opera - Opéra de Lyon
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F E S T I VA L OPERA EN 1ACTE LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE Pour la présente édition © Opéra national de Lyon, 2007 BÉLA BARTÓK LE CHÂTEAU de BARBE-BLEUE A KÉKSZAKÁLLÚ HERCEG VÁRA Livret de Béla Balázs Opéra en un acte opus 11 1917 OPERA de LYON Illustration. Vignettes typographiques LIVRET 9 12 14 Fiche technique L’argument Les personnages A KÉKSZAKÁLLÚ HERCEG VÁRA 19 LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE 7 CAHIER de LECTURES 61 66 67 69 72 78 Béla Bartók Correspondance Sur Le Château de Barbe-Bleue Zoltán Kodály Le Château de Barbe-Bleue Claire Delamarche Béla Balász Barbe-Bleue en son château Béla Balász Béla Bartók CARNET de NOTES 82 98 99 Béla Bartók Repères biographiques Notice bibliographique Le Château de Barbe-Bleue Orientations discographiques 9 LIVRET En 1910, Béla Balász écrit Le Château de Barbe-Bleue, qu’il appelle « mystère » et qu’il dédie à Kodály et à Bartók avec l’idée de leur inspirer un opéra. Kodály décline l’offre en 1911. Bartók, très impressionné par la lecture de l’œuvre, prendra le relais. PARTITION Le compositeur se met au travail en février 1911. Le 20 septembre de la même année, la partition est achevée. Entre cette date et la création en 1918, Béla Bartók y apportera quelques retouches. PERSONNAGES A KÉKSZAKÁLLÚ HERCEG Baryton JUDIT Soprano A RÉGI ASSZONYOK Rôles muets PROLÓGUS Rôle parlé LE DUC BARBE-BLEUE JUDITH LES ANCIENNES ÉPOUSES LE PROLOGUE ORCHESTRE 4 flûtes (dont 2 piccolos) 2 hautbois 1 cor anglais 3 clarinettes (dont 1 clarinette basse) 4 bassons (dont 1 contrebasson) 4 cors 4 trompettes 4 trombones 1 tuba basse 10 Timbales Percussions 2 harpes Célesta Orgue Cordes Musique de scène 4 trompettes 4 trombones DURÉE MOYENNE 1 heure CRÉATION 24 mai 1918. Opéra de Budapest. Direction musicale. Egisto Tango Mise en scène.Deszò Zádor AvecOlga Haselbeck (Judith), Oszkár Kálmán (Barbe-Bleue) L’ŒUVRE à LYON 1964. Direction musicale. Alain Lombard Mise en scène.Humbert Camerlo Décors & costumes.P. Monteilhet AvecBerthe Monmart (Judith), Xavier Depraz (Barbe-Bleue) Production couplée avec Le Mandarin merveilleux, pantomime de Bartók Reprise en 1967, sous la direction de René Leibowitz. 11 LE PROLOGUE introduit le conte en quelques strophes. 12 BARBE-BLEUE vient d’arriver dans son château avec J UDITH. Elle a tout bravé, elle a tout quitté pour le suivre. La porte du château se referme. Les époux sont dans le hall où l’on voit, dans une semi-obscurité, sept grandes portes. BARBE-BLEUE demande à JUDITH pourquoi elle est venue chez lui, elle lui répond qu’elle y fera entrer la lumière, avec lui. Puis, elle lui demande de lui montrer tout, de lui ouvrir ses portes. BARBE-BLEUE lui tend des clefs. Elle ouvre la première porte : la chambre de torture. Lumière vive et rouge : « Un beau torrent de lumière » dit JUDITH , « Un torrent rouge, un torrent de sang ! » répond BARBE-BLEUE. Elle ouvre la deuxième porte. Lumière rouge et or : c’est la salle des armes sur lesquelles du sang a séché. Tout en la mettant en garde, BARBE -BLEUE lui tend trois autres clefs. JUDITH ouvre la troisième porte : la salle du trésor – or, perles, diamants, riches étoffes... Mais les bijoux sont tachés de sang. JUDITH ouvre la quatrième porte : des fleurs, un jardin. Mais le pied des roses blanches et la terre sont ensanglantés. JUDITH ouvre la cinquième porte : un vaste paysage, un flot de lumière : c’est le domaine de BARBE-BLEUE. Mais dans le ciel, un nuage projette une ombre sanglante. Deux portes sont encore fermées. BARBE-BLEUE ne veut pas qu’elles soient ouvertes : il est entré assez de lumière pour que le château resplendisse. J UDITH insiste, il lui tend encore une clef. Au premier tour de clef donné à la sixième porte, on entend un profond gémissement. J UDITH ouvre. C’est un lac blanc, un lac de larmes. JUDITH, saisie, interroge BARBEBLEUE : « M’aimes-tu fort, Barbe-Bleue ? » « Embrassemoi, embrasse-moi, ne pose aucune question», répond BARBE-BLEUE. JUDITH, s’arrachant à ses bras, le presse d’ouvrir la septième porte. BARBE-BLEUE lui tend la septième clef. Par la septième porte, les trois anciennes femmes de BARBE-BLEUE s’avancent, belles et richement parées. BARBE-BLEUE tombe à genoux devant elles. Puis il pose sur les épaules de J UDITH un manteau « semé d’étoiles » et ceint son front d’une couronne de diamants... Elle incline la tête puis, à la suite des autres femmes, franchit la septième porte qui se referme. BARBE-BLEUE reste seul dans la nuit, puis disparaît dans l’obscurité. 13 14 Dès le commencement, le château de BARBE -BLEUE s’identifie à l’âme masculine, dont J UDITH veut sécher les larmes de ses lèvres. Selon l’analyse de György Kroó, chacune des sept portes représente l’un de ses aspects : la cruauté (chambre de torture), la soif de pouvoir (arsenal), la richesse spirituelle (trésor), la tendresse (jardin secret), la fierté (domaine), les blessures et les chagrins (lac de larmes), les amours passées (dernière porte). En laissant se refermer la petite porte de fer – la seule issue vers l’extérieur – JUDITH choisit d’assumer le fardeau de cette âme. La tâche lui semble tout d’abord terriblement difficile : elle se rappelle les mises en garde de sa famille, hostile à son mariage avec cet homme sur lequel courent des bruits fâcheux. Mais une fois sa décision prise, elle ne tolère plus aucune discussion : elle s’exprime essentiellement par impératifs laconiques, répétant chacun de ses ordres pour en souligner la nécessité. C’est au nom de cet amour qu’elle exige l’ouverture des portes : « Donnemoi la clef parce que je t’aime !» Pressentant le danger d’être percé à nu par J UDITH, BARBE-BLEUE ne lui donne qu’à contrecœur les clefs des deux premières portes. Dans l’espoir vain de dissuader JUDITH dans sa quête, il découvre son âme par ses côtés les plus repoussants : la cruauté et la soif de pouvoir. Mais alors qu’il ne voit dans les rayons rouges qu’un flot de sang, JUDITH réussit à les sublimer en torrents de lumière radieuse. Déterminée, elle réclame les clefs suivantes, et Barbe-Bleue l’invite en vain à l’aimer sans conditions : « Prends garde, prends garde à mon château, prends garde, prends garde à nous, Judith ! … Aime-moi, ne pose aucune question !» Mais, en se libérant peu à peu de ses lourds secrets, BARBE-BLEUE découvre un plaisir nouveau, qu’il exprime par l’une des phrases les plus lyriques de l’ouvrage : « Il est frais et doux le sang qui coule d’une plaie qu’on a ouverte. » Il encourage JUDITH, soudain hésitante, à ouvrir la troisième porte. Rassuré par la puissance transfiguratrice de l’amour de sa femme, il la presse encore davantage pour la porte suivante. Grisé par la lumière de plus en plus resplendissante, impatient de révéler l’aspect le plus flatteur de sa personnalité, il lui ordonne alors d’ouvrir la cinquième porte. Une lumière éblouissante s’en échappe. BARBE -BLEUE énumère les beautés de son empire. A sa fierté croissante, répond une Judith absente et désabusée. Il fait le coq, réclame des baisers à son épouse médusée. Le sang dont l’ombre plane sur le domaine illustre le doute qui s’est installé en J UDITH. Un abîme se creuse entre les deux époux, tous deux parvenus à un point de non-retour. Soudain saisi de frayeur, BARBE BLEUE refuse de remettre la clef suivante, prétextant que la lumière des cinq premières portes suffit à éclairer le château. Il tente de croire encore à la force salvatrice de l’amour ; mais à ses demandes de baisers, JUDITH ne répond que par son obstination à lui arracher les deux dernières clefs. Après avoir révélé ses faiblesses, ses souffrances – le lac de larmes – il essaie en vain de l’enlacer : elle s’arrache à ses bras et lance la terrible accusation de meurtre. La vue des TROIS FEMMES vivantes lui ouvre les yeux : tout ce sang n’était que le fruit de son imagination nourrie par les rumeurs accusatrices qui précédèrent son mariage. Pour avoir ouvert la mémoire de son mari, elle s’est condamnée à y 15 entrer. BARBE-BLEUE entame la cérémonie de l’adieu. Alors, pour la première fois, les voix des deux époux se superposent dans l’unique duo et le moment le plus lyrique de l’opéra : JUDITH refuse de laisser échapper, au moment où elle s’apprêtait à l’atteindre, cette fusion parfaite avec l’être aimé, fusion synonyme pour elle de confidences totales. Le manteau trop lourd pour ses épaules, c’est évidemment le fardeau écrasant de la connaissance. En voulant le prendre en charge, par amour et puis parce qu’un doute insupportable la tenaillait, JUDITH a mené leur amour à sa perte. Désormais, la nuit cerne complètement BARBE-BLEUE. Un être, JUDITH, s’est brisé. L’autre, BARBE-BLEUE , en a grandi, plus riche d’une expérience. Pourtant, la tragédie est aussi la sienne. Le cycle de la vie (aube, midi, crépuscule, soir), représenté par les quatre épouses, se clôt ; avec JUDITH, son expérience est complète. En ouvrant les portes de son âme, en lui révélant des aspects de lui-même qu’il avait refoulés, JUDITH l’a rendu à la nuit et l’a symboliquement tué. Claire Delamarche BÉLA BARTÓK LE CHÂTEAU de BARBE-BLEUE A KÉKSZAKÁLLÚ HERCEG VÁRA HANS WERNER HENZE L’UPUPA... Regös prologúsa 18 Haj regò rejtem Hová, hová rejtsem... Hol volt, hol nem: Kint-e vagy bent? Régi rege, haj mit jelent, Urak, asszonyságok? Ím szólal az ének. Ti néztek, én nézlek. Szemünk pillás függönye fent: Hol a szinpad: kint-e vagy bent, Urak, asszonyságok? Keserves és boldog Nevezetes dolgok, Az világ kint haddal tele, De nem abba halunk bele, Urak, asszonyságok. Nézzük egymást, nezzük, Regénket regéljük. Ki tudhatja honnan hozzuk? Hallgatjuk és csodálkozunk, Urak, asszonyságok. (A függöny szétválik a háta mögött.) PREMIÈRE PARTIE TABLEAU 1 Prologue du barde Ah ! mon conte, je le cache, Où, où dois-je le cacher... Cela fut-il, ne fut-il pas : Dehors ou dedans ? C’est un vieux conte, ah ! que signifie-t-il, Messieurs, mesdames ? Voici que le chant s’élève. Vous me regardez, je vous regarde. Le rideau de cils de nos yeux est levé : Où est la scène, dehors ou dedans, Messieurs, mesdames ? Des choses remarquables, Amères et heureuses, Le monde au dehors est plein d’armées, Mais ce n’est pas de cela que nous mourrons, Messieurs, mesdames. Nous nous regardons l’un l’autre, nous nous regardons, Nous racontons notre conte. Qui sait d’où nous le tenons ? Écoutons et laissons-nous émerveiller, Messieurs, mesdames. (Le rideau se lève derrière lui.) 19 BÉLA BARTÓK Zene szól, a láng ég. Kezdòdjön a játék. Szemem pillás függönye fent. Tapsoljatok majd, ha lement, Urak, asszonyságok. Régi vár, régi már Az mese ki róla jár. Tik is hallgassátok. (Hatalmas, kerek gótikus csarnok. Balra meredek lépcs ò vezet fel egy kis vasajtóhoz. A lépcs òtòl jobbra hét nagy ajtó van a falban; négy még szemben, kettò már egész jobboldalt. Különben sem ablak, se dísz. A csarnok üres, sötét, rideg, sziklabarlanghoz hasonlatos. Mikor a függöny szétválik, teljes sötétség van a szinpadon, melyben a regös eltùnik. Hirtelen kinyílik fent a kis vasajtó és a vakító fehér négyszögben megjelenit a kékszakállú és Judit fekete sziluettje.) 