8 pages en PDF - Eau et rivières de Bretagne

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8 pages en PDF - Eau et rivières de Bretagne
DOSSIER
Bulbiculture à La Torche
beau et destructeur
« L’environnement a perdu un ami », ainsi titrait le quotidien Ouest-France en évoquant la disparition
soudaine de Guy Bourdon. Eau et Rivières, elle aussi a perdu un ami, un ami administrateur depuis plus
de cinq ans. Cinq années qui nous ont permis de découvrir un personnage réservé mais au caractère bien
trempé, un ami discret, mais ouvert sur le monde et toujours prêt à tendre la main aux associations locales
et adhérents en difficulté. Nous gardons en souvenir quelques-uns de ses engagements, dans le programme
« porcherie verte » de l’INRA, dans les programmes de lutte contre les algues vertes en baie de Douarnenez,
mais aussi dans son pays bigouden natal où il n’hésitait jamais à interpeller la presse pour tenter d’enrayer
les comportements délictueux. C’est donc pour lui rendre hommage que nous avons choisi pour ce numéro
de prendre le temps de comprendre la détresse des riverains, à qui il avait su tendre la main, pour les aider
dans leur combat. Une lutte engagée bec et ongles contre la destruction de leur santé et d’un des sites
naturels les plus remarquables de Bretagne, celui de la baie d’Audierne, et plus particulièrement de La Torche.
Récit d’un fléau qui avance masqué.
Il y a une vingtaine d’années, la baie d’Audierne était
encore considérée comme une côte sauvage inhospitalière.
Hormis quelques amoureux qui savaient en percevoir la
beauté et les couleurs changeantes, fort peu de monde
l’appréciait alors à sa juste valeur. Mais, les acquisitions
du Conservatoire du Littoral, des citadins en quête de
sites naturels authentiques, le développement des sports
de glisse, la reconnaissance de ce site ornithologique et
floristique de très grande qualité par l’Union Européenne
ont quelque peu changé le regard porté sur ce site exceptionnel à bien des égards. Prisée par une majorité pour ses
vastes espaces, mais aussi, malheureusement, convoitée
par une minorité qui détruit sans état d’âme pour le profit, la baie d’Audierne se trouve aujourd’hui au centre
d’intérêts divergents qui mettent en péril son équilibre,
son intégrité et sa survie.
En effet, joyau de notre patrimoine naturel, ce site recèle
de véritables trésors faunistiques et floristiques. 320
espèces d’oiseaux et une flore remarquable y ont été
répertoriées. Vantée dans les dépliants touristiques, cette
baie rencontre néanmoins de sérieuses difficultés, lorsqu’il
s’agit de protéger ce patrimoine naturel remarquable.
Pour preuve tous les élus du Pays Bigouden Sud ont voté
contre NATURA 2000 dont le périmètre a été fortement
réduit en 2003, rine que sur la commune de Plomeur sa
surface initiale a été diminuée d’un tiers, pour préserver
l’activité bulbicole.
Bénéficiant de conditions climatiques favorables et de
terres disponibles, le pays bigouden sud a vu apparaître
la culture des oignons à fleur, dès le début des années
1960. Cartes postales, posters et dépliants touristiques
abondent en photos de champs de tulipes et la fête des
fleurs, au printemps, amène des centaines de visiteurs
admiratifs qui ne s’interrogent probablement pas, pour la
plupart, sur la façon dont on obtient ces belles couleurs
éphémères. L’image idyllique d’une bulbiculture fournissant des emplois et embellissant les communes a été
soigneusement entretenue pendant plusieurs décennies.
Or, derrière cette belle vitrine multicolore, qui n’existe que
trois ou quatre semaines par an seulement, se cachent des
pratiques culturales très contestables. En dépit du bon
sens, le contexte local continue à privilégier les intérêts
de trois exploitants bulbicoles et d’un maraîcher, au détriment de l’environnement et de la santé publique. Ici, la
peur irrationnelle de voir sanctuariser un secteur touristique, et surtout de mettre un frein aux excès d’une
activité agricole très intensive, a singulièrement pris le
pas sur toutes considérations écologiques et humaines
légitimes.
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DOSSIER
Une activité avide d’espaces
En 1965, la coopérative de Landerneau réalise les premiers tests en plantant des tulipes
sur une surface de 500 m 2 . Un an plus tard, cette surface a été multipliée par dix. En 1967,
son responsable de projet reprendra l’activité à son compte sur une surface de dix hectares,
puis en 1968, la société fusionnera avec la société Gigot-Verhnes, productrice de fleurs,
qui sera rachetée, à son tour, par les Ets Turc d’Angers. Quelques années plus tard, l’activité prendra
son plein essor, avec l’installation de deux bulbiculteurs hollandais.
