Atelier De Christine Padesky

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Atelier De Christine Padesky
Atelier de perfectionnement ASPCo
SIMPLIFYING PERSONALITY DISORDER TREATMENT: THE NEW PARADIGM FOR CBT
Christine A Padesky (Huntington Beach, California, USA)
Genève, les 9-10 mai 2014
Rédiger le compte-rendu de l’atelier présenté par Christine Padesky les 9 et 10 mai dernier, c’est
tout d’abord partager avec vous le privilège d’avoir eu accès à l’une des plus éminentes
représentantes internationales de la psychothérapie cognitive ; privilège que Lucio Bizzini a
souligné lors de son introduction à ces deux journées, car Christine Padesky a été l’une des
grandes pionnières des thérapies cognitives dès le début des années 70.
Présidente de l’Association Internationale pour la Psychothérapie Cognitive entre 1995 et 1998,
elle s’est vue régulièrement discernée de très nombreuses distinctions et récompenses. Auteur de
5 livres, dont le très connu « Mind over Mood », co-écrit avec Dennis Greenberger (traduit en 23
langues et consacré livre le plus influent de la thérapie cognitive par l’Association Britannique de
Psychothérapie Cognitive et Comportementale en 2002), proche collaboratrice et amie de Aaron
Beck (âgé de 93 ans cette année), Christine Padesky a fondé avec Kathleen Mooney en 1983 le
Centre pour la Thérapie Cognitive en Californie (d’abord situé à Newport Beach, il se situe depuis
2000 à Huntington Beach ).
Depuis ce déménagement, son activité professionnelle s’est davantage centrée sur
l’enseignement et le développement de matériel de formation (CD et DVD), qu’elle nous a
d’ailleurs présenté lors du séminaire, et qui est en vente sur son site internet1.
Sa présentation genevoise a été l’occasion de démontrer combien elle est rompue à l’exercice
d’animation d’ateliers. Sur son site internet, on peut lire qu’elle a déjà donné plus de 400
séminaires à plus de 40 000 personnes. Genève était une étape dans sa « tournée » européenne
de 15 jours, dont 11 consacrés à la formation.
Excellente oratrice, très chaleureuse et souriante bien qu’un peu souffrante, s’exprimant dans un
anglais accessible à tous, elle nous a fait à plusieurs reprises la démonstration de sa pratique, par
différents jeux de rôle, en appréciant par ailleurs la motivation de notre assistance à y participer
sans hésitation !
C’est après avoir travaillé de longues années sur le modèle cognitif de la dépression que Christine
Padesky a commencé à développer à la fin des années 90, et en collaboration avec sa collègue
Kathleen Mooney, un modèle de thérapie cognitive des troubles de la personnalité.
Elle avait présenté ce modèle à l’ASPCo les 27 et 28 mai 2005. Le Numéro 20 de l’ASPCo Info en
juin 2005 s’en était largement fait l’écho, incluant un article de Anna Zinetti Bertschy2 sur les 3
modèles en cours dans le traitement des troubles de la personnalité (Beck, Young et Padesky),
une interview de Christine Padesky par Malin Tronje Paschoud3, où elle avait évoqué notamment
la genèse de son intérêt pour la thérapie cognitive, et un compte-rendu de ces deux journées
d’ateliers proposé par Ariane Zermatten4.
Comme de nombreux autres participants, j’avais suivi les deux journées de formation en 2005, et
j’étais curieuse de savoir ce que signifiait ce nouveau paradigme, fondé sur la simplification du
www.padesky.comm ; bon à savoir, sur ce site, le « clinical corner » met gratuitement en ligne
publications, interviews et outils thérapeutiques.
1
Zinetti Bertschy A., « Pointages sur l’évolution du concept de schéma en psychothérapie cognitive
des troubles de la personnalité : les modèles de Beck, Young et Padesky », ASPCo Info N°20, juin 2005
2
3
Tronje-Pachoud M., « L’interview de… Christine A. Padesky », ASPCo Info N°20, juin 2005
4
Zermatten A., « Constructing a new self », ASPCO Info N°20, juin 2005
traitement du trouble de la personnalité (« simplifying PD treatment »), d’autant que nous savons
tous combien il est particulièrement compliqué de traiter ces troubles là.