20 KÉKSZAKÁLLÚ Megérkeztünk. Íme lássad: Ez a kékszakállú vára. Nem tündököl, mint atyádé. Judit, jösz-e még utánam? JUDIT Megyek, megyek, Kékszakállú. KÉKSZAKÁLLÚ (lejön néhány lépcsòt) Nem hallod a vészharangot? Anyád gyászba öltözködött, Atyád éles kardot szijjaz, Testvérbátyád lovat nyergel. Judit, jössz-e még utánam? JUDIT Megyek, megyek, Kékszakállú. (A kékszakállú lejön egészen és visszafordul Judit felé, aki a lépcsò közepén megállt. Az ajtón bees ò fénykéve megvilágítja a lépcsòt és kettòjük alakját.) LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE La musique résonne, la flamme danse, Que le spectacle commence. Le rideau de cils de mes yeux est levé. Applaudissez lorsqu’il redescendra, Messieurs, mesdames. Un vieux château, et vieux aussi Est le conte qui le raconte. Oyez-le vous aussi. (Un immense hall rond, de style gothique. A gauche, un escalier raide monte à une petite porte en fer. A la droite de l’escalier, sept grandes portes se découpent sur le mur ; quatre en face du public, deux à l’extrême droite. Hors de cela, il n’y a ni fenêtres, ni ornements. Le hall est vide, sombre, inhospitalier et ressemble à une grotte creusée dans la roche. Lorsque le rideau s’ouvre, la scène est plongée dans une obscurité où disparaît le barde. Soudain, la petite porte en fer s’ouvre et dans le rectangle blanc aveuglant apparaissent les silhouettes noires de Barbe-Bleue et Judith.) 21 BARBE-BLEUE Nous sommes arrivés. Voici, regarde : C’est le château de la Barbe-Bleue. Il ne resplendit pas comme celui de ton père. Judith, me suis-tu encore ? JUDITH Je viens, je viens, Barbe-Bleue. BARBE-BLEUE (descend quelques marches) N’entends-tu pas le tocsin ? Ta mère a revêtu le deuil, Ton père ceint son glaive tranchant, Ton frère aîné selle son cheval. Judith, me suis-tu encore ? JUDITH Je viens, je viens, Barbe-Bleue. (La Barbe-Bleue descend jusqu’en bas et se retourne vers Judith, qui s’est arrêtée à mi-hauteur de l’escalier. La gerbe de lumière qui entre par la porte éclaire l’escalier et leurs deux silhouettes.) BÉLA BARTÓK KÉKSZAKÁLLÚ Megállsz Judit? Mennél vissza? JUDIT (mellre szorított kézzel) Nem. A szoknyám akadt csak fel, Felakadt szép selyem szoknyám. KÉKSZAKÁLLÚ Nyitva van még fent az ajtó. 22 JUDIT Kékszakállú! (Lejön néhány lépcsòt) Elhagytam az apám, anyám, Elhagytam szép testvérbátyám... (Közben lejön egészen.) ... Elhagytam a vòlegényem, Hogy váradba eljöhessek. (A kékszakállúhoz simùl.) Kékszakállú! Ha kiuznél, Küszöbödnél megállanék, Küszöbödre lefeküdnék. (A kékszakállú magához öleli.) KÉKSZAKÁLLÚ Most csukódjon be az ajtó. (A kis vasajtó fent becsukódik. A csarnok világosabb marad, de csak épphogy a két alak és a hét nagy fekete ajtó látható.) JUDIT (a kékszakállú kezét fogva tapogatódzva elòre jön, a bal fal mellett) Ez a kékszakállú vára! Nincsen ablak? Nincsen erkély? KÉKSZAKÁLLÚ Nincsen. JUDIT Hiába is süt kint a nap? LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE BARBE-BLEUE Tu t’arrêtes, Judith ? Retournerais-tu sur tes pas ? JUDITH (les mains pressées sur le cœur) Non. C’est juste ma jupe qui s’est accrochée, Ma belle jupe de soie s’est accrochée. BARBE-BLEUE En haut, la porte est encore ouverte. JUDITH Barbe-Bleue ! (Elle descend quelques marches.) J’ai quitté mon père, ma mère, J’ai quitté mon frère si beau... (Entre-temps, elle descend jusqu’en bas.) ... J’ai quitté mon fiancé Afin de pouvoir venir dans ton château. (Elle se blottit contre la Barbe-Bleue.) Barbe-Bleue ! Si tu me chassais, Je resterais sur le pas de ta porte, Je m’étendrais sur le pas de ta porte. (La Barbe-Bleue la serre dans ses bras.) BARBE-BLEUE Que la porte se ferme à présent. (La petite porte en fer, en haut, se referme. Le hall reste éclairé, mais juste assez pour que l’on voie les deux silhouettes et les sept grandes portes noires.) JUDITH (tenant la main de Barbe-Bleue et avançant à tâtons le long du mur de gauche) Voici donc le château de la Barbe-Bleue ! N’y a-t-il point de fenêtre ? N’y a-t-il point de balcon ? BARBE-BLEUE Il n’y en a pas. JUDITH Est-ce en vain que le soleil brille au-dehors ? 23 BÉLA BARTÓK KÉKSZAKÁLLÚ Hiába. JUDIT Hideg marad? Sötét marad? KÉKSZAKÁLLÚ Hideg, sötét. JUDIT (elòbbre jon) Ki ezt látná, jaj, nem szólna, Suttogó hír elhalkulna. KÉKSZAKÁLLÚ Hírt hallottál? 24 JUDIT Milyen sötét a te várad! (Elòbbre tapogatódzva. Megrezzen.) Vizes a fal! Kékszakállú! Milyen víz hull a kezemre? Sír a várad! Sír a várad! KÉKSZAKÁLLÚ Ugye, Judit, jobb volna most Vòlegényed kastélyában: Fehér falon fut a rózsa, Cseréptetòn táncol a nap. JUDIT Ne bánts, ne bánts Kékszakállú! Nem kell rózsa, nem kell napfény! Nem kell rózsa, nem kell napfény! Nem kell... Nem kell... Nem kell... Milyen sötét a te várad! Milyen sötét a te várad! Milyen sötét... Szegény, szegény Kékszakállú! LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE BARBE-BLEUE C’est en vain. JUDITH Il reste froid ? Il reste sombre ? BARBE-BLEUE Froid, sombre. JUDITH (s’avançant) Si on le voyait, ah ! on se tairait, La rumeur qu’on chuchote se tarirait. BARBE-BLEUE Quelle rumeur ? JUDITH Ton château est si sombre ! (S’avançant à tâtons, elle tressaille.) Le mur est humide ! Barbe-Bleue ! Quelle est cette eau qui ruisselle sur ma main ? Il pleure, ton château ! Il pleure, ton château ! BARBE-BLEUE Tu vois, Judith, tu serais mieux, à présent, Dans le château de ton fiancé : Un rosier grimpe sur son mur blanc, Le soleil danse sur son toit de tuiles. JUDITH Pitié, pitié, Barbe-Bleue ! Nul besoin de roses, nul besoin de soleil ! Nul besoin de roses, nul besoin de soleil ! Nul besoin... Nul besoin... Nul besoin... Ton château est si sombre ! Ton château est si sombre ! Si sombre... Pauvre, pauvre Barbe-Bleue ! 25 BÉLA BARTÓK (Zokogva leborul a kékszakállú elòtt és csókolja a kezét.) KÉKSZAKÁLLÚ Miért jöttél hozzám, Judit? JUDIT Nedves falát felszárítom, Ajakammal szárítom fél! Hideg kövét melegítem, A testemmel melegítem. Ugye szabad, ugye szabad, Kékszakállú! Nem lesz sötét a te várad, Megnyitjuk a falat ketten, Szél bejárjon, Nap besüssön, Nap besüssön. Tündököljön a te várad! KÉKSZAKÁLLÚ Nem tündököl az én váram. 26 JUDIT (jobbra befelé megy) Gyere vezess, Kékszakállú, Mindenhová vezess engem. (Beljebb megy.) Nagy csukott ajtókat látok, Hét fekete csukott ajtót! (A kékszakállú némán, mozdulatlanul néz utána) Miért vannak az ajtók csukva? KÉKSZAKÁLLÚ Hogy ne lásson bele senki. JUDIT Nyisd ki, nyisd ki! Nekem nyisd ki! Minden ajtó legyen nyitva! Szél bejárjon, Nap besüssön! KÉKSZAKÁLLÚ Emlékezz rá, milyen hír jár. LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE (Elle s’effondre en sanglotant devant la Barbe-Bleue et lui embrasse les mains.) BARBE-BLEUE Pourquoi es-tu venue chez moi, Judith ? JUDITH J’assécherai tes murs humides, De mes lèvres je les sécherai ! Je réchaufferai cette pierre froide, De mon corps je la réchaufferai. Permets-le, permets-le, Barbe-Bleue ! Ton château ne sera pas sombre, Nous percerons tous deux ces remparts, Que le vent pénètre, Que le soleil pénètre, Que le soleil pénètre, Que ton château resplendisse ! BARBE-BLEUE Mon château ne resplendit pas. JUDITH (allant sur sa droite, vers le milieu de la scène) Viens, conduis-moi, Barbe-Bleue, Conduis-moi partout. (Elle s’approche encore du milieu de la scène.) Je vois de grandes portes closes, Sept portes noires et closes ! (La Barbe-Bleue la suit du regard, sans un mot, immobile.) Pourquoi les portes sont-elles closes ? BARBE-BLEUE Afin que personne ne regarde à l’intérieur. JUDITH Ouvre-les, ouvre-les ! Ouvre-les pour moi ! Que chaque porte soit ouverte ! Que le vent pénètre, Que le soleil pénètre ! BARBE-BLEUE Rappelle-toi quelle rumeur circule. 27 BÉLA BARTÓK JUDIT A te várad derüljön fel, A te várad derüljön fel! Szegény, sötét, hideg várad! Nyisd ki! Nyisd ki! Nyisd ki! (Dörömböl az elsò ajtón. A dörömbölésre mély, nehéz sóhajtás búg fel. Hosszú nyomott folyosókon sír fel így az éjszakai szél.) Jaj! (Visszahátrál a kékszakállúhoz.) Jaj! Mi volt ez? Mi sóhajtott? Ki sóhajtott? Kékszakállú! A te várad! A te várad! A te várad! KÉKSZAKÁLLÚ Félsz-e? 28 JUDIT (csendesen sírva) Oh, a várad felsóhajtott! KÉKSZAKÁLLÚ Félsz? JUDIT Oh, a várad felsóhajtott! Gyere nyissuk, velem gyere. Én akarom kinyitni, én! Szépen, halkan fogom nyitni, Halkan, puhán, halkan! Kékszakállú, add a kulcsot, Add a kulcsot, mert szeretlek! (A kékszakállú vállára borul.) KÉKSZAKÁLLÚ Áldott a te kezed, Judit. (A kulcscsomó megcsörren a sötétben.) JUDIT Köszönöm, köszönöm! (Visszamegy az elsò ajtóhoz.) LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE JUDITH Que ton château s’illumine, Que ton château s’illumine ! Ton malheureux château sombre et froid ! Ouvre ! Ouvre ! Ouvre ! (Elle tambourine à la première porte. Un soupir lourd et profond lui répond. Un gémissement s’élève dans les longs couloirs oppressants, pareil au vent nocturne.) Ah ! (Elle recule vers la Barbe-Bleue.) Ah ! Quel était ce bruit ? Qu’est-ce qui a gémi ? Qui est-ce qui a gémi ? Barbe-Bleue ! C’est ton château ! C’est ton château ! C’est ton château ! BARBE-BLEUE As-tu peur ? JUDITH (pleurant tout bas) Oh, c’est ton château qui soupirait ! BARBE-BLEUE Tu as peur ? JUDITH Oh, c’est ton château qui a gémi ! Viens, ouvrons-le, viens avec moi. C’est moi qui veux l’ouvrir, moi ! J’ouvrirai gentiment, doucement, Doucement, tendrement, doucement ! Barbe-Bleue, donne-moi la clef, Donne-moi la clef parce que je t’aime ! (Elle appuie sa tête sur l’épaule de la Barbe-Bleue.) BARBE-BLEUE Ta main est bénie, Judith. (Le trousseau de clefs tinte dans l’obscurité.) JUDITH Merci, merci ! (Elle retourne vers la première porte.) 29 BÉLA BARTÓK Én akarom kinyitni, én. (Mikor a zár csattan, felbúg a mély földalatti sóhajtás.) Hallod? Hallod? (Az ajtó feltárul, vérvörös négyszöget nyitva a falba, mint egy seb. Az ajtó mögül mélybòl jövò veres izzás hosszú sugarat vet be a csarnok padlójára.) Jaj! KÉKSZAKÁLLÚ Mit látsz? Mit látsz? JUDIT (mellre szorított kézzel) Láncok, kések, Szöges karók, Izzó nyársak... KÉKSZAKÁLLÚ Ez a kinzókamra, Judit. 30 JUDIT Szörnyù a te kinzókamrád, Kékszakállú! Szörnyù, szörnyù! KÉKSZAKÁLLÚ Félsz-e? JUDIT A te várad fala véres! A te várad vérzik! Véres... vérzik. KÉKSZAKÁLLÚ Félsz-e? JUDIT (visszafordul a kékszakállú felé. A piros fény izzó kontúrt ad az alakjának. Sápadt, csendes elszántsággal) Nem! Nem félek. Nézd, derül már. Ugye derül? Nézd ezt a fényt. LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE C’est moi qui veux l’ouvrir, moi ! (Au moment où la clef tourne dans la serrure, le profond soupir s’élève de sous terre.) Tu entends ? Tu entends ? (La porte s’ouvre en grand, découpant sur le mur un rectangle rouge sang, comme une blessure. Un rougeoiement de sang venu des profondeurs, au-delà de la porte, projette un long rayon sur le sol du hall.) Ah ! BARBE-BLEUE Que vois-tu ? Que vois-tu ? JUDITH (les mains pressées sur le cœur) Des chaînes, des couteaux, Des pals hérissés de clous Des fourches incandescentes... BARBE-BLEUE C’est la chambre de torture, Judith. 31 JUDITH Ta chambre de torture est horrible, Barbe-Bleue ! Horrible, horrible ! BARBE-BLEUE As-tu peur ? JUDITH Les murs de ton château sont couverts de sang ! Ton château saigne ! Il est plein de sang... il saigne. BARBE-BLEUE As-tu peur ? JUDITH (Elle se tourne vers la Barbe-Bleue. La lueur rouge dessine un contour incandescent autour de sa silhouette. Pâle, mais d’une voix calme et résolue) Non ! Je n’ai pas peur. Vois, tout s’éclaire déjà. N’est-ce pas que ça s’éclaire ? Regarde cette lumière. BÉLA BARTÓK (Óvatosan a fénysáv partján visszamegy a kékszakállúhoz.) Látod? Szép fénypatak. (Letérdepel és a fénybe tartja két homorú tenyerét.) KÉKSZAKÁLLÚ Piros patak, véres patak! JUDIT (feláll) Nézd csak, nézd csak! Hogy dereng már! Nézd csak, nézd csak! Minden ajtók ki kell nyitni! Szél bejárjon, Nap besüssön, Minden ajtók ki kell nyitni! KÉKSZAKÁLLÚ Nem tudod mi van mögöttük. 32 JUDIT Add ide a többi kulcsot! Add ide a többi kulcsot! Minden ajtót ki kell nyitni! Minden ajtót! KÉKSZAKÁLLÚ Judit, Judit mért akarod? JUDIT Mert szeretlek! KÉKSZAKÁLLÚ Váram sötét töve reszket, Nyithatsz, csukhatsz minden ajtót. (Átnyújtja Juditnak a második kulcsot. Kézeik a vörös fénykévében találkoznak.) Vigyázz, vigyázz a váramra, Vigyázz, vigyázz miránk, Judit! JUDIT (a második ajtóhoz megy) Szépen, halkan fogom nyitni. Szépen, halkan. LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE (Elle retourne vers la Barbe-Bleue en suivant avec prudence le faisceau de lumière.) Tu vois ? Un beau torrent de lumière. (Elle s’agenouille et plonge ses paumes réunies en forme de coupe dans la lumière.) BARBE-BLEUE Un torrent rouge, un torrent de sang ! JUDITH (se relevant) Regarde donc, regarde donc ! Le jour point déjà ! Regarde donc, regarde donc ! Il faut ouvrir toutes les portes ! Que le vent pénètre, Que le soleil pénètre ! Il faut ouvrir toutes les portes ! BARBE-BLEUE Tu ignores ce qui se trouve derrière. 