8 pages en PDF - Eau et rivières de Bretagne
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DOSSIER Bulbiculture à La Torche beau et destructeur « L’environnement a perdu un ami », ainsi titrait le quotidien Ouest-France en évoquant la disparition soudaine de Guy Bourdon. Eau et Rivières, elle aussi a perdu un ami, un ami administrateur depuis plus de cinq ans. Cinq années qui nous ont permis de découvrir un personnage réservé mais au caractère bien trempé, un ami discret, mais ouvert sur le monde et toujours prêt à tendre la main aux associations locales et adhérents en difficulté. Nous gardons en souvenir quelques-uns de ses engagements, dans le programme « porcherie verte » de l’INRA, dans les programmes de lutte contre les algues vertes en baie de Douarnenez, mais aussi dans son pays bigouden natal où il n’hésitait jamais à interpeller la presse pour tenter d’enrayer les comportements délictueux. C’est donc pour lui rendre hommage que nous avons choisi pour ce numéro de prendre le temps de comprendre la détresse des riverains, à qui il avait su tendre la main, pour les aider dans leur combat. Une lutte engagée bec et ongles contre la destruction de leur santé et d’un des sites naturels les plus remarquables de Bretagne, celui de la baie d’Audierne, et plus particulièrement de La Torche. Récit d’un fléau qui avance masqué. Il y a une vingtaine d’années, la baie d’Audierne était encore considérée comme une côte sauvage inhospitalière. Hormis quelques amoureux qui savaient en percevoir la beauté et les couleurs changeantes, fort peu de monde l’appréciait alors à sa juste valeur. Mais, les acquisitions du Conservatoire du Littoral, des citadins en quête de sites naturels authentiques, le développement des sports de glisse, la reconnaissance de ce site ornithologique et floristique de très grande qualité par l’Union Européenne ont quelque peu changé le regard porté sur ce site exceptionnel à bien des égards. Prisée par une majorité pour ses vastes espaces, mais aussi, malheureusement, convoitée par une minorité qui détruit sans état d’âme pour le profit, la baie d’Audierne se trouve aujourd’hui au centre d’intérêts divergents qui mettent en péril son équilibre, son intégrité et sa survie. En effet, joyau de notre patrimoine naturel, ce site recèle de véritables trésors faunistiques et floristiques. 320 espèces d’oiseaux et une flore remarquable y ont été répertoriées. Vantée dans les dépliants touristiques, cette baie rencontre néanmoins de sérieuses difficultés, lorsqu’il s’agit de protéger ce patrimoine naturel remarquable. Pour preuve tous les élus du Pays Bigouden Sud ont voté contre NATURA 2000 dont le périmètre a été fortement réduit en 2003, rine que sur la commune de Plomeur sa surface initiale a été diminuée d’un tiers, pour préserver l’activité bulbicole. Bénéficiant de conditions climatiques favorables et de terres disponibles, le pays bigouden sud a vu apparaître la culture des oignons à fleur, dès le début des années 1960. Cartes postales, posters et dépliants touristiques abondent en photos de champs de tulipes et la fête des fleurs, au printemps, amène des centaines de visiteurs admiratifs qui ne s’interrogent probablement pas, pour la plupart, sur la façon dont on obtient ces belles couleurs éphémères. L’image idyllique d’une bulbiculture fournissant des emplois et embellissant les communes a été soigneusement entretenue pendant plusieurs décennies. Or, derrière cette belle vitrine multicolore, qui n’existe que trois ou quatre semaines par an seulement, se cachent des pratiques culturales très contestables. En dépit du bon sens, le contexte local continue à privilégier les intérêts de trois exploitants bulbicoles et d’un maraîcher, au détriment de l’environnement et de la santé publique. Ici, la peur irrationnelle de voir sanctuariser un secteur touristique, et surtout de mettre un frein aux excès d’une activité agricole très intensive, a singulièrement pris le pas sur toutes considérations écologiques et humaines légitimes. Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 - 11 DOSSIER Une activité avide d’espaces En 1965, la coopérative de Landerneau réalise les premiers tests en plantant des tulipes sur une surface de 500 m 2 . Un an plus tard, cette surface a été multipliée par dix. En 1967, son responsable de projet reprendra l’activité à son compte sur une surface de dix hectares, puis en 1968, la société fusionnera avec la société Gigot-Verhnes, productrice de fleurs, qui sera rachetée, à son tour, par les Ets Turc d’Angers. Quelques années plus tard, l’activité prendra son plein essor, avec l’installation de deux bulbiculteurs hollandais. Implantées autour du site de La Torche, essentiellement sur les communes de Plomeur, Saint-Jean-Trolimon et Penmarc’h, les trois entreprises cultivent des bulbes à fleurs. Tulipes, jacinthes, iris, narcisses, muscaris, sont exportés en majorité en Hollande où ils arrivent sur le marché plus tôt que la production nationale, à cause du forçage des bulbes et de la douceur du climat bigouden. Pour 7 tonnes plantées, on en récolte 19, soit donc près de trois fois plus. Des maraîchers en GAEC pratiquant également une agriculture très intensive produisent essentiellement des carottes de sable et effectuent des rotations de culture avec l’un des exploitants. Concurrence oblige, afin de maintenir leur rentabilité, ces entreprises se livrent un rude combat pour agrandir leurs exploitations, et de fortes pressions sont exercées pour que les propriétaires consentent à vendre ou à louer leurs terrains. 155 ha étaient cultivés en 1985, 330 ha en 1998, soit une augmentation de 113 % en treize ans ! En 1992, la chambre d’agriculture pariait sur 200 ha dans les 10 ans. Or, 500 ha environ sont actuellement consacrés à ces cultures. Et ce n’est pas terminé… Une artificialisation du paysage Les impacts de la bulbiculture très intensive sur les milieux naturels et le paysage sont indiscutables. Depuis son installation, la surface n’a pas cessé de s’étendre avec l’achat et la location de terrains communaux et privés, sans oublier les « grignotages » permanents. Certains n’hésitent pas à affirmer que les exploitants « poldériseraient » la baie d’Audierne, si on les laissait faire… Pour faciliter la mécanisation et agrandir les parcelles, bon nombre de petits chemins ont été labourés et les haies et les talus ont disparu. On trouve des cultures en milieu dunaire y compris sur les terrains du Conservatoire du Littoral. Détournement ou rectification du cours des ruisseaux, terrains laissés à nu après les récoltes favorisant une importante érosion éolienne… toutes ces actions ont engendré une artificialisation, une banalisation et un appauvrissement du paysage, une modification des équilibres biologiques, la destruction de la flore et le déplacement de la faune. Alouettes et escargots, indicateurs de 12 - Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 M. Riou 450 000 bulbes de tulipes par hectare la bonne santé du milieu, ont disparu tout autour de la zone cultivée. Les abeilles et les papillons sont devenus rares. Ne trouvant plus d’arbres pour nidifier, ni de nourriture sur les parcelles à nu, les oiseaux, en nette diminution, ne se rencontrent plus que dans les jardins. À l'exception des nuées de corneilles et de choucas des tours après les épandages de « compost » urbain malodorant et de fumiers de volaille, on ne voit pas un seul oiseau sur les terrains de bulbes. Mainmise sur la ressource en eau Pour les besoins des cultures, la circulation de l’eau a été complètement modifiée, sans étude d’impact préalable pour en connaître les effets sur le milieu naturel, les Bretagne Vivante sur le qui-vive En 2001, une étude de Bretagne Vivante sur les passereaux de la baie d’Audierne a montré que la densité d’oiseaux nicheurs est en moyenne 8 fois plus élevée en milieu naturel que sur les terres agricoles et que parmi celles-ci, les champs de bulbes font figure de désert ornithologique. Le pipit farlouse, l’alouette des champs voient leur population décliner et la spectaculaire huppe fasciée a récemment disparu de la baie d’Audierne. DOSSIER Le tri à la source une technique mal maîtrisé Des tonnes de « compost » urbain nauséabond de très mauvaise qualité (40 tonnes/ha) y sont épandues depuis des années et modifient la nature des sols, de manière irré- nappe phréatique et aux zones humides. Le Sud de la France en a fait l’expérience. C’est pourquoi, en 2005, la préfecture a demandé à la CCPBS de réaliser une étude d’une année, dans le but de dresser un état quantitatif de la ressource en eau. Malheureusement, cette étude réalisée par AQUA TERRA aurait dû se terminer le 31 octobre dernier, a pris 6 mois de retard. versible. S’il apporte aux cultures un peu de matière organique en structurant un sol sableux très filtrant, ce « comCCPBS post » insuffisamment criblé est très riche en inertes. Communauté de Communes du Pays Bigouden Sud. Morceaux de verre, aiguilles de seringues, stylos, cotons- Le début de la fin ? tiges, plastiques, fils électriques… risquent par ailleurs de Le 1er mars 2004, un exploitant n’a pas hésité à construire, TGI compromettre