………………
a. Le narrateur omniscient……………………………………...
1. Regain……………………………………………………..
2. Le Hussard sur le toit……………………………………...
82
82
82
86
b. Le jeu de regard……………………………………………… 89
1. Regain……………………………………………………. 89
2. Le Hussard sur le toit…………………………………….. 91
B. Les discours rapportés…………………………………………... 95
a. Regain……………………………………………………….. 95
1. Le discours direct…………………………………………. 95
1.1 Des phrases courtes mais lourde de sens…………….. 95
1.2 Les propos rapportés par les personnages……………. 96
1.3 La suggestion…………………………………………. 97
2. Le discours indirect……………………………………….. 97
3. Le discours indirect libre………………………………….. 98
ฌ
Chapitre
Page
b. Le Hussard sur le toit………………………………………... 99
1. Le discours direct………………………………………… 99
1.1 Des phrases courtes…………………………………... 99
1.2 La pensée en discours direct………………………… 100
2. Le discours indirect……………………………………….101
2.1 Résumé d’une histoire………………………………. 101
2.2 La pensée inconnue du personnage…………………. 102
3. Le discours indirect libre………………………………… 103
C. Les signes dans l’espace……………………………………….. 104
a. Regain………………………………………………………. 104
1. La maison de Panturle……………………………………104
2. La maison de la Mamèche………………………………. 105
3. La forge de Gaubert……………………………………... 106
b. Le Hussard sur le toit……………………………………….. 106
1. La ville de Manosque…………………………………….106
2. La maison du médecin philosophe……………………….107
3. Deux descriptions d’un même endroit à deux moments
différents……………………………………………….... 109
3.1 La grange……………………………………………. 109
3.2 L’auberge……………………………………………. 110
3.3 La maison des morts et celle des vivants…………… 111
D. L’analyse comparative…………………………………………. 111
Conclusion………………………………………………………………... 115
Bibliographie……………………………………………………………... 117
Curriculum vitæ…………………………………………………………... 119
ญ
1
Introduction
On voir au XXe siècle, des romanciers s’écartent totalement de la
tradition et l’émergence de nouveaux genres ou styles avec par
exemple le surréalisme, l’existentialisme ou bien le nouveau roman.
Si nous regardons les écrivains majeurs du siècle , on doit penser
d’abord à Marcel Proust et André Gide. Ceux-ci donnent de l’importance
à l’analyse psychologique. En outre, Jules Romain, Roger Martin du
Gard et Georges Duhamel jouent un rôle de témoins pour l’histoire de
leur génération. Les œuvre de Montherlant et de Saint-Exupéry
présentent un idéal de la vie héroïque, François Mauriac et Georges
Bernanos donnent de l’importance aux problèmes spirituels. Un autre
écrivain que les critiques ne peuvent pas oublier, c’est Jean Giono dont
les œuvres ont reçu un succès public.
Jean Giono est classé dans la catégorie des écrivains dits
‘regionnalistes’.1 Il commence sa carrière d’écrivain par les poèmes
Accompagnés de la flûte (1929) et publie son premier roman en 1928 :
Colline, puis en 1929 : Un de Baumugnes et en 1930 : Regain. On
distingue souvent dans l’œuvre de Giono deux époques, deux styles. Les
romans de la première manière mêlent la poésie et la prose2 et dans
ceux-ci, Giono donne de l’importance à la nature.3 En effet dans ces
récits l’homme est seulement un personnage secondaire et c’est la nature
qui constitue le héros du roman.
A ce propos, Jean-Marie le Clézio dit : “On a beaucoup parlé de la
nature chez Giono comme d’un thème. Mais c’est plus qu’un thème, c’est
toute l’œuvre de Giono qui est mélangé à la nature, qui est la nature.
<…> Pour Giono, il n’y a jamais rien d’autre que la nature, c’est-à-dire
l’univers terrestre sous sa forme illogique et puissante, sous sa forme
libre. Le monde dont nous parle Giono est un monde d’avant ou d’après
l’homme, un monde qui vient d’être créé, où n’existent que les grandes
forces de la vie.”4
Giono continue à créer des œuvres du premier style jusqu’en 1939.
Pendant la deuxième guerre mondiale, il doit confronter une période
difficile. Ses romans après cette période commencent à se modifier, que
1
Francine ANTONIETO. Le mythe de la Provence dans les premiers romans
de Jean Giono. Aix-en Provence, La Pensée Universitaire, 1961. p. 5.
2
Agnès CARBONELLE. Giono. Paris, Nathan, s d. p. 15.
3
Ibid. p. 17.
4
Cité dans : Julie SABIANI. Giono et la terre Paris, Edition Sang de la Terre,
1988. pp. 22-23.
2
ce soit dans la thématique et la technique de narration. En 1946, il
devient ce qu’on a appelé un romancier-chroniqueur.5 C’est à cette
époque qu’il crée les romans du cycle du Hussard.6
Dans les romans de la seconde manière, nous trouvons une
technique narrative plus évoluée que dans les romans d’avant la guerre.
L’œuvre de cette période est moins poétique7, la structure devient plus
complexe, les personnages sont plus proches du réel. En outre, nous
voyons une évolution de la technique narrative dont nous parlerons dans
notre travail.
En tout cas, Giono est resté un conteur célèbre tout au long de sa
carrière, comme le montrent les citations suivantes en témoignages de
deux personnes :
Marcel Arland écrit dans La Grâce d’écrire : “Giono parle :
c’est un fait. Il n’est pas l’homme du silence, il n’est pas l’homme
de réserve, de la concision née de la litote. Il parle beaucoup. Je le
trouve même un peu bavard. Mais Giono sait parler : c’est un don.
Il est un homme qui raconte ; nous entendons sa voix, nous
surprenons ses intonations ; bien plus; nous devinons ; nous
voyons sa mimique.”8
Quant à Claudine Chonez, elle dit : “Ce qui sauva Giono, ce
fut Giono. Il se souvint qu’il était né pour raconter des histoires
comme un pommier pour donner des pommes.”9
Ce que nous avons évoqué peut souligner que Giono a le don de
raconter. Il peut faire vivre et colorer les paysans ordinaires, grâce à une
technique et un talent. De plus, il est possible d’étudier le changement de
la technique entre deux périodes.
5
“Les Chroniques” : c’est un moderne inventant à son propre usage des
formes narratives les plus complexes . C’est la série des romans comme Un roi sans
divertissement, Les Ames Fortes, Moulin de Pologne, Noé et le Grand Chemin. Cité
dans http://page.infinit.net/poibru/giono
6
“Le cycle du Hussard” : ce cycle se divise en deux périodes l’un autour de
1840, l’autre autour de 1940. Nous y trouvons deux personnages de différentes
générations, qui portent le même nom, “Angelo”. Cité dans CARBONELLE op. cit.
p. 98-99.
7
Ibid. p. 26.
8
Cité dans Giono par Pierre de BOISDEFFRE, . Paris, Gallimard. p. 239.
9
Claudine CHONEZ. Giono. Paris, Gallimard, 1956.
3
Parmi les études sur la littérature française en Thaïlande, nous
trouvons un seul mémoire sur Giono. C’est Le rôle du narrateur et le
temps dans les chroniques romanesques de Jean Giono : Un roi sans
divertissement et Les Ames fortes.10 Ce travail examine les questions de
la voix du narrateur et la focalisation d’une part, et d’autre part les temps
utilisés dans chaque roman. Ce mémoire ne concerne donc que certains
aspects de la narration dans des œuvres de Giono qui datent de la seconde
période.
Dans notre étude, nous avons choisi de regarder deux romans :
Regain et Le Hussard sur le toit. Le premier est classé dans le cycle
paysan ou roman de la paysannerie.11Les romans de cette manière
ressemblent souvent à des poèmes. Giono a dit : “Les lecteurs
considèrent la plupart de mes livres écrits entre 1929 et 1939 comme des
romans mais pour moi-même je les qualifie comme des poèmes.”12 Dans
Regain, Giono nous raconte l’histoire d’un village désert où il ne reste à
un certain moment qu’un seul habitant : un chasseur, dénommé Panturle.
Après la rencontre d’une femme arrivée dans le village, ils commencent à
travailler la terre. A la fin du roman, ce couple a réussi à faire revivre ce
village. Quant au Hussard sur le toit, une œuvre écrite après la guerre,
elle présente les aventures d’Angelo Pardi, un hussard italien refugié en
France. Il doit confronter sur son chemin une épidémie de choléra et
témoigner des malheurs et des souffrances des hommes, de leur égoïsme
mais aussi rencontrer une jeune femme à laquelle il se dévoue pour la
sauver.
Ce mémoire vise ainsi à étudier l’art du récit que Giono met en
œuvre dans ses romans. Dans le cadre de deux romans qui relèvent de
deux types d’écriture différents dans l’ensemble de l’œuvre de Giono, la
question se pose de déterminer s’il y a deux techniques narratives
distinctes. L’étude de cette question peut ainsi permettre d’identifier à la
fois les ressemblances et les différences dans une partie réprésentative de
l’œuvre du conteur. En resumé, une analyse d’abord séparée puis
comparative des deux romans devrait conduire à mieux identifier
l’originalité de l’art de l’écrivain.
10
Mémoire de maîtrise de Naowarat Assavatesamongkol. Université
Chulalongkorn, Bangkok, 1999. pp. 121.
11
Jacques PUGNET. Jean Giono. Paris, Edition Universitaire, 1955. p. 12.
12
CARBONELLE. op. cit. p. 18.
4
Chapitre I
La structure du récit
Pour l’analyse des récits, Todorov propose, dans Poétique III :
Qu’est-ce que le structuralisme ?13, trois concepts : la proposition, la
séquence et le texte pour l’analyse en vue de la syntaxe narrative, c’est-àdire l’étude de la structure d’un récit.
D’après sa théorie, la proposition est l’unité minimale du récit14 et
elle comporte deux facteurs : actants et prédicats. Les actants sont ceux
qui agissent. Quant aux prédicats, ils peuvent être ‘verbaux’ ou
‘adjectivaux’ et désignant ce que les acteurs font. Pour comprendre ce
concept, Todorov nous donne quelques exemples :
“X est une jeune fille.
Y est roi.
Y est le père de X.
Z est un dragon.
Z enlève X.”15
Dans ces exemples, X Y Z sont actants, tandis que “être une jeune
fille”, “être un dragon”, “enlever” sont prédicats.
Une seule proposition ne peut pas constituer un récit, il faut qu’il
y en ait une succession pour former une autre unité supérieure, c’est la
séquence.
La séquence narrative correspond à une série de faits qui
représente une étape dans l’évolution de l’action.
La séquence est composée de plusieurs propositions entretenant
des relations d’ordres divers. Todorov propose aussi un schéma de
succession de propositions selon les types de récit.
“Si, pour plus de commodité, on admet que [la] proposition
initiale décrit un état stable, il s’ensuit que la séquence complète
est composée-toujours et seulement de cinq propositions.
Un récit idéal commence par une situation stable qu’une
force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de
déséquilibre par l’action d’une force dirigée en sens inverse,
13
Tzvetan TODOROV, Poétique III: Qu’est-ce que le structuralisme ? Paris,
Seuil, 1968.
14
Ibid. p. 79.
15
Ibid.
5
l’équilibre est rétabli : le second équilibre est bien semblable au
premier, mais les deux ne sont jamais identiques.”16
La dernière notion que Todorov présente à propos de la syntaxe
narrative, c’est le texte. Le texte est une œuvre complète que le lecteur
tient entre les mains. Un texte comporte presque toujours plus d’une
séquence.17
Regardons maintenant comment Giono construit ses romans avec
les exemples de Regain et Le Hussard sur le toit. Après avoir analysé
séparement chaque roman, nous allons comparer les structures de chacun
pour identifier les différences et les similarités.
A. Regain
Résumé
Aubignane est un village en voie de désertification, il lui reste
seulement trois habitants : Panturle, le protagoniste principal, un
célibataire d’âge avancé, Gaubert et la Mamèche. Peu après le début du
roman Gaubert et la Mamèche quittent aussi le village. Le premier veut
passer ses derniers jours chez ses enfants et la seconde part à la recherche
d’une femme pour Panturle. Arsule, une jeune femme qui erre d’un
village à un autre avec le rémouleur, Gédémus, arrive à Aubignane,
secrètement conduite par la Mamèche. Panturle et Arsule se rencontrent
lorsque celle-ci sauve Panturle de la noyade. On les retrouve vivant en
couple au village, Panturle a beaucoup changé sous l’influence de la
femme. Il a décidé de travailler la terre après l’avoir abandonnée à la
friche pendant longtemps. Malgré les difficultés, la terre porte sa
première récolte et le village revit au printemps, un couple vient s’y
installer et Arsule attend un enfant.
a. L’analyse structurale
Regain est un des romans de la première période de Giono. Son
intrique est très simple. Le thème principal des romans de cette période
est le combat de l’homme contre les forces de la nature. Si nous en
observons attentivement la structure, nous remarquons qu’elle est
originale.
16
17
Ibid. p. 82.
Ibid.
6
En appliquant la théorie de Todorov pour analyser l’ensemble de
notre texte, nous constatons que le même récit peut être envisagé selon
deux perspectives différentes : celle des personnages et celle du village.
Nous voyons ainsi que Giono donne ici, comme souvent, de l’importance
au cadre, comme s’il agissait d’un personnage à part entière. Il y a ainsi
dans le récit, un protagoniste humain, Panturle, et un protagoniste nonhumain, le village.
Tableau 1. L’analyse structurale de Regain
Panturle
Le village
Etat initial
Panturle vit dans le
village avec la
Mamèche et Gaubert.
Le
village se dépeuple.
Force
perturbante
Le départ de Gaubert et
de la Mamèche.
Les derniers
habitants
quittent le village.
Panturle est seul dans le
village et devient
sauvage.
Force sens L’intervention de la
Mamèche et
inverse
l’arrivée d’Arsule.
Déséquilibre
Equilibre
Rétabli
Un nouveau couple
s’installe dans le village
et Arsule est enceinte.
La vie sauvage.
L’arrivée d’Arsule
Début de repeuplement.
La renaissance du village.
Au regard de ce tableau, on constate que l’auteur présente
l’évolution d’un village qui se transforme d’un état dégradé en un état
renaissant grâce à l’action de son dernier habitant. Un autre remarque est
que le récit se démarque sensiblement de celui du récit traditionnel.
Comme Todorov a noté dans sa théorie, Regain même se compose de
l’état initial-force pertubante-déséquilibre-force en sens inverse et l’état
équilibré. Nous pouvons dire que la structure de Regain est symétrique.
7
C’est parce que les deux parties sont semblables. L’etat initial et la force
pertubante dans le schéma de Panturle et du village annoncent la
dégradation vers l’état de déséquilibre. Quand la force vers le sens
inverse et l’équilibre est rétabli, le destin du village et de son habitant
revient en bon ordre.
Ici, l’auteur montre le sort d’un homme lié à celui de la nature.
Tous les deux doivent lutter contre le destin et c’est l’homme qui va se
sauver lui-même et son village.
D’autre part, le récit se divise en deux grandes parties
explicitement marquées par une division entre une première et une
deuxième parties dans la disposition du livre. Dans chacune nous
retrouvons un schéma en cinq propositions en conformité avec le schéma
de la théorie de Todorov.
b. Le schéma détaillé
Tableau 2. Le schéma détaillé de Regain
Première
Séquence
Etat initial
Force
perturbante
Déséquilibre
Force sens
inverse
Equilibre
rétabli
Deuxième
Séquence
Etat initial
Avant la rencontre de Panturle et Arsule
Panturle (sauvage)
Le Village (hostile)
Panturle vit dans le village Le village est quasiment
avec Gaubert et la Mamèche.
Désert.
Le départ de Gaubert et la
Le dépeuplement.
Mamèche.
Panturle vit seul au village.
Personne ne travaille la terre.
L’arrivée d’Arsule.
L’espoir.
Arsule sauve Panturle.
La suspension.
Après la rencontre
Panturle (social)
Le village (harmonie)
Un couple stérile.
Le village dont la terre est
stérile.
La culture du premier blé.
Force
pertubante
Panturle décide de cultiver. Il
demande de l’aide aux autres.
Déséquilibre
Panturle vainc les résistances
de la terre (ré-équilibre).
La terre donne le meilleur blé de
la région.
Force sens
inverse
Equilibre
rétabli
Panturle a un foyer.
La terre devient attirante.
La nouvelle famille
Un nouveau couple s’installe au
village.
8
Avec ce schéma, nous constatons que le texte est divisé en deux
grandes séquences marquées par la rencontre de Panturle et Arsule. Dans
la première séquence, l’histoire commence par l’état instable avec le
village qui se dépeuple. Nous pouvons dire qu’il y a une force qui a
perturbé la situation avant l’état initial dans le récit, c’est - à - dire
l’histoire ne commence pas avec l’état stable comme dans le récit
traditionnel. Au début du récit, nous trouvons seulement trois
personnages qui vivent encore au village, ce qui semble annoncer sa mort
prochaine. En plus, quand les deux personnages âgés, Gaubert et la
Mamèche, quittent le village, Panturle se retrouve entièrement seul.
Jusqu’ici nous pouvons dire que ce qui perturbe l’équilibre de la
situation, c’est le dépeuplement en conséquence de l’exode rural. Nous
devons d’abord comprendre qu’ à cette époque-là (1930), les habitants
de la campagne émigraient vers la ville pour travailler dans la société
industrielle. C’est ce que le roman reflète, avec les villageois
d’Aubignane qui vont vivre ailleurs et Panturle qui reste seul au pays.
Au début, il n’est pas cultivateur, il vit comme un sauvage. Il est possible
que la résistance de la terre soit la raison pour laquelle Panturle ne
cherche pas à la cultiver. Le déséquilibre initial s’accentue encore plus
quand Panturle fait des actes de cruauté avec des animaux. Il est plus
sauvage. Mais une force dans le sens inverse intervient quand Gédémus
et Arsule arrivent dans le village. Le fait qu’Arsule sauve Panturle de la
noyade dans le ruisseau est l’état final de cette séquence. Mais l’état n’est
pas encore rétabli. Il y a une suspension. Le lecteur ne sait pas encore ce
qui se passe après le sauvetage de Panturle car la dernière scène de la
première séquence ne nous dit pas grand chose.
Dans la deuxième séquence, l’histoire commence avec Panturle et
Arsule qui vivent ensemble. L’état initial de cette séquence est à nouveau
instable : même si les deux personnages vivent ensemble, il n’y a aucun
signe d’espoir : le couple et le village restent toujours stériles même
quand Panturle commence à cultiver la terre. Elle résiste, on ne peut pas
la cultiver. En plus Panturle manque d’équipement adapté pour la faire
revivre . C’est la résistance de celle-ci, qui fait l’entrée en matière de la
seconde partie :
<<Cette saloperie de terre…dit Panturle en rentrant…pas
moyen…c’est plus dur que la pierre. On l’a trop laissée
9
d’abandon…elle est là, tout verrouillée; on ne peut pas enforcer le
couteau.18. >>
Ces quelques lignes posent rapidement la situation initiale de cette
séquence, et elles révèlent l’état encore instable qui apparaît dès le début.
La force qui permet de retrouver un ordre stable, c’est la décision de
Panturle de travailler la terre, qui constitue une force agissante. En outre
Panturle, un homme sauvage redevient un homme social. Panturle fait
tout pour que sa femme et lui puissent survivre dans ce pays cruel. Après
un dur labour dans les champs, Panturle reçoit les fruits de son action.
C’est le blé, un blé de qualité supérieure que tout le monde admire. Grâce
à la qualité de son blé, Panturle gagne une bonne somme d’argent qui lui
permet d’apporter des éléments de la civilisation dans la maison. Sa
maison devient un foyer. A la fin de l’histoire, nous voyons aussi le
changement du village. Celui-ci se repeuple avec l’arrivée d’un nouveau
couple et finalement, Arsule attend un enfant tout comme Caroline, la
chèvre, qui est pleine.
Si l’on examine le schéma de séquences dans la perspective du
village, on constate qu’il est le même sur les points importants. Dans les
deux séquences, il commence par l’état de déséquilibre. Le village reste
désert à cause de la terre hostile : plus elle est laissée à l’abandon, plus
elle perd de qualité. Même l’arrivée d’un nouvel habitant ne peut pas
changer son état malgré l’effort de Panturle. Mais finalement la terre
devient une alliée et donne du profit en récompense aux efforts de ceux
qui l’exploitent. C’est pour cette raison que le village et sa terre
retournent à l’état positif.
En plus du schéma global qui vient d’être décrit, il y a des
anecdotes qui apportent au lecteur des informations mais n’influent pas
vraiment sur le déroulement du récit. A regarder le schéma global du
récit, on constate que l’ordre du récit suit celui de la chronologie,
toutefois quand on entre dans le détail, on constate que l’ordre des
événements diffère de celui du récit.
18
p. 84.
Jean Giono. Regain. Paris, Librarie Générale Française, 1995, nouvelle ed.
10
c. L’ordre narratif et l’ordre événementiel
Une autre aspect que nous allons étudier, c’est l’organisation de
l’ordre de l’histoire et l’ordre du récit. Pour ce qui concerne l’ordre de
l’histoire nous allons voir la chronologie des événements qui se déroulent
dans le roman. Et nous allons regarder la manière dont s’organise la
chronologie des événements dans l’ordre du récit.
Tableau 319.
Chap.
L’ordre narratif et l’ordre événementiel de Regain
Indicateur de temps
ère
1
Partie
Chap.
I.
Chap.
II
Chap.
III
En hiver
A midi.
-Depuis un matin
en hiver jusqu’à
la fin de l’hiver
et les premiers
jours du
printemps
Au printemps
-Un jour
-Le lendemain
-La nuit
-Dans la matinée
Chap.
IV
Au printemps
-Presque le soir
-Le lendemain
-Le matin
-Vers midi
-La nuit
-A minuit
19
Evénements
-La conversation des
voyageurs dans la
diligence sur Aubignane
et ses trois habitants
-Retour en arrière* par
le récit d’un voyageur.
-Panturle au village
-Retour en arrière*
-Gaubert part
-Il reste Panturle et la
Mamèche au village. Ils
chassent.
-La Mamèche disparaît.
-Panturle reste seul.
-Gédémus au bureau de
tabac.
-Retour en arrière*
-Le voyage de Gédémus
et d’Arsule.
-Le repos. Ils voient un
arbre étrange.
-L’arrivée à Aubignane
-Arsule devant la
maison de Panturle
Panturle est devenu un
homme sauvage.
Lieu
Durée
Note
La route
1-2
heures
*Le passé
de la
Mamèche
Aubignane
2-3
mois
-Au bureau
de tabac
environ
*-Le
passé de
Panturle
-Le passé
de
Gaubert
*Le passé
d’Arsule
(5 ans
auparavant)
4 jours
-La route
-Un
hameau
-Aubignane
Aubignane
P
pendant
le printemps
Ce tableau est adapté selon le modèle de Le Hussard sur le toit. Profil d’une
œuvre de Maurice MAUCUER. p. 32.
11
Chap.
Indicateur de temps
-Le matin
suivant
-L’aube
2ème
Partie
Chap.
I
-Un jour en été
-Le soir
Chap.
II
-Un jour
-Dans la soirée
-“Pendant trois
jours”
-“le lendemain”
-“le jour après”
etc.
Chap.
III
-Un jour à dix
heures
-Le même jour
Chap.
Evénements
Lieu
-Il rentre de la chasse.
-Il voit Gédemus et
Arsule au village.
-Il voit Arsule nue
devant sa maison.
-Il la suit au bord du
ruisseau dans lequel il
tombe
-Arsule le sauve.
-Ils vont tous les deux
chez Panturle
-Panturle décide de
travailler et de
demander de l’aide de
son ami
-Retour en arrière*
-Il va voir l’Amoureux
pour demander des
semences et un cheval.
-Il va demander une
charrue à Gaubert
-Il rentre à la maison
Aubignane
1 jour
-Chez
l’Amoureux
-Chez
Gaubert
-Aubignane
-La
fontaine
près
-La découverte du corps
de la Mamèche sur le
chemin du retour.
-Panturle raconte à
Arsule l’histoire de la
Mamèche*
d’Aubignane
-La conversation des
voyageurs dans la
diligence sur le
changement
d’Aubignane
-La foire de Banon
-Panturle et Arsule
viennent vendre leur blé.
-Les achats après la
vente.
Evénements
Note
Un jour
et une
nuit
-Le rendez-vous avec
l’Amoureux .
- Panturle et Arsule
commencent le travail
dans les champs
Durée
-Le plateau
1 jour
-A la
maison
-Aubignane
-La route
-Temps
*Depuis que
Panturle et
Arsule
vivent
ensemble, le
comportement
de Panturle
s’est
modifié sous
l’influence
de sa
femme.
*l’histoire
de la
Mamèche
fournit
l’explication
du mystère
de l’arbre
noir
qu’Arsule a
vu sur le
plateau
quand elle
voyageait
avec
Gédémus.
suspendu
Environ
4 jours
-Banon
Lieu
Note
12
Indicateur de temps
- Le soir
-Trois jours
après la foire
Durée
-Le retour à Aubignane
-Gédémus* vient
réclamer Arsule chez
Panturle
*Il y a un
retour en
arrièrre
avec son
récit au
moment
où il est
passé par
-Aubignane
Aubignane
avec
Arsule
Chap.
IV
-En automne
-Vers onze
heures
-Trois jours
après à 4 h. du
matin
Chap.
V
“Il est revenu le
grand printemps”
-Panturle commence les
labours d’automne
-Un homme vient voir
Panturle.
-La famille de l’homme
vient s’installer dans le
village
Aubignane
4 jours
-Panturle regarde les
champs avec fierté
-La renaissance
Aubignane
1 jour
En regardant le tableau, nous voyons que la chronologie des
événements est marquée par le cycle des quatre saisons. Chaque saison
reflète la vie du protagoniste et l’état du village. L’histoire du village
commence en hiver au moment où un des trois habitants restants décide
de partir. Les deux autres qui restent deviennent de plus en plus sauvages.
A la fin de l’hiver une autre disparaît et Panturle est le dernier habitant du
village. Nous pouvons dire que l’hiver marque le début de la dégradation
du protagoniste et du village. Au printemps, il est devenu instinctif et
sauvage comme un animal. Mais le printemps est aussi le symbole de la
renaissance; le vent du printemps, en alliance avec la Mamèche, guide
Arsule au village. C’est la fin de la première partie. L’été est arrivé au
début de la deuxième partie, c’est le moment de travailler la terre.
Panturle et Arsule travaillent pendant tout l’été pour avoir une bonne
récompense à la fin de cette saison. L’automne qui vient marquer la
réussite de Panturle avec l’arrivée d’une nouvelle famille qui vient
s’installer à Aubignane. L’auteur fait l’ellipse sur ce qui se passe pendant
l’hiver. Il termine son roman au commencement du printemps suivant, au
moment où Panturle contemple ses champs avec fierté. Nous pouvons
dire que ce printemps consacre la réussite de Panturle qui peut faire
revivre le village.
On remarque aussi que le narrateur insère des retours en arrière
dans certaines parties du roman. Généralement, les retours en arrière
13
racontent le passé des personnages. Nous apprenons le passé de la
Mamèche par le récit d’un voyageur de la diligence dans le chapitre I,
nous voyons le passé de Panturle et de Gaubert dans le chapitre deux, au
chapitre trois, c’est le passé d’Arsule. Ce qui est intéressant, c’est que
l’auteur ne précise pas l’époque du passé des trois habitants du village.
Seulement à propos de Gaubert l’auteur donne une indication de temps
sur son passé en disant vaguement “Du temps où il y avait ici de la vie,
<…>”.20 Pour les deux autres, nous ne trouvons aucune mention. Pour
Arsule, son passé est précisé par “De ça il y a bien 5 ans.”21 Nous
pouvons dire que son passé est le plus proche des événements du récit.
Dans la deuxième partie, il y a d’autres retours en arrière, c’est l’histoire
qui s’est passée après qu’Arsule avait suivi Panturle chez lui. Cela est
raconté dans le chapitre I de la deuxième partie. Au début, le narateur
raconte que Panturle veut demander de l’aide à des voisins, il termine
cette partie avec les mots “mets-toi un peu une chemise propre”22. Et puis
il commence à raconter ce qui s’est passé à cette époque-là. Il mentionne
encore cela du départ de Panturle avec “Tiens, voilà ta chemise propre.”23
Nous observons que l’auteur veut relier son récit par une même phrase
identique. Après ce moment-là, nous trouvons encore un retour en arrière
presque à la fin quand Gédémus vient chez Panturle pour réclamer
Arsule. Il permet de comprendre ce qui s’est passé après le sauvetage de
Panturle.
Une autre chose à remarquer est la technique narrative consistant à
raconter deux fois, un même événement à deux moments différents du
récit selon deux points de vue différents. C’est la scène où Arsule est
devant la maison de Panturle et voit la trace de sang. Et peu après la
même scène se répète mais cette fois du point de vue de Panturle. Donc
il raconte ce qui s’est passé à Arsule au moment où il se réveille après
être tombé dans le ruisseau.
Une autre remarque est que dans le troisième chapitre, Gédémus et
Arsule voyagent, ils voient un arbre étrange sur le plateau. Nous
apprenons ce qu’est cet arbre dans le deuxième chapitre de la deuxième
partie quand Panturle découvre le cadavre de la Mamèche sur le plateau,
c’est lui qui raconte l’histoire de cette femme à Arsule.
20
GIONO. Regain p.13.
Ibid. p. 41.
22
Ibid. p. 84.
23
Ibid. p. 88.
21
14
La dernière remarque est que les événements de Regain se
déroulent pendant une année avec ses quatre saisons et nous voyons une
déséquilibre des événements dans chaque saison. Selon notre étude, nous
observons que la plupart des événements se passent au printemps et en
été. Il y a quelques parties en automme, mais en hiver il y en a très peu.
Surtout l’auteur fait l’ellipse sur ce qui se passe l’hiver suivant.
