Enseignement du français et plurilinguisme au Niger

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Enseignement du français et plurilinguisme au Niger
Enseignement du français et plurilinguisme au Niger
Introduction :
Langue officielle et langue d’enseignement ,le français a un statut tout particulier au Niger.
La cohabitation linguistique entre le français et les langues nationales est précisée dans la
constitution du Niger .ce qui augure en principe une cohabitation pacifique .Cependant cette
situation n’est pas sans poser quelques problèmes. Même si l’usage du français est très
répandu , sa diffusion est menacée par un nette dégradation de la qualité tant de son
apprentissage que de son enseignement à tous les niveaux du système éducatif .Aussi ,le
thème de la crise de l’école et plus précisément de l’enseignement du français une
préoccupation générale. Sans nier l’existence de réelle difficultés de mise en œuvre des
programmes actuels de français , sans contester la nécessité de remettre en perspective
l’ensemble de l’enseignement du français on peut s’interroger sur les contenus des
programmes . La question de l’enseignement de la grammaire et de la transmission des
savoirs sur la langue est très révélatrice et on peut faire l’hypothèse qu’elle s’inscrit dans le
cadre de la problématique plus générale de la crise de l’enseignement . Cette situation est
vécue douloureusement par les enseignants .Ils vivent parfois l’enseignement de leur
discipline , le français, comme une régression. On parle couramment de baisse de niveau .les
raisons sont multiples comme sont multiples les solutions envisagées dans le refondation du
curriculum en cours au Niger. Parmi ces solutions l’introduction des langues nationales
comme langues d’enseignement pour les apprentissages fondamentaux .
1. Quelques éléments d’appréciations de baisse de niveau en français au Niger :
A. Résultats Base1 :
Le rapport d’exécution de la première phase du programme Décennal de Développement de
l’Education (PDDE) , couvrant la période 2OO3-2007 , a mis en évidence la faiblesse des
performances du cycle de base1 en matière de qualité.
L’ évolution du niveau des apprentissages des élèves réalisée en 2007 met en évidence une
régression du niveau de performance comparativement aux résultats enregistrés en 2000 et
2005 (DEEC) .
La proportion des élèves ayant des difficultés en français demeure encore très préoccupante
(62,9% au cp ,67,9% au ce2 et 72,4% au CM2 où 27,6% des élèves ont la moyenne conte
42,56 % en 2000, soit un écart de 14,96 points .
Cette situation n’est pas sans conséquence sur les performances des élèves au cycle
2(collège) .En effet , la majorité des collégiens ne maîtrisent pas les compétences de base
dans le domaine langue
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B. Au secondaire :
Les exigences de la culture d’excellence et ceux d’une ascension sociale fondée sur le mérite
et le travail sont contrariés par l’actuel mouvement de massification, qui assigne d’autres
fonctions à l’école, vue au delà de son organisation par niveaux. La manifestation la plus
récente est le passage automatique qui modifie assez explicitement les finalités du métier
d’enseignant surtout en ce qui concerne la composante qualité .
Cette nouvelle donne n’est pas anodine et c’est la raison pour laquelle la question de
la crise a été abordée au début de cet article. Les enjeux des évolutions du métier
d’enseignant semblent multiples et notamment, pour la didactique de la langue, en lien avec
la diversité linguistique et le plurilinguisme, lesquels ne sont pas suffisamment pris en
compte par les programmes, alors qu’ils pourraient constituer des données susceptibles de
modifier les perspectives de l’enseignement du français. Au Niger la baisse du niveau se
constate à tout les niveaux . En classe de 6eme , nombreux sont les élèves qui ne savent pas
écrire leur nom, ce qui expliquent en partie les exclusions et abandons massifs .Cela est
d’autant plus vrai que le gouvernement a préféré supprimé la dictée des épreuves du BEPC
(Brevet d’Etudes du Premier Cycle) en 2010 pour améliorer les résultats . On mesure
également la baisse du niveau en français dans les choix d’orientation des élèves, qui se
dirigent plus volontiers vers les filières scientifiques, ou économiques plus porteuses en
termes d’emploi que la filière littéraire qui connaît une sérieuse désaffection, laquelle se
traduit par une chute des effectifs.
