La désensibilisation aux venins d`hyménoptères

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La désensibilisation aux venins d`hyménoptères
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FORUM
La désensibilisation
aux venins d’hyménoptères
Un entretien avec le Dr Joëlle BIRNBAUM (Marseille)
et le Dr Bruno GIRODET (Lyon)
Expressions : Quand envisage-t-on
la désensibilisation par venins d’hyménoptères ?
DR J. BIRNBAUM : L’indication d’une désensibilisation aux venins d’hyménoptères repose en
premier lieu sur la nature des manifestations cliniques survenues après une piqûre.
L’immunothérapie n’est à envisager qu’en cas
de réaction générale, excluant les réactions
uniquement locales ou locorégionales, ainsi
que les réactions retardées. Si l’indication ne fait
aucun doute en cas de choc anaphylactique ou
de manifestations cardiorespiratoires, il n’en va
pas de même pour les réactions générales
plus légères, uniquement cutanéomuqueuses,
qui ne relèvent pas systématiquement d’une
désensibilisation.
Expressions : En cas de réaction générale légère, quels sont les facteurs incitant à désensibiliser ?
DR J. BIRNBAUM : L’indication est posée au cas
par cas. Il faut tenir compte de l’exposition à un
risque de piqûres fréquentes (par exemple, apiculteur amateur, agriculteur, paysagiste, etc.),
des pathologies sous-jacentes associées (cardiopathie sévère ou mastocytose), de l’âge du
patient (risque plus élevé chez le sujet âgé), de
son isolement et du risque de mauvaise gestion
de l’adrénaline auto-injectable. De plus, des
études ont montré que les patients désensibilisés ont une qualité de vie nettement améliorée par rapport à ceux qui ont une trousse
d’urgence, cet élément qualitatif est donc aussi
à prendre en compte.
Expressions : Quelle est la place du
bilan complémentaire ?
DR B. GIRODET : La réalisation de tests cutanés
et de dosages d’IgE spécifiques (IgEs) est indis-
pensable avant de débuter la désensibilisation. Le bilan est, en effet, le
déterminant majeur du choix
du venin à utiliser, tant l’identification de l’insecte piqueur
par le patient peut être source d’erreur. Les venins disponibles pour les tests cutanés (en injection intradermique et non en pricktest) concernent l’abeille, la guêpe vespula et la
guêpe poliste. Les dosages d’IgEs (abeille,
guêpes vespula et polistes) sont complémentaires des tests cutanés. Les IgEs du frelon
(Vespa crabro) ont un intérêt diagnostique,
malgré l’absence de venin disponible pour
réaliser les tests cutanés ou la désensibilisation.
Aucun autre dosage biologique (tests d’histaminolibération, test de libération des leucotriènes, IgG4…) n’est justifié en pratique courante.
DR J. BIRNBAUM : La situation est différente chez
les patients ayant présenté une réaction locale
ou locorégionale qui, de toute façon, ne seront
pas désensibilisés. Il est alors, à mon sens,
inutile de prescrire un bilan complémentaire
puisque les résultats n’auront pas de conséquences en termes de prise en charge.
Expressions : Comment choisir le venin
à utiliser ?
DR B. GIRODET : Le choix est facile lorsque les
Tests cutanés
et dosages
d’IgEs
sont
indispensables
avant de
débuter la
désensibilisation.
données de l’interrogatoire et du bilan sont
concordantes et orientent vers une désensibilisation par un (ou deux) des venins disponibles.
En revanche, des IgEs positives pour un insecte
différent de celui identifié, au terme du bilan,
comme responsable de la réaction généralisée
doivent évoquer la possibilité de faux positifs.
Ceux-ci peuvent être liés à la présence d’IgE
dirigées contre des déterminants ubiquitaires,
tels que les carbohydrates. Dans ces situations,
un test d’inhibition du RAST est utile pour
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trancher entre une réaction croisée non
spécifique et une authentique sensibilisation à
deux insectes qui pourrait déboucher sur une
double désensibilisation.
En l’absence de venin spécifique du frelon
européen, la désensibilisation est effectuée
avec la guêpe vespula qui présente le plus
grand nombre d’antigènes communs. Enfin,
les patients allergiques au venin de bourdon
seront désensibilisés à l’abeille, car il existe une
grande communauté antigénique entre ces
deux insectes. Dans ces deux dernières situations, la protection peut s’avérer insuffisante,
d’où la nécessité de prescrire de l’adrénaline
auto-injectable.
