Convention de l`Unesco pour la sauvegarde du patrimoine

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Convention de l`Unesco pour la sauvegarde du patrimoine
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n° 4 > 2003
LES NOUVELLES DE L’ICOM
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Questions-réponses sur
le patrimoine immatériel
par Amar Galla
Président, ICOM-ASPAC
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Le thème choisi pour la Conférence générale de l’ICOM en 2004
est “Musées et patrimoine immatériel”. Pourquoi omet-on le qualificatif
“culturel” ?
Le patrimoine immatériel concerne à la fois les ressources naturelles et les ressources culturelles. Beaucoup de membres de l’ICOM exercent dans des
musées des sciences et des muséums d’histoire naturelle où l’on travaille sur
la dimension culturelle et le corpus de connaissances liés aux collections et programmes. La documentation des savoirs traditionnels de la biodiversité est un
élément immatériel du patrimoine naturel d’une richesse inestimable. Que ce
soit au Muséum national d’histoire naturelle de New Delhi ou au zoo Lawrence
Durrell de Belize, les activités principales tiennent compte des connaissances et
des attitudes locales en matière de science et d’environnement.
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Le patrimoine immatériel peut-il être vecteur d’action culturelle et
éducative ?
Lorsqu’ils traitent du patrimoine immatériel, les musées font face à la double
difficulté de mettre en contexte les collections anciennes et de traiter avec
pertinence des thématiques actuelles. En s’appuyant sur le travail de
réflexion qu’il a mené sur le patrimoine immatériel, le Musée national d’ethnologie de Leiden a regroupé des collections qui traitent de l’histoire coloniale hollandaise mais aussi des communautés multiculturelles qui se sont
constituées à la suite du colonialisme et des phénomènes migratoires.
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Les conservateurs sont-ils concernés par le patrimoine immatériel ?
Plus que jamais. S’agissant du patrimoine immatériel, la profession doit
impérativement placer la communauté au cœur de sa démarche de conservation. Les conservateurs du Musée d’anthropologie UBC de Vancouver ont
repensé leur pratique de la conservation en adoptant des approches innovantes qui prennent en compte les systèmes de connaissance traditionnels.
Ils intègrent ainsi à leur travail un savoir et des techniques qui proviennent
d’un patrimoine vivant et multiculturel.
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Avons-nous besoin de nouveaux outils de documentation pour
intervenir dans le domaine du patrimoine immatériel ?
Il est indispensable de disposer des outils de documentation appropriés
pour une intégration efficace du patrimoine immatériel à la pratique muséologique. Les bibliothèques et archives ont joué un rôle déterminant à cet
égard. Le Manuel de normes pour la documentation des collections africaines d’AFRICOM met l’accent sur les collections ; il faut maintenant que
cet outil de bonne pratique mette au point des normes de documentation du
patrimoine immatériel. Dans la plupart des pays africains, le patrimoine
immatériel est à la base d’un mouvement panafricain, la Renaissance africaine, et le vocabulaire autochtone qui désigne le patrimoine fait référence
au patrimoine vivant.
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Le patrimoine immatériel concerne-t-il uniquement les musées ?
La notion de patrimoine immatériel est pertinente pour toutes les formes de
patrimoine : mobilier ou immobilier, matériel ou immatériel, créatif ou évolutif.
Le patrimoine immatériel exige une collaboration interdisciplinaire. Le National
Underground Railroad Freedom Center de Cincinnati est un nouveau musée,
unique en son genre, qui rassemble des collections, documents, œuvres d’art,
demeures historiques, institutions du patrimoine, itinéraires et paysages culturels, quartiers, histoires et témoignages des communautés autour d’une
même thématique de la liberté et de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis.
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Quel jugement les musées portent-ils sur la Convention de
l’Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ?
L’ICOM soutient pleinement les efforts consacrés par l’Unesco à la sauvegarde et à la promotion du patrimoine immatériel. En promouvant des politiques coordonnées du patrimoine matériel et immatériel, la Convention jette
les bases d’un rapport nouveau au patrimoine culturel. L’ICOM insiste sur la
contribution essentielle que pourrait apporter les organisations professionnelles telles que l’ICOM, l’ICOMOS, l’IFLA et l’ICA à la promotion et à la mise
en œuvre de la Convention.
