Albisson F. Prise en charge initiale d`une - École du Val-de
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Albisson F. Prise en charge initiale d`une - École du Val-de
Articles originaux Prise en charge initiale d’une ostéomyélite aiguë à salmonelle chez un adulte immunocompétent en contexte opérationnel. F. Albisson a, H. Granier b, M. Boussaud c, E. Bordier d. a Service de chirurgie orthopédique et traumatologie HIA Robert Picqué, CS 80002 – 33882 Villenave d’Ornon cedex. b Service de médecine interne, HIA Clermont-Tonnerre, CC 41 – 29240 Brest Cedex 9. c Centre médical de la Garde républicaine, 80 rue Rouget de Lisle, Quartier Rathelot – 92014 Nanterre Cedex. d Service d’anesthésie-réanimation, HIA du Val-de-Grâce, 74 bd de Port Royal – 75230 Paris Cedex 05. Article reçu le 27 aout 2009, accepté le 23 mars 2010. Résumé L’ostéomyélite aiguë hématogène de l’adulte est rare. Les auteurs décrivent un cas d’ostéomyélite à salmonelle chez un militaire immunocompétent dans un contexte opérationnel. Malgré une présentation clinique atypique, la prise en charge multidisciplinaire au sein du groupement médicochirurgical de Kaboul a permis de réaliser un diagnostic précoce et un traitement adapté. Mots-clés : Adulte. Immunocompétent. Ostéomyélite hématogène. Salmonelle. Abstract INITIAL MANAGEMENT OF AN ACUTE OSTEOMYELITIS DUE TO SALMONELLA OCCURRED IN AN IMMUNOCOMPETENT ADULT DURING A MILITARY OPERATION. Acute osteomyelitis is rare in adult. We report one case of Salmonella osteomyelitis wich occured in a immunocompetent soldier during a military operation. In this presentation, symptoms were atypical. The patient was treated in the French medico surgical center of Kabul. A suitable treatment was performed after an early diagnostic because of multidisciplinary cares. Keywords: Adult. Immunocompetent. Hematogenous osteomyelitis. Salmonella. Introduction. L’ostéomyélite aiguë hématogène des os longs de l’adulte est rare, survenant classiquement sur terrain particulier, drépanocytaire ou immunodéprimé. Les auteurs rapportent un cas d’ostéomyélite à salmonelle non typhoïdique (SNT) chez un militaire immunocompétent non drépanocytaire dans un contexte opérationnel. La symptomatologie est habituellement insidieuse et l’évolution lente. Le diagnostic a été retardé par la prise d’anti-inflammatoires avec disparition de toute symptomatologie dans un premier temps puis l’arrêt du traitement a favorisé l’expression aiguë de la F. ALBISSON, médecin en chef. H. GRANIER médecin en chef, M. BOUSSAUD médecin des armées, E. BORDIER médecin en chef. Correspondance : F. ALBISSON, Service de chirurgie orthopédique et traumatologie HIA Robert Picqué, CS 80002 – 33882 Villenave d’Ornon cedex. E-mail : [email protected] médecine et armées, 2010, 38, 3, 277-280 pathologie dans un deuxième temps. Ce cas, qui implique une chaine santé internationale, expose tout l’intérêt d’une prise en charge multidisciplinaire comportant un laboratoire de bactériologie performant au sein d’un groupement médicochirurgical. Cas clinique. Monsieur Joannis K., âgé de 30 ans, militaire grec présent depuis trois mois au sein de l’International security assistance force (Isaf) à Kaboul, fut adressé au groupement médicochirurgical (GMC) par le médecin grec du Rôle 1 pour des vomissements postprandiaux. Il était noté un antécédent d’œsophagite traitée pendant quatre mois l’année précédente. Le patient était également porteur d’une ballonisation des deux valves mitrales et d’une dilatation aortique mesurée à 40 mm sans fuite. Il fumait un paquet de tabac par jour. Il avait perdu 9 kg 277 depuis 15 jours, période pendant laquelle il avait bénéf icié d’un traitement par diclofénac pour une gonalgie droite non traumatique. Le patient ne ressentait plus de douleurs du genou et était apyrétique. Il décrivait quelques diarrhées non sanglantes. Il n’y avait pas de notion de toxi-infection alimentaire collective (TIAC) au sein de son unité. L’examen clinique était normal ainsi