En effet, on peut se demander si le débat actuel sur la question de l’enseignement de la
langue, (débat dont on ne conteste pas la nécessité, notamment pour l’accueil des élèves qui
peinent à maîtriser le français), n’en occulte pas un autre. Cet autre débat contiendrait des
enjeux politiques et sociaux, qui engageraient à plus long terme une réflexion sur la mise en
place d’une compétence plurilingue chez les élèves. Cette compétence plurilingue viserait à
la fois le français et les langues nationales. Cette perspective suppose de redéfinir le statut
du français qu’on enseigne d’une part et d’autre part d’envisager les liens de la didactique
du français avec les autres langues. Là où il est souhaitable d’adopter une visée plus
pragmatique , il ne sert à rien de créer des oppositions de statut .
2 . La voie de la didactique du français langue d’enseignement :
La didactique du français langue d’enseignement semble une voie où la recherche a des
enjeux forts, en intrication avec la didactique du français langue maternelle et du français
langue étrangère. On le trouve dans des situations sociales diverses, et il est très présent
aussi en milieu ordinaire, dans une pluralité de situations très hétérogènes, du fait de la
diversité des publics, situations dans lesquelles il se distingue des situations plus normées
des pratiques de classes en français . En effet, si on peut dire que le français n’est pas la
langue de première socialisation, il est la langue de la scolarisation.
L’apport du français langue d’enseignement est de construire un rapport nouveau entre les
langues en présence dans le contexte scolaire .Se pose ici la question du français scolaire, de
la langue des apprentissages et de la scolarisation dans un contexte plurilingue . Les
pédagogues doivent s’ interroger sur la question de l’entrée dans l’écrit, de l’accès à la
littéracie et de ses modalités didactiques, ce qui constitue un défi majeur pour l’intégration
des élèves plurilingues. A ce titre le français pourrait être le véhicule d’un accès à une
pratique scolaire décontextualisée , moins distant de la communication sociale que le
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français scolaire ordinairement pratiqué, en mettant en avant certaines dimensions
cognitives. Dans cette perspective, la recherche en didactique trouve une application directe
dans la formation des enseignants et constitue une réponse au problème social . Dès lors, la
question des politiques linguistiques est prépondérante et s’articule à la croisée des
disciplines entre psycho, sociolinguistique et didactique, lesquelles ont vocation à devenir
des disciplines d’intervention et à participer à l’aménagement linguistique et à la formation
des enseignants, dans des secteurs multiples comme préconisé par Castellotti, Coste, LeeSimon, dans le cadre notamment de l’intégration des migrants et de l’ouverture sur le
plurilinguisme.
Dans ces conditions, il paraît difficile d’envisager l’enseignement du français, qu’il
soit langue étrangère ou langue d’enseignement, indépendamment des autres langues
(Coste, 2006 : 13), et en dehors d’une réflexion plus générale sur la didactique du
plurilinguisme.
3 . Quelle place pour les autres langues dans la didactique du français :
La légitimation et la valorisation de la langue parlée par les élèves est la condition
première pour éviter le conflit entre les langues et les cultures et le risque d’anomie
(Bertucci, Corblin, 2004 : 22). Ceci suppose une didactique fine qui ait compris les stratégies
de production linguistique par lesquelles le locuteur, dans sa dimension d’acteur social,
existe aux yeux des autres et pour lui-même à travers un jeu des / avec les langues
(Castellotti, Robillard, 2001 : 46-47), ce qui implique une réflexion sur le statut des langues
en présence et sur celui des participants. Cela n’est donc pas sans effet sur les interactions
enseignants /élèves, et pour les élèves concernés sur des questions identitaires et
intégratives par le jeu des langues dans le cadre de la classe.
Dans des contextes plurilingues, comme ceux que connaît l’école, il devient nécessaire
de réfléchir à une didactique du plurilinguisme et de prendre en compte les apports des
expériences déjà menées. C’est en fait le statut du français qui est engagé ici et notamment
des liens entre français langue maternelle, français langue seconde et langues étrangères au
sens large. Cette démarche aborde les langues à travers l’observation de leur
fonctionnement, dans leur dimension cognitive, et en analysant la relation entretenue par le
sujet avec les langues, dans leur dimension affective et identitaire.