33 JUDITH Donne-moi les autres clefs ! Donne-moi les autres clefs ! Il faut ouvrir toutes les portes ! Toutes les portes ! BARBE-BLEUE Judith, Judith, pourquoi veux-tu ? JUDITH Parce que je t’aime ! BARBE-BLEUE Les sombres fondations de mon château tremblent, Tu peux ouvrir, fermer toutes les portes. (Il tend à Judith la seconde clef. Leurs mains se rencontrent dans la gerbe de lumière.) Prends garde, prends garde à mon château, Prends garde, prends garde à nous, Judith ! JUDITH (allant à la seconde porte) J’ouvrirai gentiment, doucement, Gentiment, doucement. BÉLA BARTÓK (Csattan a zár és feltárul a második ajtó. Nyílása sárgás vörös, de szintén sötét és félelmes. A második sugár az elsò mellé fekszik a padlóra.) KÉKSZAKÁLLÚ Mit látsz? JUDIT Száz kegyetlen szörnyù fegyver, Sok rettentò hadi szerszám. KÉKSZAKÁLLÚ Ez a fegyveresház, Judit. JUDIT Milyen nagyon eròs vagy te, Milyen nagy kegyetlen vagy te! KÉKSZAKÁLLÚ Félsz-e? 34 JUDIT Vér szárad a fegyvereken, Véres a sok hadi szerszám! KÉKSZAKÁLLÚ Félsz-e? JUDIT (visszafordul a kékszakállú felé) Add ide a többi kulcsot! KÉKSZAKÁLLÚ Judit, Judit! JUDIT (lassan visszajön a második fénysáv partján) Itt a másik patak, Szép fénypatak. Látod? Látod? Add ide a többi kulcsot! LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE (La serrure fait un bruit sec et la seconde porte s’ouvre en grand. Le cadre est rouge doré, mais en même temps sombre et effrayant. Le second rayon se dessine sur le sol, à côté du premier.) BARBE-BLEUE Que vois-tu ? JUDITH Cent armes horribles, cruelles, Maints engins de guerre effroyables. BARBE-BLEUE C’est l’arsenal, Judith. JUDITH Quelle puissance est la tienne, Quelle cruauté est la tienne ! BARBE-BLEUE As-tu peur ? JUDITH Du sang sèche sur les armes, Tous ces engins de guerre sont ensanglantés ! BARBE-BLEUE As-tu peur ? JUDITH (reculant vers la Barbe-Bleue) Donne-moi les autres clefs ! BARBE-BLEUE Judith, Judith ! JUDITH (revenant lentement le long du second faisceau de lumière) Voici le second torrent, Le beau torrent de lumière. Tu vois ? Tu vois ? Donne-moi les autres clefs ! 35 BÉLA BARTÓK KÉKSZAKÁLLÚ Vigyázz, vigyázz miránk, Judit! JUDIT Add ide a többi kulcsot! KÉKSZAKÁLLÚ Nem tudod, mit rejt az ajtó. JUDIT Idejöttem, mert szeretlek. Itt vagyok, a tied vagyok. Most már vezess mindenhová, Most már nyiss ki minden ajtót! KÉKSZAKÁLLÚ Váram sötét töve reszket, Bús sziklából gyönyör borzong. Judit, Judit! Hùs és édes, Nyitott sebböl vér ha ömlik. 36 JUDIT Idejöttem mert szeretlek, Most már nyiss ki minden ajtót! KÉKSZAKÁLLÚ Adok neked három kulcsot. Látni fogsz, de sohse kérdezz. Akármit látsz, sohse kérdezz ! JUDIT Add ide a három kulcsot! (Kékszakállú átnyújtja. Judit türelmetlenül elveszi és a harmadik ajtóhoz siet, de elòtte habozva megáll.) KÉKSZAKÁLLÚ Mért álltál meg? Mért nem nyitod? JUDIT Kezem a zárt nem találja. LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE BARBE-BLEUE Prends garde, prends garde à nous, Judith ! JUDITH Donne-moi les autres clefs ! BARBE-BLEUE Tu ignores ce que cache la porte. JUDITH Je suis venue parce que je t’aime. Je suis ici, je suis tienne. A présent, conduis-moi partout, A présent, ouvre toutes les portes ! BARBE-BLEUE Les sombres fondations de mon château tremblent, Les pierres affligées frémissent de volupté. Judith, Judith ! Il est frais et doux Le sang qui coule d’une plaie qu’on a ouverte. 37 JUDITH Je suis venue parce que je t’aime. A présent, ouvre toutes les portes ! BARBE-BLEUE Je te donne trois clefs. Tu verras, mais ne pose aucune question. Quoi que tu voies, ne pose aucune question. JUDITH Donne-moi les trois clefs ! (Barbe-Bleue les lui remet. Judith les saisit avec impatience et se hâte vers la troisième porte, mais s’arrête devant elle, hésitante.) BARBE-BLEUE Pourquoi t’arrêtes-tu ? Pourquoi n’ouvres-tu pas ? JUDITH Ma main ne trouve pas la serrure. BÉLA BARTÓK KÉKSZAKÁLLÚ Judit, ne félj, Most már mindegy. (Judit megfordítja a kulcsot. Meleg, mély érchanggal nyílik az ajtó. A kiömlò aranyfénysáv a többi mellé fekszik a padlóra.) JUDIT Oh, be sok kincs! Oh, be sok kincs! (Letérdepel és vájkál benne, ékszereket, koronát, palástot kirakva a küszöbre.) Aranypénz és drága gyémánt, Bélagyönggyel fényes ékszer, Koronák és dús palástok! KÉKSZAKÁLLÚ Ez a váram kincsesháza. 38 JUDIT Mily gazdag vagy Kékszakállú! KÉKSZAKÁLLÚ Tiéd most már mind ez a kincs, Tiéd arany, gyöngy és gyémánt. JUDIT (hirtelen feláll) Vérfolt van az ékszereken! (A kékszakállú felé fordul csodálkozva.) Legszebbik koronád véres! (Judit egyre nyugtalanabb és türelmetlenebb.) KÉKSZAKÁLLÚ Nyisd ki a negyedik ajtót! Legyen napfény, Nyissad, nyissad... (Judit hirtelen a negyedik ajtót felé fordul és gyorsan kinyitja. Az ajtóból virágos ágak csapódnak ki és a falban kékes-zöld négyszög nyílik. A bees ò új fénysáv a többi mellé fekszik a padlóra.) LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE BARBE-BLEUE Judith, n’aie pas peur, Peu importe à présent. (Judith tourne la clef. La porte s’ouvre avec un bruit métallique, chaud et profond. Le faisceau lumineux qui s’échappe se dessine à côté des autres sur le sol.) JUDITH Oh, quel trésor ! Oh, quel trésor ! (Elle s’agenouille et fouille dans le trésor, en retirant des bijoux, une couronne et un manteau qu’elle porte sur le seuil.) Des pièces d’or et des diamants coûteux, Des bijoux éclatants parés de perles, Des couronnes et de riches manteaux ! BARBE-BLEUE C’est la salle au trésor de mon château. JUDITH Que tu es riche, Barbe-Bleue ! BARBE-BLEUE Tout ce trésor est tien, à présent, Or, perles et diamants sont tiens. JUDITH (se redressant brusquement) Les bijoux sont tachés de sang ! (Elle se tourne, étonnée, vers la Barbe-Bleue.) Ta plus belle couronne est couverte de sang ! (Judith est de plus en plus inquiète et impatiente.) BARBE-BLEUE Ouvre la quatrième porte ! Qu’entre la lumière du jour, Ouvre, ouvre... (Judith se dirige soudain vers la quatrième porte et l’ouvre. Des rameaux fleuris surgissent par la porte et un rectangle vert bleuté s’ouvre sur le mur. Le nouveau faisceau de lumière vient se dessiner à côté des autres sur le sol.) 39 BÉLA BARTÓK JUDIT Oh! Virágok! Oh! Illatos kert! Kemény sziklák alatt rejtve. KÉKSZAKÁLLÚ Ez a váram rejtett kertje. JUDIT Oh! Virágok! Embernyi nagy liljomok, Hùs-fehér patyolat rózsák, Piros szekfùk szórják a fényt. Sose láttam ilyen kertet. 40 KÉKSZAKÁLLÚ Minden virág neked bókol, Minden virág neked bókol, Te fakasztod, Te hervasztod, Szebben újra te sarjasztod. JUDIT (hirtelen lehajol, ijedten) Fehér rózsád töve véres, Virágaid földje véres! KÉKSZAKÁLLÚ Szemed nyitja kelyheiket, S neked csengetyùznek reggel. (Judit feláll és a kékszakállú felé fordul.) JUDIT Ki öntözte kerted földjét? KÉKSZAKÁLLÚ Judit, szeress, sohse kérdezz. Nézd hogy derül már a váram. Nyisd ki az ötödik ajtót! JUDIT (Judit hirtelen mozdulattal az ötödik ajtóhoz fut és felrántja. Az ötödik ajtó feltárul. Magas erkély látszik és LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE JUDITH Oh ! Des fleurs ! Oh ! Un jardin parfumé, Caché sous ces solides rochers ! BARBE-BLEUE C’est le jardin secret de mon château. JUDITH Oh ! Des fleurs ! Des lilas grands comme des hommes, Des roses blanches comme la neige, Des œillets rouges répandent la lumière. Je n’ai jamais vu de tel jardin. BARBE-BLEUE Chaque fleur s’incline devant toi, Chaque fleur s’incline devant toi, C’est toi qui les fais croître, C’est toi qui les fais faner, C’est toi qui les fais renaître plus belles encore. JUDITH (se penchant soudain, effrayée) Le pied de tes roses blanches est ensanglanté, La terre de tes fleurs est ensanglantée ! BARBE-BLEUE Tes yeux ouvriront les corolles, Et pour toi elles tinteront le matin. (Judith s’arrête et se tourne vers la Barbe-Bleue.) JUDITH Qui a arrosé la terre de ton jardin ? BARBE-BLEUE Judith, aime-moi, ne pose aucune question. Vois comme le château s’illumine déjà. Ouvre la cinquième porte ! JUDITH (Judith se précipite à la cinquième porte et l’ouvre brusquement. La cinquième porte s’ouvre en grand. 41 BÉLA BARTÓK messzi távlat, és tündöklò özönben ömlik be a fény. Elvakulva a szeme elé tartja a kezét.) Ah! KÉKSZAKÁLLÚ Lásd ez az én birodalmam, Messze nézò szép könyöklõm. Ugye, hogy szép nagy, nagy ország? JUDIT (mereven néz ki, szórakozottan) Szép és nagy a te országod. KÉKSZAKÁLLÚ Selyemrétek, bársonyerdòk, Hosszú ezüst folyók folynak, És kék hegyek nagy messze. JUDIT Szép és nagy a te országod. 42 KÉKSZAKÁLLÚ Most már Judit mind a tied. Itt lakik a hajnal, alkony, Itt lakik nap, hold és csillag, S leszen neked játszótársad. JUDIT Véres árnyat vet a felhò! Milyen felhòk szállnak ottan? KÉKSZAKÁLLÚ Nézd, tündököl az én váram, Áldott kezed ezt mùvelte, Áldott a te kezed, áldott. (Kitárja a karját.) Gyere, gyere tedd szívemre. (Judit nem mozdul.) JUDIT De két ajtó csukva van még. LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE On découvre un haut balcon et un vaste panorama. Un flot de lumière éclatante se déverse à l’intérieur du château. Éblouie, Judith se cache les yeux de la main.) Ah ! BARBE-BLEUE Vois, c’est mon domaine, Ma belle balustrade d’où l’on voit au loin. C’est un bel et vaste, vaste pays, n’est-ce pas ? JUDITH (regardant au dehors fixement, avec distraction) Il est beau et vaste, ton pays. BARBE-BLEUE Des prés soyeux, des forêts veloutées, De longues rivières d’argent qui coulent, Et des montagnes bleues tout au loin. JUDITH Il est bel et vaste, ton pays. 43 BARBE-BLEUE A présent, Judith, tout cela est tien. C’est là que vivent l’aube et le crépuscule, C’est là que vivent le soleil, la lune et les étoiles, Qui seront tes compagnons de jeux. JUDITH Le nuage projette une ombre sanglante ! Quels sont ces nuages qui passent là-bas ? BARBE-BLEUE Vois, mon château resplendit, C’est l’œuvre de ta main bénie, Bénie est ta main, bénie. (Il ouvre les bras.) Viens, viens, pose-la sur mon cœur. (Judith ne bouge pas.) JUDITH Deux portes sont closes encore. BÉLA BARTÓK KÉKSZAKÁLLÚ Legyen csukva a két ajtó. Téljen dallal az én váram. Gyere, gyere, csókra várlak! JUDIT Nyissad ki még a két ajtót. KÉKSZAKÁLLÚ Judit, Judit, csókra várlak. Gyere, várlak. Judit várlak! JUDIT Nyissad ki még a két ajtót. (A kékszakállú karja lelankad.) KÉKSZAKÁLLÚ Azt akartad, felderüljön; Nézd, tündököl már a váram. 44 JUDIT Nem akarom, hogy elòttem Csukott ajtóid legyenek! KÉKSZAKÁLLÚ Vigyázz, vigyázz a váramra, Vigyázz, nem lesz fényesebb már! JUDIT Életemet, halálomat, Kékszakállú! KÉKSZAKÁLLÚ Judit, Judit! JUDIT Nyissad ki még a két ajtót, Kékszakállú, Kékszakállú! KÉKSZAKÁLLÚ Mért akarod, mért akarod? Judit! Judit! LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE BARBE-BLEUE Que ces deux portes restent closes. Que mon château s’emplisse de chants. Viens, viens, je t’attends pour un baiser ! JUDITH Ouvre encore ces deux portes. BARBE-BLEUE Judith, Judith, je t’attends pour un baiser ! Viens, je t’attends, Judith, je t’attends ! JUDITH Ouvre encore ces deux portes. (Les bras de la Barbe-Bleue retombent.) BARBE-BLEUE Tu as voulu qu’entre la lumière ; Vois comme mon château resplendit déjà. JUDITH Je ne veux pas que, devant moi, Des portes restent closes ! BARBE-BLEUE Prends garde, prends garde à mon château ! Prends garde, il ne s’éclairera pas davantage ! JUDITH Sur ma vie, sur ma mort, Barbe-Bleue ! BARBE-BLEUE Judith, Judith ! JUDITH Ouvre encore ces deux portes. Barbe-Bleue, Barbe-Bleue ! BARBE-BLEUE Pourquoi veux-tu, pourquoi veux-tu ? Judith ! Judith ! 