Implantées autour du site de La Torche, essentiellement
sur les communes de Plomeur, Saint-Jean-Trolimon et
Penmarc’h, les trois entreprises cultivent des bulbes à
fleurs. Tulipes, jacinthes, iris, narcisses, muscaris, sont
exportés en majorité en Hollande où ils arrivent sur le
marché plus tôt que la production nationale, à cause du
forçage des bulbes et de la douceur du climat bigouden.
Pour 7 tonnes plantées, on en récolte 19, soit donc près
de trois fois plus. Des maraîchers en GAEC pratiquant
également une agriculture très intensive produisent essentiellement des carottes de sable et effectuent des rotations de culture avec l’un des exploitants. Concurrence
oblige, afin de maintenir leur rentabilité, ces entreprises
se livrent un rude combat pour agrandir leurs exploitations, et de fortes pressions sont exercées pour que les
propriétaires consentent à vendre ou à louer leurs terrains.
155 ha étaient cultivés en 1985, 330 ha en 1998, soit
une augmentation de 113 % en treize ans ! En 1992, la
chambre d’agriculture pariait sur 200 ha dans les 10 ans.
Or, 500 ha environ sont actuellement consacrés à ces
cultures. Et ce n’est pas terminé…
Une artificialisation du paysage
Les impacts de la bulbiculture très intensive sur les
milieux naturels et le paysage sont indiscutables. Depuis
son installation, la surface n’a pas cessé de s’étendre avec
l’achat et la location de terrains communaux et privés,
sans oublier les « grignotages » permanents. Certains
n’hésitent pas à affirmer que les exploitants « poldériseraient » la baie d’Audierne, si on les laissait faire… Pour
faciliter la mécanisation et agrandir les parcelles, bon
nombre de petits chemins ont été labourés et les haies et
les talus ont disparu. On trouve des cultures en milieu
dunaire y compris sur les terrains du Conservatoire du Littoral. Détournement ou rectification du cours des ruisseaux, terrains laissés à nu après les récoltes favorisant
une importante érosion éolienne… toutes ces actions ont
engendré une artificialisation, une banalisation et un
appauvrissement du paysage, une modification des équilibres biologiques, la destruction de la flore et le déplacement de la faune. Alouettes et escargots, indicateurs de
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M. Riou
450 000 bulbes de tulipes par hectare
la bonne santé du milieu, ont disparu tout autour de la
zone cultivée. Les abeilles et les papillons sont devenus
rares. Ne trouvant plus d’arbres pour nidifier, ni de nourriture sur les parcelles à nu, les oiseaux, en nette diminution, ne se rencontrent plus que dans les jardins. À
l'exception des nuées de corneilles et de choucas des
tours après les épandages de « compost » urbain malodorant et de fumiers de volaille, on ne voit pas un seul
oiseau sur les terrains de bulbes.
Mainmise sur la ressource en eau
Pour les besoins des cultures, la circulation de l’eau a
été complètement modifiée, sans étude d’impact préalable pour en connaître les effets sur le milieu naturel, les
Bretagne Vivante sur le qui-vive
En 2001, une étude de Bretagne Vivante sur les passereaux de
la baie d’Audierne a montré que la densité d’oiseaux nicheurs
est en moyenne 8 fois plus élevée en milieu naturel que sur les
terres agricoles et que parmi celles-ci, les champs de bulbes font
figure de désert ornithologique. Le pipit farlouse, l’alouette
des champs voient leur population décliner et la spectaculaire
huppe fasciée a récemment disparu de la baie d’Audierne.
DOSSIER
Le tri à la source
une technique mal maîtrisé
Des tonnes de « compost » urbain nauséabond de très
mauvaise qualité (40 tonnes/ha) y sont épandues depuis
des années et modifient la nature des sols, de manière irré-
nappe phréatique et aux zones humides. Le Sud de la
France en a fait l’expérience. C’est pourquoi, en 2005,
la préfecture a demandé à la CCPBS de réaliser une
étude d’une année, dans le but de dresser un état quantitatif de la ressource en eau. Malheureusement, cette
étude réalisée par AQUA TERRA aurait dû se terminer
le 31 octobre dernier, a pris 6 mois de retard.
versible. S’il apporte aux cultures un peu de matière organique en structurant un sol sableux très filtrant, ce « comCCPBS
post » insuffisamment criblé est très riche en inertes.
Communauté de Communes
du Pays Bigouden Sud.