un retour au pâturage. Et les mouches infes- sur le ruisseau permanent de La Torche, une digue de 4 m Tribunal de Grande Instance tent les maisons. Au moment des épandages effectués à de haut sur 10 m de long, constituée de déchets de cultures grande vitesse, les nuages de poussières et de fumée déri- et de compost urbain, alors qu’il venait de signer la charte vent dans les jardins. Les habitations sont alors imprégnées de bonnes pratiques, le 5 janvier 2004 !! Le ruisseau a été d’une odeur de pourriture insupportable qui donne des détourné, sans autorisation, sur plusieurs centaines de nausées. Une horreur ! Trop souvent mal enfoui près des mètres à travers la dune et les saccages dunaires avec une habitations, ce « compost » incommode les riverains pen- pelle mécanique, y compris sur le site classé de La Torche, dant de longues semaines. Des apports importants en ont été considérables. Non stabilisé, le sable des berges du engrais minéraux, des fientes de volailles et fumiers assurent nouveau ruisseau s’est effondré en colmatant complète- également la fertilisation des cultures. ment le ruisseau en aval, sur 70 cm de profondeur. La préfecture a engagé une procédure de mise en demeure de remise en état des lieux et de rétablissement du cours d’eau dans son ancien lit, à l’encontre de l’exploitant. Le site a été « remis en état », le 16 juin seulement, ce qui a occasionné à nouveau des dommages importants à la dune. Une structure en parpaings et un « moine » ont ensuite été construits sous la digue. Depuis ces faits, le ruisseau permanent de La Torche situé dans le périmètre NATURA 2000 ne coule plus et les civelles ne peuvent plus remonter jusqu’à l’étang. Eau et Rivières de Bretagne et Bretagne Vivante-SEPNB avaient alors porté plainte. Le 26 octobre dernier, le TGI de Quimper a condamné l’exploitant concerné à 3 000 euros d’amende. Il devra en outre verser 600 euros de dommages et intérêts à chaque association. M. Riou écosystèmes et la vie des riverains. En septembre, au moment de la plantation, comme les bulbes ne supportent pas l’humidité, des fossés de drainage de 200/300 m de long et de 50/60 cm de profondeur sont creusés régulièrement, pour évacuer les eaux excédentaires dans les fossés communaux, inondant les propriétés voisines et bloquant le fonctionnement des assainissements, lors de fortes précipitations. Très gourmandes en eau, les cultures sont, par contre, abondamment irriguées de mars à octobre, même quand il pleut. Les dérives d’une irrigation intensive très mal conduite ne sont pas rares dans les maisons, les jardins et sur les routes. Un exploitant persévère, en toute connaissance de cause, malgré les plaintes des riverains. Parfois très importantes, des fuites d’eau sur les vannes ont engendré des gaspillages, ces dernières années. Forages, captages, pompages dans les étangs, détournement de ruisseau, tout est bon pour récupérer la moindre goutte d’eau. Pendant l’été 2003 particulièrement sec, l’étang de Saint-Vio, propriété du Conservatoire du Littoral, a connu un niveau exceptionnellement bas, en raison de pompages excessifs, et l’étang de Roz-An-Tremen a été mis à sec en octobre 2005 et 2006, sans tenir compte de l’avifaune et des batraciens protégés qui y vivent. Un ruisseau permanent alimentant une zone humide en site classé et un autre coulant derrière un plan d’eau ont été annexés dans les étangs proches, sans autorisation. Mais on a laissé faire… Depuis des années, les riverains et les associations alertent les élus et les autorités sur les risques de salinisation que ces prélèvements excessifs font encourir à la Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 - 13 DOSSIER La santé en jeu Le marché international impose des règles sanitaires très strictes, avec une tolérance zéro pour les nématodes. En conséquence, les bulbes nécessitent de nombreux traitements phytosanitaires, avant, pendant et après la culture. Pour les protéger contre les insectes, les maladies, et les « mauvaises herbes », l’utilisation massive de nématicides (vers du sol), insecticides (pucerons), fongicides (champignons), herbicides…, s’impose. Depuis plus de trente ans, les produits phytosanitaires interdits et non homologués, moins onéreux, provenaient des Pays-Bas. L’absence d’encadrement et de contrôles ont malheureusement laissé toute latitude aux exploitants pour utiliser des pesticides totalement interdits en France, des pesticides sans AMM et des pesticides autorisés sur d’autres cultures mais pas sur les leurs. Pour des raisons de coût, les fabricants de produits phytosanitaires