45 BÉLA BARTÓK JUDIT Nyissad, nyissad! KÉKSZAKÁLLÚ Adok neked még egy kulcsot. (Judit némán követelòen nyújtja érte a kezét. A kékszakállú átadja a kulcsot. Judit a hatodik ajtóhoz megy. Mikor a kulcs elsòt fordul, zokogó mély sóhajtás búg fel. Judit meghátrál.) Judit, Judit ne nyissad ki! (Judit hirtelen mozdulattal az ajtóhoz lép és kinyitja. A csarnokon mintha árny futna keresztùl: valamivel sötétebb lesz.) JUDIT Csendes fehér tavat látok, Mozdulatlan fehér tavat. Milyen víz ez Kékszakállú? 46 KÉKSZAKÁLLÚ Könnyek, Judit, könnyek, könnyek. JUDIT (megborzongva) Milyen néma, mozdulatlan. KÉKSZAKÁLLÚ Könnyek, Judit, könnyek, könnyek. JUDIT (lehajol és fùrkészve nézi a tavat) Sima feher, tiszta fehér. KÉKSZAKÁLLÚ Könnyek, Judit, könnyek, könnyek. (Judit lassan megfordul és némán szembenéz a kékszakállúval. Kékszakállú lassan kitárja karját.) Gyere, Judit, gyere Judit, Csókra várlak. (Judit nem mozdul.) Gyere várlak, Judit várlak. (Judit nem mozdul.) Az utolsót nem nyitom ki. Nem nyitom ki. LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE JUDITH Ouvre, ouvre ! BARBE-BLEUE Je te donne encore une clef. (Judith lui tend la main sans rien dire. La Barbe-Bleue lui tend la clef. Judith va à la sixième porte. Au premier tour de clef, un profond gémissement s’élève. Judith recule.) Judith, Judith, n’ouvre pas ! (Judith se précipite à la cinquième porte et l’ouvre. On dirait qu’une ombre traverse le hall : il s’obscurcit légèrement.) JUDITH Je vois un lac paisible et blanc, Un lac blanc et inerte. Quelle est cette eau, Barbe-Bleue ? BARBE-BLEUE Des larmes, Judith, des larmes, des larmes. 47 JUDITH (saisie de frissons) Comme elles sont muettes, inertes. BARBE-BLEUE Des larmes, Judith, des larmes, des larmes. JUDITH (se penche et scrute le lac) D’un blanc lisse, d’un blanc pur. BARBE-BLEUE Des larmes, Judith, des larmes, des larmes. (Judith se retourne et affronte en silence le regard de la Barbe-Bleue. Barbe-Bleue ouvre lentement les bras.) Viens, Judith, viens, Judith, Je t’attends pour un baiser ! (Judith reste immobile.) Viens, Judith, je t’attends, Judith, (Judith reste immobile.) Je n’ouvrirai pas la dernière. Je ne l’ouvrirai pas. BÉLA BARTÓK (Judit lehajtott fejjel, lassan a kékszakállúhoz megy. Kérve, szinte szomoruán hozzásimul.) JUDIT Kékszakállú... Szeress engem. (A kékszakállú magához öleli; hosszú csók. A kékszakállú vállán a feje.) Nagyon szeretsz, Kékszakállú? KÉKSZAKÁLLÚ Te vagy váram fényessége, Csókolj, csókolj, sohse kérdezz. (Hosszan csókolja.) JUDIT (a kékszakállú vállán a feje) Mondd meg nekem Kékszakállú, Kit szerettél én elöttem? 48 KÉKSZAKÁLLÚ Te vagy váram fényessége, Csókolj, csókolj, sohse kérdezz. JUDIT Mondd meg nekem, hogy szeretted? Szebb volt mint én? Más volt mint én? Mondd el nekem Kékszakállú. KÉKSZAKÁLLÚ Judit szeress, sohse kérdezz. JUDIT Mondd el nekem Kékszakállú. KÉKSZAKÁLLÚ Judit szeress, sohse kérdezz. JUDIT (kibontakozik az ölelésbòl) Nyisd ki a hetedik ajtót! (A kékszakállú nem felel.) Tudom, tudom, Kékszakállú. LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE (Judith s’avance lentement vers la Barbe-Bleue, la tête baissée. Elle se blottit contre lui, suppliante, presque triste.) JUDITH Barbe-Bleue... Aime-moi. (La Barbe-Bleue l’enlace ; long baiser. Elle pose la tête sur l’épaule de la Barbe-Bleue.) M’aimes-tu fort, Barbe-Bleue ? BARBE-BLEUE Tu es l’éclat de mon château, Embrasse-moi, embrasse-moi, ne pose aucune question. (Il l’embrasse longuement.) JUDITH (la tête sur l’épaule de la Barbe-Bleue) Dis-moi, Barbe-Bleue, Qui as-tu aimé avant moi ? BARBE-BLEUE Tu es l’éclat de mon château, Embrasse-moi, embrasse-moi, ne pose aucune question. JUDITH Dis-moi comment tu l’as aimée ? Était-elle plus belle que moi ? Était-elle différente de moi ? Dis-moi, Barbe-Bleue. BARBE-BLEUE Judith, aime-moi, ne pose aucune question. JUDITH Dis-moi, Barbe-Bleue. BARBE-BLEUE Judith, aime-moi, ne pose aucune question. JUDITH (s’arrachant à l’étreinte) Ouvre la septième porte ! (La Barbe-Bleue ne répond pas.) Je sais, je sais, Barbe-Bleue. 49 BÉLA BARTÓK Mit rejt a hetedik ajtó. Vér szárad a fegyvereken, Legszebbik koronád véres, Virágaid földje véres, Véres árnyat vet felhò! Tudom, tudom, Kékszakállú, Fehér könnytó kinek könnye. Ott van mind a régi asszony Legyilkolva, vérbefagyva. Jaj, igaz hír, suttogó hír. KÉKSZAKÁLLÚ Judit! JUDIT Igaz, igaz! Most én tudni akarom már. Nyisd ki a hetedik ajtót! 50 KÉKSZAKÁLLÚ Fogjad... Fogjad... Itt a hetedik kulcs. Ott van mind a régi asszony. (Judit mereven nézi, nem nyúl érte.) Nyisd ki, Judit. Lássad òket. (Judit még egy ideig mozdulatlan. Aztán lassan, bizonytalan kézzel átveszi a kulcsot és lassan, ingó lépéssel a hetedik ajtóhoz megy és kinyitja. Mikor a kulcs csattan, halk sóhajtással becsukódik a hatodik és az ötödik ajtó. Jóval sötétebb lesz. Csak a négy szemközti ajtónyílás világítja színes sugaraival a csarnokot. És akkor kinyílik a hetedik ajtó és holdezüst fény vet òdik be rajta hosszú sugárban, megvilágítva Judit arcát és a kékszakállúét.) Lásd a régi asszonyokat. Lásd akiket én szerettem. JUDIT (megdöbbenve hátrál) Élnek, élnek, itten élnek! (A hetedik ajtóból elòjönnek a régi asszonyok. Hárman koronásan, kinccsel rakottan, glóriásan. Sápadt arccal, büszke járással jönnek egymás mögött és megállnak szemben a kékszakállúval, aki térdre ereszkedik.) LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE Ce que cache la septième porte. Du sang sèche sur tes armes, La plus belle de tes couronnes est en sang, Le pied de tes fleurs est en sang, Le nuage jette une ombre de sang ! Je sais, je sais, Barbe-Bleue A qui sont les larmes du blanc lac de larmes. Là se trouvent toutes les anciennes épouses Assassinées, baignant dans leur sang. Hélas ! elle est vraie la rumeur, la rumeur que l’on chuchote. BARBE-BLEUE Judith ! JUDITH Vraie, vraie ! A présent je veux savoir par moi-même. Ouvre la septième porte ! BARBE-BLEUE Tiens... tiens... Voici la septième clef. Là se trouvent toutes les anciennes épouses. (Judith le regarde fixement, sans tendre la main.) Ouvre, Judith. Regarde-les. (Judith reste un instant sans bouger. Puis elle prend la clef lentement, d’une main peu assurée, se dirige d’un pas lent et incertain vers la septième porte et l’ouvre. Au bruit sec de la clef, les cinquième et sixième portes se referment dans un gémissement étouffé. Le hall s’obscurcit sensiblement. Seules les quatre ouvertures de portes qui font face continuent de l’éclairer, de leurs rayons multicolores. La septième porte s’ouvre alors, et une lumière argentée de lune projette un long rayon qui illumine le visage de Judith et celui de la Barbe-Bleue.) Vois les anciennes épouses. Vois celles que j’ai aimées. JUDITH (reculant, interdite) Elles vivent, elles vivent, elles vivent ici ! (Les anciennes épouses s’avancent par la septième porte, toutes trois portant couronne, parées de bijoux, auréolées de gloire. Le visage pâle, le pas fier, elles marchent l’une derrière l’autre et s’arrêtent face à la Barbe-Bleue, qui tombe à genoux.) 51 BÉLA BARTÓK KÉKSZAKÁLLÚ (kitárt karokkal, mintha álmodna) Szépek, szépek, százszor szépek. Mindig voltak, mindig éltek. Sok kincsemet òk gyùjtötték, Virágaim òk öntözték, Birodalmam növesztették, Övék minden, minden, minden. JUDIT (a régi asszonyok mellett áll negyediknek, meggörnyedve, félve) Milyen szépek, Milyen dúsak, Én, jaj, koldus, kopott vagyok. 52 KÉKSZAKÁLLÚ (feláll; suttogó hangon) Hajnalban az elsòt leltem, Piros szagos szép hajnalban. Övé most már minden hajnal, Övé piros, hùs palástja, Övé ezüst koronája, Övé most már minden hajnal. JUDIT Jaj, szebb nálam, Dúsabb nálam. (Az elsò asszony lassan visszamegy.) KÉKSZAKÁLLÚ Másodikat délben leltem, Néma égò arany délben. Minden dél az övé most már, Övé nehéz tùzpalástja, Övé arany koronája, Minden dél az övé most már. JUDIT Jaj, szebb nálam, Dúsabb nálam. (A második asszony visszamegy.) KÉKSZAKÁLLÚ Harmadikat este leltem, LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE BARBE-BLEUE (leur tendant les bras, comme hypnotisé) Elles sont belles, belles, cent fois belles. Elles ont toujours existé, toujours vécu. Ce sont elles qui ont amassé tous mes trésors, Elles qui ont arrosé mes fleurs, Elles qui ont fait grandir mon domaine. Tout leur appartient, tout, tout. JUDITH (courbée, apeurée, se place au côté des anciennes épouses, en tant que quatrième) Comme elles sont belles, Comme elles sont richement parées, Et moi, hélas ! je suis en guenilles et défraîchie. BARBE-BLEUE (se lève et murmure) Je trouvai la première à l’aurore, Dans le beau rougeoiement de l’aurore parfumée. Chaque aurore est sienne désormais, Sien est son manteau rougeoyant et frais, Sienne sa couronne d’argent, Chaque aurore est sienne désormais. JUDITH Hélas ! elle est plus belle que moi, Plus richement parée que moi. (La première épouse se retire lentement.) BARBE-BLEUE La deuxième, je la trouvai à midi, Dans l’or silencieux et brûlant du midi. Chaque midi est sien désormais, Sien est son lourd manteau de feu, Sienne sa couronne d’or, Chaque midi est sien désormais. JUDITH Hélas ! elle est plus belle que moi, Plus richement parée que moi. (La deuxième épouse se retire.) BARBE-BLEUE La troisième, je la trouvai le soir, 53 BÉLA BARTÓK Békés bágyadt barna este. Övé most már minden este, Övé barna búpalástja, Övé most már minden este. JUDIT Jaj, szebb nálam, Dúsabb nálam. (Az harmadik asszony visszamegy. A kékszakállú megáll Judit elòtt. Hosszan szembenéznek. A negyedik ajtó becsukódik.) KÉKSZAKÁLLÚ Negyediket éjjel leltem. JUDIT Kékszakállú, megállj, megállj! KÉKSZAKÁLLÚ Csillagos, fekete éjjel. 54 JUDIT Hallgass, hallgass, Itt vagyok még! KÉKSZAKÁLLÚ Fehér arcod süttött fénnyel Barna hajad felhòt hajtott, Tied lesz már minden éjjel. (A harmadik ajtóhoz megy és a koronát, palástot, ékszert, amit Judit a küszöbre rakott, elhozza. A harmadik ajtó becsukódik. Judit vállára teszi a palástot.) Tied csillagos palástja... JUDIT Kékszakállú nem kell, nem kell! (Judit fejére teszi a koronát.) KÉKSZAKÁLLÚ ... Tied gyémánt koronája. LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE Dans la paix brune et alanguie du soir. Chaque soir est sien désormais. Sien son manteau brun de chagrin, Chaque soir est sien désormais. JUDITH Hélas ! elle est plus belle que moi, Plus richement parée que moi. (La troisième épouse se retire. La Barbe-Bleue s’arrête devant Judith. Ils se fixent longuement du regard. La quatrième porte se referme.) BARBE-BLEUE La quatrième, je la trouvai la nuit. JUDITH Barbe-Bleue, arrête, arrête ! BARBE-BLEUE Dans la nuit noire et étoilée. 55 JUDITH Tais-toi, tais-toi, Je suis encore là ! BARBE-BLEUE La blancheur de ton visage me brûlait de lumière, Ta brune chevelure chassait les nuages, Tienne sera chaque nuit à présent. (Il se dirige vers la troisième porte et en rapporte la couronne, le manteau, les bijoux que Judith avait mis de côté sur le seuil. La troisième porte se referme. Il met le manteau sur les épaules de Judith.) Tien est son manteau semé d’étoiles... JUDITH Barbe-Bleue non, non ! (Il pose la couronne sur la tête de Judith.) BARBE-BLEUE ... Tienne est sa couronne de diamants. BÉLA BARTÓK JUDIT Jaj, jaj Kékszakállú, vedd le. KÉKSZAKÁLLÚ ... Tied a legdrágább kincsem. JUDIT Jaj, jaj Kékszakállú, vedd le. KÉKSZAKÁLLÚ Szép vagy, szép vagy, Százszor szép vagy, Te voltál a legszebb asszony, A legszebb asszony! (Hosszan szembenéznek. Judit lassan meggörnyed a palást súlya alatt és gyémántkoronás fejét lehorgasztva, az ezùst fénysáv menténbemegy a többi asszony után a hetedik ajtón. Az is becsukódik.) 