Contact : Amareswar Galla
Chair ICOM-ASPAC
Director, Sustainable Heritage Development,
Australian National University, Canberra, Australie
Tél. (+61) 419 273 041 - Fax (+61) 2 6298 3908
Email [email protected]
L’Unesco : le patrimoine
culturel immatériel
ors de sa 32e Conférence générale, en octobre 2003, l’Unesco a
adopté une Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel, destinée à compléter la Convention pour la protection du
patrimoine mondial, culturel et naturel (“Convention du patrimoine
mondial”) qui a été adoptée par la Conférence générale de l’Unesco en
1972 afin de sauvegarder le patrimoine matériel ayant une valeur exceptionnelle pour l’humanité.
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La Convention retient du patrimoine culturel immatériel la définition suivante : “les pratiques, représentations, expressions, connaissances, savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et
espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les
groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant
partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel,
transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les
communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction
avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité
et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et de la créativité humaine” (juillet 2003). Cette
Convention de l’Unesco est un instrument juridique normatif qui aura
force de loi entre les parties. Elle s’ajoute aux dispositifs déjà existants
dans le domaine du patrimoine
immatériel, ceux par exemple
qui régissent l’exercice du droit
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LES NOUVELLES DE L’ICOM
n° 4 > 2003
< Gros plan
Le patrimoine culturel
immatériel au Musée
d’ethnologie du Vietnam
par Nguyen Van Huy
Directeur, Musée d’ethnologie du Vietnam
epuis qu’il a ouvert ses portes, en 1997, le Musée d’ethnologie du
Vietnam s’efforce de présenter le patrimoine culturel immatériel. Les visiteurs peuvent y découvrir les savoir-faire, traditions orales et pratiques
sociales dans le cadre de démonstrations d’artisanat, de spectacles d’art
populaire, d’ateliers, d’expositions et autres projets.
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Avec un effectif limité et une relative inexpérience, le musée rencontre parfois certaines difficultés pour fixer ses orientations, identifier les thèmes à traiter,
trouver des groupes ethniques avec lesquels travailler ou encore résoudre les problèmes de logistique et de financement. Il nous faut répondre à des questions
telles que : “comment faire en sorte que les manifestations organisées au musée
ne ressemblent pas à ce qu’on peut voir au théâtre ou à la télévision, tout en attirant quand même les visiteurs ?” ; “quels aspects du patrimoine immatériel présenter, et comment ?” ; “quels groupes ethniques choisir ?” ; “comment
sensibiliser les gens à la nécessité de préserver leurs traditions ?” ; “comment
réunir les fonds nécessaires à ces activités ?”, etc. Pour surmonter ces obstacles,
nous faisons nôtre la maxime “c’est en forgeant qu’on devient forgeron”. Nous
nous formons à nos missions en allant étudier sur place le fonctionnement
d’autres musées, en travaillant avec les experts, avec les populations locales et en
pratiquant l’expérimentation. Nous commençons par identifier des éléments du
patrimoine immatériel à préserver ou à revitaliser, puis coopérons étroitement
avec les communautés locales, en donnant la priorité à la préservation et à la présentation des traditions qui risquent de disparaître, et en faisant revivre celles qui
tenaient autrefois une place importante dans l’existence des gens.