que la radiographie thoracique. Les examens biologiques retrouvaient une légère cytolyse avec des transaminases deux fois supérieures à la normale, la numération était normale mais la C-réactive protéine (CRP) était à 150 mg/L. La sérologie de l’infection à VIH était négative, le patient n’avait pas connaissance d’être porteur d’une hémoglobinopathie. Il n’existait pas d’élément clinique et échocardiographique pour une endocardite. Les coprocultures étaient négatives. La prise de diclofénac fut immédiatement suspendue et le patient fut traité par pantoprazole et métopimazine. Cinq jours plus tard, le médecin grec adressa le patient pour une douleur insomniante et fébrile de la jambe droite. La douleur était localisée à la partie proximale de la jambe. Il existait une tuméfaction ainsi qu’une rougeur et une chaleur localisée sur la partie antérieure du tibia. L’échographie notait une collection liquidienne, de 5 cm sur 1 cm, postéromédiale et au contact du tibia. Les radiographies (fig. 1) retrouvaient un aspect pseudotumoral métaphysaire proximal sur plus de 9 cm. Il existait une petite zone avec un amincissement cortical postérieur visible sur le cliché de profil. Le diagnostic d’ostéomyélite aiguë fut évoqué. Le patient fut opéré le jour même. Un prélèvement sanguin pour hémoculture fut réalisé avant l’intervention. La collection fut mise à plat après incision antéromédiale. Deux fenêtres de trépanation proximale et distale permirent de constater la présence de pus dans la cavité métaphysaire. Deux prélèvements furent réalisés avant curetage et lavage abondant. La fermeture de l’abord se fit sur deux lames intra-médullaires. Le patient bénéficia d’un traitement antibiotique intraveineux probabiliste associant pipéracilline 4 g trois fois par jour, ciprofloxacine 400 mg deux fois par jour et gentamicine 240 mg une fois par jour. L’examen direct retrouva un bacille Gram négatif et la culture isola une salmonelle mineure (Salmonella sp non Typhi). L’hémoculture était stérile. L’antibiothérapie fut alors modif iée par l’association ciprofloxacine 400 mg trois fois par jour et ceftriaxone 2 g une fois par jour. Au troisième jour, le patient était apyrétique et la CRP était à 100 mg/L. La cicatrice était propre. Les lames furent mobilisées au quatrième jour. Monsieur Joannis K. fut évacué au huitième jour vers l’hôpital militaire de Thessaloniki en Grèce. Deux semaines plus tard, le médecin grec du Rôle 1 nous confirma que l’évolution clinique du patient était satisfaisante et que les médecins de Thessaloniki n’avaient retrouvé aucune cause favorisante, éliminant en particulier une hémoglobinopathie. Discussion. Figure 1. Radiographies de face et de profil de la jambe. Image métaphysaire proximate d’allure pseudotumorale. 278 L’ostéomyélite est une infection de l’os d’origine hématogène dont le siège de prédilection est la métaphyse des os longs. Certains auteurs y incluent les rares infections par inoculation directe après piqûre, traumatisme ou geste opératoire. Les premières descriptions remontent à Imhotep, architecte égyptien, qui décrit des plaies infectées au niveau des os longs. Ces infections osseuses étaient des ostéites, consécutives à une inoculation directe. Il précisait que l’expulsion du séquestre osseux était souhaitable en cas de suppuration abondante. Hippocrate parle de « caries osseuses », vaste ensemble où se côtoient toutes les formes d’infections osseuses. C’est en 1832, que Benjamin Brodie décrit pour la première fois l’abcès central de l’os (1) et ce n’est qu’en 1844 que Nelaton lui donne le nom d’ostéomyélite. En 1880, Pasteur annonce à l’académie de médecine qu’il a découvert au sein d’une ostéomyélite un organisme identique à celui présent dans un furoncle. Il nomma donc cette maladie « furoncle d’os ». Classiquement, l’ostéomyélite aigüe se rencontre plus volontiers chez l’enfant et son diagnostic est clinique. Elle se manifeste par une douleur d’allure fracturaire au niveau des cartilages de