56 És mindég is éjjel lesz már... Éjjel... éjjel... (Teljes sötetség, melyben a kékszakállú eltunik.) LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE JUDITH Hélas, hélas ! Barbe-Bleue, retire-la. BARBE-BLEUE ... Tien est mon trésor le plus précieux. JUDITH Hélas, hélas ! Barbe-Bleue, retire-le. BARBE-BLEUE Tu es belle, tu es belle, Tu es cent fois belle ! Tu étais la plus belle femme, La plus belle femme ! (Ils se fixent longuement du regard. Judith ploie lentement sous le poids du manteau. Inclinant sa tête couronnée de diamants, elle longe, à la suite des autres femmes, le faisceau de lumière argentée et franchit la septième porte. Celle-ci se referme à son tour.) Et maintenant, la nuit régnera pour toujours... La nuit... la nuit... (Obscurité totale, dans laquelle la Barbe-Bleue disparaît.) Traduction de Claire Delamarche, 2007 57 CAHIER de LECTURES Béla Bartók Correspondance Zoltán Kodály Le Château de Barbe-Bleue — Claire Delamarche Béla Balász Barbe-Bleue en son château Béla Balász Béla Bartók BÉLA BARTÓK CORRESPONDANCE Lettre à sa mère, Paula Bartók, à Pozsony (Bratislava) Paris, 18, rue etc., 10 septembre 1905 Chère Maman [...] Si Elza1 me ressemblait davantage, je me ficherais bien de la « solitude » et cela ne t’éviterait du chagrin. En dépit du fait que je partage mes repas de midi avec vingt Cubains – Américains du Sud et du Nord – Hollandais – Espagnols – Anglais, et bien que je fasse des excursions avec des Allemands et des Turcs, je suis solitaire ! C’est en vain que Dietl2 et Mandl3 s’occupent de moi à Vienne, en vain que Thomán4 et Mme Gruber5 sont mes amis à Budapest, je prends 1. Sœur de Bartók, de quatre ans sa cadette. 2. Lajos Dietl (1873-1945), pianiste et pédagogue, professeur de piano au Conservatoire de Vienne, fondateur de la section conservatoire du Mozarteum de Salzbourg en 1908 et membre du jury du prix Rubinstein, auquel Bartók concourut sans succès lors de ce séjour parisien en 1905. 3. Richard Mandl (1859-1918), compositeur autrichien ; une lettre de Bartók à sa mère, datée du 8 août 1905, indique qu’il cherchait des élèves au jeune musicien. 4. István Thomán (1862-1940), professeur de piano de Bartók à l’Académie de musique de Budapest de 1899 à 1903. 5. Emma Gruber, née Emma Sándor (Schlesinger), élève de Bartók, puis de Kodály, future épouse de Kodály (1910). 61 BÉLA BARTÓK conscience d’un seul coup que je suis tout à fait seul. Et je prophétise, je sais par avance que cette solitude morale sera mon lot. Je cherche, je traque la personne qui puisse idéalement m’accompagner, mais je sais bien que c’est en pure perte. Et si par hasard j’avais l’impression d’avoir trouvé quelqu’un, la désillusion ne tarderait pas. Bien que la résignation tranquille soit aux antipodes de cette quête, je suis en passe de m’habituer tout à fait à l’idée que cela ne peut être autrement, que cela doit être ainsi ! Et, pour consolation, je conseille à tout le monde ceci : s’élever à une hauteur d’âme détachée et, de là, examiner la situation avec une indifférence totale, un calme impassible. Bien sûr, il est difficile, extrêmement difficile même de parvenir à cette attitude ; mais y réussir est la plus grande victoire de l’homme : au-dessus des autres, audessus de soi-même, au-dessus de tout. Pour ma part, il arrive quelquefois que je me sente presque au sommet, puis je fais une chute vertigineuse, je lutte alors de nouveau, j’aspire à prendre de la hauteur ; et cela se répète sans fin. Un jour ou l’autre, je réussirai bien à rester tout en haut. Lettre à sa première épouse, née Márta Ziegler 19156 Encore quelque chose que je n’ai pas réussi à t’écrire samedi : je suis tellement écœuré par ces mois passés à triturer du papier que, pour l’instant, je ne peux même plus regarder une feuille de papier, un livre ou un phonographe ! C’est arrivé brutalement, mais ces derniers temps, au plus profond d’une activité extrêmement intense, a couvé ce sentiment que tout cela ne servait à rien. Et alors la force et la persévérance m’ont manqué. Et maintenant je gis comme un poisson rejeté sur la grève, et je ne sais pas de quelle manière m’en sortir. A vrai dire, les collectes sur le terrain étaient déjà un succédané de quelque chose à quoi il m’était impossible de prendre part : une vie musicale intense. Depuis la guerre, le brassage de papier est devenu le succé6. Lettre sans date, située par Béla Bartók junior dans les premiers mois de l’année 1915. 62 CORRESPONDANCE dané des collectes sur le terrain. Je ne pourrai pas continuer longtemps comme cela. Finalement, de quoi ai-je envie ? Uniquement de l’impossible ! J’ai envie d’aller faire des collectes auprès de mes chers Valaques ; j’ai envie de voyager, mais loin ; j’ai envie d’entendre de la musique magnifique, mais pas à Budapest ; j’ai envie d’assister à des représentations de Barbe-Bleue ! Maintenant, je sais que je ne l’entendrai pas de mon vivant. – Je t’ai demandé de te le jouer [---] j’ai peur de ne pas supporter de le jouer jusqu’au bout. C’est pourquoi, justement, j’essaierai une fois encore : au moins nous pourrons pleurer ensemble. Depuis Barbe-Bleue, mon succédané no 1 m’a donné du courage, c’est de là que vient cette détermination farouche avec laquelle je me suis jeté dans le travail. Et puis le ciel s’est assombri, et ce n’est pas pour un ou deux ans, mais pour cinq ou dix, que sais-je, voire pour toujours. Plus cette situation dure et plus mon espoir faiblit. Les hordes sauvages écrabouillent les contrées où je pourrais faire mes collectes, la haine réciproque grandit, les destructions matérielles augmentent de jour en jour, la possibilité d’une quelconque édition ne fait que s’éloigner. Nous sommes enfermés dans une prison, au sens strict du terme ! Jamais je n’aurais pu prévoir que moi – homme en perpétuel mouvement – je mériterais un tel sort, que je passerais les plus belles années de ma vie emprisonné dans l’endroit le plus horrible au monde. Et qu’irait dire quiconque lirait cette lettre ? Il prononcerait cette phrase hautement originale, hautement spirituelle et qu’on n’entend jamais : « Allez donc dans les tranchées ! » Il va de soi que mon discours ne s’adresse pas à ces gens-là. Le verre rempli jusqu’à ras bord continue de paraître normal ; mais la broutille la plus infime, qui n’a parfois rien à voir avec lui, peut le faire se renverser. Voilà ce qui m’est arrivé. A présent, il faut que j’essaie de faire une longue pause. Peut-être réussirai-je même à écrire quelque chose. Et peutêtre, au bout d’un mois ou deux, pourrai-je m’atteler à quelque tâche dont mes chers semblables n’empêcheront pas l’achèvement par les armes et par la haine ! 63 BÉLA BARTÓK Lettre à Ernst Latzko, à Weimar Budapest, 4, place Szilágyi, 16 décembre 1924 Très honoré Maître de chapelle, J’apprends avec un plaisir que mon Barbe-Bleue va être représenté à Weimar ; Univ[ersal] Ed[ition] ne m’avais parlé que du Prince de bois. Je vous suggérerais de ne pas faire jouer les parties de saxophones par deux clarinettes, mais par un cor ang[lais] et une clar[inette] basse. Jusqu’ici, j’ai fait partout l’expérience que, dans Barbe-Bleue, les chanteurs veulent interpréter les passages parlando (la majeure partie des parties chantées se compose de tels passages parlando) dans un rythme fixe (tempo giusto). C’est pourquoi j’attire votre attention sur le fait qu’une telle conception serait complètement erronée, une sorte de chant parlé doit régner sans exception. J’ai fait à Francfort des expériences bien amères : l’orchestre se rebiffait, le chanteur qui incarnait Barbe-Bleue était si incertain qu’il a improvisé des mesures entières ; la chorégraphie du Prince a été préparée par une danseuse qui ne savait pas lire la musique, etc. J’aimerais que vous me fassiez savoir si les conditions sont meilleures à Weimar de ce point de vue. Pour ce qui est de l’exécution, je vous prierai : 1) de ne pas faire ressortir exagérément le caractère folklorique de ma musique : 2) d’insister sur le fait que, dans ces œuvres scéniques comme dans toute autre de mes œuvres originales, je n’utilise jamais de mélodies populaires ; 3) que ma musique est rigoureusement tonale et 4) qu’elle n’a rien de commun avec la manière « objective » et « impersonnelle » (c’est-à-dire qu’en vérité elle n’est pas « moderne » !). Dans l’attente de nouvelles informations de votre part, je vous prie d’agréer mes salutations distinguées, Bien à vous, Béla Bartók 64 CORRESPONDANCE Lettre à Ernst Latzko, à Weimar Budapest, 4, place Szilágyi, 15 mai 1925 Très honoré Maître de chapelle, Ce que vous m’avez raconté de la représentation m’a beaucoup réjoui. A savoir que vous, comme le public, placez plus haut Barbe-Bleue que Le Prince de bois. Pour parler franchement, je n’ai pas une grande affection pour cette dernière œuvre ; que ce soit par la musique ou par le texte, je considère que Barbe-Bleue est incomparablement meilleur. Bien sûr, je suis persuadé qu’en dépit de tout cela BarbeBleue ne peut prétendre à un succès durable auprès du public. Entre-temps, j’ai lu dans Die Oper von heute7quelques critiques de la représentation qui sont vraiment favorables. Je vous remercie une fois encore de tout le mal que vous vous êtes donné et vous adresse mes salutations cordiales, Bien à vous, Béla Bartók 7. L’Opéra d’aujourd’hui. BÉLA BARTÓK SUR LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE J’ai composé mon mystère Le Château de Barbe-Bleue de mars à septembre 1911. C’est ma première œuvre scénique et, en même temps, ma première œuvre vocale. Les circonstances de l’époque n’ont pas permis que je fasse représenter mon ouvrage, si bien que j’ai dû attendre la création scénique du Prince de boispour pouvoir le présenter au comte Miklós Bánffy et au chef d’orchestre [Egisto] Tango. Je leur voue une grande reconnaissance car ils n’ont pas ménagé leur peine pour obtenir cette production de toute première qualité. Olga Haselbeck et Oszkár Kálmán chantent leurs rôles respectifs avec une telle perfection que l’exécution arrive tout à fait à la hauteur de ce que je m’imaginais. Première édition : “A Kékszakállú herceg vára. Az Operaház újdonsága. I. Szerzòk a darabjukról” [“Le Château de Barbe-Bleue. Nouvelles de l’Opéra. I. Les compositeurs parlent de leurs œuvres”]. In revue Magyar Színpad [La Scène hongroise], XXI, 143 (24 mai 1918) Traduction : Claire Delamarche 66 ZOLTÁN KODÁLY LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE Bartók voulut affranchir la langue et rendre plus musicale l’inflexion naturelle de la voix ; il imprima ainsi au style réci tatif hongrois un essor considérable. Pour la première fois, sur la scène de l’opéra hongrois, le chant s’exprime d’un bout à l’autre dans un langage hongrois homogène et pur. Une telle mise en musique, où chaque mot et chaque phrase ont leur place nettement déterminée, dévoile les plus petites inégalités du texte. Le fait que de telles imperfections existent dans le texte de Balázs aurait pu susciter de sérieuses objections : cependant, les critiques les plus sévères n’y font aucune allusion. La condamnation presque unanime du livret – condamnation non motivée, il est vrai – donne l’impression que le public hongrois est très exigeant en ce qui concerne les textes d’opéras. Cependant, nos écrivains ne voient pas dans le livret un genre sérieux. Ils oublient qu’aux époques florissantes de l’opéra, les textes ont toujours été écrits par des auteurs avertis, et s’étonnent quand, aujourd’hui, tel livret est l’œuvre d’un véritable écrivain, voire d’un véritable dramaturge. C’est le mérite particulier de Béla Balázs de n’avoir pas hésité à sacrifier pour l’opéra l’une de ses idées les plus belles et les plus poétiques : il a contribué ainsi à la création d’une œuvre admirable. Certes, ce récit « sans événements » ne contient aucun des poncifs habituels de l’opéra, mais la manière dont il développe les thèmes de la vieille légende, sa façon de présenter le problème à tout jamais insoluble des rapports entre homme et femme, saisissent et fascinent l’auditoire du pre- 67 ZOLTÁN KODÁLY mier au dernier mot. Sa méthode, qui consiste à composer une ébauche et à confier