En mettant en rapport l’ordre événementiel et l’ordre narratif, nous
pouvons résumer les événements du récit avec le schéma suivant :
16
Ce schéma montre les relations des enchâsements entre les
composantes au niveau de l’ensemble du texte en détaillant
l’enchaînement des petites séquences qui constituent les deux séquences
principales. Ces deux grandes séquences sont séparées par la rencontre
des deux protagonistes, qui modifie entièrement l’orientation du récit. En
outre, nous trouvons aussi des sous-séquences qui apparaissent le long de
la trame principale du récit. Surtout la structure de la première partie est
plus complexe que celle de la deuxième. C’est parce que nous trouvons,
dans la première partie, plusieurs petites histoires qui apparaissent pour
expliquer le passé de certains personnages. Remarquons que si l’auteur
supprimait ces quelques scènes, l’histoire serait complète mais
difficilement compréhensible pour le lecteur.
Dans le schéma du tableau précédent, nous trouvons d’abord (dans
la première partie) deux récit linéaires (1, 2) qui sont parallèles. Après
(dans la deuxième partie) ces deux récits sont réunis et ne forme plus
qu’une seule ligne(3). Le premier montre essentiellement l’histoire
d’Aubignane et de ses habitants. Dans cette ligne nous pouvons diviser la
situation en deux catégories : l’histoire racontée par les passagers de la
diligence et l’histoire racontée par le point de vue du narrateur. Au debut
l’histoire est racontée dans la diligence conduite par Michel et puis nous
nous approchons de ce qui se produit dans le village sans le témoignage
des passagers de la diligence. Ce qui se passe dans la diligence ne
contribue pas à la situation du roman mais ce qui est important c’est que
l’auteur invente cette scène seulement pour présenter au lecteur le monde
du village. Et puis après, il laisse le lecteur approcher petit à petit ce qui
se passe dans ce monde fermé. Nous pouvons dire que la première ligne
du schéma raconte seulement l’histoire du village, ses habitants, surtout le
protagoniste principal.
Quant à la deuxième ligne du schéma, elle présente la vie d’un
autre protagoniste, Arsule. L’histoire de cette femme est aussi introduite
dans le roman par le récit d’un autre personnage qui témoigne de son
passé. L’auteur consacre le début de ce chapitre pour le récit du passé
d’Arsule24. Après la présentation de la vie d’Arsule, l’auteur retourne à ce
qui se passe actuellement : le voyage de Gédémus et d’Arsule d’un
village à l’autre. Mais il y a une force étrange qui les emmène à
Aubignane. Là, les vies des deux protagonistes vont converger. Panturle
voit Arsule en cachette, tandis qu’Arsule ne voit que la trace du travail de
Panturle. Plus tard, après leur rencontre face à face, les deux
protagonistes vont vivre ensemble, mais l’auteur ne le dit pas
24
Ibid. pp. 37-41.
17
directement, il reste silencieux à la fin de la première partie. Après, ils
sont ensemble tout au long de la deuxième partie pour travailler, pour
gagner leur vie et pour sauver leur village.
La troisième ligne du schéma est consacrée à l’histoire du village
qui est en train de renaître. Là, le lecteur voit petit à petit la
métamorphose à la fois du village et des personnages. Nous pouvons
classer les situations de cette partie en deux étapes dans cette
transformation : le travail et les bénéfices de ce travail. Nous constatons
que le résultat du travail est refleté par ces deux scènes : le récit dans la
diligence, et la scène de la foire de Banon. Comme dans la première
partie, la scène dans la diligence de Michel a une fonction d’informer le
lecteur sur le nouveau visage d’Aubignane. En suite, la scène de la foire
confirme ce que le lecteur a appris dans la scène de la diligence, c’est le
résultat du travail de Panturle. Disons que c’est l’aboutissement de la
tendance rétablissant l’équilibre de ce roman. Cela nous montre
immédiatement que Panturle et le village ont pu surmonter leur
déchéance.
Quand la vie des protagonistes retourne à l’ordre, une autre scène
se trouve insérée, c’est celle où Gédémus réclame Arsule. Cette partie se
termine avec le départ de Gédémus qui a obtenu une somme d’argent. Le
chapitre suivant continue avec le recommencement du travail dans les
champs et avec l’arrivée d’un nouveau couple qui va s’installer dans ce
village. En fait, ce récit aurait pu se finir par ce chapitre, mais l’auteur
ajoute un autre court chapitre pour déclarer la fertilité, la reproduction et
la vie.
c. La situation initiale et la situation finale
Tous les changements positifs se produisent après la rencontre de
Panturle et Arsule. Le village en voie de désertification redevient le
village fertile. Le chasseur qui ne travaillait pas la terre devient
agriculteur. Le village renaît la renaissance grâce à l’harmonie de
Panturle et de la terre.
Si nous observons le renversement de l’état initial et l’état final,
nous trouvons l’évolution de ces deux états. Voyons d’abord l’état initial
du roman.
“Par la fente du val on voit, au-delà, un pays tout roux
comme un renard.”
<…>
18
– Alors, l’oncle, c’est là-bas, Aubignane, là où ça a l’air tout
mort.” 25
Cette citation évoque l’image du village avant le travail de
Panturle. Les mots <<un pays tout roux comme un renard>> présentent
une image de la sécheresse et de la sauvagerie du village, c’est -à -dire
que dans ce village, il n’y a plus de culture. En plus, la deuxième phrase
<<là où ça a l’air tout mort>> nous fait comprendre que le village est
quasi - désert. Ces quelques mots reflètent aussi l’état des derniers
habitants du village. Tous les trois mènent une vie sans espoir.
En revanche, si nous comparons l’état avant et après le travail,
nous voyons une grande différence.
“Là-bas, à Aubignane où, d’habitude, c’était roux comme du
maïs, c’était vert de verdure, d’une belle verdure profonde.”26
Ces quelques lignes apparaissent dans le troisième chapitre de la
deuxième partie. C’est la scène où Michel conduit les passagers dans sa
diligence. Quand la diligence passe par Aubignane, même le cheval peut
distinguer le changement. Cette scène nous présente Aubignane après le
labour de Panturle. Le pays tout roux comme un renard, comme du maïs,
est devenu celui qui est vert de verdure.
Nous observons que pour expliquer ce changement, le choix du
vocabulaire joue un rôle très important. Pour illustrer les changements,
les images jouent un rôle important. La différente couleur <<roux comme
un renard>> et <<vert de verdure>> peut refléter immédiatement
l’évolution de l’état initial vers l’état final du récit.
Après avoir analysé la structure narrative de Regain, un des romans
d’avant guerre de Giono, nous allons regarder un roman d’après guerre,
Le Hussard sur le toit. La structure narrative est plus complexe que dans
Regain. Nous allons voir comment Giono organise la complexité dans
son roman. Sur ce point, nous verrons comment le schéma du récit ne
se conforme pas toujours à la tradition.
25
26
Ibid. pp. 9-10.
Ibid. p. 113.
19
B. Le Hussard sur le toit
Résumé
Le Hussard sur le toit a éte publié en 1951. Ce roman fait partie
du cycle du Hussard. Giono y raconte l’histoire d’un jeune hussard
italien, nommé Angélo. Celui-ci s’est réfugié en France à cause des
désordres politiques en Italie, et, de plus, il a tué un Baron en duel. Arrivé
en France à la recherche de son frère de lait, Giuseppe, il est confronté à
une épidémie de choléra dont il constate l’horreur en traversant divers
endroits et à l’occasion de nombreuses rencontres dues au hasard. Angelo
rencontre un jeune médecin français avec qui il passe du temps au
premier village où il trouve les premiers cas de choléra. Cette rencontre
est marquante dans la pensée d’Angelo et s’en souviendra tout au long de
son voyage. Il arrive à Manosque où il est accusé de chercher à
empoisonner une fontaine et il doit se réfugier sur les toits de la ville
pendant quelques jours. Dans une maison, il rencontre une jeune femme,
Pauline de Théus, qui lui offre un repas. Puis il quitte les toits et se
réfugie dans un couvent désert. Là, il trouve une vieille nonne avec qui il
fait la toilette des cadavres. Angélo part de Manosque après la disparition
de cette nonne. Il continue à rechercher Giuseppe et le trouve avec sa
femme dans un camp sur une colline d’amandiers. Giuseppe lui donne
une lettre de sa mère et lui prépare des habits et tout ce qui est nécessaire
pour un long voyage. Angelo se met en route pour l’Italie. En chemin, il
retrouve Pauline. Il lui propose de l’accompagner, chez elle, au château
de Théus. En chemin, ils rencontrent des soldats, dont certains d’entre
eux sont finalement contaminés par le choléra. Ils sont arrêtés dans une
quarantaine, mais plus tard ils peuvent s’enfuir. Un peu plus tard, Pauline
montre aussi les symptômes de la maladie et est sauvée à temps par
l’intervention d’Angelo. Le roman s’achève avec Angelo qui reprend sa
route seul vers l’Italie.
a. L’analyse structurale
Le Hussard sur le toit possède une intrigue très simple. C’est
l’histoire d’un homme errant qui entre dans un pays ravagé par le choléra
à la recherche d’un but encore inconnu du lecteur. Observons que ce
roman est influencé par le “roman de chevalerie” du Moyen Age où le
héros, noble, fait une quête réligieuse. Il est prêt à rendre service aux
faibles. Mais dans Le Hussard, ce qui est original, c’est que la quête du
héros n’a pas de sens.
20
Avec ses 14 chapitres et ses 499 pages dans notre édition27, le
roman comporte un nombre assez élévé de séquences. Contrairement à
Regain, les situations qui se produisent sont diverses. Mais tout d’abord,
il faut observer le récit dans sa globalité. Comme dans Regain, on peut
envisager le roman selon deux perspectives, celle du personnage principal
et celle d’un acteur non humain, le choléra. Regardons le tableau suivant :
Tableau 4. L’analyse structurale du Hussard sur le toit
Etat
Etat initial
Angelo
Le choléra
Angelo arrive en France Le choléra se répand
pour chercher son frère de
lait avant de retourner en
Italie
En chemin , il rencontre le
choléra.
Il rencontre Pauline.
Déséquilibre Angelo ne peut pas
accomplir son
destin(rentrer en Italie et
aimer Pauline)
Force
pertubante
L’effort d’un certain
groupe de gens qui veut
lutter contre la maladie
Aucun résultat.
Le choléra triomphe de
tout. Ceux qui sont
atteints de la maladie
meurent.
Force sens
inverse
Amour. Il triomphe du
choléra
Pauline est guérie. Elle
est la seule personne
qu’Angelo peut sauver.
Etat final
Il repart en Italie
L’épidémie continue de
ravager le pays
Dans les deux romans on peut mettre en parallèle le destin
individuel du héros principal avec une force de la nature. Dans Le
Hussard nous voyons deux perspectives : ce sont l’histoire d’Angelo et
celle du choléra. Observons que le choléra joue un rôle essentiel tout au
long de l’histoire. Nous le voyons dès l’état initial jusqu’à l’état final. Il
triomphe de tout, rien ne peut lui résister. Nous constatons que le choléra
est la toile de fond du récit. Nous voyons que la puissance de cette
maladie se renforce constamment. Le phénomène est d’abord découvert
27
Jean GIONO. Le Hussard sur le toit. Paris, Edition Gallimard, 1951.
21
dans un petit village mais peu après, on le voit répandu dans tout le pays.
Dans ce cas-là, nous ne voyons pas que l’état initial peut être réparé.
Quant au schéma dans la perspective de notre héros, Angelo, l’état
intial peut être rétabli à la fin, car il cherchait une chose mais il en a
trouvé une autre, l’amour qu’il donne à Pauline. Il doit la quitter pour
retourner en Italie. Dès le début, Angelo apprend le cas de choléra. Au
début il a peur de cette maladie mortelle, mais peu après, il s’adapte et
lutte contre cette maladie. Bien que ce soit en vain, il essaie de le faire.
Remarquons que le choléra s’attaque aux autres mais pour Angelo, il ne
l’atteint jamais. A la fin il peut le dompter avec le cas de Pauline. C’est la
force de l’amour pur qu’il a pour cette femme qui l’aide à surmonter la
crise.
b. Le schéma détaillé
Si nous analysons les séquences secondaires du Hussard, nous
devons distinguer deux grandes phases : avant et après la rencontre entre
Angelo et Pauline. Pour le schéma du Hussard il ne faut pas simplement
regarder comment le roman s’incrit dans le récit traditionnel examiné par
Todorov mais il faut voir aussi comment Giono construit de manière
originale sur le récit traditionnel. Nous identifions cinq étapes dans
chaque séquence. Toutes les séquences commencent de la manière
suivante : l’arrivée (état initial)- la rencontre- action- le résultat-le départ
(état final) qui ferme la scène. Cela fonctionne ainsi tout au long du récit.
Regardons le tableau suivant :
22
Tableau 5. Le schéma détaillé du Hussard sur le toit
Séquence
Séquence
Etat initial La rencontre
Principale
Secondaire L’arrivée
1. Le petit
Angelo se
-La
1.Avant
Français
réfugie
en
découverte
(Angelo et
France.
du choléra.
la foule)
2. La
préceptrice
Angelo est
sur la route.
3. La foule
de Manosque
L’arrivée à
Manosque
4. La nonne
Angelo entre
dans un
couvent.
Angelo arrive
à un camp.
5. Giuseppe
2. Après
(Angelo et
Pauline)
-La rencontre
avec le petit
Français.
Il rencontre
la
préceptrice.
Accusé
d’empoisonner
la fontaine
Il rencontre
la nonne.
Il retrouve
Giuseppe.
L’action
Le résultat
Etat final
Le départ
Il soigne les
malades.
Les malades
meurent.
-La mort du
médecin
-Angelo
repart.
Il l’aide.
Elle meurt.
Il continue
son chemin.
Il se réfugie
sur les toits.
Il rencontre
Pauline.
Il quitte les
toits
Il lave les
morts avec
elle.
Il organise
son retour en
Italie.
Elle part.
Il repart.
Il prend
rendez-vous
avec
Giuseppe.
Angelo
retourne en
Italie.
Pauline tire
sur l’un
d’eux.
Angelo
décide d’accompagner
Pauline.
Ils
apprennent
l’histoire du
choléra.
Ils voyagent
ensemble.
Ils
s’enfuient.
A nouveau
sur la route
La négociation
Le voyage
1. La route
Angelo arrive
à la grande
route.
Il retrouve
Pauline. Ils
affrontent les
soldats.
Le combat
2. La maison
d’un paysan
L’arrivée à
une maison
Ils
rencontrent
un paysan
qui les
reçoit chez
lui.
Ils prennent
un repas.
3. Le
couvent
La route
Ils
rencontrent
des soldats.
Ils sont
arrêtés et
enfermés en
quarantaine.
4. Un
hameau
étrange
L’arrivée à
un hameau
Le combat
5. En chemin
Ils sont sur la
route.
6. La maison
d’un médecin
philosophe
L’arrivée
dans un
hameau
Ils
rencontrent
des paysans
armés.
La rencontre
avec un
musicien
La rencontre
d’un ancien
médecin
7. Une
maison
déserte
8. Le
château de
Théus
L’arrivée à
une maison
L’arrivée à
Théus
Pauline a une
attaque de
choléra.
Angelo
rencontre la
sœur de M.
de Théus.
et l’achat
d’un mulet.
Ils partent.
Ils parlent du
choléra.
Le musicien
les quitte.
Le voyage
Ils parlent du
choléra.
Le médecin
leur donne un
repas.
Angelo la
soigne
Le médecin
leur indique
le chemin
Angelo et
Pauline se
dirigent vers
la montagne.
Il la sauve.
Le départ à
Théus
La
conversation
Angelo voit
Pauline tous
les soirs
Angelo
reprend le
chemin pour
l'Italie
23
Nous voyons que dans la première partie, cinq séquences
secondaires constituent une grande séquence principale. Chaque petite
séquence est marquée par un personnage. Comme nous l’avons évoqué, le
romancier nous présente l’histoire d’Angelo et des inconnus, donc nous
trouvons toujours dans chaque séquence, une intervention d’Angelo dans
la vie des autres. Dans la première séquence, c’est la déclaration du
choléra. Le petit Français entre en scène pour informer le héros sur
l’épidémie que celui-ci vient de constater. C’est cette scène qui marque
pour Angelo le commencement du choléra avec le petit Français qui
apprend à Angelo comment lutter contre cette maladie. Mais leurs efforts
sont toujours vains. Nous voyons dans les autres séquences qui suivent
que les personnages ne peuvent pas surmonter le destin. Le petit Français
lui-même meurt à cause du choléra.
Dans la deuxième séquence, Angelo rencontre une préceptrice par
hasard en chemin et lui propose de l’aider. Arrivant à une quarantaine,
Angelo se rend compte que s’il y reste, la mort l’attend. Il propose à la
femme de s’enfuir. Elle refuse et demande à y rester. Observons que dans
cette scène, c’est Angelo qui quitte la femme. Quand il a un moyen pour
l’aider, il retourne à la quarantaine. Mais malheureusement, il ne trouve
que des cadavres, la femme avec les enfants qu’elle avait en charge, sont
morts aussi. Donc, il continue son chemin. Comme dans la séquence
précédente, elle se termine par une séparation et un départ.
Nous pouvons dire que la séquence décisive est celle de la foule à
Manosque parce qu’elle conduit à la situation qui a donné son titre au
roman. A ce moment le héros doit se réfugier sur les toits pour se cacher
de la foule. Le résultat de cette action est la première rencontre entre
Angelo et Pauline. Mais comme ils sont des étrangers l’un envers l’autre,
ils se séparent après. Sur les toits, Angelo devient impuissant parce qu’il
y reste sans pouvoir. Ce qu’il peut faire c’est regarder Manosque et ses
habitants qui sont en train d’être décimés par le choléra. Plus tard, Angelo
quitte les toits. La situation en bas empire, le nombre de morts augmente.
Peu après, Angelo a une autre tâche, assignée par hasard. La séquence de
la nonne se produit après la descente du toit. Angelo rencontre la nonne
en entrant dans un couvent. Il travaille avec elle pour laver les morts.
Dans cette séquence, Angelo redevient actif, il affrontre le choléra. Après
le travail avec la nonne, cette fois c’est elle qui le quitte, Angelo se trouve
seul. Donc il continue son chemin.
La première séquence principale se termine avec la séquence de
Giussepe. Cette scène nous apporte quelques réponses à propos du
personnage énigmatique qu’était Angelo jusque là. Ici, nous apprenons
son passé, la raison de son errance en France, etc. Il semble que l’histoire
24
pourrait se terminer ici quand Angelo se prépare à retourner en Italie, sa
patrie. Mais la seconde rencontre avec Pauline bouleverse complètement
son projet. Maintenant la deuxième séquence va être consacrée à
l’histoire d’Angelo et de Pauline.
Avant de parler de la deuxième séquence, nous voulons faire
quelques remarques sur le premier. Nous observons que dans tout le long
de l’histoire, Angelo est le fil conducteur qui lie les événements dans le
récit. Il nous guide dans la rencontre avec plusieurs personnages. Le
choléra aussi apparaît dans toutes les scènes. Dans la deuxième séquence
principale, le narrateur nous guide à suivre le pas d’Angelo et de Pauline
dans des endroits différents où il y a différents personnages, certains
hostiles, d’autres accueillants.
La deuxième séquence principale se compose de huit séquences
secondaires. Toutes reflètent les aventures des personnages principaux.
Ces huit séquences secondaires orientent à l’errant d’un endroit vers un
autre. Mais cette fois nous constatons que le voyage a une destination
précise.
Observons que la plupart des séquences commencent par l’arrivée
des personnages à un endroit, presque toujours l’arrivée dans un village
ou un hameau, où ils rencontrent des gens. Nous pouvons diviser ces gens
en deux catégories : ceux qui sont hostiles, par peur d’être contaminés et
ceux qui sont accueillants. Dans le cas d’hostilité, l’action dans la
séquence est le combat. Tandis que dans le cas de ceux qui sont
accueillants, Angelo et Pauline sont reçus dans leur maison et on leur
offre un bon repas. Ils apprennent aussi diverses informations sur le
phénomène du choléra. Regardons les séquences 2, 5 et 6 qui illustrent le
cas d’alliance.
Quant aux séquences 1, 3, 4, ce sont des scènes où les deux
protagonistes rencontrent de l’hostilité. Chaque séquence commence par
l’arrivée des protagonistes dans un endroit dont le propriétaire n’est pas
accueillant. L’action de telle séquence est le combat ou l’arrestation. Le
résultat de cette action se dirige dans une bonne voie, c’est-à-dire les
protagonistes peuvent se sauver de cette situation difficile. Et ils
continuent la route comme dans toutes les séquences.
Les séquences 7 et 8 nous mènent à la dernière scène du récit.
Dans la séquence 7, le choléra affecte directement Angelo, car c’est le
tour de Pauline d’avoir une attaque de cette maladie. Angélo la soigne
comme il a fait avant, mais cette fois, c’est un cas exceptionnel : il réussit
à vaincre la maladie. Il peut sauver la vie de Pauline. Cette séquence
s’achève comme les autres avec le départ, tout près de leur destination. La
dernière séquence est brève mais elle joue un rôle important.
25
Elle montre la fin de la mission inattendue d’Angelo. Quand il parvient à
arriver chez Pauline, il peut continuer vers sa vraie destination, l’Italie. A
la fin de la séquence, Angelo part de la maison de Théus pour retourner
dans sa patrie. Maintenaint, il est seul comme au début et avec un but
précis.
c. L’ordre narratif et l’ordre événementiel
Comme dans Regain, cette partie de notre étude est consacrée à
l’analyse de l’organisation de la chronologie des événements dans le
roman et la chronologie dans l’ordre du récit.
Dans Le Hussard, les événements sont plus complexes et plus
nombreux que ceux de Regain donc ici, nous faisons seulement le résumé
des faits importants.
Tableau 6. L’ordre narratif et l’ordre événementiel du Hussard sur le toit
Chap.
Indicateur de temps
I
Au mois de
juillet (l’été : la
chaleur)
II
-Le premier jour
-A midi
-La nuit
-Le lendemain
matin
-Le soir
-La nuit
III
-Le matin
-La nuit
IV
-Le lever du jour
-Dans la matinée
-Le soir
-La nuit
Événements
-Angelo voyage dans le
Sud de la France.
-La situation du choléra
dans les régions
voisines.
-Angelo passe la nuit
dans un hôtel.
-L’arrivée à Omerques,
la découverte de cas de
choléra.
-La rencontre avec le
petit Français.
-Le petit Français soigne
un enfant qui meurt plus
tard.
-Le petit Français tombe
malade.
-Angelo le soigne, mais
il ne peut pas le sauver.
-Angelo passe la nuit à
côté de deux cadavres.
-Le combat avec un
capitaine.
- On brûle les morts à la
quarantaine.
-La rencontre avec la
préceptrice.
-L’achat de nourriture
dans une ferme.
-L’arrivée à la grange
-Angelo s’enfuit, la
préceptrice refuse de
partir avec lui.
Lieu
Durée
Note
-La route
d’Aix à
Banon
1
jour
Pauline,
d’après son
récit, a
quitté la
Valette en
juillet
(p. 425)
-Omergues
2
jours
La route
vers
Sisteron
1 jour
De
Sisteron à
Peyruis
1 jour
26
Chap.
V
VI
Indicateur de temps
-La nuit
-Le jour allait se
lever.
-La tombée de la
nuit
-La nuit
-Premier jour : le
matin
-La nuit
-Le deuxième
jour
-Le soir tombé
-La nuit
VII
-“Le soleil
levant…”
-Quelques jours
après
-Un matin
-“Quand la brûlure
du soleil blanc posé
sur son visage, le
réveilla, il etait tard”
VIII
-Du matin au
soir
-la nuit
IX
-“Angelo tira ses
bottes et surtout
ses culottes qu’il
gardait depuis
plus d’un mois”
* p. 252
Septembre
(automne)
-Quelques jours
après
Lieu
Peyruis à
Manosque
Durée
Manosque
3
jours
Manosque
plusieurs
jours
<sans
précision>
-La recherche de
Giuseppe
-Un garçon le guide à la
colline des amandiers
oùse trouve le camp de
Giuseppe.
Les
collines de
Manosque
1 jour
-Giuseppe donne la
lettre de la mère
d’Angelo datée juin (“G.
l’a gardée depuis deux
mois”)
-la préparation du
voyage
Colline des
amandiers
Evénements
-L’arrivée dans une
auberge. L’achat d’une
voiturette.
-Le retour à la grange où
tout le monde est mort.
-Le retour à l’auberge,
pleine de morts
-L’arrivée à Manosque
-Angelo est arrêté,
accusé d’avoir
empoisonné la fontaine.
-Il se réfugie sur les toits
-Réveillé avec le besoin
de vomir
-Chercher à manger
-Regarder la ville
-Les rêves
-Regarder la foule dans
la rue
-Les cris
-Il erre d’un toit à un
autre
-La rencontre avec
Pauline
-La descente du toit
-La rencontre de la
nonne
-A. travaille avec elle
-Le retour au couvent
avec la nonne
-Il dort fatigué après
avoir travaillé
-La nonne le quitte
Note
1 nuit
et
1 jour
Un mois=
le mois
d’août
27
Chap.
Indicateur de temps
-Il pleut pendant
plusieurs jours
-Pendant
plusieurs jours
X
-Derniers jours
de septembre
-Le matin
-La nuit
XI
-Le matin
-La nuit était
tombée
-Le matin
-“Le soleil avait
déjà incliné sa
lumière”
-“Le crépuscule
d’automne”
-Le matin
XII
-Le matin
-“On était en
plein dans ces
chaleurs qui
s’attardent en
automne”.
-L’après-midi
-“Le soir
tombait”
-Le matin
XIII
-Le matin
XIV
-Le matin
-A midi
-De midi jusqu’à
la nuit
-Le matin
(Temps indéfini)
Evénements
-Inondation/ Des
malades sont morts
-Il y a de plus en plus de
morts
-Angelo soigne les
malades
-Angelo part pour
l’Italie.
-Il rencontre Pauline
-Le combat avec les
soldats
-Angelo et Pauline
passent la nuit dans la
forêt
-Pauline est attaquée par
un corbeau.
-L’arrivée à une auberge
de Monjay
-Le départ
-L’arrivée à la maison
de tueur de porcs
-Ils campent.
Lieu
Durée
La route de
Manosque
à Monjay
2
jours
Monjay à
Vaumeilh
2
jours
-Ils sont arrêtés par des
soldats.
-En quarantaine dans un
couvent Angelo décide
de s’enfuir
-Ils se sauvent
-Augmentation du
nombre des morts
-Petit déjeuner
-L’achat d’un mulet
dans un village
étrange
-Le voyage dans les
montagnes
-Rencontre d’un
musicien
-Il pleut. Ils se réfugient
dans une maison
déserte.
-Le départ de la maison
-Il pleut
-Rencontre avec un
médecin philosophe
-Le médecin indique le
chemin
-Pauline est malade
-Angelo la soigne
-Pauline se réveille
-Retour à Théus
-Pauline à Théus
Près de
Vaumeilh
4
jours
Près de
Gap
1 jour
-Près de
Gap
-Le village
de Théus
6-7
jours
Note
28
Le tableau montre que l’auteur présente quasiment la vie d’Angelo
au jour le jour. En réalité, le temps dans Le Hussard est souvent
suspendu, il y a des ellipses dans plusieurs parties. Si les événements
commencent en juillet (la date est marquée à la page 425, d’après le récit
de Pauline disant qu’elle a quitté la Valette au moment où Angelo errait
au sud de la France), les chapitres I à VIII doivent se dérouler aux mois
de juillet à août, parce que le chapitre IX se situe en septembre. L’auteur
précise le mois par la lettre de la duchesse qui est datée de juin et que
Giuseppe à gardée pendant deux mois. Mais dès le chapitre X jusqu’à la
fin, l’histoire se déroule en automne (fin septembre-début octobre). Nous
pouvons dire que dans Le Hussard, la chronologie n’est pas importante,
ce qui importe plus c’est le récit qui est situé en été et en automne.
Dans Le Hussard, nous ne trouvons pas toutes les saisons comme
dans Regain. L’auteur ne donne pas de l’importance au cycle des saisons.
Mais les deux saisons : l’été et l’automne, présentées dans ce roman
marquent aussi une idée importante. Le début de récit est en juillet, c’est
l’été où le choléra commence à se répandre. Les événements se
déroulent jusqu’en automne au moment où le choléra triomphe dans toute
la région. C’est parce que le choléra peut se diffuser par l’eau et l’air.
Au sujet des indicateurs de temps, comme dans Regain, l’auteur
apporte des précisions, par quelques mots sur le soleil, la lune, les étoiles.
C’est très clair dans le premier chapitre où l’histoire se déroule du matin
au soir. Mais, dans les autres chapitres, le temps devient incertain. Nous
voyons seulement le héros qui se réveille au matin et ce qu’il fait dans la
journée jusqu’au soir. Mais l’auteur ne précise pas le nombre de jours
écoulés.
Nous observons que l’ordre du Hussard possède peu de retours en
arrière. C’est parce que dans le pays qui est dévasté par la maladie
contagieuse, des personnages restent sans passé, vivant dans le présent.
Le Hussard se déroule pendant 6 mois. C’est seulement une tranche de la
vie d’Angelo, mais c’est un fait important dans sa vie.
Remarquons que les événements se produisent en un jour ou
plusieurs dans un lieu et une rencontre quand Angelo voyage seul. Mais
après Manosque, les actions sont suspendus, cela peut affecter l’ordre
événementiel. C’est la cause de la suspension des actions.
Maintenant regardons le schéma qui représente l’ensemble du
texte.
30
Dans le schéma, nous voyons la répartition matérielle du récit.
Obsevons que le schéma se développe sur une seule ligne. Il n’y a que le
premier chapitre qui ne soit pas linéaire car il regarde simultanément la
route d’Angelo et la progression du choléra. De cette manière, nous
voyons Pauline qui apparaît déjà très rapidement la première fois parmi
les personnes affectées par le choléra. Puis après, dès le deuxième
chapitre, l’histoire est racontée sur la même ligne, une question se pose :
Pourquoi l’ordre du récit se présente ainsi ? La réponse est que ce roman
représente une tranche de vie d’un personnage. Donc, il y a une série
d’événements qui apparaissent les uns après les autres et sont racontés de
cette manière.
