La désensibilisation aux venins d`hyménoptères
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La désensibilisation aux venins d`hyménoptères
Exp-français-27 28/11/07 14:49 Page 13 FORUM La désensibilisation aux venins d’hyménoptères Un entretien avec le Dr Joëlle BIRNBAUM (Marseille) et le Dr Bruno GIRODET (Lyon) Expressions : Quand envisage-t-on la désensibilisation par venins d’hyménoptères ? DR J. BIRNBAUM : L’indication d’une désensibilisation aux venins d’hyménoptères repose en premier lieu sur la nature des manifestations cliniques survenues après une piqûre. L’immunothérapie n’est à envisager qu’en cas de réaction générale, excluant les réactions uniquement locales ou locorégionales, ainsi que les réactions retardées. Si l’indication ne fait aucun doute en cas de choc anaphylactique ou de manifestations cardiorespiratoires, il n’en va pas de même pour les réactions générales plus légères, uniquement cutanéomuqueuses, qui ne relèvent pas systématiquement d’une désensibilisation. Expressions : En cas de réaction générale légère, quels sont les facteurs incitant à désensibiliser ? DR J. BIRNBAUM : L’indication est posée au cas par cas. Il faut tenir compte de l’exposition à un risque de piqûres fréquentes (par exemple, apiculteur amateur, agriculteur, paysagiste, etc.), des pathologies sous-jacentes associées (cardiopathie sévère ou mastocytose), de l’âge du patient (risque plus élevé chez le sujet âgé), de son isolement et du risque de mauvaise gestion de l’adrénaline auto-injectable. De plus, des études ont montré que les patients désensibilisés ont une qualité de vie nettement améliorée par rapport à ceux qui ont une trousse d’urgence, cet élément qualitatif est donc aussi à prendre en compte. Expressions : Quelle est la place du bilan complémentaire ? DR B. GIRODET : La réalisation de tests cutanés et de dosages d’IgE spécifiques (IgEs) est indis- pensable avant de débuter la désensibilisation. Le bilan est, en effet, le déterminant majeur du choix du venin à utiliser, tant l’identification de l’insecte piqueur par le patient peut être source d’erreur. Les venins disponibles pour les tests cutanés (en injection intradermique et non en pricktest) concernent l’abeille, la guêpe vespula et la guêpe poliste. Les dosages d’IgEs (abeille, guêpes vespula et polistes) sont complémentaires des tests cutanés. Les IgEs du frelon (Vespa crabro) ont un intérêt diagnostique, malgré l’absence de venin disponible pour réaliser les tests cutanés ou la désensibilisation. Aucun autre dosage biologique (tests d’histaminolibération, test de libération des leucotriènes, IgG4…) n’est justifié en pratique courante. DR J. BIRNBAUM : La situation est différente chez les patients ayant présenté une réaction locale ou locorégionale qui, de toute façon, ne seront pas désensibilisés. Il est alors, à mon sens, inutile de prescrire un bilan complémentaire puisque les résultats n’auront pas de conséquences en termes de prise en charge. Expressions : Comment choisir le venin à utiliser ? DR B. GIRODET : Le choix est facile lorsque les Tests cutanés et dosages d’IgEs sont indispensables avant de débuter la désensibilisation. données de l’interrogatoire et du bilan sont concordantes et orientent vers une désensibilisation par un (ou deux) des venins disponibles. En revanche, des IgEs positives pour un insecte différent de celui identifié, au terme du bilan, comme responsable de la réaction généralisée doivent évoquer la possibilité de faux positifs. Ceux-ci peuvent être liés à la présence d’IgE dirigées contre des déterminants ubiquitaires, tels que les carbohydrates. Dans ces situations, un test d’inhibition du RAST est utile pour 13 Exp-français-27 28/11/07 14:49 Page 14 FORUM trancher entre une réaction croisée non spécifique et une authentique sensibilisation à deux insectes qui pourrait déboucher sur une double désensibilisation. En l’absence de venin spécifique du frelon européen, la désensibilisation est effectuée avec la guêpe vespula qui présente le plus grand nombre d’antigènes communs. Enfin, les patients allergiques au