croissance « près du genou et loin du coude ». L’enfant se présente avec une impotence fonctionnelle, une fièvre élevée et il existe une douleur à la palpation de la métaphyse. Les examens complémentaires retrouvent un syndrome inflammatoire. La vitesse de sédimentation et la CRP sont élevées, parfois de façon modérée (2), souvent de façon franche comme dans notre observation. Les hémocultures ne sont positives que dans 30 % des cas d’ostéomyélite aigüe (3). f. albisson La radiographie, qui peut être normale au début, montre des signes de résorption de l’os intra-médullaire puis une atteinte de la corticale après 15 jours d’évolution. Lorsque la symptomatologie est évocatrice d’une ostéomyélite et que les radiographies sont normales, la scintigraphie aux diphosphonates marqués au technétium 99 m est l’examen de référence avec une sensibilité supérieure à 90 % (4). L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) présente les avantages de sa résolution spatiale et de l’étude des tissus mous; elle mettrait en évidence des abcès typiques dans 4 cas sur 5 (4). Le scanner peut montrer des signes plus précoces. L’échographie permet de découvrir précocement un abcès sous-périosté. En opération extérieure, le plus souvent, les examens complémentaires sont limités et il n’y a pas les moyens matériels et humains d’un hôpital de métropole. Par contre, l’imagerie au GMC de Kaboul dispose d’une radiologie conventionnelle, d’un échographe et d’un scanner. Le manipulateur radio peut ainsi fournir des images mais il n’a pas la compétence pour utiliser l’échographie. Nous avions un interprète afghan, radiologue de formation, qui a retrouvé une collection liquidienne au contact de la corticale de la métaphyse proximale du tibia. Les prélèvements retrouvent le plus souvent un staphylocoque doré. Il est responsable de 50 % à 90 % des cas d’ostéomyélite de l’enfant (3). Le deuxième germe en cause est un bacille Gram négatif : Kingella Kingae rencontré surtout chez le nourrisson. Les autres germes sont le streptocoque A ß hémolytique et le pneumocoque (3). Parfois, les cultures restent négatives (5, 6). Les SNT dites « mineures » sont ubiquitaires et posent un problème de santé publique majeur dans le monde. Elles sont habituellement acquises par contamination hydrique ou alimentaire. Les formes digestives réalisent un tableau de gastroentérite aigüe, généralement dans un contexte de TIAC. Les SNT extra digestives, septicémiques ou localisées, surviennent sur terrain particulier et ce, quel que soit l’âge. Les ostéomyélites à SNT, connues depuis longtemps, sont souvent associées à la drépanocytose. La symptomatologie est dominée par la fièvre, la précession ou la coexistence de diarrhées et des douleurs osseuses difficiles à différencier d’une crise drépanocytaire vaso-occlusive qui fait le lit de la surinfection. Les localisations les plus fréquentes concernent les membres inférieurs puis les membres supérieurs et les vertèbres lombaires. Des lésions suppuratives des tissus mous sont fréquemment associées. Les patients peuvent cumuler plusieurs localisations. Les SNT sont en augmentation constante (7). Les réservoirs sont les animaux domestiques ou sauvages ; les lézards et tortues ainsi que 90 % des reptiles à sang froid sont porteurs d’une ou plusieurs espèces de salmonelles (8). La contamination peut être interhumaine, manuportée ou alimentaire (les viandes, principalement les volailles, les œufs et les produits laitiers). Les salmonelles sont invasives et se multiplient dans la lamina propria. Habituellement, il n’y a pas de bactériémie prolongée sauf pour Salmonella typhi murium et Salmonella enteritidis (7) qui donnent volontiers des infections systémiques chez les sujets à risque (enfants drépanocytaires et patients immunodéprimés). La prédisposition des enfants drépanocytaires aux ostéomyélites à salmonelle aurait deux hypothèses (9) : l’interféron gamma, déficitaire chez le drépanocytaire, inhiberait la multiplication