ne sollicitent pas d’AMM pour la culture des bulbes, considérée comme une culture mineure, de faible importance économique. C’est pourquoi, en 2005, des extensions d’usage ont été demandées au ministère de l’Agriculture, pour une vingtaine de produits utilisés sur d’autres cultures, afin de légaliser leur emploi sur les bulbes. Cohabitation difficile Les traitements phytosanitaires sont effectués, la plupart du temps, en milieu de matinée et l’après-midi, sans se soucier du vent. Pulvérisés plusieurs fois par semaine, même au ras des habitations, les produits phytopharmaceutiques ont été jusqu’à provoquer des malaises et des saignements de nez chez des riverains, signalés au maire de Plomeur et à la DDASS, en 1999. Le principe de précaution n’a jamais été appliqué et ne l’est toujours pas. Si les employés portent désormais parfois un masque dans les tracteurs, ce n’est pas le cas des habitants dans leur jardin. Difficultés respiratoires, toux, oppression, démangeaisons, voile oculaire, nausées, vertiges, apparaissent au moment des traitements et inquiètent les riverains. S’ils ont tout d’abord pensé à une simple coïncidence, ces derniers sont désormais persuadés qu’il existe bien un lien de cause à effet, après toutes ces années d’exposition à ces substances toxiques. Riverains, jardins, routes (et parfois randonneurs) sont régulièrement aspergés par des nuages de produits phytosanitaires appliqués quelles que soient les conditions climatiques : vents forts, tempêtes, fortes pluies, gel… En période de floraison, ces pesticides éradiquent les abeilles et les bourdons, et les arbres fruitiers ne sont pas pollinisés dans les jardins. En avril 2005, des dizaines de bourdons morts ont été trouvés à deux reprises non loin de parcelles bulbicoles, en bordure de route et sur les terrains du Conservatoire du Littoral. En décembre 2000, un exploitant pulvérisait des herbicides 14 - Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 sur terrains inondés, « pour qu’ils aillent le plus profond possible » !! Le vent et la pluie entraînent rapidement tous ces produits dangereux dans la nappe phréatique, peu profonde, les ruisseaux et la mer, sans les dégrader, et bien au-delà des zones traitées, en contaminant tous les milieux. Une pollution et un gaspillage évitables… Les brûlages de fanes d’iris Les iris sont énormément traités, jusqu’à la récolte. Selon les bulbiculteurs, contrairement aux autres fanes, les fanes d’iris ligneuses ne sont pas enfouies dans les terrains, pour des « raisons sanitaires ». Elles sont donc brûlées en plein champ, essentiellement en juillet et en août, par vents forts L’impact des pesticides sur la santé, qui s’en préoccupe ? Le Comité de la Prévention et de la Précaution, créé par arrêté ministériel du 30 juillet 1996, met l’accent « sur certaines catégories de population dont la fréquence et l’intensité du contact avec les pesticides créent a priori un risque plus élevé que dans la population générale… parmi eux les métiers de l’agriculture, intermittents saisonniers… horticulteurs… les familles de ces travailleurs dont l’exposition peut être importante via les conditions de vie commune. Les riverains des exploitations agricoles forment également un groupe potentiellement exposé de façon importante. » L’Appel de Paris du 7 mai 2004 mobilisant notamment le milieu scientifique et médical sur les dangers des pesticides, le Plan National Environnement Santé et la Charte de l’Environnement du 28 février 2005, inscrite dans notre Constitution (Loi du 1er mars 2005), semblent être totalement inconnus en baie d’Audierne. Une étude récente de l’Observatoire régional de l’air en Midi-Pyrénées a été menée pour déterminer l’exposition de la population aux pesticides. Les quantités de résidus retrouvées dans l’air, à proximité des parcelles traitées et au cours des traitements, ou peu après, sont élevées. « L’exposition des populations résidant à proximité de parcelles est donc relativement importante au cours de l’année, compte tenu du fait qu’un verger nécessite chaque saison une trentaine de traitements » conclut l’étude. Une étude de ce type devrait être réalisée autour de La Torche où les produits phytosanitaires sont pulvérisés à longueur d’année, les carottes succédant immédiatement aux bulbes. AMM Autorisation de Mise sur le Marché. DOSSIER (5/7 Beaufort) et sans surveillance. Les fumées, âcres et très irritantes, envahissent alors les jardins et les habitations, s’incrustent dans les haies et sont responsables de problèmes respiratoires, oculaires et digestifs. Il n’est pas