Morceaux de verre, aiguilles de seringues, stylos, cotons-
Le début de la fin ?
tiges, plastiques, fils électriques… risquent par ailleurs de
Le 1er mars 2004, un exploitant n’a pas hésité à construire,
TGI
compromettre un retour au pâturage. Et les mouches infes-
sur le ruisseau permanent de La Torche, une digue de 4 m
Tribunal de Grande Instance
tent les maisons. Au moment des épandages effectués à
de haut sur 10 m de long, constituée de déchets de cultures
grande vitesse, les nuages de poussières et de fumée déri-
et de compost urbain, alors qu’il venait de signer la charte
vent dans les jardins. Les habitations sont alors imprégnées
de bonnes pratiques, le 5 janvier 2004 !! Le ruisseau a été
d’une odeur de pourriture insupportable qui donne des
détourné, sans autorisation, sur plusieurs centaines de
nausées. Une horreur ! Trop souvent mal enfoui près des
mètres à travers la dune et les saccages dunaires avec une
habitations, ce « compost » incommode les riverains pen-
pelle mécanique, y compris sur le site classé de La Torche,
dant de longues semaines. Des apports importants en
ont été considérables. Non stabilisé, le sable des berges du
engrais minéraux, des fientes de volailles et fumiers assurent
nouveau ruisseau s’est effondré en colmatant complète-
également la fertilisation des cultures.
ment le ruisseau en aval, sur 70 cm de profondeur. La préfecture a engagé une procédure de mise en demeure de
remise en état des lieux et de rétablissement du cours d’eau
dans son ancien lit, à l’encontre de l’exploitant. Le site a
été « remis en état », le 16 juin seulement, ce qui a occasionné à nouveau des dommages importants à la dune.
Une structure en parpaings et un « moine » ont ensuite
été construits sous la digue. Depuis ces faits, le ruisseau
permanent de La Torche situé dans le périmètre NATURA
2000 ne coule plus et les civelles ne peuvent plus remonter
jusqu’à l’étang. Eau et Rivières de Bretagne et Bretagne
Vivante-SEPNB avaient alors porté plainte. Le 26 octobre
dernier, le TGI de Quimper a condamné l’exploitant
concerné à 3 000 euros d’amende. Il devra en outre verser
600 euros de dommages et intérêts à chaque association.
M. Riou
écosystèmes et la vie des riverains. En septembre, au
moment de la plantation, comme les bulbes ne supportent pas l’humidité, des fossés de drainage de
200/300 m de long et de 50/60 cm de profondeur sont
creusés régulièrement, pour évacuer les eaux excédentaires dans les fossés communaux, inondant les
propriétés voisines et bloquant le fonctionnement des
assainissements, lors de fortes précipitations. Très gourmandes en eau, les cultures sont, par contre, abondamment irriguées de mars à octobre, même quand il
pleut. Les dérives d’une irrigation intensive très mal
conduite ne sont pas rares dans les maisons, les jardins
et sur les routes. Un exploitant persévère, en toute
connaissance de cause, malgré les plaintes des riverains. Parfois très importantes, des fuites d’eau sur les
vannes ont engendré des gaspillages, ces dernières
années.
Forages, captages, pompages dans les étangs, détournement de ruisseau, tout est bon pour récupérer la
moindre goutte d’eau. Pendant l’été 2003 particulièrement sec, l’étang de Saint-Vio, propriété du Conservatoire du Littoral, a connu un niveau exceptionnellement bas, en raison de pompages excessifs, et l’étang
de Roz-An-Tremen a été mis à sec en octobre 2005 et
2006, sans tenir compte de l’avifaune et des batraciens
protégés qui y vivent. Un ruisseau permanent alimentant une zone humide en site classé et un autre coulant
derrière un plan d’eau ont été annexés dans les étangs
proches, sans autorisation. Mais on a laissé faire…
Depuis des années, les riverains et les associations alertent les élus et les autorités sur les risques de salinisation que ces prélèvements excessifs font encourir à la
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DOSSIER
La santé en jeu
Le marché international impose des règles sanitaires très strictes, avec une tolérance zéro
pour les nématodes. En conséquence, les bulbes nécessitent de nombreux traitements phytosanitaires,
avant, pendant et après la culture. Pour les protéger contre les insectes, les maladies,
et les « mauvaises herbes », l’utilisation massive de nématicides (vers du sol), insecticides (pucerons),
fongicides (champignons), herbicides…, s’impose.