DR J. BIRNBAUM : Dans les régions de Sud de
la France, où Vespula et Polistes cohabitent,
il est classique de prescrire une double désensibilisation par venins de guêpes vespula et
polistes chez des patients allergiques à la
guêpe et présentant une sensibilisation à ces
deux venins.
Expressions : Quels protocoles de mise
en route de la désensibilisation utilisez-vous ?
DR J. BIRNBAUM : Les protocoles peuvent varier
d’un centre à l’autre, la tendance actuelle est
plutôt à des protocoles d’initiation rapides,
répondant à des impératifs organisationnels et
économiques. Ainsi, à Marseille, nous pratiquons depuis 1986
la mise en route en
■ Protocole d’initiation ultra-rush en
« ultra-rush » sur
3 h 30 (Marseille)
3 heures 30, en
hôpital de jour
Temps
Dose injectée
(tableau ci-contre).
Aucun protocole
J1
0
0,1 µg
d’initiation n’a fait la
30 min
1 µg
preuve de sa supériorité sur les autres
1h
10 µg
en termes d’efficacité,
le seul impératif étant
1 h 30
20 µg
d’aboutir à une dose
2 h 30
30 µg
de rappel d’au moins
100 µg.
3 h 30
J15
J45
Puis, chaque mois
14
40 µg
D R B. G IRODET : À
Lyon, l’initiation est
également faite en
30 min
50 µg
hôpital de jour, selon
Une seule injection
100 µg
les mêmes modalités. En revanche, le
Une seule injection
100 µg
premier rappel est fait
à J8 et le suivant à
J21. Par ailleurs, en cas de double désensibilisation, le protocole est inchangé, l’injection de
chacun des venins se faisant en parallèle.
0
50 µg
Expressions : Comment se passe la
suite du traitement ? À quel moment
envisagez-vous l’arrêt de désensibilisation ?
DR J. BIRNBAUM : Tout au long du traitement, les
doses de rappel ne doivent en aucun cas être
inférieures à 100 µg. Sur un plan pratique,
soit dans notre protocole après la séance de
J45, soit lorsque la dose de 100 µg est atteinte,
les rappels peuvent être faits par l’allergologue
de ville ou le médecin traitant, bien informé des
conditions de surveillance et du matériel dont
il doit disposer pour traiter une éventuelle
réaction secondaire. Dans certains cas, la dose
de rappel sera fixée à 200 µg, en particulier
chez les patients fortement exposés
(apiculteurs), en cas de réactions secondaires
lors de la mise en route de la désensibilisation
ou lors des rappels, à la suite d’une réaction
générale après piqûre sous désensibilisation et
chez les patients allergiques au frelon qui
devront recevoir 200 µg de venin de vespula
en rappel. Les rappels sont généralement faits
tous les mois la première année, puis toutes
les 6 semaines de la deuxième à la cinquième
année.
Des contrôles cutanés et sanguins sont réalisés à 1, 3 et 5 ans. La règle générale est
d’envisager l’arrêt après 5 ans de désensibilisation. Ce délai est exceptionnellement raccourci à 3 ans si l’ensemble du bilan, cutané
et sanguin, est négatif, ce qui est très rare.
À l’inverse, la désensibilisation est poursuivie
au-delà de 5 ans en cas de :
• bilan restant fortement positif (identique au
bilan initial) ;
• réaction initiale de choc anaphylactique avec
persistance d’un bilan positif ;
• récidive de réaction générale lors d’une nouvelle piqûre ;
• mauvaise tolérance de la désensibilisation ;
• forte exposition ou pathologie sous-jacente
associée (mastocytose ou maladie cardiovasculaire).
Les injections sont alors habituellement espacées
toutes les 8 semaines et l’indication est réévaluée
tous les 2 ans, en tenant compte des éventuels
changements de mode de vie du patient.
DR B. GIRODET : Nous pratiquons des rappels
mensuels durant la première année, puis toutes les 6 semaines si tout va bien. Il est parfois possible d’espacer les injections toutes les
8 semaines dès la troisième année, mais il
est formellement exclu de dépasser ce délai
sans courir le risque que l’injection de rappel
ne devienne sensibilisante.
Propos recueillis par le Dr A. le Masne

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