rare de voir des flammèches emportées par le vent, la nuit tombée. Il serait prudent de tenir compte de la fiche technique internationale de sécurité de certains produits phytosanitaires indiquant qu’ils produisent des émissions de fumées toxiques ou irritantes, lors de leur combustion, pour respecter le principe de précaution inscrit dans la Charte de l’Environnement. En novembre 2005, vingt-huit roundballers de fanes ont été brûlés sans surveillance, près de bosquets, par vent 6 Beaufort, nécessitant une longue intervention des pompiers, après la tombée de la nuit. Des solutions sont recherchées depuis quelques mois par la chambre d’agriculture, et, des essais de com- postage de fanes d’iris et de lisier de porc, réalisés pendant quatre malheureuses semaines, ont été jugés peu concluants. Un éleveur a accepté de prendre 50 roundballers, en essai, pour la litière de ses bovins. Depuis fin août 2006, 30 m3 de fanes ont été amenés à l’usine d’ordures ménagères de Lezinadou à Plomeur, pour des essais de compostage avec des déchets verts, pendant 5 mois. Mais bien ancrés dans leurs habitudes, les bulbiculteurs ont déclaré que le compostage ne marcherait pas et qu’ils continueraient donc à brûler. Ils ont toutefois envisagé la possibilité d’enfouir les fanes en zone dunaire et sur les chemins d’accès à la plage, en baie d’Audierne, " comme cela se pratique en Hollande. " Une idée de génie !! Mai 2004, pour la première fois depuis 30 ans, le Service Régional de Protection des Végétaux (SRPV) a effectué des contrôles qui ont permis d’identifier 86 pesticides d’usage limite dont 31 d’usage inadmissible. Quels sont ces produits ? La préfecture, puis la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) répon- Début de concertation laborieux Face à la pression qui montait entre les protagonistes, la préfecture a organisé le 30 mars dernier une rencontre au dront aux associations que le compte rendu du SRPV n’est pas communicable. L’un des exploitants qui avait promis d’en communiquer la liste dès qu’il aurait signé la charte, a réitéré sa promesse un peu plus tard. On l’attend encore… cours de laquelle la question des brûlages à fait l’objet d’un arbitrage. Il avait été alors convenu que seuls les brûlages qui s’avéreraient indispensables pourraient être effectués, sous Une charte pour du beurre ? certaines conditions. Une commission « brûlages », sous Une charte dite de « bonnes pratiques bulbicoles et maraîchères », élaborée par la la responsabilité du maire de Plomeur, a donc été mise en chambre d’agriculture, a été signée le 5 janvier 2004, en mairie de Plomeur. Basée sur place, le 29 juin dernier. Début juillet, dans chacune des le référentiel de l’agriculture raisonnée (Arrêté du 30 avril 2002), elle a été subven- trois communes concernées, un représentant des riverains, tionnée par le Conseil général, la Communauté de Communes du Pays Bigouden accompagné d’un élu et des exploitants, devait identifier les Sud, la chambre d’agriculture et la commune de Plomeur, après trois années d’étude parcelles dites « à risques », près des habitations et des préliminaire. Cependant, contrairement au document auquel elle fait référence, elle routes. Les bulbiculteurs estimeront pour leur part et pour ne mentionne pas l’obligation « d’utiliser des produits phytosanitaires homologués et des raisons économiques qu’il n’y a aucune parcelle à risque autorisés pour les usages considérés » ! Que doit-on en conclure ? Il y est en outre pré- et la Chambre d’agriculture aura quelques difficultés à faire cisé qu’aucun recours ne pourra être exercé contre les signataires sur le fondement de accepter que 2 parcelles et 2/3 d’une autre, sur 10 cultivées cette charte ! Ce qui signifie en clair qu’elle n’engage en rien les producteurs. Depuis à Plomeur, ne soient pas brûlées. Par conséquent, la quasi- cette date, on a constaté, au contraire, une très nette aggravation des atteintes à totalité de la production (80 %) a encore été brûlée cette l’environnement, avec le détournement du ruisseau permanent de la Torche, des ten- année. Dans les deux autres communes, les terrains étant tatives pour récupérer un sentier de randonnée répertorié, des dommages et des éloignés des habitations, les brûlages n’ont pas posé de labours dunaires dans le périmètre NATURA 2000… Des brûlages de fanes ont été problèmes. effectués par grand vent, début août, et les recommandations de la charte qui préconise Des solutions sont recherchées depuis quelques mois par la la surveillance et l’arrêt immédiat des feux, si les fumées vont vers les