Depuis plus de trente ans, les produits phytosanitaires
interdits et non homologués, moins onéreux, provenaient
des Pays-Bas. L’absence d’encadrement et de contrôles
ont malheureusement laissé toute latitude aux exploitants pour utiliser des pesticides totalement interdits en
France, des pesticides sans AMM et des pesticides autorisés sur d’autres cultures mais pas sur les leurs. Pour des
raisons de coût, les fabricants de produits phytosanitaires
ne sollicitent pas d’AMM pour la culture des bulbes,
considérée comme une culture mineure, de faible importance économique. C’est pourquoi, en 2005, des extensions d’usage ont été demandées au ministère de l’Agriculture, pour une vingtaine de produits utilisés sur
d’autres cultures, afin de légaliser leur emploi sur les
bulbes.
Cohabitation difficile
Les traitements phytosanitaires sont effectués, la plupart
du temps, en milieu de matinée et l’après-midi, sans se
soucier du vent. Pulvérisés plusieurs fois par semaine,
même au ras des habitations, les produits phytopharmaceutiques ont été jusqu’à provoquer des malaises et des
saignements de nez chez des riverains, signalés au maire
de Plomeur et à la DDASS, en 1999. Le principe de précaution n’a jamais été appliqué et ne l’est toujours pas. Si
les employés portent désormais parfois un masque dans
les tracteurs, ce n’est pas le cas des habitants dans leur
jardin. Difficultés respiratoires, toux, oppression, démangeaisons, voile oculaire, nausées, vertiges, apparaissent au
moment des traitements et inquiètent les riverains. S’ils
ont tout d’abord pensé à une simple coïncidence, ces derniers sont désormais persuadés qu’il existe bien un lien
de cause à effet, après toutes ces années d’exposition à ces
substances toxiques. Riverains, jardins, routes (et parfois
randonneurs) sont régulièrement aspergés par des nuages
de produits phytosanitaires appliqués quelles que soient
les conditions climatiques : vents forts, tempêtes, fortes
pluies, gel… En période de floraison, ces pesticides éradiquent les abeilles et les bourdons, et les arbres fruitiers
ne sont pas pollinisés dans les jardins. En avril 2005, des
dizaines de bourdons morts ont été trouvés à deux
reprises non loin de parcelles bulbicoles, en bordure de
route et sur les terrains du Conservatoire du Littoral. En
décembre 2000, un exploitant pulvérisait des herbicides
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sur terrains inondés, « pour qu’ils aillent le plus profond
possible » !! Le vent et la pluie entraînent rapidement
tous ces produits dangereux dans la nappe phréatique,
peu profonde, les ruisseaux et la mer, sans les dégrader,
et bien au-delà des zones traitées, en contaminant tous les
milieux. Une pollution et un gaspillage évitables…
Les brûlages de fanes d’iris
Les iris sont énormément traités, jusqu’à la récolte. Selon
les bulbiculteurs, contrairement aux autres fanes, les fanes
d’iris ligneuses ne sont pas enfouies dans les terrains, pour
des « raisons sanitaires ». Elles sont donc brûlées en plein
champ, essentiellement en juillet et en août, par vents forts
L’impact des pesticides sur la santé,
qui s’en préoccupe ?
Le Comité de la Prévention et de la Précaution, créé par arrêté
ministériel du 30 juillet 1996, met l’accent « sur certaines catégories de population dont la fréquence et l’intensité du contact
avec les pesticides créent a priori un risque plus élevé que
dans la population générale… parmi eux les métiers de l’agriculture, intermittents saisonniers… horticulteurs… les familles
de ces travailleurs dont l’exposition peut être importante via les
conditions de vie commune. Les riverains des exploitations
agricoles forment également un groupe potentiellement
exposé de façon importante. » L’Appel de Paris du 7 mai 2004
mobilisant notamment le milieu scientifique et médical sur les
dangers des pesticides, le Plan National Environnement Santé
et la Charte de l’Environnement du 28 février 2005, inscrite
dans notre Constitution (Loi du 1er mars 2005), semblent être
totalement inconnus en baie d’Audierne.
Une étude récente de l’Observatoire régional de l’air en
Midi-Pyrénées a été menée pour déterminer l’exposition de
la population aux pesticides. Les quantités de résidus retrouvées dans l’air, à proximité des parcelles traitées et au cours des
traitements, ou peu après, sont élevées. « L’exposition des
populations résidant à proximité de parcelles est donc relativement importante au cours de l’année, compte tenu du fait
qu’un verger nécessite chaque saison une trentaine de traitements » conclut l’étude. Une étude de ce type devrait être
réalisée autour de La Torche où les produits phytosanitaires
sont pulvérisés à longueur d’année, les carottes succédant
immédiatement aux bulbes.
AMM
Autorisation de Mise
sur le Marché.