Une autre remarque est que l’histoire est divisée en deux séquence
principales, avant et après la rencontre. Comme nous l’avons évoqué dans
la partie précédente, cette rencontre change le déroulement du récit. Mais
elle peut changer seulement la destination des personnages, elle ne
change pas l’ordre de la nature. Cela veut dire que le choléra reste encore
dans le pays. Ce n’est pas comme dans Regain où la rencontre affecte
aussi bien la vie des personnages que celle du village.
d. La situation initiale et la situation finale
Comme nous l’avons vu dans l’analyse structurale, le schéma
global du Hussard sur le toit est divisé en deux parties, avec l’événement
de la nouvelle rencontre avec Pauline qui sert de point de départ à la
deuxième partie. De ce point de vue, nous trouvons que la situation
change complètement sur le plan des personnages humains. La
présentation du roman commence par des descriptions, surtout des
paysages, avec des images de la forêt et des montagnes. Arrive un homme
solitaire qui erre sur le cheval, dans le chemin de la montagne. Peu après,
le romancier insère des informations sur des faits étranges qui se
produisent dans les régions voisines. Les informations données par
l’auteur ressemblent à des pièces d’un puzzle que le lecteur doit
reconstituer pour comprendre ce qui se passe au commencement. Ici,
l’auteur ne nous informe pas directement, il nous met dans le doute. Le
personnage principal ignore ce qui se passe aussi. Il continue toujours sa
route en observant les faits inexpliqués qui se passent dans ce pays.
31
Le premier chapitre nous rélève la situation initiale du récit,
Regardons l’évolution du récit avec le passage suivant :
“La lumière écrasée en fine poussière irritante frottait son
papier de verre sur Angelo et le cheval somnolents ; sur les petits
arbres qu’elle faisait disparaître peu à peu dans l’air usé dans la
trame grossière tremblait,<….>, à des grands pans de craie où il
était impossible de reconnaître quoi que ce soit d’habituel.
<…>
Il (Angelo) traversa la ruelle et vint demander de l’eau.
C’était une femme, un peu hébétée et suante, et qui respirait qu’à
grand efforts. Elle dit qu’il n’y a plus d’eau ; les pigeons avaient
souillé les citernes ; à peine si on pouvait essayer de faire boire le
cheval.<…>
La femme avait des melons. Angelo en mangea trois. Il
donna les écorces au cheval. Elle avait aussi des tomates ; mais elle
dit que ces légumes donnent la fièvre ; qu’on ne peut manger que
cuits. Angelo mordit si violemment dans une tomate crue que le jus
gicla sur sa belle redingote. Il ne s’en soucia guère. <…> La
femme dit que c’était avec des bravades de ce genre que son mari
s’était rendu malade et qu’il battait la fièvre depuis hier. <…>
Après s’être reposé presque une heure dans cette pièce où,
finalement, on avait fait entrer aussi le cheval, Angelo se remit en
route. La lumière et la chaleur étaient toujours là, à la porte. On ne
pouvait pas imaginer qu’il y aurait un soir.”28
On voit ainsi que dans la situation initiale l’auteur nous présente le
héros innocent sur la route qui rencontre différentes personnes en chemin.
L’auteur présente également la nature inquiétante qui annonce des faits
étranges. Il insère parfois des remarques inquiétantes qui ne contribuent
pas à la caractérisation d’Angelo. Il décrit la maladie sans en donner le
nom. Tout cela est introduit dans le roman comme une asmosphère. Le
lecteur ne comprend pas la situation dès les premières pages.
Dans le passage ci-dessus, nous voyons le paysage et les actions
d’Angelo. Lui, il ne comprend pas ce qui se passe dans cette région. Il y a
seulement de la chaleur partout. Il a soif donc il demande de l’eau à la
femme dont le mari est malade. Ici, on accuse les légumes d’être la cause
de la maladie. On ne sait pas encore que c’est le commencement du
28
GIONO. Le Hussard sur le toit, pp. 23-31.
32
choléra. En été, “la lumière écrasée” peut transporter la maladie par l’eau
et l’air.
Comparons le passage précédent avec la situation finale
ci-dessous :
“Le matin du départ, Angelo rendit tout de suite la main au
cheval qu’il avait lui-même, chaque jour, nourri d’avoine. Il
pouvait être fier de cette allure. Il voyait venir vers lui au galop les
montagnes roses, si proches qu’il distinguait sur leurs flancs bas la
montée des mélèzes et des sapins.
<<L’Italie est là derrière>>, se disait-il.
Il était au comble du bonheur.”29
Si nous comparons le passage précédent avec ce passage, nous
voyons quel asmosphère est totalement différente. Dans la situation
finale, le paysage est admirable. Pour Angelo aussi, au moment du départ
il est heureux. L’état d’âme du personnage a changé. Le cavalier errant
solitaire s’est transformé en un homme que l’amour a rendu heureux. La
seule chose qui ne change pas, c’est le choléra qui continue à se répandre
dans le pays. Personne ne peut l’arrêter.
C. L’analyse comparative
Bien que les deux romans étudiés soient différents pour ce qui
concerne le nombre de pages, nous trouvons certaines similarités dans
leur construction. Ces deux romans possèdent le même thème, celui de
l’homme qui lutte contre les forces de la nature. Dans Regain, Panturle
lutte contre la défertification de son village pour le faire renaître. Il y a
ainsi deux éléments : Panturle et le village, qui doivent subir un processus
de transformation. Dans Le Hussard sur le toit, Angelo lutte contre le
choléra, et il y a deux acteurs qui déterminent le cours du récit, Angelo
et le choléra. Ainsi, nous observons que chaque roman étudié montre
l’histoire de deux acteurs qui se déroule en parallèle. Le schéma de
Regain suit de plus près la tradition que celui du Hussard parce que nous
pouvons classer la structure en cinq étapes, en d’accord avec le schéma
traditionnel défini par Todorov, que le protagoniste soit humain ou nonhumain. Quant à la structure du Hussard, les cinq propositions ne se
retrouvent guère que lorsque l’on regarde le protagoniste humain.
29
Ibid. p.499.
33
Nous voyons aussi que ces deux romans commencent par un état
initial instable : dans Regain, le village se dépeuple à cause de la
stérilité de la terre, tandis que dans Le Hussard, le récit commence avec le
choléra qui se répand. Peu après, nous voyons une force qui vient
perturber l’état initial du récit. Dans Regain, la force pertubante est le
départ des deux autres habitants, ce qui renforce l’état instable. Le
déséquilibre qui suit est que le village devient complètement désert avec
son dernier habitant qui tombe en état de déchéance.
Quant au Hussard, la force pertubante, sur cet état initial déjà
pertubé, c’est l’effort d’Angelo qui, avec d’autres, veut lutter contre le
choléra. Si on regarde le schéma du roman sous l’angle du choléra, il n’y
a aucun résultat pour l’état de déséquilibre, le choléra reste toujours dans
la région et Angelo ne peut atteindre son but. Nous pouvons dire que sur
ce point le schéma des deux romans montre l’échec des protagonistes.
Aussi, nous trouvons un point commun de ces deux romans, la force en
sens inverse, qui est la rencontre entre un homme avec une femme qui
finit par bouleverser le déroulement du récit.
Dans Regain, la force en sens inverse est la rencontre de Panturle
avec Arsule qui permet le changement ; Arsule a de l’influence sur le
changement du comportement de Panturle ; le travail peut faire renaître le
village. Tandis que la rencontre d’Angelo avec Pauline, quant à elle,
modifie le projet du premier de retourner en Italie et en consequence le
cours du récit.
Nous observons que l’état final de ces deux romans est différent.
Regain se termine par l’équilibre rétabli à la fin : le village revit, Panturle
a une famille. Nous voyons l’ordre du monde qui est rétabli. Mais dans
Le Hussard, l’état final est encore instable parce que le choléra continue
de ravager la région. Nous trouvons seulement pour ce qui concerne
Angelo que l’état final peut être résolu quand Angelo part pour l’Italie.
Une autre remarque est que la structure est divisée en deux parties
s’articulant autour de la rencontre entre les deux protagonistes humains
dans chaque roman. Sur ce point nous trouvons que la structure détaillée
de Regain est simple, deux séquences principales marquées par la
rencontre. La première séquence montre l’évolution du triomphe de la
nature sauvage conduisant à la solitude de Panturle, mais annonce la
future renaissance du village. La deuxième séquence présente les
efforts pour triompher de la résistance de la terre. Nous pouvons dire que
la structure de Regain est symétrique parce qu’il y a une division en deux
parties égales aussi bien dans la structure que dans la proportion
matérielle.
34
Bien que la structure du Hussard soit divisée en deux séquences
principales séparées par l’épisode de la rencontre comme dans Regain,
nous voyons que la structure du Hussard est plus complexe que celle de
Regain. Nous trouvons plusieurs petites séquences sécondaires qui
apparaissent dans chaque séquence principale. Remarquons que chaque
séquence sécondaire se déroule sur le même modèle : l’arrivée, la
rencontre, l’action, le résultat de l’action et le départ. La première
séquence principale montre l’histoire d’Angelo parmi des inconnus.
Donc, nous trouvons que chaque petite séquence raconte l’aventure,
l’expérience et la rencontre d’Angelo avec différents personnages en
route. La deuxième séquence est consacrée à l’histoire d’Angelo avec
Pauline. Remarquons que tout au long du Hussard, Angelo lutte contre le
choléra mais toujours en vain, jusqu’au moment où Pauline attrape à son
tour le choléra, et cette fois-ci Angelo réussit à sauver quelqu’un. La
guérison de Pauline ne peut pas mettre un frein aux ravages du choléra,
elle permet à Angelo de réussir pour une première fois dans sa lutte
contre l’épidemie.
Ce qu’on va observer maintenant, c’est l’ordre événementiel et
l’ordre narratif de ces deux romans. Nous trouvons que l’histoire du
Hussard est comme un journal qui consigne les événements precisés par
une chronologie du temps. Le Hussard est présenté comme l’aventure
marquante d’une vie, mais ne couvre qu’une période assez courte dans la
vie d’Angelo. Bien qu’il y ait une chronologie, la cohérence n’est pas
toujours respectée. Nous trouvons rarement de retour en arrière, sauf dans
la pensée ou dans la conversation. Mais dans la narration il n’y en a pas.
Le fait est ainsi parce que c’est l’histoire de la lutte pour se sauver dans le
pays ravagé de l’épidémie. Donc tous les incidents se produisent dans le
présent. Les personnages ne vivent que dans le présent, dans la narration
comme dans la vie qu’ils sont à survivre. Donc le temps dans
Le Hussard semble assez réaliste, mais en réalité, il ne l’est guère, car la
notion de temps semble effacée. Tandis que dans Regain, il y a plusieurs
fois des retours en arrière. Dans Regain, le temps est suspendu mais dans
Le Hussard, ce sont les actions qui effectuent le temps.
Observons que ces deux romans sont dominés par le cycle
saisonnier. Dans Regain, nous trouvons les quatre saisons, l’hiver, le
printemps, l’été, l’automne, et finit avec le printemps suivant marquant la
renaissance. Dans le Hussard, nous trouvons seulement deux saisons :
l’été et l’automne. Dans Regain les quatre saisons sont symboliques.
Giono donne de l’importance au printemps, la saison de la renaissance, la
35
reproduction. Cette saison correspond au titre “Regain” qui signifie
l’herbe qui repousse dans une prairie après la première coupe30.
Dans le Hussard, l’histoire se déroule en été et en automne. Les
deux saisons n’ont pas de sens symbolique comme dans Regain. Ces deux
saisons sont réalistes parce que l’été est l’annonciation du choléra qui
continue à ravager jusqu’en automne.
Parlons maintenant du dernier point de notre étude, c’est le rapport
entre la situation initiale et la situation finale. La ressemblance entre les
deux est que la situation initiale dans chaque roman commence par l’état
instable. Dans la situation finale, Regain se termine par l’équilibre
rétabli, tandis que la situation finale du Hussard reste en suspens. Ici nous
ne trouvons pas une fin qui indique que “tout le monde est heureux.”
Dans Le Hussard, Giono laisse le dénouement au-delà de l’histoire. Il ne
se prononce pas sur l’avenir de la relation entre Angelo et Pauline. Quant
au choléra, il le laisse continuer sa puissance.
Un autre point remarquable sur la question du rapport de la
situation initiale avec la situation finale concerne la mode de présentation
que Giono utilise pour ouvrir ses deux récits. Nous constatons que le
narrateur ne raconte pas l’histoire directement dans Regain. Il préfère
laisser les faits en suspens. Comme dans la situation de Regain, il
présente l’histoire d’Aubignane et ses trois habitants par le récit d’un
personnage qui n’est pas important pour le déroulement. Mais peu après
le narrateur précise que ce qu’il va raconter est l’histoire racontée dans la
diligence. Sur ce point le lecteur peut comprendre immédiatement
pourquoi on parle d’Aubignane dans la diligence, la réponse est que
l’histoire d’Aubignane et ses habitants sont ce que Giono veut vraiment
raconter. A partir de ce moment-là, les personnages dans la diligence
disparaissent. L’histoire d’Aubignane est déployée peu à peu directement.
A la fin le lecteur trouve le changement.
Dans Le Hussard aussi, Giono ne dit pas directement ce qu’il va
raconter. Il introduit l’histoire par de petits détails qui ne semblent pas
contribuer au déroulement. Mais peu après nous trouvons que ces
détails nous montrent l’atmosphère et ensuite, le conteur se concentre sur
la vie d’Angelo et la situation du choléra. Remarquons la même image de
la situation initiale et la situation finale, c’est l’image d’ Angelo qui erre
sur la route. Mais ce qui est changé est à l’intérieur, ce n’est pas
l’apparence comme dans Regain.
30
Dictionnaire, Le Robert micro
36
Chapitre 2
Les acteurs du récit
Quand nous parlons des acteurs, nous pensons toujours aux
personnages humains du récit. Mais en réalité, ce ne sont pas seulement
les êtres humains qui peuvent jouer un rôle dans le récit, les non-humains
peuvent en jouer un aussi. Si l’on regarde dans Les Fables de la Fontaine,
nous voyons que les personnages principaux des fables sont des animaux.
En outre, nous trouvons d’autres choses qui peuvent être utilisés comme
des personnages du récit.
“Les participants de l’action sont ordinairement les
personnages du récit. Il s’agit très souvent d’humains, mais une
chose, un animal ou un entité (la Justice, la Mort, etc.) peuvent être
personnifiés et considérés alors comme des personnages.”31
Si nous considérons les romans de Giono, il y a deux catégories
d’acteurs 32, ce sont les acteurs humains et les acteurs non-humains.
Nous en avons déjà parlé dans la partie de la structure, surtout dans la
structure globale : l’homme et la nature dans Regain, c’est Panturle et le
village ; dans Le Hussard sur le toit, c’est Angelo et le Mal (le Choléra).
Donc, dans cette partie, nous allons montrer comment Giono utilise les
acteurs, humains et non-humains, pour construitre ses récits.
A. Regain
a. Les acteurs humains
1. Le couple
Du côté des acteurs humains, nous observons que ceux qui
occupent une place importante dans le déroulement du récit, ce sont un
homme et une femme, qui sont réunis et luttent ensemble contre leur
destin et se transforment peu à peu. Nous pouvons dire que c’est le
schéma traditionnel qui présente l’histoire d’un homme qui rencontre une
femme.
31
M.P. SCHMITT et A VIOLA, Savoir lire. Paris, Didier, 1982. p. 69.
Nous utilisons le mot “acteur” pour designer les personnages, qu’ils soient
humains ou non.
32
37
1.1 Panturle
1.1.1 L’avatar de Pan
Le nom “Panturle” est dérivé du nom du dieu “Pan” de la
mythologie grecque et romaine. C’est un dieu mi bouc-mi homme qui a
un caractère séducteur, mais dont le physique est laid.33 Nous pouvons
dire que Panturle lui ressemble sur certains points : il est laid, il est
solitaire et mène une vie au milieu de la nature, dont il fait partie. Giono
en fait un portrait comme un élément de la nature où nous trouvons des
comparaisons végétales.
1.1.2 Les comparaisons végétales dans le portrait
“Panturle est un homme énorme. On dirait un morceau de
bois qui marche. Au gros de l’été, quand il a fait un couvre-nuque
avec des feuilles de figuier, qu’il a les mains pleines d’herbe et
qu’il se redresse, les bras écartés, pour regarder la terre, c’est un
arbre. Sa chemise pend en lambeaux comme une écorce. Il a une
grande lèvre épaisse et difforme, comme un poivron rouge.”34
Dans ce passage, la manière de présenter le portrait de Panturle
nous fait penser aux images végetales35d’un peintre nommé Arcimboldo36
qui dessinait des portraits d’hommes en imitant la forme des fruits et des
légumes. Giono compare le corps de Panturle aux éléments de la nature.
L’auteur identifie l’apparence de Panturle à “un morceau de bois”. Puis il
souligne encore par “c’est un arbre”. Cela montre que, bien que Panturle
soit un homme, il est comparé à des éléments non-humains. Ainsi l’image
de Panturle se présente comme un épouvantail situé dans les champs pour
chasser les oiseaux. Cela se voit avec les vêtements qu’il porte : “sa
chemise pend en lambeaux comme une écorce.”
33
Joël SCHMIDT. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Paris,
Librairie Larousse,1965. p.233. “Difforme, monstrueux avec sa tête et ses pieds de
bouc, son torse velu d’un homme, il fut la risée de tous les dieux de l’Olympe, lorsque
son père Hermès le leur présenta.”
34
GIONO.Regain. pp. 16-17.
35
J.P. de BEAUMARCHAIS, Daniel COUTY. Dictionnaire des œuvres littéraires de langues françaises (Q-Z). Paris, Bordas, 1994. p. 1657.
36
Voir l’illustration à la page suivante.
39
Au commencement du roman, Panturle est chasseur. Il vit à l’état
sauvage et sa vie se déroule ainsi régulièrement. Il ne cherche pas de
moyens pour améliorer sa vie et se soumet à son destin mais il a
néanmoins un désir : trouver une femme.
(Panturle parle avec la Mamèche)
“Il crache dans les braises, puis il reprend :
– Oui, il faudrait une femme. L’envie m’en prend, quelquefois
aux beaux jours. Mais où elle est, celle-là qui voudrait venir
ici?<…>
– Si je t’en mène une, tu la prends ?
<…>
- Oui je la prends.”37
Nous trouvons que le cycle de saison conditionne les envies de
Panturle. Dans le passage qui vient d’être cité, l’histoire a lieu en hiver,
Panturle commence à penser à une femme. Après le départ de Gaubert,
sa vie continue pendant l’hiver. Il chasse pour avoir quelque chose à
manger. Comme Panturle vit en état sauvage dans ce village, éloigné de
la civilisation, son comportement devient peu à peu comme celui d’un
animal. Quand arrivent les beaux jours, autrement dit le printemps, il a
une envie. Nous pouvons dire que c’est une forme d’instinct animal. Sur
ce point nous voyons que son comportement ressemble à une des
caractéristiques du dieu Pan38.
Ce n’est pas seulement son comportement qui ressemble à celui
d’un animal son apparence aussi.
“Panturle a pris sa vraie figure d’hiver. Le poil de ses joues
s’est allongé, s’est emmêlé comme l’habit des moutons.
C’est un buisson.<…>
Il est devenu plus méchant aussi. Il ne parle plus à ses
ustensiles.
<…>
Il chasse. Il a besoin de viande”39
37
Regain. pp.28-29.
Joël SCHMIDT. op. cit. p.233. : “Dieu de la fécondité et de la puissance
sexuelle à la fois brutale dans ses désirs et terrifiant dans ses apparitions (on parle
d’une peur <<panique>>), Pan devait très vite être vénéré au cours de la période
classique dans toute la Grèce.”
39
Regain. p. 29.
38
40
Ce passage utilise la comparaison entre le poil d’un homme avec
l’habit des moutons. Cela peut accentuer le changement de Panturle, qui
retourne peu à peu à l’état sauvage. De l’homme qui parle seul40, devient
un homme qui tombe dans la solitude. En plus, quand la Mamèche
disparaît, Panturle devient le dernier habitant du village.
“Derrière lui, il y a Aubignane vide.
Il a bien regardé le pays jusqu’au fin fond et il a dit à haute
voix :
- Voilà. Maintenant je suis seul.”41
Dès ce moment-là, Panturle se trouve entièrement seul, il laisse
cours à sa sauvaugerie. Cet état ne se produit pas seulement dans son
apparence physique mais aussi dans son état d’âme. Sa méchancheté
augmente, comme on le voit dans la scène suivante :
“Et puis il a attrapé le renard : c’était un jeune.
<…>
Il est mort. Une longue épine d’acier traverse son cou. Il est
encore chaud au fond du poil, et lourd d’avoir mangé. Panturle
l’enlève du piège et il se met du sang sur les doigts ; de voir ce
sang comme ça, il est tout bouleversé. Il tient le renard par les
pattes de derrière, une dans chaque main. Tout d’un coup, ça a fait
qu’il a d’un coup sec serré les pattes dans ses poings, qu’il a
élargi les bras, et le renard s’est déchiré dans le claquement de ses
os, tout le long de l’épine du dos jusqu’au milieu de la poitrine. Il
s’est déroulé toute une belle portion des tripes pleines, et de
l’odeur, chaude comme l’odeur du fumier.
Ça a fait la roue folle dans les yeux de Panturle.
Il les a peut-être fermés.
Mais, à l’aveugle, il a mis sa grande main dans le ventre de
la bête et il a patouillé dans le sang des choses molles qui
s’écrasaient contre ses doigts.
Ça giclait comme du raisin.
C’était si bon qu’il en a gémi.”42
40
Ce phénomène se produit après la mort de sa mère. Regain p. 12. : C’est du
soir même qu’il s’est mis à parler seul.
41
Ibid. p. 36.
42
Ibid. p. 65-66.
41
Cette scène se produit après le départ de la Mamèche, Panturle
traque un renard en faisant des pièges pendant plusieurs jours.
Finalement, il peut l’attraper. Nous voyons que Panturle est très calme, il
est satisfait de son œuvre, il la regarde avec fierté. Il ressent une
jouissance de fouiller dans le ventre de la bête avec sang-froid. Son acte a
quelques relents sexuels : “C’était si bon qu’il en a gémi.”
Mais un peu plus tard, la sauvagerie va se civiliser avec l’arrivée
d’une femme. Premièrement, il decide de changer de métier : de chasseur,
il se transforme en agriculteur. Mais des problèmes arrivent à cause du
manque d’équipement pour travailler la terre :
“- Et alors ?
- Oh ! alors, dit Panturle, tout compte fait, puisque, d’une
façon ou autre, il faut que j’aille là-bas pour la semence et voir
pour Caroline, je vais y aller ce jour. Je passerai par chez Jasmin
pour toucher le père Gaubert. Celui-là, il a le sort de la charrue. Je
lui dirai qu’il m’en fasse une ; il me la fera volontiers : c’est sa
passion. Je demanderai à l’Amoureux s’il veut me prêter son
cheval. C’est de bonne heure. Ils n’ont pas encore commencé, ça
pourra faire. Tu verras.
- Si donc tu y vas de cette heure, dit Arsule, mets-toi un peu
une chemise propre.”43
Ce jour-là Panturle doit sortir du village pour demander de l’aide
aux gens du village voisin. Dès ce moment là, il ne vit plus une vie
solitaire comme avant. Le départ du village de Panturle nous montre qu’il
va s’approcher de la civilisation qui l’attend dehors. Nous pouvons dire
qu’une femme comme Arsule a de l’influence sur la vie de
Panturle.Regardons l’exemple dans la citation précédante :
“Si donc tu y vas de cette heure, dit Arsule, mets-toi un peu une
chemise propre.”
Cette phrase nous montre clairement le changement de l’apparence
de Panturle. De l’homme qui portait une chemise qui pend en lambeaux
comme une écorce se transforme en homme qui porte une chemise
propre.
L’autre exemple ci-dessous peut nous montrer le changement de
Panturle:
43
Ibid. p.84.
42
“Avant, il battait briquet avec de la pierre noire et de
l’étoupe ou de la molle d’arbre. Ça prenait ou bien non. Fallait un
moment et de la patience, et des <<saloperies de sort>> pas mal.
Arsule un jour a dit : <<Si on avait des allumettes…>>”44
Dès ce moment-là Panturle cherche un moyen pour avoir des
allumettes. Il vend des peaux de lièvre et demande à Michel, le
conducteur de la diligence, de lui en acheter. Avec le feu, Panturle et
Arsule peuvent dépasser l’état sauvage même s’il reste encore beaucoup à
faire. Cela peut éclairer que Panturle s’approche de la civilisation.
D’après le dictionnaire des symboles et des thèmes littéraires,
“l’importance du feu n’était pas seulement liée à l’utilité domestique de
cet élément, et encore moins peut-être aux sensations que procure
l’intimité du foyer, du poêle ou de l’âtre, à l’âme repliée sur un bien-être
qui tend vers la griserie; cela existe certe, mais au titre des avantages de
surcroît qu’apporte le feu, quand il est domestique du reste.”45 Ainsi la
scène des allumettes nous montre que Panturle se met à créer une
nouvelle famille, c’est-à-dire qu’il commence à donner la vie à son
village.
Un autre exemple peut mettre en lumière le changement de cet
homme quand Arsule le chasse en lui disant:
“<<Laisse-moi, tu sens le sel pourri.>> Elle a dit en riant,
mais le lendemain, Panturle est entré dans le ruisseau.”46
Cette scène nous montre que c’est Arsule qui apprend la discipline
à Panturle qui peu à peu se socialise.
Un autre passage montre que Panturle s’est débarrassé
définitivement de son état sauvage à la fin du récit.
“Il est solidement enfoncé dans la terre comme une
colonne.”47
Cette fois la description du portrait de Panturle n’est plus l’image
d’un arbre pour celle d’une colonne. Ici le mot “l’arbre” réflète la partie
de la nature tandis que “la colonne” symbolise la civilisation parce que la
44
Ibid. p. 84.
Claude AZIZA, Claude OLIVIER et Robert SCTRICK. Dictionnaire des
symboles et des thèmes littéraires. Paris, Fernand Nathan, 1978. p. 90.
46
op. cit. p. 87.
47
Ibid. 149.
45
43
colonne est la pierre travaillée par l’homme. Observons que bien que,
l’auteur définit Panturle comme une colonne, il est encore planté dans sa
terre. Mais cette fois, sous la forme d’un homme qui peut surmonter la
sauvaugerie pour accéder à la civilisation en harmonie avec la nature.
1.2 Arsule
Cette femme est la cause du changement de Panturle. Son arrivée à
Aubignane tranforme la vie de Panturle et du village. Mais, elle aussi,
dans la trame de l’histoire, se transforme pour mener une nouvelle vie.
1.2.1 Une femme humiliée
Arsule est une femme humiliée comme on le voit dans l’évocation
de son passé et aussi dans sa vie avec Gédémus. Elle était d’abord
Mlle Irène, une chanteuse dans un café. Dès sa première apparition, on la
voit dans un état misérable et ridicule.
“En réalité, c’était arrivé par la route de Montbrun, derrière
une charriole bâchée de vieux draps sales. Un homme qui semblait
un assassin menait la mule par la figure. <…>
Mademoiselle Irène était derrière la voiture. Elle était bien
fatiguée d’avoir fait la route à pied avec de vieilles bottines
d’homme à boutons trop grandes pour son pied et elle se faisait
traîner en se tenant à la corde du frein. Elle était enfarinée de
poussière jusqu’à la taille.”48
Cette citation provient du troisième chapitre dans la première partie
quand Gédémus sort d’un bureau de tabac. Un homme bavarde avec lui.
Ils évoquent le personnage d’Arsule et le narrateur poursuit le récit de ce
personnage. Giono ne présente pas celle-ci directement. Il l’introduit dans
la scène d’après le regard des autres. Giono utilise “c’était arrivé…” pour
présenter Arsule. Le passage de “ce” à une “personne” est présenté par
des détails désobligeants. On ne peut voir vraiment son portrait que dans
le passage suivant : “Mademoiselle Irène était derrière la voiture.<…>.”
Ce qu’on voit dans ce passage montre l’image pitoyable de cette femme.
Le portrait de cette femme représente toujours une image sordide. Quand
Arsule entre en scène, le lecteur la voit dans un état sale et fatigué.
Comme elle ne réussit pas dans sa carrière, elle devient ridicule aux
yeux des autres, surtout ceux des hommes. Ainsi le jour où elle chante
dans un café, elle est chassée par les spectateurs :
48
Ibid. pp. 38-39.
44
“Mademoiselle Irène est montée sur l’estrade. Elle avait de
pauvres mains d’éplucheuse de pomme de terre. Elle avait des
yeux, on ne savait pas dire, ça faisait peine, tenez. Elle était là,
toute fatiguée de mille choses. Elle était là pour chanter et elle se
souvenait avec douleur de la longue route et mille choses, je vous
ai dit, bien plus pénibles encore que la route, pour une femme. Elle
était là.
Ça a fait rire.
Et elle n’a plus su que dire.
Ça a fini par une bataille. <…>
Très bien. Mais le lendemain, la femme n’ose pas partir avec
Tony et elle reste là, chez nous, assise près de la fontaine, toute
seule, toute sale de larmes.”49
Après cette scène, Arsule est abandonnée et n’a plus de travail. En
plus, elle est violée par de méchants hommes et des villageois lui sont
venus en aide. Dès lors, elle devient la servante de Gédémus : “De ça il y
a cinq ans. <…> Depuis ce temps, elle reste avec Gédémus. Elle lui fait la
soupe et tout.” Mais en fait, elle ne fait pas seulement cela, elle doit
traîner la charette de Gédemus. Elle est un peu comme sa servante.