habitations, chambre d’agriculture et des essais de compostage de fanes n’ont pas été respectées, comme d’habitude… d’iris et de lisier de porc, ont été réalisées pendant quatre malheureuses semaines et jugés peu concluants. Un éleveur a accepté de prendre 50 roundballers, en essai, pour la litière de ses bovins. Depuis fin août 2006, 30 m3 de fanes ont été amenées à l’usine d’ordures ménagères de Lezinadou à Plomeur, pour des essais de compostage avec des déchets verts, pendant 5 mois. Mais, bien ancrés dans leurs habitudes, les producteurs ont déclaré que le compostage ne marcherait pas et qu’ils continueraient donc à brûler. Ils ont toutefois envisagé la possibilité d’enfouir les fanes en zone dunaire et sur les chemins d’accès à la plage, en baie d’Audierne, comme cela se pratique en Hollande. Le site exceptionnel de la baie d’Audierne reconnu par l’Europe sera-t-il condamné lui aussi à devenir une vaste poubelle ? Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 - 15 DOSSIER Le vent se lève à La Torche Ils vivaient, disent-ils, dans un petit paradis. Mais petit à petit, les habitants ont vu disparaître tout ce qui faisait le charme de cet agréable petit coin de campagne. Insidieusement, d’immenses étendues vides et froides, de véritables glaciaires battues par les vents qui déménagent des nuages de sable, ont remplacé les prairies et les petites parcelles entourées d’arbres et de talus. L’emploi comme bouclier Dès son investiture en mars 1995, le maire actuel de Plomeur avait été informé des nuisances générées par la bulbiculture, alors que cette activité était un « sujet tabou », idéalisé, dont les élus ne veulent toujours voir que les beaux côtés. Peu nombreux en raison d’une mécanisation poussée qui les a réduits au fil des ans, les emplois servent pourtant d’alibi pour laisser tout faire. Les élus de Plomeur « soucieux du cadre et de la qualité de vie » de leurs administrés, et « favorables à l’environnement et au tourisme », disent-ils, n’ont toutefois pas pris au sérieux les divers problèmes soulevés par les habitants. Le désengagement des collectivités locales est sans doute ressenti comme un désintérêt envers l’environnement et les habitants. En conséquence, assurés du soutien indéfectible de tous les élus du Pays Bigouden, les exploitants semblent bien décidés à ne pas s’engager dans une voie responsable, puisqu’ils savent pertinemment que leurs délits demeureront impunis. Mais est-il vraiment raisonnable et responsable de continuer à fermer les yeux en laissant tout détruire et polluer ? Contactée par les riverains, la conseillère générale du canton de Pont l’Abbé réunira pour la première fois, en février 2000, les élus, services de l’État et exploitants, suite à un état des lieux effectué par le Conseil général qui suit toujours ce dossier avec attention. L’action de l’État La DDASS interviendra en 2001 pour les ventilateurs bruyants destinés au séchage des bulbes. Les nuisances sonores permanentes d’une cinquantaine de ventilateurs placés à l’extérieur, sur une dalle en béton faisant caisse de résonance, empoisonnent la vie et le sommeil des riverains en été, depuis des années, nécessitant même parfois le port de bouchons antibruit dans le jardin. Un rappel à son sens des responsabilités fut adressé à l’exploitant concerné, en juin 2004, sans succès. En septembre 2004, des mesures acoustiques nocturnes effectuées à l’aide d’un sonomètre mirent en évidence un dépassement de la norme autorisée, que conteste l’exploitant. Mais le problème n’est toujours pas réglé, car personne n’impose à un producteur, non concerné par la santé de ses voisins, l’obligation de se mettre en conformité avec la loi. 16 - Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 C’est, finalement, à partir du 30 juin 2004 que la préfecture a vraiment décidé de s’impliquer dans ce dossier, lorsqu’elle a réuni tous les services de l’État pour faire le point sur tous les problèmes liés à cette activité. Toujours d’actualité, cette mobilisation et cette détermination démontrent que les problèmes dénoncés depuis si longtemps sont vraiment sérieux et, enfin, pris au sérieux. La préfecture a notifié aux bulbiculteurs l’interdiction d’usage du Temik (aldicarbe), l’obligation de destruction des produits phytosanitaires ne disposant pas d’autorisation de mise sur le marché et l’obligation de régularisation des importations de produits phytosanitaires en provenance de Hollande. Un programme de suivi a ensuite été mis en place, en collaboration avec les services de l’État et des contrôles ont été effectués en 2005. Sollicitée