4. Une didactique du plurilinguisme :
Les travaux conduits par Michel Candelier dans le programme Evlang à partir de 1996,
projet de recherche-innovation d’éveil aux langues à l’école primaire (Billiez et al. : Id. ;
Candelier, 2003) ont développé l’éveil à un grand nombre de langues des élèves, langues qui
ne sont pas forcément enseignées à l’école. L’accent a été mis tant sur des langues
étrangères à fort statut ou non, que sur des langues régionales ou minorisées, mais aussi, sur
les parlers bilingues et les variétés d’une même langue. Les attentes portaient sur la
sensibilisation des élèves à la diversité linguistique et culturelle et sur le développement de
leurs motivations en termes d’apprentissage des langues. Le programme souhaitait
construire une véritable culture des langues et une meilleure compréhension du
plurilinguisme. Les résultats ont fait apparaître un développement chez les élèves d’un
intérêt pour la diversité culturelle et linguistique (Id. : 309).
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S’il apparaît indispensable de faire de la langue nationale un apprentissage prioritaire, cette
visée doit également encourager l’impulsion à apprendre d’autres langues.
Deux objectifs se dessinent alors : d’abord l’évolution de la didactique du français et celle
des langues nationales.
5. L’enseignement bilingue au Niger :
Anticipant en cela les recommandations de l’UNESCO et de certains spécialistes (dans son
ouvrage en date de 2000, Olivier MEUNIER jugeait indispensable que les langues nationales
soient langues d’enseignement dès les premières années de scolarisation (…) ce qui
permettrait à la majorité des élèves de comprendre l’enseignement dispensé et donc d’avoir
un niveau plus élevé dès le primaire ) , le Niger a initié dès le début des années 70 une
réflexion concernant un enseignement bilingue, pouvant être défini comme « tout système
dans lequel , à un moment variable et pendant un temps et dans des proportions variables
,simultanément ou consécutivement, l’instruction est donnée dans au moins deux langues ,
dont la langue de l’élève .
Au Niger, l’enseignement bilingue s’est donc concrétisé par une expérimentation
introduisant aux côtés du français la langue maternelle des élèves .
Une première expérience, menée en langue Haoussa dans l’école d’application de l’école
normale de Zinder, en 73,s’est ensuite étendue à d’autres écoles et ouverte à d’autres
langues nationales . Trente sept après la première expérimentation , l’enseignement bilingue
concerne une cinquantaine d’établissements (soit moins de 1% du total des établissements
scolaires et plus de 500 enseignants spécialement formés pour ce contexte .
L’évaluation de cette expérimentation montre que les élèves issus de ce système ( qu’ils
abandonnent à partir de la 4ème année pour se retrouver dans le système traditionnel) ont
des performances scolaires meilleures que ceux qui sont restés à l’ école traditionnelle .
C’est pour cette raison que depuis le mois d’avril 2011 le Ministère de l’Education Nationale
a été transformé en Ministère de l’Education Nationale de l’Alphabétisation et de la
Promotion des Langues Nationales . La refondation du curriculum prend également les
langues nationales en compte.
Conclusion :
L’enseignement/apprentissage du français demande de nos jours une attention particulière
compte tenu du contexte et de la place qu’occupe cette langue dans les relations
internationales. C’est le contexte international et la technologie des apprentissages qui lui
imposent une nouvelle vision. Dès lors, nous ne pouvons évoluer qu’en prenant en compte
ce baromètre de mesure de la nouvelle vision pour donner forme et sens à notre réflexion.
Négliger cette donne, c’est rouler à contre courant au mouvement mondial qu’on appelle
couramment la globalisation dans lequel s’inscrit toute transaction et médiation de portée
internationale. C’est dans cette dynamique que s’inscrit, à notre sens, la problématique de la
langue français : pourquoi enseigner le français ? Pourquoi apprendre le français ?
Ces deux questions interpellent une autre, celle qui est didactique et pédagogique :
comment enseigner le français ? Comment apprendre le français dans un contexte
plurilingue ?
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