1.2.2 Une femme soumise
C’est une femme complètement passive, soumise à son destin. Elle
travaille dur comme une esclave. Même quand elle est fatiguée, elle doit
encore servir Gédémus.
“Tant qu’on est à l’ombre, ça va, mais qu’on arrive dans le
soleil, Arsule sait que Gédémus va quitter la bricole et dire :
- Tiens, prends un peu. Je vais rouler une cigarette.
<…>
A partir de là, elle prend la bricole pour tout le temps que le travail
durera.
<…>
Et tout cela Arsule le sait. Par cœur. Et aussi le poids de la
voiturette. Il y a d’abord, il y a surtout la machine à aiguiser avec
sa lourde meule, en grosse pierre épaisse et ses solides montants de
bois qui ne doivent pas trembler quand Gédémus pédale et que la
pierre tourne. Ça pèse.”50
49
50
Ibid. pp. 39-40.
Ibid. p. 42.
45
Gédémus profite toujours de cette femme, il lui fait faire trop,
même c’est trop pénible pour une femme.
Voyons un autre exemple qui peut montrer l’image d’une femme
soumise :
“Arsule tire comme un âne : avec tout le poids de ses
hanches et de ses reins.”51
En restant avec Gédémus, elle a été traitée comme un animal. Il la
laisse tirer comme un âne. Arsule est fatiguée et elle ne lutte pas contre
son destin. Elle suit cet homme d’un village à un autre. Elle mène une vie
de vagabonde. Elle est traitée comme “une chose” qui est donné
d’ homme à un autre. Au début elle erre avec le troupe de Tony, puis avec
Gédémus. Avec ces hommes, sa vie est pleine de souffrances.
La scène qui peut souligner le traitement comme une chose de cette
femme est la scène où Gédémus vient réclamer cette femme à Panturle
après la foire de Banon.
“Cette femme, je te l’ai dit, je l’ai ramassée comme ça, à
Sault un jour.”52
Observons dans ce passage que le verbe ramasser est normalement
utilisé pour une chose, ici le narrateur l’utilise pour l’état d’Arsule aux
yeux de Gédémus. D’après lui elle est son bien. Elle est quelque chose
qui doit répondre à ses besoins. Elle doit lui faire la soupe et lui servir
comme une esclave.
Ce passage suivant peut montrer l’image d’Arsule :
“- Voilà : l’âne, je te paye. Mais tu me comprends; je te
remplace la femme par un âne. Tu comprends ? Je te donne de quoi
acheter un âne et c’est fini.”53
D’après ce passage nous voyons que le narrateur compare son
personnage avec un âne. Ici nous trouvons trois répétitions du mot “âne”,
cela peut montrer le portrait d’Arsule quand elle était avec Gedémus.
51
Ibid. p. 57.
Ibid. p. 130.
53
Ibid. p. 134.
52
46
Ce passage marque la fin de l’esclavage d’Arsule. Panturle propose
une somme d’argent à Gedémus pour acheter un âne au lieu de lui rendre
Arsule. Pour lui Arsule est la cause de son changement. En plus elle a
changé la maison. Nous pouvons dire que depuis qu’elle vit avec
Panturle, elle peut avoir une nouvelle vie. Elle devient complètement une
femme au foyer.
1.2.3 La femme au foyer
Quand Arsule vit avec Panturle, sa vie s’améliore. C’est elle qui
change l’ambiance dans la maison de Panturle. Elle range la chambre
pour que son mari ne dorme pas sur la paille comme jadis. Elle lui répare
ses vieux vêtements. C’est elle qui commence à redonner la vie au
village.
“Comme ça, Arsule a eu ses allumettes. Elle a été bien
contente. Elle les a placées dans le placard sec. Après ça, elle lui a
fait ranger le pétrin qui est lourd. Puis elle a fouillé dans l’armoire,
elle a sorti des pantalons et des vestes et des chemises qui étaient
du père de Panturle, pliés là depuis sa mort. Elle a vu ce qui en était
bon.<…>
Elle est allée s’installer dans l’herbe avec tout un bouquet d’étoffe
sous le bras et quand Panturle est revenu, il a trouvé un pantalon
tout rapiécé et prêt à mettre, et une veste presque finie.”54
Ces lignes nous montrent le travail d’Arsule quand elle est entrée
dans la maison de Panturle. Maintenant elle ne traîne plus la bricole de
Gédémus, elle est devenue une maîtresse de maison. Elle peut donner des
ordres à Panturle, alors qu’avant elle devait obéir à son maître. Dans la
maison de Panturle elle a le droit de prendre des initiatives et c’est elle
qui la réorganise. Cette maison est devenue un foyer, grâce à la demande
des allumettes d’Arsule. La réparation des vêtements et du linge peut
donner une nouvelle apparence à Panturle :
“…elle a trouvé, couchés dans le pétrin comme du beau blé,
trois draps plus blancs que l’eau. Ça, ça l’a décidée. Elle en avait
envie depuis quelque temps. Elle est descendue trouver Panturle. Il
fendait du bois.
- Tu sais pas ce qu’on devrait faire? Elle a dit.
- Non, il a répondu.
54
Ibid. p. 85.
47
- Eh, bien! Voilà : là où on couche, cette paillasse en bas, c’est
comme pour des bêtes, somme toute, et ça ne me plaît guère à moi
de coucher comme ça au vu de tout.
- Au vu de rien, il a répliqué ; il y a rien et personne ici.
- Oui mais, elle a dit, ça ne fait rien, ça ne me plaît guère. On
devrait se mettre dans la chambre où il y a l’armoire, on serait plus
à notre aise. Il y a un lit en bois tout démonté. Y a qu’à le
reconstruire et puis charrier la paillasse. On serait mieux.
Ça s’est fait. Quand elle a ouvert le lit, le soir, ça a été blanc
comme au cœur d’un lis. Elle avait mis les draps.”55
Cette scène montre que c’est Arsule qui apprend à Panturle à vivre
comme un homme. Pour elle on doit dormir dans un lit, elle donne de
l’importance à la qualité de la vie de son compagnon. Elle même, elle est
contente de vivre dans la maison où il y a tout ce qu’il faut. Donc, elle en
profite. Les vieux vêtements, les vieux draps deviennent ses trésors, des
choses précieuses, même si tout cela est inutile aux yeux de Panturle.
Mais peu à peu, Panturle se laisse faire par Arsule.
1.2.4 La porteuse de vie
Après la vente du blé, la vie d’Arsule semble satisfaite. Nous
constatons qu’Arsule attend son enfant, comme Caroline, la chèvre,
donne un chevreau. Une nouvelle famille vient s’installer dans ce village.
“Elle a cherché sous le ventre de Caroline et là, dans le poil
chaud, elle a tâté et elle a pris un petit chevreau. Elle s’est assise
dans la paille, à côté de la mère chèvre. Elle a mis le petit chevreau
sur ses genoux. Elle le caresse. Cette promenade, ça lui a donné un
grand appétit de caresses d’enfant.”56
La citation suivante vient de la dernière scène du récit, quand tout
est en ordre. Le village se repeuple avec le nouveau couple qui vient s’y
installer et on voit Panturle fièrement debout devant ses champs de blé. Il
voit le changement physique de sa femme, c’est un bon signe parce que
c’est l’annonciation de la nouvelle vie qui va naître.
“Elle vient. Elle traîne un peu les pieds. Elle bouge un peu
les épaules en marchant comme s’il fallait aider les jambres avec
55
56
Ibid. p. 86.
Ibid. p. 144.
48
toutes les forces du corps. Elle s’est alourdie ; elle s’est ralentie.
Elle joue avec une branche d’aubépine.
<…>
Elle vient contre lui. Il la saisit par ses hanches courbes. Elle
est comme une jarre entre ses mains.
- On dirait…tu n’étais pas si grosse…
Il tient dans ses mains toute la rondeur de la jarre de chair. Il
l’interroge comme ça, de bas en haut. Elle a baissé son visage plein
d’un contentement comme le ciel.
- Oui, elle dit ; maintenant, tu sais.
- C’est sûr ?
- Franc comme l’or et déjà vivant et, l’autre nuit, j’ai senti un
coup de son pied, là.
Elle tâte son flanc.”57
L’image d’Arsule est complètement différente de la femme
enfarinée de poussière. Elle est devenue quelqu’un d’important. Avec
Panturle, elle est traitée comme une femme, une mère. C’est le contraire
de la vie avec Gédémus.
1.3 Le couple : Panturle et Arsule
Après avoir analysé séparement Panturle et Arsule, observons
maintenant ces deux acteurs comme couple. Comme nous avons constaté
que la vie après la rencontre de ces deux personnes est peu à peu
modifiée. Nous pouvons dire que c’est une histoire de sauvetage. Arsule
aide Panturle à quitter la vie sauvage et à recommencer une vie sociale.
Panturle sauve Arsule de l’égoïsme de Gédémus en lui payant une somme
d’argent. Nous voyons Panturle dire aux autres que “J’ai une femme, làbas, avec moi, et ça (le pain) lui fera plaisir.”58 Dès lors il est prêt de
rendre service à Arsule, il fait tout ce qu’il peut pour lui faire plaisir.
Un autre exemple qui peut donner le portrait d’un couple, c’est la
scène de la foire à Banon.
“A côté de l’homme (Panturle), il y a une petite femme jeune
et pas mal jolie, et toute cuite de soleil comme une brique. Et elle
regarde l’homme de bas en haut, toute contente.”59
“Ma femme aime le bon pain.”60
57
Ibid. p. 147.
Ibid. p. 95.
59
Ibid. p. 120.
58
49
Dans cette scène nous voyons un couple qui vient vendre ses
produits à la foire. Les villageois ne savent pas qui sont ces deux
personnes, mais le lecteur les reconnaît. Nous ne voyons plus la trace de
l’inquiétude dans la description. Nous trouvons seulement la joie qui se
voit par la manière d’exprimer du narrateur. La phrase “Ma femme aime
le bon pain” nous montre clairement que la vie de ce couple se dirige
dans le bon sens. A la foire, Panturle et Arsule deviennent des vedettes
grâce au fruit de leur travail. Grâce à ce couple, le village est attirant pour
de nouveaux habitants.
2. Les figurants
2.1 La Mamèche
2.1.1 L’image d’une bête
Giono décrit la Mamèche comme une bête. Cette femme qui est
d’origine piémontaise, a émigré pour vivre avec son mari, mais celui-ci
est mort en creusant un puits. Peu après, son fils est mort aussi, et à cause
de cela, elle est devenue un énigme aux yeux des villageois.
“ – Alors, une fois , c’était l’époque des olives, on a entendu
dans le bas de vallon comme une voix des loups.<…> Et ça hurlait
toujours, en bas, à déchirer le ventre !
Elle était comme une bête. Elle était couchée sur son petit
comme une bête. On a cru qu’elle était devenue folle. L’Onésime
Bus met sa main sur elle pour la lever de là-dessus, et elle se
retourne et, à pleine bouche, elle lui mord la main.”61
Après avoir perdu toute sa famille, elle doit vivre seule. Malgré
l’aide des villageois, son comportement change, c’est-à-dire qu’elle agit
comme un loup : elle hurle d’une voix de loup ; elle se couche sur le
cadavre de son petit. Quand elle perd les personnes qu’elle aime, elle
devient à motié folle et elle tombe dans un état sauvage.
Un autre passage qui compare la Mamèche avec une bête se trouve
au chapitre 2, la scène où elle apprend le départ de Gaubert.
“La Mamèche se redresse : elle marche, un pas, deux, vers la
porte. Panturle regarde ce visage là-haut, dans l’ombre et que
60
61
Ibid. p. 121.
Ibid. pp. 8-9.
50
maintenant on voit un peu avec l’habitude. Les grands ongles des
pied nus grincent sur la pierre comme des griffes de bêtes.”62
Ce passage nous montre une vieille femme qui n’est pas ordinaire.
Elle a un air mystérieux. Les mots “ les grands ongles des pieds nus”
peuvent souligner la caractéristique d’animal de cette femme.
2.1.2 La sorcière
Du fait de son état presque animal, elle peut communiquer avec les
éléments naturels. Elle voit les signes qui indiquent la future renaissance
du village.
“Et il (Panturle) a été tiré de son sommeil - ça pouvait être la
minuit en plus – par un grand cri qui est venu le toucher dans
l’oreille comme une pierre :
- C’est Mamèche !
<…>
C’était bien la Mamèche. Elle était là-haut sur le rempart
avec du feu dans la main. Elle haussait la main et le feu. On la
voyait tout entière. Elle avait mis sur la tête son fichu noir. La
fumée du feu montait vers le nord.
<…>
Elle montre le sud avec son flambeau :
- Ça vient, ça vient !”63
Nous voyons que ce qu’elle fait dans ce passage est mystérieux.
Elle voit le vent du printemps qui va arriver au village et ce vent va lui
apporter la vie. La Mamèche est comme le messager de la nature, elle est
l’alliée du vent. En fait, elle prédit l’arrivée du printemps mais aussi le
renouveau du village. Après cette scène, elle disparaît en partant à la
recherche d’une femme pour Panturle. Elle est plus mystérieuse encore
aux yeux d’Arsule et Gédémus : tous les deux voient un arbre noir qui les
suit tout au long du chemin. Mais en réalité c’est elle qui guide Arsule au
village. Par ses pouvoir de sorcière, elle prend l’apparence d’un arbre
“Les yeux d’Arsule sont grands et blancs :
- Là !
Et elle dresse un peu son doigt.
62
63
Ibid. p. 22.
Ibid. pp. 33-34.
51
- Eh bien ! quoi, là !
- Ça a fait : hop ! ça a monté au - dessus de l’herbe un moment,
puis, hop, ça s’est baissé.
- Quoi, ça a fait hop, quoi ?
<…>
- L’arbre!
- L’arbre ? Tu es un peu malade ?
- Oui, L’arbre. Ce qu’on voit depuis le matin. Cette chose noire
avec tantôt une blanche de ce côté, tantôt une blanche de là. Cette chose
que je t’ai dit trois ou quatre fois : “Qu’est –ce que c’est ?” et tu as dit :
“C’est un arbre, marche. “C’est là encore. Ça a fait : hop !”64
Cet arbre étrange va guider Gédémus et Arsule à Aubignane. La
Mamèche s’est déguisée en arbre, elle suit les pas de ces deux
personnages. Elle fait tout pour attirer leur attention, et réussit à le faire.
Arsule la remarque, mais à ses yeux, ce qu’elle a vu est quelque chose de
mystérieux, elle a peur. Mais après, quand ces deux personnages arrivent
à Aubignane, l’arbre disparaît. En fait le lecteur ne sait pas encore dans
cette partie que l’arbre noir est la Mamèche, nous apprenons seulement
qu’il y a quelque chose qui perturbe l’itinéraire de Gédémus. L’auteur ne
nous dit pas comment la Mamèche a rencontré ces deux personnages, tout
cela est montré comme le fruit de hasard. En tout cas, la Mamèche est un
des facteurs qui aide Panturle à faire revivre le village en lui promettant
de chercher une femme et en accomplissant sa tâche.
2.2 Gaubert : le don du travail
Même si son rôle n’est pas aussi développé que celui de la
Mamèche, il occupe une place importante dans le récit. Lui, comme la
Mamèche, aide le héros à remplir sa tâche. Son ancien métier va
contribuer au travail de Panturle, comme il était autrefois forgeron
fabriquant des charrues. Regardons le passage suivant :
“Gaubert, c’est un petit homme tout en moustache. Du temps
où il y a ici la vie, je veux dire quand le village était habité à plein,
du temps des olivaies, du temps de la terre, il était charron. Il
faisait des charrettes, il cerclait les roues, il ferrait les mulets. Il
avait alors de la belle moustache en poils noirs ; il avait aussi des
muscles précis et durs comme du bambou et trop forts pour son
64
Ibid. p. 46.
52
petit corps, <…>. C’est Gaubert qui faisait les meilleures charrues.
Il a un sort.”65
Avant, il était fort et plein de vie, parce que le village était encore
peuplé et aussi parce qu’il était jeune. Pour lui il y avait toujours des
travaux à faire. Mais ces quelques lignes ci-dessous montrent sa
vieillesse.
“Maintenant, Gaubert, c’est un petit homme tout en
moustache. Les muscles l’ont mangé. Ils n’ont laissé que l’os, la
peau de tambour. Mais il a trop travaillé, et plus avec son cœur
qu’avec ses bras ; ça fait maintenant comme une folie.”66
A l’époque où tout le monde partait, c’était la fin de son métier. Il
n’y a plus de travail, l’homme fort se transforme en homme faible. Nous
pouvons dire que Gaubert est la personne usée par le travail et par la
vieillesse. Mais il espère que son village va redevenir comme avant,
l’époque où il y avait du monde et où la terre donnait un bon blé. Comme
il est trop vieux pour rester tout seul, il décide de quitter sa terre pour
avoir une meilleure vie auprès de ses enfants. La dernière fois qu’on voit
Gaubert c’est quand Panturle sort du village pour demander de l’aide à
son ancien voisin en lui rendant visite. Dans cette scène, nous voyons un
autre portrait de ce vieil homme.
“Le Gaubert est près du poêle. Il est assis sur une chaise à
dossier droit ; ses deux mains sont appuyées sur sa canne ; sa tête
est apuyée sur ses deux mains.
<…>
- Prends-la, toi, ma main, là-dessus ; prends-la, ça me fera
plaisir ; moi je peux plus.
Il a posé d’un coup le sac et la miche, et il s’est précipité, et
il l’a pris cette main qui est comme du linge mouillé entre ses
bonnes mains solides.
<…>
65
Ibid. p. 13.
66
Ibid. p. 14.
53
Elles sont molles et mortes, et les bras sont morts. Et le
Panturle touche ça, et c’est comme des cordes sans vie, et dans les
yeux de Gaubert, il y a le regard de la bête prise au piège.”67
Le corps de Gaubert est dégradé, ses mains sont devenus faibles.
Cela montre l’état d’impuissance de cet homme.
C’est en partie grâce au travail de Gaubert que Panturle a pu
cultiver la terre et obtenir un des meuilleurs blés de la région.
2.3 Gédémus : le profiteur
Cet homme profite beaucoup d’Arsule qu’il considère comme une
chose. Comme il l’a nourrie il veut une récompense pour ce qu’il a fait.
C’est la raison pour laquelle il retourne à Aubignane pour réclamer sa
femme. Panturle refuse de lui rendre Arsule et il lui propose de le payer
un âne. Gédémus accepte avec joie, mais il n’arrête pas de négocier le
prix.
“(Panturle)- Tu comprends ? A mon avis, c’est payé.
<…>
- <Panturle>Achète-toi un âne.
- C’est cher.
- <…>
Il tire de la boîte un billet de cinquante francs.
- Oui, mais le harnais, dit l’autre, et la longe, et tout ?…
parce qu’il faut que je fasse mettre un brancard à la charette
alors…
- Bon, fait Panturle, ça sera donc soixante, et voilà. Des ânes,
tu en trouveras à trente francs tant que tu voudras.
Il a les billets au bout de ses doigts. Il dit encore une fois
:<<Tiens>> parce que l’autre hésite et mâche encore quelque chose
dessous sa moustache :
- Tiens.
L’homme prend les deux billets, il les compte : un, deux.
Bon. Il les garde un peu dans les mains.<…>”68
b. Les acteurs non-humains
1. Le village
67
68
Ibid. pp. 96-97.
Ibid. p. 134.
54
Nous pouvons dire que le village dans Regain joue le rôle d’un
protagoniste non-humain. Lui, aussi il doit passer par un processus de
transformation. Nous pouvons dire que ce village retrouve la renaissance
grâce à la solidarité de plusieurs acteurs. L’acteur humain comme
Panturle est celui qui agit à l’aide du vent, de la Mamèche et aussi de
l’alliance de la terre.
Le passage suivant montre la première apparition du village dans le
roman :
“- Ah ! vous avez bien fait de venir chez le neveu. C’était
plus une vie ce que vous faisiez là-bas à Aubignane.
- C’était plus guère tenable. On n’était plus que cinq ; puis le
Filippe a eu sa place de facteur au Revest. Alors, c’est venu de
moi ; J’ai dit : “Qu’est-ce que tu plantes ici ? D’un jour à l’autre,
ça va tout te dégringoler sur la tête. En galère !” C’est à ce
moment-là que je l’ai fait dire au neveu. Je lui ai tout donné. Moi
un peu de soupe, un peu de tabac, ça fait mon train. ”69
Dans ce passage, nous trouvons pour la première fois le nom
d’Aubignane qui devient le sujet de la conversation des passagers dans la
diligence. Ce que nous trouvons dans ce passage est l’opinion d’un ancien
habitant de ce village. D’après cet ancien villageois, personne ne veut y
rester. Regardons le propos de cet habitant : “Qu’est-ce que tu plantes
ici ?” Cela relève la condition de ce village. La sècheresse devient le
problème de ce village. Quand les habitants qui vivent de l’agriculture ne
peut rien planter dans la terre, ils décident de partir vivre ailleurs.
L’image du village dans la suite du récit se présente comme “un
pays tout roux comme un renard”70. Cela montre l’état sauvage de ce
village et des habitants qui restent. En plus la couleur “roux” renforce
aussi le propos du passager. On ne peut pas planter dans le pays qui est,
détruit par la désertification. Le narrateur ajoute à la fin du chapitre I,
qu’ Aubignane a l’air tout mort71. La description ainsi peut accentuer le
fait du village à propos du passager.
69
Ibid. p. 6
Ibid. p. 9.
71
Ibid. p. 10.
70
55
Nous observons qu’Aubignane tombe presque dans un état
dépeuplé après le départ de la Mamèche : “Derrière lui (Panturle), il y a
Aubignane vide.”72
L’état quasi-désert de ce village est montré encore à l’arrivée de
Gédémus et Arsule. Gédémus peut témoigner de l’époque où le village
était encore habité, car il s’en souvient :
“- J’étais (Gédemus) passé une fois, moi, dans le temps : il y avait
encore un peu de monde. Il y avait le Jean Blanc qui restait sur la place de
l’église. Allons un peu voir.
Sur la place de l’église, il n’y a plus que d’herbes. On a cloué la
porte de Jean Blanc.”73
Dans ce passage, nous trouvons la technique de présentation du
village. Le narrateur commence par l’explication de Gédémus qui montre
ce qu’il avait vu avant. Mais, quand il voit ce qui présente actuellement à
ses yeux, c’est l’image bouleversée. Ici, nous trouvons dans la parole de
Gédémus deux éléments : “Jean Blanc” et “l’église”. Le narrateur répète
ces deux éléments encore avec la contradictoire. A ce moment-là, il n’ y a
plus Jean Blanc parce que sa maison est “clouée” à la porte.
Le narrateur nous présente peu à peu l’image de village qui se
dépeuple au même moment de la dechéance de Panturle, son dernier
habitant. Nous trouvons que l’évolution de Panturle et du village se dirige
dans la même voie. Après la rencontre de Panturle et Arsule, non
seulement celui-ci se transforme, mais le village aussi qui passe la
procédure de changement.
Nous trouvons qu’après le travail dans les champs, et quand
Panturle et Arsule vendent du blé à la foire, le village devient aussi la
vedette. C’est grâce à la qualité de blé qu’on veut savoir sa source. A la
fin, le village change complètement. Il est attirant pour le nouveau couple
qui décide de s’y installer.
2. Les quatre éléments
Dans Regain, les quatre éléments de la nature occupent une place
importante tout au long du récit. Souvent, Giono présente la nature
comme un acteur dans ses romans, il personnifie les actions des éléments
naturels comme les actions des êtres humains. Giono a tendance d’utiliser
des images érotiques pour présenter ces éléments. Le fait est ainsi parce
72
73
Ibid. p. 36.
Ibid. p. 57.
56
que l’auteur veut montrer que ces éléments vont mener les protagonistes
humains en voie de reproduction pour que la vie renaisse dans le village.
2.1 Le vent
Le vent joue un rôle dès le commencement du récit et est tout le
temps associé à Aubignane. Il suit le pas des voyageurs dans la diligence.
D’abord on ne comprend pas le rôle de cet élement naturel et il semble
simplement faire partie du décor. Voici la première apparition du vent :
“Le vent de novembre écrase les feuilles de chêne avec des
galopades de troupeau. Il est tout bien froid jusqu’au fond, d’un
beau froid dur. Il a fait taire d’un seul coup toutes les sources ; il
n’y a plus que son bruit dans les bois.”74
Dans cette citation, nous constatons que l’auteur personnifie
l’action de vent comme un être animé. Avec le terme “galopades”,
l’auteur compare le coup de vent au mouvement des animaux. L’action
écrase les feuilles nous montre la force du vent qui apporte l’hiver. Peu
après la description du vent évolue. Au lieu de le comparer aux animaux,
le narrateur le mentionne comme un acteur humain.
“Il n’y a rien sur le plateau : le vent seul…Et comme vent,
celui qui est annoncé la nuit passé : le vent chèvre, le printemps. Le
voilà là-haut. <…>, il est partout.
- Mamèche, Mamèche !
Rien. Le vent vient voir ce que c’est, puis repart.”75
Cette scène se passe après la disparition de la Mamèche. Panturle
la cherche partout, mais il ne la trouve pas. L’auteur utilise les verbes
“voir”,et “repartir” pour désigner l’action du vent.
Le passage suivant présente le vent qui vient susciter des désirs
chez Arsule.
“Sitôt debout et le pied dans la piste, il a fallu compter avec
le vent. Il venait bien en face et il leur a plaqué sa grande main
tiède sur la bouche ; comme pour les empêcher de respirer. <…>
Alors, le vent s’est mis à leur gratter les yeux avec ses ongles. Puis
il a essayé de les déshabiller ; il a presque enlevé la veste à
Gédémus. Arsule tire le bricole et, pour ça, elle s’est penchée en
74
75
Ibid. p. 5.
Ibid. p. 36.
57
avant. Le vent entre dans son corsage comme chez lui. Il lui coule
entre les seins, il lui descend sur le ventre comme une main ; il lui
coule entre ses cuisses ; il lui baigne toutes les cuisses, il la
rafraîchit comme un bain. Elle a les reins et les hanches mouillés
de vent. Elle le sent sur elle, frais, mais tiède aussi et comme plein
de fleurs, et tout en chatouilles, comme si on la fouettait avec des
poignées de foin ; ce qui se fait pour les fenaisons, et ça agence les
femmes, oh! Oui, et les hommes le savent bien.
Et tout d’un coup, elle se met à penser aux hommes. C’est ce
vent aussi qui fait l’homme, depuis un moment.”76
C’est dans ce passage que l’auteur fait du vent omniprésent dans le
récit un véritable acteur qui change le cours des événements. C’est le
vent, avec la complicité de la Mamèche, qui mène Arsule à la maison de
Panturle. Le vent est personnifié comme un homme qui a des doigts et
des mains. C’est ce vent qui réveille la pulsion sexuelle d’Arsule. Le vent
trouve d’abord Arsule quand elle et Gédémus se reposent dans un
hameau. Après la caresse du vent, Arsule pense à l’homme. C’est le vent
qui vient dans la saison de printemps, la saison où les animaux
s’accouplent.
“Il n’y a plus le vent pour la caresser, elle est fatiguée. Quand
même, elle pense encore à l’homme. Il semble qu’il y a encore les doigts
du vent sur elle, cette grande main du vent plaquée à nu sur sa chair.”77
Après avoir visité Arsule, le vent change de direction. Il approche
Panturle. Regardons ces quelques lignes
“A la guette du renard, Panturle a rencontré le vent, le beau
vent tout en plein, bien gras et libre, plus le vent de peu qui
s’amuse à la balle, mais le beau vent, large d’épaules qui bouscule
tout le pays. A le voir comme ça, Panturle s’est dit : <<Celui-là,
c’est un monsieur.>>”78
Pour Panturle, le vent est un “personnage” qu’il repecte, comme
nous le voyons dans la dernière phrase de la citation<<Celui-là, c’est un
monsieur.>> La manière d’introduire le vent ainsi est de la façon
respectable.
76
Ibid. pp. 47-48.
Ibid. p. 50.
78
Ibid. p. 59.
77
58
2.2 La terre
La terre est un élément important dans ce récit, parce que cette
histoire nous racontre la lutte d’un homme contre les forces de la nature.
Cette force est la résistance de la terre qui empêche Panturle de la
travailler mais celle-ci finit pourtant par donner de bons résultats.
Regardons la dégradation de la terre dans le passage ci-dessous:
“- Cette saloperie de terre…dit Panturle en entrant…pas
moyen…c’est plus dur que la pierre. On l’a trop laissé
d’abandon…elle est là, toute verrouillée ; on ne peut pas seulement
enfoncer le couteau.
Il regarde sa charrue : c’est une petite charrue de pauvre, <…>
- Qu’est-ce que tu veux faire avec ça ? Ça griffe juste un peu le
dessus.
Arsule est dans le plein du souci avec cette nouvelle. Elle regarde
Panturle, la charrue, et cette bosse de coteau qui se gonfle-au-delà
de la fenêtre.”79
Ce passage montre l’image de la terre qui est abandonnée depuis
longtemps. Cela montre la déchéance de ce village dont la terre a perdu sa
qualité. Panturle qui veut commencer à travailler est déçu par ce qu’il
voit.
Le narrateur décrit la terre par un langage imagé. Ici la nature
comme “la terre” devient le sujet de la phrase : “elle est là, tout
verrouillée.” Le narrateur décrit la dégradation de la terre avec l’adjectif
“verrouillée.”
Un autre passage qui peut présenter l’image de la terre c’est quand
Panturle vient demander de l’aide à ses voisins. Avant que Panturle sorte
de chez eux, ils lui donnent du pain, ce passage peut lier au processus du
travail sur la terre :
“Panturle regarde le bon pain, gros et solide, le pain de champs,
le pain de la farine faite au mortier de marbre ; le pain, et de sa mie
qui est rousse, on tire parfois une longue paille droite et
étincellante comme un rayon de soleil.
D’un coup, il voit ce qu’il va faire. Ce qu’il va refaire, ce qu’il
a commencé en venant ici déjà. <….> . Ça passera, c’est surement
maintenant. Il a compris. Ça passera le jour où l’on posera sur la
table, là-bas, à Aubignane, dans la dernière maison, la miche de
79
Ibid. p. 83.