pour l’utilisation de neuf pesticides, la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL) a accordé, dans un premier temps, une dérogation pour huit d’entre eux autorisés sur d’autres cultures. Mais, même si les pro- DOSSIER duits utilisés sont désormais autorisés ou en passe de l’être, cela n’exclut en rien leur toxicité, ni les précautions qui s’imposent lors des pulvérisations, afin d’éviter les dérives en milieu habité et la mise en danger des habitants (Arrêté du 12/09/2006). Puis le 30 mars 2006, la préfecture a réuni pour la première fois le comité de suivi des activités bulbicoles, avec tous les services de l’État, les élus concernés, le Conseil général, les associations, la chambre d’agriculture et les producteurs. Selon la préfecture, les prélèvements d’eau ont été contrôlés et seulement 75 % du volume validé réglementairement a été utilisé. En outre, la question des brûlages a fait l’objet d’un arbitrage, il a ainsi été convenu que seuls les brûlages qui s’avéreraient indispensables pourraient être effectués, sous certaines conditions. Le 29 juin dernier, une commission « brûlages » a donc été mise en place, sous la responsabilité du maire de Plomeur, et Bretagne VivanteSEPNB et MOUEZH AN DOUAR ont réitéré leur ferme opposition à ces pratiques dangereuses pour la santé. La chambre d’agriculture aura quelques difficultés à faire accepter que deux parcelles d’iris sur dix cultivées à Plomeur, ne soient pas brûlées ! Au final, la quasitotalité de la production (80 %) a encore été brûlée, l’été dernier, à Plomeur. Dans les deux autres, les brûlages n’ont pas posé de problèmes, les terrains étant éloignés des habitations. Bretagne Vivante, puis d’Eau et Rivières, un peu plus tard. En butte à l’hermétisme et aux provocations des uns, à l’inertie et à l’indifférence des autres, les riverains, considérés comme des témoins gênants, contacteront finalement les services de l’État puis la presse, pour sortir de cet enlisement et faire prendre conscience à tous des dangers générés par ces pratiques, pas toujours perceptibles de l’extérieur. Un véritable parcours du combattant… Plus tard, de nombreuses associations de l’environnement se sont mobilisées pour dénoncer des pratiques culturales fortes déraisonnables. À l’instigation de S-Eau-S Pays Bigouden, une conférence « Pesticides et santé », avec le Dr Lylian Le Goff, avait eu lieu le 25 mars 2005, et, soutenue par vingt-cinq associations, une pétition demandant l’ouverture d’une enquête épidémiologique avait recueilli 1 580 signatures, sans qu’il y soit donné suite. Bernard Berrou, écrivain et « poète amoureux de la baie d’Audierne », a lui aussi apporté son soutien à la contestation en récoltant, de son côté, la signature de cinquante artistes et personnalités, tout aussi inquiets sur le devenir du site. la Communauté de Communes du Pays Bigouden Sud (CCPBS) s’est engagée, à son tour, à améliorer la qualité du « compost » urbain infect qu’elle produit, en effectuant avant commercialisation des analyses portant sur la valeur agronomique, les éléments traces métalliques, les compo- Très attachés à leur qualité de vie et à leur environnement, un habitat dispersé et constitué de petits hameaux, les riverains se sont mobilisés, d’abord isolément, autour du site de la Torche, pour dénoncer les abus, et ce, dès le début des années quatre-vingt. Mais personne ne voulait les croire et surtout s’investir. Alors, certains ont préféré partir, lassés par des rapports de force permanents ainsi que par la mauvaise foi, l’irrespect et la désinvolture des bulbiculteurs. Chaque année, les mêmes problèmes resurgissent, alors qu’il serait facile d’y remédier, avec un peu de bonne volonté et de bon sens. Quand les doléances des riverains relatives aux nuisances ne sont pas carrément réfutées, elles sont tournées en dérision et même ridiculisées. Les appareils photos sont alors de précieux auxiliaires, pour prouver la véracité des faits. Les pulvérisations de pesticides par vent fort, les risques d’inondations, les brûlages intoxicants de fanes d’iris, les épandages de compost puant, les provocations et les intimidations font malheureusement toujours partie du quotidien des riverains de ces exploitations. Le comité de riverains MOUEZH AN DOUAR, La Voix de la Terre, sera créé en 1999 et informera régulièrement le maire de Plomeur avec beaucoup de persévérance et d’énergie. Il recevra le soutien immédiat de sés organiques, les inertes et les germes pathogènes. 