DOSSIER
(5/7 Beaufort) et sans surveillance. Les fumées, âcres et
très irritantes, envahissent alors les jardins et les habitations, s’incrustent dans les haies et sont responsables
de problèmes respiratoires, oculaires et digestifs. Il n’est
pas rare de voir des flammèches emportées par le vent,
la nuit tombée. Il serait prudent de tenir compte de la
fiche technique internationale de sécurité de certains
produits phytosanitaires indiquant qu’ils produisent des
émissions de fumées toxiques ou irritantes, lors de leur
combustion, pour respecter le principe de précaution
inscrit dans la Charte de l’Environnement. En
novembre 2005, vingt-huit roundballers de fanes ont
été brûlés sans surveillance, près de bosquets, par vent
6 Beaufort, nécessitant une longue intervention des
pompiers, après la tombée de la nuit.
Des solutions sont recherchées depuis quelques mois
par la chambre d’agriculture, et, des essais de com-
postage de fanes d’iris et de lisier de porc, réalisés pendant quatre malheureuses semaines, ont été jugés peu
concluants. Un éleveur a accepté de prendre 50 roundballers, en essai, pour la litière de ses bovins. Depuis fin
août 2006, 30 m3 de fanes ont été amenés à l’usine
d’ordures ménagères de Lezinadou à Plomeur, pour des
essais de compostage avec des déchets verts, pendant
5 mois. Mais bien ancrés dans leurs habitudes, les bulbiculteurs ont déclaré que le compostage ne marcherait
pas et qu’ils continueraient donc à brûler. Ils ont toutefois envisagé la possibilité d’enfouir les fanes en zone
dunaire et sur les chemins d’accès à la plage, en baie
d’Audierne, " comme cela se pratique en Hollande. "
Une idée de génie !!
Mai 2004, pour la première fois depuis 30 ans, le Service Régional de Protection
des Végétaux (SRPV) a effectué des contrôles qui ont permis d’identifier 86 pesticides d’usage limite dont 31 d’usage inadmissible. Quels sont ces produits ? La préfecture, puis la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) répon-
Début de concertation laborieux
Face à la pression qui montait entre les protagonistes, la
préfecture a organisé le 30 mars dernier une rencontre au
dront aux associations que le compte rendu du SRPV n’est pas communicable. L’un des
exploitants qui avait promis d’en communiquer la liste dès qu’il aurait signé la charte,
a réitéré sa promesse un peu plus tard. On l’attend encore…
cours de laquelle la question des brûlages à fait l’objet d’un
arbitrage. Il avait été alors convenu que seuls les brûlages qui
s’avéreraient indispensables pourraient être effectués, sous
Une charte pour du beurre ?
certaines conditions. Une commission « brûlages », sous
Une charte dite de « bonnes pratiques bulbicoles et maraîchères », élaborée par la
la responsabilité du maire de Plomeur, a donc été mise en
chambre d’agriculture, a été signée le 5 janvier 2004, en mairie de Plomeur. Basée sur
place, le 29 juin dernier. Début juillet, dans chacune des
le référentiel de l’agriculture raisonnée (Arrêté du 30 avril 2002), elle a été subven-
trois communes concernées, un représentant des riverains,
tionnée par le Conseil général, la Communauté de Communes du Pays Bigouden
accompagné d’un élu et des exploitants, devait identifier les
Sud, la chambre d’agriculture et la commune de Plomeur, après trois années d’étude
parcelles dites « à risques », près des habitations et des
préliminaire. Cependant, contrairement au document auquel elle fait référence, elle
routes. Les bulbiculteurs estimeront pour leur part et pour
ne mentionne pas l’obligation « d’utiliser des produits phytosanitaires homologués et
des raisons économiques qu’il n’y a aucune parcelle à risque
autorisés pour les usages considérés » ! Que doit-on en conclure ? Il y est en outre pré-
et la Chambre d’agriculture aura quelques difficultés à faire
cisé qu’aucun recours ne pourra être exercé contre les signataires sur le fondement de
accepter que 2 parcelles et 2/3 d’une autre, sur 10 cultivées
cette charte ! Ce qui signifie en clair qu’elle n’engage en rien les producteurs. Depuis
à Plomeur, ne soient pas brûlées. Par conséquent, la quasi-
cette date, on a constaté, au contraire, une très nette aggravation des atteintes à
totalité de la production (80 %) a encore été brûlée cette
l’environnement, avec le détournement du ruisseau permanent de la Torche, des ten-
année. Dans les deux autres communes, les terrains étant
tatives pour récupérer un sentier de randonnée répertorié, des dommages et des
éloignés des habitations, les brûlages n’ont pas posé de
labours dunaires dans le périmètre NATURA 2000… Des brûlages de fanes ont été
problèmes.