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Ainsi, en 2001, nous avons invité des artisans du village de Dong Ho, qui
sont les derniers détenteurs d’une technique ancestrale de fabrication de jouets, à
pratiquer leur art en public. De nombreux visiteurs, dont des enfants, sont venus
s’initier à cette technique. Nous avons filmé et photographié toutes les étapes de
la fabrication, et réalisé des entretiens avec ces artisans sur leur mode de vie et
leur métier. Ce matériel documentaire s’avère d’autant plus précieux que l’un d’eux
est mort deux ans plus tard. En 2000, grâce à une subvention de la Fondation
Ford, nous avons également monté un projet pour faire revivre la tradition des
marionnettes Tay dans le village de Tham Roc (province de Thai Nguyen), éteinte
depuis une cinquantaine d’années. L’équipe du musée a collaboré avec des
marionnettistes pour choisir des marionnettes, s’entraîner à leur maniement et
l’enseigner aux jeunes. Le projet a abouti à un film ethnographique sur le processus de restauration de cette forme artistique, film qui montre pourquoi il importe
de faire revivre une tradition et comment y parvenir. Le projet a également donné
lieu à une représentation de marionnettes Tay au musée et à la vente de marionnettes à la boutique. On aura ainsi redonné vie aux savoir-faire traditionnels de la
fabrication et du spectacle de marionnettes, réalisé des recettes financières et renforcé la cohésion entre les membres de cette communauté.
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Pour présenter des éléments du patrimoine culturel immatériel, le
musée doit acquérir des compétences, des connaissances et des méthodes
nouvelles : ce ne sont plus seulement des objets et artefacts qui sont étudiés
et présentés au public, mais des personnes et des cultures vivantes. Il faut
pour ce faire approfondir la recherche, renforcer compétences et moyens,
créer plus de proximité avec les communautés locales, mais aussi disposer
du personnel et des financements nécessaires.
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de propriété intellectuelle en
matière d’utilisation du
vivant ou des ressources
naturelles.
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Les domaines d’expression couverts par la Convention comprennent les langues, la littérature orale (mythes, chansons, jeux, généalogies), les arts du spectacle et les pratiques corporelles (dont les rituels,
les sports, le mime), les savoirs et savoir-faire (relatifs à la nature et à la
cosmologie, aux apprentissages, aux pratiques médicinales et culinaires,
à l’artisanat traditionnel, aux techniques de production), les formes narratives dans toute leur diversité. Dans tous ces domaines, l’acte de création s’exprime dans des techniques et des savoirs plutôt que d’aboutir à
un objet concret. La Convention aborde également d’autres problématiques du patrimoine immatériel : le rapport entre patrimoine culturel
matériel et immatériel ; la nature vivante et transnationale du patrimoine
culturel immatériel ; les mesures utiles à sa protection ; la nécessité,
pour leur application, d’une coordination concertée entre les instances
locales, nationales et internationales.
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Les programmes d’accompagnement de la Convention incluent
notamment une Proclamation internationale des “Chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité” (dont deux exemples figurent en
quatrième de couverture du présent numéro des Nouvelles de l’ICOM) et la
constitution d’une Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité et
d’une Liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant des mesures
urgentes de sauvegarde.
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Le patrimoine culturel immatériel est ajourd’hui menacé par une
uniformisation culturelle aux causes multiples : mondialisation, tourisme, phénomènes migratoires, dégradation de l’environnement, industrialisation, exode rural, conflits armés. Or il s’agit d’un matériau vivant
qui participe à la construction de l’histoire, d’une source d’identité, de
créativité et de diversité culturelle. Si le patrimoine culturel matériel est
destiné à survivre longtemps à ses producteurs ou commanditaires, il en
va tout autrement du patrimoine immatériel, beaucoup plus directement
lié au sort personnel de ses créateurs puisque sa pérennité repose sur la
transmission orale. Pour toutes ces raisons, l’on doit pourvoir à sa sauvegarde par des mesures adéquates. Ce sont ces mesures que la
Convention de l’Unesco a pour objet d’élaborer.
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Il serait souhaitable que les comités nationaux de l’ICOM se rapprochent de leur commission nationale pour l’Unesco – ou, à défaut, de
leur délégation permanente – afin de faire entendre la voix de la communauté muséale dans la phase préparatoire à la mise en œuvre de
cette Convention.
Contact : Nguyen Van Huy
Directeur, Vietnam Museum of Ethnology
Nguyen Van Huyen Road, Cau Giay district, Hanoi, Vietnam
Tél. (+84) 4 836 0350 - Fax (+84) 4 836 0351 - Email [email protected]
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