2,5 hectares ont été achetés à Lezinadou, pour moderniser l’usine d’ordures ménagères. Ces terrains ont finalement servi à construire une nouvelle usine ! Les boues de huit stations d’épuration y seront co-compostées avec les boues de l’usine de potabilisation de Pont l’Abbé et les déchets verts broyés. Cette structure est amenée à évoluer assez rapidement, puisque plusieurs stations d’épuration seront créées dans les années à venir. M. Riou L’action des associations Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 - 17 DOSSIER Quel avenir pour ce territoire fragile ? Observateur attentif, Pierre-Jackez Helias écrivait, il y a quelques années : « On a fini par savoir ailleurs que notre pays ne manquait pas de ressources au bord d’un océan dont les vagues elles-mêmes sont monnayables… Le danger qui nous guette aujourd’hui est de nous faire dépouiller de notre héritage par plus entreprenants que nous et pourvus d’énormes moyens. Et soyez sûrs que les nouveaux venus ne tiendront aucun compte de notre différence, si elle est préjudiciable à leurs intérêts. Au nombre des armes que nous avons pour nous défendre, il y a notre histoire, nos traditions et surtout notre caractère… Mais, je sais que notre avenir est d’abord en nous. » La question de la pérennité de cette activité polluante, destructrice de milieux naturels, en quête perpétuelle de nouveaux terrains, et confrontée à un marché international très concurrentiel se pose inévitablement. La mise en culture de nouvelles parcelles étendra la zone d’application des produits phytosanitaires dangereux pour la santé et l’environnement, et accroîtra également la pression sur la ressource en eau, dont les réserves ne se sont pas reconstituées depuis six ans. L’intrusion d’eau salée dans les étangs et la nappe phréatique risquerait en outre de gâcher une ressource dont on pourrait avoir besoin un jour. Que restera-t-il de ce beau pays si cette expansion incontrôlée se poursuit, s’inquiète la population locale et estivale ? L’avenir des terres truffées de tonnes d’inertes et polluées par trente ans de pesticides interdits, de métaux toxiques et germes pathogènes des composts, ne peut pas laisser indifférent. Quelles seront en outre les incidences de tous ces mélanges sur la santé et l’environnement dans les années à venir ? La santé est un capital précieux dont tout le monde n’a pas la chance d’être doté à la naissance et bon nombre d’habitants estiment qu’il n’est pas normal de faire passer les intérêts d’une minorité avant la santé d’une majorité. Concilier économie et environnement Des promesses non tenues, une réglementation et une charte non respectées, des habitants et des touristes amoureux de ce site qui n’admettent pas de le voir sacrifier et disparaître… Comment faire comprendre à ceux qui sont engagés uniquement dans le court terme et à ceux qui les soutiennent qu’environnement et économie ne sont pas forcément opposables, et qu’une gestion saine et équilibrée de ce territoire permettrait de concilier les deux ? Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure… La frilosité de l’État pour faire respecter les lois qu’il promulgue n’est pas non plus propice à la régularisation rapide de ce lourd dossier. Pourtant, il existe une attente très forte de la population dans ce sens. 18 - Eau & Rivières Hiver 2007 n° 138 La balle dans le camp de l’État Ayant décidé d’exercer leur activité dans un milieu habité et un environnement fragile, les bulbiculteurs devront pourtant tenir compte de ces contraintes, pour le développement durable de ce territoire, où chacun à sa place. Les riverains, quant à eux, aspirent à vivre enfin tranquilles, dans un environnement qu’on leur a imposé et qui n’a absolument plus rien à voir avec celui qu’ils avaient choisi. C’est donc aux services de l’État de faire respecter très fermement la réglementation et aux collectivités d’assumer toutes leurs responsabilités envers tous leurs administrés. Le bien-être et la santé de la population ainsi que la préservation et la santé de l’environnement sont à ce prix, car « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel » (Charte de l’Environnement). À mon ami Guy Marie-Josée Helias MOUEZH AN DOUAR (La Voix de la Terre) Comité de riverains de La Torche, 29120 Plomeur Le 19 janvier dernier, l’installation du comité de pilotage NATURA 2000 a enfin eu lieu, faisant suite à un arrêté préfectoral du 21 décembre 2006 portant désignation du comité de pilotage pour l’élaboration et la mise en œuvre du document d’objectifs dont l’État et l’Europe assumeront tout le financement. Le SIVU de la baie d’Audierne en sera l’opérateur. Les budgets nécessaires ont déjà été réservés.