Ayant fait le constat que les théories et les approches thérapeutiques en cours rendent
extrêmement complexe le traitement des troubles de la personnalité, et combien les thérapeute et
les patients peuvent se sentir découragés et confus, Christine Padesky et sa collègue ont eu pour
volonté de conceptualiser un modèle valide pour tous les TP (hormis le trouble de la personnalité
antisociale et le trouble de la personnalité schizotypique), tendant vers la simplicité et l’élégance
(« a simple and graceful treatment »). Dans cette optique, le trouble de la personnalité est
considéré, non pas sous l’angle de la psychopathologie, mais comme un style d’adaptation
appliqué aux différents relations interpersonnelles, et fondé sur des schémas et des croyances.
Nous démontrant comment Picasso avait déconstruit à l’extrême ses dessins jusqu’à ne conserver
que les traits essentiels à la compréhension du motif, elles ont entrepris la même démarche de
déconstruction pour ne conserver que le squelette même de ces troubles, à savoir les stratégies
interpersonnelles surdéveloppées, que les patients ont de très bonnes raisons d’utiliser, afin de
s’adapter aux situations relationnelles qu’ils rencontrent, tout en ayant le sentiment d’être
protégés.
Si les concepts initialement proposés dans ce modèle restent centraux (l’Ancien Système/le
Nouveau Système, les bonnes raisons qui poussent les personnes à agir comme elles le font, le
sourire comme outil thérapeutique), le traitement a été davantage protocolé, sur la base de grilles
d’entretiens structurées.
A chacune des étapes, l’utilisation de supports écrits est systématisé : tout doit être rédigé dans
les détails, afin que patient et thérapeute conserve chacun une trace du travail qui a été effectué.
La première journée du séminaire a été consacrée à une brève présentation des troubles de la
personnalité, à la description du nouveau paradigme selon le modèle en quatre étapes, et à
l’apprentissage des deux premières : la conceptualisation de l’Ancien Système et l’élaboration du
Nouveau Système.
La conceptualisation du Vieux Système inclut l’utilisation d’un entretien structuré, qui permet de
questionner systématiquement le patient dans son recours à ses stratégies habituelles, sachant
que ces stratégies :
- sont surdéveloppées, parce que le patient a besoin de se sentir protégé (cela révèle toutes
« ses bonnes raisons » à agir de la sorte):
- recèlent l’ensemble des croyances centrales du patient sur soi, sur les autres, sur le monde
L’objectif est de développer progressivement une compréhension empathique de ses difficultés.
Le thérapeute va ainsi poser les questions suivantes :
- comment agissez-vous habituellement avec les personnes que vous connaissez, que vous
fréquentez ? Quelles sont vos manières de faire problématiques ?
- comment vous sentez-vous lorsque vous agissez ainsi ? Quelles sont vos émotions ? A
quelle intensité ? Comment vous sentez-vous dans votre corps ?
- lorsque vous êtes dans cette situation relationnelle, en utilisant cette stratégie et en vous
sentant ainsi, comment vous voyez-vous ? Comment voyez-vous les autres ? Comment est
le monde pour vous ?
- dans ces situations, vous avez de bonnes raisons pour agir ainsi ; regardons ensemble
quelles sont vos bonnes raisons personnelles : si vous êtes capable d’agir ainsi (stratégie
1), alors que souhaitez vous qu’il se passe ? et si vous n’agissez pas de la sorte, alors que
se passera-t-il d’après vous ?
Ce questionnement permet de mettre à jour les croyances conditionnelles (si…, alors…)
Après avoir effectué un résumé commun de cette analyse permettant de se mettre d’accord sur le
modèle de fonctionnement habituel, l’un ou l’autre du patient ou du thérapeute remplit le
formulaire Ancien Système / Nouveau Système.