à la musique le soin d’en préciser les contours, de la rendre plus vivante, permet au texte de se fondre avec la musique. Sans être contraints à nier leur existence propre, le drame et la musique s’affirment néanmoins dans une union plus parfaite. Cette union, loin d’être troublée par la structure symphonique de la musique, en est au contraire resserrée : la courbe dramatique et la courbe musicale se développent en parallèles et se renforcent mutuellement, tel un double arc-en-ciel grandiose. La puissance constructive de la musique de Bartók apparaît mieux encore après l’audition du Prince de bois. Ce ballet équilibre l’adagio désespéré de l’opéra grâce au contraste de son allegro enjoué et plein de verve. Ces deux morceaux s’épousent comme deux mouvements d’une vaste symphonie. Et que ceux qui considèrent l’atonalité comme un élément essentiel de la musique de Bartók constatent enfin que les deux œuvres ont chacune leur tonalité fondamentale, tout comme un opéra de Mozart. La représentation du Château de Barbe-Bleue a été l’une des plus belles de l’année. Le chef d’orchestre Tango avait déjà démontré l’année dernière que, pour comprendre la nouvelle musique hongroise, il n’est pas indispensable d’avoir vingt ans et d’être hongrois. Le talent, la capacité d’adaptation et la véritable maîtrise technique donnent la clé de tout art nouveau. Pour la première fois peut-être, l’année dernière, lors de la représentation du ballet, un artiste honnête nous a présenté une œuvre honnête, sans montrer l’habituelle condescendance des chefs d’orchestre. Ce fut aussi la première fois peut-être que la musique de Bartók a été jouée selon la conception de l’auteur. Aujourd’hui, ce « miracle » s’est reproduit ; très certainement, à chaque nouvelle occasion, de plus en plus nombreux seront ceux qui découvriront que cette musique n’est pas du tout incompréhensible. Extrait de « Un opéra de Béla Bartók », in Bence Szabolcsi : Bartók, sa vie et son œuvre.Ed. Boosey & Hawkes, 1968 Titre original : “Bartók Béla elsò opérája – A kékszakállú herceg vára bemutató eladása alkalmából” [“Le Premier Opéra de Béla Bartók – à l’occasion de la création du Château de Barbe-Bleue”] Première publication : revue Nyugat [Occident], 1918 CLAIRE DELAMARCHE BÉLA BALÁZS Assurément, le besoin de connaître les faits est le souhait d’une conscience politique libre, à savoir s’orienter par soi-même. Mais la même objectivité devient une idéologie réactionnaire, elle élimine l’homme et son expérience vécue. .. Le seul reportage des choses « tangibles » est insuffisant pour les organiser. Car il faudra parfois la sensibilité et la force des images du poète pour recréer l’atmosphère insaisissable de la réalité. La création poétique est un organe naturel de l’humanité pour percevoir ce qui n’est pas directement palpable et qui n’en a pas moins une existence réelle. BÉLA BALÁZS. L’Esprit du cinéma, 1930 Béla Balázs, de son vrai nom Herbert Bauer, naquit à Szeged, dans le sud de la Hongrie, le 4 août 1884. Poète, écrivain, théoricien du cinéma, cinéaste, il fut une figure majeure de la culture hongroise de la première moitié du XXe siècle, aux côtés d’amis comme le poète Endre Ady, le philosophe György Lukács, les musiciens Béla Bartók et Zoltán Kodály (avec qui il partagea sa chambre d’étudiant au collège Eötvös, l’équivalent hongrois de l’École normale supérieure). Dès 1908, Balázs étudie le rôle de la conscience dans l’art dans son essai Halálesztétika [L’Esthétique de la mort]. Mais la pratique de la littérature l’intéresse autant que la théorie : il publie des recueils de poésies et des pièces de théâtre, et écrit pour Bartók le livret du Château de BarbeBleue (1910) et l’argument du ballet Le Prince de bois (1917). 69 CLAIRE DELAMARCHE Proche des communistes qui gouvernent dans l’éphémère République des Conseils, en 1919, Balázs est contraint à l’exil au retour de la royauté. Il s’installe à Vienne, comme de nombreux autres intellectuels hongrois tels Lukács, les réalisateurs Sándor Korda (Sir Alexander Korda) et Mihály Kertész (Michael Curtiz), l’acteur Béla Lugosi ou le peintre Lajos Kassák. Une vie culturelle hongroise se recrée dans la capitale autrichienne, autour du Bécsi Magyar Újság [Journal hongrois de Vienne]. Il commence alors à écrire des chroniques sur le septième art dans le journal Der Tag [Le Jour]. En 1924, il publie le premier livre d’esthétique de l’histoire du cinéma, Der Sichtbare Mensch [L’Homme visible]. Ce recueil d’articles fait grand bruit, traduit en onze langues*. C’est dans cet ouvrage que Balázs, par une formule devenue célèbre, définit l’expressionnisme dans les arts de représentation comme la volonté de souligner et de rendre visible « la physionomie latente des choses ». Selon lui, le cinéma est l’art appelé, entre tous, à révéler la nature profonde et mystérieuse des choses, de révéler leur « physionomie expressive » au-delà de leur physionomie apparente. Le succès de ce livre vaut à Balázs une invitation à Berlin, où il réside de 1926 à 1931. Dès son arrivée, il rédige le scénario de Die Abenteuer eines Zehmarkscheines[Les Aventures d’un billet de dix marks, 1926], œuvre pionnière de la Neue Sachlichkeit [Nouvelle Objectivité]. Il participe également, aux côtés d’Erwin Piscator et de Max Reinhardt, au théâtre d’agit-prop, et écrit des scénarios, notamment pour Georg Wilhelm Pabst (L’Opéra de quat’sous) et Leni Riefenstahl (Lumière bleue). En 1930, il publie une esthétique du cinéma parlant, sous le titre Der Geist des Films [L’Esprit du film, 1925]**. A l’arrivée des nazis au pouvoir, Balázs (qui prend en 1931 sa carte du Parti communiste allemand) quitte Berlin pour l’Union soviétique. Pendant douze ans, de 1933 à 1945, il enseignera l’esthétique du cinéma à l’Institut d’État du Film, à Moscou. Ces années seront particulièrement pénibles. Il est en butte aux attaques des idéologues de Staline, et * En édition française : Le cinéma, nature & évolution d’un art nouveau, Payot, 1979. ** En édition française : L’Esprit du cinéma, Payot, 1977. 70 BÉLA BALÁSZ même son ami de toujours, Lukács, lui tourna le dos. Certaines de ses œuvres sont saisies et détruites par les zélotes du régime. En Hongrie, son sort n’aurait pas été plus enviable. Bartók doit bagarrer pour imposer que le nom de ce juif figure sur les affiches de leurs œuvres communes, et pour que leur éditeur consente à lui verser les droits d’auteurs qui lui sont dus. En 1939, Balázs écrit un poème pour Staline, mais sa situation ne s’améliore pas pour autant. Pendant la guerre, il part au Kazakhstan recueillir des poésies populaires publiées plus tard au sein de Das Goldene Zelt [La Tente d’or, 1956]. Après guerre, Balázs rentre dans son pays natal, où il participe activement à recréer une école de cinéma nationale. Il enseigne à l’Académie des Arts du théâtre et du cinéma et continue d’écrire des scénarios – le plus souvent interdits par le nouveau régime communiste car trop « bourgeois ». En 1946, il écrit une autobiographie sous le titre de Álmodó ifjúság [Jeunesse rêveuse ]. Sa dernière œuvre marquante est, en 1947, le scénario de Valahol Európában [Quelque part en Europe], film de Géza Radványi. Il est réhabilité quelques semaines avant sa mort, survenue à Budapest le 17 mai 1949. Dix ans plus tard, son nom sera donné à un célèbre studio de cinéma d’avant-garde qui s’ouvrira à Budapest. CLAIRE DELAMARCHE BARBE-BLEUE EN SON CHÂTEAU De Perrault à Bartok Le conte de Perrault C’est en 1697 que la légende de Barbe-Bleue s’introduit en littérature, sous la plume de Charles Perrault. Trois ans après la parution de contes en vers (Grisélidis, Les Souhaits ridicules et Peau d’âne), il en fait publier huit nouveaux en prose (La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La BarbeBleue, Le Maître Chat ou Le Chat botté, Cendrillon, Le Petit Poucet, Les Fées, Riquet à la houppe) sous le titre d’Histoires, ou Contes du temps passé avec des moralitez . A en croire Perrault, ces histoires ont été recueillies par son fils Pierre auprès de conteuses. Le titre original du manuscrit, placé en frontispice de la version imprimée, rappelle cette prétendue origine orale et populaire : Contes de ma mère l’Oye. Barbe-Bleue est un mari aussi riche que brutal, et sa femme, sorte d’Ève transportée au XVIIe siècle, succombe à la curiosité. Comme Ève peut goûter à tous les fruits sauf à ceux du fameux pommier, l’épouse peut visiter chaque recoin de la demeure, pourvu qu’elle laisse close la porte interdite. Désobéissant, elle découvre les corps égorgés des six épouses précédentes ; elle est sauvée in extremis par ses deux frères. La faute originelle – la découverte de la sexualité – prend l’apparence d’une tache de sang indélébile sur la clef. 72 BARBE-BLEUE EN SON CHÂTEAU Naissance d’un opéra La légende prend corps sous diverses plumes, notamment celle de Maurice Maeterlinck. En 1901, il achève une pièce en trois actes, Ariane et Barbe-Bleue, ou La Délivrance inutile, qu’il destine d’emblée à l’opéra – et à son épouse, la cantatrice Georgette Leblanc, sœur du père d’Arsène Lupin. C’est finalement Paul Dukas qui se charge d’écrire la partition. Ariane et Barbe-Bleue est créé le 10 mai 1907 à l’Opéra-Comique. Deux jeunes Hongrois assistent à l’événement : le poète Béla Balázs et le compositeur Zoltán Kodály, qui séjournent pour quatre mois à Paris. L’œuvre ne les transporte pas : « Livret du plus haut intérêt, mais mauvaise musique », commente le compositeur. Mais, au printemps 1910, Balázs écrit à son tour Le Château de Barbe-Bleue, qu’il baptise « mystère » et dont il souligne la parenté avec les ballades séculaires de Transylvanie, à commencer par la célèbre Anna Mónár. La pièce est lue au printemps 1910 lors d’une matinée organisée par la revue d’avant-garde Nyugat [Occident], fondée en 1908, vitrine éblouissante et francophile de la littérature et de la poésie hongroises pendant près d’un demisiècle. Balázs dédie ce livret à Kodály et à Bartók. Il espère secrètement que le premier va le mettre en musique et lui fait une lecture de la pièce. Mais c’est Bartók, également présent, qui est captivé par le poème. La composition débute en février 1911. Le 20 septembre suivant, une première version de l’opéra est prête. Bartók la présente à un concours de la Commission des Beaux-Arts, organisé au casino de Lipótváros, un quartier de Budapest. Amère déception : le jury, présidé par le chef d’orchestre István Kerner, décrète que l’œuvre est impossible à monter. On lui reproche l’absence d’éléments dramatiques, le statisme de l’argument, le manque de caractérisation des personnages. Le jeune musicien ne se laisse pas démonter. Il envisage de faire créer l’ouvrage à l’étranger, et l’épouse de Kodály, Emma Sándor, se charge en 1912 d’établir une traduction allemande que Zoltán recopie en grande partie luimême dans la partition autographe de son ami. 73 CLAIRE DELAMARCHE Kodály raconte comment, l’été suivant, Bartók retouche l’orchestration près de Zurich, prenant des bains de soleil chaussé de lunettes noires et allongé dans l’herbe. Deux autres séries de remaniements interviendront, l’une avant la création en 1918, l’autre pour l’édition de la réduction pour piano, en 1921, chez Universal Edition à Vienne. La création de l’opéra n’a lieu ni en allemand, ni en hongrois. Il faut le succès en 1917 du premier ballet de Bartók, Le Prince de bois (dont l’auteur de l’argument n’est autre que Balázs), pour que l’intendant de l’Opéra royal de Hongrie, Miklós Bánffy, accepte enfin de monter Le Château de BarbeBleue. La première, le 24 mai 1918, reçoit un accueil mitigé. Rapidement, on demande que soit rayé des affiches le nom du poète, dont les idées heurtent le pouvoir en ces temps troublés où l’empire austro-hongrois s’effrite ; Bartók s’y oppose et retire son œuvre. Un prologue L’Ariane de Maeterlinck et Dukas n’aime pas BarbeBleue ; elle ne s’est introduite dans son intimité que pour libérer ses cinq sœurs, les anciennes épouses qu’il retient prisonnières et qui refuseront finalement de l’abandonner. S’il s’inspire du poète belge, Balázs traite le sujet de manière fondamentalement différente. De trois actes, il réduit la pièce à un seul. Si l’on excepte les rôles muets des trois femmes, il ne conserve que deux personnages : le duc et son ultime épouse, qu’il prénomme Judith. Chez Perrault comme chez Maeterlinck, la femme désobéit et ouvre les portes en cachette ; Judith, au contraire, persuade Barbe-Bleue de lui donner les clefs pour les ouvrir en sa présence. Inspiré des poèmes magiques des regösök, les bardes de la Hongrie primitive, le prologue récité s’ouvre par leur formule traditionnelle et mystérieuse : « Haj, regò rejtem... » [« Ah ! mon conte, je le cache... »*] et se poursuit par la phrase qui, traditionnellement, introduit les contes : « Hol volt, hol nem... » [« Il était une fois... », littéralement : « Cela fut-il, ou ne fut-il pas... »]. Ce texte, essentiel à la compréhension de * Traduction de l’auteur. La traduction française officielle, établie par Michel Calvocoressi à la première édition de l’œuvre, ne rend compte qu’imparfaitement de l’original hongrois. 