cellulaire des shigelles et des salmonelles ; les crises douloureuses abdominales entrainent une occlusion capillaire et altèrent la barrière intestinale. Hors contexte drépanocytaire, il faut rechercher de principe une pathologie sous-jacente modif iant le statut immunitaire : VIH, diabète, sarcoïdose, lupus, hépatopathies, cancer ou hémopathie, prise de corticoïdes et affection osseuse préexistante d’origine traumatique ou chirurgicale. Chez notre patient, le diagnostic a été porté dans les deux semaines qui ont suivi sa plainte douloureuse. La prise isolée d’anti-inflammatoire a masqué partiellement la symptomatologie. Elle fait discuter sa responsabilité dans l’évolution rapide et bruyante du tableau clinique. Aucune maladie sousjacente n’a été trouvée dans la limite des explorations disponibles en contexte opérationnel. L’évolution vers l’ostéomyélite chronique est rare (10) si le traitement est précoce. La diffusion locale de l’infection peut entrainer un érysipèle (11) ou une arthrite septique qui est classique chez le nourrisson mais exceptionnelle chez l’adulte (12). Les séquelles orthopédiques qui peuvent être sévères se voient chez les enfants chez qui le diagnostic a été fait avec retard ou lors de traitement partiellement efficace. Le pronostic vital est en jeu si l’infection n’est pas maîtrisée. La conduite du traitement repose de façon prioritaire sur la recherche du germe responsable. C’est dire l’importance d’un laboratoire de bactériologie performant projeté en opérations extérieures, bien illustrée par le cas reporté. Chez l’enfant, la ponction osseuse suffit en l’absence de complication (13). Chez l’adulte, le recours à l’abord chirurgical est quasi systématique. Il permet d’évacuer et de drainer un abcès sous-périosté, de réaliser une trépanation du foyer d’ostéomyélite, de faire les prélèvements bactériologiques et d’enlever un éventuel séquestre. L’antibiothérapie, qui associe deux antibiotiques bactéricides, est tout d’abord probabiliste, à visée antistaphylococcique et à bonne pénétration osseuse (5). Elle s’adapte secondairement aux données bactériologiques et à l’antibiogramme. Elle est d’abord donnée par voie parentérale pendant deux semaines puis poursuivie par voie orale pendant deux à quatre semaines (5). La prévention des infections à SNT repose sur les règles d’hygiène générale. Ces règles sont d’autant plus importantes en mission extérieure qu’il peut exister des animaux errants dans l’enceinte du camp : le lavage des mains avant chaque repas doit être impératif. Le contrôle de l’eau et des aliments ainsi que la bonne cuisson des viandes doivent éviter tout risque de contamination. Conclusion. Toute douleur osseuse fébrile doit faire évoquer le diagnostic d’ostéomyélite même si cette pathologie demeure exceptionnelle chez l’adulte immuno- prise en charge d’une ostéomyélite aigüe à salmonelle chez un adulte immunocompétent en contexte opérationnel 279 compétent. En l’absence de facteur favorisant, la prévention reste le meilleur moyen d’éviter les infections graves, notamment à salmonelle. Le militaire en opération extérieure est exposé au risque infectieux et au péril fécal. Il peut exister des infections rares et trompeuses, dans leur présentation, ce qui montre l’intérêt d’une prise en charge multidisciplinaire au niveau d’un GMC en contexte multinational. Les discussions autour de la prise en charge des patients en opérations extérieures se heurtent le plus souvent au manque de recul, au suivi et à l’absence de rétro-information. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Brodie B.C. An account of some cases of chronic abscess of the tibia. Med. Chir. Trans. 1832;17:238. 2. Lorrot M, Fitoussi F, Faye A, Mariani P et al. Marqueurs de l’inflammation et infection ostéoarticulaire. Archives de Pédiatrie 2007;14 suppl 2:86-90. 3. Grimprel E, Cohen R. Épidémiologie et physiopathologie des infections ostéoarticulaires chez l’enfant. 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