L’étape 2 est consacrée à la construction du Nouveau Système
Là encore, l’entretien qui permet l’élaboration de ce nouveau système est un entretien
extrêmement structuré en deux parties distinctes, la première fondée sur un exercice
d’imagination les yeux ouverts, puis la seconde avec les yeux fermés.
L’élaboration du Nouveau Système se fonde sur l’intégration de différents outils :
- des outils verbaux orientés vers une construction langagière positive (si le patient dit : « les
autres seraient moins hostiles », on lui demande : « alors, si les personnes sont moins
hostiles, ils sont davantage…. »,
- des outils non-verbaux : une curiosité, un sourire et une attitude encourageants
- des outils visant à augmenter l’expérience kinesthésique, qui engage la dynamique
corporelle, par le biais des sensations physiques.
Dans la première partie, il s’agit d’encourager chaleureusement le patient à imaginer activement et
à décrire un nouveau monde interpersonnel : « si vous pouviez créer un nouveau système de
relations avec les autres, dans le quel vous seriez tout autant protégé, comment est-ce que cela
serait pour vous ? Comment vous comporteriez-vous ?... ».
Il s’agit d’imaginer des situations dans le présent ou dans le futur, permettant de mettre à jour de
nouvelles stratégies, incluant de nouvelles croyances sur soi, sur les autres et sur le monde. Par
exemple : « Dans cette situation x, je serai quelqu’un de plus fort et de plus solide, les autres
seraient généralement plus agréables et le monde plus vivable. Si je suis plus forte, alors je peux
faire face et dans un monde où je peux faire face, si mes besoins ne sont pas reconnus, alors je
pourrais m’affirmer davantage ».
Ensuite, les yeux fermés si possible, le patient doit imaginer qu’il se trouve avec certaines
personnes en utilisant ces nouvelles stratégies interpersonnelles. Le thérapeute recueille alors
l’ensemble des images, sensations, souvenirs éventuels, et les métaphores que cela évoque pour
le patient. Ces images permettent ensuite de mettre à jour ses croyances de base actives : « Si
vous êtes dans ainsi avec les autres, vous sentant ainsi, alors comment vous voyez vous ?
Comment voyez vous les autres ? Comment voyez vous le monde ? ». Il en va de même avec la
mise à jour des nouvelles croyances conditionnelles.
Comme lors de la précédente étape, thérapeute et patient procéderont à un résumé de ce
Nouveau Système ainsi élaboré et le mettront par écrit sur le formulaire.
Le début de la deuxième journée a été consacré à une analyse d’un outil spécifique : le sourire
thérapeutique. Reprenant les travaux de Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, et
seul psychologue à avoir reçu à ce jour un prix Nobel, Padesky a repris l’organisation du système
cérébral en deux sous systèmes différents, l’un rationnel, lent et analytique, et l’autre,
expérientiel, rapide et largement automatisé, fondé sur l’accumulation de nos expériences de vie,
sensible aux images, aux métaphores et non à la logique verbale. Le sourire, en tant qu’outil
thérapeutique, est un levier visant à désamorcer l’activation réflexe de l’amygdale ; l’amygdale
regroupe plusieurs circuits d’alarme de notre organisme en lien avec les circuits sensoriels et en
particulier l’hippocampe impliqué dans le stockage des souvenirs explicites (alors que l’amygdale
est impliquée dans la mémoire implicite par l’élaboration des souvenirs émotionnels de peur). Un
stimulus de danger est ainsi traité par l’amygdale avant même que l’information de danger soit
cognitivement traitée. Dans de nombreux troubles de la personnalité, et notamment dans le TP
Etat Limite, l’amygdale est très fréquemment activée et la situation d’entretien thérapeutique,
laboratoire d’intimité, est potentiellement pour ces patients le lieu de tous les dangers. Christine
Padesky avait été frappée par une note de bas de page dans un article paru il y a une vingtaine
d’années, relatant que le sourire a la vertu d’apaiser le système amygdalien, mais pas n’importe
quel sourire, non pas le faux sourire « marketing », mais le vrai sourire qui implique toute la
musculature fine du visage, celui qui s’anime lorsqu’on s’imagine avoir « des étincelles dans les
yeux ». De petits exercices nous ont fait saisir l’importance de ce sourire, comme outil
thérapeutique spécifique, notamment dans l’élaboration du Nouveau Système qui vise à
désactiver les stratégies surdéveloppées et à motiver vers le changement.