59
pain, chaude et lourde, le pain qu’ils auront fait eux-mêmes, eux
trois : lui, Arsule et la terre.”80
Remarquons qu’ici, le protagoniste humain se met à chercher le
moyen pour travailler la terre. Le pain qu’il obtient chez son voisin
devient l’inspiration de son travail, parce que le pain est le produit qui
vient de la terre. Pour commencer ce travail, lui seul ne peut le faire, il
faut le faire avec l’alliance d’ “eux trois.” Observons ici que la terre
devient un élément important pour recevoir le bon résultat. Ici, “la terre
reste la mère nourricière”81pour l’être humain. C’est parce que la terre
donne des produits à ceux qui l’exploitent.
Après la préparation de l’équipement, Panturle commence son
travail dans les champs :
“Il a retrouvé son instinct de tueur de bêtes pour enfoncer
brusquement le coutre aigu dans la terre. Elle a gémi ; elle a cédé.
L’acier a déchiré un bon morceau qui versait noir et gras. Et, d’un
coup, la terre s’est reprise ; elle s’est débattue, elle a comme essayé
de mordre, de se défendre. Tout l’attelage a été secouée, depuis la
mâchoire du cheval jusqu’aux épaules de Panturle.<…>
- Tu y passeras quand-même, dit Panturle les dents serrées.”82
Comme d’autres éléments naturels, l’auteur personnifie l’action de
la terre comme un être humain. Ce passage nous montre que la terre est
devenu une alliée : “elle a gémi : elle a cédé.” Ici, la terre est symbolisée
comme une femme. Le labour de Panturle est comme un acte sexuel qui
provoque la fécondité.
Les lignes suivantes révèlent encore les changements après le
travail.
“Il est devant ses champs. Il s’est arrêté devant eux. Il se
baisse. Il prend une poignée de cette terre grasse pleine d’air et qui
porte la graine, c’est une terre de beaucoup de bonne volonté”.83
80
Ibid. p. 94.
Jacque PUGNET, Jean Giono. Paris, Editions Universitaires, 1955. p. 50.
82
Ibid. p. 108.
83
Ibid.p. 149.
81
60
Ce passage nous montre la description de la qualité de la terre,
<<cette terre grasse pleine d’air et qui porte la graine…>>. C’est le
contraire de <<Cette saloperie de terre…<…>c’est plus dur que la
pierre>> qui ouvrait la deuxième partie. Cela nous montre que le héros
est satisfait du résultat de son travail tandis que, au commencement, il
maudisait la terre.
2.3 L’eau
Dans Regain, l’eau joue aussi un rôle important pour le grand
changement dans la vie du héros, avec la dernière scène de la première
partie.
Regardons le rôle de l’eau dans ce passage :
“Il reçoit dans le dos la grande griffe d’une main froide, et il
voit les longs doigts blancs de ruisseau qui ferment sur lui.
Tout de suite, l’eau esquive, le couvre de son corps épais et
glissant. Il la repousse de la jambe et du bras ; elle le ceinture, lui
écrase le nez, lui fait toucher les deux épaules sur les pierres plates
du fond.
<…>
Il pèse aussi, lui sur l’épaule de l’eau. Il lance sa main vers la
rive. Il plante ses doigts dans la terre : elle est pourrie, elle cède à
poignées ; elle vole avec des bouts de joncs autour de la lutte.
<…>
Mais, au vrai, il bouge ses bras et ses jambes doucement,
<…>; l’eau, elle, bouge ses bras et ses jambes avec de la double
force et de la colère d’écumes.
Tantôt il boit une goulée d’air et ça va, tantôt une goulée
d’eau et ça va aussi, car il y a dans l’eau un grand visage de femme
qui rit, avec deux canines très pointues sous les lèvres.”84
Cette scène se produit quand Panturle épie Gédémus et Arsule près
du ruisseau et qu’il tombe dans l’eau. Le passage cité nous montre la
lutte entre l’homme et l’eau. Giono décrit l’image de l’eau comme une
femme. C’est sans doute la déesse protectrice de l’eau : il y a dans l’eau
un grand visage de femme qui rit, avec deux canines très pointues sous
les lèvres.
Ici, nous trouvons la personnification de l’eau avec les mots
désignant les organes du corps humain : une mains froide, les longs
84
Ibid. pp. 72-73.
61
doigts, son corps, l’épaule de l’eau. En plus nous trouvons aussi la
répétition des actions de Panturle et l’eau : <<il bouge ses bras et ses
jambes>> tandis que <<elle bouge ses bras et ses jambes>>. Ici, le
narrateur utilise des mêmes mots pour désigner les deux espèces,
l’homme et l’eau ont les bras et les jambes. Mais nous trouvons aussi le
contraire de l’action, c’est parce que l’eau est plus puissante que
l’homme. Observons cela avec ces mots suivants : doucement est le
contraire de de la double force et de la colère.
En plus la description de l’eau montre aussi l’acte sexuel avec les
mots : elle le ceinture. L’image de l’eau est comme la terre parce que tous
les deux montrent l’image érotique. Mais l’eau est plus puissante et peut
dominer Panturle tandis que la terre a cédé à l’acte de Panturle.
2.4 Le feu
Le feu dans Regain n’a pas un grand rôle, mais pour cet élement
Giono utilise aussi la personnification. Remarquons qu’il est comme
l’ami intime de Panturle. Il le tutoie. Ce passage peut nous montrer l’art
de la personnification.
“Il y a du feu chez Panturle. <…> Il est là, debout devant
l’âtre, à regarder les flammes bourrues qui galopent sur place à
travers des ramées d’olivier sèches.<…>
Le feu d’olivier, c’est bon parce que ça prend vite mais c’est
tout juste comme un poulain, ça danse en beauté sans penser au
travail. Comme la flamme indocile se cabre contre le chaudron,
Panturle la mate en tapant sur les braises avec le plat de sa main
dure comme de la vieille couenne.
La main en l’air pour un dernier coup, il a dit au feu :
- Ah, tu as fini ?
Il a fini ; il en a assez d’être battu. Il frotte son long poil roux
contre le cul du chaudron.”85
Dans ce passage l’auteur compare le mouvement du feu avec un
poulain. Puis, il ajoute l’apparence du feu avec les mots : son long poil
roux.
Le feu apparaît aussi quand le nouvel habitant visite la maison de
Panturle après la vente du blé :
“Le feu dans l’âtre soufflait et usait ses griffes rouges contre
le chaudron de la soupe, et la soupe mitonnait en gémissant, et
85
Ibid. p. 15.
62
c’était une épaisse odeur de poireaux, de carottes et de pommes de
terre bouillies qui emplissait la cuisine.”86
Le feu représenté dans ce passage indique le changement dans la
maison de Panturle : cette fois-ci la maison du chasseur est devenu un
foyer. L’auteur présente l’ambiance de la cuisine avec “l’odeur” de la
soupe. Le feu est introduit en scène avec du vocabulaire évoquant l’action
d’un animal : le feu avec“ses griffes rouges”, la soupe avec “gémissant”
B. Le Hussard sur le toit
a. Les acteurs humains
1. Le couple
1.1 Angelo
Même si dans Le Hussard sur le toit, Giono présente beaucoup de
personnages, la plupart d’entre eux jouent seulement un rôle de figurant.
Giono ne quitte jamais le personnage d’Angelo. C’est lui qui apparaît du
début jusqu’à la fin, il est central dans l’histoire. Ce roman est la
continuité de la vie d’Angelo. L’auteur le met en scène dès la première
page et il le suit pas à pas dans sa vie. Au commencement, l’auteur
n’apporte que peu de renseignements sur lui et de manière indirecte.
Donc le lecteur apprend peu à peu les détails sur Angelo à travers de
signes : son époque, son origine, son métier et son passé.
1.1.1 Le chevalier
Comme nous l’avons déjà vue dans l’analyse de la structure du
récit, l’histoire se divise en deux parties : avant et après la rencontre des
deux protagonistes, sur ce point nous observons deux aspects d’Angelo,
le chevalier errant et le chevalier servant
1.1.1.1 Le chevalier errant
Dans les premières pages nous voyons seulement que le héros est
un homme avec un nom mais obtenons peu de détails sur lui. Une autre
chose qu’on apprend est que ce personnage est en train d’errer dans les
montagnes. Il a dormi dans la nature, et quand il se réveille, il doit
poursuivre son chemin. Mais nous ne savons pas encore où il va,
pourquoi il est dans cette région. La manière de mettre Angelo en scène
86
Ibid. p. 139.
63
est de situer ce personnage sur la route, à la campagne. La citation
suivante peut nous montrer comment est présenté Angelo dans le roman.
“La femme <…> lui demanda s’il était un monsieur de
bureau.<<Oh! non, dit-il ; je suis un commerçant de Marseille ; je
vais dans la Drôme où j’ai un client et je profite pour prendre
l’air.>> Le visage de femme devint plus aimable, surtout quand il
eut demandé la route de Banon.”87
Cette scène où Angelo demande un café à une fermière au bord de
la route apporte une autre information sur Angelo. Au début, la fermière
se méfie d’Angelo mais quand elle apprend que ce étranger est un
commerçant elle a l’air rassurée. Ainsi, on apprend sa condition par un
mensonge. En fait, son véritable état avait été vaguement indiqué
auparavant avec quelques allusions : le cheval et le portemanteau qui
nous montre qu’il est peut-être soldat. Nous pouvons dire que la manière
de présenter le héros ainsi est comme si l’auteur ne lui donnait pas
d’importance. Il conduit le lecteur dans de fausses directions avec des
mensonges. Mais peu après le narrateur précise le passé de ce
personnage. Pour l’instant, son passé n’est pas encore important mais le
narrateur nous donne une autre information ssur Angelo:
“A Garbia, il y avait mon petit état-major et la manœuvre à
laquelle il fallait faire attention si on ne voulait pas se faire secouer
les puces par ce général San Giorgio qui avait de si belles
moustaches et un langage de vacher.”88
Par ces quelques lignes le mot “mon petit état-major” peut
apporter un éclaircissement sur la carrière d’Angelo. En fait, son
véritable état avait été vaguement indiqué dans les pages précédantes. En
plus, nous apprenons qu’Angelo n’est pas français. Nous en avons un
indice avec le nom du lieu “Garbia”, et le nom du personnage “ce géneral
San Giorgio”qui apparaît dans la pensée d’Angelo. Dans le passage
suivant nous trouvons une autre remarque qui peut apporter quelques
détails :
87
88
GIONO. Le Hussard sur le toit. p. 12.
Ibid. p.15.
64
“Malgré son grade <<acheté comme deux sous de poivre>>’
disait-il amèrement dans ses accès de pureté, Angelo était un soldat
de métier et, en fourrageur, il avait de l’instinct.”89
Dans ce passage, le narrateur confirme l’idée qu’il avait déjà laissé
entendre au lecteur par l’indication du métier de son héros . Il est “un
soldat de métier”.
La technique de présentation de Giono consiste ainsi à ne pas
donner directement toutes les informations sur le héros. C’est parce
qu’Angelo est en train de fuir, il doit se cacher. Le narrateur nous donne
des informations sur Angelo comme des pièces d’un puzzle que le lecteur
doit reconstituer dans les détails pour comprendre la situation de ce
protagoniste. Peu après nous apprenons son âge : “Il avait vingt-cinq ans”
et son origine “fils naturel de la duchesse Ezzia Pardi.”90 Mais son passé
va être précisé après la rencontre avec Pauline.
Dans la trame du récit Angelo rencontre de nombreuses personnes.
Nous observons que même quand il vit au milieu de la foule, il s’en
écarte. Il est montré comme un chevalier solitaire qui erre dans la région,
sans destination précise. Mais une chose qui reste toujours est qu’il est
prêt à rendre service aux autres, surtout les faibles. Voyons la scène de la
rencontre avec la préceptrice :
“Dès qu’il entendit de nouveau des bruits furtifs dans les
buissons, il s’arrêta et il demanda à haute voix : <<Y a-t-il
quelqu’un par ici ?>> <…> <<Puis-je rendre service à quelqu’un
par ici ?>>
répéta Angelo d’une voix calme qui devait être fort
belle aux oreilles des gens en détresse. Le bruit d’un pas s’arrêta et,
au bout d’un petit moment, une voix de femme répondit : <<Oui,
monsieur.>> Angelo aussitôt alluma son briquet et une femme
sortit du bois. Elle tenait deux enfants par la main.<…>
<<Eh! Bien, dit Angelo, nous allons donc traverser le bois
qui, comme vous l’affirmez, n’est pas large. De l’autre côté nous
ferons monter les deux demoiselles sur mon cheval qui est très
doux et que je mènerai par la bride. <…> Rassurez-vous, pursuivitil, je suis colonel de hussard et l’on ne viendra pas facilement à
bout de nous.>>91
89
Ibid. p. 17.
90
Ibid. p. 137.
Ibid. pp. 86-88.
91
65
Dans ce passage nous constatons qu’Angelo se propose d’aider
quiconque est en difficulté, même s’il ne l’a pas encore vu. Une autre
remarque sur ce passage est qu’Angelo avoue être colonel de hussard.
Nous apprenons maintenant qu’il est vraiment militaire. Il garde toujours
sa dignité.
Dans la première partie du récit, Angelo voit plusieurs sortes de
gens : un médecin dévoué, la foule de Manosque, la nonne, les gens dans
le camp de Giuseppe. Angelo leur vient en aide autant qu’il le peut. Mais
ce qui est remarquable, c’est que personne ne l’accompagne. Les
figurants sont seulement des personnes qui passent sur la scène.
1.1.1.2 Le chevalier servant
Comme un héros chevaleresque, Angelo doit affronter beaucoup
d’aventures et après s’être séparé de Giuseppe, il retrouve par hasard,
Pauline, la femme qui lui avait donné un repas à Manosque et il se
propose de l’accompagner. A partir de ce moment-là Angelo ne voyage
plus seul comme avant, il lui consacre son temps et son argent et oublie
sa mission. Avec l’amour, l’objet de sa quête a changé : il s’était réfugié
en France dans le but de retrouver son frère pour pouvoir rentrer
ensemble en Italie, mais finalement, il ne rentre pas encore dans son pays.
Il choisit l’amour. Avant, il voulait sauver les autres, c’est l’attitude du
cavalier. Mais cette fois, il sauve Pauline.
1.1.2 Le soldat
Nous avons vu dans la partie précédente qu’Angelo est un soldat de
métier qui tient à cœur le rite chevaleresque. Il respecte l’honneur et le
courage. Tout cela se voit dans ses actions.
1.1.2.1 L’honneur
Angelo est presenté comme un homme d’action, il est libre et fier
de lui-même. Pour lui, l’honneur vient quand il agit. Nous observons
quand il entre en aide aux malades, il les traîte physiquement selon le
conseil de petit Français qui ses préoccupations morales reste dans son
souvenir. Mais, quand il travaille avec la nonne cela montre le soin moral.
Parfois Angelo croit perdre l’honneur. Il a ce sentiment quand il
n’agit pas. Lorsque il est accusé d’empoisonner la fontaine à Manosque,
il doit se réfugier sur les toits, à ce moment-là, il perd sa liberté et devient
un homme impuissant. La scène de la rencontre avec Pauline peut nous
montrer l’état d’impuissance d’Angelo.
“Angelo pénétra dans un beau salon. Il vit tout de suite son
propre reflet dans une grande glace. Il avait une barbe de huit jours
66
et de longues rayures de sueur noirâtre sur tout le visage. Sa
chemise en lambeaux sur ses bras nus et sa poitrine couverte de
poils noirs, ses culottes poussiéreuses et où restaient les traces de
plâtre de son passage à travers la lucarne, ses bas déchirés d’où
dépassaient des arpions assez sauvages composaient un personnage
fort regrettable. Il n’avait plus pour lui que ses yeux qui donnaient
toujours cependant des feux aimables.
<<Je suis navré, dit-il.”92
Cette scène montre l’image d’un homme d’action qui est réduit à
l’impuissance. Pour lui, il prouve qu’il est un homme d’honneur par sens
actions. Dans cette situation, l’apparence physique est très importante
quand il est mal habillé, et en plus, il se sent coupable d’avoir pénétré
dans une maison comme un voleur. Il est noble, il faut être propre quand
il rencontre une femme. Ici, on peut voir que l’honneur pour le hussard,
est un facteur important qu’il doit tenir tout le temps.
1.1.2.2 Le courage
Une autre remarque sur Angelo est qu’il est courageux. Il est prêt à
lutter sans peur. Son ardeur peut toutefois aussi se révéler un défaut.
Angelo combat avec les soldats pour se sauver et il lutte contre le choléra
pour aider les autres. Il est ange pour les faibles mais quelquefois il ne
réfléchit pas au danger auquel il s’expose. Il est innocent de risquer aux
dangers.
Regardons d’abord la scène où il se combat avec un capitaine
après avoir passé la nuit avec deux cadavres.
“Le capitaine fit un pas de côté et tira son sabre. Angelo
courut aux faisseaux et prit un coupe-chou de soldat. L’arme
était plus courte de moitié que celle de son adversaire mais
Angelo désarma très facilement le capitaine.”93
Dans cette scène Angelo doit lutter contre un capitaine. Observons
qu’ici, le narrateur place Angelo en situation d’infériorité, avec la petite
arme qu’il a trouvée mais il arrive à triompher facilement de son
adversaire.
92
93
Ibid. p. 179.
Ibid. pp. 72-73.
67
Un autre passage qui peut montrer le courage d’Angelo est la
scène où Angelo et Pauline entrent dans un village étrange où les
habitants les attaquent en cachette.
“En effet, une porte s’ouvrit et un homme fit quelques pas
rapides vers l’aire. Il avait un fusil à la main. Les autres portes
s’étaient ouvertes, les hommes et les femmes sortaient, même le
vieillard. Mais il n’y avait qu’un fusil et, avant même qu’il soit
épaulé, Angelo avait fait face, ses deux pistolets à la main et
bien braqués. Tout le monde s’arrêta sur place.
<…>
Plus que les pistolets (…) l’attitude d’Angelo avait jeté le
trouble et faisait peur. Ces paysans voyaient bien qu’en réalité il
était au comble du bonheur. Il n’était pas sur la défensive. Il
attaquait et avec un mordant peu ordinaire. Il avait le petit sabre
sous le bras.”94
Cette fois- ci, Angelo doit affronter une dizaine de personnes mais
avec son caractère menaçant et son courage, il peut finalement se
débarrasser de cette situation difficile.
1.2 Pauline
1.2.1 La femme avec des attaches
Bien que l’héroïne du roman, elle n’apparaît véritablement que
dans la deuxième moitié de l’ouvrage. Pourtant, elle est présentée dès les
premières lignes de manière très rapide comme des dizaines d’autres
personnages. C’est la partie où l’auteur présente le début de l’épidémie de
choléra en Provence. Elle est présentée à trois reprises, avant de jouer un
rôle essentiel dans le roman. La première fois lorsque l’auteur présente le
cadre de son histoire. La deuxième fois lorsque le hussard descend des
toits de Manosque. La troisième fois, c’est lorsque Angelo partage son
errance avec elle.
Nous faisons la connaissance de Pauline dès le préambule, lorsque
l’auteur raconte les ravages du choléra dans la région. Regardons le
passage où elle apparaît :
“<…>, juste au moment où Angelo passait sous les rochers
d’où coulait l’odeur des œufs pourris, la jeune madame de Théus
descendait en courant en plein soleil les escaliers du château pour
94
Ibid. p. 413.
68
aller au village où ; paraît-il, une femme de cuisine qui était
descendue une heure avant (juste au moment où cette vieille
canaille d’aubergiste disait à Angelo : <<Ne passez pas au
soleil>>) venait d’y tomber subitement très malade. Et maintenant
(pendant qu’Angelo continuait à suivre les yeux fermés ce matin
torride à travers les collines, la femme de cuisine était morte ; on
supposait que c’était une attaque d’apoplexie parce qu’elle avait le
visage tout noir. La jeune madame fut très écurée par la chaleur ;
l’odeur de la morte, le visage noir. Elle fut obligée d’aller derrière
un buisson pour vomir.”95
Nous voyons ainsi l’apparaître une jeune femme en même temps
que l’on suit les pas d’Angelo, sans savoir qu’elle va devenir un tournant
dans la vie d’Angelo. Dans ce premier chapitre, nous apprenons
seulement son nom. Mais ces quelques informations obtenues dans ce
passage nous donnent quelques idées. Dès la première apparition, nous
observons les trois mots-clés, “la jeune madame de Théus”, “le château”,
“une femme de cuisine”, qui annoncent immédiatement le statut social de
cette femme. Elle est une femme de la noblesse, elle est déjà mariée.
Tout ce que nous regardons dans ce passage accentue que Pauline est une
femme attachée. Elle ne doit pas errer sur la route comme Angelo.
1.2.2 La femme courageuse
C’est à Manosque qu’Angelo rencontre Pauline pour la première
fois. Mais pour le lecteur, c’est la seconde. La scène donne une
dimension psychologique au personnage, en particulier son courage :
c’est une femme volontaire même devant un inconnu qui est entré dans sa
maison. Regardons le passage où l’auteur la présente aux yeux d’Angelo :
“Angelo était sur la vingt et unième marche, une brusque
raie d’or encadra une porte qui s’ouvrit. C’était une très jeune
femme. Elle tenait un chandelier à trois branches à la hauteur d’un
petit visage en fer de lance encadré de lourds cheveux bruns.
<…>
Elle tremblait si peu que les trois flammes de son chandelier
étaient raides comme des pointes de fourche.”96
95
96
Ibid. p. 25.
Ibid. p. 178.
69
Cette scène a lieu au moment où Angelo quitte le toit pour chercher
de la nourriture dans les maisons. Il entre dans l’une d’elles et trouve
cette femme qui lui offre un repas. Observons la manière que Giono
utilise pour décrire l’apparence physique de Pauline <<un petit visage en
fer de lance.>> Giono compare le visage de la femme à une arme au lieu
d’utiliser la délicatesse conventionnelle. C’est parce que le narrateur veut
nous montrer que cette femme est exceptionnelle, elle n’est pas fragile ou
faible comme d’autres.
Un autre passage qui peut souligner le courage de cette femme est
à la fin de la scène quand Angelo veut lui offrir un pistolet :
“Angelo s’inclina.
<<Puis-je vous faire une proposition ? dit-il.
- Je vous en prie.
- J’ai deux pistolets dont un vide. Voulez-vous accepter celui qui
est chargé ? Ces temps exceptionnels ont libéré beaucoup de
passions exceptionnelles.
- Je suis assez bien pourvue, dit-elle, voyez vous-même.>>
Elle souleva un châle qui était resté de tout ce temps à côté du
réchaud à esprit-de-vin. Il recouvrait deux forts pistolets
d’arçon.
<<Vous êtes mieux fournie que moi, dit froidement Angelo,
mais ce sont des armes lourdes.
- J’en ai l’habitude, dit elle.”97
Ce passage nous montre le courage de Pauline. Dans le pays ravagé
par le choléra, elle reste seule à la maison après la mort de sa femme de
cuisine. Elle n’a pas peur d’un inconnu comme Angelo, en plus elle est
prête à se défendre. Elle refuse l’arme qu’Angelo lui propose, ce qui lui
vaut le compliment du jeune homme, qu’il garde à lui-même :
“<…> cette jeune femme si courageuse et si belle,<…>.”98
Angelo a une bonne impression sur cette femme. Regardons cette
phrase : “cette jeune femme si courageuse et si belle.” Un autre passage
qui peut montrer l’image d’une âme forte est à la deuxième rencontre
avec Angelo en route, quand ils sont arrêtés par les soldats. Après
97
98
Ibid. p. 182.
Ibid. p. 184.
70
qu’Angelo a quitté Pauline à Manosque, il la retrouve en route. Angelo ne
reconnaît pas encore Pauline mais le lecteur la connaît sans le savoir.
Après avoir offert son objectif parmi d’autres femmes, Angelo la
reconnaît.
“Parmi ces femmes hupées qui étaient pas poudrées depuis la
veille et commençaient à se regarder la pointe de souliers, Angelo
remarque une jupe verte, courte et ronde sur des bottes qu’une
cravache battait. La main qui tenait cette cravache n’était
certainement pas matée. Tout cela appartenait à un petit feutre
Louis XI jaune soufre et à une nuque très blanche. C’était une
jeune femme qui tourna résolument le dos aux colloques et marcha
vers un cheval attaché à un arbre. Angelo vit un petit visage en fer
de lance encadré de lourds cheveux noirs.99”
Giono ré-utilise les mots “un petit visage en fer de lance” qui
permet au lecteur de soupçonner qu’il s’agit de Pauline. Sans cela, elle ne
serait pas reconnue par le lecteur. L’auteur décrit cette femme avec des
images morcelées, c’est –à-dire il nous donne de petits détails mais il ne
nous dit pas immédiatement qui elle est. C’est comme une préparation à
reconnaître ce qu’on a déjà vu. Nous pouvons dire qu’un détail permet
l’identification confirmée par la suite.
Une autre remarque est que cette femme est comme Angelo, même
quand elle est au milieu du monde, elle s’écarte. Comme elle n’est pas
comme les autres, elle tombe aussi dans l’état solitaire. Personne ne
l’accompage. Jusqu’au moment où elle rencontre Angelo, leur vie
respective est changée.
Le passage suivant montre clairement l’image d’une femme forte
de Pauline :
“Il fut tout surpris de retrouver la jeune femme. Elle n’avait
pas bougé. Elle tenait assez gaillardement un de ses pistolets
d’arçon pointé vers l’homme étendu.
<<Est-il mort ? demanda-t-elle.
- Cela m’étonnerait>>, dit Angelo.
Il mit pied à terre et alla voir.
99
Ibid. p. 298.
71
<<Il ne moura pas de celle-là, dit-il. C’est simplement un conscrit
qui a eu sa première émotion. Mais croyez bien que, quand il
reviendra à lui, il racontera des choses horribles. <…>”100
A Manosque, elle prépare le pistolet pour se défendre. Cette
fois-ci, elle tire sur un des soldats au cours de combat. Cela montre
qu’elle a des capacités exceptionnelles. Dans cette scène, l’auteur ne
montre pas comment elle lutte contre ce soldat; il nous présente
seulement le résultat de l’action de cette femme qui a de quoi surprendre
Angelo.
1.2.3 Le changement dans la vie d’Angelo
Après la séparation avec Giuseppe, Angelo doit reprendre sa route
vers l’Italie. Mais à cause de la rencontre avec Pauline, il décide de
changer sa destination pour l’accompagner.
“Jamais Angelo n’avait été si heureux. Ce sentiment qu’il
connaissait fort bien, exprimé par une voix qui avait des inflexions
si jolies et par des yeux qui paraissaient être le plus beau du
monde.
<…>”101
Quand Angelo la retrouve sur la route et échange des propos avec
elle, il éprouve une émotion mystérieuse. La rencontre avec cette femme
annonce la découverte de l’objet de sa quête. En réalité, il s’était
réfugiéen France pour chercher Giuseppe, et aussi il cherchait quelque
chose qu’il ne connaissait pas. Il réussit à trouver Giuseppe et à ce
moment, il pourrait considérer sa mission comme achévée. Il n’a toutefois
pas encore accompli sa quête mystérieuse mais il rencontre Pauline. A ses
yeux, cette femme devient le tournant dans sa vie. Regardons le passage
suivant qui montre le sentiment d’Angelo pour Pauline :
“Je ne sais pas qui vous êtes. Je ne sais de vous qu’une chose ;
dans les occasions exceptionnelles, vous tenez le coup. C’est
pourquoi je vous ai parlé devant le barricade. Avec les autres,
j’étais seul contre les soldats, avec vous, je n’était plus seul. Quand
nous avons eu notre première algarade, je pouvais très bien
recevoir un coup de pointe par-derrière ; les dragons ne
100
101
Ibid. p. 306.
Ibid. p. 301.
72
plaisantaient pas. Si j’avais pu le craindre, j’aurais été obligé, pour
y parer, de faire voleter mon cheval d’une façon qui manque
d’élégance. Mais, je ne m’en suis pas soucié parce que je savais
que vous étiez là (bien que je vous aie crié de fuir et de vous tirer
d’affaire) ; cela m’a permis le brio qui donne tant de joie. Et,
naturellement, vous étiez là, votre petite main braquait le gros
pistolet sur le pauvre brigadier.”102
1.3 Le couple : Angelo et Pauline
Quand Angelo partage son voyage avec Pauline, il n’est plus
solitaire. Observons que cette fois, il a une destination précise,
contrairement au début. Mais à partir de ce moment où il voyage avec
Pauline, nous obtenons plus d’informations qu’avant. Le passé de ces
deux protagonistes apparaît alors dans leur conversation.
Le passage suivant montre que ce couple a une destination pour
son voyage.
“- D’où êtes-vous et où allez-vous ?
- Nous sommes de Gap, dit la jeune femme (Pauline) et nous
rentrons chez nous.>>
<…>
- Il vaudrait mieux nous laisser rentrer chez nous, dit doucement
mais avec beaucoup de gentillesse la jeune femme.”103
Ces quelques lignes nous déclarent immédiatement l’image du
couple qui voyage ensemble. En fait ils sont étrangers aux yeux de l’un
l’autre, mais la situation difficile ainsi peut permettre à ces deux jeunes
gens de faire connaissance. D’étrangers, ils deviennent amis qui doivent
lutter contre les obstacles trouvés pendant le chemin.
2. Les figurants
Au milieu du pays qui est ravagé par le choléra, nous distinguons
deux catégories de figurants qui jouent un rôle dans la trame du récit,
ceux qui agissent et ceux qui se soumettent.
102
103
Ibid. p. 389.
Ibid. pp. 362-363.
73
2.1 Ceux qui agissent
Les figurants de cette catégorie sont ceux qui luttent contre leur
destin mais chacun possède une façon différente.