74 BARBE-BLEUE EN SON CHÂTEAU l’opéra et pourtant souvent supprimé, enjoint l’auditeur à ne pas s’arrêter à l’apparence des choses et place le conte sur un plan symbolique, dans l’âme humaine : « Le rideau de cils de nos yeux est levé : Où est la scène, dehors ou dedans... » Alors que le barde parle encore, les premières notes s’élèvent : une mélodie surgie du plus lointain de la mémoire magyare, qui sort définitivement l’œuvre du temps et de la réalité. Si la palette orchestrale reste dans le sillage de celles offertes par Wagner ou Strauss, la musique se nourrit largement des recherches ethnomusicologiques entreprises par Bartók et Kodály depuis 1905. Le langage harmonique, profondément tonal, s’enrichit du pentatonisme et de la modalité caractéristiques des anciens chants populaires hongrois. Quant à la ligne vocale, c’est une adaptation stylisée du par lando rubato (chant au rythme libre calqué sur la déclamation) typique des complaintes et ballades populaires : elle est rivée aux quantités et à l’accentuation particulières de la langue magyare, ce qui rend presque impossible toute traduction dans une langue indo-européenne. Par son ambiguïté et son symbolisme, le prologue préfigure le style très particulier du livret. Kodály en a souligné le caractère d’ébauche : Balázs parle volontairement par ellipses, par sous-entendus, laissant à la musique le soin d’expliquer, de relier, de préciser ce que le texte laisse ouvert. Les murs lugubres du château suintent, la nuit et le froid règnent dans le hall gothique, sur lequel donnent sept portes closes. Judith, mue par un amour et une confiance inébranlables, est décidée à dépasser cette impression, à découvrir les richesses que masque tant de sévérité. La porte qui la relie au monde extérieur se referme, et désormais sa préoccupation est d’ouvrir les sept portes pour laisser la lumière envahir le hall. Les six premières portes Judith se précipite vers la première porte et commence à y tambouriner. Elle s’arrête en plein élan : le château a gémi. A l’ouverture de la porte, un trémolo s’empare des violons : Judith a remarqué la blessure du mur, un rectangle rouge dont elle ne comprend pas encore la signification, pas plus qu’elle n’explique la provenance du rayon rouge qui se projette sur le sol. Elle découvre la salle de torture et en énu- 75 CLAIRE DELAMARCHE mère les instruments. Puis soudain, un accord strident aux trompettes et cors : Judith comprend que le château saigne. Un instant ébranlé par sa terreur, son amour transfigure cette vision effrayante. Essentiel chez Perrault, le sang envahit aussi le poème de Balázs. L’ouverture de chaque porte se déroule en trois temps : la première impression de Judith, traduite par une page orchestrale, puis le sang qui surgit, et la réaction de Judith à cette vision. Une fanfare de trompettes et de cors, symbole de la puissance du duc, accueille les deux époux dans la salle suivante, l’arsenal. Un rai rouge vient de nouveau teinter les armes. Sur un radieux accord parfait, les ruissellements du célesta et le timbre délicat de deux violons solos peignent l’extase de Judith à la vue du trésor, dans la troisième salle. Mais cette magie sonore est brutalement rompue : or et bijoux se teintent de sang. Un prélude orchestral décrit le jardin idyllique que dévoile la quatrième porte ; le cor solo et les cordes jettent sur lui une lumière merveilleuse. Mais les fleurs et la terre rougeoient à leur tour, sous l’assaut du motif du sang joué par les trompettes avec sourdine et les flûtes. La cinquième porte révèle l’immense domaine de BarbeBleue. Son ouverture est saluée par de majestueux accords de tout l’orchestre, que renforce l’orgue. Le sang ne teinte que fugitivement les nuages. Cédant à l’insistance de Judith, le duc lui donne la clef de la sixième porte qui dévoile un lac de larmes. La dernière porte Prenant Judith dans ses bras, Barbe-Bleue la supplie de ne pas ouvrir la dernière porte. Amoureusement blottie contre lui, elle lui demande s’il a aimé d’autres femmes. Devant son silence, elle se défait de son étreinte et, croyant avoir compris la signification de tout ce sang, l’accuse du meurtre de ses anciennes épouses. Le ton sur lequel elle réclame la clef ultime ne souffre aucun refus. Barbe-Bleue s’exécute tristement, et Judith découvre stupéfaite trois femmes vivantes, et richement parées. Barbe-Bleue a rencontré sa première épouse à l’aurore, la seconde dans un midi éclatant, la troisième dans le calme du crépuscule. 76 BARBE-BLEUE EN SON CHÂTEAU Quant à Judith, elle lui vint lors d’une nuit parsemée d’étoiles. Tandis que les portes se referment et que la nuit envahit à nouveau le château, il coiffe sa dernière épouse d’une couronne somptueuse et la revêt d’un manteau d’étoiles : « Tu es belle, tu es belle, Tu es cent fois belle ! Tu étais la plus belle femme, La plus belle femme ! » Ployant sous le poids de sa parure, Judith disparaît résignée derrière la septième porte, qui se referme sur elle. BarbeBleue, resté seul, chante : « Et maintenant, la nuit régnera pour toujours... » BÉLA BALÁZS BÉLA BARTÓK Un visage d’archange-enfant inexorable. Son profil prégnant et offensif a l’air D’être retranché du vivant douloureux. Sa bouche close ne rit jamais. Qu’est-ce qui te hante ? Chétif, menu géant. Ton corps, cette écharde menaçante Entre dans l’espace, Provoquant une inflammation cuisante tout autour. Tu te portes comme un sabre au clair. A qui en veut-il ? Certes, ta musique n’incite point à la rêverie. Elle est une structure d’acier, Une révolte grondant de sous du triste sol, Une douleur violente, un cri d’alarme. Qui t’a offensé ? Tes violons taillent, tes cornets frappent. C’est avec des serres d’épervier que tu tapes le piano Et les sons déchirés s’enfuient Pareils à une troupe d’oiseaux souillés de sang. Que chantes-tu ? Tu souffres de ta douleur non comprise ? Et du fait qu’on ne veut rien savoir de tes peines ? 78 BÉLA BARTÓK L’on te frappe puisque tu bats. Qu’attendais-tu de mieux ? Tu es ni agréable, ni amusant. Que t’est-il donc arrivé ? Je le sais, moi qui t’ai vu à la recherche De la chanson, des airs populaires magyars Dans les rudes fermes gueuses et silencieuses de Csongrád, Comme on cherche des racines vivantes sous la glace. Et tu n’en trouvais pas. Mais tu as découvert la peine étouffée du chagrin Rustique qui t’a rencontré au bord de la Tisza Ou aux sommets neigeux de Transylvanie, Sans plus te lâcher et le sourire S’est glacé dans ton cœur. Leur souffrance rebelle, réduite au silence, c’est elle qui Hurle maintenant de toi, mais ils ne la reconnaissent pas. Ils ne l’entendent même plus. A qui fais-tu donc Cette musique de faux ébréchés se dressant vers le ciel Dans notre solitude magyare ? Adaptation de Bernard Saint-Denis in : Bartók et les mots, Ed. Arion 13, Corvina, 1982 79 CARNET de NOTES Béla Bartók Repères biographiques Notice bibliographique — Le Château de Barbe-Bleue Orientations discographiques BÉLA BARTÓKREPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE BARTÓK 1881-1882. Triple alliance : Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie. 1881. 25 mars : Naissance à Nagyszentmiklós (aujourd’hui Sânnicolau Mare, Roumanie). 1883. Mort de Karl Marx. 1886. La mère de Bartók, Paula Voit, lui donne ses premières leçons de piano. 1888. Mort de l’empereur Guillaume Ier. Création du parti social-démocrate autrichien de Victor Adler. 1888. Mort du père de Bartók. Paula Voit, institutrice, sera contrainte à plusieurs déménagements pour subvenir aux besoins de Béla et de sa jeune sœur Erzsébet (Elza). 1890. Premières pièces pour piano. 1893. La famille s’installe à Pozsony (aujourd’hui Bratislava, en Slovaquie). Bartók y fait ses études secondaires. Il y est l’élève en musique de László Erkel, le fils de Ferenc Erkel. 82 BARTÓK & SON TEMPS MUSIQUE LITTÉRATURE SCIENCE & ARTS 1881. Naissance d’Enesco. Mort de Moussorgski. 1881. Naissance de Stefan Zweig. 1882. Naissance de Kodály, Szymanowski et Stravinsky. 1883. Naissance de Webern et Varèse. Mort de Wagner. 1884. Inauguration de l’Opéra royal de Hongrie, fondé et dirigé par Ferenc Erkel. 1885. Naissance de Berg. 1886. Mort de Liszt. 1883. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. 1885. Naissance de l’écrivain Deszö Kostolanyi.et du philosophe György Lukács. Mort de Victor Hugo. Pasteur : vaccin contre la rage. 1888. Symphonie en ré mineur de Franck. Naissance de Fritz Reiner. 1889. Première Symphoniede Mahler. 1891. Naissance de Prokofiev. 1890. Naissance du peintre Egon Schiele. 1893. Falstaff, dernier opéra de Verdi. Symphonie “Du Nouveau Monde” de Dvorák. 1894. Prélude à “L’Après-Midi d’un faune” de Debussy. 83 BÉLA BARTÓKREPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE BARTÓK 1896. Millénaire de la Hongrie célébré en grande pompe. 1899. Admis à l’Académie de musique de Budapest. Il y étudie le piano auprès d’un élève de Liszt, István Thomán, et la composition auprès d’un admirateur de Brahms, János Koessler. 1902. Assiste à la création hongroise d’Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, choc artistique qui donne une impulsion décisive à sa carrière de compositeur. 1904. Création du poème symphonique Kossuthà Manchester. Commence à se faire connaître comme pianiste dans l’Europe entière. Réalise ses premières transcriptions de chants populaires hongrois. 1905. En Hongrie, pour la première fois depuis le compromis de 1867, le Parti libéral perd la majorité absolue et passe au second rang, derrière les indépendantistes. 84 1905. Fait la connaissance du compositeur Zoltán Kodály, qui devient son meilleur ami. Premières collectes de chants populaires réalisées en commun. BARTÓK & SON TEMPS MUSIQUE LITTÉRATURE SCIENCE & ARTS 1895. Invention du cinéma par les frères Lumière. 1896. Mort de Ferenc Erkel. Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. 1896. Henri Becquerel : découverte de la radioactivité. Alfred Jarry, Ubu Roi. 1897. Mort de Brahms. 1897. Sécession de Vienne avec notamment Gustav Klimt. André Gide, Les Nourritures terrestres. 1900. Tosca de Puccini. 1900. Mort de Nietzsche. Freud, L’Interprétation des rêves. 1902. Pelléas et Mélisandede Debussy. 1905. Naissance d’Arthur Koestler à Budapest. Einstein : la relativité restreinte. 85 BÉLA BARTÓKREPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE BARTÓK Jusqu’en 1918, Bartók recueillera quelque 2700 chants hongrois, 3500 roumains et 3000 slovaques. 1906. Dissolution du Parlement et formation d’un gouvernement de coalition nationaliste et conservateur. 