effectués par grand vent, début août, et les recommandations de la charte qui préconise
Des solutions sont recherchées depuis quelques mois par la
la surveillance et l’arrêt immédiat des feux, si les fumées vont vers les habitations,
chambre d’agriculture et des essais de compostage de fanes
n’ont pas été respectées, comme d’habitude…
d’iris et de lisier de porc, ont été réalisées pendant quatre
malheureuses semaines et jugés peu concluants. Un éleveur a accepté de prendre 50 roundballers, en essai, pour
la litière de ses bovins. Depuis fin août 2006, 30 m3 de
fanes ont été amenées à l’usine d’ordures ménagères de
Lezinadou à Plomeur, pour des essais de compostage avec
des déchets verts, pendant 5 mois. Mais, bien ancrés dans
leurs habitudes, les producteurs ont déclaré que le compostage ne marcherait pas et qu’ils continueraient donc à
brûler. Ils ont toutefois envisagé la possibilité d’enfouir les
fanes en zone dunaire et sur les chemins d’accès à la plage,
en baie d’Audierne, comme cela se pratique en Hollande.
Le site exceptionnel de la baie d’Audierne reconnu par
l’Europe sera-t-il condamné lui aussi à devenir une vaste
poubelle ?
Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 - 15
DOSSIER
Le vent se lève à La Torche
Ils vivaient, disent-ils, dans un petit paradis. Mais petit à petit, les habitants ont vu disparaître
tout ce qui faisait le charme de cet agréable petit coin de campagne. Insidieusement, d’immenses
étendues vides et froides, de véritables glaciaires battues par les vents qui déménagent des nuages
de sable, ont remplacé les prairies et les petites parcelles entourées d’arbres et de talus.
L’emploi comme bouclier
Dès son investiture en mars 1995, le maire actuel de Plomeur avait été informé des nuisances générées par la
bulbiculture, alors que cette activité était un « sujet
tabou », idéalisé, dont les élus ne veulent toujours voir que
les beaux côtés. Peu nombreux en raison d’une mécanisation poussée qui les a réduits au fil des ans, les emplois
servent pourtant d’alibi pour laisser tout faire. Les élus de
Plomeur « soucieux du cadre et de la qualité de vie » de
leurs administrés, et « favorables à l’environnement et au
tourisme », disent-ils, n’ont toutefois pas pris au sérieux
les divers problèmes soulevés par les habitants. Le désengagement des collectivités locales est sans doute ressenti
comme un désintérêt envers l’environnement et les habitants. En conséquence, assurés du soutien indéfectible
de tous les élus du Pays Bigouden, les exploitants semblent bien décidés à ne pas s’engager dans une voie responsable, puisqu’ils savent pertinemment que leurs délits
demeureront impunis. Mais est-il vraiment raisonnable et
responsable de continuer à fermer les yeux en laissant
tout détruire et polluer ? Contactée par les riverains, la
conseillère générale du canton de Pont l’Abbé réunira
pour la première fois, en février 2000, les élus, services de
l’État et exploitants, suite à un état des lieux effectué
par le Conseil général qui suit toujours ce dossier avec
attention.
L’action de l’État
La DDASS interviendra en 2001 pour les ventilateurs
bruyants destinés au séchage des bulbes. Les nuisances
sonores permanentes d’une cinquantaine de ventilateurs
placés à l’extérieur, sur une dalle en béton faisant caisse
de résonance, empoisonnent la vie et le sommeil des riverains en été, depuis des années, nécessitant même parfois
le port de bouchons antibruit dans le jardin. Un rappel à
son sens des responsabilités fut adressé à l’exploitant
concerné, en juin 2004, sans succès. En septembre 2004,
des mesures acoustiques nocturnes effectuées à l’aide
d’un sonomètre mirent en évidence un dépassement de la
norme autorisée, que conteste l’exploitant. Mais le problème n’est toujours pas réglé, car personne n’impose à
un producteur, non concerné par la santé de ses voisins,
l’obligation de se mettre en conformité avec la loi.
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C’est, finalement, à partir du 30 juin 2004 que la préfecture a vraiment décidé de s’impliquer dans ce dossier,
lorsqu’elle a réuni tous les services de l’État pour faire le
point sur tous les problèmes liés à cette activité. Toujours d’actualité, cette mobilisation et cette détermination
démontrent que les problèmes dénoncés depuis si longtemps sont vraiment sérieux et, enfin, pris au sérieux.