2.1.1 Le petit Français
A Omergue, Angelo rencontre pour la première fois un village qui
est ravagé par le choléra. La plupart des villageois sont morts. Pour
Angelo, la cause de la mort reste encore mytérieuse. Le jeune médecin
français qu’il rencontre sur la route joue un rôle d’informateur qui lui
enseigne ce qui s’est passé dans la region et c’est lui qui montre le
traitement du choléra à Angelo. En soignant sérieusement les malades, il
fait preuve d’un dévouement qui force l’admiration d’Angelo.
“<<Reposez-vous, dit Angelo. – Foutre non, dit-il ; un coup
de drogue, et allons-y. Ils vont agoniser dans des coins
invraisemblables, parfois : j’aimerais bien en sauver un ou deux.
<…>”104
Ce médecin va partout pour lutter contre la maladie. Quand Angelo
le voit aussi fatigué, il lui conseille de se reposer mais le petit Français
refuse. Il veut continuer son travail même s’il ne parvient jamais à sauver
des malades.
“<<Et voilà, dit le jeune homme en se redressant. Je n’en
sauvrai pas un.- Ce n’est pas de votre faute, dit Angelo.
- Oh! ces fleurs-là>>, dit le jeune homme…
<…>
<<Désinfectez-vous>>, dit le jeune homme qui alla se
coucher dans l’herbe jaune,<…>”105
Ils étaient partis à Omergues pour soigner ceux qui ne sont pas
encore morts. Finalement, c’est lui-même qui est atteint du choléra.
Angelo essaie de le soigner mais sans succès. Finalement, le médecin a à
son tour une attaque de choléra. Le dévouement de ce médecin reste
toujours dans la mémoire d’Angelo.
“Il y avait encore un souffle de voix. Angelo colla son oreille
près de la bouche : <<Désinfectez-vous>>, disait le jeune homme.
Il mourut vers le soir.
104
105
Ibid. p. 61.
Ibid. p. 69.
74
<<Pauvre petit Français>>, dit Angelo.”106
Nous observons que ce médecin joue un rôle en donnant une leçon
scientifique à Angelo. C’est ce médecin qui lui montre les moyens de
soigner les malades. Avant de mourir, il prévient à Angelo de se protéger
de la maladie.
2.1.2 La nonne
Dans la ville désolée, se trouve un couvent où Angelo se réfugie
après être descendu des toits et où il rencontre une nonne qui va
l’emmener pour s’occuper des morts.
Regardons d’abord sa première apparition :
“En arrivant au coin de la galerie qui faisait le tour du jardin,
Angelo apperçut à l’autre bout un corps étendu sur les dalles. Il
avait tellement l’habitude des cadavres qu’il s’approchait
nonchalamment quand le corps se dressa, s’assit, puis se mit
debout. C’était une vieille nonne. Elle était ronde comme une
barrique. Deux griffes de petites moustaches noires agrafaient sa
bouche de chaque côté.”107
Comme les autres figurants que le narrateur met en scène il
présente la nonne pour la première fois avec simplement un profil, on la
voit de loin sans détail mais peu après son portrait est précisé. Dans ce
passage, nous suivons d’abord le regard d’Angelo qui voit les étapes des
actions de la nonne : “se dressa, s’assit, se mit debout.” Et plus le même
regard continue à décrire ce qu’il voit. Il nous donne l’apparence
physique de cette nonne : “Une nonne, ronde comme une barrique.”
Les lignes suivantes nous montrent le travail de cette vieille
nonne :
“La nonne ne soignait jamais. <<J’approprie, disait-elle. Ce sont
mes clients, j’en suis reponsable. Le jour de la résurrection ils seront
propres.”108
106
Ibid. p. 71.
Ibid. p. 187.
108
Ibid. p. 197.
107
75
Tandis que le petit Français soigne le corps des malades, la nonne,
elle, s’occupe de leur âme. Elle est le portrait de la religion. Son action de
laver les morts peut purifier les âmes des moribonds. Cette nonne apprend
l’acte charitable à Angelo, mais elle ne reste pas dans sa mémoire car
pour Angelo son acte est inutile.
2.1.3 Giuseppe
Il apparaît dans le roman pour la première fois dans le chapitre VI
et on apprend du même coup qu’Angelo était en route vers Manosque
pour le rencontrer. Il s’oppose à Angelo, parce qu’il ne veut pas le laisser
s’occuper des malades, jugeant que c’est trop dangeureux.
“<<Je n’aime pas non plus ce que tu fais, poursuivit-il.
Laisse-les mourir tranquilles, ne t’en mêle pas. Qu’est ce qu’ils te
sont ? Moi, je suis ton frère de lait et Lavinia est ma femme, sans
compter qu’elle a joué avec nous étant enfant. Et, pour t’occuper de
ceux qui ne te sont rien, tu risques de nous apporter le mal et de
nous faire mourir tous.>>109
Cet homme est le portrait de la politique. Pour lui, ce qui est
important c’est de se sauver pour organiser la révolution. Il méprise les
rites chevaleresques qu’Angelo admire.
2.2 Ceux qui se soumettent : Les bourgeois de Manosque
Nous pouvons dire que les bourgeois de Manosque représentent le
désordre. Ils ne croient pas à la maladie, ils pensent qu’ il y a quelqu’un
qui vient d’empoisonner la fontaine et accusent ceux qui on l’air suspect.
Cela nous montre aussi le mal qui commence à menacer les âmes des
gens :
“Il (Angelo) avait été trop alerté par les regards hypocrites et
les sourires pour ne pas sauter tout de suite dans une ruelle
d’ombre. Cependant, une main, le saisissant au passage, glissa le
long de son bras en déchirant sa chemise et une voix sourde où il y
avait de la haine dit : <<C’est l’empoissonneur.>>”110
109
110
Ibid. p. 276.
Ibid. p. 128.
76
b. Les acteurs non-humains
1. Le choléra et le mal : la peur et l’égoïsme
Nous pouvons dire que dans Le Hussard, le choléra joue un rôle
aussi important qu’Angelo parce que tous les deux apparaissent tout au
long du récit. Pour l’acteur humain, nous voyons le changement de son
état d’âme tandis que ce qui change pour ce qui concerne choléra est sa
puissance. Nous observons au début les cas de cette maladie qui
commence à répandre peu à peu dans la région , mais son rôle se
renforce. Regardons la phrase suivante :
“Maintenant, le choléra marchait comme un lion à travers
villes et bois.”111
Cette phrase nous montre que le choléra triomphe de tout, il peut
envahir dans tous les lieux. Il ne tue pas seulement la vie des gens, il
détruit aussi leur âme. Quand le choléra ravage, les gens ont peur de la
mort, puis la peur se développe en égoïsme. Le passage suivant nous
montre un autre aspect du choléra :
“La nuit facilitait l’égoïsme de tous. Les gens descendaient
leurs morts dans la rue et les jetaient sur les trottoirs. Ils avaient
hâte de s’en débarrasser. Ils avaient même jusqu’à les déposer
devant d’autres seuils. Ils se séparaient d’eux de toutes les façons.
L’important pour eux était de les chasser le plus vite possible et le
plus complètement qu’ils pouvaient de leur propre maison où ils
revenaient vite se terrer. <…> La nuit permettait à chacun de se
débrouiller tout seul.”112
111
112
Ibid. p. 289.
Ibid. p. 201.
77
2. L’air et la chaleur
Ce qui apparaît dès le début du récit c’est l’air et la chaleur. Nous
voyons la chaleur que l’auteur peint comme un décor du roman. Le
paysage inquiétant indique ainsi la situation anormale qui se répand dans
toute la région.
Regardons ces quelques lignes qui montrent le rôle de la chaleur
dans ce récit :
“Le soleil était haut ; il faisait très chaud mais il n’y avait pas
de lumière violente. Elle était très blanche et tellement écrasée
qu’elle semblait beurrer la terre avec un air épais.”
<…>
“Tout était tremblant et déformé de lumière intense et de
chaleur huileuse. Des poussières, des fumées ou des brouillards que
la terre exhalait sous les coups du soleil commençaient à s’élever
ça et là, d’éteules où la moisson était déjà raclée, de petits champs
de foin couleur de flammes et même des forêts où on sentait que la
chaleur était en train de cuire les dernières herbes fraîches.”113
3. Les oiseaux : l’indice du choléra
Au début, l’apparition des oiseaux dans ce roman indique que le
choléra commence à menacer chaque endroit. Les oiseaux, sourtout les
corbeaux, ne craignent pas les hommes. Ils les attaquent. L’image des
oiseaux sur les toits annonce aussi la mort. Nous voyons la première fois
des milliers d’oiseaux qu’Angelo rencontre des cas de choléra. Regardons
ce passage :
“Chose curieuse : les toits des maisons étaient couverts
d’oiseaux. Il y avait même des troupes de corbeaux par terre,
autour des seuils. A un moment donné, ces oiseaux s’envolèrent
tous ensemble et vinrent flotter en élevant jusqu’à la hauteur de la
passe où se trouvait Angelo. Il n’y avait pas que des corbeaux ;
mais égalemeent une foule de petits oiseaux à plumages éclatants :
rouges, jaunes, et même une grande abondance de turquins
qu’Angelo reconnut pour être des mésanges. Le nuage d’oiseaux
tourna en rond au-dessus du petit village puis retomba doucement
sur ses toits.”114
113
114
Ibid. pp. 13-16.
Ibid. p. 48.
78
Nous voyons encore l’expérience d’Angelo qui fait face aux
oiseaux sur les toits de Manosque. Observons ces quelques lignes :
“Comme il approchait d’une petite tour, Angelo fut
brusquement enveloppé dans une épaisse étoffe noire qui se mit à
voleter en craquant et en crissant. C’était un monceau de corneilles
qui venait de se soulever. Les oiseaux n’étaient pas craintifs. Ils
tournaient lourdement autour de lui sans s’éloigner, le frappant de
l’aile. Il se sentait dévisagé par des milliers de petits yeux d’or,
sinon méchant, en tout cas extraordinairement froids.”115
Ce passage montre l’image collective des petits oiseaux qui n’ont
pas peur des hommes. Ici, le choléra bouleverse l’ordre de la nature. Il
change le comportement des êtres-animés, les oiseaux sont aussi victimes
de ce phénomène.
C. L’analyse comparative
Regain et Le Hussard sur le toit racontent l’histoire d’un couple qui
doit lutter contre leur destin. Remarquons que ces deux romans présentent
des couples qui appartiennent à différentes classes sociales. Dans Regain,
Panturle est paysan et Arsule, une ancienne chanteuse qui est devenue la
servante de Gédémus, tandis qu’Angelo et Pauline dans Le Hussard sont
nobles. Pourtant, Giono utilise indifféremment le couple comme
protagonistes humains dans ces deux romans. Remarquons que ce n’est
pas la première fois que Giono utilise le couple dans ses romans.
Dans Regain la rencontre élucide la tranformation de la condition
de la vie des personnages humains et le changement du village. Tandis
que la rencontre dans Le Hussard ne change pas grande chose, ce qui est
changé c’est l’état d’âme des personnages. Nous voyons dès le début
jusqu’à la fin, qu’Angelo est un chevalier qui erre sur la route, prêt à
rendre service aux faibles. La rencontre avec Pauline bouleverse
seulement sa destination. Ce qui est changé c’est les sentiments d’Angelo,
il n’est plus un cavalier solitaire comme avant, il est le compagnon de
Pauline. Avec Pauline, il connait l’amour, même s’il reste platonique.
Tandis que dans Regain la rencontre ne montre pas l’amour, mais cela
montre l’envie de relation physique pour des raisons de reproduction,
pour eux-mêmes et pour le village.
Une autre remarque est que le couple de chaque roman représente
presque dans le même modèle mais il y a seulement un point différent :
115
Ibid. p. 147.
79
Regain
: Panturle (l’homme enraciné) + Arsule ( la vagabonde)
Le Hussard : Angelo (l’homme errant) +Pauline (la femme avec des
attachée)
Cela montre deux situations inverses sur le portrait. Panturle est
l’homme enraciné, Angelo, errant. Tandis que Arsule est vagabonde,
Pauline, femmede la noblesse et avec des attaches. Pourtant Giono donne
plus d’importance à la vie de Panturle et d’Angelo qu’à celle d’Arsule et
de Pauline. Ici, les femmes sont secondaires et dépendantes.
Parlons maintenant des figurants dans ces deux romans. Nous
constatons qu’ils possèdent tantôt une individualité, tantôt une fonction,
tantôt les deux. Dans Regain, les actions des figurants, comme la
Mamèche et Gaubert, agissent directement sur le changement de Panturle
et du village. Nous observons que les actions de chaque figurant sont des
actes de solidarité, leurs actions contribuant aux protagonistes. Quant aux
figurants du Hussard, ils se contentent de passer dans la vie d’Angelo.
Leur rôle n’a pas de prise sur le chemin d’Angelo. Il n’y en a qu’un seul
qui marque Angelo, c’est le petit Français, le premier personnage qui lui
présente la situation du choléra et montre le traitement pour soigner cette
maladie. Nous constatons que les différents figurants donnent une leçon
au héros, mais ils ne changent jamais le comportement ou l’apparence
d’Angelo. Sur ce point, la manière d’utiliser les figurants dans ces deux
romans est différente.
Dans Regain, Giono présente seulement un groupe de figurants qui
contribue à la réussite des deux protagonistes. Ce sont la Mamèche, qui
part pour chercher une femme pour Panturle, Gaubert, qui donne la
charrue pour labourer quand Panturle travaille dans les champs,
l’Amoureux qui prête de la sémence et un cheval. Seul, Gédémus qui
vient réclamer Arsule, ne les aide en rien mais son action ne produit pas
de changement sur Panturle ou la vie du village.
Dans Le Hussard, nous trouvons deux groupes de figurants, comme
il a été dit ceux qui agissent et ceux qui se soumettent. Les premiers
donnent à Angelo un modèle pour agir, ce sont le petit Français, le
représentant de la science, la nonne de la religion, Giuseppe de la
politique et le médecin philosophe de la philosophie. Tandis que ceux qui
se soumettent comme les bourgeois de Manosque peignent le portrait de
la dégradation de l’esprit. Mais parmi ces figurant, aucun n’a une grande
influence sur Angelo contrairement à ce qui se passe dans Regain.
Pourtant nous constatons que les figurants dans ces deux romans
ont une influence plus ou moins grande sur le changement des
protagonistes humains et non humains. Dans Regain, nous trouvons
80
qu’ ils sont complètement changés tandis que dans Le Hussard, Angelo
est changé partiellement, c’est son état d’âme mais rien ne change pour
ce qui est du choléra.
Maintenant, nous parlons des acteurs non-humains dans ces deux
romans. Ici nous pouvons diviser les non-humains en deux groupes, ceux
qui sont protagonistes et ceux qui sont des acteurs secondaires. Dans
Regain, c’est le village désert qui attend l’aide de Panturle. Dans
Le Hussard, c’est le choléra qui triomphe de tout. Un autre groupe c’est
les acteurs secondaires, dans Regain, c’est le vent qui irrite le désir
physique reproduction de Panturle et Arsule, la terre qui résiste au début
et qui à la fin, devient une alliée, l’eau qui contraint Panturle à trouver
une nouvelle vie, le feu qui est le compagnon et le symbole du foyer. Ces
quatre éléments sont aussi adjuvants qui aident Panturle et le village dans
la voie de la renaissance.
Quant aux acteurs non-humains secondaires du Hussard ce sont
l’air et la chaleur, les corbeaux qui contribuent seulement à l’atmosphère
inquiétante dans le roman. Nous observons que le choléra, le protagoniste
non-humain détruit l’ordre de la nature, nous trouvons le changement
dans le comportement des gens, des corbeaux et dans la condition de l’air
et la chaleur. Tout cela montre la mutation de la nature causée par le
choléra.
81
Chapitre III
Les modes de présentation du narrateur
Après avoir étudié la structure et les acteurs de ces deux romans,
nous allons maintenant analyser les modes de présentation du narrateur.
Les procédés de narration que l’on va examiner ici concernent les points
de vue, c’est-à-dire comment le narrateur présente les choses. Nous allons
diviser ce chapitre en trois aspects : le regard et la perspective, le discours
rapporté et les signes dans l’espace.
Le point de vue est “le regard porté sur les événements racontés, ou
la mémoire qui les restitue-regard et mémoire du narrateur ou d’un
personnage, qui nous informent des faits dont ils ont été le témoin, le
confident ou l’acteur.”116
Pour analyser cet aspect, nous devons définir deux termes
importants : le narrateur et la vision.
“Le narrateur est agent de tout ce travail de construction que nous
venons d’observer; par conséquent, tous les ingrédients de celui-là. C’est
le narrateur qui incarne les principes à partir desquels sont portés des
jugements de valeur, c’est lui qui dissimule ou révèle les pensées des
personnages, nous faisant ainsi partager sa conception de la
<<psychologie>>; c’est lui qui choisit entre le discours direct et le
discours transposé, entre l’ordre chronologique et les bouleversements
temporels. Il n’y a pas de récit sans narrateur.”117
Todorov distingue aussi trois types de perception :
“1. Narrateur > personnage (la vision <<par derrière>>). Le
narrateur en sait davantage que son personnage. Il ne se soucie pas de
nous expliquer comment il a acquis cette connaissance : il voit à travers
les murs de la maison aussi bien qu’à travers le crâne de son héros. Ses
personnages n’ont pas de secrets pour lui.
2. Narrateur = personnage (la vision <<avec>>). Dans ce cas le
narrateur en sait autant que le personnage, il ne peut nous fournir une
explication des événements avant que les personnages ne l’aient trouvée.
D’une part le récit peut être mené à la première personne ou à la troisième
personne, mais toujours suivant la vision qu’un des événements un même
personnage. D’autre part, le narrateur peut suivre un seul ou plusieurs
personnages.
116
Maurice MAUCUER. Le Hussard sur le toit, Profil d’une œuvre. Paris,
Hatier, 1995. p.40.
117
Todorov. Poétique 2 : Qu’est-ce que le structuralisme ? Paris, seuil, 1968.
p. 64.
82
3. Narrateur < personnage (la vision <<du dehors>>). Dans ce
troisième cas, le narrateur en sait moins que n’importe lequel des
personnages. Il peut nous décrire uniquement ce que l’on voit, entend,
etc. mais il n’a accès à aucune conscience. Le récit de ce genre est
beaucoup plus rare que les autres, et l’utilisation systématique de ce
procédé n’a été faite qu’au vingtième siècle.”118
En s’appuyant sur la classification de Todorov, nous pouvons
appliquer cette théorie pour analyser les romans choisis en ce qui
concerne le regard et la perspective.
A. Le regard et la perspective
Dans Regain et le Hussard sur le toit, La narration utilisée par
Giono relève du type 1 - le narrateur > personnages - mais les événements
sont toutefois rapportés selon plusieurs points de vue.
a. Le narrateur omniscient
Ce type de narrateur connaît les intentions des personnages119 et
n’apparaît jamais comme personnage. Il apporte simplement le rôle de
raconter ce qui se passe dans le récit. Il est omniprésent, apparaissant
partout, et il adopte parfois le point de vue de l’un de ses personnages.
1. Regain
Dans le premier chapitre, le narrateur conduit le lecteur dans la
diligence de Michel et nous guide pour suivre le trajet des voyageurs. Il
décrit d’abord le paysage au bord de la route et le lecteur ne sait pas
encore ce qui se passe, jusqu’au moment où le narrateur s’intéresse aux
voyageurs dans la diligence quand ils prennent le déjeuner. A ce momentlà, le narrateur nous guide pour nous faire savoir ce qui se passe dedans
sans faire le portrait des personnages dans la diligence. Il les utilise pour
présenter au lecteur un lieu dont on ne connaît pas encore l’histoire.
“On a beau partir plus tard de Manosque les jours où les
pratiques font passer l’heure, quand on arrive à Vachères, c’est
toujours midi.
Réglé comme une horlorge.
<…>
Sitôt après le détour <<d’Hôpital>>, voilà le clocher bleu
qui monte au-dessus des bois comme une fleur <…>
Le clocher de Vachères est tout bleu <…>.
118
119
Ibid. pp. 141-142.
Ibid. p.61.
83
Ceux qui voyagent dans la voiture de courrier le regardent
lontemps, ce clocher bleu, tout en mâchant l’andouillette. Ils
regardent longtemps parce que c’est le dernier clocher avant
d’entrer dans le bois, et que, vraiment, à partir d’ici le paysage
change.”120
Dans ce passage, nous voyons d’abord le trajet d’ensemble de cette
diligence et l’information n’est pas pertinente pour l’intrigue. Le
narrateur nous donne ensuite des informations sur Aubignane par
l’intermédiaire du récit d’un voyageur qui était un ancien habitant du
village. Puis, le narrateur nous fait approcher du chemin vers Aubignane.
Le village n’est encore qu’un élément parmi d’autres, il n’est pas encore
central dans le récit. Nous ne sommes pas encore au village et ce n’est
que dans le deuxième chapitre que le narrateur situe son récit en nous
présentant les habitants qui y vivent encore.
Dans ce deuxième chapitre, le regard du narrateur se focalise sur
Aubignane. Il regarde d’abord vaguement l’ensemble du village, puis il
envisage une maison dont il évoque le propriétaire. Là, le lecteur voit un
homme qui est le protagoniste principal du récit, comme il va l’apprendre
peu à peu.
“Aubignane est collé contre le tranchant du plateau comme
un petit nid de guêpes ; et c’est vrai, c’est là qu’ils ne sont plus que
trois. C’est donc des maisons qu’on a bâties là, <…>. Pas tout : il y
a une maison qui s’est comme décollée, qui a coulé du haut en bas,
toute seule, qui est venue s’arrêter, les quatre fers d’aplomb au
bord du ruisseau, à la fourche du ruisseau et de ce qu’ils appelaient
la route, là, contre un cyprès.
C’est la maison de Panturle.
Le Panturle est un homme énorme. <…>.”121
Dans ce passage, le narrateur guide le lecteur peu à peu vers la
maison de Panturle. La récit utilise ainsi à une technique du cinéma. C’est
la continuation du premier chapitre. Puis ce regard glisse vers un endroit
qui est nommé dès la première ligne. Le narrateur précise ainsi ce qu’il
avait déjà présenté dans la partie précédente qui offrait seulement un
regard général sur le pays. Maintenant le lecteur sait alors pourquoi on a
donné ces quelques informations sur le village désert et ses trois
120
121
Regain. pp. 1-3.
Ibid. p. 11.
84
habitants. Nous pouvons dire que l’information des voyageurs sur ce
village a pour fonction de présenter rapidement le village et sa situation.
Alors que dans le premier chapitre, ces détails perdus parmi d’autres ne
semblaient pas pertinents, ils acquièrent ici une importance nouvelle et
dès lors, le lecteur se doute que le village est le lieu central du récit.
Dans ce passage nous trouvons plusieurs points intéressants.
Premièrement, le narrateur continue le récit d’un des voyageurs de la
diligence en confirmant que dans le village il ne reste que trois habitants.
De la sorte, dans le récit s’entremêlent en se prolongeant des récits du
narrateur et ceux d’autres personnages. Après, le narrateur continue à
décrire le paysage de ce village. La description nous montre ainsi les
différentes parties du village. Le narrateur pose le lieu où se situe le récit,
avant de présenter le protagoniste humain. Il commence ce chapitre en
présentant les deux protagonistes principaux, Panturle et le village. Puis
le narrateur présente rapidement les trois personnages restant au village
en racontant en quelques mots leur histoire et en faisant une esquisse de
leur aspect physique.
Une autre remarque qui peut montrer le statut du narrateur
omniscient qui peut voir dans la tête des personnages est la scène où
Panturle demande du blé à l’Amoureux. La femme de l’Amoureux va
alors chercher la provision pour Panturle :
“- Prends-le tout, alors, dit Alphonsine (la femme de l’Amoureux).
De voir qu’on lui (Panturle) donne tout, ça lui fait douleur, ça lui
fait cligner les yeux comme s’il mâchait du laurier.”122
Une autre scène qui peut exprimer la qualité du narrateur
omniscient c’est quand Panturle est en train de parler avec la Mamèche
après le départ de Gaubert :
“Ils sont comme un long moment sans rien dire.
- Fils, dit la femme.
- La mère ! répond Panturle.
Parce que, tout soudain, dans ce silence qu’ils ont eu, il a pensé
à sa mère, morte aussi et mangée par l’osier, en bas…”123
Ce passage reflète la pensée de Panturle qui est perçue par le
narrateur. Nous pouvons dire que le narrateur voit l’émotion de la
122
123
Ibid. p. 95.
Ibid. p. 24.
85
Mamèche qui comprend les sentiments de Panturle après le départ de
Gaubert. Donc, elle dit <<Fils>> pour le soulager.
On trouve aussi parfois des passages où le narrateur émet un
jugement sur ses personnages. La scène qui suit se passe quand Gédémus
parle d’une femme nommée Arsule qu’il a ramasser dans la rue. Certes,
son interlocuteur connaît bien cette femme, mais pour le lecteur c’est la
première fois qu’il entend parler d’elle.
Ce récit intervient quand Gedémus entre dans le tabac pour faire
des provisions de cigarettes pour un long voyage :
“- Tu mènes Arsule ?
- Tu veux que je la laisse ?
- Non, mais c’est pour dire. Tu es un bandit, Gédémus ; tu ne
peux plus vivre sans cette femme.
- Ah! Tu te fais des idées. A mon âge…ça te passera avant que ça
me revienne. Tu ne vois pas que je lui fais traîner la voiture ?
Arsule?
Ah, c’est toute une histoire !
Arsule, elle s’est d’abord apellée Irène.<…>(le retour en
arrière)
Dans le village, on l’a appellée Arsule. C’est plus facile à
dire qu’Irène c’est un nom de la ville, et puis c’est un mensonge.
Arsule, c’est le nom qui est ici. Depuis ce temps, elle reste avec
Gédémus. Elle lui fait la soupe.
Et tout.”124
Après avoir parlé avec quelqu’un qu’il connaît, une question est
posée : Qui est Arsule? Ici c’est la manière de présenter le personnage. Il
en est question par deux personnage qui la connaissent bien et ensuite par
le narrateur qui nous raconte son histoire. Avant de passer à l’histoire
d’Arsule, nous voyons un espace typographique, utilisé pour passer d’une
partie à une autre dans le même chapitre, c’est-à-dire le retour en arrière
sur le passé d’Irène.
Dans ce passage nous voyons le passé d’Arsule, par le regard du
narrateur qui parle de cette femme avec un ton apitoyé. Le changement
du nom de cette femme. Melle Irène le nom de la ville et Arsule le nom
qui est ici. Il a pitié d’elle et la montre dans des situations humiliantes.
124
Ibid. pp. 38-41.
86
2. Le Hussard sur le toit
Comme dans Regain, l’histoire du Hussard est racontée par le
narrateur de type 1, c’est-à-dire le narrateur qui connaît les sentiments de
ses personnages. Observons la manière que le narrateur utilise pour
regarder Angelo, le protagoniste principal, dans une des premières scènes
du roman.
“Il n’y avait dans la cuisine qu’un vieillard et beaucoup de
mouches. Cependant, sur le poêle bas, enragé de feu, à côté d’une
chaudronnée de son pour les cochons, la cafetière soufflait une si
bonne odeur qu’Angelo trouva cette pièce toute noire de suie tout à
fait charmante. Le son pour les cochons lui-même parlait un
langage magnifique à son estomac peu satisfait de son souper de
pain sec.”125
Cette scène se produit après le réveil d’Angelo dans la nature; il a
faim et il veut quelque chose à manger. Il s’arrête à la première ferme
qu’il voit. Le narrateur guide notre regard dans la cuisine de cette maison.
Au début, nous voyons la description extérieure par les yeux d’Angelo.
Puis le narrateur mentionne l’odeur de café en incluant à la fin de la
phrase un jugement du personnage sur ce qu’il a vu et senti :
<<….Angelo trouva cette pièce toute noire de suie tout à fait
charmante>>. Par ces quelques mots nous voyons la contradiction entre
l’image dégoûtante et les sentiments du protagoniste. Bien que la cuisine
soit noire et pleine de mouches, Angelo la trouve charmante. C’est une
image paradoxale du sentiment et de l’atmosphère.
Maintenant, regardonsons un autre exemple, avec un passage que
se trouve peu après celui qui vient d’être cité, qui nous montre le
jugement du narrateur sur son personnage :
“Elle (la propriétaire de la ferme) refusa d’être payée (pour
la nourriture qu’elle lui avait offerte) et même se mit à rire parce
qu’il insistait, et elle repoussa le porte-monnaie sans façon. Angelo
souffrit d’être très gauche et très ridicule : il aurait bien voulu
pouvoir payer et avoir le droit de se retirer avec cet air sec et
détaché qui était la défense habituelle de sa timidité. Il fit
rapidement quelques amabilités, et mit le porte-monnaie dans sa
poche.
125
Le Hussard sur le toit. p 12.
87
La femme lui montra sa route qui, de l’autre côté de la
vallée, montait dans les chênaies. Angelo marcha un bon moment
de silence, dans la petite plaine à travers des prés très vert. Il était
fortement impressionné par la nourriture qui avait laissé un goût
très agréable dans sa bouche. Enfin, il soupira et se mit son cheval
au trot.”126
Dans ce passage, nous voyons Angelo émettre un avis qu’il tait.
Sur ce point, le narrateur nous montre le sentiment d’Angelo et il donne
aussi son jugement : Angelo souffrit d’être très gauche et très ridicule. Le
narrateur montre le sentiment d’Angelo par le verbe <<souffrir>> et en
plus il le commente par les adjectifs <<très gauche et très ridicule>>. Un
autre remarque est que le narrateur ajoute un signe extérieur qui montre le
symptôme : Il soupira… mais il ne donne pas l’explication sur ce qu’il a
déjà évoqué.
Aussi, dans Le Hussard, il est fréquent que les personnages soient
montrés par un simple détail de leur habillement ou de leur apparence,
c’est-à-dire à travers le regard morcelé, procédé que l’on ne trouve pas
dans Regain.