Si certains d’entre nous ont pu se montrer quelque peu sceptiques face à cette proposition très
culturellement connotée (la culture us des smiley qui a envahi nos mails et nos sms…), ne nous
serait-il pas possible, à nous européens, de réfléchir à d’autres moyens que nous avons à
disposition, quelle que soit notre culture, notre personnalité et notre propension naturelle au
sourire, pour insuffler dans les entretiens davantage de sécurité et de chaleur ?
L’étape 3 du modèle est consacrée au renforcement du Nouveau Système, à travers l’élaboration
continue et systématisée d’expériences comportementales.
Dans la thérapie cognitive classique, les expériences comportementales ont pour but de tester les
anciennes croyances. Là, au contraire, il s’agit de tester les nouvelles croyances sur soi, sur les
autres et sur le monde, les unes après les autres, selon des niveaux de difficulté préalablement
hiérarchisé. Ces expériences permettent alors au patient de servir de nouvelles stratégies, dans
tous les secteurs de vie concernés. Elles peuvent aussi être appliquées au sein même des
séances thérapeutiques (s’entraîner être plus près ou plus distant, à se regarder longtemps, à
faire des appréciations…).
Toutes ces expériences sont ensuite soigneusement reprises en entretien, afin d’élever le niveau
d’habiletés.
Assez rapidement, le patient sera amené à traverser tant des expériences planifiées avec son
thérapeute, que des expériences spontanées de la vie de tous les jours, qui seront alors retravaillées en séance comme autant de situations d’apprentissage. Le but est de travailler sur un
ensemble de stratégies interpersonnelles flexibles et variées.
Le style thérapeutique à cette étape se veut là encore valorisant et encourageant.
La quatrième et dernière étape a pour objectif la prévention de rechute (« stay alert »), pour tous
les patients qui se trouvent à présent davantage dans leur Nouveau Système que dans l’Ancien ; il
s’agit alors de se poser les questions suivantes :
- quels sont les apprentissages acquis ?
- quels programmes continus d’expériences comportementales doivent être encore
poursuivis ?
- quels défis seront à relever à l’avenir, et pour les relever au mieux, quels plans spécifiques
doivent être mis en œuvre ?
A ce stade, il est devenu inutile de travailler sur les croyances de base, l’enjeu étant de renforcer
toutes les stratégies acquises pour être dans le Nouveau Système.
Tout au long des étapes du modèle et de manière extrêmement forte durant les jeux de rôle, le
style thérapeutique se veut collaboratif, directif, fondé sur un langage de changement, impliquant
le thérapeute dans une dynamique à la fois chaleureuse et encourageante.
La difficulté majeure avec la simplicité, c’est toute la complexité cachée qu’elle recèle. Il en va de
même avec ces vêtements de haute couture dont on se dit qu’ils sont magnifiquement simples et
qui cachent un travail d’une sophistication extrême. Par sa maitrise du paradigme, des protocoles
et de la dynamique interpersonnelle inhérents à sa conceptualisation, Christine Padesky a donné
l’impression que les choses pouvaient effectivement être simples, mais il n’en reste pas moins
indispensable d’apprendre à pratiquer ce modèle en 4 étapes. Au sein de l’ASPCo, Xenia Heinze,
que beaucoup d’entre nous connaissent bien, travaille régulièrement avec le nouveau paradigme
de Padesky, auprès de laquelle elle est supervisée via Skype 5 . Dès cet automne, elle nous
proposera 3 ateliers de pratique clinique pour appliquer ce nouveau paradigme6.
Il ne reste plus qu’à se lancer !
Fait par Muriel Bonin
Dans le cadre de ses activités de formatrice, C. Padesky a développé un modèle de supervision
téléphonique pour les thérapeutes du monde entier, en individuel et en groupe.
6 11 octobre et 29 novembre 2014, 28 février 2015.
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