La préfecture a notifié aux bulbiculteurs l’interdiction
d’usage du Temik (aldicarbe), l’obligation de destruction
des produits phytosanitaires ne disposant pas d’autorisation de mise sur le marché et l’obligation de régularisation des importations de produits phytosanitaires en
provenance de Hollande. Un programme de suivi a ensuite
été mis en place, en collaboration avec les services de
l’État et des contrôles ont été effectués en 2005. Sollicitée pour l’utilisation de neuf pesticides, la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL) a accordé, dans un premier temps, une dérogation pour huit d’entre eux
autorisés sur d’autres cultures. Mais, même si les pro-
DOSSIER
duits utilisés sont désormais autorisés ou en passe de
l’être, cela n’exclut en rien leur toxicité, ni les précautions qui s’imposent lors des pulvérisations, afin d’éviter les dérives en milieu habité et la mise en danger des
habitants (Arrêté du 12/09/2006).
Puis le 30 mars 2006, la préfecture a réuni pour la première fois le comité de suivi des activités bulbicoles,
avec tous les services de l’État, les élus concernés, le
Conseil général, les associations, la chambre d’agriculture et les producteurs. Selon la préfecture, les prélèvements d’eau ont été contrôlés et seulement 75 % du
volume validé réglementairement a été utilisé. En outre,
la question des brûlages a fait l’objet d’un arbitrage, il
a ainsi été convenu que seuls les brûlages qui s’avéreraient indispensables pourraient être effectués, sous
certaines conditions. Le 29 juin dernier, une commission « brûlages » a donc été mise en place, sous la responsabilité du maire de Plomeur, et Bretagne VivanteSEPNB et MOUEZH AN DOUAR ont réitéré leur ferme
opposition à ces pratiques dangereuses pour la santé.
La chambre d’agriculture aura quelques difficultés à
faire accepter que deux parcelles d’iris sur dix cultivées
à Plomeur, ne soient pas brûlées ! Au final, la quasitotalité de la production (80 %) a encore été brûlée,
l’été dernier, à Plomeur. Dans les deux autres, les brûlages n’ont pas posé de problèmes, les terrains étant
éloignés des habitations.
Bretagne Vivante, puis d’Eau et Rivières, un peu plus
tard. En butte à l’hermétisme et aux provocations des
uns, à l’inertie et à l’indifférence des autres, les riverains, considérés comme des témoins gênants, contacteront finalement les services de l’État puis la presse,
pour sortir de cet enlisement et faire prendre conscience
à tous des dangers générés par ces pratiques, pas toujours perceptibles de l’extérieur. Un véritable parcours
du combattant… Plus tard, de nombreuses associations
de l’environnement se sont mobilisées pour dénoncer
des pratiques culturales fortes déraisonnables. À l’instigation de S-Eau-S Pays Bigouden, une conférence
« Pesticides et santé », avec le Dr Lylian Le Goff, avait
eu lieu le 25 mars 2005, et, soutenue par vingt-cinq
associations, une pétition demandant l’ouverture d’une
enquête épidémiologique avait recueilli 1 580 signatures, sans qu’il y soit donné suite. Bernard Berrou,
écrivain et « poète amoureux de la baie d’Audierne », a
lui aussi apporté son soutien à la contestation en récoltant, de son côté, la signature de cinquante artistes et
personnalités, tout aussi inquiets sur le devenir du site.
la Communauté de Communes du Pays Bigouden Sud
(CCPBS) s’est engagée, à son tour, à améliorer la qualité
du « compost » urbain infect qu’elle produit, en effectuant
avant commercialisation des analyses portant sur la valeur
agronomique, les éléments traces métalliques, les compo-
Très attachés à leur qualité de vie et à leur environnement, un habitat dispersé et constitué de petits
hameaux, les riverains se sont mobilisés, d’abord isolément, autour du site de la Torche, pour dénoncer les
abus, et ce, dès le début des années quatre-vingt. Mais
personne ne voulait les croire et surtout s’investir.
Alors, certains ont préféré partir, lassés par des rapports de force permanents ainsi que par la mauvaise foi,
l’irrespect et la désinvolture des bulbiculteurs. Chaque
année, les mêmes problèmes resurgissent, alors qu’il
serait facile d’y remédier, avec un peu de bonne volonté
et de bon sens. Quand les doléances des riverains relatives aux nuisances ne sont pas carrément réfutées,
elles sont tournées en dérision et même ridiculisées.
Les appareils photos sont alors de précieux auxiliaires,
pour prouver la véracité des faits. Les pulvérisations de
pesticides par vent fort, les risques d’inondations, les
brûlages intoxicants de fanes d’iris, les épandages de
compost puant, les provocations et les intimidations
font malheureusement toujours partie du quotidien des
riverains de ces exploitations.
Le comité de riverains MOUEZH AN DOUAR, La Voix
de la Terre, sera créé en 1999 et informera régulièrement le maire de Plomeur avec beaucoup de persévérance et d’énergie. Il recevra le soutien immédiat de
sés organiques, les inertes et les germes pathogènes.