Le lecteur ne voit pas les personnages directement mais par
l’intermédiare d’une petite partie de leur apparence. La citation suivante
illustre cette technique :
“Elle (la route) était droite et il avait fait à peine une centaine
de pas qu’il vit un cavalier qui venait au trot. Et même qui menait
par la bride quelque chose qui devait être le cheval échappé. En fait
Angelo reconnut son cheval. L’homme montait comme un sac de
cuillers. <<Attention, se dit Angelo, à ne pas perdre la face devant
un paysan qui va certainement rester bouche bée de la belle histoire
que tu vas lui raconter, mais après fera des gorges chaudes de ton
visage défait.>> Cela lui redonna des jambes et il attendit, raide
comme un piquet, en préparant une petite phrase très désinvolte.
Le cavalier était un jeune homme osseux à qui les secousses
du trot faisaient sauter de longs bras et de longues jambes. Il était
sans chapeau, quoique vêtu d’une redingote bourgeoise, et sans
cravate ; la redingote d’ailleurs était toute salie de poussière de foin
126
Ibid. p. 13.
88
et même de la saleté plus grossière, comme s’il sortait d’un
poulailler.”127
Cette scène raconte la rencontre d’Angelo avec le petit Français
dont nous prenons connaissance par bribes. D’abord, le narrateur, du
point de vue d’Angelo, voit de loin un cavalier. Mais ce qu’il voit ici
n’est pas encore très clair. Puis on voit qu’il n’est pas seul, il tient un
autre cheval et le regard d’Angelo passe rapidement de l’homme au
cheval qu’Angelo reconnaît comme le sien. Puis le regard retourne à
l’homme, avec un jugement d’Angelo aux styles indirect et puis direct.
C’est la technique de changement de point de vue, c’est-à-dire que l’on
voit d’abord l’apparence, puis on entre à l’intérieur de la pensée et puis
on apprend son jugement. Le narrateur nous mène ensuite à regarder
certaines parties du corps : <<de longs bras et de longues jambes.>>
Ensuite, il fait passer son regard plus haut vers la tête : <<Il était sans
chapeau.>> Et après, il présente une vue ensemble de cet homme : avec
les vêtements qu’il porte <<la redingote toute salie.>>
Un autre passage peut illustrer cette technique de description
partielle lorsque Angelo, accompagné de Pauline, rencontre le médecin
philosophe :
“Ils (Angelo et Pauline) étaient là depuis un certain temps
fort déconcertés par la violence de l’orage quand ils entendirent un
bruit étrange : c’était celui que faisait l’averse sur un grand
parapluie bleu.
L’ustensile étonnant par sa couleur et ses dimensions
semblait lutter seul contre la bourrasque tant il dissimulait
parfaitement celui qui le portait. C’etait cependant un gros homme
jovial, sangle dans redingote très insolite.”128
Dans cette scène, le lecteur suit le regard d’Angelo qui est attiré par
<<un bruit étrange>> au milieu de l’orage. Après, nous comprenons que
c’est le bruit de la pluie sur un parapluie, ensuite, apparaît un personnage
qui tient le parapluie. Cette description commence ainsi par un objet puis
élargit pour montrer le personnage dans sa totalité.
127
128
Ibid. p. 55.
Ibid. p. 459.
89
b. Le jeu des regards
1. Regain
Une autre technique utilisée dans Regain consiste à raconter une
même scène selon deux points de vue différents.
“la pluralité des perceptions nous donne une vision plus
complexe du phénomène décrit. D’autre part, les descriptions d’un
même événement nous permettent de concentrer notre attention sur
le personnage qui le perçoit car nous connaissons déjà
l’histoire.”129
Cette analyse de Todorov apporte une explication à une scène qui
est vue deux fois successivement par le regard de deux protagonistes.
Cela est plus complexe et centrée à la vision de chaque personnage.
Dans Regain, comme le narrateur est omniprésent et omniscient, il
peut voir à la fois avec les yeux de Panturle et d’Arsule. Il est aussi
omniscient en entrant dans la pensée de ces deux protagonistes.
La scène suivante se produit quand Arsule arrive à Aubignane
tandis que Panturle vient de retourner à la maison avec le corps
ensanglanté d’un renard.
1.1 Aux yeux d’Arsule :
“Devant la maison, il y a de l’herbe verte et douce. Il y a le
cyprès et, comme un fait exprès, une voix bonne à entendre, douce
à l’oreille. Et puis il y a des abeilles qui ont niché sous une tuile et
qui grondent là, dans le ciel. Et puis, comme un miracle, à n’y pas
croire, à s’en frotter les yeux, il y a un tout petit lilas fleuri.
<…>
Elle (Arsule) est assise dans l’herbe <…>.
Elle ouvre son corsage. Elle sort ses seins. Ils sont durs et
chauds et elle en a un dans ses mains…
C’est à ce moment-là qu’elle a vu sur le seuil blanc de la
porte une flaque de sang épaisse comme une pivoine.”130
Nous prenons connaissance d’abord de la perception d’Arsule qui
regarde avec un regard objectif. Elle regarde les choses avec une certaine
129
Tzvetan TODOROV. “Les catégories du récit littéraire” in La
Communication No 8. p.142.
130
Ibid. p. 58.
90
émotion mais sans que ce qu’elle voit ait une valeur affective. Dans cette
scène, Arsule regarde les choses point par point : <<l’herbre verte, le
cyprès, des abeilles, le lilas fleuri>>. Puis le narrateur reprend la parole.
Cette fois Arsule est regardée de l’extérieur. Le narrateur décrit l’action
de la femme d’un point de vue contradictoire : <<Elle ouvre son corsage.
Elle sort ses seins. Ils sont durs et chauds et elle en a un dans ses
mains…>>. A la fin le narrateur partage le regard d’Arsule quand elle
voit la trace de sang au seuil de la maison. Le regard d’Arsule s’arrête. Il
n’y a pas de commentaire sur ce qu’elle voit.
A quelques pages suivantes, nous trouvons la même scène, mais
cette fois vue par les yeux de Panturle.
1.2 Aux yeux de Panturle :
“Il (Panturle) est revenu à la maison. <…>.
Il a pendu le renard sur son seuil pour écorcher. <…>
Il y a aussi du sang sur l’escalier de la porte.
<…>.
Il les (Gédémus et Arsule) voit. Il la voit.
Il est dans l’ombre. Eux aux soleil. C’est la chasse. Elle est
jeune !
D’un bond, sans prendre garde au bruit qu’il fait, il se
dresse, il se rue vers l’escalier, car là-bas la femme a ouvert son
corsage. Elle tient ses mamelles dans ses mains.
<…>.
Le cyprès, le lilas, avec sa fleur à motié rongée par Caroline,
les abeilles du toit qui montent et descendent et un petit vent dans
le clocher, là-haut.
<…>
Mais, là, dans l’herbe, une tache ronde, un nid…La femme
était là.
<…>”131
Dans ce cas, nous suivons les pas de Panturle qui vient de rentrer
de la chasse. Devant la maison, il y a la trace de sang du renard. Sur ce
point, l’ordre du récit selon le regard de Panturle est inversé en
comparaison de celui d’Arsule. Ici, le narrateur commence par le dernier
élément que voit Arsule. Puis il montre l’apparition de la femme devant
la maison, la femme à moitié nue fait naître un désir chez lui. Nous
voyons sur ce point que le narrateur comprend ce qui se passe dans
131
Ibid. pp. 66-68.
91
l’esprit de Panturle. Dans cette scène, les mêmes éléments se répètent :
<< Le cyprès, le lilas, les abeilles>>.
A la fin, Panturle fixe le regard à l’endroit où était assise Arsule :
<<là, dans l’herbe, une tache ronde, un nid…La femme était là.>> Pour
Panturle, cette image est chargée d’histoire et de sens. Ici, les mots “une
tache ronde” et “un nid” reflètent la pulsion instinctive de Panturle.
La remarque sur cette scène est que le regard de Panturle sur
Arsule nous fait allusion à la scène où il traque le renard :
“Une bête est venue jouer dans la prairie. Ce devait être une
femelle de blaireau. Elle s’est mise sur le dos, le ventre en air, un
beau ventre large et velouté comme la nuit et qui a été plein et
lourd.”132
Chez Panturle la scène précédente exprime ses pulsions sexuelles
par le rappel : la fleur est rongée par Caroline qui n’a plus de lait, la
fouille dans le ventre du renard, l’observation de la nature qui se
reproduit et le rappel sur le lieu. Donc, quand il voit Arsule, sa pulsion est
forte, il a des désirs sexuels.
2. Le Hussard sur le toit
Dans Le Hussard, nous trouvons un autre procédé qui ne consiste
pas à faire regarder la même scène par deux personnages comme dans
Regain mais à présenter différentes scènes qui se passent au même
moment à des endroits différents en raison de l’omniprésence du
narrateur.
Prenons un passage du préambule pour voir la manière de présenter
le manière simultanée :
“Toute cette barbarie n’était pas seulement dans le sommeil
rouge d’Angelo. Il n’y avait jamais eu un été semblable dans les
collines. D’ailleurs, ce jour-là, cette même chaleur noire commença
à déferler en vagues tout de suite très brutales sur le pays du sud :
sur les solitudes du Var <…>, sur Marseille <…>. A Aix <…>. A
Rians, il y eut ,<…>,deux malades, un charretier qui eut une
attaque juste à l’entrée du bourg ; porté dans un cabaret, mis à
l’ombre et saigné, il n’avait pas encore repris l’usage de la parole :
et une jeune fille de vingt ans qui, à peu près à la même heure se
132
Regain. p. 64.
92
souilla brusquement debout près de la fontaine où elle venait de
boire ; ayant essayé de courir jusque chez elle qui était à deux pas,
elle tomba comme une masse sur le seuil de sa porte. A l’heure où
Angelo dormait sur son cheval, on disait qu’elle était morte.”133
Dans ce passage, nous voyons des faits étranges qui se produisent
dans la région. Nous ne savons pas encore ce qui se passe et pourquoi il y
a des malades. Ici, le narrateur est omniprésent, c’est –à –dire qu’il sait ce
qui se passe partout : il peut voir la situation dans différents endroits :
“dans les Var, sur Marseille , à Aix, à Rians. ” Mais le narrateur ne quitte
jamais pour autant Angelo. Il fait la description de la situation dans
différents endroits mais il retourne toujours à Angelo. Quand il montre le
cas de deux malades, il annonce la mort de la fille après avoir dit ce
qu’Angelo faisait précisement au même moment.
Nous observons qu’au moment où l’épidémie s’est déclarée, tout
est en désordre. Giono nous présente cela avec des phrases complexes qui
contiennent plusieurs informations. Il y a à la fois la description de la
nature, des événements qui se produisent dans chaque région et le récit du
parcours d’Angelo.
“A Draguignan, les collines renvoient la chaleur dans cette
cuvette où se tient la ville ; <…>, il faisait cette fois tellement
chaud qu’on avait envie de les agrandir à coups de pioche pour
pouvoir respirer. Tout le monde s’en alla dans les champs ;<…>;
on mangea des melons et des abricots <…>.
On mangea également du melon à la Valette et, juste au
moment où Angelo passait sous les rochers d’où coulait l’odeur des
œufs pourris , <…>.
On mangea formidablement des melons dans la vallée du
Rhône. <…>
Il y avait énormément de melons dans les villes et les
villages de toute cette vallée. La chaleur leur avait été favorable. Il
était impossible de songer à manger quoi que ce soit : pain, viande
faisaient lever le cœur rien qu’idée. On mangeait des melons.
<…>”134
Nous retrouvons que la technique décrite plus haut dans ce passage
où le lecteur suit les pas d’Angelo en même temps mais avec une
133
134
Le Hussard sur le toit. pp. 24-25.
Ibid. pp. 25-26.
93
différence : dans cette partie, le narrateur repète certains mots plusieurs
fois sous une forme ou sous une autre. Mais ce qui est changé est
l’utilisation d’adverbes. Nous voyons <<également, formidablement et
énormément>>. Ces trois adverbes évoquent l’évolution d’un certain fait
étrange. L’ambiance créée par le narrateur nous donne une impression
inquiétante. Ici, l’histoire de melon est liée à celle de choléra.
Peu après, le narrateur nous fait rapidement le résumé de la
situation de la maladie en général avant d’apporter plus de précisions sur
certaines régions et certains personnages :
“A Orange, Avignon, Apt, Manosque, Arles, Tarascon,
Nîmes, Montpellier, Aix, La Valette,<…>, Draguignan, et jusqu’au
bord de mer, à peine si l’on eut (mais dès le début de l’après-midi,
il est vrai ; au moment où Angelo dans son sommeil, secoué par le
pas du cheval, avait envie de vomir), à peine si l’on eut à
s’inquiéter d’une morte ou deux dans chaque endroit et de quelques
indispositions plus ou moins graves, toutes mises sur compte de
ces melons et tomates qu’on mangeait partout sans retenue. On
soigna ces malades avec de l’élixir parégorique sur des morceaux
de sucre.”135
Après cette scène, le regard du narrateur ne passe plus d’une région
à l’autre. A partir de ce moment, il se concentre au même moment sur
seulement quatre personnages : un médecin juif à Carpentras, un médecin
inspecteur de la marine de guerre à Toulon, Madame de Théus à la
Valette, et surtout, Angelo sur la route.
“Angelo se remit en route.
<…>
C’était le même moment où le médecin inspecteur de la
marine disait : <<Tant pis>> et s’en retournait dans Toulon. C’était
aussi exactement le moment où le médecin juif était rentré
précipitement chez lui, ayant parlé à sa femme, lui ayant fait
préparer une petite valise pour elle et leur petit fille de douze ans,
cette femme grasse, aux yeux de bœuf et nez d’aigle quittait
Carpentras <…> A ce moment là, Angelo voyait les splendeurs
barbares du terrible été dans les hautes collines : <…> A cet
instant précis où il (Angelo) se demandait pour la centième fois si
le soir viendrait-s’étant tourné cent fois vers l’est,
135
Ibid. pp. 28-29.
94
imperturbablement d’ocre pur-le temps s’était arrêté à la Valette où
la femme de cuisine pourrissait avec une extraordinaire vitesse
devant les quelques personnes du village, plus la jeune madame,
restée là pour faire honneur à la morte <…>. Angelo voyait peu à
peu s’ouvrir autour de lui la région de châtaigneraies trouées de
rochers et de villages qu’il avait vue, dès le matin, du haut de la
première colline. <…>. A l’heure même où, devant le cadavre, la
jeune madame pensait : <<Il y a à peine quelques heures que j’ai
envoyé cette femme en bas pour aller m’acheter des melons>> .”136
Cette longue citation, d’ailleurs écourtée, forme un seul
paragraphe. Nous pouvons dire que c’est la réflexion du narrateur qui se
concentre surtout sur ces quatre lieux. Pour ce qui concerne Angelo, le
narrateur le présente en même temps qu’une description de la nature. Le
narrateur voit la route comme Angelo. Nous apprenons peu de sa pensée.
Nous suivons seulement son regard de voyageur qui cherche sa route.137
Pour les autres personnages, on ne connaît pas beaucoup de détails sur
eux. Nous savons seulement où ils sont, et très peu ce qu’ils font. Le
narrateur nous donne un peu plus d’informations sur la famille du
médecin juif. Nous avons le portrait de sa femme, l’âge de sa fille mais
tout cela n’est pas pertinent pour le récit. Pour le médecin inspecteur, le
narrateur nous rapporte ses propos par discours direct :<<Tant pis>>
mais cela n’a pas encore de sens pour nous. Pour ce qui est de Madame
de Théus, c’est le seul personnage que le narrateur perçoit dans la tête, en
plus d’Angelo, dans duquel le narrateur nous fait pénétrer. Mais pour les
deux autres, l’information donnée par le narrateur ne contribue pas au
récit mais à l’atmosphère.
Ce qui est intéressant dans ce passage est la manière de présenter
les choses du narrateur. Il emprunte le regard de chaque personnage qui
est dans une région différente pour évoquer les situations. Peu après, il
s’arrête sur chacun des personnages pour observer de près ses activités,
et il nous transmet aussi la pensée des deux médecins. Cependant, ce qu’il
nous rapporte jusqu’à la fin de chapitre ne permet pas de dissiper le
doute. Il se contente d’installer une atmosphère inquiétante.
La vision simultanée de cette partie se termine avec la cérémonie
d’enterrement de la femme de cuisine de Madame de Théus. Et après le
136
Ibid. pp. 31-32.
Maurice MAUCUER. Le Hussard sur le toit, Profil d’une œuvre. Paris,
Hatier, 1995. p.42.
137
95
regard du narrateur se fixe sur Angelo qui est toujours sur la route. Dès
ce moment-là, nous ne trouvons nulle part dans le récit ce type de vision
simultanée mais au contraire…
B. Le discours rapporté
Le dialogue dans le récit littéraire est le produit de la transposition
de discours oral en discours écrit. Nous trouvons trois types de discours :
- Le discours direct défini ou le dialogue, les propos des
personnages sont rapportés entre guillemets ou introduits par
un tiret.
- Le discours indirect qui est la transposition de la parole dans
le récit avec un verbe introductif (ex : Il dit que…).
- Le discours indirect libre est un mélange de deux types
précédents mais nous ne trouvons pas de verbe introductif.138
Regardons comment ces trois types sont représentés en observant
d’abord Regain.
a. Regain
1. Le discours direct
1.1 Des phrases courtes mais lourdes de sens
La scène suivante a lieu au moment où Panturle et Arsule viennent
de voir l’Amoureux au lieu de rendez-vous pour recevoir les semences.
Ce passage est un bon exemple de la forme que Giono donne au
dialogues.
“Ils (Panturle et Arsule) sont allés chercher le blé.
L’Amoureux les attendait à Reine-Porque. Les sacs étaient
déchargés près de la fontaine.
- Tu vois, il a dit à l’Amoureux, ça c’est ma femme.
Et à Arsule :
- Ça tu vois, c’est un ami, ah oui !
- Il faudra venir un jour à la maison, a dit l’Amoureux, ça
fera plaisir à Alphonsine.
Et il est reparti avec sa charette.
Il y avait six gros sacs de blé près de la fontaine.
Panturle s’en est chargé un sur le dos.
138
Eric BORDAS. L’analyse littéraire : notion et repère. Paris, Nathan, 2002.
pp.133-134.
96
- Je vais et je reviens ; toi, tu gardes les sacs pendant.
Comme ça jusqu’au dernier.
Avec celui-là sur l’épaule il a dit.
- On a gagné la journée. On revient par plateau. J’en ai assez
de monter, descendre.”139
Nous pouvons dire que la structure de ce dialogue est très simple
mais lourde de sens. Observons l’utilisation de la phrase simple avec
<<Sujet + Verbe + Complément d’objet.>> Nous pouvons voir dès le
commencement quand Panturle présente Arsule à un ami : “Tu vois, ça
c’est ma femme” et “ça tu vois, c’est un ami, ah oui !” L’auteur utilise
“ça” pour présenter une personne à une autre. La phrase courte donne peu
d’informations. Dans le roman, le narrateur ne fait jamais le récit de la
relation de Panturle et l’Amoureux. Sur ce point, nous voyons aussi des
allusions à des événements qui ont eu lieu avant. Pour Arsule, elle sait
que Panturle va demander de l’aide à un ami qui habite dans le village
voisin. Pour l’Amoureux, Panturle l’informe qu’il a une femme. Mais
tous les deux ne sont pas encore rencontrés. Et cette fois, le rendez-vous
leur permet de se voir l’un l’autre. Une autre remarque est que ce
dialogue est sous une forme réduite au minimum. Le narrateur ne donne
pas le reste de cette conversation. Il donne seulement quelques signes
extérieurs comme : “c’est un ami” et “Il faudra venir un jour à la maison,
<…>, ça fera plaisir à Alphonsine.” Tout cela évoque l’amitié de ces
deux hommes.
1.2 Les propos rapportés par les personnages
Le passage que nous allons regarder est la scène où Panturle
raconte l’histoire de la Mamèche à Arsule après avoir trouvé son corps
sur le plateau.
“Le soir, il s’est mis sur la pierre de l’âtre et il s’est mis à
parler.
- Une ici qui aurait eu plaisir à nous voir ensemble.
- Qui ça ? a demandé Arsule.
- Une d’ici. On y disait la Mamèche. Elle était tout le temps
à me dire : “Prends femme, prends.” Tant qu’elle avait dit : “Et si
tu veux je vais te la chercher.” Tant qu’elle a dû partir pour y aller.
A ça Arsule n’avait que répondre, sauf à tirer sa petite moue.
139
Regain. p. 103.
97
- …tant qu’elle a dû partir pour y aller et qu’elle y est
morte.”140
Dans ce passage, nous lisons un dialogue directe où sont rapportés
des propos d’un autre personnage. Panturle raconte à Arsule que la
Mamèche insistait pour qu’il prenne une femme. Ici, Panturle rapporte les
paroles de la Mamèche : “Prends Femme, prends.”,“Et si tu veux je vais
te la chercher.” Le lecteur sait déjà cela. Le fait est ainsi parce que le
narrateur veut que la Mamèche est un des éléments qui ont mené ces deux
personnes à se rencontrer pour faire revivre le village.
1.3 La suggestion
Le passage qui suit se passe après le rendez-vous avec l’Amoureux,
Panturle prépare l’équipement avant d’aller travailler dans les champs.
“Pendant trois jours, ça a été comme sur un navire. Pas de
répit. Toujours la main sur quelque chose. Le premier jour, tout le
temps, c’était des : <<Arsule, donne-moi le tournevis.>> <<Arsule,
en fouillant, t’as jamais vu une boîte comme ça où il y avait des
outils ?>>
Et puis à la fin, vers le soir, il a crié : <<Arsule, viens
voir.>> Et voilà : devant la maison, dans l’herbe fraîche, posée sur
le pré comme sauterelle, il y avait la charrue toute prête.
- Avec ça…a fait Panturle.”141
Par cette scène nous voyons que, en travaillant, Panturle parle avec
sa femme. Le narrateur rapporte seulement les propos de Panturle et non
ceux d’Arsule et ne nous montre pas ce que Panturle est en train de faire.
Il se contente de le suggérer. Il informe le lecteur par des paroles non
explicites pour la compréhension du récit.
2. Le discours indirect : la pensée inconnue du
personnage
Le récit des rêves montre que le narrateur peut pénétrer dans la tête
du personnage. Ici, Panturle rêve d’une femme, son rêve reflète sa
pulsion :
140
141
Ibid. p.106.
Ibid. p.107.
98
“Il s’est recouché, il s’est endormi, et, tout de suite cette
femme qu’il veut, il l’a eue là, allongée contre lui. C’est de la
chair blanche , c’est contre lui du genou jusqu’à la poitrine. Il
s’est réveillé comme un bloc de bois qui a plongé remonte audessous de l’eau. Il est étendu sur le ventre. Il s’est remis sur le
dos.”142
3. Le discours indirect libre : la remarque du narrateur
Le passage suivant se situe au moment où Arsule et Gédémus
arrivent au village. Le narrateur présente les bruits que Panturle entend et
il y ajoute certaines remarques que se fait le personnage :
“On entend marcher sur le chemin du village. Il écoute, et
c’est bien un pas qui bouge sur les pierres.
La Mamèche ?
Non, une voix d’un homme, et puis un autre voix répond qui
lui fait tressaillir tout le cœur et lui jette à la figure toute la chaude
honte d’avoir patouillé avec les mains dans le sang (du renard).
<…>
Il n’ettend plus de bruit. Il sait qu’ils se sont couchés dans
l’herbe. Il se baisse. Il délace ses grands souliers. Il va sur ses pieds
nus jusqu’à la porte. Oui, il sont là.
Pour les voir ?…Du grenier…”143
Dès le début du passage, nous trouvons d’abord le pronom
personnel “on”. Ici, le narrateur centre son attention sur Panturle, donc
celui-ci fait partie de l’expérience de ce “on”. Le narrateur peut partager
cette sensation. Panturle se questionne dans sa tête “La Mamèche ?” La
reflexion de Panturle est transmise en forme de discours indirect libre.
Sur ce point le lecteur peut partager le point de vue du protagoniste qui
fixe son attention sur les bruits de conversation des nouveaux visiteurs. Il
s’interroge dans la tête et il se fait aussi une remarque : “Oui, ils sont là.”
142
143
Ibid. p. 64.
Ibid. pp. 66-67.
99
b. Le Hussard sur le toit
1. Le discours direct
1.1 Des phrases courtes
Le passage suivant est la conversation entre Angelo et la nonne. et
se situe après la descente des toits d’Angelo :
“<<Qu’est-ce que tu veux ? dit-elle
- Rien, dit Angelo.
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- Rien.
- As-tu peur ?
- Ça dépend de quoi.
- Ah ! Tu es de ceux-là qui font dépendre leur peur de quelque
chose ! Et de l’enfer, as-tu peur ?
- Oui, ma mère.
- Eh ! bien, est-ce que ça ne suffit pas ? Veux–tu m’aider, mon
petit ?
- Oui, ma mère.
- Bénie soit la gloire du Seigneur en son siège ! Il ne pouvait pas
m’abandonner. Es-tu fort ?
- Moins que d’ordinaire parce que je n’ai pas mangé à ma faim
depuis quelques jours, mais j’ai de la bonne volonté.
- Ne flatte pas. Pourquoi n’as-tu pas mangé à ta faim ?
- Je suis perdu dans cette ville.
- Tout le monde est perdu dans cette ville. Tout le monde est
perdu partout. Alors tu crois qu’en mangeant tu seras fort ?
- Il me semble.
- Il me semble. C’est juste. Eh ! bien, viens manger.>>
Elle lui donne du fromage de chèvre. <<Ces gens ne vivent que
de fromage de chèvre>>, se dit Angelo.
<…>
- Je te materai, dit-elle. Prends ça et mets-le.>>
C’était une longue chemise blanche pareille à celle dont étaient
revêtus les charrieurs de cadavres.
<<Attendez que j’entre dans mes bottes, dit Angelo.
- Dépêche-toi et prends cette sonnette.>>
Elle était debout. Elle attendait. <…>
<<Allons, viens !>>
Elle le précéda tout le long du cloître. Elle ouvrit une porte.
<<Passe>>, dit-elle.
100
Ils étaient dans la rue.”144
Dans le chapitre précédent, nous avons presque tout le temps un
monologue d’Angelo. Quand il descend des toits, la première personne
qu’il rencontre c’est la nonne. Nous voyons au début du chapitre VII
Angelo échanger avec elle une longue conversation dont nous avons
citédes extraits. Observons que les phrases dans cette conversation sont
courtes mais se présentent en grandes quantités. Nous trouvons que cette
conversation nous donne quelques informations. C’est l’ouverture à une
nouvelle expérience d’Angelo. Cette fois il doit s’approcher des morts.
Nous voyons que les deux personnages parlent de la peur. C’est comme si
la nonne voulait tester la qualité d’Angelo pour voir s’il était prêt à aller
dans les rues pour affronter le choléra. Cette fois, il ne s’enfuit plus.
1.2 La pensée en discours direct
La scène qui suit se produit quand Angelo souffre de la faim et de
la soif. Il réfléchit sur ce qu’il doit faire et il se demande ce qu’il pourrait
faire pour survivre :
“Il (Angelo) regagna la galerie.
<<Je suis prisonnier de ces toitures, se dit-il. Si je descends
dans la rue, voilà le sort qui m’attend.>>
Il resta très longtemps dans la sorte de rêverie hypnotique. Il
ne pouvait plus penser. Le clocher sonna. Il compta les coups.
C’était onze heures.
<<Et manger ?>> se dit-il. Et il commença à souffrir de la
faim. <<Et boire ? Est-ce qu’ils font comme en Piémont ici ? Il y a
toujours une chambre de resserre, presque sous les toits. Voilà ce
qu’il faut que je trouve. Et boire. Surtout ici dessus avec cette
chaleur ! Je peux, certes, dans cette maison descendre jusqu’à la
cave. Mais ils sont tous morts du choléra. Voilà une imprudence
que je ne commettrai pas. Il me faut trouver une maison où les gens
sont encore vivants, mais avec ceux-là ce sera moins facile.
Toutefois c’est ce qu’il faut faire.>>” 145
Dans ce passage nous trouvons l’utilisation du verbe “se dire”
comme verbe introducteur. Cela annonce au lecteur les réflexions du
personnage. Angelo se parle à lui-même mais nous entendons sa pensée
144
145
Le Hussard sur le toit. pp.187-188.
Ibid. p. 145.
101
par l’intermédiaire du narrateur. La pensée du personnage est introduite
en style direct. Le narrateur nous montre directement ‘le courant de
conscience’146 du personnage. Nous voyons aussi l’utilisation du pronom
personnel : “je”, dans ce cas là c’est “Angelo”.
Nous voyons d’abord dans ce passage qu’Angelo se pose à luimême les questions : <<Et manger ?>>, <<Et boire ?>>. Puis, nous
voyons le déroulement de ses pensées. Il se fait un projet dans la tête pour
choisir le meilleur moyen de chercher quelque chose à manger et à boire.
Il réfléchit sur les avantages et les désavantages de ce qu’il va faire. Et
finalement, il trouve la solution à son problème. Il décide de descendre
dans les maisons en cachette, pour trouver de la nourriture.
2. Le discours indirect
2.1 Résumé d’une histoire
Après avoir quitté Manosque, Angelo poursuit son chemin en quête
de son frère de lait, Giuseppe. Il demande à plusieurs personnes s’ils le
connaissent, mais personne ne le connaît. Il n’y a qu’un garçon qui puisse
guider Angelo vers lui. En chemin ce garçon lui raconte la situation du
choléra qui s’est répandu maintenant dans toute la région.:
“Angelo cessa de jouer le jeu auquel il se complaisait et il se
mit à parler avec le garçon. Celui-ci lui raconta qu’ici on devait
s’estimer heureux mais à Marseille, dans certaines rues, les morts
étaient entassés plus haut que l’imposte des boutiques. Aix aussi
était dévasté. <…> A Avignon il y avait également un délire ;
<…>”147
La conversation entre Angelo et ce garçon est présentée en
discours indirect. Et en général c’est surtout le garçon qui parle, Angelo
est celui qui écoute. Ce garçon joue un rôle d’informateur qui entre en
scène pour apporter quelques informations, surtout sur la situation du
choléra.