1906. Publie en collaboration avec Kodály un recueil de vingt arrangements de chants populaires hongrois. 1907. Loi Apponyi introduisant la gratuité de l’enseignement primaire qui, en même temps, impose une magyarisation forcée aux autres ethnies du royaume. 1907. Professeur de piano à l’Académie de musique de Budapest. Grâce à Kodály, découvre la musique de Debussy. 1908. Annexion de la BosnieHerzégovine, qui mettra le feu aux poudres des guerres balkaniques de 1912-1913. 1908. Premier Quatuor, Bagatelles pour piano. 1910. Les anciens libéraux, devenus socialistes, remportent la majorité absolue sous la houlette d’István Tisza. Les gouvernements se succèdent rapidement dans cette période, agitée de conflits sociaux et nationaux. 1910. Premier concert consacré à ses œuvres, à Budapest, avec notamment la création du Premier Quatuor. 1912. Grève générale et grande manifestation contre Tisza. 1909. Épouse Márta Ziegler. 1911. Allegro barbaro pour piano. Naissance de son fils Béla. Participe à la fondation de la Nouvelle Société de musique hongroise. 1913. Recueille des chants populaires arabes à Biskra (Algérie). 86 BARTÓK & SON TEMPS MUSIQUE LITTÉRATURE SCIENCE & ARTS 1906. Naissance de Chostakovitch. Naissance d’Antal Doráti. 1907. Pour la première fois, de la musique est transmise par TSF. 1907. Picasso, Les Demoiselles d’Avignon. 1909. Création de la revue d’avantgarde Nyugat [Occident], à laquelle participent les poètes et écrivains hongrois les plus éminents. 1911. Hofmannsthal, Jedermann. 1912. Pierrot lunaire de Schoenberg. Naissance de Georg Solti. 1913. Le Sacre du Printempsde Stravinsky. 1913. Naissance du poète hongrois Sandor Weöres. Proust, Du côté de chez Swann. 87 BÉLA BARTÓKREPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE BARTÓK 1914. Assassinat à Sarajevo de l’héritier du trône austro-hongrois, François-Ferdinand, qui déclenche la Première Guerre mondiale. 1916. Mort de l’empereur d’Autriche et roi de Hongrie, FrançoisJoseph Ier. Son successeur sera Charles Ier comme empereur d’Autriche, Charles IV comme roi de Hongrie. 1917. Premier grand succès de compositeur avec la création à l’Opéra de Budapest du Prince de bois. Deuxième Quatuor. 1918. La défaite de l’empire austrohongrois entraîne sa dissolution. Charles IV abdique, et le comte Mihály Károlyi proclame la République, à la tête d’un gouvernement de coalition. 1918. Création à l’Opéra de Budapest du Château de Barbe-Bleue, composé en 1911. 1919. Éphémère République des Conseils (133 jours), conduite par le bolchevique Béla Kun et renversée par une offensive de l’armée roumaine. 1919. Prend part au gouvernement éphémère de la République des Conseils, comme membre du directoire de la Musique. 1920. La Hongrie redevient un royaume, dont Charles IV est banni. L’amiral Miklós Horthy, un conservateur, est élu régent. Par le traité de Trianon, la Hongrie se sépare de l’Autriche mais perd les deux tiers de son territoire et un tiers des locuteurs hongrois. La Slovaquie et la Transcarpathie passent à la 88 1916. Ballet Le Prince de bois. Deuxième Quatuor. BARTÓK & SON TEMPS MUSIQUE 1914. Naissance de Ferenc Fricsay. LITTÉRATURE SCIENCE & ARTS 1915. Kafka, La Métamorphose. 1916. Freud, Introduction à la psychanalyse. 1917. Alexander von Zemlinsky, Une Tragédie florentine. 1918. Mort de Debussy. 1918. Manifeste dada. 1919. Fondation du Bauhaus à Weimar. 1920. Spengler, Le Déclin de l’Occident. 89 BÉLA BARTÓKREPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE BARTÓK nouvelle Tchécoslovaquie ; la Croatie à la Yougoslavie ; le Banat à la Roumanie et à la Yougoslavie ; la Transylvanie à la Roumanie. 3,5 millions de Magyars vivent désormais hors des frontières nationales. 1921. Échec d’une restauration de Charles IV. 1921. Écrit sa monographie Le Chant populaire hongrois. 1921-1922. Sous l’influence de Stravinsky et de Schoenberg, compose ses deux œuvres les plus complexes, les sonates pour violon et piano. 1923. Premier grand succès populaire et international avec la Suite de danses pour orchestre, créée à l’occasion du cinquantenaire de l’unification de Budapest. A l’occasion d’une tournée de concerts à Paris, fait la connaissance d’Igor Stravinsky, Maurice Ravel et Karol Szymanowski. Divorce éclair et remariage avec une jeune élève, Edith (Ditta) Pásztory. 1924. Naissance de son fils Péter. 1926. « Année du piano « : nombreux concerts, création de la Sonate pour piano, de la suite En plein air, du Premier Concerto pour piano sous la direction 90 BARTÓK & SON TEMPS MUSIQUE LITTÉRATURE SCIENCE & ARTS 1921. Einstein prix Nobel. Chaplin, Le Kid. 1922. 1922. Schoenberg finit d’élaborer sa Joyce, Ulysse. Méthode de composition avec 12 Murnau, Nosferatu. sons, traité de composition posant les bases du dodécaphonisme. 1923. Psalmus hungaricus de Kodály. Hyperprismde Varèse. Naissance de Ligeti. 1926. Wozzeckde Berg. Naissance de Pierre Boulez. 1924. Thomas Mann, La Montagne magique. Mort de Kafka. 91 BÉLA BARTÓKREPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE BARTÓK de Furtwängler. Après de nombreux déboires, la pantomime Le Mandarin merveilleuxest créée à Cologne. 1927 -1928. Troisième Quatuor et Quatrième Quatuor. 1931. Démission du chef du gouvernement, István Bethlen. Son successeur, Gyula Gömbös, opère un net tournant à droite. 1931. Deuxième Concerto pour piano. 1932. Participe au congrès sur la musique arabe du Caire. 1934. Cinquième Quatuor. Démissionne de son poste de professeur de piano à l’Académie de musique de Budapest : l’Académie hongroise des sciences lui confie enfin la publication du corpus de chants populaires hongrois. Jusqu’en 1940, il classera, révisera, annotera une collection de près de 13000 chants hongrois. Il révisera également une collection de 2500 chants roumains et préparera plusieurs autres collections étrangères pour de futures analyses. 92 BARTÓK & SON TEMPS MUSIQUE 1928. Weill et Brecht, L’Opéra de quat’ sous. LITTÉRATURE SCIENCE & ARTS 1927. 1er film parlant, Le Chanteur de jazz. 1929. Naissance d’Imre Kertesz, Prix nobel de littérature 2002. Claudel, Le Soulier de satin. 1930. Von Sternberg, Marlène Dietrich, L’Ange bleu. Musil, L’homme sans qualités. 1931. Fritz Lang, M le Maudit. 1933. Schoenberg et Kurt Weill s’exilent aux États-Unis. 1932 Céline, Voyage au bout de la nuit. 1934. Fritz Lang, Liliom, d’après la pièce de Ferenc Molnár. 93 BÉLA BARTÓKREPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE BARTÓK 1935. Cantata profana. Devient membre de l’Académie des sciences. Il multiplie les publications et les conférences en Hongrie et à l’étranger, ne composant plus guère que sur commande. 1936. Musique pour cordes, percussions et célesta. Voyage d’étude en Turquie. Recueille des chants en Anatolie. 1937. Sonate pour deux pianos et percussions. 1938. Première d’une série de lois antisémites. Alliance avec l’Allemagne nazie. Hitler et Mussolini rendent à la Hongrie une partie de la Slovaquie. 1938. Concerto pour violon. Contrastes pour violon, clarinette et piano. Après l’Anschluss, Bartók quitte l’éditeur viennois Universal. Il commence à nourrir des projets d’exil. 1939. Profitant du démantèlement de la Tchécoslovaquie, la Hongrie occupe la Ruthénie subcarpatique. 1939. Divertimento pour cordes. Sixième Quatuor. Achève la composition des Mikrokosmos, entreprise en 1932. Mort de la mère de Bartók. 1940. La Hongrie récupère le nord de la Transylvanie et du Banat. Elle entre en guerre aux côtés de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon. 1940. Après une tournée de concerts aux États-Unis, décide d’y émigrer. L’université Columbia le nomme docteur honoris causa. 1941. Entreprend l’étude d’un fonds de musique yougoslave à 94 BARTÓK & SON TEMPS MUSIQUE LITTÉRATURE SCIENCE & ARTS 1936. Jeux olympiques de Berlin. Charlie Chaplin, Les Temps modernes. 1937. Mort de Ravel. 1938. Le gouvernement allemand, sous l’égide de Joseph Goebbels, stigmatise dans l’exposition “Entartete Musik” [“Musique dégénérée”], à Düsseldorf, la musique moderne, les compositeurs juifs et le jazz, dénoncé comme une musique à la fois « juive, bolchevique et nègre ». De nombreux compositeurs (passés et présents) sont mis à l’index et nombre de musiciens choisissent l’exil. 1937. Walt Disney, Blanche-Neige et les Sept Nains. 1939. Steinbeck, Les Raisins de la colère. 1940. Koestler, Le Zéro et l’infini. Charlie Chaplin, Le Dictateur. 1941. Quatuor pour la fin du temps de Messiaen. 95 BÉLA BARTÓKREPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE BARTÓK l’université Columbia. Première atteinte de leucémie. 1943. Après trois ans sans composer, écrit le Concerto pour orchestre pour Serge Koussevitzky et l’Orchestre de Boston. 1944. Budapest est envahie par l’armée allemande. Alarmé par la défection de la Roumanie, qui a rejoint le camp allié, Hitler remplace Horthy par Ferenc Szálasi, chef du parti fasciste, antisémite et pro-nazi des Croix fléchées. Le génocide des Juifs hongrois, que Horthy avait tenté d’endiguer, n’a plus de limites. De nombreux Tziganes sont également déportés. Le siège laisse Budapest en ruines et exsangue. 1944. Ecrit la Sonate pour violon seul pour Yehudi Menuhin. 1945. L’armée soviétique chasse de Hongrie les forces allemandes et un régime communiste s’installe progressivement dans le pays. Après une courte période de démocratie en 19461947, la Hongrie deviendra un état communiste. 1945. 26 septembre : meurt à New York, laissant inachevés le Concerto pour alto et le Troisième Concerto pour piano. 1988. Transfert des cendres de Bartók au cimetière de Farkasrét, à Budapest. 96 BARTÓK & SON TEMPS MUSIQUE LITTÉRATURE SCIENCE & ARTS 1942. Suicide de Stefan Zweig. Lubitsch, To be or not to be. 1943. Saint-Exupéry, Le Petit Prince. 1944. Naissance de Peter Eötvös 1945. Mort de Webern. 1945. 1re bombe atomique. 97 BÉLA BARTÓKNOTICE BIBLIOGRAPHIQUE Du compositeur BÉLA BARTÓK. Musique de la vie,édité & traduit par Philippe A. Autexier, Stock Musique, 1981. BÉLA BARTÓK. Écrits, édités et traduits par Philippe Albéra & Peter Szendy, éditions Contrechamps, 2006. Sur le compositeur PIERRE CITRON. Bartók, Seuil, collection Solfèges, 1994. Sur Le Château de Barbe-Bleue Le Château de Barbe-Bleue (couplé avec Ariane et Barbe-Bleuede Dukas), L’Avant-Scène / Opéra, nos 149-150, 1992. Un traduction française du texte de BÉLA BALÁZS : Le Château de Barbe-Bleue, aux éditions Argraphie, 1990. 98 LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUEORIENTATIONS DISCOGRAPHIQUES ISTVÁN KERTÉSZ Orchestre symphonique de Londres Christa Ludwig (Judith), Walter Berry (Barbe-Bleue) Decca – 1966 PIERRE BOULEZ Orchestre symphonique de la BBC Tatiana Troyanos (Judith), Siegmund Nimsgern (Barbe-Bleue) Sony Classical – 1976 WOLFGANG SAWALLISCH Orchestre d’Etat de Bavière Julia Varady (Judith), Dietrich Fischer-Dieskau (Barbe-Bleue) DG – 1979 BERNARD HAITINK Orchestre philharmonique de Berlin Anne Sophie von Otter (Judith), John Tomlinson (Barbe-Bleue) EMI – 1996 PETER EÖTVÖS Orchestre symphonique de la SWR – Radio de Stuttgart Cornelia Kallisch (Judith), Peter Fried (Barbe-Bleue) Hänssler – 2004 99 Chargés d’édition Claire Delamarche Jean Spenlehauer Conception & Réalisation Brigitte Rax / Clémence Hiver Impression Imprimerie Lussaud Opéra national de Lyon Saison 2006/07 Directeur général Serge Dorny OPÉRA NATIONAL DE LYON Place de la Comédie 69001 Lyon Renseignements & Réservation 0.826.305.325 (0,15 e/mn) www.opera-lyon.com L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes et le conseil général du Rhône. Imprimerie Lussaud 8 rue sainte-Catherine-des-Loges 85204 Fontenay-le-Comte No d’imprimeur : ACHEVÉ d’IMPRIMER au printemps 2007 pour les représentations du CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE à l’Opéra national de Lyon Mise en scène Laurent Pelly Direction musicale Juraj Valcuha