venin de bourdon seront désensibilisés à l’abeille, car il existe une grande communauté antigénique entre ces deux insectes. Dans ces deux dernières situations, la protection peut s’avérer insuffisante, d’où la nécessité de prescrire de l’adrénaline auto-injectable. DR J. BIRNBAUM : Dans les régions de Sud de la France, où Vespula et Polistes cohabitent, il est classique de prescrire une double désensibilisation par venins de guêpes vespula et polistes chez des patients allergiques à la guêpe et présentant une sensibilisation à ces deux venins. Expressions : Quels protocoles de mise en route de la désensibilisation utilisez-vous ? DR J. BIRNBAUM : Les protocoles peuvent varier d’un centre à l’autre, la tendance actuelle est plutôt à des protocoles d’initiation rapides, répondant à des impératifs organisationnels et économiques. Ainsi, à Marseille, nous pratiquons depuis 1986 la mise en route en ■ Protocole d’initiation ultra-rush en « ultra-rush » sur 3 h 30 (Marseille) 3 heures 30, en hôpital de jour Temps Dose injectée (tableau ci-contre). Aucun protocole J1 0 0,1 µg d’initiation n’a fait la 30 min 1 µg preuve de sa supériorité sur les autres 1h 10 µg en termes d’efficacité, le seul impératif étant 1 h 30 20 µg d’aboutir à une dose 2 h 30 30 µg de rappel d’au moins 100 µg. 3 h 30 J15 J45 Puis, chaque mois 14 40 µg D R B. G IRODET : À Lyon, l’initiation est également faite en 30 min 50 µg hôpital de jour, selon Une seule injection 100 µg les mêmes modalités. En revanche, le Une seule injection 100 µg premier rappel est fait à J8 et le suivant à J21. Par ailleurs, en cas de double désensibilisation, le protocole est inchangé, l’injection de chacun des venins se faisant en parallèle. 0 50 µg Expressions : Comment se passe la suite du traitement ? À quel moment envisagez-vous l’arrêt de désensibilisation ? DR J. BIRNBAUM : Tout au long du traitement, les doses de rappel ne doivent en aucun cas être inférieures à 100 µg. Sur un plan pratique, soit dans notre protocole après la séance de J45, soit lorsque la dose de 100 µg est atteinte, les rappels peuvent être faits par l’allergologue de ville ou le médecin traitant, bien informé des conditions de surveillance et du matériel dont il doit disposer pour traiter une éventuelle réaction secondaire. Dans certains cas, la dose de rappel sera fixée à 200 µg, en particulier chez les patients fortement exposés (apiculteurs), en cas de réactions secondaires lors de la mise en route de la désensibilisation ou lors des rappels, à la suite d’une réaction générale après piqûre sous désensibilisation et chez les patients allergiques au frelon qui devront recevoir 200 µg de venin de vespula en rappel. Les rappels sont généralement faits tous les mois la première année, puis toutes les 6 semaines de la deuxième à la cinquième année. Des contrôles cutanés et sanguins sont réalisés à 1, 3 et 5 ans. La règle générale est d’envisager l’arrêt après 5 ans de désensibilisation. Ce délai est exceptionnellement raccourci à 3 ans si l’ensemble du bilan, cutané et sanguin, est négatif, ce qui est très rare. À l’inverse, la désensibilisation est poursuivie au-delà de 5 ans en cas de : • bilan restant fortement positif (identique au bilan initial) ; • réaction initiale de choc anaphylactique avec persistance d’un bilan positif ; • récidive de réaction générale lors d’une nouvelle piqûre ; • mauvaise tolérance de la désensibilisation ; • forte exposition ou pathologie sous-jacente associée (mastocytose ou maladie cardiovasculaire). Les injections sont alors habituellement espacées toutes les 8 semaines et l’indication est réévaluée tous les 2 ans, en tenant compte des éventuels changements de mode de vie du patient. DR B. GIRODET : Nous pratiquons des rappels mensuels durant la première année, puis toutes les 6 semaines si tout va bien. Il est parfois possible d’espacer les injections toutes les 8 semaines dès la troisième année, mais il est formellement exclu de dépasser ce délai sans courir le risque que l’injection de rappel ne devienne sensibilisante. Propos recueillis par le Dr A. le Masne