La scène suivante a lieu après la rencontre entre Angelo et
Giuseppe. Ils parlent de diverses histoires pendant longtemps.
Remarquons que Giuseppe parle plus qu’Angelo, qui est en genéral assez
taciturne.
146
147
Bernard VALETTE.Esthétique du roman moderne. Paris, Nathan. p. 114.
op. cit. pp.247-248.
102
“Angelo raconta ses aventures avec le petit Français.
<<Tu mériterais que je te mette ma main sur la figure lui dit
Giuseppe. Que diraient la duchesse et ma mère si je te laissais
mourir, et surtout si tu meurs de façon ridicule ? <…> Il y a dans le
corps des cholériques des poussières qui volent de tous les côtés. Et
rien de plus commun que de mourir d’une poussière qu’on a
respirée. Tu es trop bête. <…>”
Angelo lui dit qu’en arrivant à Manosque il avait failli être
perdu. Giuseppe se mit à rire.
<<Eh ! bien, ils n’y allaient pas avec le dos de la cuillère !>>
Angelo se fâcha tout rouge. Il se souvenait de la voix
glapissante de Michu(un ami italien),<…>.
<<Oui, dit Giuseppe, Michu est un bon bougre et il y va bon
cœur bon argent. <…>. >>
Le ton froid avec lequel Giuseppe parlait de cet événement jeta
de l’huile sur le feu. Angelo s’emporta et il se laissa même aller
àun peu de lyrisme.<…>”148
Dans cette conversation, nous entendons rarement les propos
d’Angelo. La plupart du temps c’est Giuseppe qui parle ou donne son
opinion sur ce qu’Angelo raconte. C’est parce que l’auteur nous a déjà
raconté les aventures d’Angelo. Cette fois il résume seulement en
quelques mots. Ainsi, au lieu de répéter l’histoire de petit Français,
l’auteur écrit seulement : “Angelo raconta ses aventures avec le petit
Français.” Ici, il fait une éllipse car le lecteur connaît déjà l’histoire. Ces
quelques mots sont seulement une allusion pour que le lecteur se
souvienne de ce qui s’est passé à ce moment-là
2.2 La pensée inconnue du personnage
Une autre manière de présenter les pensées intimes inconnues du
personnage avec le rêve, c’est un cas différent des deux précédents, parce
que le monologue est dans la pensée du personnage au moment il a
conscience, mais le rêve est toujours produit au moment où le personnage
n’est pas complètement conscient.
“Il passa une mauvaise nuit. Il n’y avait que de légères bouffées
d’un vent torride et puant. Il rêva qu’il était couché avec un de ses
sergents qui lui soufflait à la figure l’haleine d’une infecte
digestion de poireaux.<…>
148
Ibid. pp.261-262.
103
Il eut un autre rêve dans lequel apparut un coq : c’était,
évidement, un coq extraordinaire. <…>
Il eut encore beaucoup de rêves quoique tenu à moitié éveillé
par une constante envie de vomir. Il vit notamment, une comète :
elle soufflait du poison par des jets étincelants, comme un soleil de
feu d’artifice. <…>”149
Les rêves d’Angelo peuvent montrer un moment de désordre dans
ses pensées. Son anxiété est monté à un point extrême, ses angoisses
s’expriment dans ses rêves. Observons maintenant la structure
syntaxique. Nous trouvons l’utilisation du verbe introducteur comme par
exemple :“il rêva que…” et “il eut un autre rêve…” Ici le lecteur peut
suivre la vision du narrateur pour voir le rêve qui se produit dans la tête
d’Angelo. La présentation du rêve est sous la forme du discours indirect.
C’est le narrateur qui nous rapporte ce qu’Angelo voit dans sa tête.
Observons que dans ses rêves, il y a des mystères mais le narrateur
n’explique pas leur sens et présente seulement les images qui défilent
dans l’esprit d’Angelo.
3. le discours indirect libre
Dans Le Hussard, nous trouvons plus qu’en Regain les monologues
intérieurs. N’oublions pas que les événements introduits dans Le Hussard
sont transmis par la vision d’un narrateur omniscient qui ne quitte jamais
son héros et qui regarde généralement de son point de vue en pénétrant
dans la conscience de son personnage. Sur ce point, c’est assez différent
de Regain.
Nous trouvons des monologues surtout dans le chapitre VI où
Angelo s’est réfugié sur les toits de Manosque. Il doit y rester pendant
plusieurs jours, seul, inactif et il commence à se parler. Le narrateur
présente cela avec le discours indirect libre :
“Naturellement, ce n’est pas un duel avec le baron Shwartz
que j’appelle un moment critique, vraiment critique. Là, bien
entendu, raison, logique et tout le tremblement et sang froid. Mais,
moi je suis d’une froideur de glace, au naturel ; pas besoin de me
rafraîchir. Il y a de quoi rire si on en doute. <…> Mais si tu entends
frapper du poing et du soulier contre une porte d’église fermée et
149
Ibid. p. 161-163.
104
on crie : <<Sainte Vierge <…>! >> Qu’est-ce tu feras avec de la
raison et de la logique <…>”150
Dans cette scène Angelo est sur les toits avec un chat. Il est en train
de réfléchir mais cette fois ses idées sont rapportées par le discours
indirect libre. Il est à remarquer qu’il n’y a pas de verbe introducteur,
comme dans le passage précédent. Nous trouvons des phrases qui sont
continues suivant le fil de la pensée. Une autre remarque est qu’on trouve
deux formes du pronom personnel : je (Angelo) et tu (impersonnel)
C. Les signes dans l’espace
Dans cette partie, nous allons observer le point de vue du narrateur
qui décrit des espaces comme autant de signes extérieurs.
a. Regain
L’espace peut refléter le portrait des personnages. Sur ce point,
l’auteur peint seulement l’apparence physique.
1. La maison de Panturle
Voyons d’abord l’habitation de protagoniste. La maison, comme
son propriétaire, présente aussi une image différente d’avant et d’après le
travail du protagoniste.
Avant le travail
“Pas tout : il y a une maison qui s’est comme décollée, qui
coulé du haut en bas, toute seule, qui est venue s’arrêter, les quatre
fers d’aplomb au bord du ruisseau, à la fourche du ruisseau et de ce
qu’ils appelaient la route, là, contre un cyprès.”151
Dans ce passage, à première vue, on a l’impression que la maison
va tomber dans le ruisseau. La localisation de la maison annonce la chute
du personnage dans le ruisseau. A ce moment-là, Panturle se transforme
de l’homme sauvage en homme social .
150
151
Le Hussard. pp. 157-158.
Regain. p. 11.
105
Après le travail
“En entrant à la maison, l’homme (qui cherche à s’installer
au village) a eu un regard heureux pour quelque chose. Il y avait un
beau jour gris, doux comme un pelage de chat. Il coulait par la
fenêtre et par la porte et il baignait tout dans sa douceur.
<…>
- Vous êtes bien ici, vous êtes bien.
Puis :
- Ça, c’est la vie !
Puis :
- Quelle bonne ménagère !
Puis :
- On sera voisins, de bons voisins, des choses comme il n’y a
plus qu’ici…<…> ”152
Aux yeux d’un étranger qui entre dans la maison, une impression
de vie et de chaleur se dégage. Cela peut se remarquer par “un regard
heureux.” Cela montre que la maison en ruine de Panturle s’est
transformée en un foyer : un lieu chaleureux pour la famille.
2. La maison de la Mamèche
“-La saluta, dit le Panturle en poussant la porte.
Les dalles sont couvertes d’un jour qui est là, épais comme
de la paille d’étable et qui ne monte pas vers le plafond parce que
les hauts carreaux de la fenêtre, on les a remplacés par les
planches. Ce sont de vieilles fenêtres, et même, pour les deux
carreaux du bas qui sont encore en vitre il faut se méfier, il y en a
un qui commence à se décoller et on ne peut pas empêcher le vent
de jouer avec. De cette façon, il n’y a jamais de la lumière que sur
la moitié des gens. Il y a le jour sur la moitié de Mamèche, sur le
morceau qui va des pieds nus jusqu’à la taille.”153
L’habitation de la Mamèche reflète aussi sa personnalité. Le
portrait de cette femme est mystérieux, elle est un peu sorcière.
Regardons l’atmosphère de sa maison, elle est aussi mystérieuse. Dedans,
152
153
Ibid. p. 141-140.
Ibid. p. 21.
106
il y a à peine de la lumière : “Il y a le jour sur la moitié de Mamèche, sur
le morceau qui va des pieds nus jusqu’à la taille.”
3. La forge de Gaubert
“Sa forge est au sommet du village. C’est une forge froide et
morte. La cheminée s’est battue avec le vent et il y a des débris de
plâtre et de briques dans le foyer. Les rats ont mangé le cuir du
soufflet. C’est là qu’il habite, lui, Gaubert. Il a fait son lit à côté du
fer qui restait à forger et qu’il n’a pas forgé.”154
La description de la forge de Gaubert peut montrer clairement la
condition du village. Avant tout le monde venait voir Gaubert pour lui
demander de faire une charrue, il y avait beaucoup de travail à cette
époque –là. Mais dans ce passage la description de la forge montre l’état
d’abondon. Regardons l’utilisation des deux adjectifs : “C’est une forge
froide et morte.” Ces deux mots soulignent l’état de dégradation de
Gaubert, le propriétaire, et aussi l’ambiance déserte du village. Nous le
voyons par sa situation : “au sommet du village.” Quand il n’y a plus
d’activité dans cette forge, cela annonce aussi la mort du village.
b. Le Hussard sur le toit
1. La ville de Manosque
En réalité la route est l’espace central de ce roman car nous voyons
le héros errant dans divers endroits. Mais Manosque est important car cet
endroit permet à Angelo de se reposer, de faire la pause après un long
trajet. Manoque est sa destination.
- les habitants en désarroi
“Vers la fin de la matinée, dans cette partie de la ville que
dominait Angelo, il y eut des rumeurs puis des cris déchirants qui
éclatèrent à divers endroits puis qui éclataient de tous les côtés.
<…>Les cris étaient d’abord des cris de femmes puis il y eut
quelque cris d’hommes. Ceux-là étaient extrêmement tragiques.
<…> On commença à entendre de tous les côtés les charrois des
tombereaux.”155
154
155
Ibid. p. 14.
Le Hussard sur le toit. p. 164.
107
Cette scène nous montre les bruits de la mort par la perspective du
narrateur et d’Angelo quand celui-ci est sur les toits. Il ne voit pas
exactement ce qui se passe dans la ville. Il entend seulement les bruits et
c’est par les bruits qu’il “voit” la progression de l’épidémie. Tout est en
désordre. Tout le monde vit dans cette ville avec la peur. Le narrateur ne
peint pas encore l’espace matériel, mais il nous montre la condition de
l’état d’âme des habitants par “le cris”. Les bruits de tombereaux
accentuent encore la dégradation de la ville.
- la ville en train de mourir
“La ville ne remuait que comme un moribond. Elle se
débattait dans le propre égoïsme de son agonie. Il y avait sous les
murs des rumeurs sourdes comme de muscles qui se détendent, de
poumons qui se vident, de ventres qui se débondent, de mâchoires
qui claquent. On ne pouvait plus rien demander à ce corps social. Il
mourait. Il avait assez à faire, assez à penser avec sa mort.”156
Comparons ce passage avec le précédent. La ville réflète deux
points de vue : la mort de ses habitants et la dégradation de la morale
dans les âmes des habitants. Tandis que les habitants crient de raison, la
ville ne remuait que comme un moribond. Nous voyons sur ce point que
la ville est prête à mourir en même temps que ses habitants. Nous voyons
qu’il y a l’utilisation des termes d’agonie d’un malade pour présenter
l’état de la ville. Tous les termes choisis sont des symptômes de
l’épidémie. Nous voyons ici la méthode de personnifier la ville par ces
quelques mots : << comme de muscles qui se détendent, de poumons qui
se vident, de ventres qui se débondent, de mâchoires qui claquent.>>
Tous ces termes conduisent au mot <<ce corps social>>, comme le
narrateur agrandit l’image de la mort de chaque habitant dans la vue
globale, c’est la mort aussi bien du corps, que de l’âme.
2. La maison du médecin philosophe
Après avoir peint l’image de la mort et du désordre dans la ville de
Manosque, nous rencontrons une scène différente. C’est la scène chez le
médecin philosophe. Malgré le désordre de la pièce, on retient une
impression d’atmosphère chargée de science.
156
Ibid. p. 207.
108
“Angelo et la jeune femme furent d’abord surpris de trouver
des étagères de livres au milieu du désordre inexprimable d’un tas
d’autres choses. Il faisait très chaud et Angelo frissonna.
<…>
La pièce était éclairée par le grand brasier de l’âtre. La haute
fenêtre qui donnait sur les ruines ne laissait pas entrer beaucoup de
jour ; ses petits carreaux étaient embrumés de l’extérieur par des
nuages qui passaient à ras de terre et à l’intérieur par un épais
encadement de poussière. Les flammes qui jaillissaient avec assez
de force d’énormes bûches permettaient de voir l’énorme
entassement de meubles très riches mais fort mal entretenus et tous
surchargés de gros bouquins et de tas de papiers sur lesquels
s’essayaient à l’équilibre des pichets, des brocs, des bols, des
cuvettes, des bouteilles, des casseroles,<…>, de toutes les formes
et même des tiroirs pleins d’ustensiles de cuisine. Des étagères
chargées de livres en files inclinées comme les blés sous le vent
couraient tout le tour des murs. Les tables, rondes, carées ou ovales
et les guéridons que le poids de la paperesse éreintait et qui
inclinait leurs plateaux de droite et de gauche, les commodes, les
secrétaires, les tabourets placés au hasard et entre lesquels circulait
une sorte de sentier, laissaient cependant devant le feu un assez
grand espace libre dans lequel étaient placés deux fauteuils se
faisant vis - à - vis et une très jolie table à jeux, fine comme une
belle enfant. La table portait une lampe à pompe et un livre ouvert.
Tout, sauf cette table, était saupoudré de poussière blanche. De
gros monticules de cendres encombraient la cheminée et portaient
le brasier à un empan plus haut que la tête de chenets.”157
Dans cette description de la maison du médecin, nous trouvons
l’ambiance d’un endroit mystique. L’utilisation de quelques termes peut
souligner notre remarque : << Les flammes qui jaillissaient avec assez de
force d’énormes bûches permettaient de voir l’énorme entassement de
meubles très riches mais fort mal entretenus.>> Les flammes, les
meubles anciens et aussi les étagères qui contiennent plein de livres, nous
montrent la personnalité de ce médecin : c’est un savant qui, dans la
scène suivante, donne une explication philosophique sur le phénomène du
choléra.
157
Ibid. pp. 460-461.
109
3. Deux descriptions d’un même endroit à deux moments
différents
Dans Le Hussard, nous trouvons deux scènes qui ont lieu dans le
même endroit à deux moments différents. Nous voyons le
bouleversement dans la vision sur le même lieu. Nous pouvons dire que
les lieux dans ces deux points de vue reflètent successivement la vie et la
mort. Regardons les exemples suivants :
3.1 La grange
- L’ambiance de la vie
“On les conduisit à la grange qui était pleine de gens de tout
âge et de toute condition, assis tristement sur des malles ou à côté
de paniers, de valises et de baluchons.”158
- L’ambiance de la mort
“Il se trouva bientôt devant la porte large ouverte de la
grange comme il en jugea par une sorte d’écho qui lui faisait face.
Il n’y avait pas trace de sentinelle. Le silence de la grange était
également assez surprenant. Il s’attendait à entendre des bruits de
la respiration et les craquements de la paille sous les corps inquiets,
mais les murs, ayant couvert le cri des chouettes, ne contenaient
qu’un silence plus compact que la nuit.”159
Dans la première citation, nous trouvons la foule qui est en train de
fuir de maladie mais les gens sont enfermés dans une grange. Nous
trouvons l’ambiance de la vie avec <<les gens de tout âge>>. Mais dans
le
deuxième exemple, dans le même lieu, il n’y a pas de signe de vie.
L’ambiance de ce lieu est au contraire, <<le silence de la grange était
également assez surprenant>>. Cette fois, le bruit et la foule sont
remplacés par le silence. Le regard du narrateur évoque d’abord la mort
par le silence puis il décrit dans les pages suivantes la confrontation du
protagoniste avec le spectacle de la mort. <<Les gens de tout âge qui
sont assis tristement sur des malles>> sont trouvés morts dans cet
endroit.
158
159
Ibid. p. 93.
Ibid. p. 105.
110
3.2 L’ auberge
La scène de l’auberge se produit peu après celle de la grange.
C’est quand Angelo s’en va de la grange pour acheter une voiturette pour
aider la préceptrice et les deux enfants qui sont encore à la grange.
Angelo entre dans une auberge au bord de la route. Voici les descriptions
de vue différents de cette auberge :
- L’ambiance de la vie
“La salle de l’auberge, longue et large, contenait une
vingtaine d’hommes et de femmes ivres et qui ne se gênaient pas.
Ils étaient assis autour d’une grande table d’hôte sur laquelle ils
avaient fait beaucoup de ravages dans des plats, des écuelles, des
bouteilles dont quelques-unes étaient renversées. La scène était
éclairée par deux énormes punchs qui brûlaient dans des seaux
d’écurie et par une profusion de lampes à pétrole et de chandeliers
qu’on avait disposés de façon à ne pas laisser un seul coin d’ombre
dans cette vaste pièce voûtée.”160
- L’ambiance de la mort
“Il arriva à l’auberge comme le jour allait se lever. On voyait
encore la lueur de lampes dans la nuit élimée. Mais, là aussi, les
choses avaient marché rondement. La grande salle était froide et
vide. Un homme était étendu à plat ventre au milieu.<…>
Angelo fit le tour de la salle. Il y avait un autre mort
accroupi derrière des chaises dans un coin.”161
Dans ces deux scènes, la présentation de la salle est complètement
différente. Regardons les adjectifs qui qualifient la salle avant et après les
ravages du choléra : <<La salle de l’auberge, longue et large>> et <<.
La grande salle était froide et vide.>> En plus il y a beaucoup de
lumière: <<deux énormes punchs qui brûlaient dans des seaux d’écurie et
par une profusion de lampes à pétrole et de chandeliers>>. Le feu aussi
donne l’impression de chaleur et de vie. Tout le monde est insouciant,
comme on le voit avec : <<une vingtaine d’hommes et de femmes ivres et
qui ne se gênaient pas>>.
Mais peu après l’image de cette auberge est totalement changée.
L’adjectifs “froide” et “vide” nous montrent immédiatement le contraire.
160
161
Ibid. p. 100.
Ibid. pp. 107-108.
111
Cette fois il y a peu de lumière : << On voyait encore la lueur de lampes
dans la nuit élimée>>.
3.3 La maison des morts et celle des vivants
- L’ambiance de la vie
“Une ferme importante avec maison de maître à
volets verts, hangars, bergerie et communs était assise à
l’aise entre de grands bassins, sous de très hauts platanes
déjà cuivrés. Deux fils de fumée sortaient respectivement de
la cheminée de la maison de maître et de celle des bâtiments
de la ferme. Là, les gens étaient vivants.”162
- L’ambiance de la mort
“En s’approchant des maisons, il s’aperçut qu’elle
bourdonnaient comme des ruches. Par les portes et les
fenêtres ouvertes, il vit sortir des nuages de mouches. Il
savait ce que cela voulait dire.”163
Même si ces deux scènes ne se produisent pas au même endroit, il
y a la caractéristique dans la description. Nous voyons ici deux sortes de
maison. Il y a certains mot qui montrent la vie et la mort. << Par les
portes et les fenêtres ouvertes, il vit sortir des nuages de mouches>> et
<<deux fils de fumée sortaient respectivement de la cheminée >>, nous
voyons dans ces deux phrases qu’ il y a quelques éléments qui
apparaissent sous les mêmes formulations. Nous voyons deux choses
différentes qui sortent de la maison. L’utilisation du verbe sortir nous
montre les deux faits différents. Les mouches qui sortent sont le symbole
de la mort tandis que les deux fils de fumée sont un signe de vie.
D. L’analyse comparative
Dans cette partie, Giono emploie presque les mêmes techniques
dans ces deux récits avec quelques différentes marquantes dans
Le Hussard sur le toit. Dans ce chapitre qui présente la notion des points
de vue, nous trouvons trois points importants : la vision, le discours
rapporté et la réflexion des caractéristiques des personnages dans
l’espace.
162
163
Ibid. p. 318.
Ibid. p. 316.
112
Commençons par la vision utilisée dans ces deux romans. La
question de vision est liée au narrateur qui voit ce qui s’est passé dans
l’histoire. Ici nous trouvons deux points de vue sur le narrateur. Le
narrateur est à la fois omniscient et omniprésent. Il est omniscient parce
qu’il sait tout ce qui se passe et voit la pensée des personnages. Il est
omniprésent parce qu’il apparaît partout. Dans Regain le narrateur
apparaît dans la diligence et présente l’état d’un village désert par
l’intermédiaire d’un dialogue entre les voyageurs. Plus tard, il glisse son
regard et apparaît plus tard dans le village sans l’intermédiaire des
voyageurs. Nous observons la manière de passer d’un plan général avant
de se concentrer sur les détails. Regardons le schéma ci-dessous :
Le récit en général
dans la diligence
(dans le chapitre I)
(à partir du chapitre II jusqu’à la fin)
Le narrateur centre sa vision
directement sur l’histoire du village et de Panturle
Nous trouvons cette technique aussi dans Le Hussard mais la
manière de présentation est un peu plus complexe, c’est parce que le
narrateur donne beaucoup de détails qui ne sont pas pertinents dans le
récit sans centrer directement sa vision sur le personnage central. Il
montre le personnage avec les détails qui ne semblent pas importants.
Comme dans Regain, nous voyons Angelo et le choléra parmi différents
détails sur les endroits, d’autres personnages et aussi l’environnement.
Peu après, le narrateur fixe son regard seulement sur Angelo,
accompagné, si l’on peut dire, du choléra tout au long du roman. Voyons
le schéma suivant qui représente le regard de narrateur omniprésent dans
Le Hussard.
Angelo, le choléra parmi les différents détails (chapitre I.)
Angelo et le choléra (à partir du chapitre II au chapitre XIV)
113
La manière de regarder du narrateur omniprésent est qu’il témoigne
de ce qui se passe dans différents endroits. En même temps, il comprend
le sentiment et la pensée des personnage, surtout celle d’Angelo. Mais il
garde aussi une distance pour ne pas savoir plus que le personnage. Mais
dans Regain, le narrateur est plus proche de Panturle, il connaît son passé,
son envie, c’est-à-dire, le narrateur sait plus que les personnages. Un
point remarquable est que le narrateur pénètre seulement dans la pensée
des protagonistes centraux, comme Angelo, Panturle, et un peu pour
Arsule mais ne pénètre pas dans la pensée de Pauline.
Un autre point intéressant est l’utilisation du regard morcelé. Nous
trouvons cette technique, surtout dans Le Hussard, de voir les choses
seulement en partie, ce n’est pas l’image totale des choses. Giono utilise
cette technique pour présenter l’apparence des personnages. Nous
trouvons aussi cette manière de présentation dans Regain mais dans une
seule
scène, quand Panturle commence à travailler. Cela se passe sous
forme de dialogue mais c’est seulement Panturle qui parle de la manière
incomplète. Mais nous apprenons après ce qu’il faisait.
Le jeu des regards est aussi une technique importante pour
présenter les événements. Ici nous trouvons deux manières différentes
dans ces deux romans. Dans Regain, Giono présente une même chose vue
par le regard différent de deux personnages. Le résultat de ce regard est
différent parce que l’un voit des choses avec objectivité, mais l’autre les
voit avec subjectivité ; ce qu’il a vu est plein de l’histoire.
Nous trouvons encore cette manière de représentation dans le
Hussard. C’est la technique de la vision simultanée. Cette vision montre
la qualité de narrateur omniprésent qui voit la situation du choléra à
différents endroits et au même moment pendant l’errance d’Angelo.
La remarque suivante est l’utilisation du discours rapporté : le style
direct, indirect et indirect libre. Normalement, nous trouvons très souvent
cette technique dans le Hussard sur le toit parce que Giono y montre
l’histoire en passant par la pensée et la réflexion de son personnage. Cela
apparaît de plusieurs manières. Ce qui est différent de Regain, c’est le
monologue intérieur, mais nous le trouvons seulement une seule scène
quand Angelo est sur le toit et commence à se parler. Le monologue
intérieur représenté sous forme de discours direct et indirect libre.
Dans Regain, nous trouvons le discours indirect libre quand le
narrateur transcrit la pensée de Panturle au moment où Arsule et
Gédémus arrivent au village.
Un point intéressant est que Giono présente dans tous les deux
romans la pensée inconnue du héros. Il utilise le discours indirect pour
présenter le rêve de Panturle et d’Angelo. Nous observons que le rêve de
115
Conclusion
L’objectif de notre étude éaitt de trouver les techniques différences
essentiellent au niveau de l’art de la narration dans les deux romans qui
relèvent de deux période différentes : Regain, reman publié avant la
guerre et Le Hussard sur le toit, après la guerre. Après avoir étudié de ces
deux romans, nous constatons que Giono demeure finalement le même
conteur mais exprime une pensé différente.
Il est le même conteur parce qu’il utilise le même mode de
présentation, bien que les deux romans soient de proportions très
différentes. Si l’on regarde la structure du récit, que nous avons examinée
das le premier chapitre, Regain a une structure moins complexe que celle
du Hussard, mais Giono utilise le même modèle en divisant le récit en
deux parties, avant et après la rencontre d’une femme. De plus cette
rencontre modifie considérablement la vie des personnages principaux.
Ici, les acteurs sont marqués par l’état avant et après la rencontre. Dans
Regain, non selement Panturle trouve une femme et Arsule trouve un
homme , mais le village revit grâce à eux deux. Dans Le Husard, Angelo
poursuit sa route comme avant, toutefois on ne saurait dire qu’il n’a point
été affecté à la fois par son expérience avec le choléra et sa rencontre
avec Pauline.
Giono est un différent penseur parce que les idées exprimées dans
les deux romans semblent témoigner d’un revirement. Dans Regain,
Giono présente l’histoire d’un sauvetage : d’abord, Arsule sauve Panturle,
puis, Panturle sauve Arsule, et tous les deux sauvent le village, ce qui
récompense leurs efforts. Au contraire dans Le Hussard, Angelo échoue à
sauver la vie des malades au secours desquels il se porte. Ses efforts
restent en vain et ne reçoivent aucune récompense. Il parvient à sauver
Pauline à la fin mais ce geste du triomphe de l’amour sur le mal reste
insatisfait : Pauline doit rester avec son marie et Angelo continue son
chemin. Dans Regain, on trouve un ordre que les personnages
contribuent à rétablir, c’est l’equilibre entre l’homme et la nature.
“Restaurer l’ordre, pour la pensée paysanne, c’est imposer
l’ordre humain à la nature : c’est obliger la terre sauvage à
produire, la femme indocile à œuvrer, les bêtes à se laisser
domestique, afin que tout soit pour le mieux dans un monde bien
116
organisé, un monde ordonné où chaque être, chaque chose est à sa
place.”164
Nous observons que Giono change de thème, et modifie
radicalement les types de personnages. Dans Regain, d’un point de vue
général sur le roman, c’est un simple roman de paysannerie qui semble
montrer l’histoire d’amour d’un couple. Mais Giono utilise lâchement ce
genre romanesque pour le modifier. Regain n’est pas un roman d’amour
mais un roman racontant la renaissance d’un village et de deux
personnages. Par contre, Le Hussard semble un roman de chevalerie,
mais comme dans Regain, Giono a changé le contenu : du héros parti en
quête religieuse, il est devenu un errant, en quête d’un but qui a peu
d’importance, modifiant sa route, trouvant ce qu’il ne cherchait pas et
évoluant dans un monde où personne ne peut lui donner un ordre. Dans ce
dernier roman aussi, Giono utilise l’épidémie comme le centre de son
récit, ce qui est rare dans la littérature contemporaine. Nous trouvons un
roman de Camus, La Peste qui parle d’une épidémie qui ravage une ville
ou une société. Toutefois, l’épidémie chez Camus demeure une image,
celle de la guerre qui faisait rage à cette époque. Mais pour Giono c’est le
contraire, le choléra est le choléra, il n’y a pas le symbole. Comme Giono
l’a dit :
“On a (…) voulu trouver à toute force dans le Hussard un
symbole qui ne s’y est jamais trouvé (…) Eh ! bien cela est
ridicule.”165
Après avoir étudié l’art du récit dans ces deux romans, nous
trouvons un point intéressant qui pourrait faire l’objet d’études
ultérieures. C’est les figures de style que Giono utilse dans chaque roman.
L’étude approfondie de ce sujet peut élargir la connaissance sur le niveau
élevé de l’art du récit de Giono.
164
Cité dans “Pour mieux comprendre Regain.” par Anne-Marie MARINAMEDIAVILLA. Regain, Paris, Librairie Genérale Française.1995, pour la présente
édition. p.165.
165
Cité dans le Hussard sur le toit de Jean Giono, Profile d’une œuvre.
Francis LAFON., ed. Librairie Hachette, 1974, 1974. p. 19.
117
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romans de Jean Giono. Aix-en Provence, la Pensée Universitaire,
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GIONO, Jean . Le Hussard sur le toit. Paris, Edition Gallimard, 1951
________. Regain. Paris, Librairie Générale Française, 1995,
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VALETTE, Bernard. Esthétique du roman moderne. Paris, Fernand
Nathan,
1985.
http://page.infinit.net/poibru/giono
119
Curriculum Vitæ
Nom
Supatcharee Manatat
Adresse
30 Moo 3, Bangpakok, Ratburana, Bangkok 10140
Formation
1991-1993 Lycée Bangpakokwittayakom
1994-1997 Licence-ès-Lettres, Université Srinakharinwirot
1998-2002 Maîtrise-ès-Lettres, Université Silpakorn

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