2,5 hectares ont été achetés à Lezinadou, pour moderniser
l’usine d’ordures ménagères. Ces terrains ont finalement
servi à construire une nouvelle usine ! Les boues de huit
stations d’épuration y seront co-compostées avec les boues
de l’usine de potabilisation de Pont l’Abbé et les déchets
verts broyés. Cette structure est amenée à évoluer assez
rapidement, puisque plusieurs stations d’épuration seront
créées dans les années à venir.
M. Riou
L’action des associations
Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 - 17
DOSSIER
Quel avenir pour ce territoire fragile ?
Observateur attentif, Pierre-Jackez Helias écrivait, il y a quelques années : « On a fini par savoir
ailleurs que notre pays ne manquait pas de ressources au bord d’un océan dont les vagues elles-mêmes
sont monnayables… Le danger qui nous guette aujourd’hui est de nous faire dépouiller de notre héritage
par plus entreprenants que nous et pourvus d’énormes moyens. Et soyez sûrs que les nouveaux venus
ne tiendront aucun compte de notre différence, si elle est préjudiciable à leurs intérêts. Au nombre des
armes que nous avons pour nous défendre, il y a notre histoire, nos traditions et surtout notre caractère…
Mais, je sais que notre avenir est d’abord en nous. »
La question de la pérennité de cette activité polluante,
destructrice de milieux naturels, en quête perpétuelle de
nouveaux terrains, et confrontée à un marché international très concurrentiel se pose inévitablement. La mise
en culture de nouvelles parcelles étendra la zone d’application des produits phytosanitaires dangereux pour la
santé et l’environnement, et accroîtra également la pression sur la ressource en eau, dont les réserves ne se sont
pas reconstituées depuis six ans. L’intrusion d’eau salée
dans les étangs et la nappe phréatique risquerait en outre
de gâcher une ressource dont on pourrait avoir besoin un
jour. Que restera-t-il de ce beau pays si cette expansion
incontrôlée se poursuit, s’inquiète la population locale
et estivale ? L’avenir des terres truffées de tonnes d’inertes
et polluées par trente ans de pesticides interdits, de
métaux toxiques et germes pathogènes des composts, ne
peut pas laisser indifférent. Quelles seront en outre les
incidences de tous ces mélanges sur la santé et l’environnement dans les années à venir ? La santé est un capital précieux dont tout le monde n’a pas la chance d’être
doté à la naissance et bon nombre d’habitants estiment
qu’il n’est pas normal de faire passer les intérêts d’une
minorité avant la santé d’une majorité.
Concilier économie et environnement
Des promesses non tenues, une réglementation et une
charte non respectées, des habitants et des touristes amoureux de ce site qui n’admettent pas de le voir sacrifier et
disparaître… Comment faire comprendre à ceux qui sont
engagés uniquement dans le court terme et à ceux qui les
soutiennent qu’environnement et économie ne sont pas
forcément opposables, et qu’une gestion saine et équilibrée de ce territoire permettrait de concilier les deux ?
Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure… La frilosité de l’État pour faire respecter les lois qu’il promulgue
n’est pas non plus propice à la régularisation rapide de ce
lourd dossier. Pourtant, il existe une attente très forte de
la population dans ce sens.
18 - Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138
La balle dans le camp de l’État
Ayant décidé d’exercer leur activité dans un milieu habité
et un environnement fragile, les bulbiculteurs devront
pourtant tenir compte de ces contraintes, pour le développement durable de ce territoire, où chacun à sa place.
Les riverains, quant à eux, aspirent à vivre enfin tranquilles, dans un environnement qu’on leur a imposé et qui
n’a absolument plus rien à voir avec celui qu’ils avaient
choisi. C’est donc aux services de l’État de faire respecter très fermement la réglementation et aux collectivités
d’assumer toutes leurs responsabilités envers tous leurs
administrés. Le bien-être et la santé de la population
ainsi que la préservation et la santé de l’environnement
sont à ce prix, car « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel » (Charte
de l’Environnement).
À mon ami Guy
Marie-Josée Helias
MOUEZH AN DOUAR (La Voix de la Terre)
Comité de riverains de La Torche, 29120 Plomeur
Le 19 janvier dernier,
l’installation du comité
de pilotage NATURA 2000
a enfin eu lieu, faisant suite
à un arrêté préfectoral
du 21 décembre 2006 portant
désignation du comité
de pilotage pour l’élaboration
et la mise en œuvre
du document d’objectifs
dont l’État et l’Europe
assumeront tout le financement.
Le SIVU de la baie d’Audierne
en sera l’opérateur.
Les budgets nécessaires
ont déjà été réservés.